Trop de Faveur Tue

Trop de Faveur Tue

de Stendhal

C’est le titre qu’un poète espagnol a donné à cette histoire dont il a fait une tragédie. Je me garde bien d’emprunter aucun des ornements à l’aide desquels l’imagination de cet Espagnol a cherché à embellir cette peinture triste de l’intérieur d’un couvent ;plusieurs de ces inventions augmentent en effet l’intérêt, mais,fidèle à mon désir qui est de faire connaître les hommes simples et passionnés du XVe siècle (sic) desquels provient la civilisation actuelle, je donne cette histoire sans ornement et telle qu’avec un peu de faveur, on peut la lire dans les archives de l’Évêché de …,où se trouvaient toutes les pièces originales et le curieux récit du comte Buondelmonte.

Dans une ville de Toscane que je ne nommerai pas existait en1589 et existe encore aujourd’hui un couvent sombre et magnifique.Ses murs noirs, hauts de cinquante pieds au moins, attristent tout un quartier ; trois rues sont bordées par ces murs, du quatrième côté s’étend le jardin du couvent, qui va jusqu’aux remparts de la ville. Ce jardin est entouré d’un mur moins haut.Cette abbaye, à laquelle nous donnons le nom de Sainte Riparata, ne reçoit que des filles appartenant à la plus haute noblesse. Le 20octobre 1587, toutes les cloches de l’Abbaye étaient en mouvement ; l’église ouverte aux fidèles était tendue de magnifiques tapisseries de damas rouge, garnies de riches franges d’or. La sainte sœur Virgilia, maîtresse du nouveau grand-duc de Toscane, Ferdinand Ier, avait été nommée abbesse de Sainte Riparatala veille au soir, et l’évêque de la ville, suivi de tout son clergé, allait l’introniser. Toute la ville était en émoi et la foule telle dans les rues voisines de Sainte Riparata qu’il était impossible d’y passer.

Le cardinal Ferdinand de Médicis, qui venait de succéder à sonfrère François, sans pour cela renoncer au chapeau, avaittrente-six ans et était cardinal depuis vingt-cinq ans, ayant étéélu à cette haute dignité à l’âge de onze ans. Le règne deFrançois, célèbre encore de nos jours par son amour pour BiancaCapello, avait été marqué par toutes les folies que l’amour desplaisirs peut inspirer à un prince peu remarquable par la force decaractère. Ferdinand, de son côté, avait eu à se reprocher quelquesfaiblesses du même genre que celles de son frère ; ses amoursavec la sœur oblate Virgilia étaient célèbres en Toscane, mais ilfaut le dire, surtout par leur innocence. Tandis que le grand-ducFrançois, sombre, violent, entraîné par ses passions, ne songeaitpas assez au scandale produit par ses amours, il n’était questiondans le pays que de la haute vertu de la sœur Virgilia. L’ordre desOblates, auquel elle appartenait, permettant à ses religieuses depasser environ les deux tiers de l’année dans la maison de leursparents, elle voyait tous les jours le cardinal de Médicis, quandil était à Florence. Deux choses faisaient l’étonnement de cetteville adonnée aux voluptés, dans ces amours d’un prince jeune,riche et autorisé à tout par l’exemple de son frère : la sœurVirgilia, douce, timide, et d’un esprit plus qu’ordinaire, n’étaitpoint jolie, et le jeune cardinal ne l’avait jamais vue qu’enprésence de deux ou trois femmes dévouées à la noble familleRespuccio, à laquelle appartenait cette singulière maîtresse d’unjeune prince du sang.

Le grand-duc François était mort le 19 octobre 1587 sur le soir.Le 20 octobre avant midi, les plus grands seigneurs de sa cour, etles négociants les plus riches (car il faut se rappeler que lesMédicis n’avaient été dans l’origine que des négociants ;leurs parents et les personnages les plus influents de la Courétaient encore engagés dans le commerce, ce qui empêchaient cescourtisans d’être tout à fait aussi absurdes que leurs collèguesdes cours contemporaines) – les premiers courtisans, les négociantsles plus riches se rendirent, le 20 octobre au matin, dans lamodeste maison de la sœur oblate Virgilia, laquelle fut bienétonnée de ce concours.

Le nouveau grand-duc Ferdinand voulait être sage, raisonnable,utile au bonheur de ses sujets, il voulait surtout bannirl’intrigue de sa Cour. Il trouva, en arrivant au pouvoir, que laplus riche abbaye de femmes de ses États, celle qui servait derefuge à toutes les filles nobles que leurs parents voulaientsacrifier à l’éclat de leur famille, et à laquelle nous donneronsle nom de l’Abbaye de Sainte Riparata, était vacante ; iln’hésita pas à nommer à cette place la femme qu’il aimait.

L’abbaye de Sainte Riparata appartenait à l’ordre de saintBenoît, dont les règles ne permettaient point aux religieuses desortir de la clôture. Au grand étonnement du bon peuple deFlorence, le prince cardinal ne vit point la nouvelle abbesse, maisd’un autre côté, par une délicatesse du cœur qui fut remarquée etl’on peut dire généralement blâmée par toutes les femmes de sacour, il ne se permit jamais de voir aucune femme en tête-à-tête.Lorsque ce plan de conduite fut bien avéré, les attentions descourtisans allaient chercher la sœur Virgilia jusque dans soncouvent, et ils crurent remarquer, malgré son extrême modestie,qu’elle n’était point insensible à cette attention, la seule queson extrême vertu permit au nouveau souverain.

Le couvent de Sainte Riparata avait souvent à traiter desaffaires d’une nature fort délicate : ces jeunes filles desfamilles les plus riches de Florence ne se laissaient point exilerdu monde, alors si brillant, de cette ville si riche, de cetteville qui était la capitale du commerce de l’Europe, sans jeter unœil de regret sur ce qu’on leur faisait quitter ; souventelles réclamaient hautement contre l’injustice de leurs parents,quelquefois elles demandaient des consolations à l’amour, et l’onavait vu les haines et les rivalités du couvent venir agiter lahaute société de Florence. Il était résulté de cet état des chosesque l’abbesse de Sainte Riparata obtenait des audiences assezfréquentes du grand-duc régnant. Pour violer le moins possible larègle de saint Benoît, le grand-duc envoyait à l’abbesse une de sesvoitures de gala, dans laquelle prenaient place deux dames de sacour, lesquelles accompagnaient l’abbesse jusque dans la salled’audience du palais du grand-duc, à la Via Larga, laquelle estimmense. Les deux dames témoins de la clôture, comme on lesappelait, prenaient place sur des fauteuils près de la porte,tandis que l’abbesse s’avançait seule et allait parler au princequi l’attendait à l’autre extrémité de la salle, de sorte que lesdames témoins de la clôture ne pouvaient entendre rien de ce qui sedisait durant cette audience.

D’autres fois le prince se rendait à l’église de SainteRiparata ; on lui ouvrait les grilles du chœur et l’abbessevenait parler à son Altesse.

Ces deux façons d’audience ne convenaient nullement augrand-duc ; elles eussent peut-être donné des forces à unsentiment qu’il voulait affaiblir. Toutefois, des affaires d’unenature assez délicate ne tardaient pas à survenir dans le couventde Sainte Riparata : les amours de la sœur Félize degli Almieri entroublaient la tranquillité. La famille degli Almieri était une desplus puissantes et des plus riches de Florence. Deux des troisfrères, à la vanité desquels on avait sacrifié la sœur Félize,étant venus à mourir et le troisième n’ayant pas d’enfants, cettefamille s’imagina être en butte à une punition céleste. La mère etle frère qui survivait, malgré le vœu de pauvreté qu’avait faitFélize, lui rendaient, sous forme de cadeaux, les biens dont onl’avait privée pour faire briller la vanité de ses frères.

Le couvent de Sainte Riparata comptait alors quarante-troisreligieuses. Chacune d’elle avait sa camériste noble ;c’étaient des jeunes filles prises dans la pauvre noblesse, quimangeaient à une seconde table et recevaient du trésorier ducouvent un écu par mois pour leurs dépenses. Mais, par un usagesingulier et qui n’était pas très favorable à la paix du couvent,on ne pouvait être camériste noble que jusqu’à l’âge de trenteans ; arrivées à cette époque de la vie, ces filles semariaient ou étaient admises comme religieuses dans des couventsd’un ordre inférieur.

Les très nobles dames de Sainte Riparata pouvaient avoir jusqu’àcinq femmes de chambre, et la sœur Félize degli Almieri prétendaiten avoir huit. Toutes les dames du couvent que l’on supposaitgalantes, et elles étaient au nombre de quinze ou seize,soutenaient les prétentions de Félize, tandis que les vingt-sixautres s’en montraient hautement scandalisées et parlaient de faireappel au prince.

La bonne sœur Virgilia, la nouvelle abbesse, était loin d’avoirune tête suffisante pour terminer cette grave affaire ; lesdeux partis semblaient exiger d’elle qu’elle la soumît à ladécision du prince.

Déjà, à la cour, tous les amis de la famille des Almiericommençaient à dire qu’il serait étrange que l’on voulût empêcherune fille d’aussi haute naissance que Félize, et autrefois aussibarbarement sacrifiée par sa famille, de faire l’usage qu’ellevoudrait de sa fortune, surtout cet usage étant aussi innocent.D’un autre côté, les familles des religieuses âgées ou moins richesne manquaient pas de répondre qu’il était pour le moins singulierde voir une religieuse, qui avait fait vœu de pauvreté, ne pas secontenter du service de cinq femmes de chambre.

