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Cinq leçons sur la psychanalyse

Cinq leçons sur la psychanalyse

de Sigmund Freud

PREMIÈRE LEÇON – Origine de la psychanalyse. Observation du Dr Breuer. Les traumatismes psychiques. Les hystériques souffrent de réminiscences. Le traitement cathartique. L’hystérie de conversion.

Ce n’est pas à moi que revient le mérite – si c’en est un – d’avoir mis au monde la psychanalyse. Je n’ai pas participé à ses premiers commencements. J’étais encore étudiant,absorbé par la préparation de mes derniers examens, lorsqu’un médecin de Vienne, le Dr Joseph Breuer, appliqua pour la première fois ce procédé au traitement d’une jeune fille hystérique (cela remonte aux années 1880 à 1882). Il convient donc de nous occuper tout d’abord de l’histoire de cette malade et des péripéties de son traitement. Mais auparavant encore un mot. Ne craignez pas qu’une formation médicale soit nécessaire pour suivre mon exposé. Nous ferons route un certain temps avec les médecins, mais nous ne tarderons pas à prendre congé d’eux poursuivre le Dr Breuer dans une voie tout à fait originale.

La malade du Dr Breuer était une jeune fille de vingt et un ans, très intelligente, qui manifesta au cours des deux années de sa maladie une série de troubles physiques et mentaux plus ou moins graves. Elle présenta une contracture des deux extrémités droites avec anesthésie ; de temps en temps la même affection apparaissait aux membres du côté gauche; en outre,trouble des mouvements des yeux et perturbations multiples de la capacité visuelle ; difficulté à tenir la tête droite; toux nerveuse intense, dégoût de toute nourriture et, pendant plusieurs semaines, impossibilité de boire malgré une soif dévorante. Elle présentait aussi une altération de la fonction du langage, ne pouvait ni comprendre ni parler sa langue maternelle. Enfin, elle était sujette à des « absences », à des états de confusion, de délire, d’altération de toute la personnalité ;ce sont là des troubles auxquels nous aurons à accorder toute notre attention.

Il semble naturel de penser que des symptômes tels que ceux que nous venons d’énumérer révèlent une grave affection, probablement du cerveau, affection qui offre peu d’espoir de guérison et qui sans doute conduira promptement à la mort. Les médecins diront pourtant que, dans une quantité de cas aux apparences aussi graves, on peut formuler un pronostic beaucoupplus favorable. Lorsque des symptômes de ce genre se rencontrentchez une jeune femme dont les organes essentiels, le cœur, lesreins, etc., sont tout à fait normaux, mais qui a eu à subir deviolents chocs affectifs, et lorsque ces symptômes sedéveloppent d’une façon capricieuse et inattendue, les médecins sesentent rassurés. Ils reconnaissent en effet qu’il s’agit là, nonpas d’une affection organique du cerveau, mais de cet état bizarreet énigmatique auquel les médecins grecs donnaient déjà le nomd’hystérie, état capable de simuler tout un ensemble de troublesgraves, mais qui ne met pas la vie en danger et qui laisse espérerune guérison complète. Il n’est pas toujours facile de distinguerune telle hystérie d’une profonde affection organique. Mais il nenous importe pas ici de savoir comment on établit ce diagnosticdifférentiel ; notons simplement que le cas de la jeune fillede Breuer est de ceux qu’aucun médecin habile ne manquera de rangerdans l’hystérie. Il convient de rappeler ici que les symptômes dela maladie sont apparus alors que la jeune fille soignait son pèrequ’elle adorait (au cours d’une maladie à laquelle il devaitsuccomber) et que sa propre maladie l’obligea à renoncer à cessoins.

Les renseignements qui précèdent épuisent ceque les médecins pouvaient nous apprendre sur le cas qui nousintéresse. Le moment est venu de quitter ces derniers. Car il nefaut pas s’imaginer que l’on a beaucoup fait pour la guérison,lorsqu’on a substitué le diagnostic d’hystérie à celui d’affectioncérébrale organique. L’art médical est le plus souvent aussiimpuissant dans un cas que dans l’autre. Et quand il s’agitd’hystérie, le médecin n’a rien d’autre à faire qu’à laisser à labonne nature le soin d’opérer le rétablissement complet qu’il esten droit de pronostiquer [2].

Si le diagnostic d’hystérie touche peu lemalade, il touche beaucoup le médecin. Son attitude est tout autreà l’égard de l’hystérique qu’à l’égard de l’organique. Il n’accordepas à celui-là le même intérêt qu’à celui-ci, car son mal est bienmoins sérieux, malgré les apparences. N’oublions pas non plus quele médecin, au cours de ses études, a appris (par exemple dans descas d’apoplexie ou de tumeurs) à se représenter plus ou moinsexactement les causes des symptômes organiques. Au contraire, enprésence des singularités hystériques, son savoir, sa scienceanatomique, physiologique et pathologique le laissent en l’air. Ilne peut comprendre l’hystérie, en face d’elle il est incompétent.Ce qui ne vous plaît guère quand on a l’habitude de tenir en hauteestime sa propre science. Les hystériques perdent donc la sympathiedu médecin, qui les considère comme des gens qui transgressent leslois (comme un fidèle à l’égard des hérétiques). Il les jugecapables de toutes les vilenies possibles, les accuse d’exagérationet de simulation intentionnelles ; et il les punit en leurretirant son intérêt.

Le Dr Breuer, lui, n’a pas suivi une telleconduite. Bien que tout d’abord il fût incapable de soulager samalade, il ne lui refusa ni sa bienveillance ni son intérêt. Sansdoute sa tâche fut-elle facilitée par les remarquables qualitésd’esprit et de caractère dont elle témoigna. Et la façonsympathique avec laquelle il se mit à l’observer lui permit bientôtde lui porter un premier secours.

On avait remarqué que dans ses étatsd’absence, d’altération psychique avec confusion, la malade avaitl’habitude de murmurer quelques mots qui semblaient se rapporter àdes préoccupations intimes. Le médecin se fit répéter ses paroleset, ayant mis la malade dans une sorte d’hypnose, les lui répétamot à mot, espérant ainsi déclencher les pensées qui lapréoccupaient. La malade tomba dans le piège et se mit à raconterl’histoire dont les mots murmurés pendant ses états d’absenceavaient trahi l’existence. C’étaient des fantaisies d’une profondetristesse, souvent même d’une certaine beauté – nous dirons desrêveries – qui avaient pour thème une jeune fille auchevet de son père malade. Après avoir exprimé un certain nombre deces fantaisies, elle se trouvait délivrée et ramenée à une viepsychique normale. L’amélioration, qui durait plusieurs heures,disparaissait le jour suivant, pour faire place à une nouvelleabsence que supprimait, de la même manière, le récit des fantaisiesnouvellement formées. Nul doute que la modification psychiquemanifestée pendant les absences était une conséquence del’excitation produite par ces formations fantaisistes d’une vivetonalité affective. La malade elle-même qui, à cette époque de samaladie, ne parlait et ne comprenait que l’anglais, donna à cetraitement d’un nouveau genre le nom de talkingcure ; elle le désignait aussi, en plaisantant, du nom dechimney sweeping.

On remarqua bientôt, comme par hasard, qu’untel «nettoyage » de l’âme faisait beaucoup plus qu’éloignermomentanément la confusion mentale toujours renaissante. Lessymptômes morbides disparurent aussi lorsque, sous l’hypnose, lamalade se rappela avec extériorisation affective, à quelle occasionces symptômes s’étaient produits pour la première fois. Il y avaiteu, cet été-là, une période de très grande chaleur, et la maladeavait beaucoup souffert de la soif, car, sans pouvoir en donner laraison, il lui avait été brusquement impossible de boire. Ellepouvait saisir le verre d’eau, mais aussitôt qu’il touchait seslèvres, elle le repoussait comme une hydrophobe. Durant cesquelques secondes elle se trouvait évidemment en état d’absence.Elle ne se nourrissait que de fruits, pour étancher la soif qui latourmentait. Cela durait depuis environ six semaines, lorsqu’ellese plaignit un jour, sous hypnose, de sa gouvernante anglaisequ’elle n’aimait pas. Elle raconta alors, avec tous les signes d’unprofond dégoût, qu’elle s’était rendue dans la chambre de cettegouvernante et que le petit chien de celle-ci, un animal affreux,avait bu dans un verre. Elle n’avait rien dit, par politesse. Sonrécit achevé, elle manifesta violemment sa colère, restée contenuejusqu’alors. Puis elle demanda à boire, but une grande quantitéd’eau, et se réveilla de l’hypnose le verre aux lèvres. Le troubleavait disparu pour toujours  [3].

Arrêtons-nous un instant à cette expérience.Personne n’avait encore fait disparaître un symptôme hystérique decette manière et n’avait pénétré si profondément dans lacompréhension de ses causes. Quelle découverte grosse deconséquences, si la plupart de ces symptômes pouvaient êtresupprimés de cette manière! Breuer n’épargna aucun effort pour enfaire la preuve. Il étudia systématiquement la pathogenèse d’autressymptômes morbides plus graves. Dans presque chaque cas, ilconstata que les symptômes étaient, pour ainsi dire, comme desrésidus d’expériences émotives que, pour cette raison, nous avonsappelées plus tard traumatismes psychiques ;leurcaractère particulier s’apparentait à la scène traumatique quiles avait provoqués. Selon l’expression consacrée, les symptômesétaient déterminés par les scènes dont ils formaient lesrésidus mnésiques, et il n’était plus nécessaire de voir en eux deseffets arbitraires et énigmatiques de la névrose. Cependant,contrairement à ce que l’on attendait, ce n’était pas toujours d’unseul événement que le symptôme résultait, mais, la plupart dutemps, de multiples traumatismes souvent analogues etrépétés. Par conséquent, il fallait reproduire chronologiquementtoute cette chaîne de souvenirs pathogènes, mais dans l’ordreinverse, le dernier d’abord et le premier à la fin; impossible depénétrer jusqu’au premier traumatisme, souvent le plus profond, sil’on sautait les intermédiaires.

Vous souhaiteriez sans doute d’autres exemplesde symptômes hystériques que celui de l’hydrophobie engendrée parle dégoût d’un chien buvant dans un verre. Mais pour rester fidèleà mon programme, je me limiterai à très peu d’exemples. Breuerraconte que les troubles visuels de sa malade se rapportaient auxcirconstances suivantes : « La malade, les yeux pleins delarmes, était assise auprès du lit de son père, lorsque celui-cilui demanda tout à coup quelle heure il était. Les larmesl’empêchaient de voir clairement ; elle fit un effort, mit lamontre tout près de son oeil et le cadran lui apparut très gros(macropsie et strabisme convergent) ; puis elle s’efforça deretenir ses larmes afin que le malade ne les voiepas [4]. » Toutes ces impressionspathogènes, remarquons-le, dataient de l’époque où elle s’occupaitde son père malade. « Une fois, elle s’éveilla, la nuit, trèsangoissée car le malade avait beaucoup de fièvre, et très énervéecar on attendait un chirurgien de Vienne pour une opération. Samère n’était pas là; Anna était assise au chevet du malade, le brasdroit posé sur le dossier de la chaise. Elle tomba dans un état dedemi-rêve et vit qu’un serpent noir sortait du mur, s’approchait dumalade pour le mordre. (Il est très probable que, dans le pré,derrière la maison, se trouvaient des serpents qui avaient déjàeffrayé la malade et fournissaient le thème de l’hallucination.)Elle voulut chasser l’animal, mais elle était comme paralysée; lebras droit, pendant sur le dossier de la chaise, était« endormi », c’est-à-dire anesthésié et parésié,et,  lorsqu’elle le regarda, les doigts se transformèrent enpetits  serpents avec des têtes de mort (les ongles). Sansdoute fit-elle des efforts pour chasser le serpent avec la maindroite paralysée, et ainsi l’anesthésie et la paralysies’associèrent-elles à l’hallucination du serpent. Lorsque celui-cieut disparu, elle voulut, pleine d’angoisse, se mettre à prier,mais la parole lui manqua, en quelque langue que ce fût. Elle neput s’exprimer qu’en retrouvant enfin une poésie enfantineanglaise, et put alors penser et prier dans cettelangue [5]. » Le rappel de cette scène, soushypnose, fit disparaître la contracture du bras droit qui existaitdepuis le commencement de la maladie, et mit fin au traitement.

