Une chasse à courre au Pôle Nord – Chez les esquimaux – Voyages, explorations, aventures – Volume 15

Une chasse à courre au Pôle Nord – Chez les esquimaux – Voyages, explorations, aventures – Volume 15

de Louis Noir

Chapitre 1 UN CONGRÈS DE COQUINS L’épisode qui précède ce récit a pour titre :Un Mariage polaire.

 

Ils sont là six blancs, dans un bois de pins,autour d’un bon feu devant lequel rôtissent des quartiers de daim.

Comme nous sommes à l’extrême nord du Canada,il y a encore de la neige ça et là sur le sol, quoique nous soyons à la fin de mai et que le printemps soit commencé.

Les blancs, assis en rond sous un soleil encore chaud, il est trois heures de l’après-midi, causent avec animation.

Une dizaine d’indiens, leurs domestiques évidemment, s’occupent les uns de la cuisine, les autres d’installer des huttes pour la nuit.

Leur façon d’opérer est très simple ; ils choisissent un arbre qui, comme l’épicéa, fait retomber presque jusqu’au sol ses premières branches très touffues.

Ils assujettissent sur le sol avec des pierres l’extrémité des branches.

Il en résulte qu’ils ont ainsi la charpente bien garnie déjà, d’un toit conique soutenu par le tronc etre posant sur le sol.

Sur cette charpente, ils jettent forcebranches qu’ils coupent, puis des épaisseurs de mousse, puis encoredes branches.

Une petite entrée très basse, facile à boucheravec des branches et des mousses, donne accès à l’intérieur.

On entre en rampant.

Avec un bon sac de couchage en fourrure, dansles poils duquel on se fourre, on brave le froid intense desnuits.

De 15 à 2o degrés au-dessous de zéro, alorsque, dans le jour, il fait 2o au-dessus de zéro au soleil.

Mais la hutte est un bon abri.

Pour les blancs deux huttes.

Pour les Indiens trois.

Maîtres et domestiques couchent à part, parvergogne chez les maîtres et manque de confiance envers leursserviteurs.

Car tout ce monde-là est du très salemonde.

Les Indiens sont des bannis.

Quand une tribu est mécontente d’un de sesmembres, elle le chasse.

Et toujours ces Indiens cherchent à s’attacherà un blanc.

Pourvu que celui-ci fournisse de temps entemps du tafia, il sera assez bien servi.

Drôles de domestiques que ceux qui ne montrentdu zèle que pour bien se saoûler une ou deux fois par mois.

Tout ce monde, armé jusqu’aux dents, est venulà à cheval.

Les chevaux pâturent.

Ils coucheront à la belle étoile.

Ils y sont habitués.

Les Indiens ont de mauvaises figures, desmines patibulaires.

Chez aucun peuple, on ne voit autant de typesde ce que j’appellerai les animaux humains, des hommes ressemblantà des bêtes.

Hommes-fouines, hommes-renards, hommes-loups,hommes-jaguars, etc.

Il y en avait là, dix ou douze qui rappelaientsoit une ou l’autre bête féroce.

Sombres du reste, taciturnes et d’alluressournoises, ils travaillaient aux huttes silencieusement maisadroitement.

Les blancs étaient tous très bien vêtus, etquatre d’entre eux avaient des allures de gentlemen, mais degentlemen alcooliques.

La voix éraillée, l’œil halluciné, les yeuxrouges, les mains tremblantes, permettaient de classer à premièrevue ces messieurs parmi les buveurs invétérés de rhum et degin.

Pas d’erreur.

Mais ils avaient encore force physique etintelligence.

Ils étaient relativement jeunes.

Ils s’étaient donné rendez-vous là, surl’initiative de l’un d’eux, un certain Nilson, à tête de renard etde chat.

Très remarquable, avec ses oreilles pointueset très détachées.

C’était un déclassé, un raté comme nousdirions en France, mais il avait reçu une instruction solide etaimait à en faire parade ; cela lui donnait une supérioritésur les autres.

Dès que le cercle avait été formé, il avaitpris la parole.

– Mes camarades, avait-il dit, nous étions lesdirecteurs des forts qui servent de factoreries à la Compagnie dePelleteries de la baie d’Udson et nous ne sommes plus rien.