Le grand-duc voulut couper court à une tracasserie qui pouvaitagiter la ville. Ses ministres le pressaient d’accorder uneaudience à l’abbesse de Sainte Riparata, et comme cette fille,d’une vertu céleste et d’un caractère admirable, ne daigneraitprobablement pas appliquer son esprit tout absorbé dans les chosesdu Ciel au détail d’une tracasserie aussi misérable, le grand-ducdevrait lui communiquer une décision qu’elle serait seulementchargée d’exécuter. « Mais comment pourrai-je prendre cettedécision, se disait ce prince raisonnable, si je ne sais absolumentrien des raisons qui peuvent faire valoir les deux partis ? »D’ailleurs, il ne voulait point se faire un ennemi de la puissantefamille des Almieri.

Le prince avait pour ami intime le comte Buondelmonte, qui avaitune année de moins que lui, c’est-à-dire trente-cinq ans. Ils seconnaissaient depuis le berceau, ayant eu la même nourrice, uneriche et belle paysanne du Casentino. Le comte Buondelmonte, fortriche, fort noble et l’un des plus beaux hommes de la ville, étaitremarquable par l’extrême indifférence et la froideur de soncaractère. Il avait renvoyé bien loin la prière d’être premierministre, que le grand-duc Ferdinand lui avait adressée le jourmême de son arrivée à Florence.

« Si j’étais à votre place, lui avait dit le comte,j’abdiquerais aussitôt ; jugez si je voudrais être le ministred’un prince et ameuter contre moi les haines de la moitié deshabitants d’une ville où je compte passer ma vie ! »

Au milieu des embarras de cour que les dissensions du couvent deSainte Riparata donnaient au grand-duc, il pensa qu’il pouvaitavoir recours à l’amitié du comte. Celui-ci passait sa vie dans sesterres, dont il dirigeait la culture avec beaucoup d’application.Chaque jour il donnait deux heures à la chasse ou à la pêche,suivant les saisons et jamais on ne lui avait connu de maîtresse.Il fut fort contrarié de la lettre du prince qui l’appelait àFlorence ; il le fut bien davantage, quand le prince lui eutdit qu’il voulait le faire directeur du noble couvent de SainteRiparata.

– Sachez, lui dit le comte, que j’aimerais presque encore mieuxêtre premier ministre de Votre Altesse. La paix de l’âme est monidole, et que voulez-vous que je devienne au milieu de toutes cesbrebis enragées ?

– Ce qui m’a fait jeter les yeux sur vous, mon ami, c’est quel’on sait que jamais femme n’a eu d’empire sur votre âme pendantune journée entière ; je suis bien loin d’avoir le mêmebonheur ; il n’eût tenu qu’à moi de recommencer toutes lesfolies que mon frère a faites pour Bianca Capello.

Ici, le prince entra dans des confidences intimes, à l’aidedesquelles il comptait séduire son ami.

– Sachez, lui dit-il, que, si je revois cette fille si douce quej’ai faite abbesse de Sainte Riparata, je ne puis plus répondre demoi.

– Et où serait le mal ? lui dit le comte. Si vous trouvezdu bonheur à avoir une maîtresse, pourquoi n’en prendriez-vous pasune ? Si je n’en ai pas près de moi, c’est que toute femmem’ennuie par son commérage et les petitesses de son caractère, aubout de trois jours de connaissance.

– Moi, lui dit le grand-duc, je suis cardinal. Le pape, il estvrai, m’a donné la permission de résigner le chapeau et de memarier, en considération de la couronne qui m’est survenue ;mais je n’ai point envie de brûler en enfer et, si je me marie, jeprendrai une femme que je n’aimerai point et à laquelle jedemanderai des successeurs pour ma couronne et non point lesdouceurs vulgaires du mariage.

– C’est à quoi je n’ai rien à dire, répondit le comte, moi quine crois point que le Dieu tout-puissant abaisse ses regards juqu’àces misères. Rendez vos sujets heureux et honnêtes gens, si vous lepouvez, et du reste ayez trente-six maîtresses.

– Je n’en veux pas même avoir une, répliqua le prince en rien,et c’est à quoi je suis fort exposé, si je revoyais l’abbesse deSainte Riparata. C’est bien la meilleure fille du monde et la moinscapable de gouverner, je ne dis pas un couvent rempli de jeunesfilles enlevées au monde malgré elles, mais bien la réunion la plussage de femmes vieilles et dévotes.

Le prince avait une crainte si profonde de revoir la sœurVirgilia que le comte en fut touché. « S’il manque à l’espèce devœu qu’il a fait en recevant du pape la permission de se marier, sedit-il en pensant au prince, il est capable d’avoir le cœur troublépour le reste de sa vie », et le lendemain, il alla au couvent deSainte Riparata, où il fut reçu avec toute la curiosité et tous leshonneurs dus au représentant du prince. Ferdinand Ier avait envoyéun de ses ministres déclarer à l’abbesse et aux religieuses que lesaffaires de son état ne lui permettaient pas de s’occuper de leurcouvent et qu’il remettait à tout jamais son autorité au comteBuondelmonte, dont les décisions seraient sans appel.

Après avoir entretenu la bonne abbesse, le comte fut scandalisédu mauvais goût du prince : elle n’avait pas le sens commun etn’était rien moins que jolie. Le comte trouva fort méchantes lesreligieuses qui voulaient empêcher Félize degli Almieri de prendredeux nouvelles femmes de chambre. Il avait fait appeler Félize auparloir. Elle fit répondre avec impertinence qu’elle n’avait pas letemps de venir, ce qui amusa le comte, jusque-là assez ennuyé de samission et se repentant de sa complaisance pour le prince.

Il dit qu’il aimait autant parler aux femmes de chambre qu’àFélize elle-même, et fit dire aux cinq femmes de chambre deparaître au parloir. Trois seulement se présentèrent et déclarèrentau nom de leur maîtresse qu’elle ne pouvait se passer de laprésence de deux d’entre elles, sur quoi le comte, usant de sesdroits comme représentant du prince, fit entrer deux de ses gens aucouvent, qui lui amenèrent les deux femmes de chambrerécalcitrantes, et il s’amusa une heure durant au bavardage de cescinq filles jeunes et jolies et qui la plupart du temps parlaienttoutes à la fois. Ce fut alors seulement que, par ce qu’elles luirévélaient à leur insu, le vicaire du prince comprit à peu près cequi se passait dans ce couvent. Cinq ou six religieuses seulementétaient âgées ; une vingtaine, quoique jeunes, étaientdévotes, mais les autres, jeunes et jolies, avaient des amants enville. A la vérité, elles ne pouvaient les voir que fort rarement.Mais comment les voyaient-elles ? C’est ce que le comte nevoulut pas demander aux femmes de chambre de Félize, et qu’il sepromit de savoir bientôt en plaçant des observateurs autour ducouvent.

Il apprit à son grand étonnement qu’il y avait des amitiésintimes parmi les religieuses, et que c’était là surtout la causedes haines et des dissensions intérieures. Par exemple, Félizeavait pour amie intime Rodelinde de P… ; Céliane, la plusbelle personne du couvent après Félize, avait pour amie la jeuneFabienne. Chacune de ces dames avait sa camériste noble qu’elleadmettait à plus ou moins de faveur. Par exemple, Martona, lacamériste noble de madame l’abbesse, avait conquis sa faveur en semontrant plus dévote qu’elle. Elle priait à genoux à côté del’abbesse cinq ou six heures de chaque journée, mais ce temps luisemblait fort long, au dire des femmes de chambre.

Le comte apprit encore que Rodéric et Lancelot étaient les nomsde deux amants de ces dames, apparemment de Félize et de Rodelinde,mais il ne voulut pas faire de question directe à ce sujet.

L’heure qu’il passa avec les femmes de chambre ne lui semblapoint longue, mais elle parut éternelle à Félize, qui voyait sadignité outragée par l’action de ce vicaire du prince qui laprivait à la fois du service de ses cinq femmes de chambre. Ellen’y put tenir, et entendant de loin qu’on faisait beaucoup de bruitdans le parloir, elle y fit irruption, quoique sa dignité lui ditque cette façon d’y paraître, mue évidemment par un transportd’impatience, pouvait être ridicule après avoir refusé de se rendreà l’invitation officielle de l’envoyé du prince. « Mais je sauraibien rabattre le caquet de ce petit monsieur », se dit Félize, laplus impérieuse des femmes. Elle fit donc irruption dans leparloir, en saluant fort légèrement l’envoyé du prince et ordonnantà une de ses femmes de chambre de la suivre.

– Madame, si cette fille vous obéit, je vais faire rentrer mesgens dans le couvent et ils la ramèneront à l’instant devantmoi.

– Je la prendrai par la main ; vos gens oseront-ils luifaire violence ?

– Mes gens amèneront dans ce parloir elle et vous, madame.

– Et moi ?

– Et vous-même ; et si cela me convient, je vais vous faireenlever de ce couvent, et vous irez continuer à travailler à votresalut dans quelque petit couvent bien pauvre, situé au sommet dequelque montagne de l’Apennin. Je puis faire cela et bien d’autreschoses.

Le comte remarqua que les cinq femmes de chambrepâlissaient ; les joues de Félize elle-même prirent une teintede pâleur qui la rendit plus belle.

« Voici certainement, se dit le comte, la plus belle personneque j’aie rencontrée de ma vie, il faut faire durer la scène. »

Elle dura en effet et près de trois quarts d’heure. Félize ymontra son esprit et surtout une hauteur de caractère qui amusèrentbeaucoup le vicaire du prince. A la fin de la conférence, le ton dudialogue s’étant beaucoup radouci, il sembla au comte que Félizeétait moins jolie.

