Un mariage polaire – Au Pôle Nord, chez les esquimaux – Voyages, explorations, aventures – Volume 14

Un mariage polaire – Au Pôle Nord, chez les esquimaux – Voyages, explorations, aventures – Volume 14

de Louis Noir

Je dédie ce livre à mon ami Pépin, de l’Hôtel de la Marine, à Roscoff.

Son tout dévoué,

Louis Noir

PRÉFACE

 

Les idées fausses s’accumulent sur les pays non encore sérieusement colonisés.

En veut-on la preuve ?

L’Algérie a passé bien longtemps en France pour un pays malsain.

La mortalité, du reste, prouvait que cette réputation était méritée.

Est-ce que les soldats ne mouraient pas en tas, comme on disait alors ?

Est-ce que les colons ne périssaient pas ; en été, ils tombaient dru comme les mouches.

La statistique inexorable prouvait que ce mauvais renom de l’Algérie n’était pas volé.

Il mourait de maladies, dans l’armée d’occupation, huit soldats sur cent.

Que dire ?

Les chiffres étaient là, probants !

Or, l’Algérie est consacrée aujourd’hui, commela Tunisie, du reste, comme étant l’un des pays les plus sains dumonde. La mortalité par maladies, dans l’armée, est de 7 pour1,000 !

Chez les colons, les naissances excèdent debeaucoup le chiffre des morts.

Français, Espagnols, Italiens, Malaiss’accommodent admirablement du climat.

Alors, comment expliquer cette contradictionentre le passé et le présent ?

Très simplement.

Pour l’armée, par exemple :

On l’affublait de buffleteries blanches quicoupaient doublement la poitrine et la respiration ; c’étaitincroyablement stupide.

On emprisonnait le corps du soldat dans unhabit étriqué.

On lui serrait le cou par un faux-col noir quitenait le menton roide.

On écrasait sa tête d’un schako tellementlarge et pesant qu’au fond on pouvait placer brosses, cirage oupain de munition.

Le pantalon rouge, en drap, mal compris,augmentait encore la géhenne.

Pauvre soldat !

Il était écrasé !

Faute de mulets, on faisait porter aumalheureux troupier quinze et vingt jours de vivresd’administration, deux mois de vivres d’ordinaire et souvent del’eau.

Jamais de vin ! Jamais de café !

Rien que de l’eau-de-vie qui devrait êtreabsolument proscrite en pays chaud.

Une nourriture mal comprise, non appropriée auclimat, aux besoins.

Des chemises en toile de chanvre, glaciales enpays de sueur.

Pas de petites tentes.

Les nuits très froides passées sans abri.

Une couverture énorme augmentant le poids duhavre sac.

Le sulfate de quinine donné aux fiévreux àdose dérisoire.

Les camps fiévreux maintenus quand même et desmarches excessives.

Des généraux exigeant des soldats seize heuresde marche…

Ou doublant les étapes.

Les lois de la sieste, en été, méprisées.

Aujourd’hui, on a donné au soldat un uniformeapproprié au climat, la tente-abri, le vin, le café, du bonpain ; il est forcé, en été, de siester sous peine de prison,de dix heures du matin à trois heures du soir ; s’il marche,demi-étape le matin, demi-étape le soir ; repas dans lajournée.

Casernes et campements sains.

Résultats ?

Mortalité moindre qu’en France.

Comme conclusion ?

On se trompe presque toujours au début d’unecolonisation, sur l’habitabilité ou la non habitabilité d’unpays.

En a-t-on assez dit et écrit contre laCochinchine il y a cinquante ans ?

Aujourd’hui tous les établissements publics etparticuliers étant bâtis selon la bonne formule architecturale dupays, les lois hygiéniques étant observées, les bonnes habitudesétant prises, voilà que la Cochinchine est réputée bonnecolonie.

Et le Tonkin ?

A-t-il été assez décrié ?

Et le voilà en train de se réhabiliter àgrande vitesse.

En somme, vous ne pouvez pas vivre en paysexotique comme vous vivez en France.

Autres climats, autres régimes !

Mais, surtout, en finir avec les habitudesalcooliques françaises.

Là est la base du salut.

Je parle pour les pays chauds.

Dans les pays froids, c’est tout le contraire.Un usage modéré de l’alcool est de rigueur.

Eh bien, si j’ai cité l’exemple des coloniesmal cotées, au début, au point de vue hygiénique, c’est parce queles régions polaires sont calomniées de toute évidence.

On les croit extrêmement froides.

Soixante degrés tous les jours ! LisezNansen.

En janvier 1894 (mois le plus froid), pendantquatre jours seulement, le froid est descendu au-dessous de 4odegrés.