Lorsque, bon nombre d’années plus tard, je memis à appliquer à mes propres malades la méthode de recherche et detraitement de Breuer, je fis des expériences qui concordèrent avecles siennes.

Une dame de 40 ans environ avait un tic, unétrange claquement de langue, qui se produisait sans causeapparente. L’origine de ce tic venait de deux événementsdifférents, qui avaient ceci de commun que, par une sorte decontradiction, elle avait fait entendre ce claquement à un momentoù elle désirait vivement ne pas troubler le silence : unefois pour ne pas éveiller son enfant endormi, l’autre fois, lorsd’une promenade en voiture, pour ne pas exciter les chevaux déjàeffrayés par un orage. Je donne cet exemple parmi beaucoup d’autresqu’on trouvera dans les Études sur l’hystérie.

Nous pouvons grosso modo résumer toutce qui précède dans la formule suivante : les hystériquessouffrent de réminiscences. Leurs symptômes sont les résiduset les symboles de certains événements (traumatiques). Symbolescommémoratifs, à vrai dire. Une comparaison nous fera saisir cequ’il faut entendre par là. Les monuments dont nous ornons nosgrandes villes sont des symboles commémoratifs du même genre.Ainsi, à Londres, vous trouverez, devant une des plus grandes garesde la ville, une colonne gothique richement décorée :Charing Cross. Au XIIIe siècle, un des vieux roisPlantagenet qui faisait transporter à Westminster le corps de lareine Éléonore, éleva des croix gothiques à chacune des stations oùle cercueil fut posé à terre. Charing Cross est le dernierdes monuments qui devaient conserver le souvenir de cette marchefunèbre [6]. A une autre place de la ville, nonloin du London Bridge, vous remarquerez une colonnemoderne très haute que l’on appelle « The monument ».Elle doit rappeler le souvenir du grand incendie qui, en 1666,éclata tout près de là et détruisit une grande partie de la ville.Ces monuments sont des « symboles commémoratifs » commeles symptômes hystériques. La comparaison est donc soutenablejusque-là. Mais que diriez-vous d’un habitant de Londres qui,aujourd’hui encore, s’arrêterait mélancoliquement devant lemonument du convoi funèbre de la reine Éléonore, au lieu des’occuper de ses affaires avec la hâte qu’exigent les conditionsmodernes du travail, ou de se réjouir de la jeune et charmantereine qui captive aujourd’hui son propre cœur? Ou d’un autre quipleurerait devant « le monument » la destruction de laville de ses pères, alors que cette ville est depuis longtempsrenée de ses cendres et brille aujourd’hui d’un éclat plus vifencore que jadis?

Les hystériques et autres névrosés secomportent comme les deux Londoniens de notre exempleinvraisemblable. Non seulement ils se souviennent d’événementsdouloureux passés depuis longtemps, mais ils y sont encoreaffectivement attachés ; ils ne se libèrent pas du passé etnégligent pour lui la réalité et le présent. Cette fixation de lavie mentale aux traumatismes pathogènes est un des caractères lesplus importants et, pratiquement, les plus significatifs de lanévrose. Vous allez sans doute, en pensant à la malade de Breuer,me faire une objection qui, certainement, est plausible. Tous lestraumatismes de cette jeune fille provenaient de l’époque où ellesoignait son père malade et ses symptômes ne sont que les marquesdu souvenir qu’elle a conservé de la maladie et de la mort de sonpère. Le fait de conserver si vivante la mémoire du disparu, etcela peu de temps après sa mort, n’a donc, direz-vous, rien depathologique ; c’est au contraire un processus affectif tout àfait normal. – Je vous l’accorde volontiers : chez la maladede Breuer, cette pensée qui reste fixée aux traumatismes n’a riend’extraordinaire. Mais, dans d’autres cas, ainsi pour ce tic quej’ai traité et dont les causes remontaient à quinze et à dix ansdans le passé, on voit nettement que cette sujétion au passé a uncaractère nettement pathologique. Cette sujétion, la malade deBreuer l’aurait probablement subie aussi, si elle ne s’était passoumise au traitement cathartique peu de temps après l’apparitionde ses symptômes.

Nous n’avons parlé jusqu’ici des symptômeshystériques que dans leurs relations avec l’histoire de la vie desmalades. Mais nous avons encore à considérer deux autrescirconstances dont Breuer fait mention et qui nous feront saisir lemécanisme de l’apparition de la maladie et celui de sa disparition.Insistons d’abord sur ce fait que la malade de Breuer, dans toutesles situations pathogènes, devait réprimer une forte émotion, aulieu de la laisser s’épancher par les voies affectives habituelles,paroles et actes. Lors du petit incident avec le chien de sagouvernante, elle réprima, par égard pour celle-ci, l’expressiond’un dégoût intense; pendant qu’elle veillait au chevet de sonpère, son souci continuel était de ne rien laisser voir au maladede son angoisse et de son douloureux état d’âme. Lorsque plus tardelle reproduisit ces mêmes scènes devant son médecin, l’émotionrefoulée autrefois ressuscita avec une violence particulière, commesi elle s’était conservée intacte pendant tout ce temps. Bien plus,le symptôme qui avait subsisté de cette scène présenta son plushaut degré d’intensité au fur et à mesure que le médecins’efforçait d’en découvrir l’origine, pour disparaître dès quecelle-ci eut été complètement démasquée. On put, d’autre part,constater que le souvenir de la scène en présence du médecinrestait sans effet si, pour une raison quelconque, il se déroulaitsans être accompagné d’émotions d’ » affects ».C’est apparemment de ces affects que dépendent et lamaladie et le rétablissement de la santé. On fut ainsi conduit àadmettre que le patient, tombé malade de l’émotion déclenchée parune circonstance pathogène, n’a pu l’exprimer normalement, etqu’elle est ainsi restée « coincée ». Cesaffectscoincés ont une double destinée. Tantôt ilspersistent tels quels et font sentir leur poids sur toute la viepsychique, pour laquelle ils sont une source d’irritationperpétuelle. Tantôt ils se transforment en processus physiquesanormaux, processus d’innervation ou d’inhibition(paralysie), qui ne sont pas autre chose que les symptômesphysiques de la névrose. C’est ce que nous avons appelél’hystérie de conversion. Dans la vie normale, unecertaine quantité de notre énergie affective est employée àl’innervation corporelle et produit le phénomène de l’expressiondes émotions, que nous connaissons tous. L’hystérie de conversionn’est pas autre chose qu’une expression des émotions exagérée etqui se traduit par des moyens inaccoutumés. Si un fleuve s’écouledans deux canaux, l’un d’eux se trouvera plein à déborder aussitôtque, dans l’autre, le courant rencontrera un obstacle.

Vous voyez que nous sommes sur le pointd’arriver à une théorie purement psychologique de l’hystérie,théorie dans laquelle nous donnons la première place au processusaffectif. Une deuxième observation de Breuer nous oblige àaccorder, dans le déterminisme des processus morbides, une grandeimportance aux états de la conscience. La malade de Breuerprésentait, à côté de son état normal, des états d’âmes multiples,états d’absence, de confusion, changement de caractère. A l’étatnormal, elle ne savait rien de ces scènes pathogènes et de leursrapports avec ses symptômes. Elle les avait oubliées ou ne lesmettait pas en relation avec sa maladie. Lorsqu’on l’hypnotisait,il fallait faire de grands efforts pour lui remettre ces scènes enmémoire, et c’est ce travail de réminiscence qui supprimait lessymptômes. Nous serions bien embarrassés pour interpréter cetteconstatation, si l’expérience et l’expérimentation de l’hypnosen’avaient montré le chemin à suivre. L’étude des phénomèneshypnotiques nous a habitués à cette conception d’abord étrange que,dans un seul et même individu, il peut y avoir plusieursgroupements psychiques, assez indépendants pour qu’ils ne sachentrien les uns des autres. Des cas de ce genre, que l’on appelle«double conscience », peuvent, à l’occasion, se présenterspontanément à l’observation. Si, dans un tel dédoublement de lapersonnalité, la conscience reste constamment liée à l’un des deuxétats, on nomme cet état : l’état psychiqueconscient, et l’on appelle inconscient celui quien est séparé. Le phénomène connu sous le nom de suggestionpost-hypnotique, dans lequel un ordre donné au cours de l’hypnosese réalise plus tard, coûte que coûte, à l’état normal, donne uneimage excellente de l’influence que l’état conscient peut recevoirde l’inconscient, et c’est d’après ce modèle qu’il nous estpossible de comprendre les phénomènes observés dans l’hystérie.Breuer se décida à admettre que les symptômes hystériques auraientété provoqués durant des états d’âmes spéciaux qu’il appelaithypnoïdes. Les excitations qui se produisent dans lesétats  hypnoïdes de ce genre deviennent facilement pathogènes,parce qu’elles ne trouvent pas dans ces états des conditionsnécessaires à leur aboutissement normal. Il se produit alors cettechose particulière qui est le symptôme, et qui pénètre dans l’étatnormal comme un corps étranger. D’autant plus que le sujet n’a pasconscience de la cause de son mal. Là où il y a un symptôme, il y aaussi amnésie, un vide, une lacune dans le souvenir, et, si l’onréussit à combler cette lacune, on supprime par là même lesymptôme.

Je crains que cette partie de mon exposé nevous paraisse pas très claire. Mais soyez indulgents. Il s’agit devues nouvelles et difficiles qu’il est peut-être impossible deprésenter plus clairement, pour le moment tout au moins.L’hypothèse breuerienne des états hypnoïdes s’estd’ailleurs montrée encombrante et superflue, et la psychanalysemoderne l’a abandonnée. Vous apprendrez plus tard tout ce qu’on aencore découvert derrière les états hypnoïdes de Breuer. Vous aurezaussi sans doute, et à bon droit, l’impression que les recherchesde Breuer ne pouvaient vous donner qu’une théorie incomplète et uneexplication insuffisante des faits observés. Mais des théoriesparfaites ne tombent pas ainsi du ciel, et vous vous méfieriez àplus forte raison de l’homme qui, dès le début de ses observations,vous présenterait une théorie sans lacune et complètementparachevée. Une telle théorie ne saurait être qu’un produit de laspéculation et non le fruit d’une étude sans parti pris de laréalité.

DEUXIÈME LEÇON – Conception nouvelle del’hystérie. Refoulement et résistance. Le conflit psychique. Lesymptôme est le substitut d’une idée refoulée. La méthodepsychanalytique.

 

A peu près à l’époque où Breuer appliquait sa« talking cure », Charcot poursuivait, à la Salpêtrière,ses recherches sur l’hystérie, qui devaient aboutir à une nouvelleconception de cette névrose. La conclusion à laquelle il parvenaitn’était alors pas connue à Vienne. Mais lorsque, dix ans plus tard,nous publiâmes, Breuer et moi, notre communication préliminaire surle mécanisme psychique des phénomènes hystériques, inspirée par lesrésultats du traitement cathartique de la première malade deBreuer, nous étions en plein sous l’influence des travaux deCharcot. Nous fîmes alors de nos traumatismes psychiques leséquivalents des traumatismes physiques dont Charcot avait établi lerôle dans le déterminisme des paralysies hystériques. Etl’hypothèse des états hypnoïdes de Breuer n’est qu’un écho desexpériences du professeur français relatives à la production, soushypnose, de paralysies en tous points semblables aux paralysiestraumatiques.

L’illustre clinicien, dont je fus l’élève en1885-86, était peu enclin aux conceptions psychologiques. Ce futson disciple Pierre Janet qui tenta d’analyser de près lesprocessus psychiques de l’hystérie, et nous suivîmes son exemple,en faisant du dédoublement mental et de la dissociation de lapersonnalité le pivot de notre théorie. La théorie de Janet reposesur les doctrines admises en France relatives au rôle de l’héréditéet de la dégénérescence dans l’origine des maladies. D’après cetauteur, l’hystérie est une forme d’altération dégénérative dusystème nerveux, qui se manifeste par une faiblesse congénitale dela synthèse psychique. Voici ce qu’il entend par là : leshystériques seraient incapables de maintenir en un seul faisceaules multiples phénomènes psychiques, et il en résulterait latendance à la dissociation mentale. Si vous me permettez unecomparaison un peu grossière, mais claire, l’hystérique de Janetfait penser à une femme qui est sortie pour faire des emplettes etrevient chargée de boites et de paquets. Mais ses deux bras et sesdix doigts ne lui suffisent pas pour embrasser convenablement toutson bagage, et voilà un paquet qui glisse à terre. Elle se baissepour le ramasser, mais c’est un autre qui dégringole. Et ainsi desuite.

Cependant, il est des faits qui ne cadrent pastrès bien avec cette théorie de la faiblesse mentale. Ainsi, onconstate chez les hystériques certaines capacités qui diminuent,d’autres qui augmentent, comme s’ils voulaient compenser d’un côtéce qui est réduit de l’autre. Par exemple, à l’époque où la maladede Breuer avait oublié sa langue maternelle ainsi que toutes lesautres, sauf  l’anglais, elle parlait celle-ci avec une telleperfection qu’elle était capable, quand on lui mettait dans lesmains un livre allemand, de faire à livre ouvert une traductionexcellente.

Lorsque, plus tard, j’entrepris de continuerseul les recherches commencées par Breuer, je me formai bientôt uneopinion différente sur l’origine de la dissociation hystérique(dédoublement de la conscience). Une telle divergence devait seproduire, puisque je n’étais pas parti, comme Janet, d’expériencesde laboratoire, mais de nécessités thérapeutiques.

Ce qui m’importait avant tout, c’était lapratique. Le traitement cathartique, appliqué par Breuer, exigeaitqu’on plongeât le malade dans une hypnose profonde puisque seulsles états hypnotiques lui permettaient de se rappeler lesévénements pathogènes qui lui échappaient à l’état normal. Or, jen’aimais pas l’hypnose ; c’est un procédé incertain et qui aquelque chose de mystique. Mais lorsque j’eus constaté que, malgrétous mes efforts, je ne pouvais mettre en état d’hypnose qu’unepetite partie de mes malades, je décidai d’abandonner ce procédé etd’appliquer le traitement cathartique. J’essayai donc d’opérer enlaissant les malades dans leur état normal. Cela semblait aupremier abord une entreprise insensée et sans chance de succès. Ils’agissait d’apprendre du malade quelque chose qu’on ne savait paset que lui-même ignorait. Comment pouvait-on espérer y parvenir? Jeme souvins alors d’une expérience étrange et instructive quej’avais vue chez Bernheim, à Nancy; Bernheim nous avait montré queles sujets qu’il avait mis en somnambulisme hypnotique et auxquelsil avait fait accomplir divers actes, n’avaient perduqu’apparemment le souvenir de ce qu’ils avaient vu et vécu sousl’hypnose, et qu’il était possible de réveiller en eux cessouvenirs à l’état normal. Si on les interroge, une fois réveillés,sur ce qui s’est passé, ces sujets prétendent d’abord ne riensavoir ; mais si on ne cède pas, si on les presse, si on leurassure qu’ils le peuvent, alors les souvenirs oubliés reparaissentsans manquer.

J’agis de même avec mes malades. Lorsqu’ilsprétendaient ne plus rien savoir, je leur affirmais qu’ilssavaient, qu’ils n’avaient qu’à parler et j’assurais même que lesouvenir qui leur reviendrait au moment où je mettrais la main surleur front serait le bon. De cette manière, je réussis, sansemployer l’hypnose, à apprendre des malades tout ce qui étaitnécessaire pour établir le rapport entre les scènes pathogènesoubliées et les symptômes qui en étaient les résidus. Mais c’étaitun procédé pénible et épuisant à la longue, qui ne pouvaits’imposer comme une technique définitive.

Je ne l’abandonnai pourtant pas sans en avoirtiré des conclusions décisives : la preuve était faite que lessouvenirs oubliés ne sont pas perdus, qu’ils restent en lapossession du malade, prêts à surgir, associés à ce qu’il saitencore. Mais il existe une force qui les empêche de devenirconscients. L’existence de cette force peut être considérée commecertaine, car on sent un effort quand on essaie de ramener à laconscience les souvenirs inconscients. Cette force, qui maintientl’état morbide, on l’éprouve comme une résistance opposée par lemalade.

C’est sur cette idée de résistance que j’aifondé ma conception des processus psychiques dans l’hystérie. Lasuppression de cette résistance s’est montrée indispensable aurétablissement du malade. D’après le mécanisme de la guérison, onpeut déjà se faire une idée très précise de la marche de lamaladie. Les mêmes forces qui, aujourd’hui, s’opposent à laréintégration de l’oublié dans le conscient sont assurément cellesqui ont, au moment du traumatisme, provoqué cet oubli et qui ontrefoulé dans l’inconscient les incidents pathogènes. J’ai appelérefoulement ce processus supposé par moi et je l’aiconsidéré comme prouvé par l’existence indéniable de larésistance.Mais on pouvait encore se demander cequ’étaient ces forces, et quelles étaient les conditions de cerefoulement où nous voyons aujourd’hui le mécanisme pathogène del’hystérie. Ce que le traitement cathartique nous avait appris nouspermet de répondre à cette question. Dans tous les cas observés onconstate qu’un désir violent a été ressenti, qui s’est trouvé encomplète opposition avec les autres désirs de l’individu,inconciliable avec les aspirations morales et esthétiques de sapersonne. Un bref conflit s’en est suivi; à l’issue de ce combatintérieur, le désir inconciliable est devenu l’objet durefoulement, il a été chassé hors de la conscience et oublié.Puisque la représentation en question est inconciliable avec le« moi » du malade, le refoulement se produit sous formed’exigences morales ou autres de la part de l’individu.L’acceptation du désir inconciliable ou la prolongation du conflitauraient provoqué un malaise intense ; le refoulement épargnece malaise, il apparaît ainsi comme un moyen de protéger lapersonne psychique.

Je me limiterai à l’exposé d’un seul cas, danslequel les conditions et l’utilité du refoulement sont clairementrévélées. Néanmoins, je dois encore écourter ce cas et laisser decôté d’importantes hypothèses. – Une jeune fille avait récemmentperdu un père tendrement aimé, après avoir aidé à le soigner –situation analogue à celle de la malade de Breuer. Sa sœur aînées’étant mariée, elle se prit d’une vive affection pour sonbeau-frère, affection qui passa, du reste, pour une simple intimitécomme on en rencontre entre les membres d’une même famille. Maisbientôt cette sœur tomba malade et mourut pendant une absence denotre jeune fille et de sa mère.  Celles-ci furent rappeléesen hâte, sans être entièrement instruites du douloureux événement.Lorsque la jeune fille arriva au chevet de sa sœur morte, en elleémergea, pour une seconde, une idée qui pouvait s’exprimer à peuprès ainsi: maintenant il est libre et il peut m’épouser.Il est certain que cette idée, qui trahissait à la conscience de lajeune fille l’amour intense qu’elle éprouvait sans le savoir pourson beau-frère, la révolta et fut immédiatement refoulée. La jeunefille tomba malade à son tour, présenta de graves symptômeshystériques, et lorsque je la pris en traitement, il apparutqu’elle avait radicalement oublié cette scène devant le litmortuaire de sa sœur et le mouvement de haine et d’égoïsme quis’était emparé d’elle. Elle s’en souvint au cours du traitement,reproduisit cet incident avec les signes de la plus violenteémotion, et le traitement la guérit.

J’illustrerai le processus du refoulement etsa relation nécessaire avec la résistance par une comparaisongrossière. Supposez que dans la salle de conférences, dans monauditoire calme et attentif, il se trouve pourtant un individu quise conduise de façon à me déranger et qui me trouble par des riresinconvenants, par son bavardage ou en tapant des pieds. Jedéclarerai que je ne peux continuer à professer ainsi ; surce, quelques auditeurs vigoureux se lèveront et, après une brèvelutte, mettront le personnage à la porte. Il sera« refoulé » et je pourrai continuer ma conférence. Mais,pour que le trouble ne se reproduise plus, au cas où l’expulséessayerait de rentrer dans la salle, les personnes qui sont venuesà mon aide iront adosser leurs chaises à la porte et former ainsicomme une « résistance ». Si maintenant l’on transportesur le plan psychique les événements de notre exemple, si l’on faitde la salle de conférences le conscient, et du vestibulel’inconscient, voilà une assez bonne image du refoulement.

C’est en cela que notre conception diffère decelle de Janet. Pour nous, la dissociation psychique ne vient pasd’une inaptitude innée de l’appareil mental à la synthèse ;nous l’expliquons dynamiquement par le conflit de deux forcespsychiques, nous voyons en elle le résultat d’une révolte active dedeux constellations psychiques, le conscient et l’inconscient,l’une contre l’autre. Cette conception nouvelle soulève beaucoup denouveaux problèmes. Ainsi le conflit psychique est certes trèsfréquent et le « moi » cherche à se défendre contre lessouvenirs pénibles, sans provoquer pour autant une dissociationpsychique. Force est donc d’admettre que d’autres conditions sontencore requises pour amener une dissociation. J’accorde volontiersque l’hypothèse du refoulement constitue non pas le terme mais bienle début d’une théorie psychologique ; mais nous ne pouvonsprogresser que pas à pas, et il faut nous laisser le tempsd’approfondir notre idée.

Qu’on se garde aussi d’essayer d’interpréterle cas de la jeune fille de Breuer à l’aide de la théorie durefoulement. L’histoire de cette malade ne s’y prête pas, car lesdonnées en ont été obtenues par l’influence hypnotique. Ce n’estqu’en écartant l’hypnose que l’on peut constater les résistances etles refoulements et se former une représentation exacte del’évolution pathogène réelle. Dans l’hypnose, la résistance se voitmal, parce que la porte est ouverte sur l’arrière-fondspsychique ; néanmoins, l’hypnose accentue la résistance auxfrontières de ce domaine, elle en fait un mur de fortification quirend tout le reste inabordable.

Le résultat le plus précieux auquel nous avaitconduit l’observation de Breuer était la découverte de la relationdes symptômes avec les événements pathogènes ou traumatismespsychiques. Comment allons-nous interpréter tout cela du point devue de la théorie du refoulement? Au premier abord, on ne voitvraiment pas comment. Mais au lieu de me livrer à une déductionthéorique compliquée, je vais reprendre ici notre comparaison detout à l’heure. Il est certain qu’en éloignant le mauvais sujet quidérangeait la leçon et en plaçant des sentinelles devant la porte,tout n’est pas fini. Il peut très bien arriver que l’expulsé, ameret résolu, provoque encore du désordre. Il n’est plus dans lasalle, c’est vrai ; on est débarrassé de sa présence, de sonrire moqueur, de ses remarques à haute voix ; mais à certainségards, le refoulement est pourtant resté inefficace, car voilàqu’au-dehors l’expulsé fait un vacarme insupportable ; ilcrie, donne des coups de poings contre la porte et trouble ainsi laconférence plus que par son attitude précédente. Dans cesconditions, il serait heureux que le président de la réunionveuille bien assumer le rôle de médiateur et de pacificateur. Ilparlementerait avec le personnage récalcitrant, puis ils’adresserait aux auditeurs et leur proposerait de le laisserrentrer, prenant sur lui de garantir une meilleure conduite. Ondéciderait de supprimer le refoulement et le calme et la paixrenaîtraient. Voilà une image assez juste de la tâche qui incombeau médecin dans le traitement psychanalytique des névroses.

