Un drame à Rio-de-Janeiro

Un drame à Rio-de-Janeiro

de Paul Salmon

Chapitre 1 UN DRAME À RIO-DE-JANEIRO

Depuis que le directeur de la troupe théâtrale avec laquelle il était venu de France au Brésil s’était enfui en emportant la caisse, Maurice Hamard, un Français de vingt-cinq ans,acteur de son état, battait le pavé de Rio-de-Janeiro, à la recherche d’une situation honorable.

C’était un grand jeune homme, robuste et vigoureux, aux cheveux blonds, aux yeux bleus disant l’intelligence et la hardiesse.

Mais pour le moment, il avait l’air singulièrement abattu.

Son visage pâle révélait qu’il venait de subir de dures privations et, par instants, on lisait dans son regard un immense découragement.

Ce soir-là, à bout de forces et d’énergie, il était entré dans la salle basse d’un bouge à matelots situé sur le port afin d’acheter quelque nourriture avec sa dernière peseta.

Le patron, gros homme à la face bouffie de graisse et aux petits yeux fureteurs, vint lui servir, en traînant les pieds, ce qu’il demandait et, tristement, le jeune acteur se mit à manger.

À côté de lui, se tenait un groupe d’individus, aux faces patibulaires, dont les voix emplissaient la pièce de tumulte.

Un peu plus loin, dans un angle, un homme de bonne mine buvait un grog.

Soudain, un des consommateurs au sinistre visage se leva et se dirigeant vers le solitaire, bouscula violemment sa table au point de renverser son verre.

– Brute maladroite et stupide !s’écria le buveur avec un fort accent américain.

– Caramba, tu m’insultes ! riposta son agresseur.

Et, se tournant vers ses compagnons, il ajouta, criant à pleine gorge :

– À moi, camarades à moi !

En même temps, il tira de sa ceinture un longpoignard.

Mais le yankee, d’un vigoureux coup de poing àla mâchoire, l’envoya rouler à dix pas.

Les amis du bandit bondirent, coutelas en mainet hurlant :

– À mort, à mort !

Celui-ci pâlit un peu.

Ils étaient dix contre lui.

Pourtant, résolument, revolver au poing, ilfit face à l’attaque.

– Voilà un homme solide ! pensaMaurice Hamard à qui le visage de l’inconnu était sympathique.

Et, s’élançant de son coté, ils’écria :

– Tenez bon, gentleman, voici durenfort.

Mais le Français n’avait pas d’armes ;d’un rapide coup d’œil, il parcourut le bouge et, avisant un lourdtabouret, il s’en empara, le faisant tournoyer au-dessus de sa têteainsi qu’une massue redoutable.

Puis, sans hésiter, il se rua au milieu desbandits.

Aussitôt, une lutte terrible s’engagea.

Les deux compagnons, retranchés dans un anglede la salle, se battaient comme des lions.

Le revolver du yankee et le tabouret duFrançais fonctionnaient de telle sorte tous les deux que, bientôt,cinq ou six Brésiliens furent hors de combat.

– N’ayez pas peur, il y en aura pour toutle monde ! Chacun sera servi son tour ! gouaillaitMaurice Hamard, mis en bonne humeur.

Et les coups continuaient à pleuvoir de-cide-là, heurtant un front, fracassant une mâchoire, brisant uneépaule.

Des cris de douleur s’élevaient de toutesparts ; des jurons horribles retentissaient, mais les banditsne lâchaient pas pied, espérant écraser sous leur nombre ces deuxhommes qui faisaient preuve de tant de courage et de témérité.

Soudain, l’Américain poussa un hurlementterrible qui domina le vacarme effroyable.

Un des bandits, se glissant sournoisement parderrière, venait de lui planter sa navaja entre les épaules.

– Je suis touché gémit-il.

Pourtant, il eut encore la force de seretourner et d’abattre à bout portant son assassin qui n’avaitpoint eu le temps de se jeter de côté. Puis, il s’effondra sur lesol.

Ce spectacle terrible sembla décupler lesforces d’Hamard.

Sans se soucier du péril qu’il courait, il serua sur ses ennemis qui, terrorisés par tant d’audace, s’enfuirenthors du bouge.

D’ailleurs, peu sortaient indemnes del’aventure et ceux qui n’étaient pas blessés ne se souciaient pointde poursuivre la lutte.

Néanmoins, l’un d’entre eux, un grand gaillardaux formes athlétiques qui dissimulait son visage sous un vastefeutre, se retourna sur le seuil de la porte :

– Nous nous retrouverons ! jeta-t-ild’une voix menaçante.

– Quand tu voudras ! répliqua leFrançais en faisant un pas en avant.

Mais l’autre s’éclipsa, disparaissant dans lesténèbres.

Alors, haussant les épaules d’un air dedédain, Maurice revint vers le blessé.

L’instant d’après, il s’agenouillait près delui, le redressant avec des précautions infinies.

– Voulez-vous que j’aille chercher unmédecin ? Demanda-t-il, voyant que l’Américain ouvrait lesyeux.

Mais celui-ci hocha la tête et, d’une voix quiparvint au Français comme un souffle, il murmura :

– Inutile, j’ai mon compte. Jurez-moiseulement de faire ce que je vous demanderai et je m’en iraitranquille !

Maurice Hamard n’hésita point.

Étendant solennellement la main, ilrépondit :

– Je le jure.