« Il faut lui rendre sa fureur », pensa-t-il. Il lui rappelaqu’elle avait fait vœu d’obéissance et que, si à l’avenir ellemontrait l’ombre de résistance aux ordres du prince qu’il étaitchargé d’apporter au couvent, il croirait utile à son salut del’envoyer passer six mois dans le plus ennuyeux des couvents del’Apennin.

A ce mot, Félize fut superbe de colère. Elle lui dit que lessaints martyrs avaient souffert davantage de la barbarie desempereurs romains.

– Je ne suis point un empereur, madame, de même que les martyrsne mettaient point toute la société en combustion pour avoir deuxfemmes de chambre de plus, en en ayant déjà cinq, aussi aimablesque ces demoiselles.

Il la salua très froidement et sortit, sans lui laisser le tempsde répondre et la laissant furieuse.

Le comte resta à Florence et ne retourna point dans ses terres,curieux de savoir ce qui se passait réellement au couvent de SainteRiparata. Quelques observateurs que lui fournit la police dugrand-duc, et que l’on plaça auprès du couvent et autour desimmenses jardins qu’il possédait près de la porte qui conduit àFiesole, lui eurent bientôt fait connaître tout ce qu’il désiraitsavoir. Rodéric L…, l’un des jeunes gens les plus riches et lesplus dissipés de la ville, était l’amant de Félize et la douceRodelinde, son amie intime, faisait l’amour avec Lancelot P…, jeunehomme qui s’était fort distingué dans les guerres que Florenceavait soutenues contre Pise. Ces jeunes gens avaient à surmonter degrandes difficultés, pour pénétrer dans le couvent. La sévéritéavait redoublé, ou plutôt l’ancienne licence avait été tout à faitsupprimée depuis l’avènement au trône du grand-duc Ferdinand.L’abbesse Virgilia voulut faire suivre la règle dans toute sasévérité, mais ses lumières et son caractère ne répondaient point àses bonnes intentions, et les observateurs mis à la disposition ducomte lui apprirent qu’il ne se passait guère de mois sans queRodéric, Lancelot et deux ou trois autres jeunes gens, qui avaientdes relations dans le couvent, ne parvinssent à voir leursmaîtresses. Les immenses jardins du couvent avaient obligé l’évêqueà tolérer l’existence de deux portes qui donnaient dans l’espacevague qui existe derrière le rempart, au nord de la ville. Lesreligieuses fidèles à leur devoir, et qui étaient en grandemajorité dans le couvent, ne connaissaient point ces détails avecautant de certitude que le comte, mais elles les soupçonnaient etpartaient de l’existence de cet abus pour ne point obéir aux ordresde l’abbesse en ce qui les concernait.

Le comte comprit facilement qu’il ne serait point aisé derétablir l’ordre dans ce couvent, tant qu’une femme aussi faibleque l’abbesse serait à la tête du gouvernement. Il parla dans cesens au grand-duc, qui l’engagea à user de la plus extrêmesévérité, et qui en même temps ne parut point disposé à donner àson ancienne amie le chagrin d’être transférée dans un autrecouvent, pour cause d’incapacité.

Le comte revint à Sainte Riparata, fort résolu d’user d’uneextrême rigueur afin de se débarrasser au plus vite de la corvéedont il avait eu l’imprudence de se charger. Félize, de son côté,encore bien irritée de la façon dont le comte lui avait parlé,était bien résolue à profiter de la première entrevue pourreprendre le ton qu’il convenait à la haute noblesse de sa famille,et à la position qu’elle occupait dans le monde. A son arrivée aucouvent, le comte fit appeler sur-le-champ Félize, afin de sedélivrer d’abord de ce que la corvée avait de plus pénible. Félize,de son côté, vint au parloir déjà animée par la plus vive colère,mais le comte la trouva fort belle, il était fin connaisseur en cegenre. « Avant de déranger cette physionomie superbe, se dit-il,donnons-nous le temps de bien la voir. » Félize de son côté admirale ton raisonnable et froid de ce bel homme, qui, dans le costumecomplètement noir qu’il avait cru devoir adopter à cause desfonctions qu’il venait exercer au couvent, était vraiment fortremarquable. « Je pensais, se disait Félize, que parce qu’il a plusde trente-cinq ans, ce serait un vieillard ridicule comme nosconfesseurs, et je trouve au contraire un homme vraiment digne dece nom. Il ne porte point, à la vérité, le costume exagéré qui faitune grande partie du mérite de Rodéric et des autres jeunes gensque j’ai connus ; il leur est fort inférieur, pour la qualitéde velours et de broderies d’or qu’il porte dans ses vêtements,mais en un instant, s’il le voulait, il peut se donner ce genre demérite, tandis que les autres, je pense, auraient bien de la peineà imiter la conversation sage, raisonnable et réellementintéressante du comte Buondelmonte. » Félize ne se rendait pascomplètement compte de ce qui donnait une physionomie si singulièreà ce grand homme vêtu de velours noir, avec lequel depuis une heureelle parlait de beaucoup de sujets divers.

Quoiqu’évitant avec beaucoup de soin tout ce qui aurait pul’irriter, le comte était bien loin de lui céder en toutes choses,ainsi que l’avaient toujours fait tour à tour les hommes quiavaient eu des relations avec cette fille si belle, d’un caractèresi impérieux et à laquelle on connaissait des amants. Comme lecomte n’avait aucune prétention, il était simple et naturel avecelle ; seulement il avait évité de traiter en détail,jusque-là, les sujets qui pouvaient la mettre en colère. Il fallutpourtant bien en venir aux prétentions de la fièrereligieuse ; on avait parlé des désordres du couvent.

– Au fait, madame, ce qui trouble tout ici, c’est la prétention,peut-être justifiable jusqu’à un certain point, d’avoir deux femmesde chambre de plus que les autres, que met en avant l’une despersonnes les plus remarquables de ce couvent.

– Ce qui trouble tout ici, c’est la faiblesse de caractère del’abbesse, qui veut nous traiter avec une sévérité absolumentnouvelle, et dont jamais on n’eut idée. Il peut y avoir descouvents remplis de filles réellement pieuses, qui aiment laretraite et qui aient songé à accomplir réellement les vœux depauvreté, d’obéissance, etc., etc., qu’on leur a fait faire àdix-sept ans ; quant à nous, nos familles nous ont placéesici, pour laisser toutes les richesses de la maison à nos frères.Nous n’avions d’autre vocation que l’impossibilité de nous enfuiret de vivre ailleurs qu’au couvent, puisque nos pères ne voulaientplus nous recevoir dans leurs palais. D’ailleurs, quand nous avonsfait ces vœux si évidemment nuls aux yeux de la raison, nous avionstoutes été pensionnaires une ou plusieurs années dans le couvent,chacune de nous pensait devoir jouir du même degré de liberté quenous voyions prendre aux religieuses de notre temps. Or, je vous ledéclare, monsieur le vicaire du prince, la porte du rempart étaitouverte jusqu’à la pointe du jour et chacune de ces dames voyaitses amis en toute liberté dans le jardin. Personne ne songeait àblâmer ce genre que nous pensions toutes jouir, étant religieuses,d’autant de liberté et d’une vie aussi heureuse que celles de nossœurs que l’avarice de nos parents leur avait permis de marier.Tout a changé, il est vrai, depuis que nous avons un prince qui aété cardinal vingt-cinq ans de sa vie. Vous pouvez, monsieur levicaire, faire entrer dans ce couvent des soldats et même de desdomestiques, comme vous l’avez fait l’autre jour. Ils nousviolenteront, comme vos domestiques ont violenté mes femmes, etcela par la grande et unique raison qu’ils étaient plus fortsqu’elles. Mais votre orgueil ne doit pas croire avoir le moindredroit sur nous. Nous avons été amenées par force dans ce couvent,on nous a fait jurer et faire des vœux par force à l’âge de seizeans, et enfin le genre de vie ennuyeux auquel vous prétendez noussoumettre, n’est point du tout celui que nous avons vu pratiquerpar les religieuses qui occupaient ce couvent lorsque nous avonsfait nos vœux, et, même à supposer ces vœux légitimes, nous avonspromis tout au plus de vivre comme elles et vous voulez nous fairevivre comme elles n’ont jamais vécu. Je vous avouerai, monsieur levicaire, que je tiens à l’estime de mes concitoyens. Du temps de larépublique on n’eût point souffert de cette oppression infâme,exercée sur de pauvres filles qui n’ont eu d’autre tort que denaître dans des familles opulentes et d’avoir des frères. Jevoulais trouver l’occasion de dire ces choses en public ou à unhomme raisonnable. Quant au nombre de mes femmes, j’y tiens fortpeu. Deux et non pas cinq ou sept me suffiraient fort bien ;je pourrais persister à en demander sept, jusqu’à ce qu’on se fûtdonné la peine de réfuter les indignes friponneries dont noussommes victimes, et dont je vous ai exposé quelques-unes ;mais parce que votre habit de velours noir vous va fort bien,monsieur le vicaire du prince, je vous déclare que je renonce pourcette année au droit d’avoir autant de domestiques que je pourraisen payer.

Le comte Buondelmonte avait été fort amusé par cette levée deboucliers ; il la fit durer en faisant quelques objections lesplus ridicules qu’il pût imaginer. Félize y répondait avec un feuet un esprit charmants. Le comte voyait dans ses yeux toutl’étonnement qu’avait cette jeune fille de vingt ans en voyant detelles absurdités dans la bouche d’un homme raisonnable enapparence.