» Destitués !

» Chassés !

» Bannis !

» Remplacés !

» Et, par dessus le marché, ruinés.

Il y eut une explosion de colère.

« Canaille d’inspecteur ! »

« Le diable l’emporte au bout de safourche pour le rôtir à grands feux. »

« Si une bonne fièvre jaune pouvait doncl’emporter ! »

« La peste l’étouffe ! »

Une espèce de géant, une brute, mais nondénuée de ruse, un vieux, le seul vieux de cette assemblée, quiressemblait à un ours blanc étonnamment, demanda :

– Mais pourquoi diable cet homme a-t-il achetétant d’actions de la Compagnie, et ses compagnons comme lui, aupoint qu’ils sont les maîtres et qu’il s’est fait nommer inspecteurgénéral avec pleins pouvoirs ?

– Ours-Blanc, mon ami, j’ai pris mesrenseignements.

» Notre nouvel inspecteur est un monsieurqui est quatre ou cinq fois milliardaire.

» C’est un homme qui a découvert unemontagne d’or, qui a récolté les champs d’or, qui fait exploiteraujourd’hui les mines extraordinairement riches par une compagnie,dont lui et les siens ont les actions pour les quatrecinquièmes.

» Cet homme si riche est un fou.

» Il veut aller au pôle, au centre de laterre, dans la planète Mars, la lune lui paraît troprapprochée.

» Il la dédaigne.

– Est-ce que vous blaguez, Nilson ?

– Pas du tout.

» Je suis sûr de ce que je dis.

– Mais voyons, aller au centre de la terre,c’est impossible.

– Ce n’est pas tout à fait ce qu’il veut, etje me suis mal expliqué.

» Il veut arriver au feu central.

» Alors plus besoin de houille, oncapterait la chaleur de ce feu.

– Bon.

» Mettons que ce soit possible.

» Mais le voyage aux planètes ?

– Vous permettrez, cher Ours Gris, de vousdire que vous n’êtes pas instruit comme moi, ce n’est pas votrefaute, mon bon ami.

» Vous ne pouvez comprendre ce que jecomprends ; c’est évident.

» Je vais cependant essayer de vousinitier aux possibilités de ce projet.

» Pourquoi un ballon monte-t-il dansl’air, mon cher camarade ?

» Parce qu’il est rempli d’un gaz plusléger que l’air.

– Oui ! oui !

» Pas besoin d’être savant pour savoirça, master Nilson.

– Entendu.

» Mais au-dessus de l’air, qu’est-cequ’il y a, mon bon ami ?

– Je n’en sais rien.

» Je suppose même qu’il n’y a rien.

» Ç’est le vide.

– Le vide n’existe pas dans la nature, c’estimpossible.

» Entre les planètes, il y a des espacesremplis d’un fluide que l’on appelle l’éther et dont on ne connaîtpas la composition.

» Connaître ce fluide serait peut-êtrerésoudre le problème.

» Qui sait si ce fluide condensé nedonnerait pas des gaz, comme l’oxygène et l’hydrogène dont on faitde l’eau, comme l’oxygène et l’azote dont on fait de l’air.

» Or, si l’on pouvait gonfler un ballond’un fluide plus léger que l’éther, le ballon monterait dansl’éther, c’est certain.

» Et l’on fabriquerait de l’airrespirable, de l’eau buvable ; on mangerait, car on pourraitemporter des aliments condensés.

– Ainsi, vous Nilson, vous croyez celapossible ?

– Oui.

» Et M. d’Ussonville, qui a desmilliards, est en train de faire construire sur le toit du monde,le Pamir, à la plus haute altitude du monde, un observatoire d’oùs’élèveront des ballons.

» Ils atteindront au plus près del’éther, l’éther lui-même peut-être.

» Alors, on touchera à ta solution.

– Mais, vous avez traité cet homme de fou.

– Le génie et la folie se touchent.

» Mais si j’ai qualifiéM. d’Ussonville de fou, c’est parce que je trouve insenséqu’ayant des milliards, au lieu d’en jouir, il cherche à résoudredes problèmes scientifiques.

