Zonzon Pépette- Fille de Londres

Zonzon Pépette- Fille de Londres

d’ André Baillon

À GERMAINE LIEVENS

Voce magnaclamavit : Lazare veni foras.

Chapitre 1 AU CERCLE

Tout marcha bien. Le type, un gros angliche,lui donna deux guinées et ne se rhabilla pas si vite qu’elle n’eût auparavant le temps de lui chiper son portefeuille. Elle lui laissa sa montre, parce que, demain, il y aurait encore des montres. Son coup fait, elle pensa, comme au temps de Paris :

– Salaud, je t’emmerde.

Elle n’eut pas à remettre de chapeau ;elle n’en mettait jamais. Un coup de pouce au chignon, un coup de poing à la jupe, les mains au tablier où sont les poches, puis en route.

Dans la rue, elle se dépêcha pour rejoindre son homme. Quand il ne la suivait pas, elle savait où le trouver : au Cercle, avec les copains. En chemin,près de la Tamise, elle rencontra le policeman qui, un jour,l’avait coffrée ; lui ou un autre. Comme elle marchait vite,il ne pouvait rien lui dire. Elle avait, pour les flics, des idées très précises. Elle tourna la hanche :

– Toi, je t’emmerde !

Ouf ! ce qu’elle suait dans ce cochon deLondres ! Dans ces ruelles, les gens couchaient par terre, etpas tous sur des paillasses : il y avait des hommes avec desfemmes, des vieux, des jeunes, des nichées de pauv’gosses. Celapuait le poivre. Cela puait aussi comme dans une chambre aprèsl’amour. Elle constata ce qu’elle constatait tous les jours :que beaucoup de ces femmes étaient jeunes, avec de bonnes cuisseset de cette chair encore verte qui plaît aux hommes. Ellepensa :

– Sont-elles bêtes, quand il y a tant detypes.

Enfin c’était leur affaire.

On les emmerde !

Au Cercle, elle frappa ses troiscoups. C’était bon, le soir, se retrouver, dans cette espèce decave, et de blaguer, entre camarades, comme si qu’on arrivait toutdroit des ponts de Grenelle. Henry-le-Gosse vint ouvrir. Il tira sacasquette. Il dit :

– Tu sais, ton homme, y s’impatiente.

Elle plaisanta.

– Va donc, je t’emmerde.

Ils étaient au complet, ceux duCercle : le grand D’Artagnan, Ernest-les-Beaux-Yeux,Valère-le-Juste, Louis le Roi des Mecs, les autres :quelques-uns avec leur môme.

Tous ensemble ils s’écrient :

– Ah ! voilà Zonzon Pépette.

Après Joseph, qui l’avait eue dès la Francemais était mort, ils savaient tous qu’elle avait un fessard commepas un, une balafre à travers le ventre, et qu’à certain moment,quand on lui avait vu sa balafre, elle roucoulait entourterelle :

– Oh ! chéri, je t’emmerde.

Il ne restait, à ne pas le savoir, que ce brunD’Artagnan, un prétentieux, qu’elle ne supportait guère.

Pour le moment, c’était Fernand-le-Lutteur.Une seconde fois, après les autres, et à lui seul, puisqu’il étaitle maître, il dit :

– Ah ! voilà Zonzon Pépette.

Il lui plaqua la main au corsage : sitout était en ordre ? Depuis quinze jours, ils s’étaientflanqué pas mal de gifles et de caresses : il s’aimaientbeaucoup. Il était solide. Il portait, en tatoué sur le bras, unrevolver, un autre dans sa poche. Et de plus un casse-tête :un fameux zig.

Elle lui souffla :

– Y a du bon.

Devant tous, elle lui passa les guinées puis,sous la table, le portefeuille : voir ce qu’il renfermait.Elle ne l’avait pas ouvert, elle n’eût pas ouvert un portefeuillesans son homme : c’est pas honnête.