Le comte prit congé de Félize, fit appeler l’abbesse, à laquelleil donna de sages avis, annonça au prince que les troubles ducouvent de Sainte Riparata étaient apaisés, reçut force complimentspour sa sagesse profonde et enfin retourna à la culture de sesterres. « Il y a pourtant, se disait-il quelquefois, une fille devingt ans et qui passerait peut-être pour la plus belle personne dela ville, si elle vivait dans le monde, et qui ne raisonne pas toutà fait comme une poupée. »

Mais de grands événements eurent lieu dans le couvent. Toutesles religieuses ne raisonnaient pas aussi nettement que Félize,mais la plupart de celles qui étaient jeunes s’ennuyaientmortellement. Leur unique consolation était de dessiner descaricatures et de faire des sonnets satiriques sur un prince qui,après avoir été vingt-cinq ans cardinal, ne trouvait rien de mieuxà faire, en arrivant au trône, que de ne plus voir sa maîtresse etde la charger, en qualité d’abbesse, de vexer de pauvres jeunesfilles jetées dans ce couvent par l’avarice de leurs parents.

Comme nous l’avons dit, la douce Rodelinde était l’amie intimede Félize. Leur amitié sembla redoubler depuis que Félize lui eutavoué que, depuis ses conversations avec le comte Buondelmonte, cethomme âgé qui avait plus de trente-six ans, son amant Rodéric luisemblait un être assez ennuyeux. Pour le dire en un mot, Félizeavait pris de l’amour pour ce comte si grave ; lesconversations infinies qu’elle avait à ce sujet avec son amieRodelinde, se prolongeaient quelquefois jusqu’à deux ou troisheures du matin. Or, suivant la règle de saint Benoît, quel’abbesse prétendait rétablir dans toute sa rigidité, chacune desreligieuses devait être rentrée dans son appartement une heureaprès le coucher du soleil, au son d’une certaine cloche qu’onappelait la retraite. La bonne abbesse, croyant devoir donnerl’exemple, ne manquait pas de s’enfermer chez elle au son de lacloche et croyait pieusement que toutes les religieuses suivaientson exemple. Parmi les plus jolies et les plus riches de ces dames,on remarquait Fabienne, âgée de dix-neuf ans, la plus étourdiepeut-être du couvent, et Céliane, son amie intime. L’une et l’autreétaient fort en colère contre Félize qui, disaient-elles, lesméprisait. Le fait est que, depuis que Félize avait un sujet deconversation aussi intéressant avec Rodelinde, elle supportait avecune impatience mal déguisée, ou plutôt nullement déguisée du tout,la présence des autres religieuses. Elle était la plus jolie, elleétait la plus riche, elle avait évidemment plus d’esprit que lesautres. Il n’en fallut pas tant, dans un couvent où l’ons’ennuyait, pour allumer une grande haine. Fabienne, dans sonétourderie, alla dire à l’abbesse que Félize et Rodelinde restaientquelquefois au jardin jusqu’à deux heures après minuit. L’abbesseavait obtenu du comte qu’un soldat du prince serait placé ensentinelle devant la porte du jardin du couvent, qui donnait surl’espace vague derrière le rempart du nord. Elle avait fait placerd’énormes serrures à cette porte, et tous les soirs, en terminantsa journée, le plus jeune des jardiniers, qui était un vieillard desoixante ans, apportait à l’abbesse la clé de cette porte.L’abbesse envoyait aussitôt une vieille tourière détestée desreligieuses fermer la seconde serrure de la porte. Malgré toutesces précautions, rester au jardin jusqu’à deux heures du matinparut un grand crime à ses yeux. Elle fit appeler Félize, et traitacette fille si noble et devenue maintenant l’héritière de safamille avec un ton de hauteur qu’elle ne se fût peut-être paspermis si elle n’eût été sûre de la faveur du prince. Félize futd’autant plus piquée de l’amertume de ses reproches, que, depuisqu’elle avait connu le comte, elle n’avait fait venir son amantRodéric qu’une seule fois, et encore pour se moquer de lui. Dansson indignation, elle fut éloquente, et la bonne abbesse, tout enlui refusant de lui nommer sa dénonciatrice, donna des détails, aumoyen desquels il fut facile à Félize de deviner qu’elle devaitcette contrariété à Fabienne.

Aussitôt Félize résolut de se venger. Cette résolution rendittout son calme à cette âme à laquelle le malheur avait donné de laforce.

– Savez-vous, madame, dit-elle à l’abbesse, que je suis digne dequelque pitié ? J’ai perdu entièrement la paix de l’âme. Cen’est pas sans une profonde sagesse que le grand saint Benoît,notre fondateur, a prescrit qu’aucun homme au-dessous de soixanteans ne pût jamais être admis dans nos couvents. M. le comteBuondelmonte, vicaire du grand-duc pour l’administration de cecouvent, a dû avoir avec moi de longs entretiens pour me dissuaderde la folle idée que j’avais eue d’augmenter le nombre de mesfemmes. Il a de la sagesse, il joint à une prudence infinie unesprit admirable. J’ai été frappée, plus qu’il ne convenait à uneservante de Dieu et de saint Benoît, de ces grandes qualités ducomte, notre vicaire. Le ciel a voulu punir ma folle vanité : jesuis éperdument amoureuse du comte ; au risque de scandalisermon amie Rodelinde, je lui ai fait l’aveu de cette passion aussicriminelle qu’elle est involontaire ; et c’est parce qu’elleme donne des conseils et des consolations, parce que quelquefoismême elle réussit à me donner des forces contre la tentation dumalin esprit, que quelquefois elle est restée fort tard auprès demoi. Mais toujours, ce fut à ma prière ; je sentais tropqu’aussitôt que Rodelinde m’aurait quittée, j’allais penser aucomte.

L’abbesse ne manqua pas d’adresser une longue exhortation à labrebis égarée. Félize eut soin de faire des réflexions quiallongèrent encore le sermon.

« Maintenant, pensa-t-elle, les événements qu’amènera notrevengeance, à Rodelinde et à moi, ramèneront l’aimable comte aucouvent. Je réparerai ainsi la faute que j’ai faite en cédant tropvite sur l’article des filles que je voulais prendre à mon service.Je fus séduite à mon insu par la tentation de paraître raisonnableà un homme tellement raisonnable lui-même. Je ne vis pas que je luiôtais toute occasion de revenir exercer sa charge de vicaire dansnotre couvent. De là vient que je m’ennuie tant maintenant. Cettepetite poupée de Rodéric, qui m’amusait quelquefois, me sembletout-à-fait ridicule, et, par ma faute, je n’ai plus revu cetaimable comte. C’est à nous désormais, à Rodelinde et à moi, àfaire en sorte que notre vengeance amène des désordres tels que saprésence soit souvent nécessaire au couvent. Notre pauvre abbesseest si peu capable de secret, qu’il est fort possible qu’ellel’engage à diminuer autant que possible les entretiens que jechercherai à avoir avec lui, auquel cas, je n’en doute pas, fairema déclaration à cet homme si singulier et si froid. Ce sera unescène comique qui peut-être l’amusera, car ou je me trompe fort, ouil n’est pas autrement dupe de toutes les sottises qu’on nousprêche pour nous asservir : seulement il n’a pas encore trouvé defemme digne de lui et je serai cette femme ou j’y perdrai la vie.»

Dès lors, l’ennui de Félize et de Rodelinde fut chassé par ledessein de se venger qui occupa tous leurs moments.

« Puisque Fabienne et Céliane ont entrepris méchamment deprendre le frais au jardin par les grandes chaleurs qu’il fait, ilfaut que le premier rendez-vous qu’elles accorderont à leurs amantsfasse un scandale effroyable, et tel qu’il puisse effacer dansl’esprit des dames graves du couvent celui qu’a pu produire ladécouverte de mes promenades tardives dans le jardin. Le soir dupremier rendez-vous accordé par Fabienne et Céliane à Lorenzo et àPierre-Antoine, Rodéric et Lancelot se placeront d’avance derrièreles pierres de taille qui sont déposées dans cette sorte de placequi se trouve devant la porte de notre jardin. Rodéric et Lancelotne devront pas tuer les amants de ces dames, mais leur donner cinqou six petits coups de leurs épées, de manière qu’ils soient toutcouverts de sang. Leur vue dans cet état alarmera leurs maîtresseset ces dames songeront à tout autre chose qu’à leur dire des chosesaimables. »

Ce que les deux amies trouvèrent de mieux, pour organiser leguet-apens qu’elles méditaient, fut de faire demander à l’abbesseun congé d’un mois par Livia, la camériste noble de Rodelinde.Cette fille fort adroite était chargée de lettres pour Rodéric etLancelot. Elle leur portait aussi une somme d’argent, avec laquelleils environnèrent d’espions Lorenzo B. et Pierre-Antoine D.,l’amant de Céliane. Ces deux jeunes gens des plus nobles et desplus à la mode de la ville entraient la même nuit au couvent. Cetteentreprise était devenue beaucoup plus difficile depuis le règne ducardinal grand-duc. En dernier lieu l’abbesse Virgilia avait obtenudu comte Buondelmonte qu’une sentinelle serait placée devant laporte de service du jardin laquelle donnait sur un espace désertderrière le rempart du nord.

Livia, la camériste noble, venait tous les jours rendre compte àFélize et à Rodelinde des préparatifs de l’attaque méditée contreles amants de Céliane et de Fabienne. Les préparatifs ne durèrentpas moins de six semaines. Il s’agissait de deviner la nuit queLorenzo et Pierre-Antoine choisiraient pour venir au couvent, et,depuis le nouveau règne, qui s’annonçait avec beaucoup de sévérité,la prudence redoublait pour des entreprises de ce genre.D’ailleurs, Livia trouvait de grandes difficultés auprès deRodéric. Il s’était fort bien aperçu de la tiédeur de Félize, etfinit par refuser nettement de s’employer à la venger sur lesamours de Fabienne et de Céliane, si elle ne consentait pas à luidonner l’ordre de vive voix dans un rendez-vous qu’elle luiaccorderait. Or, c’est à quoi Félize, tout occupée du comteBuondelmonte, ne voulut jamais consentir.