» Qu’il aille au pôle si ça l’amuse,passe encore ; le feu souterrain, soit !

» Mais le voyage dans la planète Marspour faire plaisir à un certain astronome français, CamilleFlammarion, qui s’est toqué de cette planète, je trouve çadéraisonnable.

» Il risque de mourir commeCrocé-Spinelli ou comme Pilâtre de Rozier.

L’Ours-Blanc se gratta l’oreille et il ditavec un air modeste :

– Connais pas ces gentlemen ; mais s’ilsont voulu aller dans la lune ou dans les planètes, il ne faut pass’étonner s’il leur est arrivé du désagrément, voire même, s’ils ensont morts.

» Car, enfin, si je voulais, d’un bond,franchir un précipice de trente mètres de large, m’est avis que jeme casserais le nez au fond.

– Pas sûr !

» Avec un appareil bien combiné, on yarriverait… facilement…

– Vous croyez ?

– Est-ce que, avec un parachute, on ne descendpas d’un ballon qui plane à trois mille mètres dehauteur ?

» Est-ce que ça ne se fait pas avecaisance, grâce et facilité ?

» Supposez un bord du précipice plusélevé que l’autre.

» Avec un parachute et un bon vent, onpasserait sur le précipice.

» Mais il y a mieux à inventer.

L’Ours-Blanc se mit à grogner et il dit d’unair de mauvaise humeur :

– Vous avez réponse à tout.

– Mon très cher ami, par le temps qui court,il ne faut douter de rien.

» Si l’on vous avait dit, il y a vingtans, qu’à cent lieues de distance, vous pourriez parler à l’oreillede quelqu’un, vous auriez affirmé que l’on se moquait de vous,n’est-ce pas ?

» Eh bien ça se fait !…

» Donc ne venez plus me parler de chosesimpossibles.

» Il n’y en a plus.

Nilson, ayant produit ainsi un grand effet surson auditoire, résolut de l’étonner encore davantage.

– J’ai eu, dit-il, l’heureuse chance de causeravec un capitaine qui se trouve parmi les lieutenants deM. d’Ussonville.

» C’est un Marseillais.

» C’est un prestidigitateur étonnant.

» Or, il avait appris que je connaissaisles vertus extraordinaires d’une plante qui guérit les plaies lesplus malsaines.

» J’en tenais le secret d’un sorcierindien auquel je l’avais acheté.

Ce capitaine Castarel me dit :

– Mon pauvre master Nilson, vous voilà ruinéde fond en comble.

» Vous allez vous trouver sur le pavéaprès avoir été rapatrié à Montréal.

» Mais, avec cinq mille dollars, un hommepeut toujours se relever.

» Je vous les offre pour votresecret.

– Cinq mille dollars !

– Oui.

» Et ça les vaut !

» Marché fait, vous pensez bien.

– Parbleu !

– Et je me suis mis à soigner un Indien dontle bras était déjà gangrené.

» Succès complet !

» Le capitaine était resté avec moi aufort River-Peel pour voir la cure, et, comme il est bon garçon,nous avons causé amicalement, quoique son chef, l’inspecteurgénéral, m’eût destitué, ce à quoi il ne pouvait rien.

» Car M. d’Ussonville, bien aucourant de tout, s’attendait à notre hostilité et il s’est arrangépour être le maître et pour nous destituer.

» Pas commode, le commandant.

» Avec lui, ce qui est dit est dit, cequi est fait est fait.

» Jamais il ne revient sur ce qu’il adécidé.

» C’est un Basque.

» Homme terrible.

» Tout d’une pièce.

» Mais ça ne m’a pas empêché d’apprécierM. Castarel, homme aimable.

» Et nous avons causé des projets de sonchef et des grands moyens qu’il a de les réaliser.

– Bon ! dit un des directeursdestitués.

» Je vous ai écouté avec attention, et,moi, je suis capable de vous comprendre.

L’Ours-Blanc furieux :

– C’est donc à dire que j’en suis incapable,master Chirpick ?

L’autre :

– Ai-je dit cela ?

– Vous l’insinuez.

– Pas du tout.

» Si on parlait de manger un bon morceauet de boire un bon coup et si je déclarais que je suis en état dele faire, cela voudrait-il dire que vous en êtesincapable ?