Bien ! Prenez mon portefeuille etportez-le à Miss Eva Brant, à New-York. Son adresse est dans mespapiers ; veillez bien sur ce que je vous confie. Un nomméPablo Vérez fera l’impossible pour vous le voler. C’est lui qui, cesoir, commandait la bande d’assassins.

– Serait-ce l’homme au feutre ?demanda Hamard, se souvenant brusquement de l’individu qui l’avaitmenacé avant de s’enfuir.

– Oui, c’est lui-même ! affirma lemourant. Dites à Eva que je suis mort. Adieu, brave amiinconnu !

Et se renversant en arrière, l’Américainexpira.

– Me voici lancé dans une singulièreaventure où il y aura, je crois, force horions à recevoir !pensa Maurice Hamard. Ma foi, tant pis ! j’ai juré, j’iraijusqu’au bout.

D’un coup d’œil, il s’assura que le bougeétait désert.

Le tenancier, lui aussi, avait disparu, sansdoute pour aller chercher la police.

– Je n’ai donc plus rien à faire ici,murmura-t-il.

Ce disant, il glissa dans sa poche leportefeuille qu’il venait de trouver dans une poche intérieure duveston de l’Américain. Remettant l’examen des papiers qu’ilcontenait à plus tard, il s’arma du revolver de l’infortuné Brantpuis, sortit à son tour, s’éloignant à grandes enjambées.

Rentré chez lui, il ouvrit le mystérieuxportefeuille.

Des papiers au nom de Dick Brant et une forteliasse de billets de banque s’y trouvaient, ainsi qu’un sachet decuir fermé et une grande enveloppe scellée à l’adresse de miss EvaBrandt, à New-York.

– Voilà qui va bien ! fit-il àmi-voix.

Puis, après quelques secondes de réflexion, ilajouta, se souvenant des dernières paroles del’Américain :

– Mais attention au fameux Vérez !Dommage que je n’aie pas vu sa vilaine physionomie !

Deux heures plus tard à bord du paquebotl’Éclair » sur lequel il avait payé son passage avec lesbank-notes du pauvre Américain, Maurice Hamard quittaitRio-de-Janeiro pour New-York.

Après une heureuse traversée, ce fut sansencombre qu’il arriva dans cette ville. À peine débarqué il se fitconduire chez Miss Eva Brant.

Une vieille négresse lui ouvrit la porte d’unmodeste appartement situé dans une maison de pauvre apparence.

– Miss Eva Brant ? demanda le jeunehomme.

– Véné avé moi ! répondit lanégresse.

Elle introduisit le visiteur dans une étroitepièce où une jeune fille de vingt ans, à la courte chevelure brunebouclée s’occupait à un ouvrage de tapisserie.

À l’entrée du Français, elle releva la tête,laissant voir un joli visage que deux grands yeux noirs éclairaientet demanda :

– Vous avez demandé à me voir,monsieur ?

– Oui, miss, balbutia Maurice, ne sachantcomment annoncer la funeste nouvelle dont il était porteur, miss,votre frère…

– Vous venez de la part de mon cherDick ? s’écria miss Eva en saisissant les deux mains du jeunehomme.

– Oui.

– Oh ! parlez, je vous enprie ; pourquoi vous envoie-t-il vers moi ? Et comme ilne répondait pas tout de suite, se demandant s’il aurait la forced’aller jusqu’au bout de sa douloureuse confidence, elle s’écriad’une voix inquiète :

– Lui serait-il arrivé malheur ?

– Miss, miss, ayez du courage !

– Ah ! gémit l’infortunée enéclatant en sanglots… Dick, mon cher, mon bon frère est mort…

Devant ce désespoir, Maurice ne savait quedire.

Tout à coup la jeune fille se redressant,s’exclama, refoulant les larmes qui lui montaient auxyeux :

– Racontez-moi, monsieur, comment celaest arrivé ! Vous devez le savoir, puisque Dick vous a envoyéici.

Il n’y avait pas moyen de cacher pluslongtemps la vérité à la jeune fille.

En quelques mots Hamard raconta ce qu’ilsavait et comment Dick lui avait désigné Vérez comme sonassassin.

En entendant le nom du bandit, Eva ne putréprimer un haut-le-corps.

– Vérez ! s’exclama-t-elle. Ainsi,c’est cet ancien serviteur de mon père !

Et, comme le Français la regardait, surpris,elle expliqua à son tour que, seize ans auparavant, ses parents,grands planteurs du Brésil, avaient péri une nuit, mystérieusementassassinés dans leur demeure incendiée.

La vieille Miyala, sa servante, l’avaitemportée ainsi que son frère et, après bien des vicissitudes, lesavait conduits à New-York.

Les deux jeunes gens étaient restés seuls,auprès de la dévouée négresse.

Leur avoir se réduisait à peu de chose.

Aussi se désespéraient-ils, lorsque, fouillantun jour dans les papiers de famille, Dick avait découvert la traced’un trésor enfoui par son père dans les caves de la maison qu’ilhabitait jadis.

Plein d’espoir, il était donc retourné auBrésil où il venait de périr si tragiquement.

Enfin, Eva se tut.

– Que comptez-vous faire, àprésent ? interrogea Maurice Hamard.

– Venger mon frère puisque je connais sonassassin ! s’écria la jeune fille dont les beaux yeuxbrillaient d’un feu sombre et dont le visage avait pris uneexpression de farouche résolution.

– Eh bien ! fit le Français, si vousy consentez, je vous aiderai, miss, dussé-je y consacrer toute mavie !

– Merci, monsieur, murmura Eva, touteémue. J’accepte votre concours car j’aurai besoin d’un ami sûr etdévoué.

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