Mince ! Ce qu’il y en avait desbanknotes ! Il les compta, les plia dans sa poche. Elle fut sicontente qu’elle dût crier :

– P’tit salaud, je t’emmerde !

Comme ils étaient riches, ils payèrent auxcopains une tournée : d’abord de ce qu’on voulut, puis uneseconde :

– Du gin pour tout le monde !

Après ce fut entre eux. Elle choisit pour sapart des huîtres bien blanches et, ensuite, un quartier de melonsucré au poivre, avec du gin par là-dessus :

– Bon ça !

Il la regardait s’empiffrer.

Tout alla bien tant que l’autre ne fut pas là.L’autre, c’était la Marie, une grande blonde de Flamande qui venaitde Belgique. Sale Belge ! Zonzon ne l’aimait pas. D’abord,c’était la dernière à D’Artagnan. Ensuite, elle faisait sapoire ; elle venait toujours en chapeau. Et, surtout, un jourelle avait dit :

– Je suis honnête, moi ; je laisseleur portefeuille aux types.

Une pimbêche, quoi !

Quand la Marie entra :

– On t’emmerde, pensa Zonzon.

Ce qu’elle n’avouait pas, c’est qu’elle avaitd’autres raisons de lui en vouloir. Fernand s’en cachait, mais celase voyait ; il avait envie de manger de la viande fade decette Flamande. C’est pas vrai ? Allons donc ! Ilsuffisait, quand il la reluquait, de voir ses yeux ; des yeuxà lui rouler hors de la tête. Et tous les chichis qu’il faisaitautour d’elle !

Ce soir il s’écarta, il fit :

– Eh ! la Marie, si je ne vousdégoûte pas, il y a de la place près de ma cuisse.

C’était assez dire ! Après, Zonzon futencore plus furieuse, parce que cette pimbêche, au lieu de répondreà P’tit homme, allait s’asseoir derrière le banc du sien et lefixait avec des yeux de bête. Pourtant elle ne montra rien :elle leur tourna le dos :

– On vous emmerde.

Puis, elle fit gentiment à Fernand :

– Fernand, si qu’on buvait duvin ?

Les autres ne buvaient que de l’ale.

Elle lui remplit son verre. Avec ce qui restade fond, elle lui frotta une mèche ; cela porte bonheur. Elleen prit un peu pour elle.

Il répondit :

– Fous-moi la paix.

Cela se voyait : il pensait toujours àcette garce ! Cependant, elle se contint encore. La bouteillevide, elle dit :

– Fernand, si qu’on buvait lasuivante ?

Et cette fois assez haut pour qu’on pûtl’entendre, elle ajouta :

– C’est pas avec une Flamande que t’enflûterais, des bouteilles !

Le mot porta : D’Artagnan serra lesdents ; Fernand, en riant, montra les siennes. Et nevoilà-t-il pas ? Zonzon allait lui remplir son verre, quandelle vit qu’avec son pied, il cherchait celui de la Marie. Ilallait arriver et, juste à ce moment, la pimbêche retira lesien !

Nom de nom ! Elle ne put plus se tenir.Elle devint pâle. Elle regarda Marie, elle regarda D’Artagnan, elleregarda son homme et, on ne sait à qui des trois, ellelança :

– Toi ! Je t’emmerde !

Elle avait crié fort. Fût-ce à cause de cemot ? Tout à coup, dans la cave, il y eut un grandtumulte : Fernand sauta sur ses jambes, D’Artagnan sauta surses jambes et, après lui, les autres. Elle eut le temps de voir labéquille de Louis, le Roi des Mecs, s’envoler vers la lampe etvlan ! sur ses grosses fesses, elle s’étala par terre.

Que s’était-il passé ? Quand on ralluma,Zonzon restait toujours par terre. Elle n’était pas même pâle. Satête pendait un peu. Elle avait un grand trou rouge dans le blancdu corsage…

Pauvre Zonzon Pépette !

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