Alcools

de Guillaume Apollinaire

Zone

À la fin tu es las de ce monde ancien

 

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

 

Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine

 

Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes

La religion seule est restée toute neuve la religion

Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

 

Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme

L’Européen le plus moderne c’est vous Pape PieX

Et toi que les fenêtres observent la honte te retient

D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin

Tu lis les prospectus les catalogues lesaffiches qui chantent tout haut

Voilà la poésie ce matin et pour la prose il ya les journaux

Il y a les livraisons à 25 centimes pleinesd’aventures policières

Portraits des grands hommes et mille titresdivers

 

J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’aioublié le nom

Neuve et propre du soleil elle était leclairon

Les directeurs les ouvriers et les bellessténo-dactylographes

Du lundi matin au samedi soir quatre fois parjour y passent

Le matin par trois fois la sirène y gémit

Une cloche rageuse y aboie vers midi

Les inscriptions des enseignes et desmurailles

Les plaques les avis à la façon des perroquetscriaillent

J’aime la grâce de cette rue industrielle

Située à Paris entre la rue Aumont-Thiévilleet l’avenue des Ternes

 

Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’unpetit enfant

Ta mère ne t’habille que de bleu et deblanc

Tu es très pieux et avec le plus ancien de tescamarades René Dalize

Vous n’aimez rien tant que les pompes del’Église

Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleuvous sortez du dortoir en cachette

Vous priez toute la nuit dans la chapelle ducollège

Tandis qu’éternelle et adorable profondeuraméthyste

Tourne à jamais la flamboyante gloire duChrist

C’est le beau lys que tous nous cultivons

C’est la torche aux cheveux roux que n’éteintpas le vent

C’est le fils pâle et vermeil de ladouloureuse mère

C’est l’arbre toujours touffu de toutes lesprières

C’est la double potence de l’honneur et del’éternité

C’est l’étoile à six branches

C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscitele dimanche

 

C’est le Christ qui monte au ciel mieux queles aviateurs

Il détient le record du monde pour lahauteur

 

Pupille Christ de l’œil

Vingtième pupille des siècles il sait yfaire

Et changé en oiseau ce siècle comme Jésusmonte dans l’air

Les diables dans les abîmes lèvent la têtepour le regarder

Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée

Ils crient s’il sait voler qu’on l’appellevoleur

Les anges voltigent autour du jolivoltigeur

Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane

Flottent autour du premier aéroplane

Ils s’écartent parfois pour laisser passerceux que transporte la Sainte-Eucharistie

Ces prêtres qui montent éternellement élevantl’hostie

L’avion se pose enfin sans refermer lesailes

Le ciel s’emplit alors de millionsd’hirondelles

À tire-d’aile viennent les corbeaux lesfaucons les hiboux

D’Afrique arrivent les ibis les flamants lesmarabouts

L’oiseau Roc célébré par les conteurs et lespoètes

Plane tenant dans les serres le crâne d’Adamla première tête

L’aigle fond de l’horizon en poussant un grandcri

Et d’Amérique vient le petit colibri

De Chine sont venus les pihis longs etsouples

Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent parcouples

Puis voici la colombe esprit immaculé

Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paonocellé

Le phénix ce bûcher qui soi-mêmes’engendre

Un instant voile tout de son ardentecendre

Les sirènes laissant les périlleuxdétroits

Arrivent en chantant bellement toutestrois

Et tous aigle phénix et pihis de la Chine

Fraternisent avec la volante machine

 

Maintenant tu marches dans Paris tout seulparmi la foule

Des troupeaux d’autobus mugissants près de toiroulent

L’angoisse de l’amour te serre le gosier

Comme si tu ne devais jamais plus êtreaimé

Si tu vivais dans l’ancien temps tu entreraisdans un monastère

Vous avez honte quand vous vous surprenez àdire une prière

Tu te moques de toi et comme le feu de l’Enferton rire pétille

Les étincelles de ton rire dorent le fond deta vie

C’est un tableau pendu dans un sombremusée

Et quelquefois tu vas le regarder de près

 

Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmessont ensanglantées

C’était et je voudrais ne pas m’en souvenirc’était au déclin de la beauté

 

Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’aregardé à Chartres

Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé àMontmartre

Je suis malade d’ouïr les parolesbienheureuses

L’amour dont je souffre est une maladiehonteuse

Et l’image qui te possède te fait survivredans l’insomnie et dans l’angoisse

C’est toujours près de toi cette image quipasse

 

Maintenant tu es au bord de laMéditerranée

Sous les citronniers qui sont en fleur toutel’année

Avec tes amis tu te promènes en barque

L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deuxTurbiasques

Nous regardons avec effroi les poulpes desprofondeurs

Et parmi les algues nagent les poissons imagesdu Sauveur

 

Tu es dans le jardin d’une auberge auxenvirons de Prague

Tu te sens tout heureux une rose est sur latable

Et tu observes au lieu d’écrire ton conte enprose

La cétoine qui dort dans le cœur de larose

 

Épouvanté tu te vois dessiné dans les agatesde Saint-Vit

Tu étais triste à mourir le jour où tu t’yvis

Tu ressembles au Lazare affolé par le jour

Les aiguilles de l’horloge du quartier juifvont à rebours

Et tu recules aussi dans ta vie lentement

En montant au Hradchin et le soir enécoutant

Dans les tavernes chanter des chansonstchèques

 

Te voici à Marseille au milieu despastèques

 

Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant

 

Te voici à Rome assis sous un néflier duJapon

 

Te voici à Amsterdam avec une jeune fille quetu trouves belle et qui est laide

Elle doit se marier avec un étudiant deLeyde

On y loue des chambres en latin Cubiculalocanda

 

Je m’en souviens j’y ai passé trois jours etautant à Gouda

 

Tu es à Paris chez le juge d’instruction

Comme un criminel on te met en étatd’arrestation

 

Tu as fait de douloureux et de joyeuxvoyages

Avant de t’apercevoir du mensonge et del’âge

Tu as souffert de l’amour à vingt et à trenteans

J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu montemps

 

Tu n’oses plus regarder tes mains et à tousmoments je voudrais sangloter

Sur toi sur celle que j’aime sur tout ce quit’a épouvanté

Tu regardes les yeux pleins de larmes cespauvres émigrants

Ils croient en Dieu ils prient les femmesallaitent des enfants

Ils emplissent de leur odeur le hall de lagare Saint-Lazare

Ils ont foi dans leur étoile comme lesrois-mages

Ils espèrent gagner de l’argent dansl’Argentine

Et revenir dans leur pays après avoir faitfortune

Une famille transporte un édredon rouge commevous transportez votre cœur

Cet édredon et nos rêves sont aussiirréels

Quelques-uns de ces émigrants restent ici etse logent

Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans desbouges

Je les ai vus souvent le soir ils prennentl’air dans la rue

Et se déplacent rarement comme les pièces auxéchecs

Il y a surtout des Juifs leurs femmes portentperruque

Elles restent assises exsangues au fond desboutiques

 

Tu es debout devant le zinc d’un barcrapuleux

Tu prends un café à deux sous parmi lesmalheureux

 

Tu es la nuit dans un grand restaurant

 

Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont dessoucis cependant

Toutes même la plus laide a fait souffrir sonamant

 

Elle est la fille d’un sergent de ville deJersey

 

Ses mains que je n’avais pas vues sont dureset gercées

 

J’ai une pitié immense pour les coutures deson ventre

 

J’humilie maintenant à une pauvre fille aurire horrible ma bouche

 

Tu es seul le matin va venir

Les laitiers font tinter leurs bidons dans lesrues

 

La nuit s’éloigne ainsi qu’une belleMétive

C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive

 

Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie

Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie

 

Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toià pied

Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et deGuinée

Ils sont des Christ d’une autre forme et d’uneautre croyance

Ce sont les Christ inférieurs des obscuresespérances

 

Adieu Adieu

 

Soleil cou coupé

Le pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours

Faut-il qu’il m’en souvienne

La joie venait toujours après la peine.

 

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

 

Les mains dans les mains restons face àface

Tandis que sous

Le pont de nos bras passe

Des éternels regards l’onde si lasse

 

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

 

L’amour s’en va comme cette eau courante

L’amour s’en va

Comme la vie est lente

Et comme l’Espérance est violente

 

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

 

Passent les jours et passent les semaines

Ni temps passé

Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

La Chanson du Mal-Aimé

A Paul Léautaud

 

Et je chantais cette romance

En 1903 sans savoir

Que mon amour à la semblance

Du beau Phénix s’il meurt un soir

Le matin voit sa renaissance.

 

Un soir de demi-brume à Londres

Un voyou qui ressemblait à

Mon amour vint à ma rencontre

Et le regard qu’il me jeta

Me fit baisser les yeux de honte

 

Je suivis ce mauvais garçon

Qui sifflotait mains dans les poches

Nous semblions entre les maisons

Onde ouverte de la Mer Rouge

Lui les Hébreux moi Pharaon

 

Oue tombent ces vagues de briques

Si tu ne fus pas bien aimée

Je suis le souverain d’Égypte

Sa sœur-épouse son armée

Si tu n’es pas l’amour unique

 

Au tournant d’une rue brûlant

De tous les feux de ses façades

Plaies du brouillard sanguinolent

Où se lamentaient les façades

Une femme lui ressemblant

 

C’était son regard d’inhumaine

La cicatrice à son cou nu

Sortit saoule d’une taverne

Au moment où je reconnus

La fausseté de l’amour même

 

Lorsqu’il fut de retour enfin

Dans sa patrie le sage Ulysse

Son vieux chien de lui se souvint

Près d’un tapis de haute lisse

Sa femme attendait qu’il revînt

 

L’époux royal de Sacontale

Las de vaincre se réjouit

Quand il la retrouva plus pâle

D’attente et d’amour yeux pâlis

Caressant sa gazelle mâle

 

J’ai pensé à ces rois heureux

Lorsque le faux amour et celle

Dont je suis encore amoureux

Heurtant leurs ombres infidèles

Me rendirent si malheureux

 

Regrets sur quoi l’enfer se fonde

Qu’un ciel d’oubli s’ouvre à mes vœux

Pour son baiser les rois du monde

Seraient morts les pauvres fameux

Pour elle eussent vendu leur ombre

 

J’ai hiverné dans mon passé

Revienne le soleil de Pâques

Pour chauffer un cœur plus glacé

Que les quarante de Sébaste

Moins que ma vie martyrisés

 

Mon beau navire ô ma mémoire

Avons-nous assez navigué

Dans une onde mauvaise à boire

Avons-nous assez divagué

De la belle aube au triste soir

 

Adieu faux amour confondu

Avec la femme qui s’éloigne

Avec celle que j’ai perdue

L’année dernière en Allemagne

Et que je ne reverrai plus

 

Voie lactée ô sœur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d’ahan

Ton cours vers d’autres nébuleuses

 

Je me souviens d’une autre année

C’était l’aube d’un jour d’avril

J’ai chanté ma joie bien-aimée

Chanté l’amour à voix virile

Au moment d’amour de l’année

Aubade chantée à Laetare l’an passé

C’est le printemps viens-t’en Pâquette

Te promener au bois joli

Les poules dans la cour caquètent

L’aube au ciel fait de roses plis

L’amour chemine à ta conquête

 

Mars et Vénus sont revenus

Ils s’embrassent à bouches folles

Devant des sites ingénus

Où sous les roses qui feuillolent

De beaux dieux roses dansent nus

 

Viens ma tendresse est la régente

De la floraison qui paraît

La nature est belle et touchante

Pan sifflote dans la forêt

Les grenouilles humides chantent

Beaucoup de ces dieux…

Beaucoup de ces dieux ont péri

C’est sur eux que pleurent les saules

Le grand Pan l’amour Jésus-Christ

Sont bien morts et les chats miaulent

Dans la cour je pleure à Paris

 

Moi qui sais des lais pour les reines

Les complaintes de mes années

Des hymnes d’esclave aux murènes

La romance du mal aimé

Et des chansons pour les sirènes

 

L’amour est mort j’en suis tremblant

J’adore de belles idoles

Les souvenirs lui ressemblant

Comme la femme de Mausole

Je reste fidèle et dolent

 

Je suis fidèle comme un dogue

Au maître le lierre au tronc

Et les Cosaques Zaporogues

Ivrognes pieux et larrons

Aux steppes et au décalogue

 

Portez comme un joug le Croissant

Qu’interrogent les astrologues

Je suis le Sultan tout-puissant

O mes Cosaques Zaporogues

Votre Seigneur éblouissant

 