Exprimons-nous maintenant sans images :l’examen d’autres malades hystériques et d’autres névrosés nousconduit à la conviction qu’ils n’ont pas réussi à refouler l’idée àlaquelle est lié leur désir insupportable. Ils l’ont bien chasséede leur conscience et de leur mémoire, et se sont épargné,apparemment, une grande somme de souffrances, mais le désirrefoulé continue à subsister dans l’inconscient; il guette uneoccasion de se manifester et il réapparaît bientôt à la lumière,mais sous un déguisement qui le rend méconnaissable; en d’autrestermes, l’idée refoulée est remplacée dans la conscience par uneautre qui lui sert de substitut, d’ersatz, et à laquelleviennent s’attacher toutes les impressions de malaise que l’oncroyait avoir écartées par le refoulement. Ce substitut de l’idéerefoulée – le symptôme – est protégé contre de nouvelles attaquesde la part du « moi » ; et, au lieu d’un courtconflit, intervient maintenant une souffrance continuelle. A côtédes signes de défiguration, le symptôme offre un reste deressemblance avec l’idée refoulée. Les procédés de formationssubstitutives se trahissent pendant le traitement psychanalytiquedu malade, et il est nécessaire pour la guérison que le symptômesoit ramené par ces mêmes moyens à l’idée refoulée. Si l’onparvient à ramener ce qui est refoulé au plein jour – cela supposeque des résistances considérables ont été surmontées -, alors leconflit psychique né de cette réintégration, et que le maladevoulait éviter, peut trouver sous la direction du médecin, unemeilleure solution que celle du refoulement. Une telle méthodeparvient à faire évanouir conflits et névroses. Tantôt le maladeconvient qu’il a eu tort de refouler le désir pathogène et ilaccepte totalement ou partiellement ce désir; tantôt le désirlui-même est dirigé vers un but plus élevé et, pour cette raison,moins sujet à critique (c’est ce que je nomme lasublimation du désir); tantôt on reconnaît qu’il étaitjuste de rejeter le désir, mais on remplace le mécanismeautomatique, donc insuffisant, du refoulement, par un jugement decondamnation morale rendu avec l’aide des plus hautes instancesspirituelles de l’homme ; c’est en pleine lumière que l’ontriomphe du désir.

Je m’excuse de n’avoir pas décrit de façonplus claire et plus compréhensible les principaux points de vue dela méthode de traitement appelée maintenant psychanalyse.Les difficultés ne tiennent pas seulement à la nouveauté du sujet.De quelle nature sont les désirs insupportables qui, malgré lerefoulement, savent encore se faire entendre du fond del’inconscient? Dans quelles conditions le refoulement échoue-t-ilet se forme-t-il un substitut ou symptôme? Nous allons le voir.

TROISIÈME LEÇON – Le principe dudéterminisme psychique. le mot d’esprit. Le complexe. Les rêves etleur interprétation. L’analyse des rêves. Actes manqués, lapsus,actes symptomatiques. Multiple motivation.

 

Il n’est pas toujours facile d’être exact,surtout quand il faut être bref. Aussi suis-je obligé de corrigeraujourd’hui une erreur commise dans mon précédent chapitre. Je vousavais dit que lorsque, renonçant à l’hypnose, on cherchait àréveiller les souvenirs que le sujet pouvait avoir de l’origine desa maladie, en lui demandant de dire ce qui lui venait à l’esprit,la première idée qui surgissait se rapportait à ces premierssouvenirs. Ce n’est pas toujours exact. Je n’ai présenté la choseaussi simplement que pour être bref. En réalité, les premières foisseulement, une simple insistance, une pression de ma part suffisaitpour faire apparaître l’événement oublié. Si l’on persistait dansce procédé, des idées surgissaient bien, mais il était fort douteuxqu’elles correspondent réellement à l’événement recherché : ellessemblaient n’avoir aucun rapport avec lui, et d’ailleurs lesmalades eux-mêmes les rejetaient comme inadéquates. La pressionn’était plus d’aucun secours et l’on pouvait regretter d’avoirrenoncé à l’hypnose.

Incapable d’en sortir, je m’accrochai à unprincipe dont la légitimité scientifique a été démontrée plus tardpar mon ami C. G. Jung et ses élèves à Zurich. (Il est parfoisbien précieux d’avoir des principes!) C’est celui du déterminismepsychique, en la rigueur duquel j’avais la foi la plus absolue. Jene pouvais pas me figurer qu’une idée surgissant spontanément dansla conscience d’un malade, surtout une idée éveillée par laconcentration de son attention, pût être tout à fait arbitraire etsans rapport avec la représentation oubliée que nous voulionsretrouver. Qu’elle ne lui fût pas identique, cela s’expliquait parl’état psychologique supposé. Deux forces agissaient l’une contrel’autre dans le malade ; d’abord son effort réfléchi pourramener à la conscience les choses oubliées, mais latentes dans soninconscient ; d’autre part la résistance que je vous aidécrite et qui s’oppose au passage à la conscience des élémentsrefoulés. Si cette résistance est nulle ou très faible, la choseoubliée devient consciente sans se déformer; on était donc autoriséà admettre que la déformation de l’objet recherché serait d’autantplus grande que l’opposition à son arrivée à la conscience seraitplus forte. L’idée qui se présentait à l’esprit du malade à laplace de celle qu’on cherchait à rappeler avait donc elle-même lavaleur d’un symptôme. C’était un substitut nouveau, artificiel etéphémère de la chose refoulée et qui lui ressemblait d’autant moinsque sa déformation, sous l’influence de la résistance, avait étéplus grande. Pourtant, il devait y avoir une certaine similitudeavec la chose recherchée, puisque c’était un symptôme et, si larésistance n’était pas trop intense, il devait être possible dedeviner, au moyen des idées spontanées, l’inconnu qui se dérobait.L’idée surgissant dans l’esprit du malade est, par rapport àl’élément refoulé, comme une allusion, comme une traduction decelui-ci dans un autre langage.

Nous connaissons dans la vie psychique normaledes situations analogues qui conduisent à des résultats semblables,Tel est le cas du mot d’esprit. Les problèmes de la techniquepsychanalytique m’ont obligé à m’occuper ainsi de la formation dumot d’esprit. Je vais vous en donner un exemple.

On raconte que deux commerçants peuscrupuleux, ayant réussi à acquérir une grande fortune au moyen despéculations pas très honnêtes, s’efforçaient d’être admis dans labonne société. Il leur sembla donc utile de faire faire leursportraits par un peintre très célèbre et très cher. Les deuxspéculateurs donnèrent une grande soirée pour faire admirer cestableaux coûteux et conduisirent eux-mêmes un critique d’artinfluent devant la paroi du salon où les portraits étaientsuspendus l’un à côté de l’autre. Le critique considéra longuementles deux portraits, puis secoua la tête comme s’il lui manquaitquelque chose, et se borna à demander, en indiquant l’espace libreentre les tableaux : « Où est le Christ? »

Analysons cette plaisanterie. Évidemment, lecritique a voulu dire : « Vous êtes deux coquins, comme ceuxentre lesquels on a crucifié Jésus-Christ. » Cependant, il nel’a pas dit. Il a dit autre chose qui, au premier abord, paraîttout à fait étrange, incompréhensible, sans rapport avec lasituation présente. On ne tarde pourtant pas à discerner dans cetteexclamation du critique d’art l’expression de son mépris. Elletient lieu d’une injure. Elle a la même valeur, la mêmesignification : elle en est le substitut.

Certes, nous ne pouvons pas pousser trop loinnotre parallèle entre le cas du mot d’esprit et les associationsfournies par les malades ; cependant, il nous faut soulignerla parenté que l’on constate entre les mobiles profonds d’un motd’esprit et ceux qui font surgir une idée dans la conscience desmalades au cours d’un interrogatoire. Pourquoi notre critiquen’a-t-il pas exprimé directement sa pensée aux deux coquins? Parceque, à côté de son désir de leur parler net, d’excellents motifscontraires agissaient sur lui. Il n’est pas sans danger d’insulterdes gens dont on est l’invité et qui ont à leur disposition unenombreuse domesticité aux poings solides. Nous avons vuprécédemment combien les tapageurs et ceux qui méprisent lesconvenances étaient rapidement « refoulés ». C’estpourquoi notre critique d’art se garde bien d’être explicite etdéguise son injure sous la forme d’une simple allusion. De même,chez nos malades, ces idées-substituts qui surgissent à la placedes souvenirs oubliés et dont elles ne sont qu’un déguisement.

Suivons l’exemple de l’école de Zurich(Bleuler, Jung, etc.) et appelons complexe tout groupe d’élémentsreprésentatifs liés ensemble et chargés d’affect. Si, pourrechercher un complexe refoulé, nous partons des souvenirs que lemalade possède encore, nous pouvons donc y parvenir, à conditionqu’il nous apporte un nombre suffisant d’associations libres. Nouslaissons parler le malade comme il lui plaît, conformément à notrehypothèse d’après laquelle rien ne peut lui venir à l’esprit qui nedépende indirectement du complexe recherché. Cette méthode pourdécouvrir les éléments refoulés vous semble peut-être pénible; jepuis cependant vous assurer que c’est la seule praticable.

Il arrive parfois qu’elle semble échouer : lemalade s’arrête brusquement, hésite et prétend n’avoir rien à dire,qu’il ne lui vient absolument rien à l’esprit. S’il en étaitréellement ainsi, notre procédé serait inapplicable. Mais uneobservation minutieuse montre qu’un tel arrêt des associationslibres ne se présente jamais. Elles paraissent suspendues parce quele malade retient ou supprime l’idée qu’il vient d’avoir, sousl’influence de résistances revêtant la forme de jugementscritiques. On évite cette difficulté en avertissant le malade àl’avance et en exigeant qu’il ne tienne aucun compte de cettecritique. Il faut qu’il renonce complètement à tout choix de cegenre et qu’il dise tout ce qui lui vient à l’esprit, même s’ilpense que c’est inexact, hors de la question, stupide même, etsurtout s’il lui est désagréable que sa pensée s’arrête à une telleidée. S’il se soumet à ces règles, il nous procurera lesassociations libres qui nous mettront sur les traces du complexerefoulé.

Ces idées spontanées que le malade repoussecomme insignifiantes, s’il résiste au lieu de céder au médecin,représentent en quelque sorte, pour le psychanalyste, le mineraidont il extraira le métal précieux par de simples artificesd’interprétation. Si l’on veut acquérir rapidement une idéeprovisoire des complexes refoulés par un malade, sans se préoccuperde leur ordre ni de leurs relations, on se servira de l’expérienced’associations imaginée par Jung   et ses élèves. Ceprocédé rend au psychanalyste autant de services que l’analysequalitative au chimiste ; on peut s’en passer dans letraitement des névroses, mais il est indispensable pour ladémonstration objective des complexes et pour l’étude despsychoses, qui a été entreprise avec tant de succès par l’école deZurich.

L’examen des idées spontanées qui seprésentent au malade, s’il se soumet aux principales règles de lapsychanalyse, n’est pas le seul moyen technique qui permette desonder l’inconscient. Deux autres procédés conduisent au même but :l’interprétation des rêves et celle des erreurs et des lapsus.

J’avoue m’être demandé si, au lieu de vousdonner à grands traits une vue d’ensemble de la psychanalyse, jen’aurais pas mieux fait de vous exposer en détail l’interprétationdes rêves  . Un motif personnel et d’apparence secondaire m’ena détourné. Il m’a paru déplacé de me présenter comme un« déchiffreur de songes » avant que vous ne sachiezl’importance que peut revêtir cet art dérisoire et suranné.L’interprétation des rêves est, en réalité, la voie royale de laconnaissance de l’inconscient, la base la plus sûre de nosrecherches, et c’est l’étude des rêves, plus qu’aucune autre, quivous convaincra de la valeur de la psychanalyse et vous formera àsa pratique. Quand on me demande comment on peut devenirpsychanalyste, je réponds : par l’étude de ses propres rêves. Nosdétracteurs n’ont jamais accordé à l’interprétation des rêvesl’attention qu’elle méritait ou ont tenté de la condamner par lesarguments les plus superficiels. Or, si on parvient à résoudre legrand problème du rêve, les questions nouvelles que soulève lapsychanalyse n’offrent plus aucune difficulté.

Il convient de noter que nos productionsoniriques – nos rêves – ressemblent intimement aux productions desmaladies mentales, d’une part, et que, d’autre part, elles sontcompatibles avec une santé parfaite. Celui qui se borne à s’étonnerdes illusions des sens, des idées bizarres et de toutes lesfantasmagories que nous offre le rêve, au lieu de chercher à lescomprendre, n’a pas la moindre chance de comprendre les productionsanormales des états psychiques morbides. Il restera, dans cedomaine, un simple profane… Et il n’est pas paradoxal d’affirmerque la plupart des psychiatres d’aujourd’hui doivent être rangésparmi ces profanes!

Jetons donc un rapide coup d’œil sur leproblème du rêve.

D’ordinaire, quand nous sommes éveillés, noustraitons les rêves avec un mépris égal a celui que le maladeéprouve à l’égard des idées spontanées que le psychanalyste susciteen lui, Nous les vouons à un oubli rapide et complet, comme si nousvoulions nous débarrasser au plus vite de cet amas d’incohérences.Notre mépris vient du caractère étrange que revêtent, non seulementles rêves absurdes et stupides, mais aussi ceux qui ne le sont pas.Notre répugnance à nous intéresser à nos rêves s’explique par lestendances impudiques et immorales qui se manifestent ouvertementdans certains d’entre eux. – L’antiquité, on le sait, n’a paspartagé ce mépris, et aujourd’hui encore le bas peuple restecurieux des rêves auxquels il demande, comme les Anciens, larévélation de l’avenir.

Je m’empresse de vous assurer que je ne vaispas faire appel à des croyances mystiques pour éclairer la questiondu rêve; je n’ai du reste jamais rien constaté qui confirme lavaleur prophétique d’un songe. Cela n’empêche pas qu’une étude durêve nous réservera de nombreuses surprises.

D’abord, tous les rêves ne sont pas étrangersau rêveur, incompréhensibles et confus pour lui. Si vous vousdonnez la peine d’examiner ceux des petits enfants, à partir d’unan et demi, vous les trouvez très simples et facilementexplicables. Le petit enfant rêve toujours de la réalisation dedésirs que le jour précédent a fait naître en lui, sans lessatisfaire. Aucun art divinatoire n’est nécessaire pour trouvercette simple solution ; il suffit seulement de savoir ce quel’enfant a vécu le jour précédent. Nous aurions une solutionsatisfaisante de l’énigme si l’on démontrait que les rêves desadultes ne sont, comme ceux des enfants, que l’accomplissement dedésirs de la veille. Or c’est bien là ce qui se passe. Lesobjections que soulève cette manière de voir disparaissent devantune analyse plus approfondie.

Voici la première de ces objections : lesrêves des adultes sont le plus souvent incompréhensibles et neressemblent guère à la réalisation d’un désir. – Mais,répondons-nous, c’est qu’ils ont subi une défiguration, undéguisement. Leur origine psychique est très différente de leurexpression dernière. Il nous faut donc distinguer deux choses :d’une part, le rêve tel qu’il nous apparaît, tel que nousl’évoquons le matin, vague au point que nous avons souvent de lapeine à le raconter, à le traduire en mots ; c’est ce que nousappellerons le contenu manifeste du rêve. D’autre part, nous avonsl’ensemble des idées oniriques latentes, que nous supposonsprésider au rêve du fond même de l’inconscient. Ce processus dedéfiguration est le même que celui qui préside à la naissance dessymptômes hystériques. La formation des rêves résulte donc du mêmecontraste des forces psychiques que dans la formation dessymptômes. Le « contenu manifeste » du rêve est lesubstitut altéré des « idées oniriques latentes » etcette altération est l’œuvre d’un « moi » qui sedéfend ; elle naît de résistances qui interdisent absolumentaux désirs inconscients d’entrer dans la conscience à l’état deveille ; mais, dans l’affaiblissement du sommeil, ces forcesont encore assez de puissance pour imposer du moins aux désirs unmasque qui les cache. Le rêveur ne déchiffre pas plus le sens deses rêves que l’hystérique ne pénètre la signification de sessymptômes.

Pour se persuader de l’existence des« idées latentes » du rêve et de la réalité de leurrapport avec le « contenu manifeste », il faut pratiquerl’analyse des rêves, dont la technique est la même que la techniquepsychanalytique dont il a été déjà question. Elle consiste toutd’abord à faire complètement abstraction des enchaînements d’idéesque semble offrir le « contenu manifeste » du rêve, et às’appliquer à découvrir les « idées latentes », enrecherchant quelles associations déclenche chacun de ses éléments.Ces associations provoquées conduiront à la découverte des idéeslatentes du rêveur, de même que, tout à l’heure, nous voyions lesassociations déclenchées par les divers symptômes nous conduire auxsouvenirs oubliés et aux complexes du malade. Ces « idéesoniriques latentes », qui constituent le sens profond et réeldu rêve, une fois mises en évidence, montrent combien il estlégitime de ramener les rêves d’adultes au type des rêvesd’enfants. Il suffit en effet de substituer au « contenumanifeste », si abracadabrant, le sens profond, pour que touts’éclaire : on voit que les divers détails du rêve se rattachent àdes impressions du jour précédent et l’ensemble apparaît comme laréalisation d’un désir non satisfait. Le « contenumanifeste » du rêve peut donc être considéré comme laréalisation déguisée de désirs refoulés.

Jetons maintenant un coup d’œil sur la façondont les idées inconscientes du rêve se transforment en« contenu manifeste ». J’appellerai « travailonirique » l’ensemble de cette opération. Elle mérite deretenir tout notre intérêt théorique, car nous pourrons y étudier,comme nulle part ailleurs, quels processus psychiques insoupçonnéspeuvent se dérouler dans l’inconscient ou, plus exactement, entredeux systèmes psychiques distincts comme le conscient etl’inconscient. Parmi ces processus, il convient d’en noter deux :la condensation et le déplacement. Le travail onirique est un casparticulier de l’action réciproque des diverses constellationsmentales, c’est-à-dire qu’il naît d’une association mentale. Dansses phases essentielles, ce travail est identique au travaild’altération qui transforme les complexes refoulés en symptômes,lorsque le refoulement a échoué.

Vous serez en outre étonnés de découvrir dansl’analyse des rêves, et spécialement dans celle des vôtres,l’importance inattendue que prennent les impressions des premièresannées de l’enfance. Par le rêve, c’est l’enfant qui continue àvivre dans l’homme, avec ses particularités et ses désirs, mêmeceux qui sont devenus inutiles. C’est d’un enfant, dont lesfacultés étaient bien différentes des aptitudes propres à l’hommenormal, que celui-ci est sorti. Mais au prix de quelles évolutions,de quels refoulements, de quelles sublimations, de quellesréactions psychiques, cet homme normal s’est-il peu à peuconstitué, lui qui est le bénéficiaire – et aussi, en partie, lavictime – d’une éducation et d’une culture si péniblementacquises !

J’ai encore constaté, dans l’analyse des rêves(et je tiens à attirer votre attention là-dessus), quel’inconscient se sert, surtout pour représenter les complexessexuels, d’un certain symbolisme qui, parfois, varie d’une personneà l’autre, mais qui a aussi des traits généraux et se ramène àcertains types de symboles, tels que nous les retrouvons dans lesmythes et dans les légendes. Il n’est pas impossible que l’étude durêve nous permette de comprendre à leur tour ces créations del’imagination populaire.

On a opposé, à notre théorie que le rêveserait la réalisation d’un désir, les rêves d’angoisse. Je vousprie instamment de ne pas vous laisser arrêter par cette objection.Outre que ces rêves d’angoisse ont besoin d’être interprétés avantqu’on puisse les juger, il faut dire que l’angoisse en général netient pas seulement au contenu du rêve, ainsi qu’on se l’imaginequand on ignore ce qu’est l’angoisse des névrosés. L’angoisse estun refus que le « moi » oppose aux désirs refoulésdevenus puissants ; c’est pourquoi sa présence dans le rêveest très explicable si le rêve exprime trop complètement ces désirsrefoulés.

Vous voyez que l’étude du rêve se justifieraitdéjà par les éclaircissements qu’elle apporte sur des réalités qui,autrement, seraient difficiles à comprendre. Or, nous y sommesparvenus au cours du traitement psychanalytique des névroses.D’après ce que nous avons dit jusqu’ici, il est facile de voir quel’interprétation des rêves, quand elle n’est pas rendue troppénible par les résistances du malade, conduit à découvrir lesdésirs cachés et refoulés, ainsi que les complexes qu’ilsentretiennent. Je peux donc passer au troisième groupe dephénomènes psychiques dont tire parti la techniquepsychanalytique.

Ce sont tous ces actes innombrables de la viequotidienne, que l’on rencontre aussi bien chez les individusnormaux que chez les névrosés et qui se caractérisent par le faitqu’ils manquent leur but : on pourrait les grouper sous le nomd’actes manqués. D’ordinaire, on ne leur accorde aucune importance.Ce sont des oublis inexplicables (par exemple l’oubli momentané desnoms propres), les lapsus linguae, les lapsus calami, les erreursde lecture, les maladresses, la perte ou le bris d’objets, etc.,toutes choses auxquelles on n’attribue ordinairement aucune causepsychologique et qu’on considère simplement comme des résultats duhasard, des produits de la distraction, de l’inattention, etc. Àcela s’ajoutent encore les actes et les gestes que les hommesaccomplissent sans les remarquer et, à plus forte raison, sans yattacher d’importance psychique : jouer machinalement avec desobjets, fredonner des mélodies, tripoter ses doigts, ses vêtements,etc.  . Ces petits faits, les actes manqués, comme les actessymptomatiques et les actes de hasard, ne sont pas si dépourvusd’importance qu’on est disposé à l’admettre en vertu d’une sorted’accord tacite. Ils ont un sens et sont, la plupart du temps,faciles à interpréter. On découvre alors qu’ils expriment, euxaussi, des pulsions et des intentions que l’on veut cacher à sapropre conscience et qu’ils ont leur source dans des désirs et descomplexes refoulés, semblables à ceux des symptômes et des rêves.Considérons-les donc comme des symptômes ; leur examenattentif peut conduire à mieux connaître notre vie intérieure.C’est par eux que l’homme trahit le plus souvent ses secrets lesplus intimes. S’ils sont habituels et fréquents, même chez les genssains qui ont réussi à refouler leurs tendances inconscientes, celatient à leur futilité et à leur peu d’apparence. Mais leur valeurthéorique est grande, puisqu’ils nous prouvent l’existence durefoulement et des substituts, même chez des personnes bienportantes.

Vous remarquerez déjà que le psychanalyste sedistingue par sa foi dans le déterminisme de la vie psychique.Celle-ci n’a, à ses yeux, rien d’arbitraire ni de fortuit; ilimagine une cause particulière là où, d’habitude, on n’a pas l’idéed’en supposer. Bien plus : il fait souvent appel à plusieurscauses, à une multiple motivation, pour rendre compte d’unphénomène psychique, alors que d’habitude on se déclare satisfaitavec une seule cause pour chaque phénomène psychologique.

Rassemblez maintenant tous les moyens dedécouvrir ce qui est caché, oublié, refoulé dans la vie psychique :l’étude des associations qui naissent spontanément dans l’esprit dumalade, celle de ses rêves, de ses maladresses, actes manqués,actes symptomatiques de toute sorte, ajoutez-y l’utilisationd’autres phénomènes qui se produisent pendant le traitementpsychanalytique et sur lesquels je ferai plus tard quelquesremarques quand je parlerai du transfert, vous conclurez avec moique notre technique est déjà assez efficace pour ramener à laconscience les éléments psychiques pathogènes et pour écarter lesmaux produits par la formation de symptômes-substituts. Nousvoyons, et nous nous en félicitons, que nos efforts thérapeutiquesont encore pour conséquence d’enrichir nos connaissances théoriquessur la vie psychique, normale et pathologique.

Je ne sais si vous avez eu l’impression que latechnique dont je viens de vous décrire l’arsenal estparticulièrement difficile. Je crois qu’elle est tout à faitappropriée à son objet. Pourtant, cette technique n’est pasévidente d’elle-même ; elle doit être enseignée, comme laméthode histologique ou chirurgicale. Vous serez peut-être étonnésd’apprendre que nous l’avons entendu juger par une quantité depersonnes qui ne savent rien de la psychanalyse, qui ne l’emploientpas et qui poussent l’ironie jusqu’à exiger que nous leur prouvionsl’exactitude de nos résultats. Il y a certainement, parmi cesadversaires, des gens qui ont l’habitude de la penséescientifique ; qui, par exemple, ne repousseraient pas lesconclusions d’une recherche au microscope parce qu’on ne pourraitpas les confirmer en examinant la préparation anatomique à l’œilnu, et qui, en tout cas, ne se prononceraient pas avant d’avoirconsidéré eux-mêmes la chose au moyen du microscope. Mais lapsychanalyse, il est vrai, est dans une situation spéciale, qui luirend plus difficile d’obtenir l’approbation. Que veut lepsychanalyste, en effet ? Ramener à la surface de laconscience tout ce qui en a été refoulé. Or, chacun de nous arefoulé beaucoup de choses que nous maintenons peut-être avec peinedans notre inconscient. La psychanalyse provoque donc, chez ceuxqui en entendent parler, la même résistance qu’elle provoque chezles malades. C’est de là que vient sans doute l’opposition si vive,si instinctive, que notre discipline a le don d’exciter. Cetterésistance prend du reste le masque de l’opposition intellectuelleet enfante des arguments analogues à ceux que nous écartons cheznos malades au moyen de la règle psychanalytique fondamentale. Toutcomme chez eux, nous pouvons aussi constater chez nos adversairesque leur jugement se laisse fréquemment influencer par des motifsaffectifs, d’où leur tendance à la sévérité. La vanité de laconscience, qui repousse si dédaigneusement le rêve par exemple,est un des obstacles les plus sérieux à la pénétration descomplexes inconscients ; c’est pourquoi il est si difficile depersuader les hommes de la réalité de l’inconscient et de leurenseigner une nouveauté qui contredit les notions dont s’estaccommodée leur conscience.

QUATRIÈME LEÇON – Les complexespathogènes. Les symptômes morbides sont liés a la sexualité. Lasexualité  infantile. L’auto-érotisme. La libido et sonévolution. Perversion sexuelle. Le complexe d’Œdipe.

 

Voyons maintenant ce que les procédéstechniques que je viens de décrire nous ont appris sur lescomplexes pathogènes et les désirs refoulés des névrosés.

La première découverte à laquelle lapsychanalyse nous conduit, c’est que, régulièrement, les symptômesmorbides se trouvent liés à la vie amoureuse du malade; elle nousmontre que les désirs pathogènes sont de la nature des composantesérotiques et nous oblige à considérer les troubles de la viesexuelle comme une des causes les plus importantes de lamaladie.

Je sais que l’on n’accepte pas volontierscette opinion. Même des savants qui s’intéressent à mes travauxpsychologiques inclinent à croire que j’exagère la part étiologiquedu facteur sexuel. Ils me disent : Pourquoi d’autresexcitations psychiques ne provoqueraient-elles pas aussi desphénomènes de refoulement et de substitution? Je leur réponds queje ne nie rien par doctrine, et que je ne m’oppose pas à ce quecela soit. Mais l’expérience montre que cela n’est pas.L’expérience prouve que les tendances d’origine non sexuelle nejouent pas un tel rôle, qu’elles peuvent parfois renforcer l’actiondes facteurs sexuels, mais qu’elles ne les remplacent jamais. Jen’affirme pas ici un postulat théorique ; lorsqu’en 1895 jepubliai avec le Dr J. Breuer nos Études sur l’hystérie, jene professais pas encore cette opinion! ; j’ai dû m’yconvertir après des expériences nombreuses et concluantes. Mes amiset mes partisans les plus fidèles ont commencé par se montrerparfaitement incrédules à cet égard, jusqu’à ce que leursexpériences analytiques les aient convaincus. L’attitude desmalades ne permet guère, il est vrai, de démontrer la justesse dema proposition. Au lieu de nous aider à comprendre leur viesexuelle, ils cherchent, au contraire, à la cacher par tous lesmoyens. Les hommes, en général, ne sont pas sincères dans cedomaine. Ils ne se montrent pas tels qu’ils sont : ils portentun épais manteau de mensonges pour se couvrir, comme s’il faisaitmauvais temps dans le monde de la sensualité. Et ils n’ont pastort ; le soleil et le vent ne sont guère favorables àl’activité sexuelle dans notre société; en fait, aucun de nous nepeut librement dévoiler son érotisme à ses semblables. Mais,lorsque les malades ont commencé à s’habituer au traitementpsychanalytique, lorsqu’ils s’y sentent à l’aise, ils jettent basleur manteau mensonger, et alors seulement ils peuvent se faire uneopinion sur la question qui nous occupe. Malheureusement, lesmédecins ne sont pas plus favorisés que les autres mortels quant àla manière d’aborder les choses de la sexualité, et beaucoupd’entre eux subissent l’attitude, faite à la fois de pruderie et delubricité, qui est la plus répandue parmi les hommes dits« cultivés ».

Continuons à exposer nos résultats. Dans uneautre série de cas, la recherche psychanalytique ramène lessymptômes, non pas à des événements sexuels, mais à des événementstraumatiques banaux. Mais cette distinction perd toute importancepour une raison particulière. Le travail analytique nécessaire pourexpliquer et supprimer une maladie ne s’arrête jamais auxévénements de l’époque où elle se produisit, mais remonte toujoursjusqu’à la puberté et à la première enfance du malade ; là,elle rencontre les événements et les impressions qui ont déterminéla maladie ultérieure. Ce n’est qu’en découvrant ces événements del’enfance que l’on peut expliquer la sensibilité à l’égard destraumatismes ultérieurs, et c’est en rendant conscients cessouvenirs généralement oubliés que nous en arrivons à pouvoirsupprimer les symptômes. Nous parvenons ici aux mêmes résultats quedans l’étude des rêves, à savoir que ce sont les désirsinéluctables et refoulés de l’enfance qui ont prêté leur puissanceà la formation de symptômes sans lesquels la réaction auxtraumatismes ultérieurs aurait pris un cours normal. Ces puissantsdésirs de l’enfant, je les considère, d’une manière générale, commesexuels.

Mais je devine votre étonnement, bien natureld’ailleurs. – Y a-t-il donc, demanderez-vous, une sexualitéinfantile? L’enfance n’est-elle pas plutôt cette période de lavie où manque tout instinct de ce genre? – A cette question je vousrépondrai : Non, l’instinct sexuel ne pénètre pas dans lesenfants à l’époque de la puberté (comme, dans l’Évangile, le diablepénètre dans les porcs). L’enfant présente dès son âge le plustendre les manifestations de cet instinct ; il apporte cestendances en venant au monde, et c’est de ces premiers germes quesort, au cours d’une évolution pleine de vicissitudes et aux étapesnombreuses, la sexualité dite normale de l’adulte. Il n’est guèredifficile de le constater. Ce qui me paraît moins facile, c’est dene pas l’apercevoir! Il faut vraiment une certaine dose de bonnevolonté pour être aveugle à ce point!

Le hasard m’a mis sous les yeux un articled’un Américain, le Dr Sanford Bell, qui vient à l’appui de mesaffirmations. Son travail a paru dans l’American Journal ofPsychology en 1902, c’est-à-dire trois ans avant mes TroisEssais sur la théorie de la sexualité. Il a pour titre Apreliminary study of the emotion of love between the sexes, etaboutit aux mêmes conclusions que celles que je vous soumettaistout à l’heure. Écoutez plutôt : « Theemotion of sexe-love does not make its appearence for firsttime at the period of adolescence, as has beenthought [7]. » L’auteur a travaillé àla manière américaine et a rassemblé près de 2 500 observationspositives au cours d’une période de 15 ans ; 800 ont étéfaites par lui-même. Au sujet des signes par lesquels ces tendancesse manifestent, il dit : The unprejudiced mind inobserving these manifestations in hundreds of couples of childrencannot escape referring them to sex origin. The most exacting mindis satisfied when to these observations are added the confessionsof those who have, as children, experienced the emotion  to amarked degree of intensity, and whose memories of children arerelalively distinct [8]. »Ceux d’entre vous qui ne veulent pas croire à la sensualitéinfantile seront particulièrement étonnés que, parmi ces enfantsprécocement amoureux, un bon nombre sont âgés seulement de 3, 4 ou5 ans.

J’ai réussi moi-même, il y a peu de temps,grâce à l’analyse d’un garçon de cinq ans qui souffrait d’angoisse(analyse que son propre père a faite avec lui selon les règles), àobtenir une image assez complète des manifestations somatiques etdes expressions psychiques de la vie amoureuse de l’enfant à l’undes premiers stades. Et mon ami le Dr, C. G. Jung a  traité lecas d’une fillette encore plus jeune, qui, à la même occasion quemon malade (naissance d’une petite sœur), trahissait presque lesmêmes tendances sensuelles et les mêmes formations de désirs et decomplexes. Je ne doute pas que vous vous habituiez à cette idée,d’abord étrange, de la sexualité infantile et je vous cite commeexemple celui du psychiatre de Zurich, M. E. Bleuler, qui, il y aquelques années encore, disait publiquement qu’ » il necomprenait pas du tout mes théories sexuelles », et quidepuis, à la suite de ses propres observations, a confirmé danstoute son étendue l’existence de la sexualité infantile.

Si la plupart des individus, médecins ou non,se refusent à l’admettre, je me l’explique sans peine. Sous lapression de l’éducation, ils ont oublié les manifestationsérotiques de leur propre enfance et ne veulent pas qu’on leurrappelle ce qui a été refoulé. Leur manière de voir serait toutautre s’ils voulaient prendre la peine de retrouver, par lapsychanalyse, leurs souvenirs d’enfance, les passer en revue etchercher à les interpréter.