« Je conçois bien, lui écrivit-elle avec sa franchiseimprudente, qu’on se damne pour avoir du bonheur ; mais sedamner pour voir un ancien amant dont le règne est passé, c’est ceque je ne concevrai jamais. Toutefois, je pourrais bien consentir àvous recevoir encore une fois la nuit, pour vous faire entendreraison, mais ce n’est point un crime que je vous demande. Ainsi,vous ne pouvez point avoir de prétentions exagérées et demander àêtre payé comme si l’on exigeait de vous de donner la mort à uninsolent. Ne commettez point l’erreur de faire aux amants de nosennemies des blessures assez graves pour les empêcher d’entrer aujardin et de se donner en spectacle à toutes celles de nos damesque nous aurons le soin d’y rassembler. Vous feriez manquer tout lepiquant de notre vengeance, je ne verrai en vous qu’un étourdiindigne de m’inspirer la moindre confiance. Or, sachez que c’estsurtout à cause de ce défaut capital que vous avez cessé de méritermon amitié. »

Cette nuit de vengeance préparée avec tant de soin arriva enfin.Rodéric et Lancelot, aidés de plusieurs hommes à eux, épièrentpendant toute la journée les actions de Lorenzo et dePierre-Antoine. Par des indiscrétions de ceux-ci, ils obtinrent lacertitude que la nuit suivante ils devaient tenter l’escalade dumur de Sainte Riparata. Un marchand fort riche, dont la maisonétait voisine du corps de garde qui fournissait la sentinelleplacée devant la porte du jardin des religieuses, mariait sa fillece soir-là. Lorenzo et Pierre-Antoine, déguisés en domestiques deriche maison, profitèrent de cette circonstance pour venir offriren son nom, vers les dix heures du soir, un tonneau de vin au corpsde garde. Les soldats firent honneur au cadeau. La nuit était fortobscure, l’escalade du mur du couvent devait avoir lieu sur leminuit ; dès onze heures du soir, Rodéric et Lancelot cachésprès du mur, eurent le plaisir de voir la sentinelle de l’heureprécédente relevée par un soldat plus qu’à demi ivre, et qui nemanqua pas de s’endormir au bout de quelques minutes.

Dans l’intérieur du couvent, Félize et Rodelinde avaient vuleurs ennemies Fabienne et Céliane se cacher dans le jardin sousdes arbres assez voisins du mur de clôture. Un peu avant minuit,Félize osa bien aller réveiller l’abbesse. Elle n’eut pas peu depeine à parvenir jusqu’à elle ; elle en eut encore plus à luifaire comprendre la possibilité du crime qu’elle venait luidénoncer. Et enfin, après plus d’une demi-heure de temps perdu, etpendant les dernières minutes de laquelle Félize tremblait depasser pour une calomniatrice, l’abbesse déclara que le fait fût-ilvrai, il ne fallait pas ajouter une infraction à la règle de saintBenoît à un crime. Or, la règle défendait absolument de mettre lepied au jardin après le coucher du soleil. Par bonheur, Félize sesouvint qu’on pouvait arriver par l’intérieur du couvent, et sansmettre le pied au jardin, jusque sur le toit en terrasse d’unepetite orangerie fort basse et toute voisine de la porte gardée parla sentinelle. Pendant que Félize était occupée à persuaderl’abbesse, Rodelinde alla réveiller sa tante, âgée, fort pieuse, etsous-prieure du couvent.

L’abbesse, quoique se faisant entraîner jusque sur la terrassede l’orangerie, était bien éloignée de croire à tout ce que luidisait Félize. On ne saurait se figurer quel fut son étonnement, saindignation, sa stupeur, quand, à neuf ou dix pieds au-dessous dela terrasse, elle aperçut deux religieuses qui à cette heure induese trouvaient hors de leurs appartements, car la nuit profondémentobscure ne lui permit point d’abord de reconnaître Fabienne etCéliane.

– Filles impies, s’écria-t-elle d’une voix qu’elle voulaitrendre imposante, imprudentes malheureuses ! Est-ce ainsi quevous servez la majesté divine ? Songez que le grand saintBenoît, votre protecteur, vous regarde du haut du ciel et frémit envous voyant sacrilèges à sa loi. Rentrez en vous-mêmes, et comme lacloche de la retraite a sonné depuis longtemps, regagnez vosappartements en toute hâte et mettez-vous en prière, en attendantla pénitence que je vous imposerai demain matin.

Qui pourrait peindre la stupeur et le chagrin qui remplirentl’âme de Céliane et de Fabienne, en entendant au-dessus de leurstêtes et si près d’elles la voix puissante de l’abbesseirritée ? Elles cessèrent de parler et se tenaient immobileslorsqu’une bien autre surprise vint les frapper ainsi quel’abbesse. Ces dames entendirent à huit ou dix pas d’elles à peineet de l’autre côté de la porte, le bruit violent d’un combat àcoups d’épée. Bientôt les combattants blessés jetèrent descris ; quelques-uns étaient de douleur. Quelle ne fut pas ladouleur de Céliane et de Fabienne en reconnaissant la voix deLorenzo et de Pierre-Antoine ! Elles avaient de fausses clésde la porte du jardin, elles se précipitèrent sur les serrures, etquoique la porte fût énorme, elles eurent la force de la fairetourner sur ses gonds. Céliane, qui était la plus forte et la plusâgée, osa la première sortir du jardin. Elle rentra quelquesinstants après, soutenant dans ses bras Lorenzo, son amant, quiparaissait dangereusement blessé et qui pouvait à peine sesoutenir. Il gémissait à chaque pas comme un homme expirant, et eneffet, à peine eut-il fait une dizaine de pas dans le jardin, que,malgré les efforts de Céliane, il tomba et expira presque aussitôt.Céliane, oubliant toute prudence, l’appelait à haute voix etéclatait en sanglots sur son corps, en voyant qu’il ne répondaitpoint.

Tout cela se passa à vingt pas environ du toit en terrasse de lapetite orangerie, Félize comprit fort bien que Lorenzo était mortou mourant, et il serait difficile de peindre son désespoir.

« C’est moi qui suis la cause de tout cela, se disait-elle.Rodéric se sera laissé emporter et il aura tué Lorenzo. Il estnaturellement cruel, sa vanité ne pardonne jamais les blessuresqu’on lui a faites, et dans plusieurs mascarades les chevaux deLorenzo et les livrées de ses gens ont été trouvés plus beaux queles siennes. »

Félize soutenait l’abbesse à demi évanouie d’horreur.

Quelques instants après, la malheureuse Fabienne entrait aujardin, soutenant son malheureux amant Pierre-Antoine, lui aussipercé de coups mortels. Lui aussi ne tarda pas à expirer, mais, aumilieu du silence général inspiré par cette scène d’horreur, onl’entendit qui disait à Fabienne : – C’est Don César, le chevalierde Malte. Je l’ai bien reconnu, mais s’il m’a blessé, lui aussiporte mes marques.

Don César avait été le prédécesseur de Pierre-Antoine auprès deFabienne. Cette jeune religieuse semblait avoir perdu tout soin desa réputation ; elle appelait à haute voix à son secours laMadone et sa sainte Patronne, elle appelait aussi sa caméristenoble, elle n’avait aucun souci de réveiller tout le couvent ;c’est elle qui était réellement éprise de Pierre-Antoine. Ellevoulait lui donner des soins, étancher son sang, bander ses plaies.Cette véritable passion excita la pitié de beaucoup de religieuses.On s’approcha du blessé, on alla chercher des lumières, il étaitassis auprès d’un laurier contre lequel il s’appuyait. Fabienneétait à genoux devant lui, lui donnant des soins. Il parlait bienet racontait de nouveau que c’était Don César, chevalier de Malte,qui l’avait blessé, lorsque tout à coup il raidit les bras etexpira.

Céliane interrompit les transports de Fabienne. Une foiscertaine de la mort de Lorenzo, elle sembla l’avoir oublié et nesouvint plus que du péril qui les environnait, elle et sa chèreFabienne. Celle-ci était tombée évanouie sur le corps de son amant.Céliane la releva à demi et la secoua vivement, pour la rappeler àelle.

– Ta mort et la mienne sont certaines, si tu te livres à cettefaiblesse, lui dit-elle à voix basse, en pressant sa bouche contreson oreille, afin de n’être point entendue de l’abbesse, qu’elledistinguait fort bien appuyée contre la balustrade de la terrassede l’orangerie, à douze ou quinze pieds à peine au-dessus du sol dujardin. Réveille-toi, lui dit-elle, prends soin de ta gloire et deta sûreté ! Tu seras de longues années en prison dans uncachot obscur et infect, si dans ce moment tu t’abandonnes pluslongtemps à la douleur.

Dans ce moment l’abbesse qui avait voulu descendre, s’approchaitdes deux malheureuses religieuses, appuyée sur le bras deFélize.

– Pour vous, madame, lui dit Céliane avec un ton d’orgueil et defermeté, qui en imposa à l’abbesse, si vous aimez la paix et sil’honneur du noble monastère vous est cher, vous saurez vous taireet ne point faire de tout ceci une tracasserie auprès du grand-duc.Vous aussi, vous avez aimé, on croit généralement que vous avez étésage, et c’est une supériorité que vous avez sur nous ; maissi vous dites un mot de cette affaire au grand-duc, bientôt ellesera l’unique entretien de la ville et l’on dira que l’abbesse deSainte Riparata, qui a connu l’amour dans les premières années desa vie, n’a pas assez de fermeté pour diriger les religieuses deson couvent. Vous nous perdrez, madame, mais vous vous perdrezvous-même encore plus certainement que nous. Convenez, madame,dit-elle à l’abbesse qui poussait des soupirs et des exclamationsconfuses et de petits cris d’étonnement qui pouvaient êtreentendus, que vous ne voyez pas vous-même en ce moment ce qu’il y aà faire pour le salut du couvent et le vôtre !

Et l’abbesse restant confuse et silencieuse, Céliane ajouta:

– Il faut vous taire d’abord, et ensuite l’essentiel estd’emporter loin d’ici et à l’instant même ces deux morts qui ferontnotre perte, à vous et à nous, s’ils sont découverts.

La pauvre abbesse, soupirant profondément, était tellementtroublée qu’elle ne savait pas même répondre. Elle n’avait plusFélize auprès d’elle ; celle-ci s’était éloignée prudemment,après l’avoir conduite jusqu’auprès des deux malheureusesreligieuses dont elle craignait par-dessus tout d’êtrereconnue.

– Mes filles, faites tout ce qui vous semble nécessaire, tout cequi vous paraîtra convenable, dit enfin la malheureuse abbessed’une voix éteinte par l’horreur de la situation où elle setrouvait. Je saurai dissimuler toutes nos hontes, maisrappelez-vous que les yeux de la divine justice sont toujoursouverts sur nos pêchés.

Céliane ne fit aucune attention aux paroles de l’abbesse.

– Sachez garder le silence, madame, c’est là tout ce que l’onvous demande, lui répéta-t-elle plusieurs fois enl’interrompant.

S’adressant ensuite à Martona, la confidente de l’abbesse, quivenait d’arriver près d’elle :

– Aidez-moi, ma chère amie ! Il y va de l’honneur de toutle couvent, il y va de l’honneur et de la vie de l’abbesse ;car si elle parle, elle ne nous perd pas à demi, mais aussi nosnobles familles ne nous laisseront pas périr sans vengeance.

Fabienne sanglotant à genoux devant un olivier, contre lequelelle s’appuyait, était hors d’état d’aider Céliane et Martona.

– Retire-toi dans ton appartement, lui dit Céliane. Songe avanttoute chose à faire disparaître les traces de sang qui peuvent setrouver sur tes vêtements. Dans une heure j’irai pleurer avectoi.

Alors, aidée de Martona, Céliane transporta le cadavre de sonamant d’abord, puis celui de Pierre-Antoine dans la rue desmarchands d’or, située à plus de dix minutes de chemin de la portedu jardin. Céliane et sa compagne furent assez heureuses pourn’être reconnues de personne. Par un bonheur bien autrement signaléet sans lequel leur sage précaution eût été rendue impossible, lesoldat qui était en sentinelle devant la porte du jardin s’étaitassis sur une pierre assez éloignée et semblait dormir. Ce fut cedont Céliane s’assura avant d’entreprendre de transporter lescadavres. Au retour de la seconde course, Céliane et sa compagnefurent très effrayées. La nuit était devenue un peu moinssombre ; il pouvait être deux heures du matin ; ellesvirent bien distinctement trois soldats réunis devant la porte dujardin, et ce qui était bien pire : cette porte semblaitfermée.

– Voilà la première sottise de notre abbesse, dit Céliane àMartona. Elle se sera souvenue que la règle de saint Benoît veutque la porte du jardin soit fermée. Il nous faudra nous enfuir cheznos parents, et avec le prince sévère et sombre que nous avons jepourrai bien laisser la vie dans cette affaire. Quant à toi,Martona, tu n’es coupable de rien ; d’après mon ordre, tu asaidé à transporter des cadavres dont la présence dans le jardinpouvait déshonorer le couvent. Mettons-nous à genoux derrière cespierres.

Deux soldats venaient à elles, retournant de la porte du jardinau corps de garde. Céliane remarqua avec plaisir qu’ilsparaissaient presque complètement ivres. Ils faisaient laconversation, mais celui qui avait été en sentinelle et qui étaitremarquable à cause de sa taille fort élevée, ne parlait point àson compagnon des événements de la nuit ; et dans le fait,lors du procès qui fut instruit plus tard, il dit simplement quedes gens armés et superbement vêtus étaient venus se battre àquelques pas de lui. Dans l’obscurité profonde il avait pudistinguer sept à huit hommes, mais s’était bien gardé de se mêlerde leur querelle ; ensuite tous étaient entrés dans le jardindu couvent.

Lorsque les deux soldats furent passés, Céliane et sa compagnes’approchèrent de la porte du jardin et trouvèrent à leur grandejoie qu’elle n’était que poussée. Cette sage précaution étaitl’œuvre de Félize. Lorsqu’elle avait quitté l’abbesse, afin den’être point reconnue de Céliane et de Fabienne, elle avait couru àla porte du jardin alors tout à fait ouverte. Elle avait une peurmortelle que Rodéric, qui, dans ce moment, lui faisait horreurn’eût cherché à profiter de l’occasion pour entrer au jardin etobtenir un rendez-vous. Connaissant son imprudence et son audace,et craignant qu’il ne cherchât à la compromettre pour se venger del’affaiblissement de ses sentiments dont il s’était aperçu, Félizese tint cachée auprès de la porte, derrière des arbres. Elle avaitentendu tout ce que Céliane avait dit à l’abbesse et ensuite àMartona, et c’était elle qui avait poussé la porte du jardin,lorsque peu d’instants après que Céliane et Martona furent sorties,emportant le cadavre, elle entendit venir les soldats qui venaientrelever la sentinelle.

Félize vit Céliane refermer la porte avec sa fausse clé ets’éloigner ensuite. Alors seulement elle quitta le jardin. « Voilàdonc cette vengeance, se disait-elle, dont je me promettais tant deplaisir. » Elle passa le reste de la nuit avec Rodelinde à chercherà deviner les événements qui avaient pu amener un résultat sitragique.

Par bonheur, dès le grand matin, sa camériste noble rentra aucouvent, lui apportant une longue lettre de Rodéric. Rodéric etLancelot, par bravoure, n’avaient point voulu se faire aider pardes assassins à gages alors fort communs à Florence. Eux deux seulsavaient attaqué Lorenzo et Pierre-Antoine. Le duel avait été fortlong, parce que Rodéric et Lancelot, fidèles à l’ordre qu’ilsavaient reçu, avaient reculé constamment, ne voulant faire à leursadversaires que des blessures légères ; et en effet, ils neleur avaient donné que des estocades sur les bras et ils étaientparfaitement sûrs qu’ils n’avaient pu mourir de ces blessures. Maisau moment où ils étaient sur le point de se retirer, ils avaientvu, à leur grand étonnement, un spadassin furieux fondre surPierre-Antoine. Aux cris qu’il poussait en l’attaquant, ils avaientfort bien reconnu Don César, le chevalier de Malte. Alors, sevoyant trois contre deux hommes blessés, ils s’étaient hâtés deprendre la fuite, et le lendemain c’était un grand étonnement dansFlorence, lorsqu’on vint à découvrir les cadavres de ces jeuneshommes qui tenaient le premier rang dans la jeunesse riche etélégante de la ville. Ce fut à cause de leur rang qu’on lesremarqua, car sous le règne dissolu de François, auquel le sévèreFerdinand venait de succéder, la Toscane avait été comme uneprovince d’Espagne, et l’on comptait chaque année plus de centassassinats dans la ville. La grande discussion qui s’éleva dans lahaute société, à laquelle Lorenzo et Pierre-Antoine appartenaient,eut pour objet de savoir s’ils s’étaient battus en duel entre euxou étaient morts victimes de quelque vengeance.

Le lendemain de ce grand événement, tout était tranquille dansle couvent. La très grande majorité des religieuses n’avait aucuneidée de ce qui s’était passé. Dès l’aube du jour, avant l’arrivéedes jardiniers, Martona était allée remuer la terre aux endroits oùelle était tâchée de sang, et détruire les traces de ce qui s’étaitpassé. Cette fille, qui avait elle-même un amant, exécuta avecbeaucoup d’intelligence et surtout sans rien dire à l’abbesse, lesordres que lui donna Céliane. Celle-ci lui fit cadeau d’une joliecroix en diamants. Martona, fille fort simple, en la remerciant luidit :

– Il est une chose que je préférerais à tous les diamants dumonde. Depuis que cette nouvelle abbesse est venue au couvent, etquoique pour conquérir sa faveur je me suis abaissée à lui rendredes soins tout à fait serviles, jamais je n’ai pu obtenir d’ellequ’elle me donnât les moindres facilités pour voir Julien R… quim’est attaché. Cette abbesse fera notre malheur à toutes. Enfin, ily a plus de quatre mois que je n’ai vu Julien, et il finira parm’oublier. L’amie intime de madame, la signora Fabienne, est aunombre des huit sœurs portières ; un service en mérite unautre. Madame Fabienne, ne pourrait-elle pas, un jour qu’elle serade garde à la porte, me permettre de sortir pour voir Julien, oului permettre d’entrer ?

– J’y ferai mon possible, lui dit Céliane, mais la grandedifficulté que m’opposera Fabienne, c’est que l’abbesse nes’aperçoive de votre absence. Vous l’avez trop accoutumée à vousavoir sans cesse sous la main. Essayez de faire de petitesabsences. Je suis sûre que si vous étiez attachée à toute autrequ’à madame l’abbesse, Fabienne n’aurait aucune difficulté de vousaccorder ce que vous demandez.

Ce n’était point sans dessein que Céliane parlait ainsi.