Devenez mes sujets fidèles

Leur avait écrit le Sultan

Ils rirent à cette nouvelle

Et répondirent à l’instant

A la lueur d’une chandelle

Réponse des Cosaques Zaporogues au Sultande Constantinople

Plus criminel que Barrabas

Cornu comme les mauvais anges

Quel Belzébuth es-tu là-bas

Nourri d’immondice et de fange

Nous n’irons pas à tes sabbats

 

Poisson pourri de Salonique

Long collier des sommeils affreux

D’yeux arrachés à coup de pique

Ta mère fit un pet foireux

Et tu naquis de sa colique

 

Bourreau de Podolie Amant

Des plaies des ulcères des croûtes

Groin de cochon cul de jument

Tes richesses garde-les toutes

Pour payer tes médicaments

Voie lactée {1}

Voie lactée ô sœur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons nous d’ahan

Ton cours vers d’autres nébuleuses

 

Regret des yeux de la putain

Et belle comme une panthère

Amour vos baisers florentins

Avaient une saveur amère

Qui a rebuté nos destins

 

Ses regards laissaient une traîne

D’étoiles dans les soirs tremblants

Dans ses yeux nageaient les sirènes

Et nos baisers mordus sanglants

Faisaient pleurer nos fées marraines

 

Mais en vérité je l’attends

Avec mon cœur avec mon âme

Et sur le pont des Reviens-t’en

Si jamais reviens cette femme

Je lui dirai Je suis content

 

Mon cœur et ma tête se vident

Tout le ciel s’écoule par eux

O mes tonneaux des Danaïdes

Comment faire pour être heureux

Comme un petit enfant candide

 

Je ne veux jamais l’oublier

Ma colombe ma blanche rade

O marguerite exfoliée

Mon île au loin ma Désirade

Ma rose mon giroflier

 

Les satyres et les pyraustes

Les égypans les feux follets

Et les destins damnés ou faustes

La corde au cou comme à Calais

Sur ma douleur quel holocauste

 

Douleur qui doubles les destins

La licorne et le capricorne

Mon âme et mon corps incertains

Te fuient ô bûcher divin qu’ornent

Des astres des fleurs du matin

 

Malheur dieu pâle aux yeux d’ivoire

Tes prêtres fous t’ont-ils paré

Tes victimes en robe noire

Ont-elles vainement pleuré

Malheur dieu qu’il ne faut pas croire

 

Et toi qui me suis en rampant

Dieu de mes dieux morts en automne

Tu mesures combien d’empans

J’ai droit que la terre me donne

O mon ombre ô mon vieux serpent

 

Au soleil parce que tu l’aimes

Je t’ai menée souviens-t’en bien

Ténébreuse épouse que j’aime

Tu es à moi en n’étant rien

O mon ombre en deuil de moi-même

 

L’hiver est mort tout enneigé

On a brûlé les ruches blanches

Dans les jardins et les vergers

Les oiseaux chantent sur les branches

Le printemps clair l’Avril léger

 

Mort d’immortels argyraspides

La neige aux boucliers d’argent

Fuit les dendrophores livides

Du printemps cher aux pauvres gens

Qui resourient les yeux humides

 

Et moi j’ai le cœur aussi gros

Qu’un cul de dame damascène

O mon amour je t’aimais trop

Et maintenant j’ai trop de peine

Les sept épées hors du fourreau

 

Sept épées de mélancolie

Sans morfil ô claires douleurs

Sont dans mon cœur et la folie

Veut raisonner pour mon malheur

Comment voulez-vous que j’oublie

Les sept épées

La première est toute d’argent

Et son nom tremblant c’est Pâline

Sa lame un ciel d’hiver neigeant

Son destin sanglant gibeline

Vulcain mourut en la forgeant

 

La seconde nommée Noubosse

Est un bel arc-en-ciel joyeux

Les dieux s’en servent à leurs noces

Elle a tué trente Bé-Rieux

Et fut douée par Carabosse

 

La troisième bleu féminin

N’en est pas moins un chibriape

Appelé Lul de Faltenin

Et que porte sur une nappe

L’Hermès Ernest devenu nain

 

La quatrième Malourène

Est un fleuve vert et doré

C’est le soir quand les riveraines

Y baignent leurs corps adorés

Et des chants de rameurs s’y trainent

 

La cinquième Sainte-Fabeau

C’est la plus belle des quenouilles

C’est un cyprès sur un tombeau

Où les quatre vents s’agenouillent

Et chaque nuit c’est un flambeau

 

La Sixième métal de gloire

C’est l’ami aux si douces mains

Dont chaque matin nous sépare

Adieu voilà votre chemin

Les coqs s’épuisaient en fanfares

 

Et la septième s’exténue

Une femme une rose morte

Merci que le dernier venu

Sur mon amour ferme la porte

Je ne vous ai jamais connue

Voie lactée {2}

Voie lactée ô sœur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d’ahan

Ton cours vers d’autres nébuleuses

 

Les démons du hasard selon

Le chant du firmament nous mènent

A sons perdus leurs violons

Font danser notre race humaine

Sur la descente à reculons

 

Destins destins impénétrables

Rois secoués par la folie

Et ces grelottantes étoiles

De fausses femmes dans vos lits

Aux déserts que l’histoire accable

 

Luitpold le vieux prince régent

Tuteur de deux royautés folles

Sanglote-t-il en y songeant

Quand vacillent les lucioles

Mouches dorées de la Saint-Jean

 

Près d’un château sans châtelaine

La barque aux barcarols chantants

Sur un lac blanc et sous l’haleine

Des vents qui tremblent au printemps

Voguait cygne mourant sirène

 

Un jour le roi dans l’eau d’argent

Se noya puis la bouche ouverte

Il s’en revint en surnageant

Sur la rive dormir inerte

Face tournée au ciel changeant

 

Juin ton soleil ardente lyre

Brûle mes doigts endoloris

Triste et mélodieux délire

J’erre à travers mon beau Paris

Sans avoir le cœur d’y mourir

 

Les dimanches s’y éternisent

Et les orgues de Barbarie

Y sanglotent dans les cours grises

Les fleurs aux balcons de Paris

Penchent comme la tour de Pise

 

Soirs de Paris ivres du gin

Flambant de l’électricité

Les tramways feux verts sur l’échine

Musiquent au long des portées

De rails leur folie de machines

 

Les cafés gonflés de fumée

Crient tout l’amour de leurs tziganes

De tous leurs siphons enrhumés

De leurs garçons vêtus d’un pagne

Vers toi toi que j’ai tant aimée

 

Moi qui sais des lais pour les reines

Les complaintes de mes années

Des hymnes d’esclave aux murènes

La romance du mal aimé

Et des chansons pour les sirènes

Les colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne

Les vaches y paissant

Lentement s’empoisonnent

Le colchique couleur de cerne et de lilas

Y fleurit tes yeux sont comme cettefleur-la

Violatres comme leur cerne et comme cetautomne

Et ma vie pour tes yeux lentements’empoisonne

 

Les enfants de l’école viennent avecfracas

Vêtus de hoquetons et jouant del’harmonica

Ils cueillent les colchiques qui sont commedes mères

Filles de leurs filles et sont couleur de tespaupières

Qui battent comme les fleurs battent au ventdément

 

Le gardien du troupeau chante toutdoucement

Tandis que lentes et meuglant les vachesabandonnent

Pour toujours ce grand pré mal fleuri parl’automne

Palais

A Max Jacob

 

Vers le palais de Rosemonde au fond duRêve

Mes rêveuses pensées pieds nus vont ensoirée

Le palais don du roi comme un roi nus’élève

Des chairs fouettées des roses de laroseraie

 

On voit venir au fond du jardin mespensées

Qui sourient du concert joué par lesgrenouilles

Elles ont envie des cyprès grandesquenouilles

Et le soleil miroir des roses s’est brisé

 

Le stigmate sanglant des mains contre lesvitres

Quel archet mal blessé du couchant letroua

La résine qui rend amer le vin de Chypre

Ma bouche aux agapes d’agneau blancl’éprouva

 

Sur les genoux pointus du monarqueadultère

Sur le mai de son âge et sur son trente etun

Madame Rosemonde roule avec mystère

Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeuxdes Huns

 

Dame de mes pensées au cul de perle fine

Dont ni perle ni cul n’égale l’orient

Qui donc attendez-vous

De rêveuses pensées en marche à l’Orient

Mes plus belles voisines

 

Toc toc Entrez dans l’antichambre le jourbaisse

La veilleuse dans l’ombre est un bijou d’orcuit

Pendez vos têtes aux patères par lestresses

Le ciel presque nocturne a des lueursd’aiguilles

 

On entra dans la salle à manger lesnarines

Reniflaient une odeur de graisse et degraillon

On eut vingt potages dont trois couleursd’urine

Et le roi prit deux œufs pochés dans dubouillon

 

Puis les marmitons apportèrent les viandes

Des rôtis de pensées mortes dans moncerveau

Mes beaux rêves mort-nés en tranches biensaignantes

Et mes souvenirs faisandés en godiveaux

 

Or ces pensées mortes depuis desmillénaires

Avaient le fade goût des grands mammouthsgelés

Les os ou songe-creux venaient desossuaires

En danse macabre aux plis de mon cervelet

 

Et tous ces mets criaient des chosesnonpareilles

Mais nom de Dieu!

Ventre affamé n’a pas d’oreilles

Et les convives mastiquaient à qui mieuxmieux

 

Ah! nom de Dieu! qu’ont donc crié cesentrecôtes

Ces grands pâtés ces os à moelle etmirotons

Langues de feu où sont-elles mespentecôtes

Pour mes pensées de tous pays de tous lestemps

Chantre

Et l’unique cordeau des trompettes marines

Crépuscule

A Mademoiselle Marie Laurencin

 

Frôlée par les ombres des morts

Sur l’herbe où le jour s’exténue

L’arlequine s’est mise nue

Et dans l’étang mire son corps

 

Un charlatan crépusculaire

Vante les tours que l’on va faire

Le ciel sans teinte est constellé

D’astres pâles comme du lait

 

Sur les tréteaux l’arlequin blême

Salue d’abord les spectateurs

Des sorciers venus de Bohême

Quelques fées et les enchanteurs

 

Ayant décroché une étoile

Il la manie à bras tendu

Tandis que des pieds un pendu

Sonne en mesure les cymbales

 

L’aveugle berce un bel enfant

La biche passe avec ses faons

Le nain regarde d’un air triste

Grandir l’arlequin trismégiste

Annie

Sur la côte du Texas

Entre Mobile et Galveston il y a

Un grand jardin tout plein de roses

Il contient aussi une villa

Qui est une grande rose

 

Une femme se promène souvent

Dans le jardin toute seule

Et quand je passe sur la route bordée detilleuls

Nous nous regardons

 

Comme cette femme est mennonite

Ses rosiers et ses vêtements n’ont pas deboutons

Il en manque deux à mon veston

La dame et moi suivons presque le mêmerite

La maison des morts

A Maurice Raynal

 

S’étendant sur les côtés du cimetière

La maison des morts l’encadrait comme uncloître

A l’intérieur de ses vitrines

Pareilles à celles des boutiques de modes

Au lieu de sourire debout

Les mannequins grimaçaient pour l’éternité

 

Arrivé à Munich depuis quinze ou vingtjours

J’étais entré pour la première fois et parhasard

Dans ce cimetière presque désert

Et je claquais des dents

Devant toute cette bourgeoisie

Exposée et vêtue le mieux possible

En attendant la sépulture

 

Soudain

Rapide comme ma mémoire

Les yeux ses rallumèrent

De cellule vitrée en cellule vitrée

Le ciel se peupla d’une apocalypse

Vivace

 

Et la terra plate à l’infini

Comme avant Galilée

Se couvrit de mille mythologies immobiles

Un ange en diamant brisa toutes lesvitrines

Et les morts m’accostèrent

Avec des mines de l’autre monde

 

Mais leur visage et leurs attitudes

Devinrent bientôt moins funèbres

Le ciel et la terre perdirent

Leur aspect fantasmagorique

 

Les morts se réjouissaient

De voir leurs corps trépassés entre eux et lalumière

Ils riaient de voir leur ombre etl’observaient

Comme si véritablement

C’eût été leur vie passée

 

Alors je les dénombrai

Ils étaient quarante-neuf hommes

Femmes et enfants

Qui embellissaient à vue d’œil

Et me regardaient maintenant

Avec tant de cordialité

Tant de tendresse même

Que les prenant en amitié

 

Tout à coup

Je les invitai à une promenade Loin desarcades de leur maison

 

Et tous bras dessus bras dessous

Fredonnant des airs militaires

Oui tous vos péchés sont absous

Nous quittâmes le cimetière

 