» Je dis tout simplement à monex-collègue Nilson que si, par ses études, il est à même decomprendre ce que lui a dit le capitaine Castarel, moi, ex-très bonélève de l’académie de Montréal, je suis à sa hauteur.

» Quant à vous, cher ex-collègue, je neprétends pas que, malgré votre manque d’instruction supérieure,vous soyez incapable de comprendre.

» C’est votre affaire.

» Si vous comprenez, tant mieux ; sivous ne comprenez pas, tant pis.

Tous les autres se mirent à rire.

L’Ours-Blanc furieux proféra des menaces etdonna de violents signes de colère.

Nilson lui dit :

– Quand vous vous battrez l’estomac comme unours qui est en fureur, ça ne fera pas que master Chirpick ait eutort.

» Un homme ne peut tout avoir.

» Vous possédez une force physique quifait notre admiration à tous.

» Vous êtes l’Hercule de notre société etHercule fut un demi-dieu.

» Pour que nous soyons vos égaux, il fautbien que nous ayons quelque chose que vous n’avez pas ; cequelque chose est l’instruction supérieure.

» Mais enfin je vais vous dire une chosequi, quoique étonnante, peut être perçue par l’esprit le plusobtus.

» Il faut qu’il y mette autant de bonnevolonté que j’en mettrai.

» Je parlerai la langue de tout le monde,pas la langue scientifique.

L’Ours-Blanc grogna :

– Parlez hébreu si vous voulez, ça m’est égal,vous ne direz que des bêtises.

» Quand vous prétendez qu’un homme peutaller au centre de la terre chercher du feu pour allumer son cigareet qu’il ira se promener la canne à la main dans les astres, vousdevez bien comprendre qu’un homme de bon sens ne croira jamais àces balivernes.

» Donc, blaguez tout à votre aise.

Nilson, avec ironie :

– Merci de la permission.

Et, après avoir laissé ses camarades rire toutà leur aise de la sortie de l’Ours-Blanc qui prit l’attitude laplus rogue, il dit :

– Messieurs, vous savez que le rêve de touthomme à la tête d’une grosse affaire cosmopolite serait de sedédoubler à chaque instant, pour être partout, en une journée, enun clin d’œil.

» À New-York à neuf heures du matin, àParis à dix heures, à Chicago à onze, etc.

Il traiterait ses affaires lui-même.

– Mais, dit Chirpick, il a le télégramme, etil aura bientôt partout le téléphone.

– Incommode !

» Incomplet !

» Imparfait !

» Cela vaut-il sa présenceeffective ?

» Non.

» Comment l’obtenir ?

» Rien de plus simple.

L’Ours-Blanc ricanait :

– Et vous allez me dire qu’un homme pourraêtre à neuf heures à New-York, à dix heures à Paris, à onze heuresà Chicago.

» J’ouvre mes oreilles aussi grandes quedes portes cochères pour vous entendre.

» J’espère que si vous osez affirmer unechose aussi monstrueusement absurde, tous les camarades vousconspueront comme moi.

» C’est assez abuser de la crédulitéhumaine.

– Bon ! bon !

» Je prie seulement mes amis de m’écouterun petit instant.

» Ceux qui sont ici ont-ils assisté à desexpériences de magnétisme ?

– Oui ! oui !

– Ont-ils vu suggestionner un sujet ?

– Oui !

– Est-ce que le sujet, une fois qu’il a étémis sous l’action magnétique du suggestionneur ne reçoit pas entout et pour tout l’impulsion de celui-ci qui s’est, en quelquesorte, dédoublé en lui, en annihilant son être pour y substituer lesien, au point de faire commettre un crime au malheureux sujet sibon lui semble ?

– C’est vrai !

– À ce point, dit Chirpick, que les tribunauxont reconnu l’irresponsabilité du ou de la suggestionné ;chose jugée.

» Vos conclusions, Nilson ?

» Je les entrevois du reste.

– Le commandant d’Ussonville prétend qu’unhomme doué du pouvoir magnétique pourrait avoir un représentantdans les villes du monde importantes : il l’appellerait autélégraphe.