– Tu passes ta vie à pleurer ton amant, dit-elle à Fabienne, ettu ne songes pas à l’effroyable danger qui nous menace. Notreabbesse est si incapable de se taire que tôt ou tard ce qui estarrivé parviendra à la connaissance de notre sévère grand-duc. Il aporté sur le trône les idées d’un homme qui a été vingt-cinq anscardinal. Notre crime est un des plus grands que l’on puissecommettre aux yeux de la religion ; en un mot, la vie del’abbesse c’est notre mort.

– Que veux-tu dire ? s’écria Fabienne en essuyant seslarmes.

– Je veux dire qu’il faut que tu obtiennes de ton amie VictoireAmmanati, qu’elle te donne un peu de ce fameux poison de Pérouseque sa mère lui donna en mourant, elle-même empoisonnée par sonmari. Sa maladie avait duré plusieurs mois et peu de personneseurent l’idée de poison ; il en sera de même de notreabbesse.

– Ton idée me fait horreur, s’écria la douce Fabienne.

– Je ne doute pas de ton horreur et je la partagerais, si je medisais que la vie de l’abbesse c’est la mort de Fabienne et deCéliane. Songe à ceci : madame l’abbesse est absolument incapablede se taire ; un mot d’elle suffit pour persuader le cardinalgrand-duc, qui affiche surtout l’horreur des crimes occasionnés parl’ancienne liberté qui régnait dans nos pauvres couvents. Tacousine est fort liée avec Martona, qui appartient à une branche desa famille ruinée par les banqueroutes de 158… Martona estamoureuse folle d’un beau tisseur de soie nommé Julien ; ilfaut que ta cousine lui donne, comme un somnifère propre à fairecesser la surveillance si gênante de madame l’abbesse, ce poison dePérouse qui fait mourir en six mois de temps.

Le comte Buondelmonte ayant eu l’occasion de venir à la cour, legrand-duc Ferdinand le félicita sur la tranquillité exemplaire quirégnait dans l’abbaye de Sainte Riparata. Ce mot du prince engageale comte à aller voir son ouvrage. On peut juger de son étonnement,lorsque l’abbesse lui raconta le double assassinat, du résultatduquel elle avait été témoin. Le comte vit bien que l’abbesseVirgilia était tout à fait incapable de lui donner le moindrerenseignement sur la cause de ce double crime. « Il n’y a ici, sedit-il, que Félize, cette bonne tête, dont les raisonnementsm’embarrassèrent si fort, il y a six mois, lors de ma premièrevisite, qui puisse me donner quelque lumière sur la présenteaffaire. Mais préoccupée comme elle est de l’injustice de lasociété et des familles à l’égard des religieuses, voudra-t-elleparler ? »

L’arrivée au couvent du vicaire du grand-duc avait jeté Félizedans une joie immodérée. Enfin elle reverrait cet homme singulier,cause unique de toutes ses démarches depuis six mois ! Par uneffet contraire, la venue du comte avait jeté dans une profondeterreur Céliane et la jeune Fabienne, son amie.

– Tes scrupules nous auront perdues, dit Céliane à Fabienne.L’abbesse est trop faible pour ne pas avoir parlé. Et maintenantnotre vie est entre les mains du comte. Deux partis nous restent :prendre la fuite, mais avec quoi vivrons-nous ? L’avarice denos frères saisira le prétexte du soupçon de crime qui plane surnous, pour nous refuser du pain. Anciennement, quand la Toscanen’était qu’une province de l’Espagne, les malheureux Toscanspersécutés pouvaient se réfugier en France. Mais ce grand-duccardinal a tourné ses yeux vers cette puissance et veut secouer lejoug de l’Espagne. Impossible à nous de trouver un refuge, etvoilà, ma pauvre amie, à quoi nous ont conduites tes scrupulesenfantins. Nous n’en serons pas moins obligées de commettre lecrime, car Martona et l’abbesse sont les seuls témoins dangereux dece qui s’est passé dans cette nuit fatale. La tante de Rodelinde nedira rien ; elle ne voudra pas compromettre l’honneur de cecouvent qui lui est si cher. Martona, ayant présenté le prétendusomnifère à l’abbesse, se gardera bien de parler quand nous luiaurons dit que ce somnifère était du poison. Du reste, c’est unebonne fille éperdument amoureuse de son Julien.

Il serait trop long de rendre compte du savant entretien queFélize eut avec le comte. Elle avait toujours présente la fautequ’elle avait commise en cédant trop vite sur l’article des deuxfemmes de chambre. Il était résulté de cet excès de bonne foi quele comte avait passé six mois sans reparaître au couvent. Félize sepromit bien de ne plus tomber dans la même erreur. Le comte l’avaitfait prier avec toute la grâce possible de lui accorder unentretien au parloir. Cette invitation mit Félize hors d’elle-même.Elle eut besoin de se rappeler ce qu’elle devait à sa dignité defemme, pour remettre l’entretien au lendemain. Mais en arrivant àce parloir où le comte était seul, quoique séparée de lui par unegrille dont les barreaux étaient énormes, Félize se sentait saisied’une timidité qu’elle n’avait jamais éprouvée. Son étonnement futextrême, elle se repentait profondément de cette idée qui autrefoislui avait semblé si habile et si plaisante. Nous voulons parler decet aveu de sa passion pour le comte, autrefois fait par elle àl’abbesse, afin qu’elle le redit au comte. Alors elle était bienloin de l’aimer comme elle le faisait maintenant. Il lui avaitsemblé plaisant d’attaquer le cœur du grave commissaire que leprince donnait au couvent. Maintenant, ses sentiments étaient biendifférents : lui plaire était nécessaire à son bonheur ; sielle n’y réussissait pas, elle serait malheureuse, et qu’est-ce quedirait un homme aussi grave que l’étrange confidence que lui feraitl’abbesse ? IL pouvait fort bien la trouver indécente, etcette idée mettait Félize à la torture. Il fallait parler. Le comteétait là, grave, assis devant elle et lui adressa des complimentssur la haute portée de son esprit. L’abbesse lui a-t-elle déjàparlé ? Toute l’attention de la jeune religieuse se concentrasur cette grande question. Par bonheur pour elle, elle crut voir cequi en effet était la vérité : que l’abbesse, encore tout effrayéede la vue des deux cadavres qui lui avaient apparu dans cette nuitfatale, avait oublié un détail aussi futile que le fol amour conçupar une jeune religieuse.

Le comte de son côté voyait fort bien le trouble extrême decette belle personne et ne savait à quoi l’attribuer. « Serait-ellecoupable ? » se disait-il. Cette idée le troublait, lui siraisonnable. Ce soupçon le porta à accorder une attention extrêmeet sérieuse aux réponses de la jeune religieuse. C’était un honneurque depuis longtemps les paroles d’aucune femme n’avaient obtenu delui. Il admira l’adresse de Félize. Elle trouvait l’art de répondrede manière flatteuse pour le comte à tout ce que celui-ci luidisait sur le combat fatal qui avait eu lieu à la porte ducouvent ; mais elle se gardait de lui adresser des réponsesconcluantes. Après une heure et demie d’une conversation pendantlaquelle le comte ne s’était pas ennuyé un seul instant, il pritcongé de la jeune religieuse, en la suppliant de lui accorder unsecond entretien à quelques jours de là. Ce mot répandit unefélicité céleste dans l’âme de Félize.

Le comte sortit fort pensif de l’abbaye de Sainte Riparata.

« Mon devoir serait sans doute, se disait-il, de rendre compteau prince des choses étranges que je viens d’apprendre. Tout l’Etata été occupé de la mort étrange de ces deux pauvres jeunes gens sibrillants, si riches. D’un autre côté, avec le terrible évêque quece prince-cardinal vient de nous donner, lui dire un mot de ce quis’est passé c’est précisément la même chose qu’introduire dans cemalheureux couvent toutes les fureurs de l’inquisition espagnole.Ce n’est pas une seule de ces pauvres filles que ce terrible évêquefera périr, mais peut-être cinq ou six ; et qui sera coupablede leur mort, si ce n’est moi, qui n’avais qu’à commettre un bienpetit abus de confiance pour qu’elle n’eût pas lieu ? Si leprince vient à savoir ce qui s’est passé et me fait des reproches,je lui dirai : votre terrible évêque m’a fait peur. »

Le comte n’osait pas s’avouer bien exactement tous les motifsqu’il avait pour se taire. Il n’était pas sûr que la belle Félizene fût pas coupable, et tout son être était saisi d’horreur à laseule idée de mettre en péril la vie d’une pauvre jeune fille sicruellement traitée par ses parents et par la société.

« Elle serait l’ornement de Florence, se disait-il, si on l’eûtmariée. »

Le comte avait invité à une magnifique partie de chasse dans lamaremme de Sienne, dont la moitié lui appartenait, les plus grandsseigneurs de la cour et les plus riches marchands de Florence. Ils’excusa auprès d’eux, la chasse eut lieu sans lui, et Félize futbien étonnée en entendant, dès le surlendemain de la premièreconversation, les chevaux du comte qui piaffaient dans la premièrecour du couvent. Le vicaire du grand-duc, en prenant la résolutionde ne point parler au prince de ce qui était arrivé, avait pourtantsenti qu’il contractait l’obligation de veiller sur la tranquillitéfuture du couvent. Or, pour y parvenir, il fallait d’abordconnaître quelle part les deux religieuses, dont les amants avaientpéri, avaient eue à leur mort. Après un fort long entretien avecl’abbesse, le comte fit appeler huit ou dix religieuses, parmilesquelles se trouvaient Fabienne et Céliane. Il trouva à son grandétonnement qu’ainsi que le lui avait dit l’abbesse, huit de cesreligieuses ignoraient totalement ce qui s’était passé dans la nuitfatale. Le comte ne fit des interrogations directes qu’à Céliane etFabienne : elles nièrent. Céliane avec toute la fermeté d’une âmesupérieure aux plus grands malheurs, la jeune Fabienne comme unepauvre fille au désespoir, à laquelle on rappelle barbarement lasource de toutes ses douleurs. Elle était horriblement maigrie etsemblait atteinte d’une maladie de poitrine, elle ne pouvait seconsoler de la mort du jeune Lorenzo B…

– C’est moi qui l’ai tué, disait-elle à Céliane dans les longsentretiens qu’elle avait avec elle ; j’aurais dû mieux ménagerl’amour-propre du féroce Don César, son prédécesseur, en rompantavec lui.