En janvier 1895, pendant 6 joursseulement.

En janvier 1896, il y a eu des journées où lefroid n’était que de 7°, 2.

En février, il y a eu des journées où il n’afait que 1°, 1.

Inutile d’insister, n’est-ce pas ?

Or, au Canada, en beaucoup de villes etvillages, la température descend à 38, à 43, à 53, à 56 degrésau-dessous de zéro.

Et l’on vit.

Et l’on vit bien.

Il est vrai qu’on est armé contre le froid etdéfendu contre lui.

Canada ou régions polaires, c’est le mêmefroid, le même climat.

Si l’on sait s’y défendre, on y est tout aussibien qu’au Canada.

Avec ses fourrures de canard-eider, de renard,d’ours blanc, avec ses gants, ses chaussons, son capuchon rabattusur son bonnet fourré, l’Esquimau brave tous les froids.

Dans sa maison de neige, il obtient, avec salampe à huile, six, sept, huit degrés, et plus s’il le veut,au-dessus de zéro.

Le cochléaria, les baies si nombreuses, lesgraminées, les mousses, les lichens, etc., lui donnent assez denourriture végétale spéciale pour éviter le scorbut.

Il a en surabondance :

Pot-au-feu de morue aux algues diverses.

Rôti d’ours blanc.

Étuvées de rennes.

Ragoûts de bœufs musqués.

Cygnes.

Oies de Brent.

Canards-eiders.

Lummes.

Gelinottes, etc.

Poissons excellents.

Crustacés.

Ne voilà-t-il pas un homme heureux ?

Et Nansen ?

Et son compagnon ?

Ne nous déclarent-ils pas qu’ils ont vécupendant sept mois à la façon des Esquimaux, sans en souffriraucunement ?

Ne sont-ils pas sortis sains et gras de cettelongue épreuve ?

La question est donc jugée.

Mais on objectera la catastrophe de Franklinet d’autres navigateurs.

Il y a eu de tous temps, en tous pays, descatastrophes navales.

Lapeyrouse, Koock, tant d’autres prouvent queles océans chauds sont aussi fatals aux marins que les océanspolaires.

Et le naufrage de la Méduse !

Et tant de naufrages célèbres.

Il est donc ridicule d’exagérer les dangersdes mers boréales.

On a souvent invoqué contre elles le scorbutdont les équipages ont souffert.

Mais toujours, et surtout dans les payschauds, le scorbut atteint et décime les équipages privés deviandes fraîches et de légumes frais.

Pourquoi les matelots explorateurs en ont-ilssouffert pendant les expéditions polaires ?

Parce que les travaux d’exploration nelaissaient pas le temps de chasser, de pêcher suffisamment, derécolter assez, pour varier la nourriture.

Voilà la vérité.

Mais nous consacrons un chapitre entier, biencomplet, dénué de toute exagération en un sens ou en l’autre, surles Esquimaux.

Nous y peignons leur race, leur vie, leursmœurs, leur pays, leurs chasses, leurs pèches, les ressourcesvégétales.

Quand le lecteur aura lu ce chapitre, ilconnaîtra ce peuple à fond.

Qu’il se pose alors cette question :

« Peut-on vivre là bas ? »

Comme Nansen, il répondra :

– Oui.

En toute saison.

Mais si, aux ressources du pays, s’ajoutel’établissement d’hôtels confortables en murs de tôle de ferdouble, avec excellent et sain matelas d’air (système russe) avecmaisons-haltes entre les hôtels, avec correspondance par traîneauxentre les hôtels, avec ravitaillements très faciles, si unpersonnel mi-esquimau, mi-blanc dessert chaque hôtel, je demandepourquoi les touristes riches ne se paieraient pas une visite aupôle et des chasses à l’ours blanc ?

Quand on a vu réussir l’établissement d’ungrand hôtel au Spitzberg, avec poste, service de paquebot régulier,etc., etc., on s’est dit, tant en Europe qu’aux États-Unis, que laquestion du pôle était résolue.

Résolue non pas comme visite rapided’explorateurs à bout de force.

Résolue comme celle du Mont-Blanc, par uneoccupation permanente, si le pôle est un point fixe, une terreferme.

Résolue quand même ce serait une banquisemouvante et tournante.

D’un hôtel très rapproché, les touristes s’yrendraient en traîneau ou en petit bateau à vapeur, selon lasaison.

Et quand le lecteur aura lu ce livre, il neconservera plus aucun doute.

L’œuvre est commencée.

Si l’on y avait consacré les trois centsmillions dépensés en vain jusqu’ici et les efforts inouïs faits enpure perte, on irait au pôle nord, plus facilement, plus sûrementque l’on arrive au sommet du Mont-Blanc.

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