Une demande en mariage

Une demande en mariage

d’ Anton Pavlovitch Tchekhov
PERSONNAGES

TCHOUBOUKOV STEPAN STEPANOVITCH, propriétaire.

NATALIA STEPANOVNA, sa fille, vingt-cinq ans.

LOMOV IVAN VASSILIEVITCH, voisin de Tchouboukov, propriétaire foncier. – Bien portant, en bonne chair,s’écoutant beaucoup.

L’action se passe dans la propriété de Tchouboukov.

Scène première

Un salon dans la maison de Tchouboukov.

TCHOUBOUKOV, LOMOV, ce dernier en habit et gantsblancs.

TCHOUBOUKOV, venant à la rencontre deLomov. – Mon mignon, que vois-je ? Ivan Vassilievitch ! Tout à fait heureux ! (Il lui serre la main.) En voilà vraiment une surprise, mon vieux !… Comment allez-vous ?

LOMOV. – Je vous remercie. Et vous, comment vous portez-vous ?

TCHOUBOUKOV. – Nous allons tout doucement, mon ange, grâce à vos prières, et ainsi de suite. Asseyez-vous, je vous en prie de la façon la plus instante… C’est mal, vraiment,d’oublier ses voisins. Mon mignon, mais pourquoi venez-vous si officiellement ? En habit ? Gants blancs et ainsi de suite. Vous allez quelque part, mon bijou ?

LOMOV. – Non, je ne viens que chez vous,estimable Stepan Stepanovitch…

TCHOUBOUKOV. – Alors pourquoi en habit, moncharmant ? Tout comme au jour de l’an, pour lesvisites !

LOMOV. – Voilà ce qu’il y a. (Ille prend sous le bras.) Je viens chez vous, estimableStepan Stepanovitch, pour vous importuner d’une demande. J’ai eul’honneur plus d’une fois de faire appel à votre aide, et toujoursvous… comment dire… mais excusez-moi, je suis agité… je vais boireun verre d’eau, estimable Stepan Stepanovitch.

Il boit de l’eau.

TCHOUBOUKOV, à part. – Il vientm’emprunter de l’argent ! Je n’en donnerai pas ! (àLomov.) De quoi s’agit-il, mon beau ?

LOMOV. – Voyez-vous, Ouvajaï Stepanovitch…pardon… Stepan Ouvajaïévitch… je suis à vrai dire extrêmementagité, comme vous devez le voir[1]. Bref, vousseul pouvez m’aider, bien qu’assurément je ne l’aie mérité en rienet… et que je n’aie pas le droit de compter sur votre aide…

TCHOUBOUKOV. – Ah ! n’allez pas cherchersi loin, mon vieux. Parlez !… Alors ?

LOMOV. – Tout de suite. Une minute… Il y a queje suis venu demander la main de votre fille, NataliaStepanovna.

TCHOUBOUKOV, joyeusement… –Maman ! Ivan Vassilievitch ! Répétez ; je n’ai pasbien entendu !

LOMOV. – J’ai l’honneur de demander…

TCHOUBOUKOV, l’interrompant. – Monmignon… Je suis si content et ainsi de suite. Comme je vous le dis,et ainsi de suite. (Il l’étreint et le baise.) Jedésirais cela depuis longtemps. C’était mon constant désir.(Il laisse couler une larme.) Et je vous aitoujours aimé, mon ange, comme mon propre fils. Que Dieu vous donneà tous les deux amour, accord, et ainsi de suite. Je l’ai beaucoupdésiré… Qu’ai-je à rester planté, comme une bûche ? Je suisdémonté par la joie, tout à fait démonté. Oh ! je suis de toutcœur !… Je vais appeler Natalia, et autres chosessemblables.

LOMOV, ému. – Estimable StepanStepanovitch, pensez-vous que je puisse espérer sonconsentement ?

TCHOUBOUKOV. – Un si beau garçon, dans laforce du mot, et… elle ne consentirait pas ! Je parie qu’elleest amoureuse comme une chatte, et ainsi de suite. Àl’instant !

Il sort.

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