Fables

de Charles Perrault
À propos de Charles Perrault

 

Il est connu comme auteur de contes pour enfants. C’est à lui qu’on doit la mise en forme définitive de contes populaires sous le titre : Contes de ma mère l’Oye,parmi lesquels les très célèbres : Petit Chaperon rouge,Barbe Bleue, Cendrillon, le Petit Poucet, etc. Ces œuvres connurent, comme les fables de La Fontaine, un succès considérable dès leur publication en 1697,succès qui ne s’est jamais démenti. Charles Perrault ne fut pas à proprement parler un concurrent de La Fontaine mais il ne fut pas non plus son ami car il avait été celui de Colbert et son collaborateur aux finances royales.

 

 

Le duc et les oiseaux

 

Un jour le Duc fut tellement battu par tous les Oiseaux, à cause de son vilain chant et de son laid plumage,que depuis il n’a osé se montrer que la nuit.

 

Tout homme avisé qui s’engage

Dans le Labyrinthe d’Amour,

Et qui veut en faire le tour,

Doit être doux en son langage,

Galant, propre en son équipage,

Surtout nullement loup-garou.

Autrement toutes les femelles

Jeunes, vieilles, laides et belles,

Blondes, brunes, douces, cruelles,

Se jetteront sur lui comme sur un Hibou.

Les coqs et la perdrix

 

Une Perdrix s’affligeait fort d’être battuepar des Coqs ; mais elle se consola, ayant vu qu’ils sebattaient eux-mêmes.

 

Si d’une belle on se voit maltraiter

Les premiers jours qu’on entre à sonservice,

Il ne faut pas se rebuter :

Bien des Amants, quoiqu’Amour les unisse,

Ne laissent pas de s’entrepicoter.

Le coq et le renard

 

Un Renard priait un Coq de descendre, pour seréjouir ensemble de la paix faite entre les Coqs et lesRenards : – Volontiers, dit le Coq, quand deuxlévriers que je vois, qui en apportent la nouvelle, serontarrivés. – Le Renard remit la réjouissance à une autrefois et s’enfuit.

 

Un rival contre nous est toujoursenragé ;

S’y fier est chose indiscrète,

Quelque amitié qu’il vous promette,

Il voudrait vous avoir mangé.

Le coq et le diamant

 

Un Coq ayant trouvé un Diamant,dit : – J’aimerais mieux avoir trouvé un graind’orge. –

 

Ainsi jeune beauté, mignonne et délicate,

Gardez-vous bien de tomber sous la patte

D’un brutal qui n’ayant point d’yeux

Pour tous les beaux talents dont votre espritéclate

Aimerait cent fois mieux

La moindre fille de village,

Qui serait plus à son usage.

Le chat pendu et les rats

 

Un Chat se pendit par la patte, et faisant lemort, attrapa plusieurs Rats. Une autre fois il se couvrit defarine. Un vieux Rat lui dit : – Quand tu seraismême le sac de la farine, je ne m’approcheraispas. –

 

Le plus sûr bien souvent est de faireretraite

Le Chat est Chat, la Coquette estCoquette.

L’aigle et le renard

 

Une Aigle fit amitié avec un Renard, qui avaitses petits au pied de l’arbre où était son nid ; l’Aigle eutfaim et mangea les petits du Renard qui, ayant trouvé un flambeauallumé mit le feu à l’arbre et mangea les Aiglons qui tombèrent àdemi rôtis.

 

Il n’est point de peine cruelle

Que ne mérite une infidèle.

Les paons et le geai

 

Le Geai s’étant paré un jour des plumes deplusieurs Paons, voulait faire comparaison avec eux ; chacunreprit ses plumes, et le Geai ainsi dépossédé, leur servit derisée.

 

Qui n’est pas né pour la galanterie,

Et n’a qu’un bel air emprunté,

Doit s’attendre à la raillerie,

Et que des vrais galants il sera bafoué.

Le coq et le coq d’inde

 

Un Coq d’Inde entra dans une Cour en faisantla roue. Un Coq s’en offensa et courut le combattre, quoiqu’il fûtentré sans dessein de lui nuire.

 

D’aucun rival il ne faut prendre ombrage,

Sans le connaître auparavant :

Tel que l’on croit dangereux personnage

N’est qu’un fanfaron bien souvent.

Le paon et la pie

 

Les Oiseaux élirent le Paon pour leur Roi àcause de sa beauté. Une Pie s’y opposa, et leur dit qu’il fallaitmoins regarder à la beauté qu’il avait qu’à la vertu qu’il n’avaitpas.

 

Pour mériter le choix d’une jeunemerveille,

N’en déplaise à maint jouvenceau

Dont le teint est plus frais qu’une rosevermeille,

Ce n’est pas tout que d’être beau.

Le dragon, l’enclume, et la lime

 

Un Dragon voulait ronger une Enclume, une Limelui dit : – Tu te rompras plutôt les dents que del’entamer. Je puis moi seule avec les miennes te ronger toi-même ettout ce qui est ici. –

 

Quand un galant est fâché tout de bon

En vain l’amante se courrouce,

Elle ne gagne rien de faire le Dragon,

Plus ferait une Lime douce.

Le singe et ses petits

 

Un Singe trouva un jour un de ses petits sibeau, qu’il l’étouffa à force de l’embrasser.

 

Mille exemples pareils nous font voir tous lesjours,

Qu’il n’est point de laides amours.

Le combat des oiseaux

 

Les Oiseaux eurent guerre avec les Animauxterrestres. La Chauve-Souris croyant les Oiseaux plus faibles,passa du côté de leurs ennemis qui perdirent pourtant la bataille.Elle n’a osé depuis retourner avec les Oiseaux et ne vole plus quela nuit.

 

Quand on a pris parti pour les yeux d’unebelle,

Il faut être insensible à tous autresattraits,

Il faut jusqu’à la mort lui demeurerfidèle,

Ou s’aller cacher pour jamais.

La poule et les poussins

 

Une Poule voyant approcher un Milan, fitentrer ses Poussins dans une cage, et les garantit ainsi de leurennemi.

 

Quand on craint les attraits d’une beautécruelle,

Il faut se cacher à ses yeux

Ou soudain se ranger sous les lois d’uneBelle

Qui sache nous défendre et qui nous traitemieux.

Le renard et la grue

 

Un Renard ayant invité une Grue à manger, nelui servit dans un bassin fort plat, que de la bouillie qu’ilmangea presque toute, lui seul.

 

Tromper une Maîtresse est trop sehasarder,

Et ce serait grande merveille,

Si malgré tous les soins qu’on prend à s’engarder,

Elle ne rendait la pareille.

La grue et le renard

 

La Grue pria ensuite le Renard à manger, etlui servit aussi de la bouillie, mais dans une fiole, où faisantentrer son grand bec, elle la mangea toute, elle seule.

 

On connaît peu les gens à la première vue,

On n’en juge qu’au hasard

Telle qu’on croit une Grue

Est plus fine qu’un Renard.

Le paon et le rossignol

 

Un Paon se plaignait à Junon de n’avoir pas lechant agréable comme le Rossignol. Junon luidit : – Les Dieux partagent ainsi leurs dons, il tesurpasse en la douceur du chant, tu le surpasses en la beauté duplumage. –

 

L’un est bien fait, l’autre est galant,

Chacun pour plaire a son talent.

Le perroquet et le singe

 

Un Perroquet se vantait de parler comme unhomme : – Et moi, dit le Singe, j’imite toutes sesactions. – Pour en donner une marque, il mit la chemised’un jeune garçon qui se baignait là auprès, où il s’empêtra sibien que le jeune garçon le prit et l’enchaîna.

 

Il ne faut se mêler que de ce qu’on saitfaire,

Bien souvent on déplaît pour chercher trop àplaire.

Le singe juge

 

Un Loup et un Renard plaidaient l’un contrel’autre pour une affaire fort embrouillée. Le Singe qu’ils avaientpris pour Juge, les condamna tous deux à l’amende, disant qu’il nepouvait faire mal de condamner deux aussi méchantes bêtes.

 

Quand deux amants en usent mal,

Ou que l’un et l’autre est brutal,

Quelques bonnes raisons que chacun puissedire

Pour être préféré par l’objet de ses voeux

La Belle doit en rire

Et les chasser tous deux.

Le rat et la grenouille

 

Une Grenouille voulant noyer un Rat, luiproposa de le porter sur son dos par tout son marécage, elle liaune de ses pattes à celle du Rat, non pas pour l’empêcher detomber, comme elle disait ; mais pour l’entraîner au fond del’eau. Un Milan voyant le Rat fondit dessus, et l’enlevant, enlevaaussi la Grenouille et les mangea tous deux.

 

De soi la trahison est infâme et maudite,

Et pour perdre un rival, rien n’est sihasardeux,

Quelque bien qu’elle soit conduite,

Elle fait périr tous les deux.

Le lièvre et la tortue

 

Un Lièvre s’étant moqué de la lenteur d’uneTortue, de dépit elle le défia à la course. Le Lièvre la voitpartir et la laisse si bien avancer, que quelques efforts qu’il fîtensuite, elle toucha le but avant lui.

 

Trop croire en son mérite est manquer decervelle,

Et pour s’y fier trop maint amant s’estperdu.

Pour gagner le coeur d’une Belle,

Rien n’est tel que d’être assidu.

Le loup et la grue

 

Un Loup pria une Grue de lui ôter avec son becun os qu’il avait dans la gorge, elle le fit et lui demandarécompense : – N’est-ce pas assez, dit le Loup, dene t’avoir pas mangée ? –

 

Servir une ingrate beauté,

C’est tout au moins peine perdue,

Et pour prétendre en être bien traité,

Il faut être bien Grue.

Le milan et les oiseaux

 

Un Milan feignit de vouloir traiter les petitsOiseaux le jour de sa naissance, et les ayant reçus chez lui lesmangea tous.

 

Quand vous voyez qu’une fine femelle,

En même temps fait les yeux doux

À quinze ou seize jeunes fous,

Qui tous ne doutent point d’être aimés de laBelle,

Pourquoi vous imaginez-vous

Qu’elle les attire chez elle

Si ce n’est pour les plumer tous.

Le singe roi

 

Un Singe fut élu Roi par les Animaux, pouravoir fait cent singeries avec la couronne qui avait été apportéepour couronner celui qui serait élu. Un Renard indigné de ce choix,dit au nouveau Roi qu’il vînt prendre un trésor qu’il avait trouvé.Le Singe y alla et fut pris à un trébuchet tendu où le Renarddisait qu’était le trésor.

 

Savoir bien badiner est un grand avantage

Et d’un très grand usage,

Mais il faut être accort, sage, discret etfin,

Autrement l’on n’est qu’un badin.

Le renard et le bouc

 

Un Bouc et un Renard descendirent dans unpuits pour y boire, la difficulté fut de s’en retirer ; leRenard proposa au Bouc de se tenir debout, qu’il monterait sur sescornes, et qu’étant sorti il lui aiderait. Quand il fut dehors, ilse moqua du Bouc, et lui dit : – Si tu avais autantde sens que de barbe, tu ne serais pas descendu là, sans savoircomment tu en sortirais. –

 

Tomber entre les mains d’une Coquettefière,

Est un plus déplorable sort,

Que tomber dans un puits la tête lapremière,

On est bien fin quand on en sort.

Le conseil des rats

 

Les Rats tinrent conseil pour se garantir d’unChat qui les désolait. L’un d’eux proposa de lui pendre un grelotau cou ; l’avis fut loué, mais la difficulté se trouva grandeà mettre le grelot.

 

Quand celle à qui l’on fait la cour,

Est rude, sauvage et sévère ;

Le moyen le plus salutaire,

Serait de lui pouvoir donner un peud’amour,

Mais c’est là le point de l’affaire.

Le singe et le chat

 

Le Singe voulant manger des marrons quiétaient dans le feu, se servit de la patte du Chat pour lestirer.

 

Faire sa cour aux dépens d’un Rival,

Est à peu près un tour égal.

Le renard et les raisins

 

Un Renard ne pouvant atteindre aux Raisinsd’une treille, dit qu’ils n’étaient pas mûrs, et qu’il n’en voulaitpoint.

 

Quand d’une charmante beauté,

Un galant fait le dégoûté,

Il a beau dire, il a beau feindre,

C’est qu’il n’y peut atteindre.

L’aigle et le lapin

 

L’Aigle poursuivant un Lapin, fut priée par unEscarbot de lui donner la vie, elle n’en voulut rien faire, etmangea le Lapin. L’Escarbot par vengeance cassa deux années desuite les oeufs de l’Aigle, qui enfin alla pondre sur la robe deJupiter. L’Escarbot y fit tomber son ordure. Jupiter voulant lasecouer, jeta les oeufs en bas, et les cassa.

 

Ce n’est pas assez que de plaire

À l’objet dont votre âme a ressenti lescoups :

Il faut se faire aimer de tous ;

Car si la soubrette est contraire,

Vous ne ferez jamais affaire

Quand la Belle serait pour vous.

Le loup et le porc-épic

 

Un Loup voulait persuader à un Porc-Épic de sedéfaire de ses piquants, et qu’il en serait bien plusbeau. – Je le crois, dit le Porc-Épic, mais ces piquantsservent à me défendre. –

 

Jeunes beautés, chacun vous étourdit,

À force de prôner que vous seriez plusbelles,

Si vous cessiez d’être cruelles,

Il est vrai, mais souvent c’est un Loup qui ledit.

Le serpent à plusieurs têtes

 

Deux Serpents l’un à plusieurs têtes, l’autreà plusieurs queues, disputaient de leurs avantages. Ils furentpoursuivis ; celui à plusieurs queues se sauva au travers desbroussailles, toutes les queues suivant aisément la tête. L’autre ydemeura, parce que les unes de ses têtes allant à droite, lesautres à gauche, elles trouvèrent des branches qui lesarrêtèrent.

 

Écouter trop d’avis est un moyencontraire,

Pour venir à sa fin,

Le plus sûr, en amour, comme en toute autreaffaire,

Est d’aller son chemin.

La petite souris, le chat, et lecochet

 

Une petite Souris ayant rencontré un Chat etun Cochet, voulait faire amitié avec le Chat ; mais elle futeffarouchée par le Cochet qui vint à chanter. Elle s’en plaignit àsa mère, qui lui dit : – Apprends que cet animal quite semble si doux, ne cherche qu’à nous manger, et que l’autre nenous fera jamais de mal. –

 

De ces jeunes plumets plus bravesqu’Alexandre,

Il est aisé de se défendre ;

Mais gardez-vous des doucereux,

Ils sont cent fois plus dangereux.

Le milan et les colombes

 

Les Colombes poursuivies par le Milan,demandèrent secours à l’Épervier, qui leur fit plus de mal que leMilan même.

 

On sait bien qu’un mari fait souventenrager,

Toutefois la jeune Colombe,

Qui gémit, et veut se venger,

Doit bien, avant que s’engager,

Voir en quelles mains elle tombe ;

Car si l’amant est brutal et jaloux,

Il est pire encor que l’époux.

Le dauphin et le singe

 

Un Singe dans un naufrage, sauta sur unDauphin qui le reçut, le prenant pour un homme ; mais luiayant demandé s’il visitait souvent le Pirée qui est un port demer, et le Singe ayant répondu qu’il était de ses amis, il connutqu’il ne portait qu’une bête, et le noya.

 

En vain un galant fait le beau,

A beaux traits, beaux habits, beau linge, etbelle tête,

Si du reste c’est une bête,

Il n’est bon qu’à jeter en l’eau.

Le renard et le corbeau

 

Un Renard voyant un fromage dans le bec d’unCorbeau, se mit à louer son beau chant. Le Corbeau voulut chanter,et laissa choir son fromage que le Renard mangea.

 

On peut s’entendre cajoler,

Mais le péril est de parler.

Du cygne et de la grue

 

La Grue demanda à un Cygne, pourquoi ilchantait : – C’est que je vais mourir, répondit leCygne, et mettre fin à tous mes maux. –

 

Quand d’une extrême ardeur on languit nuit etjour,

Cette ardeur devient éloquente,

Et la voix d’un amant n’est jamais sicharmante,

Que quand il meurt d’amour.

Le loup et la tête

 

Un Loup voyant une belle Tête, chez unSculpteur, disait : – Elle est belle, mais leprincipal lui manque, l’esprit et le jugement. –

 

Pour tenir dans les fers un amant arrêté,

Il faut joindre l’esprit avecque labeauté.

Le serpent et le hérisson

 

Un Serpent retira dans sa caverne un Hérissonqui s’étant familiarisé, se mit à le piquer. Il le pria de se logerailleurs. – Si je t’incommode, dit le Hérisson, tu peuxtoi-même chercher un autre logement. –

 

Introduire un ami chez la beauté qu’onaime,

Est bien souvent une imprudence extrême,

Dont à loisir on se repent ;

L’ami prend votre place, est aimé de labelle,

Et l’on n’est plus regardé d’elle

Que comme un malheureux serpent.

Les canes et le petit barbet

 

Un petit Barbet poursuivait à la nage degrandes Canes. Elles lui dirent : – Tu te tourmentesen vain, tu as bien assez de force pour nous faire fuir, mais tun’en as pas assez pour nous prendre. –

 

Il faut que l’objet soit sortable ;

C’est autrement soi-même se trahir,

Quand on n’est pas assez aimable ;

Plus on poursuit, plus on se fait haïr.

 

Le Barbet de cette fontaine courteffectivement après les Canes qui fuient devant lui ; et leBarbet et les Canes jettent de l’eau en l’air, en tournant l’unaprès l’autre. Cette fontaine s’appelle aussi la fontaine dugouffre, parce que les eaux qui entrent dans son bassin avec grandeabondance, y tournoient avec rapidité et avec bruit ; puiss’engouffrent dans la terre et s’y perdent.

Share