Nous traversâmes la ville

Et rencontrions souvent

Des parents des amis qui se joignaient

A la petite troupe des morts récents

Tous étaient si gais

Si charmants si bien portants

Que bien malin qui aurait pu

Distinguer les morts des vivants

 

Puis dans la campagne

On s’éparpilla

Deux chevau-légers nous joignirent

On leur fit fête

Ils coupèrent du bois de viorne

Et de sureau

Dont ils firent des sifflets

Qu’ils distribuèrent aux enfants

 

Plus tard dans un bal champêtre

Les couples mains sur les épaules

Dansèrent au son aigre des cithares

 

Ils n’avaient pas oublié la danse

Ces morts et ces mortes

On buvait aussi

Et de temps à autre une cloche

Annonçait qu’un autre tonneau

Allait être mis en perce

Une morte assise sur un banc

Près d’un buisson d’épine-vinette

Laissait un étudiant

Agenouillé à ses pieds

Lui parler de fiançailles

 

Je vous attendrai

Dix ans vingt ans s’il le faut

Votre volonté sera la mienne

 

Je vous attendrai

Toute votre vie

Répondait la morte

 

Des enfants

De ce monde ou bien de l’autre

Chantaient de ces rondes

Aux paroles absurdes et lyriques

Qui sans doute sont les restes

Des plus anciens monuments poétiques

De l’humanité

 

L’étudiant passa une bague

A l’annulaire de la jeune morte

Voici le gage de mon amour

De nos fiançailles

Ni le temps ni l’absence

Ne nous feront oublier nos promesses

 

Et un jour nous auront une belle noce

Des touffes de myrte

A nos vêtements et dans vos cheveux

Un beau sermon à l’église

De longs discours après le banquet

Et de la musique

De la musique

 

Nos enfants

Dit la fiancée

Seront plus beaux plus beaux encore

Hélas! la bague était brisée

Que s’ils étaient d’argent ou d’or

D’émeraude ou de diamant

Seront plus clairs plus clairs encore

Que les astres du firmament

Que la lumière de l’aurore

Que vos regards mon fiancé

Auront meilleure odeur encore

Hélas! la bague était brisée

Que le lilas qui vient d’éclore

Que le thym la rose ou qu’un brin

De lavande ou de romarin

 

Les musiciens s’en étant allés

Nous continuâmes la promenade

 

Au bord d’un lac

On s’amusa à faire des ricochets

Avec des cailloux plats

Sur l’eau qui dansait à peine

 

Des barques étaient amarrées

Dans un havre

On les détacha

Après que toute la troupe se fut embarquée

Et quelques morts ramaient

Avec autant de vigueur que les vivants

 

A l’avant du bateau que je gouvernais

Un mort parlait avec une jeune femme

Vêtue d’une robe jaune

D’un corsage noir

Avec des rubans bleus et d’un chapeau gris

Orné d’une seule petite plume défrisée

 

Je vous aime

Disait-il

Comme le pigeon aime la colombe

Comme l’insecte nocturne

Aime la lumière

 

Trop tard

Répondait la vivante

Repoussez repoussez cet amour défendu

Je suis mariée

Voyez l’anneau qui brille

Mes mains tremblent

Je pleure et je voudrais mourir

 

Les barques étaient arrivées

A un endroit où les chevau-légers

Savaient qu’un écho répondait de la rive

On ne se lassait point de l’interroger

Il y eut des questions si extravagantes

Et des réponses tellement pleinesd’à-propos

Que c’était à mourir de rire

Et le mort disait à la vivante

 

Nous serions si heureux ensemble

Sur nous l’eau se refermera

Mais vous pleurez et vos mains tremblent

Aucun de nous ne reviendra

 

On reprit terre et ce fut le retour

Les amoureux s’entr’aimaient

Et par couples aux belles bouches

Marchaient à distances inégales

Les morts avaient choisi les vivantes

Et les vivants

Des mortes

Un genévrier parfois

Faisait l’effet d’un fantôme

 

Les enfants déchiraient l’air

En soufflant les joues creuses

Dans leurs sifflets de viorne

Ou de sureau

Tandis que les militaires

Chantaient des tyroliennes

En se répondant comme on le fait

Dans la montagne

 

Dans la ville

Notre troupe diminua peu à peu

On se disait

Au revoir

A demain

A bientôt

Bientôt entraient dans les brasseries

Quelques-uns nous quittèrent

Devant une boucherie canine

Pour y acheter leur repas du soir

 

Bientôt je restai seul avec ces morts

Qui s’en allaient tout droit

Au cimetière

Sous les Arcades

Je les reconnus

Couchés

Immobiles

Et bien vêtus

Attendant la sépulture derrière lesvitrines

 

Ils ne se doutaient pas

De ce qui s’était passé

Mais les vivants en gardaient le souvenir

C’était un bonheur inespéré

Et si certain

Qu’ils ne craignaient point de le perdre

 

Ils vivaient si noblement

Que ceux qui la veille encore

Les regardaient comme leurs égaux

Ou même quelque chose de moins

Admiraient maintenant

Leur puissance leur richesse et leur génie

Car y a-t-il rien qui vous élève

Comme d’avoir aimé un mort ou une morte

On devient si pur qu’on en arrive

Dans les glaciers de la mémoire

A se confondre avec le souvenir

On est fortifié pour la vie

Et l’on n’a plus besoin de personne

Clotilde

L’anémone et l’ancolie

Ont poussé dans le jardin

Où dort la mélancolie

Entre l’amour et le dédain

 

Il y vient aussi nos ombres

Que la nuit dissipera

Le soleil qui les rend sombres

Avec elles disparaîtra

 

Les déités des eaux vives

Laissent couler leurs cheveux

Passe il faut que tu poursuives

Cette belle ombre que tu veux

Cortège

A M. Léon Bailby

 

Oiseau tranquille au vol inverse oiseau

Qui nidifie en l’air

A la limite où notre sol brille déjà

Baisse ta deuxième paupière la terret’éblouit

Quand tu lèves la tête

 

Et moi aussi de près je suis sombre etterne

Une brume qui vient d’obscurcir leslanternes

Une main qui tout à coup se pose devant lesyeux

Une voûte entre vous et toutes leslumières

Et je m’éloignerai m’illuminant au milieud’ombres

 

Et d’alignements d’yeux des astresbien-aimés

 

Oiseau tranquille au vol inverse oiseau

Qui nidifie en l’air

A la limite où brille déjà ma mémoire

Baisse ta deuxième paupière

Ni à cause du soleil ni à cause de laterre

Mais pour ce feu oblong dont l’intensité iras’augmentant

Au point qu’il deviendra un jour l’uniquelumière

 

Un jour

Un jour je m’attendais moi-même

Je me disais Guillaume il est temps que tuviennes

Pour que je sache enfin celui-là que jesuis

Moi qui connais les autres

Je les connais par les cinq sens et quelquesautres

Il me suffit de voir leur pieds pour pouvoirrefaire ces gens à milliers

De voir leurs pieds paniques un seul de leurscheveux

De voir leur langue quand il me plaît de fairele médecin

Ou leurs enfants quand il me plaît de faire leprophète

Les vaisseaux des armateurs la plume de mesconfrères

La monnaie des aveugles les mains desmuets

Ou bien encore à cause du vocabulaire et nonde l’écriture

Une lettre écrite par ceux qui ont plus devingt ans

Il me suffit de sentir l’odeur de leurséglises

L’odeur des fleuves dans leurs villes

Le parfum des fleurs dans les jardinspublics

O Corneille Agrippa l’odeur d’un petit chienm’eût suffi

Pour décrire exactement tes concitoyens deCologne

Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline

Qui t’inspirait l’erreur touchant toutes lesfemmes

Il me suffit de goûter la saveur de laurierqu’on cultive pour que j’aime ou que je bafoue

Et de toucher les vêtements

Pour ne pas douter si l’on est frileux ounon

O gens que je connais

Il me suffit d’entendre le bruit de leurspas

Pour pouvoir indiquer à jamais la directionqu’ils ont prise

Il me suffit de tous ceux-là pour me croire ledroit

De ressusciter les autres

Un jour je m’attendais moi-même

Je me disais Guillaume il est temps que tuviennes

Et d’un lyrique pas s’avançaient ceux quej’aime

Parmi lesquels je n’étais pas

Les géants couverts d’algues passaient dansleurs villes

Sous-marines où les tours seules étaient desîles

Et cette mer avec les clartés de sesprofondeurs

Coulait sang de mes veines et fait battre moncœur

Puis sur cette terre il venait mille peupladesblanches

Dont chaque homme tenait une rose à lamain

Et le langage qu’ils inventaient en chemin

Je l’appris de leur bouche et je le parleencore

Le cortège passait et j’y cherchais moncorps

Tous ceux qui survenaient et n’étaient pasmoi-même

Amenaient un à un les morceaux de moi-même

On me bâtit peu à peu comme on élève unetour

Les peuples s’entassaient et je parusmoi-même

Qu’ont formé tous les corps et les choseshumaines

 

Temps passés Trépassés Les dieux qui meformâtes

Je ne vis que passant ainsi que vouspassâtes

Et détournant mes yeux de ce vide avenir

En moi-même je vois tout le passé grandir

 

Rien n’est mort que ce qui n’existe pasencore

Près du passé luisant demain est incolore

Il est informe aussi près de ce quiparfait

Présente tout ensemble et l’effort etl’effet

Marizibill

Dans la Haute-Rue à Cologne

Elle allait et venait le soir

Offerte à tous en tout mignonne

Puis buvait lasse des trottoirs

Très tard dans les brasseries borgnes

 

Elle se mettait sur la paille

Pour un maquereau roux et rose

C’était un juif il sentait l’ail

Et l’avait venant de Formose

Tirée d’un bordel de Changaï

 

Je connais des gens de toutes sortes

Ils n’égalent pas leurs destins

Indécis comme feuilles mortes

Leurs yeux sont des feux mal éteints

Leurs cœurs bougent comme leurs portes

Le voyageur

A Fernand Fleuret

 

Ouvrez-moi cette porte où je frappe enpleurant

 

La vie est variable aussi bien quel’Euripe

 

Tu regardais un banc de nuages descendre

Avec le paquebot orphelin vers les fièvresfutures

Et de tous ces regrets de tous cesrepentirs

Te souviens-tu

 

Vagues poissons arqués fleurs submarines

Une nuit c’était la mer

Et les fleuves s’y répandaient

 

Je m’en souviens je m’en souviens encore

 

Un soir je descendis dans une aubergetriste

Auprès de Luxembourg

Dans le fond de la salle il s’envolait unChrist

Quelqu’un avait un furet

Un autre un hérisson

L’on jouait aux cartes

Et toi tu m’avais oublié

 

Te souviens-tu du long orphelinat desgares

Nous traversâmes des villes qui tout le jourtournaient

Et vomissaient la nuit le soleil desjournées

O matelots ô femmes sombres et vous mescompagnons

Souvenez-vous-en

 

Deux matelots qui ne s’étaient jamaisquittés

Deux matelots qui ne s’étaient jamaisparlé

Le plus jeune en mourant tomba sur le côté

 

O vous chers compagnons

Sonneries électriques des gares chant desmoissonneuses

Traîneau d’un boucher régiment des rues sansnombre

Cavalerie des ponts nuits livides del’alcool

Les villes que j’ai vues vivaient comme desfolles

 

Te souviens-tu des banlieues et du troupeauplaintif des paysages

 

Les cyprès projetaient sous la lune leursombres

J’écoutais cette nuit au déclin de l’été

Un oiseau langoureux et toujours irrité

Et le bruit éternel d’un fleuve large etsombre

 

Mais tandis que mourants roulaient versl’estuaire

Tous les regards tous les regards de tous lesyeux

Les bords étaient déserts herbussilencieux

Et la montagne à l’autre rive était trèsclaire

 

Alors sans bruit sans qu’on pût voir rien devivant

Contre le mont passèrent des ombresvivaces

De profil ou soudain tournant leurs vaguesfaces

Et tenant l’ombre de leurs lances en avant

 

Les ombres contre le mont perpendiculaire

Grandissaient ou parfois s’abaissaientbrusquement

Et ces ombres barbues pleuraienthumainement

En glissant pas à pas sur la montagneclaire

 

Qui donc reconnais-tu sur ces vieillesphotographies

Te souviens-tu du jour où une vieille abeilletomba dans le feu

C’était tu t’en souviens à la fin de l’été

Deux matelots qui ne s’étaient jamaisquittés

L’aîné portait au cou une chaîne de fer

Le plus jeune mettait ses cheveux blonds entresse

 

Ouvrez-moi cette porte où je frappe enpleurant

 

La vie est variable aussi bien quel’Euripe

Marie

Vous y dansiez petite fille

Y danserez-vous mère-grand

C’est la maclotte qui sautille

Toutes les cloches sonneront

Quand donc reviendrez-vous Marie

 

Les masques sont silencieux

Et la musique est si lointaine

Qu’elle semble venir des cieux

Oui je veux vous aimer mais vous aimer àpeine

Et mon mal est délicieux

 

Les brebis s’en vont dans la neige

Flocons de laine et ceux d’argent

Des soldats passent et que n’ai-je

Un cœur à moi ce cœur changeant

Changeant et puis encor que sais-je

 

Sais-je où s’en iront tes cheveux

Crépus comme mer qui moutonne

Sais-je où s’en iront tes cheveux

Et tes mains feuilles de l’automne

Que jonchent aussi nos aveux

 

Je passais au bord de la Seine

Un livre ancien sous le bras

Le fleuve est pareil à ma peine

Il s’écoule et ne tarit pas

Quand donc finira la semaine

La blanche neige

Les anges les anges dans le ciel

L’un est vêtu en officier

L’un est vêtu en cuisinier

Et les autres chantent

 

Bel officier couleur du ciel

Le doux printemps longtemps après Noël

Te médaillera d’un beau soleil

D’un beau soleil

 

Le cuisinier plume les oies

Ah! tombe neige

Tombe et que n’ai-je

Ma bien-aimée entre mes bras

Poème lu au mariage d’André Salmon

Le 13 juillet 1909

 

En voyant des drapeaux ce matin je ne me suispas dit

Voilà les riches vêtements des pauvres

Ni la pudeur démocratique veut me voiler sadouleur

Ni la liberté en honneur fait qu’on imitemaintenant

Les feuilles ô liberté végétale ô seuleliberté terrestre

Ni les maisons flambent parce qu’on partirapour ne plus revenir

Ni ces mains agitées travailleront demain pournous tous

Ni même on a pendu ceux qui ne savaient pasprofiter de la vie

Ni même on renouvelle le monde en reprenant laBastille

Je sais que seuls le renouvellent ceux quisont fondés en poésie

On a pavoisé Paris parce que mon ami AndréSalmon s’y marie

 

Nous nous sommes rencontrés dans un caveaumaudit

Au temps de notre jeunesse

Fumant tous deux et mal vêtus attendantl’aube

Epris épris des mêmes paroles dont il faudrachanger le sens

Trompés trompés pauvres petits et ne sachantpas encore rire

La table et les deux verres devinrent unmourant qui nous jeta le dernier regard d’Orphée

Les verres tombèrent se brisèrent

Et nous apprîmes à rire

Nous partîmes alors pèlerins de laperdition

A travers les rues à travers les contrées àtravers la raison

Je le revis au bord du fleuve sur lequelflottait Ophélie

Qui blanche flotte encore entre lesnénuphars

Il s’en allait au milieu des Hamletsblafards

Sur la flûte jouant les airs de la folie

Je le revis près d’un moujik mourant compterles béatitudes

En admirant la neige semblable aux femmesnues

Je le revis faisant ceci ou cela en l’honneurdes mêmes paroles

Qui changent la face des enfants et je distoutes ces choses

Souvenir et Avenir parce que mon ami AndréSalmon se marie

 

Réjouissons-nous non pas parce que notreamitié a été le fleuve qui nous a fertilisés

Terrains riverains dont l’abondance est lanourriture que tous espèrent

Ni parce que nos verres nous jettent encoreune fois le regard d’Orphée mourant

Ni parce que nous avons tant grandi quebeaucoup pourraient confondre nos yeux et les étoiles

Ni parce que les drapeaux claquent auxfenêtres des citoyens qui sont contents depuis cent ans d’avoir lavie et de menues choses à défendre

Ni parce que fondés en poésie nous avons desdroits sur les paroles qui forment et défont l’Univers

Ni parce que nous pouvons pleurer sansridicule et que nous savons rire

Ni parce que nous fumons et buvons commeautrefois

Réjouissons-nous parce que directeur du feu etdes poètes

L’amour qui emplit ainsi que la lumière

Tout le solide espace entre les étoiles et lesplanètes

L’amour veut qu’aujourd’hui mon ami AndréSalmon se marie

L’Adieu

J’ai cueilli ce brin de bruyère

L’automne est morte souviens-t’en

Nous ne nous verrons plus sur terre

Odeur du temps brin de bruyère

Et souviens-toi que je t’attends

Salomé

Pour que sourie encore une foisJean-Baptiste

Sire je danserais mieux que les séraphins

Ma mère dites-moi pourquoi vous êtestriste

En robe de comtesse à côté du Dauphin

 

Mon cœur battait battait très fort à saparole

Quand je dansais dans le fenouil enécoutant

Et je brodais des lys sur une banderole

Destinée à flotter au bout de son bâton

 

Et pour qui voulez-vous qu’à présent je labrode

Son bâton refleurit sur les bors duJourdain

Et tous les lys quand vos soldats ô roiHérode

L’emmenèrent se sont flétris dans monjardin

 

Venez tous avec moi là-bas sous lesquinconces

Ne pleure pas ô joli fou du roi

Prends cette tête au lieu de ta marotte etdanse

N’y touchez pas son front ma mère est déjàfroid

 

Sire marchez devant trabants marchezderrière

Nous creuserons un trou et l’y enterrerons

Nous planterons des fleurs et danserons enrond

Jusqu’à l’heure où j’aurai perdu majarretière

Le roi sa tabatière

L’infante son rosaire

Le curé son bréviaire

La porte

La porte de l’hôtel sourit terriblement

Qu’est-ce que cela peut me faire ô mamaman

D’être cet employé pour qui seul rienn’existe

Pi-mus couples allant dans la profonde eautriste

Anges frais débarqués à Marseille hiermatin

J’entends mourir et remourir un chantlointain

Humble comme je suis qui ne suis rien quivaille

 

Enfant je t’ai donné ce que j’avaistravaille

Merlin et la vieille femme

Le soleil ce jour-là s’étalait comme unventre

Maternel qui saignait lentement sur leciel

La lumière est ma mère ô lumière sanglante

Les nuages coulaient comme un fluxmenstruel

 

Au carrefour où nulle fleur sinon la rose

Des vents mais sans épine n’a fleuril’hiver

Merlin guettait la vie et l’éternellecause

Qui fait mourir et puis renaître l’univers

 

Une vieille sur une mule à chape verte

S’en vint suivant la berge du fleuve enaval

Et l’antique Merlin dans la plaine déserte

Se frappait la poitrine en s’écriant Rival

 

O mon être glacé dont le destin m’accable

Dont ce soleil de chair grelotte veux-tuvoir

Ma Mémoire venir et m’aimer ma semblable

Et quel fils malheureux et beau je veuxavoir

 

Son geste fit crouler l’orgueil descataclysmes

Le soleil en dansant remuait son nombril

Et soudain le printemps d’amour etd’héroïsme

Amena par la main un jeune jour d’avril

 

Les voies qui viennent de l’ouest étaientcouvertes

D’ossements d’herbes drues de destins et defleurs

Des monuments tremblants près des charognesvertes

Quand les vents apportaient des poils et desmalheurs

 

Laissant sa mule à petits pas s’en vintl’amante

A petits coups le vent défripait sesatours

Puis les pâles amants joignant leurs mainsdémentes

L’entrelacs de leurs doigts fut leur seul lapsd’amour

 

Elle balla mimant un rythme d’existence

Criant Depuis cent ans j’espérais tonappel

Les astres de ta vie influaient sur madanse

Morgane regardait de haut du mont Gibel

 

Ah! qu’il fait doux danser quand pour vous sedéclare

Un mirage où tout chante et que les ventsd’horreur

Feignent d’être le rire de la lune hilare

Et d’effrayer les fantômes avants-coureurs

 

J’ai fait des gestes blancs parmi lessolitudes

Des lémures couraient peupler lescauchemars

Mes tournoiements exprimaient lesbéatitudes

Qui toutes ne sont rien qu’un pur effet del’Art

 

Je n’ai jamais cueilli que la fleurd’aubépine

Aux printemps finissants qui voulaientdéfleurir

Quand les oiseaux de proie proclamaient leursrapines

D’agneaux mort-nés et d’enfants-dieux qui vontmourir

 

Et j’ai vieilli vois-tu pendant ta vie jedanse

Mais j’eusse été tôt lasse et l’aubépine enfleurs

Cet avril aurait eu la pauvre confidence

D’un corps de vieille morte en mimant ladouleur

 

Et leurs mains s’élevaient comme un vol decolombes

Clarté sur qui la nuit fondit comme unvautour

Puis Merlin s’en alla vers l’est disant Qu’ilmonte

Le fils de ma Mémoire égale de l’Amour

 

Qu’il monte de la fange ou soit une ombred’homme

Il sera bien mon fils mon ouvrage immortel

Le front nimbé de feu sur le chemin deRome

Il marchera tout seul en regardant le ciel

 

La dame qui m’attend se nomme Viviane

Et vienne le printemps des nouvellesdouleurs

Couché parmi la marjolaine et lespas-d’âne

Je m’éterniserai sous l’aubépine en fleurs

Saltimbanques

A Louis Dumur

 

Dans la plaine les baladins

S’éloignent au long des jardins

Devant l’huis des auberges grises

Par les villages sans églises

 

Et les enfants s’en vont devant

Les autres suivent en rêvant

Chaque arbre fruitier se résigne

Quand de très loin ils lui font signe

 

Ils ont des poids ronds ou carrés

Des tambours des cerceaux dorés

L’ours et le singe animaux sages

Quêtent des sous sur leur passage

Le larron

CHŒUR

 

Maraudeur étranger malheureux malhabile

Voleur voleur que ne demandais-tu cesfruits

Mais puisque tu as faim que tu es en exil

Il pleure il est barbare et bonpardonnez-lui

 

LARRON

 

Je confesse le vol des fruits doux des fruitsmûrs

Mais ce n’est pas l’exil que je vienssimuler

Et sachez que j’attends de moyennestortures

Injustes si je rends tout ce que j’ai volé

 

VIEILLARD

 

Issu de l’écume des mers comme Aphrodite

Sois docile puisque tu es beau Naufragé

Vois les sages te font des gestessocratiques

Vous parlerez d’amour quand il aura mangé

 

CHŒUR

 

Maraudeur étranger malhabile et malade

Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit

Qui charma de lueurs Zacinthe et lesCyclades

As-tu feint d’avoir faim quand tu volas lesfruits

 

LARRON

 

Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je auxinsultes

Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman

Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère etl’adulte

De prétexte sinon de s’aimer nuitamment

 

Il y avait des fruits tout ronds comme desâmes

Et des amandes de pomme de pin jonchaient

Votre jardin marin où j’ai laissé mesrames

Et mon couteau punique au pied de cepêcher

 

Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eaufroide

Pendaient parmi les fleurs des citronnierstordus

Les oiseaux de leur bec ont blessé vosgrenades

Et presque toutes les figues étaientfendues

 

L’ACTEUR

 

Il entra dans la salle aux fresques quifigurent

L’inceste solaire et nocturne dans lesnues

Assieds-toi là pour mieux ouïr les voixligures

Au son des cinyres des Lydiennes nues

 

Or les hommes ayant des masques de théâtre

Et les femmes ayant des colliers oùpendaient

La pierre prise au foie d’un vieux coq deTanagre

Parlaient entre eux le langage de laChaldée

 

Les autans langoureux dehors feignaientl’automne

Les convives c’étaient tant de couplesd’amants

Qui dirent tour à tour Voleur je tepardonne

Reçois d’abord le sel puis le pain defroment

 

Le brouet qui froidit sera fade à teslèvres

Mais l’outre en peau de bouc maintient fraisle vin blanc

Par ironie veux-tu qu’on serve un plat defèves

Ou des beignets de fleurs trempés dans du mielblond

 

Une femme lui dit Tu n’invoques personne

Crois-tu donc au hasard qui coule ausablier

Voleur connais-tu mieux les lois malgré leshommes

Veux-tu le talisman heureux de mon collier

 

Larron des fruits tourne vers moi tes yeuxlyriques

Emplissez de noix la besace du héros

Il est plus noble que le paon pythagorique

Le dauphin la vipère mâle ou le taureau

 

Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au ventscythe

Il en est tant venu par la route ou la mer

Conquérants égarés qui s’éloignaient tropvite

Colonnes de clins d’yeux qui fuyaient auxéclairs

 

CHŒUR

 

Un homme bègue ayant au front deux jets deflammes

Passa menant un peuple infime pourl’orgueil

De manger chaque jour les cailles et lamanne

Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil

 

Les puiseurs d’eau barbus coiffés debandelettes

Noires et blanches contre les maux et lessorts

Revenaient de l’Euphrate et les yeux deschouettes

Attiraient quelquefois les chercheurs detrésors

 

Cet insecte jaseur ô poète barbare

Regagnait chastement à l’heure d’y mourir

La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares

Aux crapauds que l’azur et les sourcesmûrirent

 

Un triomphe passait gémir sousl’arc-en-ciel

Avec de blêmes laurés debout dans leschars

Les statues suant les scurriles lesagnelles

Et l’angoisse rauque des paonnes et desjars

 

Les veuves précédaient en égrenant desgrappes

Les évêques noir révérant sans le savoir

Au triangle isocèle ouvert au mors deschapes

Pallas et chantaient l’hymne à la belle maisnoire

 

Les chevaucheurs nous jetèrent dansl’avenir

Les alcancies pleines de cendre ou bien defleurs

Nous aurons des baisers florentins sans ledire

Mais au jardin ce soir tu vins sage etvoleur

 

Ceux de ta secte adorent-ils un signeobscène

Belphégor le soleil le silence ou le chien

Cette furtive ardeur des serpents quis’entr’aiment

 

L’ACTEUR

 

Et le larron des fruits cria Je suischrétien

 

CHŒUR

 

Ah! Ah! les colliers tinteront cherront lesmasques

Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombreprévaut

Ah! Ah! le larron de gauche dans labourrasque

Rira de toi comme hennissent les chevaux

 

FEMME

 

Larron des fruits tourne vers moi tes yeuxlyriques

Emplissez de noix la besace du héros

Il est plus noble que le paon pythagorique

Le dauphin la vipère mâle ou le taureau

 

CHŒUR

 

Ah! Ah! nous secouerons toute la nuit lessistres

La voix ligure était-ce donc un talisman

Et si tu n’es pas de droite tu es sinistre

Comme une tache grise ou le pressentiment

 

Puisque l’absolu choit la chute est unepreuve

Qui double devient triple avant d’avoirété

Nous avouerons que les grossesses nousémeuvent

Les ventres pourront seuls nier l’aséité

 

Vois les vases sont pleins d’humides fleursmorales

Va-t’en mais dénudé puisque tout est ànous

Ouïs du chœur des vents les cadencesplagales

Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou legnou

 

L’ombre équivoque et tendre est le deuil de tachair

Et sombre elle est humaine et puis la nôtreaussi

Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères

Et puis aucun de nous ne croirait tesrécits

 

Il brillait et attirait comme la pantaure

Que n’avait-il la voix et les jupesd’Orphée

Et les femmes la nuit feignant d’être destaures

L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’eneffet

 

Il était pâle il était beau comme un roiladre

Que n’avait-il la voix et les jupesd’Orphée

La pierre prise au foie d’un vieux coq deTanagre

Au lieu du roseau triste et du funèbrefaix

 

Que n’alla-t-il vivre à la cour du roiD’Edesse

Maigre et magique il eût scruté lefirmament

Pâle et magique il eût aimé des poétesses

Juste et magique il eût épargné les démons

 

Va-t’en errer crédule et roux avec tonombre

Soit! la triade est mâle et tu es vierge etfroid

Le tact est relatif mais la vue estoblongue

Tu n’as de signe que le signe de la croix

Le vent nocturne

Oh! les cimes des pins grincent en seheurtant

Et l’on entend aussi se lamenter l’autan

Et du fleuve prochain à grand’voixtriomphales

Les elfes rire au vent ou corner auxrafales

Attys Attys Attys charmant et débraillé

C’est ton nom qu’en la nuit les elfes ontraillé

Parce qu’un de tes pins s’abat au ventgothique

La forêt fuit au loin comme une arméeantique

Dont les lances ô pins s’agitent autournant

Les villages éteints méditent maintenant

Comme les vierges les vieillards et lespoètes

Et ne s’éveilleront au pas de nul venant

Ni quand sur leurs pigeons fondront lesgypaètes

Lul de Faltenin

A Louis de Gonzague Frick

 

Sirènes j’ai rampé vers vos

Grottes tiriez aux mers la langue

En dansant devant leurs chevaux

Puis battiez de vos ailes d’anges

Et j’écoutais ces chœurs rivaux

 

Une arme ô ma tête inquiète

J’agite un feuillage défleuri

Pour écarter l’haleine tiède

Qu’exhalent contre mes grands cris

Vos terribles bouches muettes

 

Il y a là-bas la merveille

Au prix d’elle que valez-vous

Le sang jaillit de mes otelles

A mon aspect et je l’avoue

Le meurtre de mon double orgueil

 

Si les bateliers ont ramé

Loin des lèvres à fleur de l’onde

Mille et mille animaux charmés

Flairent la route à la rencontre

De mes blessures bien-aimées

 

Leurs yeux étoiles bestiales

Eclairent ma compassion

Qu’importe sagesse égale

Celle des constellations

Car c’est moi seul nuit qui t’étoile

 

Sirènes enfin je descends

Dans une grotte avide J’aime

Vos yeux Les degrés sont glissants

Au loin que vous devenez naines

N’attirez plus aucun passant

 

Dans l’attentive et bien-apprise

J’ai vu feuilloler nos forêts

Mer le soleil se gargarise

Où les matelots désiraient

Que vergues et mâts reverdissent

 

Je descends et le firmament

S’est changé très vite en méduse

Puisque je flambe atrocement

Que mes bras seuls sont les excuses

Et les torches de mon tourment

 

Oiseaux tiriez aux mers la langue

Le soleil d’hier m’a rejoint

Les otelles nous ensanglantent

Dans le nid des Sirènes loin

Du troupeau d’étoiles oblongues

La tzigane

La tzigane savait d’avance

Nos deux vies barrées par les nuits

Nous lui dîmes adieu et puis

De ce puits sortit l’Espérance

 

L’amour lourd comme un ours privé

Dansa debout quand nous voulûmes

Et l’oiseau bleu perdit ses plumes

Et les mendiants leurs Ave

 

On sait très bien que l’on se damne

Mais l’espoir d’aimer en chemin

Nous fait penser main dans la main

A ce qu’a prédit la tzigane

L’ermite

A Félix Fénéon

 

Un ermite déchaux près d’un crâne blanchi

Cria Je vous maudis martyres et détresses

Trop de tentations malgré moi me caressent

Tentations de lune et de logomachies

 

Trop d’étoiles s’enfuient quand je dis mesprières

Ô chef de morte Ô vieil ivoire OrbitesTrous

Des narines rongées J’ai faim Mes criss’enrouent

Voici donc pour mon jeûne un morceau degruyère

 

Ô Seigneur flagellez les nuées du coucher

Qui vous tendent au ciel de si jolis culsroses

Et c’est le soir les fleurs de jour déjà seclosent

Et les souris dans l’ombre incantent leplancher

 

Les humains savent tant de jeux l’amour lamourre

L’amour jeu des nombrils ou jeu de la grandeoie

La mourre jeu du nombre illusoire desdoigts

Saigneur faites Seigneur qu’un jour jem’énamoure

 

J’attends celle qui me tendra ses doigtsmenus

Combien de signes blancs aux ongles lesparesses

Les mensonges pourtant j’attends qu’elle lesdresse

Ses mains énamourées devant moi l’Inconnue

 

Seigneur que t’ai-je fait Vois Je suisunicorne

Pourtant malgré son bel effroiconcupiscent

Comme un poupon chéri mon sexe estinnocent

D’être anxieux seul et debout comme uneborne

 

Seigneur le Christ est nu jetez jetez surlui

La robe sans couture éteignez les ardeurs

Au puits vont se noyer tant de tintementsd’heures

Quand isochrones choient des gouttes d’eau depluie

 

J’ai veillé trente nuits sous leslauriers-roses

As-tu sué du sang Christ dans Gethsémani

Crucifié réponds Dis non Moi je le nie

Car j’ai trop espéré en vain l’hématidrose

 

J’écoutais à genoux toquer les battements

Du cœur le sang roulait toujours en sesartères

Qui sont de vieux coraux ou qui sont desclavaines

Et mon aorte était avare éperdument

 

Une goutte tomba Sueur Et sa couleur

Lueur Le sang si rouge et j’ai ri desdamnés

Puis enfin j’ai compris que je saignais dunez

A cause des parfums violents de mes fleurs

 

Et j’ai ri du vieil ange qui n’est pointvenu

De vol très indolent me tendre un beaucalice

J’ai ri de l’aile grise et j’ôte moncilice

Tissé de crins soyeux par de cruels canuts

 

Vertuchou Riotant des vulves des papesses

De saintes sans tétons j’irai vers lescités

Et peut-être y mourir pour ma virginité

Parmi les mains les peaux les mots et lespromesses

 

Malgré les autans bleus je me dresse divin

Comme un rayon de lune adoré par la mer

En vain j’ai supplié tous les saintsaémères

Aucun n’a consacré mes doux pains sanslevain

 

Et je marche Je fuis ô nuit Lilith ulule

Et clame vainement et je vois de grandsyeux

S’ouvrir tragiquement Ô nuit je vois tescieux

S’étoiler calmement de splendides pilules

 

Un squelette de reine innocente est pendu

A un long fil d’étoile en désespoir sévère

La nuit les bois sont noirs et se meurtl’espoir vert

Quand meurt les jour avec un râleinattendu

 

Et je marche je fuis ô jour l’émoi del’aube

Ferma le regard fixe et doux de vieuxrubis

Des hiboux et voici le regard des brebis

Et des truies aux tétins roses comme deslobes

 

Des corbeaux éployés comme des tildes font

Une ombre vaine aux pauvres champs de seiglemûr

Non loin des bourgs où des chaumières sontimpures

D’avoir des hiboux morts cloués à leurplafond

 

Mes kilomètres longs Mes tristessesplénières

Les squelettes de doigts terminant lessapins

Ont égaré ma route et mes rêves poupins

Souvent et j’ai dormi au sol dessapinières

 

Enfin Ô soir pâmé Au bout de mes chemins

La ville m’apparut très grave au son descloches

Et ma luxure meurt à présent quej’approche

En entrant j’ai béni les foules des deuxmains

 

Cité j’ai ri de tes palais tels que destruffes

Blanches au sol fouillé de clairièresbleues

Or mes désirs s’en vont tous à la queue leuleu

Ma migraine pieuse a coiffé sa cucuphe

 

Car toutes sont venues m’avouer leurspéchés

Et Seigneur je suis saint par le vœu desamantes

Zélotide et Lorie Louise et Diamante

Ont dit Tu peux savoir ô toi l’effarouché

 

Ermite absous nos fautes jamais vénielles

Ô toi le pur et le contrit que nous aimons

Sache nos cœurs sache les jeux que nousaimons

Et nos baisers quintessenciés comme dumiel

 

Et j’absous les aveux pourpres comme leursang

Des poétesses nues des fées des formarines

Aucun pauvre désir ne gonfle ma poitrine

Lorsque je vois le soir les coupless’enlaçant

 

Car je ne veux plus rien sinon laisser seclore

Mes yeux couple lassé au verger pantelant

Plein du râle pompeux des groseillerssanglants

Et de la sainte cruauté des passiflores

Automne

Dans le brouillard s’en vont un paysancagneux

Et son bœuf lentement dans le brouillardd’automne

Qui cache les hameaux pauvres etvergogneux

 

Et s’en allant là-bas le paysan chantonne

Une chanson d’amour et d’infidélité

Qui parle d’une bague et d’un cœur que l’onbrise

 

Oh! l’automne l’automne a fait mourirl’été

Dans le brouillard s’en vont deux silhouettesgrises

L’Émigrant de Landor Road

A André Billy.

 

Le chapeau à la main il entra du pieddroit

Chez un tailleur très chic et fournisseur duroi

Ce commerçant venait de couper quelquestêtes

De mannequins vêtus comme il faut qu’on sevête

 

La foule en tous sens remuait en mêlant

Des ombres sans amour qui se traînaient parterre

Et des mains vers le ciel pleins de lacs delumière

S’envolaient quelquefois comme des oiseauxblancs

 

Mon bateau partira demain pour l’Amérique

Et je ne reviendrai jamais

Avec l’argent gardé dans les prairieslyriques

Guider mon ombre aveugle en ces rues quej’aimais

 

Car revenir c’est bon pour un soldat desIndes

Les boursiers ont vendu tous mes crachats d’orfin

Mais habillé de neuf je veux dormir enfin

Sous des arbres pleins d’oiseaux muets et desinges

 

Les mannequins pour lui s’étantdéshabillés

Battirent leurs habits puis les luiessayèrent

Le vêtement d’un lord mort sans avoir payé

Au rabais l’habilla comme un millionnaire

 

Au dehors les années

Regardaient la vitrine

Les mannequins victimes

Et passaient enchaînées

 

Intercalées dans l’an c’étaient les journéesneuves

Les vendredis sanglants et lentsd’enterrements

De blancs et de tout noirs vaincus des cieuxqui pleuvent

Quand la femme du diable a battu son amant

 

Puis dans un port d’automne aux feuillesindécises

Quand les mains de la foule y feuillolaientaussi

Sur le pont du vaisseau il posa sa valise

Et s’assit

 

Les vents de l’Océan en soufflant leursmenaces

Laissaient dans ses cheveux de longs baisersmouillés

Des émigrants tendaient vers le port leursmains lasses

Et d’autres en pleurant s’étaientagenouillés

 

Il regarda longtemps les rives quimoururent

Seuls des bateaux d’enfants tremblaient àl’horizon

Un tout petit bouquet flottant àl’aventure

Couvrit l’Océan d’une immense floraison

 

Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire

Jouer dans d’autres mers parmi tous lesdauphins

Et l’on tissait dans sa mémoire

Une tapisserie sans fin

Qui figurait son histoire

 

Mais pour noyer changées en poux

Ces tisseuses têtues qui sans cesseinterrogent

Il se maria comme un doge

Aux cris d’une sirène moderne sans époux

 

Gonfle-toi vers la nuit O Mer Les yeux dessquales

Jusqu’à l’aube ont guetté de loinavidement

Des cadavres de jours rongés par lesétoiles

Parmi le bruit des flots et des derniersserments

Rosemonde

A André Derain

 

Longtemps au pied du perron de

La maison où entra la dame

Que j’avais suivie pendant deux

Bonnes heures à Amsterdam

Mes doigts jetèrent des baisers

 

Mais le canal était désert

Le quai aussi et nul ne vit

Comment mes baisers retrouvèrent

Celle à qui j’ai donné ma vie

Un jour pendant plus de deux heures

 

Je la surnommai Rosemonde

Voulant pouvoir me rappeler

Sa bouche fleurie en Hollande

Puis lentement je m’en allai

Pour quêter la Rose du Monde

Le brasier

A Paul-Napoléon Roinard

 

J’ai jeté dans le noble feu

Que je transporte et que j’adore

De vives mains et même feu

Ce Passé ces têtes de morts

Flamme je fais ce que tu veux

 

Le galop soudain des étoiles

N’étant que ce qui deviendra

Se même au hennissement mâle

Des centaures dans leurs haras

Et des grand’plaintes végétales

 

Où sont ces têtes que j’avais

Où est le Dieu de ma jeunesse

L’amour est devenu mauvais

Qu’au brasier les flammes renaissent

Mon âme au soleil se dévêt

 

Dans la plaine ont poussé des flammes

Nos cœurs pendent aux citronniers

Les têtes coupées qui m’acclament

Et les astres qui ont saigné

Ne sont que des têtes de femmes

 

Le fleuve épinglé sur la ville

T’y fixe comme un vêtement

Partant à l’amphion docile

Tu subis tous les tons charmants

Qui rendent les pierres agiles

Je flambe dans le brasier

Je flambe dans le brasier à l’ardeuradorable

Et les mains des croyants m’y rejettentmultiple innombrablement

Les membres des intercis flambent auprès demoi

Éloignez du brasier les ossements

Je suffis pour l’éternité à entretenir le feude mes délices

Et des oiseaux protègent de leurs ailes maface et le soleil

 

Ô Mémoire Combien de races qui forlignent

Des Tyndarides aux vipères ardentes de monbonheur

Et les serpents ne sont-ils que les cous descygnes

Qui étaient immortels et n’étaient paschanteurs

Voici ma vie renouvelée

De grands vaisseaux passent et repassent

Je trempe une fois encore mes mains dansl’Océan

 

Voici le paquebot et ma vie renouvelée

Ses flammes sont immenses

Il n’y a plus rien de commun entre moi

Et ceux qui craignent les brûlures

Descendant des hauteurs

Descendant des hauteurs où pense lalumière

Jardins rouant plus haut que tous les cielsmobiles

L’avenir masqué flambe en traversant lescieux

 

Nous attendons ton bon plaisir ô mon amie

 

J’ose à peine regarder la divine mascarade

 

Quand bleuira sur l’horizon la Désirade

 

Au-delà de notre atmosphère s’élève unthéâtre

Que construisit le ver Zamir sansinstrument

Puis le soleil revint ensoleiller lesplaces

D’une ville marine apparue contremont

Sur les toits se reposaient les colombesbasses

 

Et le troupeau de sphinx regagne lasphingerie

A petits pas Il orra le chant du pâtre toutela vie

Là-haut le théâtre est bâti avec le feusolide

Comme les astres dont se nourrit le vide

 

Et voici le spectacle

Et pour toujours je suis assis dans unfauteuil

Ma tête mes genoux mes coudes vainpentacle

Les flammes ont poussé sur moi comme desfeuilles

 

Des acteurs inhumains claires bêtesnouvelles

Donnent des ordres aux hommes apprivoisés

Terre

Ô Déchirée que les fleuves ont reprisée

 

J’aimerais mieux nuit et jour dans lessphingeries

Vouloir savoir pour qu’enfin on m’ydévorât

Rhenanes

Nuit rhénane

Mon verre est plein d’un vin trembleur commeune flamme

Écoutez la chanson lente d’un batelier

Qui raconte avoir vu sous la lune septfemmes

Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’àleurs pieds

 

Debout chantez plus haut en dansant uneronde

Que je n’entende plus le chant du batelier

Et mettez près de moi toutes les fillesblondes

Au regard immobile aux nattes repliées

 

Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes semirent

Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’yrefléter

La voix chante toujours à en râle-mourir

Ces fées aux cheveux verts qui incantentl’été

 

Mon verre s’est brisé comme un éclat derire

Mai

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin

Des dames regardaient du haut de lamontagne

Vous êtes si jolies mais la barques’éloigne

Qui donc a fait pleurer les saulesriverains ?

 

Or des vergers fleuris se figeaient enarrière

Les pétales tombés des cerisiers de mai

Sont les ongles de celle que j’ai tantaimée

Les pétales flétris sont comme sespaupières

 

Sur le chemin du bord du fleuve lentement

Un ours un singe un chien menés par destziganes

Suivaient une roulotte traînée par un âne

Tandis que s’éloignait dans les vignesrhénanes

Sur un fifre lointain un air de régiment

 

Le mai le joli mai a paré les ruines

De lierre de vigne vierge et de rosiers

Le vent du Rhin secoue sur le bord lesosiers

Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues desvignes

La synagogue

Ottomar Scholem et Abraham Lœweren

Coiffés de feutres verts le matin dusabbat

Vont à la synagogue en longeant le Rhin

Et les coteaux où les vignes rougissentlà-bas

 

Ils se disputent et crient des choses qu’onose à peine traduire

Bâtard conçu pendant les règles ou Que lediable entre dans ton père

Le vieux Rhin soulève sa face ruisselante etse détourne pour sourire

Ottomar Scholem et Abraham Lœweren sont encolère

 

Parce que pendant le sabbat on ne doit pasfumer

Tandis que les chrétiens passent avec descigares allumés

Et parce qu’Ottomar et Abraham aiment tousdeux

Lia aux yeux de brebis et dont le ventreavance un peu

 

Pourtant tout à l’heure dans la synagogue l’unaprès l’autre

Ils baiseront la thora en soulevant leur beauchapeau

Parmi les feuillards de la fête descabanes

Ottomar en chantant sourira à Abraham

 

Ils déchanteront sans mesure et les voixgraves des hommes

Feront gémir un Léviathan au fond du Rhincomme une voix d’automne

Et dans la synagogue pleine de chapeaux onagitera les loulabim

Hanoten ne Kamoth bagoim tholahothbaleoumim

Les cloches

Mon beau tzigane mon amant

Écoute les cloches qui sonnent

Nous nous aimions éperdument

Croyant n’être vus de personne

 

Mais nous étions bien mal cachés

Toutes les cloches à la ronde

Nous ont vus du haut des clochers

Et le disent à tout le monde

 

Demain Cyprien et Henri

Marie Ursule et Catherine

La boulangère et son mari

Et puis Gertrude ma cousine

 

Souriront quand je passerai

Je ne saurai plus où me mettre

Tu seras loin Je pleurerai

J’en mourrai peut-être

La Loreley

A Jean Sève

 

A Bacharach il y avait une sorcière blonde

Qui laissait mourir d’amour tous les hommes àla ronde

 

Devant son tribunal l’évêque la fit citer

D’avance il l’absolvit à cause de sabeauté

 

O belle Loreley aux yeux pleins depierreries

De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

 

Je suis lasse de vivre et mes yeux sontmaudits

Ceux qui m’ont regardée évêque en ont péri

 

Mes yeux ce sont des flammes et non despierreries

Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie

 

Je flambe dans ces flammes Ô belle Loreley

Qu’un autre te condamne tu m’as ensorcelé

 

Evêque vous riez Priez plutôt pour moi laVierge

Faites-moi donc mourir et que Dieu vousprotège

 

Mon amant est parti pour un pays lointain

Faites-moi donc mourir puisque je n’aimerien

 

Mon cœur me fait si mal il faut bien que jemeure

Si je me regardais il faudrait que j’enmeure

 

Mon cœur me fait si mal depuis qu’il n’estplus là

Mon cœur me fit si mal du jour où il s’enalla

 

L’évêque fit venir trois chevaliers avec leurslances

Menez jusqu’au couvent cette femme endémence

 

Va t’en Lore en folie va Lore aux yeuxtremblants

Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc

 

Puis ils s’en allèrent sur la route tous lesquatre

La Loreley les implorait et ses yeuxbrillaient comme des astres

 

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher sihaut

Pour voir une fois encore mon beau château

 

Pour me mirer une fois encore dans lefleuve

Puis j’irai au couvent des vierges et desveuves

 

Là-haut le vent tordait ses cheveuxdéroulés

Les chevaliers criaient Loreley Loreley

 

Tout là-bas sur le Rhin s’en vient unenacelle

Et mon amant s’y tient il m’a vue ilm’appelle

 

Mon cœur devient si doux c’est mon amant quivient

Elle se penche alors et tombe dans le Rhin

 

Pour avoir vu dans l’eau la belle Loreley

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux desoleil

Schinderhannes

Dans la foret avec sa bande

Schinderhannes s’est désarmé

Le brigand près de sa brigande

Hennit d’amour au joli mai

 

Benzel accroupi lit la Bible

Sans voir que son chapeau pointu

A plume d’aigle sert de cible

A Jacob Born le mal foutu

 

Juliette Blaesius qui rote

Fait semblant d’avoir le hoquet

Hannes pousse une fausse note

Quand Schulz vient portant un baquet

 

Et s’écrie en versant des larmes

Baquet plein de vin parfumé

Viennent aujourd’hui les gendarmes

Nous aurons bu le vin de mai

 

Allons Julia la mam’zelle

Bois avec nous ce clair bouillon

D’herbes et de vin de Moselle

Prosit Bandit en cotillon

 

Cette brigande est bientôt soûle

Et veut Hannes qui n’en veut pas

Pas d’amour maintenant ma poule

Sers-nous un bon petit repas

 

Il faut ce soir que j’assassine

Ce riche juif au bord du Rhin

Au clair des torches de résine

La fleur de mai c’est le florin

 

On mange alors toute la bande

Pète et rit pendant le dîner

Puis s’attendrit à l’allemande

Avant d’aller assassiner

Rhénane d’automne

A Toussaint-Luca

 

Les enfants des morts vont jouer

Dans le cimetière

Martin Gertrude Hans et Henri

Nul coq n’a chanté aujourd’hui

Kikiriki

 

Les vieilles femmes

Tout en pleurant cheminent

Et les bons ânes

Braillent hi han et se mettent à brouter lesfleurs

Des couronnes mortuaires

 

C’est le jour des morts et de toutes leursâmes

Les enfants et les vieilles femmes

Allument des bougies et des cierges

Sur chaque tombe catholique

Les voiles des vieilles

Les nuages du ciel

Sont comme des barbes de biques

 

L’ait tremble de flammes et de prières

Le cimetière est un beau jardin

Plein de saules gris et de romarins

Il vous vient souvent des amis qu’onenterre

ah! que vous êtes bien dans le beaucimetière

Vous mendiants morts saouls de bière

Vous les aveugles comme le destin

Et vous petits enfants morts en prière

 

Ah! que vous êtes bien dans le beaucimetière

Vous bourgmestres vous bateliers

Et vous conseillers de régence

Vous aussi tziganes sans papiers

La vie vous pourrit dans la panse

La croix vous pousse entre les pieds

 

Le vent du Rhin ulule avec tous les hiboux

Il éteint les cierges que toujours les enfantsrallument

Et les feuilles mortes

Viennent couvrir les morts

 

Des enfants morts parlent parfois avec leurmère

Et des mortes parfois voudraient bienrevenir

 

Oh! je ne veux pas que tu sortes

L’automne est plein de mains coupées

Non non ce sont des feuilles mortes

Ce sont les mains des chères mortes

Ce sont tes mains coupées

Nous avons tant pleuré aujourd’hui

Avec ces morts leurs enfants et les vieillesfemmes

Sous le ciel sans soleil

Au cimetière plein de flammes

 

Puis dans le vent nous nous en retournâmes

 

A nos pieds roulaient des châtaignes

Dont les bogues étaient

Comme le cœur blessé de la madone

Dont on doute si elle eut la peau

Couleur des châtaignes d’automne

Les sapins

Les sapins en bonnets pointus

De longues robes revêtu

Comme des astrologues

Saluent leurs frères abattus

Les bateaux qui sur le Rhin voguent

 

Dans les sept arts endoctrinés

Par les vieux sapins leurs aînés

Qui sont de grands poètes

Ils se savent prédestinés

A briller plus que des planètes

 

A briller doucement changés

En étoiles et enneigés

Aux Noëls bienheureuses

Fêtes des sapins ensongés

Aux longues branches langoureuses

 

Les sapins beaux musiciens

Chantent des noëls anciens

Au vent des soirs d’automne

Ou bien graves magiciens

Incantent le ciel quand il tonne

 

Des rangées de blancs chérubins

Remplacent l’hiver les sapins

Et balancent leurs ailes

L’été ce sont de grands rabbins

Ou bien de vieilles demoiselles

 

Sapins médecins divagants

Ils vont offrant leurs bons onguents

Quand la montagne accouche

De temps en temps sous l’ouragan

Un vieux sapin geint et se couche

Les femmes

Dans la maison du vigneron les femmescousent

Lenchen remplis le poêle et mets l’eau ducafé

Dessus – Le chat s’étire après s’êtrechauffé

– Gertrude et son voisin Martin enfins’épousent

 

Le rossignol aveugle essaya de chanter

Mais l’effraie ululant il trembla dans sacage

Ce cyprès là-bas a l’air du pape en voyage

Sous la neige – Le facteur vient des’arrêter

 

Pour causer avec le nouveau maître d’école

– Cet hiver est très froid le vin sera trèsbon

– Le sacristain sourd et boiteux estmoribond

– La fille du vieux bourgmestre brode uneétole

 

Pour la fête du curé La forêt là-bas

Grâce au vent chantait à voix grave de grandorgue

Le songe Herr Traum survint avec sa sœur FrauSorge

Kaethi tu n’as bien raccommodé ces bas

 

– Apporte le café le beurre et lestartines

La marmelade le saindoux un pot de lait

– Encore un peu de café Lenchen s’il teplaît

– On dirait que le vent dit des phraseslatines

 

– Encore un peu de café Lenchen s’il teplaît

– Lotte es-tu triste O petit cœur – Je croisqu’elle aime

– Dieu garde – Pour ma part je n’aime quemoi-même

– Chut A présent grand-mère dit sonchapelet

 

– Il me faut du sucre candi Leni je tousse

– Pierre mène son furet chasser les lapins

Le vent faisait danser en rond tous lessapins

Lotte l’amour rend triste – Ilse la vie estdouce

 

La nuit tombait Les vignobles aux cepstordus

Devenaient dans l’obscurité des ossuaires

En neige et repliés gisaient là dessuaires

Et des chiens aboyaient aux passantsmorfondus

 

Il est mort écoutez La cloche de l’église

Sonnait tout doucement la mort dusacristain

Lise il faut attiser le poêle qui s’éteint

Les femmes se signaient dans la nuitindécise

 

Septembre 1901 – mai 1902

Signe

Je suis soumis au Chef du Signe del’Automne

Partant j’aime les fruits je déteste lesfleurs

Je regrette chacun des baisers que jedonne

Tel un noyer gaulé dit au vent sesdouleurs

 

Mon Automne éternelle ô ma saison mentale

Les mains des amantes d’antan jonchent tonsol

Une épouse me suit c’est mon ombre fatale

Les colombes ce soir prennent leur derniervol

Un soir

Un aigle descendit de ce ciel blancd’archanges

Et vous soutenez-moi

Laisserez-vous trembler longtemps toutes ceslampes

Priez priez pour moi

 

La ville est métallique et c’est la seuleétoile

Noyée dans tes yeux bleus

Quand les tramways roulaient jaillissaient desfeux pâles

Sur des oiseaux galeux

 

Et tout ce qui tremblait dans tes yeux de messonges

Qu’un seul homme buvait

Sous les feux de gaz roux comme la fausseoronge

O vêtue ton bras se lovait

 

Vois l’histrion tire la langue auxattentives

Un fantôme s’est suicidé

L’apôtre au figuier pend et lentementsalive

Jouons donc cet amour aux dés

 

Des cloches aux sons clairs annonçaient tanaissance

Vois

Les chemins sont fleuris et les palmess’avancent

Vers toi

La dame

Toc toc Il a fermé sa porte

Les lys du jardin sont flétris

Quel est donc ce mort qu’on emporte

 

Tu viens de toquer à sa porte

Et trotte trotte

Trotte la petite souris

Les fiançailles

A Picasso

 

Le printemps laisse errer les fiancésparjures

Et laisse feuilloler longtemps les plumesbleues

Que secoue le cyprès où niche l’oiseaubleu

 

Une Madone à l’aube a pris les églantines

Elle viendra demain cueillir les giroflées

Pour mettre aux nids des colombes qu’elledestine

Au pigeon qui ce soir semblait le Paraclet

 

Au petit bois de citronnierss’énamourèrent

D’amour que nous aimons les dernièresvenues

Les villages lointains sont comme lespaupières

Et parmi les citrons leurs cœurs sontsuspendus

Mes amis m’ont enfin avoué leurmépris

Mes amis m’ont enfin avoué leur mépris

Je buvais à pleins verres les étoiles

Un ange a exterminé pendant que je dormais

Les agneaux les pasteurs des tristesbergeries

De faux centurions emportaient le vinaigre

Et les gueux mal blessés par l’épurgedansaient

Étoiles de l’éveil je n’en connais aucune

Les becs de gaz pissaient leur flamme au clairde lune

Des croque-morts avec des bocks tintaient desglas

A la clarté des bougies tombaient vaille quevaille

Des faux cols sur les flots de jupes malbrossées

Des accouchées masquées fêtaient leursrelevailles

La ville cette nuit semblait un archipel

Des femmes demandaient l’amour et la dulie

Et sombre sombre fleuve je me rappelle

Les ombres qui passaient n’étaient jamaisjolies

Je n’ai plus même pitié de moi

Je n’ai plus même pitié de moi

Et ne puis exprimer mon tourment desilence

Tous les mots que j’avais à dire se sontchangés en étoiles

Un Icare tente de s’élever jusqu’à chacun demes yeux

Et porteur de soleils je brûle au centre dedeux nébuleuses

Qu’ai-je fait aux bêtes théologales del’intelligence

Jadis les morts sont revenus pour m’adorer

Et j’espérais la fin du monde

Mais la mienne arrive en sifflant comme unouragan

J’ai eu le courage de regarder enarrière

J’ai eu le courage de regarder en arrière

Les cadavres de mes jours

Marquent ma route et je les pleure

Les uns pourrissent dans les églisesitaliennes

Ou bien dans de petits bois de citronniers

Qui fleurissent et fructifient

En même temps et en toute saison

D’autres jours ont pleuré avant de mourir dansdes tavernes

Où d’ardents bouquets rouaient

Aux yeux d’une mulâtresse qui inventait lapoésie

Et les roses de l’électricité s’ouvrentencore

Dans le jardin de ma mémoire

Pardonnez-moi mon ignorance

Pardonnez-moi mon ignorance

Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancienjeu des vers

Je ne sais plus rien et j’aime uniquement

Les fleurs à mes yeux redeviennent desflammes

Je médite divinement

Et je souris des êtres que je n’ai pascréés

Mais si le temps venait où l’ombre enfinsolide

Se multipliait en réalisant la diversitéformelle de mon amour

J’admirerais mon ouvrage

J’observe le repos du dimanche

J’observe le repos du dimanche

Et je loue la paresse

Comment comment réduire

L’infiniment petite science

Que m’imposent mes sens

L’un est pareil aux montagnes au ciel

Aux villes à mon amour

Il ressemble aux saisons

Il vit décapité sa tête est le soleil

Et la lune son cou tranché

Je voudrais éprouver une ardeur infinie

Monstre de mon ouïe tu rugis et tu pleures

Le tonnerre te sert de chevelure

Et tes griffes répètent le chant desoiseaux

Le toucher monstrueux m’a pénétrém’empoisonne

Mes yeux nagent loin de moi

Et les astres intacts sont mes maîtres sansépreuve

La bête des fumées a la tête fleurie

Et le monstre le plus beau

Ayant la saveur du laurier se désole

A la fin les mensonges ne me font pluspeur

A la fin les mensonges ne me font pluspeur

C’est la lune qui cuit comme un œuf sur leplat

Ce collier de gouttes d’eau va parer lanoyée

Voici mon bouquet de fleurs de la Passion

Qui offrent tendrement deux couronnesd’épines

Les rues sont mouillées de la pluie denaguère

Des anges diligents travaillent pour moi à lamaison

La lune et la tristesse disparaîtrontpendant

Toute la sainte journée

Toute la sainte journée j’ai marché enchantant

Une dame penchée à sa fenêtre m’a regardélongtemps

M’éloigner en chantant

Au tournant d’une rue je vis desmatelots

Au tournant d’une rue je vis des matelots

Qui dansaient le cou nu au son d’unaccordéon

J’ai tout donné au soleil

Tout sauf mon ombre

 

Les dragues les ballots les sirènesmi-mortes

A l’horizon brumeux s’enfonçaient lestrois-mâts

Les vents ont expiré couronnés d’anémones

O Vierge signe pur du troisième mois

Templiers flamboyants je brûle parmivous

Templiers flamboyants je brûle parmi vous

Prophétisons ensemble ô grand maître jesuis

Le désirable feu qui pour vous se dévoue

Et la girande tourne ô belle ô belle nuit

 

Liens déliés par une libre flamme Ardeur

Que mon souffle éteindra O Morts àquarantaine

Je mire de ma mort la gloire et le malheur

Comme si je visais l’oiseau de laquintaine

 

Incertitude oiseau feint peint quand voustombiez

Le soleil et l’amour dansaient dans levillage

Et tes enfants galants bien ou malhabillés

Ont bâti ce bûcher le nid de mon courage

Clair de lune

Lune mellifluente aux lèvres des déments

Les vergers et les bourgs cette nuit sontgourmands

Les astres assez bien figurent lesabeilles

De ce miel lumineux qui dégoutte destreilles

Car voici que tout doux et leur tombant duciel

Chaque rayon de lune est un rayon de miel

Or caché je conçois la très douce aventure

J’ai peur du dard de feu de cette abeilleArcture

Qui posa dans mes mains des rayonsdécevants

Et prit son miel lunaire à la rose desvents

1909

La dame avait une robe

En ottoman violine

Et sa tunique brodée d’or

Était composée de deux panneaux

S’attachant sur l’épaule

 

Les yeux dansants comme des anges

Elle riait elle riait

Elle avait un visage aux couleurs deFrance

Les yeux bleus les dents blanches et leslèvres très rouges

Elle avait un visage aux couleurs deFrance

 

Elle était décolletée en rond

Et coiffée à la Récamier

Avec de beaux bras nus

 

N’entendra-t-on jamais sonner minuit

 

La dame en robe d’ottoman violine

Et en tunique brodée d’or

Décolletée en rond

Promenait ses boucles

Son bandeau d’or

Et traînait ses petits souliers à boucles

 

Elle était si belle

Que tu n’aurais pas osé l’aimer

 

J’aimais les femmes atroces dans les quartiersénormes

Où naissaient chaque jour quelques êtresnouveaux

Le fer était leur sang la flamme leurcerveau

J’aimais j’aimais le peuple habile desmachines

Le luxe et la beauté ne sont que son écume

Cette femme était si belle

Qu’elle me faisait peur

A la Santé

I

 

Avant d’entrer dans ma cellule

Il a fallu me mettre nu

Et quelle voix sinistre ulule

Guillaume qu’es-tu devenu

 

Le Lazare entrant dans la tombe

Au lieu d’en sortir comme il fit

Adieu adieu chantante ronde

Ô mes années ô jeunes filles

 

II

 

Non je ne me sens plus là

Moi-même

Je suis le quinze de la

Onzième

 

Le soleil filtre à travers

Les vitres

Ses rayons font sur mes vers

Les pitres

 

Et dansent sur le papier

J’écoute

Quelqu’un qui frappe du pied

La voûte

 

III

 

Dans une fosse comme un ours

Chaque matin je me promène

Tournons tournons tournons toujours

Le ciel est bleu comme une chaîne

Dans une fosse comme un ours

Chaque matin je me promène

 

Dans la cellule d’à côté

On y fait couler la fontaine

Avec les clefs qu’il fait tinter

Que le geôlier aille et revienne

Dans la cellule d’à côté

On y fait couler la fontaine

 

IV

 

Que je m’ennuie entre ces murs tout nus

Et peints de couleurs pâles

Une mouche sur le papier à pas menus

Parcourt mes lignes inégales

 

Que deviendrai-je ô Dieu qui connais madouleur

Toi qui me l’as donnée

Prends en pitié mes yeux sans larmes mapâleur

Le bruit de ma chaise enchaînée

 

Et tous ces pauvres cœurs battant dans laprison

L’Amour qui m’accompagne

Prends en pitié surtout ma débile raison

Et ce désespoir qui me gagne

 

V

 

Que lentement passent les heures

Comme passe un enterrement

 

Tu pleureras l’heure où tu pleures

Qui passera trop vitement

Comme passent toutes les heures

 

VI

 

J’écoute les bruits de la ville

Et prisonnier sans horizon

Je ne vois rien qu’un ciel hostile

Et les murs nus de ma prison

 

Le jour s’en va voici que brûle

Une lampe dans la prison

Nous sommes seuls dans ma cellule

Belle clarté Chère raison

 

Septembre 1911.

Automne malade

Automne malade et adoré

Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans lesroseraies

Quand il aura neigé

Dans les vergers

 

Pauvre automne

Meurs en blancheur et en richesse

De neige et de fruits mûrs

Au fond du ciel

Des éperviers planent

Sur les nixes nicettes aux cheveux verts etnaines

Qui n’ont jamais aimé

 

Aux lisières lointaines

Les cerfs ont bramé

 

Et que j’aime ô saison que j’aime tesrumeurs

Les fruits tombant sans qu’on les cueille

Le vent et la forêt qui pleurent

Toutes leurs larmes en automne feuille àfeuille

Les feuilles

Qu’on foule

Un train

Qui roule

La vie

S’écoule

Hôtels

La chambre est veuve

Chacun pour soi

Présence neuve

On paye au mois

 

Le patron doute

Payera-t-on

Je tourne en route

Comme un toton

 

Le bruit des fiacres

Mon voisin laid

Qui fume un âcre

Tabac anglais

 

Ô La Vallière

Qui boite et rit

De mes prières

Table de nuit

 

Et tous ensemble

Dans cet hôtel

Savons la langue

Comme à Babel

 

Fermons nos Portes

À double tour

Chacun apporte

Son seul amour

Cors de chasse

Notre histoire est noble et tragique

Comme le masque d’un tyran

Nul drame hasardeux ou magique

Aucun détail indifférent

Ne rend notre amour pathétique

 

Et Thomas de Quincey buvant

L’opium poison doux et chaste

À sa pauvre Anne allait rêvant

Passons passons puisque tout passe

Je me retournerai souvent

 

Les souvenirs sont cors de chasse

Dont meurt le bruit parmi le vent

Vendémiaire

Hommes de l’avenir souvenez-vous de moi

Je vivais à l’époque où finissaient lesrois

Tour à tour ils mouraient silencieux ettristes

Et trois fois courageux devenaienttrismégistes

 

Que Paris était beau à la fin de septembre

Chaque nuit devenait une vigne où lespampres

Répandaient leur clarté sur la ville etlà-haut

Astres mûrs becquetés par les ivresoiseaux

De ma gloire attendaient la vendange del’aube

 

Un soir passant le long des quais déserts etsombres

En rentrant à Auteuil j’entendis une voix

Qui chantait gravement se taisantquelquefois

Pour que parvînt aussi sur les bords de laSeine

La plainte d’autres voix limpides etlointaines

 

Et j’écoutai longtemps tous ces chants et cescris

Qu’éveillait dans la nuit la chanson deParis

 

J’ai soif villes de France et d’Europe et dumonde

Venez toutes couler dans ma gorge profonde

 

Je vis alors que déjà ivre dans la vigneParis

Vendangeait le raisin le plus doux de laterre

Ces grains miraculeux qui aux treilleschantèrent

 

Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes

Nous voici ô Paris Nos maisons noshabitants

Ces grappes de nos sens qu’enfanta lesoleil

Se sacrifient pour te désaltérer trop avidemerveille

Nous t’apportons tous les cerveaux lescimetières les murailles

Ces berceaux pleins de cris que tu n’entendraspas

Et d’amont en aval nos pensées ô rivières

Les oreilles des écoles et nos mainsrapprochées

Aux doigts allongés nos mains les clochers

Et nous t’apportons aussi cette soupleraison

Que le mystère clôt comme une porte lamaison

Ce mystère courtois de la galanterie

Ce mystère fatal fatal d’une autre vie

Double raison qui est au-delà de la beauté

Et que la Grèce n’a pas connue ni l’Orient

Double raison de la Bretagne où lame àlame

L’océan châtre peu à peu l’anciencontinent

 

Et les villes du Nord répondirent gaiement

 

Ô Paris nous voici boissons vivantes

Les viriles cités où dégoisent et chantent

Les métalliques saints de nos saintesusines

Nos cheminées à ciel ouvert engrossent lesnuées

Comme fit autrefois l’Ixion mécanique

Et nos mains innombrables

Usines manufactures fabriques mains

Où les ouvriers nus semblables à nosdoigts

Fabriquent du réel à tant par heure

Nous te donnons tout cela

 

Et Lyon répondit tandis que les anges deFourvières

Tissaient un ciel nouveau avec la soie desprières

 

Désaltère-toi Paris avec les divinesparoles

Que mes lèvres le Rhône et la Saônemurmurent

Toujours le même culte de sa mortrenaissant

Divise ici les saints et fait pleuvoir lesang

Heureuse pluie ô gouttes tièdes ô douleur

Un enfant regarde les fenêtres s’ouvrir

Et des grappes de têtes à d’ivres oiseauxs’offrit

 

Les villes du Midi répondirent alors

 

Noble Paris seule raison qui vis encore

Qui fixes notre humeur selon ta destinée

Et toi qui te retires Méditerranée

Partagez-vous nos corps comme on rompt deshosties

Ces très hautes amours et leur danseorpheline

Deviendront ô Paris le vin pur que tuaimes

 

Et un râle infini qui venait de Sicile

Signifiait en battement d’ailes cesparoles

 

Les raisins de nos vignes on les avendangés

Et ces grappes de morts dont les grainsallongés

Ont la saveur du sang de la terre et dusel

Les voici pour ta soif ô Paris sous leciel

Obscurci de nuées faméliques

Que caresse Ixion le créateur oblique

Et où naissent sur la mer tous les corbeauxd’Afrique

Ô raisins Et ces yeux ternes et en famille

L’avenir et la vie dans ces treilless’ennuyent

 

Mais où est le regard lumineux des sirènes

Il trompa les marins qu’aimaient cesoiseaux-là

Il ne tournera plus sur l’écueil de Scylla

Où chantaient les trois voix suaves etsereines

 

Le détroit tout à coup avait changé deface

Visages de la chair de l’onde de tout

Ce que l’on peut imaginer

Vous n’êtes que des masques sur des facesmasquées

 

Il souriait jeune nageur entre les rives

Et les noyés flottant sur son ondenouvelle

Fuyaient en le suivant les chanteusesplaintives

Elles dirent adieu au gouffre et àl’écueil

A leurs pâles époux couchés sur lesterrasses

Puis ayant pris leur vol vers le brûlantsoleil

Les suivirent dans l’onde où s’enfoncent lesastres

 

Lorsque la nuit revint couverte d’yeuxouverts

Errer au site où l’hydre a sifflé cethiver

Et j’entendis soudain ta voix impérieuse

Ô Rome

Maudire d’un seul coup mes anciennespensées

Et le ciel où l’amour guide les destinées

 

Les feuillards repoussés sur l’arbre de lacroix

Et même la fleur de lys qui meurt auVatican

Macèrent dans le vin que je t’offre et quia

La saveur du sang pur de celui qui connaît

Une autre liberté végétale dont tu

Ne sais pas que c’est elle la suprêmevertu

 

Une couronne du trirègne est tombée sur lesdalles

Les hiérarques la foulent sous leurssandales

Ô splendeur démocratique qui pâlit

Vienne le nuit royale où l’on tuera lesbêtes

La louve avec l’agneau l’aigle avec lacolombe

Une foule de rois ennemis et cruels

Ayant soif comme toi dans la vigneéternelle

Sortiront de la terre et viendront dans lesairs

Pour boire de mon vin par deux foismillénaire

 

La Moselle et le Rhin se joignent ensilence

C’est l’Europe qui prie nuit et jour àCoblence

Et moi qui m’attardais sur le quai àAuteuil

Quand les heures tombaient parfois comme lesfeuilles

Du cep lorsqu’il est temps j’entendis laprière

Qui joignait la limpidité de ces rivières

 

O Paris le vin de ton pays est meilleur quecelui

Qui pousse sur nos bords mais aux pampres dunord

Tous les grains ont mûri pour cette soifterrible

Mes grappes d’hommes forts saignent dans lepressoir

Tu boiras à longs traits tout le sang del’Europe

Parce que tu es beau et que seul tu esnoble

Parce que c’est dans toi que Dieu peutdevenir

Et tous mes vignerons dans ces bellesmaisons

Qui reflètent le soir leurs feux dans nos deuxeaux

Dans ces belles maisons nettement blanches etnoires

Sans savoir que tu es la réalité chantent tagloire

Mais nous liquides mains jointes pour laprière

Nous menons vers le sel les eauxaventurières

Et la ville entre nous comme entre desciseaux

Ne reflète en dormant nul feu dans ses deuxeaux

Dont quelque sifflement lointain parfoiss’élance

Troublant dans leur sommeil les filles deCoblence

 

Les villes répondaient maintenant parcentaines

Je ne distinguais plus leurs paroleslointaines

Et Trèves la ville ancienne

A leur voix mêlait la sienne

L’univers tout entier concentré dans cevin

Qui contenait les mers les animaux lesplantes

Les cités les destins et les astres quichantent

Les hommes à genoux sur la rive du ciel

Et le docile fer notre bon compagnon

Le feu qu’il faut aimer comme on s’aimesoi-même

Tous les fiers trépassés qui sont un sous monfront

L’éclair qui luit ainsi qu’une penséenaissante

Tous les noms six par six les nombres un àun

Des kilos de papier tordus comme desflammes

Et ceux-là qui sauront blanchir nosossements

Les bons vers immortels qui s’ennuientpatiemment

Des armées rangées en bataille

Des forêts de crucifix et mes demeureslacustres

Au bord des yeux de celle que j’aime tant

 

Les fleurs qui s’écrient hors de bouches

Et tout ce que je ne sais pas dire

Tout ce que je ne connaîtrai jamais

Tout cela tout cela changé en ce vin pur

Dont Paris avait soif

Me fut alors présenté

 

Actions belles journées sommeils terribles

Végétation Accouplements musiqueséternelles

Mouvements Adorations douleur divine

Mondes qui vous rassemblez et qui nousressemblez

Je vous ai bus et ne fut pas désaltéré

 

Mais je connus dès lors quelle saveur al’univers

 

Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers

Sur le quai d’où je voyais l’onde couler etdormir les bélandres

 

Écoutez-moi je suis le gosier de Paris

Et je boirai encore s’il me plaîtl’univers

 

Écoutez mes chants d’universelleivrognerie

 

Et la nuit de septembre s’achevaitlentement

Les feux rouges des ponts s’éteignaient dansla Seine

Les étoiles mouraient le jour naissait àpeine

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