Dès son entrée dans le parloir, Félize comprit que l’abbesseavait eu la faiblesse de parler au vicaire du grand-duc de l’amourqu’elle avait pour lui ; les façons du sage Buondelmonte enétaient toutes changées. Ce fut d’abord un grand sujet de rougeuret d’embarras pour Félize. Sans s’en apercevoir précisément, ellefut charmante pendant le long entretien qu’elle eut avec le comte,mais elle n’avoua rien. L’abbesse ne savait exactement rien de cequ’elle avait vu et encore, suivant toute apparence, mal vu.Céliane et Fabienne n’avouaient rien. Le comte était fortembarrassé.

« Si j’interroge les caméristes nobles et les domestiques, c’estla même chose que donner accès à l’évêque dans cette affaire. Ellesparleront à leur confesseur et nous voici avec l’inquisition dansle couvent. »

Le comte, fort inquiet, revint tous les jours à Sainte Riparata.Il prit le parti d’interroger toutes les religieuses, puis toutesles caméristes nobles, enfin toutes les personnes de service. Ildécouvrit la vérité sur un infanticide qui avait eu lieu trois ansauparavant et dont l’official de la cour de justice ecclésiastique,présidée par l’évêque, lui avait transmis la dénonciation. Mais, àson grand étonnement, il vit que l’histoire des deux jeunes gensentrés mourants dans le jardin de l’abbaye n’était absolumentconnue que de l’abbesse, de Céliane, de Fabienne, de Félize et deson amie Rodelinde. La tante de celle-ci sut si bien dissimuler,qu’elle échappa aux soupçons. La terreur inspirée par le nouvelévêque monsignor était telle, qu’à l’exception de l’abbesse et deFélize, les dépositions de toutes les autres religieuses,évidemment entachées de mensonge, étaient toujours données dans lesmêmes termes. Le comte terminait toutes ses séances au couvent parune longue conversation avec Félize, qui faisait son bonheur, maispour la faire durer, elle s’appliquait à n’apprendre au comtechaque jour qu’une petite partie de ce qu’elle savait de relatif àla mort des deux jeunes cavaliers. Elle était au contraire d’uneextrême franchise sur les choses qui la regardaientpersonnellement. Elle avait eu trois amants ; elle raconta aucomte, qui était presque devenu son ami, toute l’histoire de sesamours. La franchise si parfaite de cette jeune fille si belle etde tant d’esprit intéressa le comte qui ne fit point difficulté derépondre à cette franchise par une extrême candeur.

– Je ne saurais vous payer, disait-il à Félize, par deshistoires intéressantes comme les vôtres. Je ne sais si j’oseraivous dire que toutes les personnes de votre sexe que j’airencontrées dans le monde, m’ont toujours inspiré plus de méprispour leur caractère que d’admiration pour leur beauté.

Les fréquentes visites du comte avaient ôté le repos à Céliane.Fabienne, de plus en plus absorbée dans sa douleur, avait cesséd’opposer ses répugnances aux conseils de son amie. Quand son tourvint de garder la porte du couvent, elle ouvrit la porte, détournala tête, et Julien, le jeune ouvrier en soie, ami de Martonaconfidente de l’abbesse, put entrer dans le couvent. Il y passahuit jours entiers jusqu’au moment où Fabienne, étant de nouveau deservice, put laisser la porte ouverte. Il paraît que ce fut sur lafin de ce long séjour de son amant que Martona donna de sa liqueursomnifère à l’abbesse, qui voulait l’avoir jour et nuit auprèsd’elle, et touchée des plaintes de Julien qui s’ennuyaitmortellement, seul et enfermé à clef dans la chambre.

Julie, jeune religieuse fort dévote, passant un soir dans legrand dortoir, entendit parler dans la chambre de Martona. Elles’approcha, sans faire de bruit, mit l’œil à la serrure et vit unbeau jeune homme qui, assis à table, soupait en riant avec Martona.Julie donna quelques coups à la porte, puis venant à songer queMartona pourrait fort bien ouvrir cette porte, l’enfermer avec cejeune homme et la dénoncer, elle, Julie, à l’abbesse, dont elleserait crue à cause de l’habitude que Martona avait de passer savie avec l’abbesse, Julie fut saisie d’un trouble extrême. Elle sevit en imagination poursuivie dans le corridor solitaire et fortobscur en ce moment, où l’on n’avait pas encore allumé les lampes,par Martona qui était beaucoup plus forte qu’elle. Julie toutetroublée prit la fuite, mais elle entendit Martona ouvrir sa porte,et se figurant avoir été reconnue par elle, elle alla tout dire àl’abbesse, laquelle horriblement scandalisée accourut à la chambrede Martona où l’on ne trouva pas Julien qui s’était enfui aujardin. Mais cette même nuit, l’abbesse ayant cru prudent, mêmedans l’intérêt de la réputation de Martona, de la faire coucherdans la chambre d’elle, abbesse, et lui ayant annoncé que dès lelendemain matin elle irait elle-même, accompagnée du père,confesseur du couvent, mettre les scellés sur la porte de sacellule, où la méchanceté avait pu supposer qu’un homme étaitcaché. Martona irritée et occupée en ce moment à préparer lechocolat qui formait le souper de l’abbesse, y mêla une énormequantité du prétendu somnifère.

Le lendemain, l’abbesse Virgilia se trouva dans un étatd’irritation nerveuse tellement singulier, et en se regardant aumiroir, elle se trouva une figure tellement changée qu’elle pensaqu’elle allait mourir. Le premier effet de ce poison de Pérouse estde rendre presque folles les personnes qui en ont pris. Virgilia sesouvint qu’un des privilèges des abbesses du noble couvent deSainte Riparata était d’être assistées à leurs derniers moments parMonseigneur l’évêque ; elle écrivit au prélat qui bientôtparut dans le couvent. Elle lui conta non seulement sa maladie,mais encore l’histoire des deux cadavres. L’évêque la tançasévèrement de ne pas lui avoir donné connaissance d’un incidentaussi singulier et aussi criminel. L’abbesse répondit que levicaire du prince, comte Buondelmonte, lui avait fortementconseillé d’éviter le scandale.

– Et comment ce séculier a-t-il l’audace d’appeler scandale lestrict accomplissement de vos devoirs ?

En voyant arriver l’évêque au couvent, Céliane dit à Fabienne:

– Nous sommes perdues. Ce prélat fanatique et qui veut à toutprix introduire la réforme du Concile de Trente dans les couventsde son diocèse, sera pour nous un tout autre homme que le comteBuondelmonte.

Fabienne se jeta en pleurant dans les bras de Céliane.

– La mort n’est rien pour moi, mais je mourrai doublementdésespérée puisque j’aurai causé ta perte, sans sauver pour cela lavie de cette malheureuse abbesse.

Aussitôt Fabienne se rendit dans la cellule de la dame qui, cesoir-là, devait être de garde à la porte. Sans lui donner d’autresdétails, elle lui dit qu’il fallait sauver la vie et l’honneur deMartona, qui avait eu l’imprudence de recevoir un homme dans sacellule. Après beaucoup de difficultés, cette religieuse consentità laisser la porte ouverte et à s’en éloigner un instant, un peuaprès onze heures du soir.

Pendant ce temps, Céliane avait fait dire à Martona de se rendreau chœur. C’était une salle immense comme une seconde église,séparée par une grille de celle qui était livrée au public, dont lesoffite avait plus de quarante pieds d’élévation. Martona s’étaitagenouillée au milieu du chœur de façon à ce qu’en parlant baspersonne ne pût l’entendre. Céliane alla se placer à côtéd’elle.

– Voici, lui dit-elle, une bourse qui renferme tout ce que nousnous sommes trouvé d’argent, Fabienne et moi. Ce soir ou demainsoir, je m’arrangerai pour que la porte du couvent reste ouverte uninstant. Fais échapper Julien, et toi-même, sauve-toi bientôtaprès. Sois assurée que l’abbesse Virgilia a tout dit au terribleévêque, dont le tribunal te condamnera sans doute à quinze annéesde cachot ou à la mort.

Martona fit un mouvement pour se jeter aux genoux deCéliane.

– Que fais-tu, imprudente ? s’écria celle-ci, et elle eutle temps d’arrêter son mouvement. Songe que Julien et toi, vouspouvez être arrêtés à chaque instant. D’ici au moment de ta fuite,tiens-toi cachée le plus possible, et sois surtout attentive auxpersonnes qui entrent dans le parloir de Madame l’abbesse.

Le lendemain, en arrivant au couvent, le comte trouva bien deschangements. Martona, la confidente de l’abbesse, avait disparupendant la nuit ; l’abbesse était tellement affaiblie qu’ellefut obligée, pour recevoir le vicaire du prince, de se fairetransporter à son parloir dans un fauteuil. Elle avoua au comtequ’elle avait tout dit à l’évêque.

– En ce cas, nous allons avoir du sang ou des poisons, s’écriacelui-ci…

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