» Vous savez que, quand un individu a étésuggestionné par un autre, il le sera toujours, chaque fois que lacommunication s’établira entre eux.

» Or quel meilleur moyen que letélégraphe pour établir la communication magnétique ?

– C’est très clair !

– Oui, ami Chirpick !

» Oui c’est clair.

» Il faut être une brute, une buse, unignorant obstiné pour ne pas l’admettre.

Tous, sauf l’Ours-Blanc :

– C’est vrai.

» Hourrah pour Nilson.

Celui-ci triomphant :

– Vous voyez les conséquences. L’hypnotiseur àdistance suggère bien sa pensée au sujet d’une affaire àl’hypnotisé par le télégraphe.

» Il l’imprègne de ses intentions.

» L’autre représentant consacré etautorisé, traite l’affaire dans le sens voulu.

» Et, s’il y a des difficultés, il se meten relations télégraphiques avec son médium, son patron, qui luiinsuffle ce qu’il y a à faire.

– Bravo !

» Hurrah !

» Splendide !

Cet enthousiasme écrasa l’Ours-Blanc, qui semit à grogner :

– Alors un homme vivrait pour ainsi dire danscinq, dix, trente autres hommes ?

Chirpick :

– Certainement.

» Le phénomène du dédoublement a du resteété constaté.

» C’est la base du système.

Et Nilson :

– Ça fonctionne !

» M. d’Ussonville, dont le pouvoirmagnétique est énorme, suggestionne dans les succursales de sesétablissements un sujet qui transmet tous ses ordres au directeurde la succursale, bien mieux, bien plus commodément, bien plusdélicatement et bien moins coûteusement que par le moyen, je ne dirai pas du télégraphe, il s’en sert, mais du télégramme ou même dutéléphone, là où celui-ci fonctionne.

» Voilà un problème résolu et c’est unprogrès immense.

L’Ours Blanc se leva écumant de rage, et sebattit la poitrine comme il en avait l’habitude ets’écria :

– Ah ça, voyons !

» Est-ce pour me faire entendre l’élogede mon ennemi qu’on m’a fait venir ici ?

» Qu’est-ce qu’il veut Nilson ?

» Et Potruck ?

» Ils ont l’air de s’entendre ensemblecomme larrons en foire.

» Si vous avez une proposition à faire,faites-la et on vous écoutera.

» On discutera…

» Avec méfiance…

» Vous faites trop l’éloge de cetinspecteur, pour qu’il n’y ait pas anguille sous roche ou serpentsous la pierre.

» Parlez donc sérieusement, si vous avezquelque chose de sérieux à dire.

» J’attends.

Sur cette sortie, il se rassit trèsmajestueusement, non sans grogner.

Une habitude.

Nilson prit la parole.

– Mes camarades, dit-il, quand on entre enlutte avec un homme, il est bon de le connaître ; ça serttoujours.

» Voilà pourquoi je vous ai tracé lecaractère de M. d’Ussonville.

» Nous pouvons tenir pour certain qu’unpareil homme n’agit jamais par petit et mesquin intérêt personnel,par amour du lucre.

» C’est chose importante que de lesavoir, pour tabler là-dessus.

» Or, M. d’Ussonville nous aruinés.

» Je voudrais prendre ma revanche avecvous et le forcer à nous enrichir.

» Qu’en pensez-vous ?

– Bonne idée !

– Dame, s’il y a moyen ! »

– Il me serait fort agréable de tirer quelquesmillions de dollars de ce monsieur !

– Nilson, votre idée ?

L’Ours-Blanc, au milieu de ce concertd’approbation n’avait dit mot.

Il boudait.

Nilson se leva cérémonieusement, fit planersur l’assemblée un regard d’une expression singulière etindéfinissable et il dit :

– Gentlemen, dans une assemblée qui serespecte, il faut observer les usages.

» J’ai voulu vous consulter sur ce quenous pourrions bien faire pour forcer la main àM. d’Ussonville et le mettre à contribution.

» Or, gentlemen, nous avons ici uncamarade qui a droit à parler avant tous.

» Intelligent, rusé, expérimenté, trèsfort en un mot, tête réfléchie, sachant mûrir un dessein, il sauranous donner un plan.

» C’est notre doyen.