Cessez donc de douter, et voyez plutôt commentces phénomènes se manifestent dès les premièresannées [9]. L’instinct sexuel de l’enfant est trèscompliqué; on peut y distinguer de nombreux éléments, issus desources variées. Tout d’abord, il est encore indépendant de lafonction de reproduction au service de laquelle il se mettra plustard. Il sert à procurer plusieurs sortes de sensations agréablesque nous désignons du nom de plaisir sexuel par suite de certainesanalogies. La principale source du plaisir sexuel infantile estl’excitation de certaines parties du corps particulièrementsensibles, autres que les organes sexuels : la bouche, l’anus,l’urètre, ainsi que l’épiderme et autres surfaces sensibles. Cettepremière phase de la vie sexuelle infantile, dans laquellel’individu se satisfait au moyen de son propre corps et n’a besoind’aucun intermédiaire, nous l’appelons, d’après l’expression crééepar Havelock Ellis, la phase de l’auto-érotisme,Cesparties propres à procurer le plaisir sexuel, nous les appelonszones érogènes. La succion ou tétement des petits enfantsest un bon exemple de satisfaction auto-érotique procurée par unezone érogène. Le premier observateur scientifique de ce phénomène,le pédiatre Lindner, de Budapest, avait déjà interprété ces faits,à juste titre, comme une satisfaction sexuelle et décrit à fond lepassage de cet acte élémentaire à d’autres formes supérieures del’activité sexuelle. Une autre satisfaction sexuelle de cettepremière époque est l’excitation artificielle des organes génitaux,qui conserve pour la suite de la vie une grande importance et quecertains individus ne surmontent jamais complètement. A côté de cesactivités auto-érotiques, et d’autres du même genre, semanifestent, très vite, chez l’enfant, ces composantes instinctivesdu plaisir sexuel, ou, comme nous l’appelons volontiers, de lalibido, qui exigent l’intervention d’une personneétrangère.

Ces instincts se présentent par groupes dedeux, opposés l’un à l’autre, l’un actif et l’autre passif, dontvoici les principaux : le plaisir de faire souffrir (sadisme)avec son opposé passif (masochisme) ; le plaisir de voir etcelui d’exhiber (du premier se détachera plus tard l’exhibitionartistique et dramatique). D’autres activités sexuelles de l’enfantappartiennent déjà au stade du choix de l’objet, choixdans lequel une personne étrangère devient l’essentiel. Dans lespremiers temps de la vie, le choix de cette personne étrangèredépend de l’instinct de conservation. La différence des sexes nejoue pas le rôle décisif dans cette période infantile. Sans crainted’être injuste on peut attribuer à chaque enfant une légèredisposition à l’homosexualité.

Cette vie sexuelle de l’enfant, décousue,complexe, mais dissociée, dans laquelle l’instinct seul tend àprocurer des jouissances, cette vie se condense et s’organise dansdeux directions principales, si bien que la plupart du temps, à lafin de la puberté, le caractère sexuel de l’individu est formé.D’une part, les tendances se soumettent à la suprématie de la« zone génitale », processus par lequel toute la viesexuelle entre au service de la reproduction, et la satisfactiondes premières tendances n’a plus d’importance qu’en tant qu’elleprépare et favorise le véritable acte sexuel. D’autre part, ledésir d’une personne étrangère chasse l’auto-érotisme, de sorteque, dans la vie amoureuse, toutes les composantes de l’instinctsexuel tendent à trouver leur satisfaction auprès de la personneaimée. Mais toutes les composantes instinctives primitives ne sontpas autorisées à prendre part à cette fixation définitive de la viesexuelle. Avant l’époque de la puberté, sous l’influence del’éducation, se produisent des refoulements très énergiques decertaines tendances ; et des puissances psychiques comme lahonte, le dégoût, la morale, s’établissent en gardiennes pourcontenir ce qui a été refoulé. Et, lorsque à la puberté surgit lagrande marée des besoins sexuels, ceux-ci trouvent dans cesréactions et ces résistances des digues qui les obligent à suivreles voies dites normales et les empêchent d’animer à nouveau lestendances victimes du refoulement. Ce sont les plaisirs coprophiles de l’enfance, c’est-à-dire ceux qui ontrapport aux excréments ; c’est ensuite l’attachement auxpersonnes qui avaient été tout d’abord choisies comme objetaimé.

Il y a, en pathologie générale, un principequi nous rappelle que tout processus contient les germes d’unedisposition pathologique, en tant qu’il peut être inhibé, retardéou entravé dans son cours. – Il en est de même pour ledéveloppement si compliqué de la fonction sexuelle. Tous lesindividus ne le supportent pas sans encombre ; il laisse aprèslui des anomalies ou des dispositions à des maladies ultérieurespar régression. Il peut arriver que les instincts partiels ne sesoumettent pas tous à la domination des « zonesgénitales » ; un instinct qui reste indépendant forme ceque l’on appelle une perversion et substitue au but sexuelnormal sa finalité particulière. Comme nous l’avons déjà signalé,il arrive très souvent que l’auto-érotisme ne soit pas complètementsurmonté, ce que démontrent les troubles les plus divers qu’on peutvoir apparaître au cours de la vie. L’équivalence primitive desdeux sexes comme objets sexuels peut persister, d’où il résulteradans la vie de l’homme adulte un penchant à l’homosexualité, qui, àl’occasion, pourra aller jusqu’à l’homosexualité exclusive. Cettesérie de troubles correspond à un arrêt du développement desfonctions sexuelles ; elle comprend les perversions etl’infantilisme général, assez fréquent, de la vie sexuelle.

La disposition aux névroses découle d’uneautre sorte de troubles de l’évolution sexuelle. Les névroses sontaux perversions ce que le négatif est au positif ; en elles seretrouvent, comme soutiens des complexes et artisans des symptômes,les mêmes composantes instinctives que dans les perversions ;mais, ici, elles agissent du fond de l’inconscient ; elles ontdonc subi un refoulement, mais ont pu, malgré lui, s’affirmer dansl’inconscient. La psychanalyse nous apprend que l’extériorisationtrop forte de ces instincts, à des époques très lointaines, aproduit une sorte de fixation partielle qui représente maintenantun point faible dans la structure de la fonction sexuelle. Sil’accomplissement normal de la fonction à l’âge adulte rencontredes obstacles, c’est précisément à ces points où les fixationsinfantiles ont eu lieu que se rompra le refoulement réalisé par lesdiverses circonstances de l’éducation et du développement.

Peut-être me fera-t-on l’objection que toutcela n’est pas de la sexualité. J’emploie le mot dans un sensbeaucoup plus large que l’usage ne le réclame, soit. Mais laquestion est de savoir si ce n’est pas l’usage qui l’emploie dansun sens beaucoup trop étroit, en le limitant au domaine de lareproduction. On se met dans l’impossibilité de comprendre lesperversions ainsi que la relation qui existe entre perversion,névrose et vie sexuelle normale; on ne parvient pas à connaître lasignification des débuts, si facilement observables, de la vieamoureuse somatique et psychique des enfants. Mais, quel que soitle sens dans lequel on se décide, le psychanalyste prend le mot desexualité dans une acception totale, à laquelle il a été conduitpar la constatation de la sexualité infantile.

Revenons encore une fois à l’évolutionsexuelle de l’enfant. Il nous faut réparer bien des oublis, du faitque nous avons porté notre attention sur les manifestationssomatiques plutôt que sur les manifestations psychiques de la viesexuelle. Le choix primitif de l’objet chez l’enfant (choix quidépend de l’indigence de ses moyens) est très intéressant. L’enfantse tourne d’abord vers ceux qui s’occupent de lui ; maisceux-ci disparaissent bientôt derrière les parents. Les rapports del’enfant avec les parents, comme le prouvent l’observation directede l’enfant et l’étude analytique de l’adulte, ne sont nullementdépourvus d’éléments sexuels. L’enfant prend ses deux parents etsurtout l’un d’eux, comme objets de désirs. D’habitude, il obéit àune impulsion des parents eux-mêmes, dont la tendresse porte uncaractère nettement sexuel, inhibé il est vrai dans ses fins. Lepère préfère généralement la fille, la mère le fils. L’enfantréagit de la manière suivante : le fils désire se mettre à laplace du père, la fille, à celle de la mère. Les sentiments quis’éveillent dans ces rapports de parents à enfants et dans ceux quien dérivent entre frères et sœurs ne sont pas seulement positifs,c’est-à-dire tendres : ils sont aussi négatifs, c’est-à-direhostiles. Le complexe ainsi formé est condamné à un refoulementrapide; mais, du fond de l’inconscient, il exerce encore une actionimportante et durable. Nous pouvons supposer qu’il constitue, avecses dérivés, le complexe central de chaque névrose, etnous nous attendons à le trouver non moins actif dans les autresdomaines de la vie psychique. Le mythe du roi Œdipe quitue son père et prend sa mère pour femme est une manifestation peumodifiée du désir infantile contre lequel se dresse plus tard, pourle repousser, la barrière de l’inceste. Au fond du dramed’Hamlet, de Shakespeare, on retrouve cette même idée d’uncomplexe incestueux, mais mieux voilé.

A l’époque où l’enfant est dominé par cecomplexe central non encore refoulé, une partie importante de sonactivité intellectuelle se met au service de ses désirs. Ilcommence à chercher d’où viennent les enfants, et, au moyen desindices qui lui sont donnés, il devine la réalité plus que lesadultes ne le pensent. D’ordinaire, c’est la menace que constituela venue d’un nouvel enfant, en qui il ne voit d’abord qu’unconcurrent qui lui disputera des biens matériels, qui éveille sacuriosité. Sous l’influence d’instincts partiels, il va se mettre àéchafauder un certain nombre de théories sexuellesinfantiles ; il attribuera aux deux sexes les mêmesorganes ; les enfants, pense-t-il, sont conçus en mangeant etils viennent par l’extrémité de l’intestin ; il conçoit lerapport des sexes comme un acte d’hostilité, une sorte dedomination violente. Mais sa propre constitution encore impubère,son ignorance notamment des organes féminins, obligent le jeunechercheur à abandonner un travail sans espoir. Toutefois, cetterecherche, ainsi que les différentes théories qu’elle produit,influe de manière décisive sur le caractère de l’enfant et sesnévroses ultérieures.

Il est inévitable et tout à fait logique quel’enfant fasse de ses parents l’objet de ses premiers choixamoureux. Toutefois, il ne faut pas que sa libido restefixée à ces premiers objets; elle doit se contenter de les prendreplus tard comme modèles et, à l’époque du choix définitif, passerde ceux-ci à des personnes étrangères. L’enfant doit se détacher deses parents : c’est indispensable pour qu’il puisse jouer sonrôle social. A l’époque où le refoulement fait son choix parmi lesinstincts partiels de la sexualité, et, plus tard, quand il faut sedétacher de l’influence des parents (influence qui a fait lesprincipaux frais de ce refoulement), l’éducateur a de sérieuxdevoirs, qui, actuellement, ne sont pas toujours remplis avecintelligence.

Ces considérations sur la vie sexuelle et ledéveloppement psycho-sexuel ne nous ont éloignés, comme il pourraitle paraître, ni de la psychanalyse, ni du traitement des névroses.Bien au contraire, on pourrait définir le traitementpsychanalytique comme une éducation progressive pour surmonter chezchacun de nous les résidus de l’enfance.

CINQUIÈME LEÇON – Nature et significationdes névroses. La fuite hors de la réalité. Le refuge dans lamaladie. La régression. Relations entre les phénomènespathologiques et diverses manifestations de la vie normale. L’art.Le transfert. La sublimation.

 

La découverte de la sexualité infantile et laréduction des symptômes névrotiques à des composantes instinctivesérotiques nous ont conduit à quelques formules inattendues surl’essence et les tendances des névroses. Nous voyons que les hommestombent malades quand, par suite d’obstacles extérieurs ou d’uneadaptation insuffisante, la satisfaction de leurs besoins érotiquesleur est refusée dans la réalité. Nous voyons alors qu’ilsse réfugient dans la maladie, afin de pouvoir, grâce àelle, obtenir les plaisirs que la vie leur refuse. Nous avonsconstaté que les symptômes morbides sont une part de l’activitéamoureuse de l’individu, ou même sa vie amoureuse tout entière; ets’éloigner de la réalité, c’est la tendance capitale, mais aussi lerisque capital de la maladie. Ajoutons que la résistance de nosmalades à se guérir ne relève pas d’une cause simple, mais deplusieurs motifs. Ce n’est pas seulement le « moi » dumalade qui se refuse énergiquement à abandonner des refoulementsqui l’aident à se soustraire à ses dispositions originelles; maisles instincts sexuels eux-mêmes ne tiennent nullement à renoncer àla satisfaction que leur procure le substitut fabriqué par lamaladie, et tant qu’ils ignorent si la réalité leur fourniraquelque chose de meilleur.

La fuite hors de la réalité pénible ne vajamais sans provoquer un certain bien-être, même lorsqu’elleaboutit à cet état que nous appelons maladie parce qu’il estpréjudiciable aux conditions générales de l’existence. Elles’accomplit par voie de régression, en évoquant des phases périméesde la vie sexuelle, qui étaient l’occasion, pour l’individu, decertaines jouissances. La régression a deux aspects : d’unepart, elle reporte l’individu dans le passé, enressuscitant des périodes antérieures de sa libido, de sonbesoin érotique ; d’autre part, elle suscite des expressionsqui sont propres à ces périodes primitives. Mais ces deuxaspects, aspect chronologique et aspect formel,  se ramènent àune formule unique qui est : retour à l’enfance etrétablissement d’une étape infantile de la vie sexuelle.

Plus on approfondit la pathogenèse desnévroses, plus on aperçoit les relations qui les unissent auxautres phénomènes de la vie psychique de l’homme, même à ceuxauxquels nous attachons le plus de valeur. Et nous voyons combienla réalité nous satisfait peu malgré nos prétentions ; aussi,sous la pression de nos refoulements intérieurs, entretenons-nousau-dedans de nous toute une vie de fantaisie qui, en réalisant nosdésirs, compense les insuffisances de l’existence véritable.L’homme énergique et qui réussit, c’est celui qui parvient àtransmuer en réalités les fantaisies du désir. Quand cettetransmutation échoue par la faute des circonstances extérieures etde la faiblesse de l’individu, celui-ci se détourne du réel; il seretire dans l’univers plus heureux de son rêve; en cas de maladieil en transforme le contenu en symptômes. Dans certaines conditionsfavorables il peut encore trouver un autre moyen de passer de sesfantaisies à la réalité, au lieu de s’écarter définitivement d’ellepar régression dans le domaine infantile ; j’entends que, s’ilpossède le don artistique, psychologiquement simystérieux, il peut, au lieu de symptômes, transformer ses rêves encréations esthétiques. Ainsi échappe-t-il au destin de la névroseet trouve-t-il par ce détour un rapport avec laréalité [10]. Quand cette précieuse facultémanque ou se montre insuffisante, il devient inévitable que lalibidoparvienne, par régression, à la réapparition desdésirs infantiles, et donc à la névrose. La névrose remplace, ànotre époque, le cloître où avaient coutume de se retirer toutesles personnes déçues par la vie ou trop faibles pour lasupporter.

Je voudrais souligner ici le principalrésultat auquel nous sommes parvenus, grâce à l’examenpsychanalytique des névrosés : à savoir que les névroses n’ontaucun contenu psychique propre qui ne se trouve aussi chez lespersonnes saines, ou, comme l’a dit C. G. Jung, que les névroséssouffrent de ces mêmes complexes contre lesquels nous aussi, hommessains, nous luttons. Il dépend des proportions quantitatives, de larelation des forces qui luttent entre elles, que le combataboutisse à la santé, à la névrose ou à des productions surnormalesde compensation.

Je dois encore mentionner le fait le plusimportant qui confirme notre hypothèse des forces instinctives etsexuelles de la névrose. Chaque fois que nous traitonspsychanalytiquement un névrosé, ce dernier subit l’étonnantphénomène que nous appelons transfert. Cela signifie qu’ildéverse sur le médecin un trop-plein d’excitations affectueuses,souvent mêlées d’hostilité, qui n’ont leur source ou leur raisond’être dans aucune expérience réelle ; la façon dont ellesapparaissent, et leurs particularités, montrent qu’elles dériventd’anciens désirs du malade devenus inconscients. Ce fragment de vieaffective qu’il ne peut plus rappeler dans son souvenir, le maladele revit aussi dans ses relations avec le médecin ; et cen’est qu’après une telle reviviscence par le« transfert » qu’il est convaincu de l’existence comme dela force de ses mouvements sexuels inconscients. Les symptômes qui,pour emprunter une comparaison à la chimie, sont les précipitésd’anciennes expériences d’amour (au sens le plus large du mot), nepeuvent se dissoudre et se transformer en d’autres produitspsychiques qu’à la température plus élevée de l’événement du« transfert ». Dans cette réaction, le médecin joue,selon l’excellente expression de Ferenczi, le rôle d’un fermentcatalytique qui attire temporairement à lui les affects quiviennent d’être libérés.

L’étude du « transfert» peut aussi vousdonner la clef de la suggestion hypnotique, dont nous nous étionsservis au début comme moyen technique d’exploration del’inconscient. L’hypnose nous fut alors une aide thérapeutique maisaussi un obstacle à la connaissance scientifique des faits, en cequ’elle déblayait de résistances psychiques une certaine région,pour amonceler ces résistances, aux frontières de la même région,en un rempart insurmontable. Il ne faut pas croire, d’ailleurs, quele phénomène du « transfert », dont je ne puismalheureusement dire ici que peu de chose, soit créé parl’influence psychanalytique. Le « transfert » s’établitspontanément dans toutes les relations humaines, aussi bien quedans le rapport de malade à médecin; il transmet partoutl’influence thérapeutique et il agit avec d’autant plus de forcequ’on se doute moins de son existence. La psychanalyse ne le créedonc pas; elle le dévoile seulement et s’en empare pour orienter lemalade vers le but souhaité. Mais je ne puis abandonner la questiondu « transfert » sans souligner que ce phénomènecontribue plus que tout autre à persuader non seulement lesmalades, mais aussi les médecins, de la valeur de la psychanalyse.Je sais que tous mes partisans n’ont admis la justesse de messuppositions sur la pathologie des névroses que grâce à desexpériences de « transfert », et je peux très bienconcevoir que l’on ne soit pas convaincu tant qu’on n’a pratiquéaucune psychanalyse ni constaté les effets du« transfert ».

J’estime qu’il y a deux principales objectionsd’ordre intellectuel à opposer aux théories psychanalytiques.Premièrement, on n’a pas l’habitude de déterminer d’une façonrigoureuse la vie psychique; deuxièmement, on ignore par quelstraits les processus psychiques inconscients se différencient desprocessus conscients qui nous sont familiers. Les critiques lesplus fréquentes chez les malades comme chez les personnes en bonnesanté se ramènent au second de ces facteurs. On craint de faire dumal par la psychanalyse, on a peur d’appeler à la conscience dumalade les instincts sexuels refoulés, comme si cela faisait courirle risque d’une victoire de ces instincts sur les plus hautesaspirations morales. On remarque que le malade a dans l’âme desblessures à vif, mais on redoute d’y toucher, de peur d’augmentersa souffrance.

Adoptons cette analogie. Il y a, certes, plusde ménagement à ne pas toucher aux places malades si on ne saitqu’aggraver la douleur. Mais le chirurgien ne se refuse pasd’attaquer la maladie dans son foyer même, quand il pense que sonintervention apportera la guérison. Personne ne songe à reprocherau chirurgien les souffrances d’une opération, pourvu qu’elle soitcouronnée de succès. Il doit en être de même pour la psychanalyse,d’autant plus que les réactions désagréables qu’elle peutmomentanément  provoquer sont incomparablement moins grandesque celles qui accompagnent une intervention chirurgicale.D’ailleurs, ces désagréments sont bien peu de chose comparés auxtortures de la maladie. Il va sans dire que la psychanalyse doitêtre exercée selon toutes les règles de l’art. Quant aux instinctsqui étaient refoulés et que la psychanalyse libère, est-il àcraindre qu’en réapparaissant sur la scène ils ne portent atteinteaux tendances morales et sociales acquises par l’éducation ?En rien, car nos observations nous ont montré de façon certaine quela force psychique et physique d’un désir est bien plus grandequand il baigne dans l’inconscient  que lorsqu’il s’impose àla conscience. On le comprendra si l’on songe qu’un désirinconscient est soustrait à toute influence; les aspirationsopposées n’ont pas de prise sur lui. Au contraire, un désirconscient peut être influencé par tous les autres phénomènesintérieurs qui s’opposent à lui. En corrigeant les résultats durefoulement défectueux, le traitement psychanalytique répond auxambitions les plus élevées de la vie intellectuelle et morale.

Voyons maintenant ce que deviennent les désirsinconscients libérés par la psychanalyse ? Par quels moyenspeut-on les rendre inoffensifs? Nous en connaissons trois.

Il arrive, le plus souvent, que ces désirssoient simplement supprimés par la réflexion, au cours dutraitement. Ici, le refoulement est remplacé par une sorte decritique ou de condamnation. Cette critique est d’autant plus aiséequ’elle porte sur les produits d’une période infantile du« moi ». Jadis l’individu, alors faible et incomplètementdéveloppé, incapable de lutter efficacement contre un penchantimpossible à satisfaire, n’avait pu que le refouler. Aujourd’hui,en pleine maturité, il est capable de le maîtriser.

Le second moyen, par lequel la psychanalyseouvre une issue aux instincts qu’elle découvre, consiste à lesramener à la fonction normale qui eût été la leur, si ledéveloppement de l’individu n’avait pas été perturbé. Il n’est, eneffet, nullement dans l’intérêt de celui-ci d’extirper les désirsinfantiles. La névrose, par ses refoulements, l’a privé denombreuses sources d’énergie psychique qui eussent été fort utilesà la formation de son caractère et au déploiement de sonactivité.

Nous connaissons encore une issue, meilleurepeut-être, par où les désirs infantiles peuvent manifester toutesleurs énergies et substituer au penchant irréalisable de l’individuun but supérieur situé parfois complètement en dehors de lasexualité : c’est la sublimation. Les tendances quicomposent l’instinct sexuel se caractérisent précisément par cetteaptitude à la sublimation : à leur fin sexuelle se substitueun objectif plus élevé et de plus grande valeur sociale. C’est àl’enrichissement psychique résultant de ce processus desublimation, que sont dues les plus nobles acquisitions de l’esprithumain.

Voici enfin la troisième des conclusionspossibles du traitement psychanalytique : il est légitimequ’un certain nombre des tendances libidinales refoulées soientdirectement satisfaites et que cette satisfaction soit obtenue parles moyens ordinaires. Notre civilisation, qui prétend à une autreculture, rend en réalité la vie trop difficile à la plupart desindividus et, par l’effroi de la réalité, provoque des névrosessans qu’elle ait rien à gagner à cet excès de refoulement sexuel.Ne négligeons pas tout à fait ce qu’il y a d’animal dans notrenature. Notre idéal de civilisation n’exige pas qu’on renonce à lasatisfaction de l’individu. Sans doute, il est tentant detransfigurer les éléments de la sexualité par le moyen d’unesublimation toujours plus étendue, pour le plus grand bien de lasociété. Mais, de même que dans une machine on ne peut transformeren travail mécanique utilisable la totalité de la chaleur dépensée,de même on ne peut espérer transmuer intégralement l’énergieprovenant de l’instinct sexuel. Cela est impossible. Et en privantl’instinct sexuel de son aliment naturel, on provoque desconséquences fâcheuses.

Rappelez-vous l’histoire du cheval de Schilda.Les habitants de cette petite ville possédaient un cheval dont laforce faisait leur admiration. Malheureusement, l’entretien de labête coûtait fort cher; on résolut donc, pour l’habituer à sepasser de nourriture, de diminuer chaque jour d’un grain sa rationd’avoine. Ainsi fut fait ; mais, lorsque le dernier grain futsupprimé, le cheval était mort. Les gens de Schilda ne surentjamais pourquoi.

Quant à moi, j’incline à croire qu’il est mortde faim, et qu’aucune bête n’est capable de travailler si on ne luifournit sa ration d’avoine.

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