» Donc, Ours-Blanc, je vous donne laparole et je vous demande :

» Que faut-il faire ?

Tous, malicieusement :

– Très bien !

– Très bien !

– Qu’il parle !

L’Ours, fort embarrassé, se leva, se dandina,puis il toussa, puis il dit :

– Je n’ai pas assez réfléchi pour donner monavis sur cette affaire.

» Que celui qui l’a mise en avant lasoutienne.

On rit beaucoup.

Chirpick s’écria :

– Que voilà bien la finesse d’un ours quicraint de se compromettre.

» Admirable !

» On a raison de vanter votre sagacité,mon cher camarade.

» Mais si tout le monde vous imitait,nous n’avancerions à rien.

» Nilson, mon ami, exposez-nous votreplan, vous devez en avoir un.

– Je n’en suis pas l’inventeur.

» Plan connu !

» Plan classique !

» Vous savez tous, mes chers camarades,comment procèdent les brigands italiens.

» Ils enlèvent et mettent à larançon.

» Je propose de faire de même.

– Enlever M. d’Ussonville ?

– Ce serait peut-être difficile.

» Mais il a sa nièce.

» Mais deux capitaines ont leursfemmes.

» De plus, il y a deux anciennescambacérès de Béhanzin, générales de sa garde, qui ont commandé unecompagnie d’amazones recrutées par M. d’Ussonville pours’assurer la possession de la Montagne d’Or qu’il avait découverteen Australie.

» Tout ce monde là est riche, très riche,richissime, cent millionnaire au moins.

» Il faut vous dire que ces dames ont ledémon de la chasse au cœur.

» Je table là-dessus.

» Elles iront chasser certainement.

» Si nous parvenons à leur dresser uneembuscade et à les surprendre, nous nous retirerons en lieu sûr etnous négocierons la mise en liberté de ces dames, moyennant bellesomme.

» Je ne me dissimule pas que l’affaireest très chatouilleuse.

» Mais, à nous tous, nous trouverons bienun bon moyen de nous cacher et de nous emparer de ces dames àl’improviste.

» Qu’en pensez-vous ?

– Ce serait parfait, dit Chirpick, si nousavions le moyen de passer sur la glace, dans l’île de Banks où ilsvont construire leur deuxième hôtel polaire.

» Mais, à cette époque de l’année, la merest libre et nous n’avons pas de barques.

– Eh mais, fit l’Ours-Blanc, on pourraitpasser en pirogues.

– Et les chevaux !

» Il nous faut des provisions, destentes, car il n’y a pas de bois dans l’île, des bagages, donc deschevaux.

» Pas moyen de s’en passer.

– Eh bien ! alors.

» Il faudrait construire un radeau.

– C’est une idée.

– Un grand radeau.

» C’est facile.

» On se munira de plusieurs mats, d’unevoile, de pagaies.

» En peu d’heures, par un beau temps,nous passerons dans l’île.

» Là, nous aviserons.

– Nilson, vous êtes la meilleure tête de noustous ! dit Chirpick.

– Après notre doyen ! fit Nilson.

L’Ours-Blanc avec bonhomie :

– Non ! non !

» Mais, en vérité, vous vous moquez tropde moi, mon cher camarade.

– C’est qu’aussi vous grognez trop et vouscritiquez trop, mon cher Ours.

– Chacun a son petit caractère.

– Messieurs, que chacun aille se prépare, semunir de tout ce qui lui est nécessaire ; car, enfin, si duresqu’aient été les exigences de M. d’Ussonville pour lesredditions de compte, il vous reste quelque chose.

» Rendez-vous ici.

» J’ai choisi ce lieu parce qu’il est aucentre de forts dont chacun de nous relève.

» Je ne doute pas que nos successeurs nese montrent assez modérés dans leurs prix de vente pour nosprovisions.

» Je vous engage à dire que vous allez auKlondike tenter fortune dans les mines d’or.

» Sur ce, dînons.

Tout le monde, enchanté, s’assit sur despierres, près du feu.

Déjà le froid pinçait.

On fit honneur au repas, puis après une courtecauserie, on se coucha fatigué.

Le lendemain, chacun troussait bagage, montaiten selle et l’on se séparait.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer