de Pierre Corneille
Adresse
À Madame de Liancour
Madame, Monsieur, Je vous demande pardon si je vous fais un mauvais présent ; non pas que j’aie si mauvaise opinion de cette pièce, que je veuille condamner les applaudissements qu’elle a reçus, mais parce que je ne croirai jamais qu’un ouvrage de cette nature soit digne de vous être présenté. Aussi vous supplierai-je très humblement de ne prendre pas tant garde à la qualité de la chose, qu’au pouvoir de celui dont elle part : c’est tout ce que vous peut offrir un homme de ma sorte ; et Dieu ne m’ayant pas fait naître assez considérable pour être à votre service, je me tiendrai trop récompensé d’ailleurs si je puis contribuer en quelque façon à vos divertissements. De six comédies qui me sont échappées, si celle-ci n’est la meilleure, c’est la plus heureuse, et toutefois la plus malheureuse en ce point, que n’ayant pas eu l’honneur d’être vue de vous, il lui manque votre approbation, sans laquelle sa gloire est encore douteuse, et n’ose s’assurer sur les acclamations publiques.Elle vous la vient demander, Madame, avec cette protection qu’autrefois Mélite a trouvée si favorable. J’espère que votre bonté ne lui refusera pas l’une et l’autre, ou que si vous désapprouvez sa conduite, du moins vous agréez mon zèle, et me permettrez de me dire toute ma vie,
Madame,
Votre très humble, très obéissant, et très obligé serviteur,
Corneille.
Examen
Ce titre serait tout à fait irrégulier,puisqu’il n’est fondé que sur le spectacle du premier acte, où commence l’amour de Dorimant pour Hippolyte, s’il n’était autorisé par l’exemple des anciens, qui étaient sans doute encore bien plus licencieux, quand ils ne donnaient à leurs tragédies que le nom des chœurs, qui n’étaient que témoins de l’action, comme les Trachiniennes et les Phéniciennes. L’Ajax même de Sophocle ne porte pas pour titre la Mort d’Ajax, qui est sa principale action, mais Ajax porte-fouet, qui n’est que l’action du premier acte. Je ne parle point des Nuées, des Guêpes et des Grenouilles d’Aristophane ; ceci doit suffire pour montrer que les Grecs, nos premiers maîtres, ne s’attachaient point à la principale action pour en faire porter le nom à leurs ouvrages, et qu’ils ne gardaient aucune règle sur cet article. J’ai donc pris ce titre de la Galerie du Palais, parce que la promesse de ce spectacle extraordinaire, et agréable pour sa naïveté, devait exciter vraisemblablement la curiosité des auditeurs ; et ç’a été pour leur plaire plus d’une fois, quej’ai fait paraître ce même spectacle à la fin du quatrième acte, oùil est entièrement inutile, et n’est renoué avec celui du premierque par des valets qui viennent prendre dans les boutiques ce queleurs maîtres y avaient acheté, ou voir si les marchands ont reçules nippes qu’ils attendaient. Cette espèce de renouement lui étaitnécessaire, afin qu’il eût quelque liaison qui lui fît trouver saplace, et qu’il ne fût pas tout à fait hors d’œuvre. La rencontreque j’y fais faire d’Aronte et de Florice est ce qui le fixeparticulièrement en ce lieu-là ; et sans cet incident, il eûtété aussi propre à la fin du second et du troisième, qu’en la placequ’il occupe. Sans cet agrément la pièce aurait été très régulièrepour l’unité du lieu et la liaison des scènes, qui n’estinterrompue que par là. Célidée et Hippolyte sont deux voisinesdont les demeures ne sont séparées que par le travers d’une rue, etne sont pas d’une condition trop élevée pour souffrir que leursamants les entretiennent à leur porte. Il est vrai que ce qu’ellesy disent serait mieux dit dans une chambre ou dans une salle, etmême ce n’est que pour se faire voir aux spectateurs qu’ellesquittent cette porte où elles devraient être retranchées, etviennent parler au milieu de la scène ; mais c’est unaccommodement de théâtre qu’il faut souffrir pour trouver cetterigoureuse unité de lieu qu’exigent les grands réguliers. Il sortun peu de l’exacte vraisemblance et de la bienséance même ;mais il est presque impossible d’en user autrement ; et lesspectateurs y sont si accoutumés, qu’ils n’y trouvent rien qui lesblesse. Les anciens, sur les exemples desquels on a formé lesrègles, se donnaient cette liberté ; ils choisissaient pour lelieu de leurs comédies, et même de leurs tragédies, une placepublique ; mais je m’assure qu’à les bien examiner il y a plusde la moitié de ce qu’ils font dire qui serait mieux dit dans lamaison qu’en cette place. Je n’en produirai qu’un exemple, sur quile lecteur en pourra trouver d’autres.
L’Andrienne de Térence commence parle vieillard Simon, qui revient du marché avec des valets chargésde ce qu’il vient d’acheter pour les noces de son fils ; illeur commande d’entrer dans sa maison avec leur charge, et retientavec lui Sosie, pour lui apprendre que ces noces ne sont que desnoces feintes, à dessein de voir ce qu’en dira son fils, qu’ilcroit engagé dans une autre affection dont il lui conte l’histoire.Je ne pense pas qu’aucun me dénie qu’il serait mieux dans sa salleà lui faire confidence de ce secret que dans une rue. Dans laseconde scène, il menace Davus de le maltraiter, s’il fait aucunefourbe pour troubler ses noces : il le menacerait plus àpropos dans sa maison qu’en public ; et la seule raison qui lefait parler devant son logis, c’est afin que ce Davus, demeuréseul, puisse voir Mysis sortir de chez Glycère, et qu’il se fasseune liaison d’œil entre ces deux scènes ; ce qui ne regardepas l’action présente de cette première, qui se passerait mieuxdans la maison, mais une action future qu’ils ne prévoient point,et qui est plutôt du dessein du poète, qui force un peu lavraisemblance pour observer les règles de son art, que du choix desacteurs qui ont à parler, qui ne seraient pas où les met le poète,s’il n’était question que de dire ce qu’il leur fait dire. Jelaisse aux curieux à examiner le reste de cette comédie deTérence ; et je veux croire qu’à moins que d’avoir l’espritfort préoccupé d’un sentiment contraire, ils demeureront d’accordde ce que je dis.
Quant à la durée de cette pièce, elle est dansle même ordre que la précédente, c’est-à-dire dans cinq joursconsécutifs. Le style en est plus fort et plus dégagé des pointesdont j’ai parlé, qui s’y trouveront assez rares. Le personnage denourrice, qui est de la vieille comédie, et que le manqued’actrices sur nos théâtres y avait conservé jusqu’alors, afinqu’un homme le pût représenter sous le masque, se trouve icimétamorphosé en celui de suivante, qu’une femme représente sur sonvisage. Le caractère des deux amantes a quelque chose de choquant,en ce qu’elles sont toutes deux amoureuses d’hommes qui ne le sontpoint d’elles, et Célidée particulièrement s’emporte jusqu’às’offrir elle-même. On la pourrait excuser sur le violent dépitqu’elle a de s’être vue méprisée par son amant, qui, en sa présencemême a conté des fleurettes à une autre ; et j’aurais de plusà dire que nous ne mettons pas sur la scène des personnages siparfaits, qu’ils ne soient sujets à des défauts et aux faiblessesqu’impriment les passions ; mais je veux bien avouer que celava trop avant, et passe trop la bienséance et la modestie du sexe,bien qu’absolument il ne soit pas condamnable. En récompense, lecinquième acte est moins traînant que celui des précédentes, etconclut deux mariages sans laisser aucun mécontent ; ce quin’arrive pas dans celles-là.
Pleirante, pèrede Célidée.
Lysandre, amantde Célidée.
Dorimant,amoureux d’Hippolyte.
Chrysante, mèred’Hippolyte.
Célidée, fillede Pleirante.
Hippolyte, fillede Chrysante.
Aronte, écuyerde Lysandre.
Cléante, écuyerde Dorimant.
Florice,suivante d’Hippolyte.
Le Libraire duPalais.
Le Mercier duPalais.
La Lingère duPalais.
La scène est àParis.
Aronte,Florice
Aronte
Enfin je ne le puis : que veux-tu que j’yfasse ?
Pour tout autre sujet mon maître n’est queglace ;
Elle est trop dans son cœur ; on ne l’enpeut chasser,
Et c’est folie à nous que de plus ypenser.
J’ai beau devant les yeux lui remettreHippolyte,
Parler de ses attraits, élever son mérite,
Sa grâce, son esprit, sa naissance, sonbien ;
Je n’avance non plus qu’à ne lui direrien :
L’amour, dont malgré moi son âme estpossédée,
Fait qu’il en voit autant, ou plus, enCélidée.
Florice
Ne quittons pas pourtant ; à la longue onfait tout.
La gloire suit la peine : espéronsjusqu’au bout.
Je veux que Célidée ait charmé soncourage,
L’amour le plus parfait n’est pas unmariage ;
Fort souvent moins que rien cause un grandchangement,
Et les occasions naissent en un moment.
Aronte
Je les prendrai toujours quand je les verrainaître.
Florice
Hippolyte, en ce cas, saura lereconnaître.
Aronte
Tout ce que j’en prétends, c’est un entiersecret.
Adieu : je vais trouver Célidée àregret.
Florice
De la part de ton maître ?
Aronte
Oui.
Florice
Si j’ai bonne vue,
La voilà que son père amène vers la rue.
Tirons-nous à quartier ; nous joueronsmieux nos jeux,
S’ils n’aperçoivent point que nous parlionsnous deux.
Pleirante,Célidée
Pleirante
Ne pense plus, ma fille, à me cacher taflamme ;
N’en conçois point de honte, et n’en crainspoint de blâme :
Le sujet qui l’allume a des perfections
Dignes de posséder tes inclinations ;
Et pour mieux te montrer le fond de moncourage,
J’aime autant son esprit que tu fais sonvisage.
Confesse donc, ma fille, et crois qu’un sibeau feu
Veut être mieux traité que par un désaveu.
Célidée
Monsieur, il est tout vrai, son ardeurlégitime
A tant gagné sur moi que j’en fais del’estime ;
J’honore son mérite, et n’ai pu m’empêcher
De prendre du plaisir à m’en voirrechercher ;
J’aime son entretien, je chéris saprésence :
Mais cela n’est enfin qu’un peu decomplaisance,
Qu’un mouvement léger qui passe en moins d’unjour.
Vos seuls commandements produiront monamour ;
Et votre volonté, de la mienne suivie…
Pleirante
Favorisant ses vœux, seconde ton envie.
Aime, aime ton Lysandre ; et puisque jeconsens
Et que je t’autorise à ces feux innocents,
Donne-lui hardiment une entière assurance
Qu’un mariage heureux suivra sonespérance ;
Engage-lui ta foi. Mais j’aperçois venir
Quelqu’un qui de sa part te viententretenir.
Ma fille, adieu : les yeux d’un homme demon âge
Peut-être empêcheraient la moitié dumessage.
Célidée
Il ne vient rien de lui qu’il faille vousceler.
Pleirante
Mais tu seras sans moi plus libre à luiparler ;
Et ta civilité, sans doute un peu forcée,
Me fait un compliment qui trahit tapensée.
Célidée,Aronte
Célidée
Que fait ton maître, Aronte ?
Aronte
Il m’envoie aujourd’hui
Voir ce que sa maîtresse a résolu de lui,
Et comment vous voulez qu’il passe lajournée.
Célidée
Je serai chez Daphnis toutel’après-dînée ;
Et s’il m’aime, je crois que nous l’y pourronsvoir.
Autrement…
Aronte
Ne pensez qu’à l’y bien recevoir.
Célidée
S’il y manque, il verra sa paresse punie.
Nous y devons dîner fort bonnecompagnie ;
J’y mène, du quartier, Hippolyte etChloris.
Aronte
Après elles et vous il n’est rien dansParis ;
Et je n’en sache point, pour belles qu’on lesnomme,
Qui puissent attirer les yeux d’un honnêtehomme.
Célidée
Je ne suis pas d’humeur bien propre àt’écouter,
Et ne prends pas plaisir à m’entendreflatter.
Sans que ton bel esprit tâche plus d’yparaître,
Mêle-toi de porter ma réponse à tonmaître.
Aronte,seul.
Quelle superbe humeur ! quel arrogantmaintien !
Si mon maître me croit, vous ne tenez plusrien ;
Il changera d’objet, ou j’y perdrai mapeine :
Aussi bien son amour ne vous rend que tropvaine.
La Lingère, leLibraire
(On tire un rideau, et l’on voit lelibraire, la lingère et le mercier, chacun dans saboutique.)
La Lingère
Vous avez fort la presse à ce livrenouveau ;
C’est pour vous faire riche.
Le Libraire
On le trouve si beau,
Que c’est pour mon profit le meilleur qui sevoie.
Mais vous, que vous vendez de ces toiles desoie !
La Lingère
De vrai, bien que d’abord on en vendît fortpeu,
À présent Dieu nous aime, on y court comme aufeu ;
Je n’en saurais fournir autant qu’on m’endemande :
Elle sied mieux aussi que celle deHollande,
Découvre moins le fard dont un visage estpeint,
Et donne, ce me semble, un plus grand lustreau teint.
Je perds bien à gagner, de ce que maboutique,
Pour être trop étroite, empêche mapratique ;
À peine y puis-je avoir deux chalands à lafois :
Je veux changer de place avant qu’il soit unmois ;
J’aime mieux en payer le double etdavantage,
Et voir ma marchandise en un bel étalage.
Le Libraire
Vous avez bien raison ; mais, à ce quej’entends…
Monsieur, vous plaît-il voir quelques livresdu temps ?
Dorimant,Cléante, leLibraire
Dorimant
Montrez-m’en quelques-uns.
Le Libraire
Voici ceux de la mode.
Dorimant
Ôtez-moi cet auteur, son nom seulm’incommode :
C’est un impertinent, ou je n’y connaisrien.
Le Libraire
Ses œuvres toutefois se vendent assezbien.
Dorimant
Quantité d’ignorants ne songent qu’à larime.
Le Libraire
Monsieur, en voici deux dont on fait grandeestime ;
Considérez ce trait, on le trouve divin.
Dorimant
Il n’est que mal traduit du cavalierMarin ;
Sa veine, au demeurant, me semble assezhardie.
Le Libraire
Ce fut son coup d’essai que cette comédie.
Dorimant
Cela n’est pas tant mal pour uncommencement ;
La plupart de ses vers coulent fortdoucement :
Qu’il a de mignardise à décrire unvisage !
Hippolyte,Florice,Dorimant,Cléante, leLibraire, laLingère
Hippolyte
Madame, montrez-nous quelques colletsd’ouvrage.
La Lingère
Je vous en vais montrer de toutes lesfaçons.
Dorimant, aulibraire.
Ce visage vaut mieux que toutes voschansons.
LaLingère, à Hippolyte.
Voilà du point d’esprit, de Gênes, etd’Espagne.
Hippolyte
Ceci n’est guère bon qu’à des gens decampagne.
La Lingère
Voyez bien ; s’il en est deux pareilsdans Paris…
Hippolyte
Ne les vantez point tant, et dites-nous leprix.
La Lingère
Quand vous aurez choisi.
Hippolyte
Que t’en semble, Florice ?
Florice
Ceux-là sont assez beaux, mais de mauvaisservice ;
En moins de trois savons on ne les connaîtplus.
Hippolyte
Celui-ci, qu’en dis-tu ?
Florice
L’ouvrage en est confus,
Bien que l’invention de près soit assezbelle.
Voici bien votre fait, n’était que ladentelle
Est fort mal assortie avec lepassement ;
Cet autre n’a de beau que le couronnement.
La Lingère
Si vous pouviez avoir deux jours depatience,
Il m’en vient, mais qui sont dans la mêmeexcellence.
(Dorimant parle au libraire àl’oreille.)
Florice
Il vaudrait mieux attendre.
Hippolyte
Eh bien, nous attendrons ;
Dites-nous au plus tard quel jour nousreviendrons.
La Lingère
Mercredi j’en attends de certainesnouvelles.
Cependant vous faut-il quelques autresdentelles ?
Hippolyte
J’en ai ce qu’il m’en faut pour maprovision.
LeLibraire, à Dorimant.
J’en vais subtilement prendre l’occasion.
(À la lingère.)
La connais-tu, voisine ?
La Lingère
Oui, quelque peu de vue :
Quant au reste, elle m’est tout à faitinconnue.
(Dorimant tire Cléante au milieu duthéâtre, et lui parle à l’oreille.)
Ce cavalier sans doute y trouve plusd’appas
Que dans tous vos auteurs ?
Cléante
Je n’y manquerai pas.
Dorimant
Si tu ne me vois là, je serai dans lasalle.
(Il prend un livre sur la boutiquedu libraire.)
Je connais celui-ci ; sa veine est fortégale ;
Il ne fait point de vers qu’on ne trouvecharmants.
Mais on ne parle plus qu’on fasse deromans ;
J’ai vu que notre peuple en étaitidolâtre.
Le Libraire
La mode est à présent des pièces dethéâtre.
Dorimant
De vrai, chacun s’en pique ; et tel y metla main,
Qui n’eut jamais l’esprit d’ajuster unquatrain.
Lysandre,Dorimant, leLibraire, leMercier
Lysandre
Je te prends sur le livre.
Dorimant
Eh bien, qu’en veux-tu dire ?
Tant d’excellents esprits, qui se mêlentd’écrire,
Valent bien qu’on leur donne une heure deloisir.
Lysandre
Y trouves-tu toujours une heure deplaisir ?
Beaucoup font bien des vers, et peu lacomédie.
Dorimant
Ton goût, je m’en assure, est pour laNormandie.
Lysandre
Sans rien spécifier, peu méritent devoir ;
Souvent leur entreprise excède leurpouvoir :
Et tel parle d’amour sans aucune pratique.
Dorimant
On n’y sait guère alors que la vieillerubrique :
Faute de le connaître, on l’habille enfureur
Et loin d’en faire envie, on nous en faithorreur.
Lui seul de ses effets a droit de nousinstruire ;
Notre plume à lui seul doit se laisserconduire :
Pour en bien discourir, il faut l’avoir bienfait ;
Un bon poète ne vient que d’un amantparfait.
Lysandre
Il n’en faut point douter, l’amour a destendresses
Que nous n’apprenons point qu’auprès de nosmaîtresses.
Tant de sorte d’appas, de douxsaisissements,
D’agréables langueurs et de ravissements,
Jusques où d’un bel œil peut s’étendrel’empire,
Et mille autres secrets que l’on ne sauraitdire
(Quoi que tous nos rimeurs en mettent parécrit),
Ne se surent jamais par un effortd’esprit ;
Et je n’ai jamais vu de cervelles bienfaites
Qui traitassent l’amour à la façon despoètes :
C’est tout un autre jeu. Le style d’unsonnet
Est fort extravagant dedans uncabinet ;
Il y faut bien louer la beauté qu’onadore,
Sans mépriser Vénus, sans médire de Flore,
Sans que l’éclat des lis, des roses, d’un beaujour,
Ait rien à démêler avecque notre amour.
Ô pauvre comédie, objet de tant de veines,
Si tu n’es qu’un portrait des actionshumaines,
On te tire souvent sur un original
À qui, pour dire vrai, tu ressembles fortmal !
Dorimant
Laissons la muse en paix, de grâce à lapareille.
Chacun fait ce qu’il peut, et ce n’est pasmerveille
Si, comme avec bon droit on perd bien unprocès,
Souvent un bon ouvrage a de faiblessuccès.
Le jugement de l’homme, ou plutôt soncaprice,
Pour quantité d’esprits n’a que del’injustice :
J’en admire beaucoup dont on fait peud’état ;
Leurs fautes, tout au pis, ne sont pas coupsd’État,
La plus grande est toujours de peu deconséquence.
Le Libraire
Vous plairait-il de voir des piècesd’éloquence ?
Lysandre
(Ayant regardé le titre d’un livreque le libraire lui présente.)
J’en lus hier la moitié ; mais son volest si haut,
Que presque à tous moments je me trouve endéfaut.
Dorimant
Voici quelques auteurs dont j’aimel’industrie.
Mettez ces trois à part, mon maître, je vousprie ;
Tantôt un de mes gens vous les viendrapayer.
Lysandre, se retirantd’auprès les boutiques.
Le reste du matin où veux-tul’employer ?
Le Mercier
Voyez deçà, messieurs ; vous plaît-ilrien du nôtre ?
Voyez, je vous ferai meilleur marché qu’unautre,
Des gants, des baudriers, des rubans, descastors.
Dorimant,Lysandre
Dorimant
Je ne saurais encor te suivre si tusors :
Faisons un tour de salle, attendant monCléante.
Lysandre
Qui te retient ici ?
Dorimant
L’histoire en est plaisante :
Tantôt, comme j’étais sur le livre occupé,
Tout proche on est venu choisir du pointcoupé.
Lysandre
Qui ?
Dorimant
C’est la question ; mais s’il faut s’enremettre
À ce qu’à mes regards sa coiffe a pupermettre,
Je n’ai rien vu d’égal : mon Cléante lasuit,
Et ne reviendra point qu’il n’en soit bieninstruit,
Qu’il n’en sache le nom, le rang et lademeure.
Lysandre
Ami, le cœur t’en dit.
Dorimant
Nullement, ou je meure ;
Voyant je ne sais quoi de rare en sabeauté,
J’ai voulu contenter ma curiosité.
Lysandre
Ta curiosité deviendra bientôtflamme ;
C’est par là que l’amour se glisse dans uneâme.
À la première vue, un objet qui nous plaît
N’inspire qu’un désir de savoir quel ilest ;
On en veut aussitôt apprendre davantage,
Voir si son entretien répond à son visage,
S’il est civil ou rude, importun oucharmeur,
Éprouver son esprit, connaître sonhumeur :
De là cet examen se tourne encomplaisance ;
On cherche si souvent le bien de saprésence,
Qu’on en fait habitude, et qu’au point d’ensortir
Quelque regret commence à se fairesentir :
On revient tout rêveur ; et notre âmeblessée,
Sans prendre garde à rien, cajole sapensée.
Ayant rêvé le jour, la nuit à tous propos
On sent je ne sais quoi qui trouble lerepos ;
Un sommeil inquiet, sur de confus nuages,
Élève incessamment de flatteuses images,
Et sur leur vain rapport fait naître dessouhaits
Que le réveil admire et ne déditjamais ;
Tout le cœur court en hâte après de si douxguides ;
Et le moindre larcin que font ses vœuxtimides
Arrête le larron, et le met dans les fers.
Dorimant
Ainsi tu fus épris de celle que tusers ?
Lysandre
C’est un autre discours ; à présent je netouche
Qu’aux ruses de l’amour contre un espritfarouche,
Qu’il faut apprivoiser presqueinsensiblement,
Et contre ses froideurs combattrefinement.
Des naturels plus doux…
Dorimant,Lysandre,Cléante
Dorimant
Eh bien, elle s’appelle ?
Cléante
Ne m’informez de rien qui touche cettebelle.
Trois filous rencontrés vers le milieu dupont,
Chacun l’épée au poing, m’ont voulu faireaffront,
Et sans quelques amis qui m’ont tiré depeine,
Contr’eux ma résistance eût peut-être étévaine ;
Ils ont tourné le dos, me voyant secouru,
Mais ce que je suivais tandis est disparu.
Dorimant
Les traîtres ! trois contre un !t’attaquer ! te surprendre !
Quels insolents vers moi s’osent ainsiméprendre ?
Cléante
Je ne connais qu’un d’eux, et c’est là leretour
De quelques tours de main qu’il reçut l’autrejour,
Lorsque, m’ayant tenu quelques proposd’ivrogne,
Nous eûmes prise ensemble à l’hôtel deBourgogne.
Dorimant
Qu’on le trouve où qu’il soit ; qu’unegrêle de bois
Assemble sur lui seul le châtiment destrois ;
Et que sous l’étrivière il puisse tôtconnaître,
Quand on se prend aux miens, qu’on s’attaque àleur maître !
Lysandre
J’aime à te voir ainsi décharger toncourroux :
Mais voudrais-tu parler franchement entrenous ?
Dorimant
Quoi ! tu doutes encor de ma justecolère ?
Lysandre
En ce qui le regarde, elle n’est quelégère :
En vain pour son sujet tu faisl’intéressé ;
Il a paré des coups dont ton cœur estblessé :
Cet accident fâcheux te vole unemaîtresse ;
Confesse ingénument, c’est là ce qui tepresse.
Dorimant
Pourquoi te confesser ce que tu voisassez ?
Au point de se former, mes desseinsrenversés,
Et mon désir trompé, poussent dans cescontraintes,
Sous de faux mouvements, de véritablesplaintes.
Lysandre
Ce désir, à vrai dire, est un amournaissant
Qui ne sait où se prendre, et demeureimpuissant ;
Il s’égare et se perd dans cetteincertitude ;
Et renaissant toujours de ton inquiétude,
Il te montre un objet d’autant plussouhaité,
Que plus sa connaissance a de difficulté.
C’est par là que ton feu davantages’allume :
Moins on l’a pu connaître, et plus on enprésume ;
Notre ardeur curieuse en augmente le prix.
Dorimant
Que tu sais cher ami, lire dans lesesprits !
Et que, pour bien juger d’une secrèteflamme,
Tu pénètres avant dans les ressorts d’uneâme !
Lysandre
Ce n’est pas encor tout, je veux tesecourir.
Dorimant
Oh, que je ne suis pas en état deguérir !
L’amour use sur moi de trop de tyrannie.
Lysandre
Souffre que je te mène en une compagnie
Où l’objet de mes vœux m’a donnérendez-vous ;
Les divertissements t’y sembleront sidoux,
Ton âme en un moment en sera si charmée
Que, tous ses déplaisirs dissipés enfumée,
On gagnera sur toi fort aisément ce point
D’oublier un objet que tu ne connaispoint.
Mais garde-toi surtout d’une jeune voisine
Que ma maîtresse y mène ; elle est etbelle et fine,
Et sait si dextrement ménager sesattraits,
Qu’il n’est pas bien aisé d’en éviter lestraits.
Dorimant
Au hasard, fais de moi tout ce que bon tesemble.
Lysandre
Donc, en attendant l’heure, allons dînerensemble.
Hippolyte,Florice
Hippolyte
Tu me railles toujours.
Florice
S’il ne vous veut du bien,
Dites assurément que je n’y connais rien.
Je le considérais tantôt chez celibraire ;
Ses regards de sur vous ne pouvaient sedistraire,
Et son maintien était dans une émotion
Qui m’instruisait assez de son affection.
Il voulait vous parler, et n’osaitl’entreprendre.
Hippolyte
Toi, ne me parle point, ou parle deLysandre :
C’est le seul dont la vue excite monardeur.
Florice
Et le seul qui pour vous n’a que de lafroideur.
Célidée est son âme, et tout autre visage
N’a point d’assez beaux traits pour toucherson courage ;
Son brasier est trop grand, rien ne peutl’amortir :
En vain son écuyer tâche à l’en divertir,
En vain, jusques aux cieux portant votrelouange,
Il tâche à lui jeter quelque amorce duchange,
Et lui dit jusque-là que dans votreentretien
Vous témoignez souvent de lui vouloir dubien ;
Tout cela n’est qu’autant de parolesperdues.
Hippolyte
Faute d’être sans doute assez bienentendues.
Florice
Ne le présumez pas, il faut avoir recours
À de plus hauts secrets qu’à ces faiblesdiscours.
Je fus fine autrefois, et depuis monveuvage
Ma ruse chaque jour s’est accrue avecl’âge :
Je me connais en monde, et sais milleressorts
Pour débaucher une âme et brouiller desaccords.
Hippolyte
Dis promptement, de grâce.
Florice
À présent l’heure presse,
Et je ne vous saurais donner qu’un motd’adresse.
Cette voisine et vous… Mais déjà la voici.
Célidée,Hippolyte,Florice
Célidée
À force de tarder, tu m’as mise ensouci :
Il est temps, et Daphnis par un page memande
Que pour faire servir on n’attend que mabande ;
Le carrosse est tout prêt : allons,veux-tu venir ?
Hippolyte
Lysandre après dîner t’y viententretenir ?
Célidée
S’il osait y manquer, je te donne promesse
Qu’il pourrait bien ailleurs chercher unemaîtresse.
Hippolyte,Dorimant
Hippolyte
Ne me contez point tant que mon visage estbeau :
Ces discours n’ont pour moi rien du tout denouveau ;
Je le sais bien sans vous, et j’ai cetavantage,
Quelques perfections qui soient sur monvisage,
Que je suis la première à m’enapercevoir :
Pour me les bien apprendre, il ne faut qu’unmiroir ;
J’y vois en un moment tout ce que vous medites.
Dorimant
Mais vous n’y voyez pas tous vos raresmérites :
Cet esprit tout divin et ce doux entretien
Ont des charmes puissants dont il ne montrerien.
Hippolyte
Vous les montrez assez par cetteaprès-dînée
Qu’à causer avec moi vous vous êtesdonnée ;
Si mon discours n’avait quelque charmecaché,
Il ne vous tiendrait pas si longtempsattaché.
Je vous juge plus sage, et plus aimer votreaise,
Que d’y tarder ainsi sans que rien vous yplaise ;
Et si je présumais qu’il vous plût sansraison,
Je me ferais moi-même un peu detrahison ;
Et par ce trait badin qui sentiraitl’enfance,
Votre beau jugement recevrait tropd’offense.
Je suis un peu timide, et dût-on me jouer,
Je n’ose démentir ceux qui m’osent louer.
Dorimant
Aussi vous n’avez pas le moindre lieu decraindre
Qu’on puisse, en vous louant ni vous flatterni feindre ;
On voit un tel éclat en vos brillantsappas,
Qu’on ne peut l’exprimer, ni ne l’adorerpas.
Hippolyte
Ni ne l’adorer pas ! Par là vous voulezdire…
Dorimant
Que mon cœur désormais vit dessous votreempire,
Et que tous mes desseins de vivre enliberté
N’ont rien eu d’assez fort contre votrebeauté.
Hippolyte
Quoi ? mes perfections vous donnent dansla vue ?
Dorimant
Les rares qualités dont vous êtes pourvue
Vous ôtent tout sujet de vous en étonner.
Hippolyte
Cessez aussi, monsieur, de vousl’imaginer.
Si vous brûlez pour moi, ce ne sont pasmerveilles ;
J’ai de pareils discours chaque jour auxoreilles,
Et tous les gens d’esprit en font autant quevous.
Dorimant
En amour toutefois je les surpasse tous.
Je n’ai point consulté pour vous donner monâme ;
Votre premier aspect sut allumer maflamme,
Et je sentis mon cœur, par un secretpouvoir,
Aussi prompt à brûler que mes yeux à vousvoir.
Hippolyte
Avoir connu d’abord combien je suisaimable,
Encor qu’à votre avis il soitinexprimable,
Ce grand et prompt effet m’assurepuissamment
De la vivacité de votre jugement.
Pour moi, que la nature a faite un peugrossière,
Mon esprit, qui n’a pas cette vivelumière,
Conduit trop pesamment toutes sesfonctions
Pour m’avertir sitôt de vos perfections.
Je vois bien que vos feux méritentrécompense :
Mais de les seconder ce défaut medispense.
Dorimant
Railleuse !
Hippolyte
Excusez-moi, je parle tout de bon.
Dorimant
Le temps de cet orgueil me fera laraison ;
Et nous verrons un jour, à force deservices,
Adoucir vos rigueurs et finir messupplices.
Dorimant,Lysandre,Hippolyte,Florice
(Lysandre sort de chez Célidée, etpasse sans s’arrêter, leur donnant seulement un coup dechapeau.)
Hippolyte
Peut-être l’avenir… Tout beau, coureur, toutbeau !
On n’est pas quitte ainsi pour un coup dechapeau :
Vous aimez l’entretien de votrefantaisie ;
Mais pour un cavalier c’est peu decourtoisie,
Et cela messied fort à des hommes de cour,
De n’accompagner pas leur salut d’unbonjour.
Lysandre
Puisque auprès d’un sujet capable de nousplaire
La présence d’un tiers n’est jamaisnécessaire,
De peur qu’il en reçût quelqueimportunité,
J’ai mieux aimé manquer à la civilité.
Hippolyte
Voilà parer mon coup d’un galant artifice,
Comme si je pouvais… Que me veux-tu,Florice ?
(Florice sort et parle à Hippolyte àl’oreille.)
Dis-lui que je m’en vais. Messieurs,pardonnez-moi,
On me vient d’apporter une fâcheuseloi ;
Incivile à mon tour, il faut que je vousquitte.
Une mère m’appelle.
Dorimant
Adieu, belle Hippolyte,
Adieu : souvenez-vous…
Hippolyte
Mais vous, n’y songez plus.
Lysandre
Quoi ! Dorimant, ce mot t’a rendu toutconfus !
Dorimant
Ce mot à mes désirs laisse peud’espérance.
Lysandre
Tu ne la vois encor qu’avecindifférence ?
Dorimant
Comme toi Célidée.
Lysandre
Elle eut donc chez Daphnis,
Hier dans son entretien des charmesinfinis ?
Je te l’avais bien dit que ton âme à savue
Demeurerait, ou prise, ou puissammentémue ;
Mais tu n’as pas sitôt oublié la beauté
Qui fit naître au Palais tacuriosité ?
Du moins ces deux objets balancent toncourage ?
Dorimant
Sais-tu bien que c’est là justement monvisage,
Celui que j’avais vu le matin auPalais ?
Lysandre
À ce compte…
Dorimant
J’en tiens, ou l’on n’en tint jamais.
Lysandre
C’est consentir bientôt à perdre tafranchise.
Dorimant
C’est rendre un prompt hommage aux yeux qui mel’ont prise.
Lysandre
Puisque tu les connais, je ne plains plus tonmal.
Dorimant
Leur coup, pour les connaître, en est-il moinsfatal ?
Lysandre
Non, mais du moins ton cœur n’est plus à latorture
De voir tes vœux forcés d’aller àl’aventure ;
Et cette belle humeur de l’objet qui t’apris…
Dorimant
Sous un accueil riant cache un subtilmépris.
Ah, que tu ne sais pas de quel air on metraite !
Lysandre
Je t’en avais jugé l’âme fortsatisfaite :
Et cette gaie humeur, qui brillait dans sesyeux,
M’en promettait pour toi quelque chose demieux.
Dorimant
Cette belle, de vrai, quoique toute deglace,
Mêle dans ses froideurs je ne sais quellegrâce,
Par où tout de nouveau je me laissegagner,
Et consens, peu s’en faut, à m’en voirdédaigner.
Loin de s’en affaiblir, mon amour s’enaugmente ;
Je demeure charmé de ce qui me tourmente.
Je pourrais de toute autre être lepossesseur,
Que sa possession aurait moins de douceur.
Je ne suis plus à moi quand je voisHippolyte
Rejeter ma louange et vanter son mérite,
Négliger mon amour ensemble etl’approuver,
Me remplir tout d’un temps d’espoir et m’enpriver,
Me refuser son cœur en acceptant mon âme,
Faire état de mon choix en méprisant maflamme.
Hélas ! en voilà trop : le moindrede ces traits
A pour me retenir de trop puissantsattraits ;
Trop heureux d’avoir vu sa froideurenjouée
Ne se point offenser d’une ardeuravouée !
Lysandre
Son adieu toutefois te défend d’y songer,
Et ce commandement t’en devrait dégager.
Dorimant
Qu’un plus capricieux d’un tel adieus’offense ;
Il me donne un conseil plutôt qu’unedéfense,
Et par ce mot d’avis, son cœur sans amitié
Du temps que j’y perdrai montre quelquepitié.
Lysandre
Soit défense ou conseil, de rien nedésespère ;
Je te réponds déjà de l’esprit de sa mère.
Pleirante son voisin lui parlera pourtoi ;
Il peut beaucoup sur elle, et fera tout pourmoi.
Tu sais qu’il m’a donné sa fille pourmaîtresse.
Tâche à vaincre Hippolyte avec un peud’adresse,
Et n’appréhende pas qu’il en faillebeaucoup :
Tu verras sa froideur se perdre tout d’uncoup.
Elle ne se contraint à cette indifférence
Que pour rendre une entière et pleinedéférence,
Et cherche, en déguisant son propresentiment,
La gloire de n’aimer que par commandement.
Dorimant
Tu me flattes, ami, d’une attente frivole.
Lysandre
L’effet suivra de près.
Dorimant
Mon cœur, sur ta parole,
Ne se résout qu’à peine à vivre pluscontent.
Lysandre
Il se peut assurer du bonheur qu’ilprétend ;
J’y donnerai bon ordre. Adieu : le tempsme presse,
Et je viens de sortir d’auprès de mamaîtresse ;
Quelques commissions dont elle m’a chargé
M’obligent maintenant à prendre ce congé.
Dorimant,Florice
Dorimant,seul.
Dieux ! qu’il est malaisé qu’une âme bienatteinte
Conçoive de l’espoir qu’avec un peu decrainte !
Je dois toute croyance à la foi d’un ami,
Et n’ose cependant m’y fier qu’à demi.
Hippolyte, d’un mot, chasserait cecaprice.
Est-elle encore en haut ?
Florice
Encore.
Dorimant
Adieu, Florice.
Nous la verrons demain.
Hippolyte,Florice
Florice
Il vient de s’en aller.
Sortez.
Hippolyte
Mais fallait-il ainsi me rappeler,
Me supposer ainsi des ordres d’unemère ?
Sans mentir, contre toi j’en suis toute encolère :
À peine ai-je attiré Lysandre en nosdiscours,
Que tu viens par plaisir en arrêter lecours.
Florice
Eh bien ! prenez-vous-en à monimpatience
De vous communiquer un trait de mascience :
Cet avis important tombé dans mon esprit
Méritait qu’aussitôt Hippolytel’apprît ;
Je vais sans perdre temps y disposerAronte.
Hippolyte
J’ai la mine après tout d’y trouver mal monconte.
Florice
Je sais ce que je fais, et ne perds point mespas ;
Mais de votre côté ne vous épargnezpas ;
Mettez tout votre esprit à bien mener laruse.
Hippolyte
Il ne faut point par là te préparerd’excuse.
Va, suivant le succès, je veux à l’avenir
Du mal que tu m’as fait perdre lesouvenir.
Hippolyte,Célidée
Hippolyte, frappant à laporte de Célidée.
Célidée, es-tu là ?
Célidée
Que me veut Hippolyte ?
Hippolyte
Délasser mon esprit une heure en tavisite.
Que j’ai depuis un jour un importunamant !
Et que, pour mon malheur, je plais àDorimant !
Célidée
Ma sœur, que me dis-tu ? Dorimantt’importune !
Quoi ! j’enviais déjà ton heureusefortune,
Et déjà dans l’esprit je sentais quelqueennui
D’avoir connu Lysandre auparavant que lui.
Hippolyte
Ah ! ne me raille point. Lysandre, quit’engage,
Est le plus accompli des hommes de sonâge.
Célidée
Je te jure, à mes yeux l’autre l’est bienautant.
Mon cœur a de la peine à demeurerconstant ;
Et pour te découvrir jusqu’au fond de monâme,
Ce n’est plus que ma foi qui conserve maflamme :
Lysandre me déplaît de me vouloir du bien.
Plût aux dieux que son change autorisât lemien,
Ou qu’il usât vers moi de tant denégligence,
Que ma légèreté se pût nommervengeance !
Si j’avais un prétexte à me mécontenter,
Tu me verrais bientôt résoudre à lequitter.
Hippolyte
Simple, présumes-tu qu’il devienne volage
Tant qu’il verra l’amour régner sur tonvisage ?
Ta flamme trop visible entretient sesferveurs,
Et ses feux dureront autant que tesfaveurs.
Célidée
Il semble, à t’écouter, que rien ne leretienne
Que parce que sa flamme a l’aveu de lamienne.
Hippolyte
Que sais-je ? Il n’a jamais éprouvé tesrigueurs ;
L’amour en même temps sut embraser voscœurs ;
Et même j’ose dire, après beaucoup demonde,
Que sa flamme vers toi ne fut que laseconde.
Il se vit accepter avant que des’offrir ;
Il ne vit rien à craindre, il n’eut rien àsouffrir ;
Il vit sa récompense acquise avant lapeine,
Et devant le combat sa victoire certaine.
Un homme est bien cruel quand il ne donnepas
Un cœur qu’on lui demande avecque tantd’appas.
Qu’à ce prix la constance est une choseaisée,
Et qu’autrefois par là je me visabusée !
Alcidor, que mes yeux avaient si fortépris,
Courut au changement dès le premiermépris.
La force de l’amour paraît dans lasouffrance.
Je le tiens fort douteux, s’il a tantd’assurance.
Qu’on en voit s’affaiblir pour un peu delongueur !
Et qu’on en voit céder à la moindrerigueur !
Célidée
Je connais mon Lysandre, et sa flamme est tropforte
Pour tomber en soupçon qu’il m’aime de lasorte.
Toutefois un dédain éprouvera ses feux.
Ainsi, quoi qu’il en soit, j’aurai ce que jeveux ;
Il me rendra constante, ou me feravolage :
S’il m’aime, il me retient ; s’il change,il me dégage.
Suivant ce qu’il aura d’amour ou defroideur,
Je suivrai ma nouvelle ou ma premièreardeur.
Hippolyte
En vain tu t’y résous : ton âme un peucontrainte,
Au travers de tes yeux lui trahira tafeinte.
L’un d’eux dédira l’autre, et toujours unsouris
Lui fera voir assez combien tu le chéris.
Célidée
Ce n’est qu’un faux soupçon qui te lepersuade ;
J’armerai de rigueurs jusqu’à la moindreœillade,
Et réglerai si bien toutes mes actions,
Qu’il ne pourra juger de mes intentions.
Pour le moins aussitôt que par cetteconduite
Tu seras de son cœur suffisammentinstruite,
S’il demeure constant, l’amour et lapitié,
Avant que dire adieu, renoueront l’amitié.
Célidée
Il va bientôt venir. Va-t’en, et soiscertaine
De ne voir d’aujourd’hui Lysandre hors depeine.
Hippolyte
Et demain ?
Célidée
Je t’irai conter ses mouvements
Et touchant l’avenir prendre tessentiments.
Ô dieux ! si je pouvais changer sansinfamie !
Hippolyte
Adieu. N’épargne en rien ta plus fidèleamie.
Célidée
Quel étrange combat ! Je meurs de lequitter,
Et mon reste d’amour ne le peutmaltraiter.
Mon âme veut et n’ose, et bien querefroidie,
N’aura trait de mépris si je ne l’étudie.
Tout ce que mon Lysandre a de perfections
Se vient offrir en foule à mes affections.
Je vois mieux ce qu’il vaut lorsque jel’abandonne,
Et déjà la grandeur de ma perte m’étonne.
Pour régler sur ce point mon espritbalancé,
J’attends ses mouvements sur mon dédainforcé ;
Ma feinte éprouvera si son amour estvraie.
Hélas ! ses yeux me font une nouvelleplaie.
Prépare-toi, mon cœur, et laisse à mesdiscours
Assez de liberté pour trahir mes amours.
Lysandre,Célidée
Célidée
Quoi ? j’aurai donc de vous encore unevisite !
Vraiment pour aujourd’hui je m’en estimaisquitte.
Lysandre
Une par jour suffit, si tu veux endurer
Qu’autant comme le jour je la fasse durer.
Célidée
Pour douce que nous soit l’ardeur qui nousconsume,
Tant d’importunité n’est point sansamertume.
Lysandre
Au lieu de me donner ces appréhensions,
Apprends ce que j’ai fait sur tescommissions.
Célidée
Je ne vous en chargeai qu’afin de medéfaire
D’un entretien chargeant, et qui m’allaitdéplaire.
Lysandre
Depuis quand donnez-vous ces qualités auxmiens ?
Célidée
Depuis que mon esprit n’est plus dans vosliens.
Lysandre
Est-ce donc par gageure, ou pargalanterie ?
Célidée
Ne vous flattez point tant que ce soitraillerie.
Ce que j’ai dans l’esprit je ne le puisceler,
Et ne suis pas d’humeur à rien dissimuler.
Lysandre
Quoi ! que vous ai-je fait ? d’oùprovient ma disgrâce ?
Quel sujet avez-vous d’être pour moi deglace ?
Ai-je manqué de soins ? ai-je manqué defeux ?
Vous ai-je dérobé le moindre de mesvœux ?
Ai-je trop peu cherché l’heur de votreprésence ?
Ai-je eu pour d’autres yeux la moindrecomplaisance ?
Célidée
Tout cela n’est qu’autant de propossuperflus.
Je voulus vous aimer, et je ne le veuxplus ;
Mon feu fut sans raison, ma glace l’est demême ;
Si l’un eut quelque excès, je rendrai l’autreextrême.
Lysandre
Par cette extrémité vous avancez ma mort.
Célidée
Il m’importe fort peu quel sera votresort.
Lysandre
Quelle nouvelle amour, ou plutôt quelcaprice
Vous porte à me traiter avec cetteinjustice,
Vous de qui le serment m’a reçu pourépoux ?
Célidée
J’en perds le souvenir aussi bien que devous.
Lysandre
Évitez-en la honte et fuyez-en le blâme.
Célidée
Je les veux accepter pour peines de maflamme.
Lysandre
Un reproche éternel suit ce tourinconstant.
Célidée
Si vous me voulez plaire, il en faut faireautant.
Lysandre
Est-ce là donc le prix de vous avoirservie ?
Ah ! cessez vos mépris, ou me privez devie.
Célidée
Eh bien ! soit, un adieu les va fairecesser :
Aussi bien ce discours ne fait que melasser.
Lysandre
Ah ! redouble plutôt ce dédain qui metue,
Et laisse-moi le bien d’expirer à tavue ;
Que j’adore tes yeux, tout cruels qu’ils mesont ;
Qu’ils reçoivent mes vœux pour le mal qu’ilsme font.
Invente à me gêner quelque rigueurnouvelle ;
Traite, si tu le veux, mon âme encriminelle :
Dis que je suis ingrat, appelle-moiléger ;
Impute à mes amours la honte dechanger ;
Dedans mon désespoir fais éclater tajoie ;
Et tout me sera doux, pourvu que je tevoie.
Tu verras tes mépris n’ébranler point mafoi,
Et mes derniers soupirs ne voler qu’aprèstoi.
Ne crains point de ma part de reproche oud’injure,
Je ne t’appellerai ni lâche, ni parjure.
Mon feu supprimera ces titresodieux ;
Mes douleurs céderont au pouvoir de tesyeux ;
Et mon fidèle amour, malgré leur vieatteinte,
Pour t’adorer encore étouffera ma plainte.
Célidée
Adieu. Quelques encens que tu veuillesm’offrir,
Je ne me saurais plus résoudre à lessouffrir.
Lysandre
Célidée ! Ah, tu fuis ! tu fuisdonc, et tu n’oses
Faire tes yeux témoins d’un trépas que tucauses !
Ton esprit, insensible à mes feuxinnocents,
Craint de ne l’être pas aux douleurs que jesens :
Tu crains que la pitié qui se glisse en tonâme
N’y rejette un rayon de ta premièreflamme,
Et qu’elle ne t’arrache un soudainrepentir,
Malgré tout cet orgueil qui n’y peutconsentir.
Tu vois qu’un désespoir dessus mon frontexprime
En mille traits de feu mon ardeur et toncrime ;
Mon visage t’accuse, et tu vois dans mesyeux
Un portrait que mon cœur conserve beaucoupmieux.
Tous mes soins, tu le sais, furent pourCélidée :
La nuit ne m’a jamais retracé d’autreidée,
Et tout ce que Paris a d’objets ravissants
N’a jamais ébranlé le moindre de mes sens.
Ton exemple à changer en vain mesollicite ;
Dans ta volage humeur j’adore tonmérite ;
Et mon amour, plus fort que mesressentiments,
Conserve sa vigueur au milieu destourments,
Reviens, mon cher souci, puisqu’après tesdéfenses
Mes plus vives ardeurs sont pour toi desoffenses.
Vois comme je persiste à te désobéir,
Et par là, si tu peux, prends droit de mehaïr.
Fol, je présume ainsi rappelerl’inhumaine,
Qui ne veut pas avoir de raisons à sahaine ?
Puisqu’elle a sur mon cœur un pouvoirabsolu,
Il lui suffit de dire : « Ainsi jel’ai voulu. »
Cruelle, tu le veux ! C’est donc ainsiqu’on traite
Les sincères ardeurs d’une amour siparfaite ?
Tu me veux donc trahir ? Tu le veux, etta foi
N’est qu’un gage frivole à qui vit sous taloi ?
Mais je veux l’endurer sans bruit, sansrésistance ;
Tu verras ma langueur, et non moninconstance ;
Et de peur de t’ôter un captif par mamort,
J’attendrai ce bonheur de mon funestesort.
Jusque-là mes douleurs, publiant tavictoire,
Sur mon front pâlissant élèveront tagloire,
Et sauront en tous lieux hautementtémoigner
Que, sans me refroidir, tu m’as pudédaigner.
Lysandre,Aronte
Lysandre
Tu me donnes, Aronte, un étrange remède.
Aronte
Souverain toutefois au mal qui vouspossède,
Croyez-moi, j’en ai vu des succèsmerveilleux
À remettre au devoir ces espritsorgueilleux :
Quand on leur sait donner un peu dejalousie,
Ils ont bientôt quitté ces traits defantaisie ;
Car enfin tout l’éclat de ces emportements
Ne peut avoir pour but de perdre leursamants.
Lysandre
Que voudrait donc par là mon ingratemaîtresse ?
Aronte
Elle vous joue un tour de la plus hauteadresse.
Avez-vous bien pris garde au temps de sesmépris ?
Tant qu’elle vous a cru légèrement épris,
Que votre chaîne encor n’était pas assezforte,
Vous a-t-elle jamais gouverné de lasorte ?
Vous ignoriez alors l’usage dessoupirs ;
Ce n’étaient que douceurs, ce n’étaient queplaisirs :
Son esprit avisé voulait par cette ruse
Établir un pouvoir dont maintenant elleuse.
Remarquez-en l’adresse ; elle faitvanité
De voir dans ses dédains votre fidélité.
Votre humeur endurante à ces rigueursl’invite.
On voit par là vos feux, par vos feux sonmérite ;
Et cette fermeté de vos affections
Montre un effet puissant de sesperfections.
Osez-vous espérer qu’elle soit plushumaine,
Puisque sa gloire augmente, augmentant votrepeine ?
Rabattez cet orgueil, faites-luisoupçonner
Que vous vous en piquez jusqu’àl’abandonner.
La crainte d’en voir naître une si justesuite
À vivre comme il faut l’aura bientôtréduite ;
Elle en fuira la honte, et ne souffrirapas
Que ce change s’impute à son manqued’appas.
Il est de son honneur d’empêcher qu’onprésume
Qu’on éteigne aisément les flammes qu’elleallume.
Feignez d’aimer quelque autre, et vous verrezalors
Combien à vous reprendre elle ferad’efforts.
Lysandre
Mais peux-tu me juger capable d’unefeinte ?
Aronte
Pouvez-vous trouver rude un moment decontrainte ?
Lysandre
Je trouve ses mépris plus doux àsupporter.
Aronte
Pour les faire finir, il faut les imiter.
Lysandre
Faut-il être inconstant pour la rendrefidèle ?
Aronte
Il faut souffrir toujours, ou déguiser commeelle.
Lysandre
Que de raisons, Aronte, à combattre moncœur,
Qui ne peut adorer que son premiervainqueur !
Du moins auparavant que l’effet en éclate,
Fais un effort pour moi, va trouver moningrate :
Mets-lui devant les yeux mes servicespassés,
Mes feux si bien reçus, si malrécompensés,
L’excès de mes tourments et de sesinjustices ;
Emploie à la gagner tes meilleursartifices.
Que n’obtiendras-tu point par tadextérité,
Puisque tu viens à bout de mafidélité ?
Aronte
Mais, mon possible fait, si cela nesuccède ?
Lysandre
Je feindrai dès demain qu’Aminte mepossède.
Aronte
Aminte ! Ah ! commencez la feintedès demain ;
Mais n’allez point courir au faubourgSaint-Germain.
Et quand penseriez-vous que cette âmecruelle
Dans le fond du Marais en reçût lanouvelle ?
Vous seriez tout un siècle à lui vouloir dubien,
Sans que votre arrogante en apprît jamaisrien.
Puisque vous voulez feindre, il faut feindre àsa vue,
Qu’aussitôt votre feinte en puisse êtreaperçue,
Qu’elle blesse les yeux de son espritjaloux,
Et porte jusqu’au cœur d’inévitablescoups.
Ce sera faire au vôtre un peu deviolence ;
Mais tout le fruit consiste à feindre en saprésence.
Lysandre
Hippolyte, en ce cas, serait fort àpropos ;
Mais je crains qu’un ami en perdît lerepos.
Dorimant, dont ses yeux ont charmé lecourage,
Autant que Célidée en aurait de l’ombrage.
Aronte
Vous verrez si soudain rallumer son amour,
Que la feinte n’est pas pour durer plus d’unjour ;
Et vous aurez après un sujet de risée
Des soupçons mal fondés de son âme abusée.
Lysandre
Va trouver Célidée, et puis nousrésoudrons,
En ces extrémités, quel avis nousprendrons.
Aronte,Florice
Aronte,seul.
Sans que pour l’apaiser je me rompe latête,
Mon message est tout fait et sa réponseprête.
Bien loin que mon discours pût lapersuader,
Elle n’aura jamais voulu me regarder.
Une prompte retraite au seul nom deLysandre,
C’est par où ses dédains se seront faitentendre.
Mes amours du passé ne m’ont que tropappris
Avec quelles couleurs il faut peindre unmépris.
À peine faisait-on semblant de meconnaître,
De sorte…
Florice
Aronte, eh bien, qu’as-tu fait vers tonmaître ?
Le verrons-nous bientôt ?
Aronte
N’en sois plus en souci ;
Dans une heure au plus tard je te le rendsici.
Florice
Prêt à lui témoigner…
Aronte
Tout prêt. Adieu. Je tremble
Que de chez Célidée on ne nous voieensemble.
Hippolyte,Florice
Hippolyte
D’où vient que mon abord l’oblige à tequitter ?
Florice
Tant s’en faut qu’il vous fuie, il vient de meconter…
Toutefois je ne sais si je vous le doisdire.
Hippolyte
Que tu te plais, Florice, à me mettre enmartyre !
Florice
Il faut vous préparer à des ravissements…
Hippolyte
Ta longueur m’y prépare avec bien destourments.
Dépêche ; ces discours font mourirHippolyte.
Florice
Mourez donc promptement, que je vousressuscite.
Hippolyte
L’insupportable femme ! Enfin diras-turien ?
Florice
L’impatiente fille ! Enfin tout irabien.
Hippolyte
Enfin tout ira bien ? Ne saurai-je autrechose ?
Florice
Il faut que votre esprit là-dessus serepose.
Vous ne pouviez tantôt souffrir de longspropos,
Et pour vous obliger, j’ai tout dit en troismots ;
Mais ce que maintenant vous n’en pouvezapprendre,
Vous l’apprendrez bientôt plus au long deLysandre.
Hippolyte
Tu ne flattes mon cœur que d’un espoirconfus.
Florice
Parlez à votre amie, et ne vous fâchezplus.
Célidée,Hippolyte,Florice
Célidée
Mon abord importun rompt votreconférence :
Tu m’en voudras du mal.
Hippolyte
Du mal ? et l’apparence ?
Je ne sais pas aimer de si mauvaisefoi ;
Et tout à l’heure encor je lui parlais detoi.
Célidée
Je me retire donc, afin que sanscontrainte…
Hippolyte
Quitte cette grimace, et mets à part lafeinte.
Tu fais la réservée en ces occasions,
Mais tu meurs de savoir ce que nous endisions.
Célidée
Tu meurs de le conter plus que moi del’apprendre,
Et tu prendrais pour crime un refus del’entendre.
Puis donc que tu le veux, ma curiosité…
Hippolyte
Vraiment, tu me confonds de ta civilité.
Célidée
Voilà de tes détours, et comme tu diffères
À me dire en quel point vous teniez mesaffaires.
Hippolyte
Nous parlions du dessein d’éprouver tonamant.
Tu l’as vu réussir à toncontentement ?
Célidée
Je viens te voir exprès pour t’en direl’issue :
Que je m’en suis trouvée heureusementdéçue !
Je présumais beaucoup de ses affections,
Mais je n’attendais pas tant desubmissions.
Jamais le désespoir qui saisit son courage
N’en put tirer un mot à mondésavantage ;
Il tenait mes dédains encor trop précieux,
Et ses reproches même étaient officieux.
Aussi ce grand amour a rallumé maflamme :
Le change n’a plus rien qui chatouille monâme ;
Il n’a plus de douceur pour mon espritflottant,
Aussi ferme à présent qu’il le croitinconstant.
Florice
Quoi que vous ayez vu de sa persévérance,
N’en prenez pas encore une entièreassurance.
L’espoir de vous fléchir a pu le premierjour
Jeter sur son dépit ces beaux dehorsd’amour ;
Mais vous verrez bientôt que pour qui leméprise
Toute légèreté lui semblera permise.
J’ai vu des amoureux de toutes les façons.
Hippolyte
Cette bizarre humeur n’est jamais sanssoupçons.
L’avantage qu’elle a d’un peu d’expérience
Tient éternellement son âme endéfiance ;
Mais ce qu’elle te dit ne vaut pasl’écouter.
Célidée
Et je ne suis pas fille à m’en épouvanter.
Je veux que ma rigueur à tes yeuxcontinue,
Et lors sa fermeté te sera mieuxconnue ;
Tu ne verras des traits que d’un amour sifort,
Que Florice elle-même avouera qu’elle atort.
Hippolyte
Ce sera trop longtemps lui paraîtrecruelle.
Célidée
Tu connaîtras par là combien il m’estfidèle.
Le ciel à ce dessein nous l’envoie àpropos.
Hippolyte
Et quand te résous-tu de le mettre enrepos ?
Célidée
Trouve bon, je te prie, après un peu defeinte,
Que mes feux violents s’expliquent sanscontrainte ;
Et pour le rappeler des portes du trépas,
Si j’en dis un peu trop, ne t’en offensepas.
Lysandre,Célidée,Hippolyte,Florice
Lysandre
Merveille des beautés, seul objet quim’engage…
Célidée
N’oublierez-vous jamais cet importunlangage ?
Vous obstiner encore à me persécuter,
C’est prendre du plaisir à vous voirmaltraiter.
Perdez mon souvenir avec votre espérance,
Et ne m’accablez plus de cette déférence.
Il faut, pour m’arrêter, des entretiensmeilleurs.
Lysandre
Quoi ! vous prenez pour vous ce quej’adresse ailleurs ?
Adore qui voudra votre rare mérite,
Un change heureux me donne à la belleHippolyte :
Mon sort en cela seul a voulu me trahir,
Qu’en ce change mon cœur semble vousobéir,
Et que mon feu passé vous va rendre sivaine
Que vous imputerez ma flamme à votrehaine,
À votre orgueil nouveau mes nouveauxsentiments,
L’effet de ma raison à vos commandements.
Célidée
Tant s’en faut que je prenne une si tristegloire,
Je chasse mes dédains même de ma mémoire,
Et dans leur souvenir rien ne me sembledoux,
Puisqu’en le conservant je penserais àvous.
Lysandre, àHippolyte.
Beauté de qui les yeux, nouveaux rois de monâme,
Me font être léger sans en craindre leblâme…
Hippolyte
Ne vous emportez point à ces proposperdus,
Et cessez de m’offrir des vœux qui lui sontdus ;
Je pense mieux valoir que le refus d’uneautre.
Si vous voulez venger son mépris par levôtre,
Ne venez point du moins m’enrichir de sonbien.
Elle vous traite mal, mais elle n’aimerien.
Vous, faites-en autant, sans chercher deretraite
Aux importunités dont elle s’est défaite.
Lysandre
Que son exemple encor réglât mesactions !
Cela fut bon du temps de mesaffections ;
À présent que mon cœur adore une autrereine,
À présent qu’Hippolyte en est lasouveraine…
Hippolyte
C’est elle seulement que vous voulezflatter.
Lysandre
C’est elle seulement que je dois imiter.
Hippolyte
Savez-vous donc à quoi la raison vousoblige ?
C’est à me négliger, comme je vousnéglige.
Lysandre
Je ne puis imiter ce mépris de mes feux,
À moins qu’à votre tour vous m’offriez desvœux :
Donnez-m’en les moyens, vous en verrezl’issue.
Hippolyte
J’appréhenderais fort d’être trop bienreçue,
Et qu’au lieu du plaisir de me voir imiter
Je n’eusse que l’honneur de me faireécouter,
Pour n’avoir que la honte après de medédire.
Lysandre
Souffrez donc que mon cœur sans exemplesoupire,
Qu’il aime sans exemple, et que mespassions
S’égalent seulement à vos perfections.
Je vaincrai vos rigueurs par mon humbleservice,
Et ma fidélité…
Célidée
Viens avec moi, Florice :
J’ai des nippes en haut que je veux temontrer.
Hippolyte,Lysandre
Hippolyte
Quoi ? sans la retenir, vous la laissezrentrer ?
Allez, Lysandre, allez ; c’est assez decontraintes ;
J’ai pitié du tourment que vous donnent cesfeintes.
Suivez ce bel objet dont les charmespuissants
Sont et seront toujours absolus sur vossens.
Quoi qu’après ses dédains un peu d’orgueilpublie,
Son mérite est trop grand pour souffrir qu’onl’oublie ;
Elle a des qualités, et de corps, etd’esprit,
Dont pas un cœur donné jamais ne sereprit.
Lysandre
Mon change fera voir l’avantage desvôtres,
Qu’en la comparaison des unes et desautres
Les siennes désormais n’ont qu’un éclatterni,
Que son mérite est grand, et le vôtreinfini.
Hippolyte
Que j’emporte sur elle aucunepréférence !
Vous tenez des discours qui sont horsd’apparence ;
Elle me passe en tout ; et dans cechangement,
Chacun vous blâmerait de peu de jugement.
Lysandre
M’en blâmer en ce cas, c’est en manquersoi-même,
Et choquer la raison, qui veut que je vousaime.
Nous sommes hors du temps de cette vieilleerreur
Qui faisait de l’amour une aveugle fureur,
Et l’ayant aveuglé, lui donnait pourconduite
Le mouvement d’une âme et surprise etséduite.
Ceux qui l’ont peint sans yeux ne leconnaissaient pas ;
C’est par les yeux qu’il entre, et nous ditvos appas ;
Lors notre esprit en juge ; et suivant lemérite,
Il fait croître une ardeur que cette vueexcite.
Si la mienne pour vous se relâche unmoment,
C’est lors que je croirai manquer dejugement ;
Et la même raison qui vous rend admirable
Doit rendre comme vous ma flammeincomparable.
Hippolyte
Épargnez avec moi ces propos affétés.
Encore hier Célidée avait cesqualités ;
Encore hier en mérite elle était sanspareille.
Si je suis aujourd’hui cette uniquemerveille,
Demain quelque autre objet, dont vous suivrezla loi,
Gagnera votre cœur et ce titre sur moi.
Un esprit inconstant a toujours cetteadresse.
Chrysante,Pleirante,Hippolyte,Lysandre
Chrysante
Monsieur, j’aime ma fille avec trop detendresse
Pour la vouloir contraindre en sesaffections.
Pleirante
Madame, vous saurez sesinclinations ;
Elle voudra vous plaire, et je l’en voissourire.
(À Lysandre.)
Allons, mon cavalier, j’ai deux mots à vousdire.
Chrysante
Vous en aurez réponse avant qu’il soit troisjours.
Chrysante,Hippolyte
Chrysante
Devinerais-tu bien quels étaient nosdiscours ?
Hippolyte
Il vous parlait d’amour peut-être ?
Chrysante
Oui : que t’en semble ?
Hippolyte
D’âge presque pareils, vous seriez bienensemble.
Chrysante
Tu me donnes vraiment un gracieuxdétour ;
C’était pour ton sujet qu’il me parlaitd’amour.
Hippolyte
Pour moi ? Ces jours passés, un poète quim’adore,
Du moins à ce qu’il dit, m’égalait àl’Aurore ;
Je me raillais alors de sa comparaison.
Mais, si cela se fait, il avait bienraison.
Chrysante
Avec tout ce babil, tu n’es qu’uneétourdie.
Le bonhomme est bien loin de cettemaladie ;
Il veut te marier, mais c’est àDorimant :
Vois si tu te résous d’accepter cet amant.
Hippolyte
Dessus tous mes désirs vous êtes absolue,
Et si vous le voulez, m’y voilà résolue.
Dorimant vaut beaucoup, je vous le dis sansfard ;
Mais remarquez un peu le trait de cevieillard :
Lysandre si longtemps a brûlé pour safille,
Qu’il en faisait déjà l’appui de safamille ;
À présent que ses feux ne sont plus que pourmoi,
Il voudrait bien qu’un autre eût engagé mafoi,
Afin que sans espoir dans cette amournouvelle,
Un nouveau changement le ramenât verselle.
N’avez-vous point pris garde, en vous disantadieu,
Qu’il a presque arraché Lysandre de celieu ?
Chrysante
Simple ! ce qu’il en fait, ce n’est qu’àsa prière.
Et Lysandre tient même à faveursingulière…
Hippolyte
Je sais que Dorimant est un de sesamis ;
Mais vous voyez d’ailleurs que le ciel apermis
Que pour mieux vous montrer que tout n’estqu’artifice,
Lysandre me faisait ses offres de service.
Chrysante
Aucun des deux n’est homme à se jouer denous.
Quelque secret mystère est cachélà-dessous.
Allons, pour en tirer la vérité plusclaire,
Seules dedans ma chambre examinerl’affaire ;
Ici quelque importun pourrait nousaborder.
Hippolyte,Florice
Hippolyte
J’aurai bien de la peine à lapersuader :
Ah, Florice ! en quel point laisses-tuCélidée ?
Florice
De honte et de dépit tout à fait possédée.
Hippolyte
Que t’a-t-elle montré ?
Florice
Cent choses à la fois,
Selon que le hasard les mettait sous sesdoigts :
Ce n’était qu’un prétexte à faire saretraite.
Hippolyte
Elle t’a témoigné d’être fortsatisfaite ?
Florice
Sans que je vous amuse en discourssuperflus,
Son visage suffit pour juger du surplus.
(Hippolyte regardeCélidée.)
Ses pleurs ne se sauraient empêcher dedescendre ;
Et j’en aurais pitié si je n’aimaisLysandre.
Célidée
Infidèles témoins d’un feu mal allumé,
Soyez-les de ma honte ; et vous fondanten larmes,
Punissez-vous, mes yeux, d’avoir tropprésumé
Du pouvoir de vos charmes.
De quoi vous a servi d’avoir su meflatter,
D’avoir pris le parti d’un ingrat qui metrompe,
S’il ne fit le constant qu’afin de mequitter
Avecque plus de pompe ?
Quand je m’en veux défaire, il est parfaitamant ;
Quand je veux le garder, il n’en fait plus decompte ;
Et n’ayant pu le perdre avec contentement,
Je le perds avec honte.
Ce que j’eus lors de joie augmente monregret ;
Par là mon désespoir davantage se pique.
Quand je le crus constant, mon plaisir futsecret,
Et ma honte est publique.
Le traître avait senti qu’alors menégliger
C’était à Dorimant livrer toute monâme ;
Et la constance plut à cet esprit léger
Pour amortir ma flamme.
Autant que j’eus de peine à l’éteindre ennaissant,
Autant m’en faudra-t-il à la fairerenaître :
De peur qu’a cet amour d’être encoreimpuissant,
Il n’ose plus paraître.
Outre que, de mon cœur pleinement exilé,
Et n’y conservant plus aucuneintelligence,
Il est trop glorieux pour n’être rappelé
Qu’à servir ma vengeance.
Mais j’aperçois celui qui le porte en sesyeux.
Courage donc, mon cœur ; espérons un peumieux.
Je sens bien que déjà devers lui tut’envoles ;
Mais pour t’accompagner je n’ai point deparoles :
Ma honte et ma douleur, surmontant mesdésirs,
N’en laissent le passage ouvert qu’à messoupirs.
Dorimant,Célidée,Cléante
Dorimant
Dans ce profond penser, pâle, triste,abattue,
Ou quelque grand malheur de Lysandre voustue,
Ou bientôt vos douleurs l’accablerontd’ennuis.
Célidée
Il est cause en effet de l’état où jesuis,
Non pas en la façon qu’un ami s’imagine,
Mais…
Dorimant
Vous n’achevez point, faut-il que jedevine ?
Célidée
Permettez que je cède à la confusion,
Qui m’étouffe la voix en cette occasion.
J’ai d’incroyables traits de Lysandre à vousdire !
Mais ce reste du jour souffrez que jerespire,
Et m’obligez demain que je vous puissevoir.
(Elle sort.)
Dorimant
De sorte qu’à présent on n’en peut riensavoir ?
Dieux ! elle se dérobe, et me laisse enun doute…
Poursuivons toutefois notre premièreroute ;
Peut-être ces beaux yeux, dont l’éclat mesurprit,
De ce fâcheux soupçon purgeront monesprit.
(À Cléante)
Frappe.
Dorimant,Florice,Cléante
Florice
Que vous plaît-il ?
Dorimant
Peut-on voir Hippolyte ?
Florice
Elle vient de sortir pour faire unevisite.
Dorimant
Ainsi, tout aujourd’hui mes pas ont étévains.
Florice, à ce défaut, fais-lui mesbaisemains.
Florice,seule.
Ce sont des compliments qu’il fait mauvais luifaire.
Depuis que ce Lysandre a tâché de luiplaire,
Elle ne veut plus être au logis que pourlui,
Et tous autres devoirs lui donnent del’ennui.
Hippolyte,Aronte
Hippolyte
À cet excès d’amour qu’il me faisaitparaître,
Je me croyais déjà maîtresse de tonmaître ;
Tu m’as fait grand dépit de me désabuser.
Qu’il a l’esprit adroit quand il veutdéguiser !
Et que pour mettre en jour ces complimentsfrivoles,
Il sait bien ajuster ses yeux à sesparoles !
Mais je me promets tant de ta dextérité,
Qu’il tournera bientôt la feinte envérité.
Aronte
Je n’ose l’espérer : sa passion tropforte
Déjà vers son objet malgré moi leremporte ;
Et comme s’il avait reconnu son erreur,
Vos yeux lui sont à charge, et sa feinte enhorreur :
Même il m’a commandé d’aller vers sacruelle
Lui jurer que son cœur n’a brûlé que pourelle,
Attaquer son orgueil par des submissions…
Hippolyte
J’entends assez le but de tes commissions.
Tu vas tâcher pour lui d’amollir soncourage ?
Aronte
J’emploie auprès de vous le temps de cemessage,
Et la ferai parler tantôt à mon retour
D’une façon mal propre à donner del’amour ;
Mais après mon rapport, si son ardeurextrême
Le résout à porter son message lui-même,
Je ne réponds de rien. L’amour qu’ils ont tousdeux
Vaincra notre artifice, et parlera poureux.
Hippolyte
Sa maîtresse éblouie ignore encor maflamme,
Et laisse à mes conseils tout pouvoir sur sonâme.
Ainsi tout est à nous, s’il ne fautqu’empêcher
Qu’un si fidèle amant n’en puisserapprocher.
Aronte
Qui pourrait toutefois en détournerLysandre,
Ce serait le plus sûr.
Hippolyte
N’oses-tu l’entreprendre ?
Aronte
Donnez-moi les moyens de le rendre jaloux,
Et vous verrez après frapper d’étrangescoups.
Hippolyte
L’autre jour Dorimant toucha fort marivale,
Jusque-là qu’entre eux deux son âme étaitégale ;
Mais Lysandre depuis, endurant sa rigueur,
Lui montra tant d’amour qu’il regagna soncœur.
Aronte
Donc à voir Célidée et Dorimant ensemble,
Quelque dieu qui vous aime aujourd’hui lesassemble.
Hippolyte
Fais-les voir à ton maître, et ne perds pointce temps,
Puisque de là dépend le bonheur quej’attends.
Dorimant,Célidée,Aronte
Dorimant
Aronte, un mot. Tu fuis ? Crains-tu queje te voie ?
Aronte
Non ; mais pressé d’aller où mon maîtrem’envoie,
J’avais doublé le pas sans vousapercevoir.
Dorimant
D’où viens-tu ?
Aronte
D’un logis vers la Croix-du-Tiroir.
Dorimant
C’est donc en ce Marais que finit tonvoyage ?
Aronte
Non ; je cours au Palais faire encore unmessage.
Dorimant
Et c’en est le chemin de passer parici ?
Aronte
Souffrez que j’aille ôter mon maître desouci ;
Il meurt d’impatience à force dem’attendre.
Dorimant
Et touchant mes amours ne peux-tu rienm’apprendre ?
As-tu vu depuis peu l’objet que jechéris ?
Aronte
Oui, tantôt en passant j’ai rencontréChloris.
Dorimant
Tu cherches des détours : je parled’Hippolyte.
Célidée
Et c’est là seulement le discours qu’ilévite.
Tu t’enferres, Aronte ; et, pris audépourvu,
En vain tu veux cacher ce que nous avonsvu.
Va, ne sois point honteux des crimes de tonmaître :
Pourquoi désavouer ce qu’il fait tropparaître ?
Il la sert à mes yeux, cet infidèle amant,
Et te vient d’envoyer lui faire uncompliment.
(Aronte sort.)
Dorimant,Célidée
Célidée
Après cette retraite et ce morne silence,
Pouvez-vous bien encor demeurer enbalance ?
Dorimant
Je n’en ai que trop vu, mes yeux m’en ont tropdit :
Aronte, en me parlant, était toutinterdit,
Et sa confusion portait sur son visage
Assez et trop de jour pour lire sonmessage.
Traître, traître Lysandre, est-ce là donc lefruit
Qu’en faveur de mes feux ton amitiéproduit ?
Célidée
Connaissez tout à fait l’humeur del’infidèle,
Votre amour seulement la lui fait trouverbelle :
Cet objet, tout aimable et tout parfait qu’ilest,
N’a des charmes pour lui que depuis qu’il vousplaît ;
Et votre affection, de la sienne suivie,
Montre que c’est par là qu’il en a prisenvie,
Qu’il veut moins l’acquérir que vous ledérober.
Dorimant
Voici, dans ce larcin, qui le faitsuccomber.
En ce dessein commun de servir Hippolyte,
Il faut voir seul à seul qui des deux lamérite :
Son sang me répondra de son manque de foi,
Et me fera raison et pour vous et pourmoi.
Notre vieille union ne fait qu’aigrir monâme,
Et mon amitié meurt voyant naître saflamme.
Célidée
Vouloir quelque mesure entre un perfide etvous,
Est-ce faire justice à ce justecourroux ?
Pouvez-vous présumer, après sa tromperie,
Qu’il ait dans les combats moins desupercherie ?
Certes pour le punir c’est trop vousnégliger,
Et chercher à vous perdre au lieu de vousvenger.
Dorimant
Pourriez-vous approuver que je prisseavantage
Pour immoler ce traître à mon peu decourage ?
J’achèterais trop cher la mort dusuborneur,
Si pour avoir sa vie il m’en coûtaitl’honneur,
Et montrerais une âme, et trop basse et tropnoire,
De ménager mon sang aux dépens de magloire.
Célidée
Sans les voir l’un ni l’autre en périlexposés,
Il est pour vous venger des moyens plusaisés.
Pour peu que vous fussiez de monintelligence,
Vous auriez bientôt pris une justevengeance ;
Et vous pourriez sans bruit ôter àl’inconstant…
Dorimant
Quoi ? ce qu’il m’a volé ?
Célidée
Non, mais du moins autant.
Dorimant
La faiblesse du sexe en ce point vousconseille ;
Il se croit trop vengé, quand il rend lapareille :
Mais suivre le chemin que vous vouleztenir,
C’est imiter son crime au lieu de lepunir ;
Au lieu de lui ravir une belle maîtresse,
C’est prendre, à son refus, une beauté qu’illaisse.
(Lysandre vient avec Aronte, qui luifait voir Dorimant avec Célidée.)
C’est lui faire plaisir, au lieu del’affliger,
C’est souffrir un affront, et non pas sevenger.
J’en perds ici le temps. Adieu : je meretire ;
Mais, avant qu’il soit peu, si vous entendezdire
Qu’un coup fatal et juste ait punil’imposteur,
Vous pourrez aisément en deviner l’auteur.
Célidée
De grâce, encore un mot. Hélas ! ilm’abandonne
Aux cuisants déplaisirs que ma douleur medonne.
Rentre, pauvre abusée, et dedans tesmalheurs,
Si tu ne les retiens, cache du moins tespleurs !
Lysandre,Aronte
Aronte
Eh bien, qu’en dites-vous ? et que voussemble d’elle ?
Lysandre
Hélas ! pour mon malheur, tu n’es quetrop fidèle,
N’exerce plus tes soins à me faireendurer ;
Ma plus douce fortune est de toutignorer :
Je serais trop heureux sans le rapportd’Aronte.
Aronte
Encor pour Dorimant, il en a quelquehonte ;
Vous voyant, il a fui.
Lysandre
Mais mon ingrate alors,
Pour empêcher sa fuite a fait tous sesefforts,
Aronte, et tu prenais ses dédains pour desfeintes !
Tu croyais que son cœur n’eût point d’autresatteintes,
Que son esprit entier se conservait à moi,
Et parmi ses rigueurs n’oubliait point safoi.
Aronte
À vous dire le vrai, j’en suis trompémoi-même.
Après deux ans passés dans un amourextrême,
Que sans occasion elle vînt àchanger !
Je me fusse tenu coupable d’ysonger ;
Mais puisque sans raison la volage vouschange,
Faites qu’avec raison un changement vousvenge.
Pour punir comme il faut son infidélité,
Vous n’avez qu’à tourner la feinte envérité.
Lysandre
Misérable ! est-ce ainsi qu’il faut qu’onme soulage ?
Ai-je trop peu souffert sous cette humeurvolage ?
Et veux-tu désormais que par un secondchoix
Je m’engage à souffrir encore une autrefois ?
Qui t’a dit qu’Hippolyte à cette amournouvelle
Se rendrait plus sensible, ou serait plusfidèle ?
Aronte
Vous en devez, monsieur, présumer beaucoupmieux.
Lysandre
Conseiller importun, ôte-toi de mes yeux.
Aronte
Son âme…
Lysandre
Ôte-toi, dis-je ; et dérobe ta tête
Aux violents effets que ma colèreapprête :
Ma bouillante fureur ne cherche qu’unobjet ;
Va, tu l’attirerais sur un sang tropabjet.
Lysandre
Il faut à mon courroux de plus noblesvictimes ;
Il faut qu’un même coup me venge de deuxcrimes ;
Qu’après les trahisons de ce coupleindiscret,
L’un meure de ma main, et l’autre deregret.
Oui, la mort de l’amant punira lamaîtresse ;
Et mes plaisirs alors naîtront de satristesse.
Mon cœur, à qui mes yeux apprendront sestourments,
Permettra le retour à mescontentements ;
Ce visage si beau, si bien pourvu decharmes,
N’en aura plus pour moi, s’il n’est couvert delarmes.
Ses douleurs seulement ont droit de meguérir ;
Pour me résoudre à vivre il faut la voirmourir.
Frénétiques transports, avec quelleinsolence
Portez-vous mon esprit à tant deviolence ?
Allez, vous avez pris trop d’empire surmoi ;
Dois-je être sans raison, parce qu’ils sontsans foi ?
Dorimant, Célidée, ami, chère maîtresse,
Suivrais-je contre vous la fureur qui mepresse ?
Quoi ? vous ayant aimés, pourrais-je voushaïr ?
Mais vous pourrais-je aimer, quand vous m’oseztrahir ?
Qu’un rigoureux combat déchire moncourage !
Ma jalousie augmente, et redouble marage ;
Mais quelques fiers projets qu’elle jette enmon cœur,
L’amour… Ah ! ce mot seul me range à ladouceur.
Celle que nous aimons jamais ne nousoffense ;
Un mouvement secret prend toujours sadéfense :
L’amant souffre tout d’elle ; et dans sonchangement,
Quelque irrité qu’il soit, il est toujoursamant.
Toutefois, si l’amour contre ellem’intimide,
Revenez, mes fureurs, pour punir leperfide ;
Arrachez-lui mon bien ; une tellebeauté
N’est pas le juste prix d’une déloyauté.
Souffrirais-je, à mes yeux, que par sesartifices
Il recueillît les fruits dus à mes longsservices ?
S’il vous faut épargner le sujet de mesfeux,
Que ce traître du moins réponde pour tousdeux.
Vous me devez son sang pour expier soncrime :
Contre sa lâcheté tout vous estlégitime ;
Et quelques châtiments… Mais, dieux ! quevois-je ici ?
Hippolyte,Lysandre
Hippolyte
Vous avez dans l’esprit quelque pesantsouci ;
Ce visage enflammé, ces yeux pleins decolère,
En font voir au-dehors une marque tropclaire.
Je prends assez de part en tous vosintérêts
Pour vouloir en aveugle y mêler mesregrets.
Mais si vous me disiez ce qui cause vospeines…
Lysandre
Ah ! ne m’imposez point de si cruellesgênes ;
C’est irriter mes maux que de mesecourir ;
La mort, la seule mort a droit de meguérir.
Hippolyte
Si vous vous obstinez à m’en taire lacause,
Tout mon pouvoir sur vous n’est que fort peude chose.
Lysandre
Vous l’avez souverain, hormis en ce seulpoint.
Hippolyte
Laissez-le-moi partout, ou ne m’en laissezpoint.
C’est n’aimer qu’à demi qu’aimer avecréserve ;
Et ce n’est pas ainsi que je veux qu’on meserve.
Il faut m’apprendre tout, et lorsque je vousvoi,
Être de belle humeur, ou n’être plus àmoi.
Lysandre
Ne perdez point d’efforts à vaincre monsilence :
Vous useriez sur moi de trop de violence.
Adieu : je vous ennuie, et les grandsdéplaisirs
Veulent en liberté s’exhaler en soupirs.
Hippolyte
C’est donc là tout l’état que tu faisd’Hippolyte ?
Après des vœux offerts, c’est ainsi qu’on mequitte ?
Qu’Aronte jugeait bien que ses feintesamours,
Avant qu’il fût longtemps, interrompraientleur cours !
Dans ce peu de succès des ruses deFlorice,
J’ai manqué de bonheur, mais non pas demalice ;
Et si j’en puis jamais trouver l’occasion,
J’y mettrai bien encor de la division.
Si notre pauvre amant est plein dejalousie,
Ma rivale, qui sort, n’en est pas moinssaisie.
Hippolyte,Célidée
Célidée
N’ai-je pas tantôt vu mon perfide avecvous ?
Il a bientôt quitté des entretiens sidoux.
Hippolyte
Qu’y ferait-il, ma sœur ? Ta fidèleHippolyte
Traite cet inconstant ainsi qu’il lemérite.
Il a beau m’en conter de toutes lesfaçons,
Je le renvoie ailleurs pratiquer sesleçons.
Célidée
Le parjure à présent est fort sur talouange ?
Hippolyte
Il ne tient pas à lui que je ne sois unange ;
Et quand il vient ensuite à parler de sesfeux,
Aucune passion jamais n’approcha d’eux.
Par tous ces vains discours il croit fortqu’il m’oblige,
Mais non la moitié tant qu’alors qu’il tenéglige :
C’est par là qu’il me pense acquérirpuissamment ;
Et moi, qui t’ai toujours chérieuniquement,
Je te laisse à juger alors si je l’endure.
Célidée
C’est trop prendre, ma sœur, de part en moninjure ;
Laisse-le mépriser celle dont les mépris
Sont cause maintenant que d’autres yeux l’ontpris.
Si Lysandre te plaît, possède le volage,
Mais ne me traite point avecdésavantage ;
Et si tu te résous d’accepter mon amant,
Relâche-moi du moins le cœur de Dorimant.
Hippolyte
Pourvu que leur pouvoir se range sous lenôtre,
Je te donne le choix et de l’un et del’autre ;
Ou, si l’un ne suffit à ton jeune désir,
Défais-moi de tous deux, tu me ferasplaisir.
J’estimai fort Lysandre avant que leconnaître ;
Mais depuis cet amour que mes yeux ont faitnaître,
Je te répute heureuse après l’avoir perdu.
Que son humeur est vaine ! et qu’il faitl’entendu !
Que son discours est fade avec sesflatteries !
Qu’on est importuné de sesafféteries !
Vraiment, si tout le monde était fait commelui,
Je crois qu’avant deux jours je sécheraisd’ennui.
Célidée
Qu’en cela du destin l’ordonnance fatale
A pris pour nos malheurs une routeinégale !
L’un et l’autre me fuit, et je brûle poureux,
L’un et l’autre t’adore, et tu les fuis tousdeux.
Hippolyte
Si nous changions de sort, que nous serionscontentes !
Célidée
Outre, hélas ! que le ciel s’oppose à nosattentes,
Lysandre n’a plus rien à rengager ma foi.
Hippolyte
Mais l’autre, tu voudrais…
Pleirante,Hippolyte,Célidée
Pleirante
Ne rompez pas pour moi ;
Craignez-vous qu’un ami sache de vosnouvelles ?
Hippolyte
Nous causions de mouchoirs, de rabats, dedentelles,
De ménages de fille.
Pleirante
Et parmi ces discours,
Vous confériez ensemble un peu de vosamours :
Eh bien, ce serviteur, l’aura-t-onagréable ?
Hippolyte
Vous m’attaquez toujours par quelque traitsemblable.
Des hommes comme vous ne sont que desconteurs.
Vraiment c’est bien à moi d’avoir desserviteurs !
Pleirante
Parlons, parlons français. Enfin, pour cetteaffaire,
Nous en remettrons-nous à l’avis d’unemère ?
Hippolyte
J’obéirai toujours à son commandement.
Mais, de grâce, monsieur, parlez plusclairement :
Je ne puis deviner ce que vous voulezdire.
Pleirante
Un certain cavalier pour vos beaux yeuxsoupire…
Hippolyte
Vous en voulez par là…
Pleirante
Ce n’est point fiction
Que ce que je vous dis de son affection.
Votre mère sut hier à quel point il vousaime,
Et veut que ce soit vous qui vous donniezvous-même.
Hippolyte
Et c’est ce que ma mère, afin dem’expliquer,
Ne m’a point fait l’honneur de mecommuniquer ;
Mais, pour l’amour de vous, je vais le savoird’elle.
Pleirante,Célidée
Pleirante
Ta compagne est du moins aussi fine quebelle.
Célidée
Elle a bien su, de vrai, se défaire devous.
Pleirante
Et fort habilement se parer de mes coups.
Célidée
Peut-être innocemment, faute d’y riencomprendre.
Pleirante
Mais faute, bien plutôt, d’y vouloir rienentendre.
Je suis des plus trompés si Dorimant luiplaît.
Célidée
Y prenez-vous, monsieur, pour lui quelqueintérêt ?
Pleirante
Lysandre m’a prié d’en porter la parole.
Célidée
Lysandre !
Pleirante
Oui, ton Lysandre.
Célidée
Et lui-même cajole…
Pleirante
Quoi ? que cajole-t-il ?
Célidée
Hippolyte, à mes yeux.
Pleirante
Folle, il n’aima jamais que toi dessous lescieux ;
Et nous sommes tout prêts de choisir lajournée
Qui bientôt de vous deux terminel’hyménée.
Il se plaint toutefois un peu de tafroideur ;
Mais, pour l’amour de moi, montre-lui plusd’ardeur ;
Parle : ma volonté sera-t-elleobéie ?
Célidée
Hélas ! qu’on vous abuse après m’avoirtrahie !
Il vous fait, cet ingrat, parler pourDorimant,
Tandis qu’au même objet il s’offre pouramant,
Et traverse par là tout ce qu’à sa prière
Votre vaine entremise avance vers la mère.
Cela, qu’est-ce, monsieur, que se jouer devous ?
Pleirante
Qu’il est peu de raison dans ces espritsjaloux !
Eh quoi ! pour un ami s’il rend unevisite,
Faut-il s’imaginer qu’il cajoleHippolyte ?
Célidée
Je sais ce que j’ai vu.
Pleirante
Je sais ce qu’il m’a dit,
Et ne veux plus du tout souffrir decontredit.
Mon choix de votre hymen en sa faveurdispose.
Célidée
Commandez-moi plutôt, monsieur, toute autrechose.
Pleirante
Quelle bizarre humeur ! quelleinégalité
De rejeter un bien qu’on a tantsouhaité !
La belle, voyez-vous ! qu’on perde cescaprices ;
Il faut pour m’éblouir de meilleursartifices.
Quelque nouveau venu vous donne dans lesyeux,
Quelque jeune étourdi qui vous flatte un peumieux :
Et parce qu’il vous fait quelque feintecaresse,
Il faut que nous manquions, vous et moi, depromesse ?
Quittez, pour votre bien, ces fantasquesrefus.
Célidée
Monsieur…
Pleirante
Quittez-les, dis-je, et ne contestez plus…
Célidée
Fâcheux commandement d’un incrédulepère !
Qu’il me fut doux jadis, et qu’il medésespère !
J’avais, auparavant qu’on m’eût manqué defoi,
Le devoir et l’amour tout d’un parti chezmoi,
Et ma flamme, d’accord avecque sapuissance,
Unissait mes désirs à monobéissance ;
Mais, hélas, que depuis cette infidélité
Je trouve d’injustice en sonautorité !
Mon esprit s’en révolte, et ma flammebannie
Fait qu’un pouvoir si saint m’est unetyrannie.
Dures extrémités où mon sort estréduit !
On donne mes faveurs à celui qui lesfuit ;
Nous avons l’un pour l’autre une pareillehaine,
Et l’on m’attache à lui d’une éternellechaîne.
Mais s’il ne m’aimait plus, parlerait-ild’amour
À celui dont je tiens la lumière dujour ?
Mais s’il m’aimait encor, verrait-ilHippolyte ?
Mon cœur en même temps se retient ets’excite.
Je ne sais quoi me flatte, et je sens déjàbien
Que mon feu ne dépend que de croire lesien.
Tout beau, ma passion, c’est déjà tropparaître ;
Attends, attends du moins la sienne pourrenaître.
À quelle folle erreur me laissé-jeemporter !
Il fait tout à dessein de me persécuter.
L’ingrat cherche ma peine, et veut par samalice
Que l’ordre qu’on me donne augmente monsupplice.
Rentrons, que son objet présenté parhasard
De mon cœur ébranlé ne reprenne unepart :
C’est bien assez qu’un père à souffrir medestine,
Sans que mes yeux encore aident à maruine.
La Lingère, leMercier
LaLingère, (après qu’ils se sontentre-poussé une boîte qui est entre leursboutiques).
J’enverrai tout à bas, puis après onverra.
Ardez, vraiment c’est-mon, on vousl’endurera !
Vous êtes un bel homme, et je dois fort vouscraindre !
Le Mercier
Tout est sur mon tapis, qu’avez-vous à vousplaindre ?
La Lingère
Aussi votre tapis est tout sur monbattant ;
Je ne m’étonne plus de quoi je gagne tant.
Le Mercier
Là, là, criez bien haut, faites bienl’étourdie,
Et puis on vous jouera dedans la comédie.
La Lingère
Je voudrais l’avoir vu que quelqu’un s’y fûtmis !
Pour en avoir raisons nous manquerionsd’amis ?
On joue ainsi le monde ?
Le Mercier
Après tout ce langage,
Ne me repoussez pas mes boîtes davantage.
Votre caquet m’enlève à tous coups meschalands ;
Vous vendez dix rabats contre moi deuxgalands.
Pour conserver la paix, depuis six moisj’endure
Sans vous en dire mot, sans le moindremurmure ;
Et vous me harcelez et sans cause et sansfin.
Qu’une femme hargneuse est un mauvaisvoisin !
Nous n’apaiserons point cette humeur qui vouspique
Que par un entre-deux mis à votreboutique ;
Alors, n’ayant plus rien ensemble àdémêler,
Vous n’aurez plus aussi sur quoi mequereller.
La Lingère
Justement.
La Lingère,Florice, leMercier, le Libraire,Cléante
La Lingère
De tout loin je vous ai reconnue.
Florice
Vous vous doutez donc bien pourquoi je suisvenue ?
Les avez-vous reçus, ces points-coupésnouveaux ?
La Lingère
Ils viennent d’arriver.
Florice
Voyons donc les plus beaux.
LeMercier, à Cléante quipasse.
Ne vous vendrai-je rien, monsieur ? desbas de soie,
Des gants en broderie, ou quelque petiteoie ?
Cléante, aulibraire.
Ces livres que mon maître avait fait mettre àpart,
Les avez-vous encor ?
LeLibraire, empaquetant seslivres.
Ah ! que vous venez tard !
Encore un peu, ma foi, je m’en allais lesvendre.
Trois jours sans revenir ! je m’ennuyaisd’attendre.
Cléante
Je l’avais oublié. Le prix ?
Le Libraire
Chacun le sait ;
Autant de quarts d’écu, c’est un marché toutfait.
LaLingère, à Florice.
Eh bien, qu’en dites-vous ?
Florice
J’en suis toute ravie,
Et n’ai rien encor vu de pareil en ma vie.
Vous aurez notre argent, si l’on croit monrapport.
Que celui-ci me semble et délicat etfort !
Que cet autre me plaît ! que j’en aimel’ouvrage !
Montrez-m’en cependant quelqu’un à monusage.
La Lingère
Voici de quoi vous faire un assez beaucollet.
Florice
Je pense, en vérité, qu’il ne serait paslaid ;
Que me coûtera-t-il ?
La Lingère
Allez, faites-moi vendre,
Et pour l’amour de vous, je n’en voudrai rienprendre,
Mais avisez alors à me récompenser.
Florice
L’offre n’est pas mauvaise, et vaut bien ypenser.
Vous me verrez demain avecque mamaîtresse.
Florice,Aronte, leMercier, laLingère
Florice
Aronte, eh bien ! quels fruits produiranotre adresse ?
Aronte
De fort mauvais pour moi. Mon maître, audésespoir,
Fuit les yeux d’Hippolyte, et ne veut plus mevoir.
Florice
Nous sommes donc ainsi bien loin de notreconte ?
Aronte
Oui, mais tout le malheur en tombe surAronte.
Florice
Ne te débauche point, je veux faire tapaix.
Aronte
Son courroux est trop grand pour s’apaiserjamais.
Florice
S’il vient encor chez nous, ou chez saCélidée,
Je te rends aussitôt l’affaire accommodée.
Aronte
Si tu fais ce coup-là, que ton pouvoir estgrand !
Viens, je te veux donner tout à l’heure ungaland.
Le Mercier
Voyez, monsieur ; j’en ai des plus beauxde la terre :
En voilà de Paris, d’Avignon,d’Angleterre.
Aronte, après avoir regardéune boîte de galands.
Tous vos rubans n’ont point d’assez vivescouleurs.
Allons, Florice, allons, il en faut voirailleurs.
La Lingère
Ainsi, faute d’avoir de bonne marchandise,
Des hommes comme vous perdent leurchalandise.
Le Mercier
Vous ne la perdez pas, vous, mais Dieu saitcomment ;
Du moins, si je vends peu, je vendsloyalement,
Et je n’attire point avec une promesse
De suivante qui m’aide à tromper samaîtresse.
La Lingère
Quand il faut dire tout, on s’entre-connaîtbien ;
Chacun sait son métier, et… Mais je ne disrien.
Le Mercier
Vous ferez un grand coup si vous pouvez voustaire.
La Lingère
Je ne réplique point à des gens en colère.
Lysandre
Indiscrète vengeance, imprudenteschaleurs,
Dont l’impuissance ajoute un comble à mesmalheurs,
Ne me conseillez plus la mort de cefaussaire.
J’aime encor Célidée, et n’ose luidéplaire :
Priver de la clarté ce qu’elle aime lemieux,
Ce n’est pas le moyen d’agréer à ses yeux.
L’amour, en la perdant, me retient enbalance ;
Il produit ma fureur et rompt sa violence,
Et me laissant trahi, confus et méprisé,
Ne veut que triompher de mon cœur divisé.
Amour, cruel auteur de ma longue misère,
Ou permets à la fin d’agir à ma colère,
Ou, sans m’embarrasser d’inutilestransports,
Auprès de ce bel œil fais tes derniersefforts ;
Viens, accompagne-moi chez ma belleinhumaine,
Et comme de mon cœur, triomphe de sahaine !
Contre toi ma vengeance a mis les armesbas,
Contre ses cruautés rends les mêmescombats ;
Exerce ta puissance à fléchir lafarouche ;
Montre-toi dans mes yeux, et parle par mabouche :
Si tu te sens trop faible, appelle à tonsecours
Le souvenir de mille et de mille heureuxjours
Où ses désirs, d’accord avec monespérance,
Ne laissaient à nos vœux aucunedifférence.
Je pense avoir encor ce qui la sutcharmer,
Les mêmes qualités qu’elle voulut aimer.
Peut-être mes douleurs ont changé monvisage ;
Mais, en revanche aussi, je l’aimedavantage.
Mon respect s’est accru pour un objet sicher ;
Je ne me venge point, de peur de lafâcher.
Un infidèle ami tient son âme captive,
Je le sais, je le vois et je souffre qu’ilvive.
Je tarde trop ; allons, ou vaincre sesrefus,
Ou me venger sur moi de ne lui plaireplus,
Et tirons de son cœur, malgré sa flammeéteinte,
La pitié par ma mort, ou l’amour par maplainte :
Ses rigueurs par ce fer me perceront lesein.
Dorimant,Lysandre
Dorimant
Eh quoi ! pour m’avoir vu, vous changezde dessein ?
Ne craignez point pour moi d’entrer chezHippolyte ;
Vous ne m’apprendrez rien en lui faisantvisite ;
Mes yeux, mes propres yeux n’ont que tropdécouvert
Comme un ami si rare auprès d’elle mesert.
Lysandre
Parlez plus franchement : ma rencontreimportune
Auprès d’un autre objet trouble votrefortune ;
Et vous montrez assez, par ces faiblesdétours,
Qu’un témoin comme moi déplaît à vosamours ;
Vous voulez seul à seul cajolerCélidée ;
La querelle entre nous sera bientôtvidée :
Ma mort vous donnera chez elle un libreaccès.
Ou ma juste vengeance un funeste succès.
Dorimant
Qu’est-ce-ci, déloyal ? quelle fourbe estla vôtre ?
Vous m’en disputez une, afin d’acquérirl’autre !
Après ce que chacun a vu de votre feu,
C’est une lâcheté d’en faire un désaveu.
Lysandre
Je ne me connais point à combattred’injures.
Dorimant
Aussi veux-je punir autrement tesparjures :
Le ciel, le juste ciel, ennemi desingrats,
Qui pour ton châtiment a destiné mon bras,
T’apprendra qu’à moi seul Hippolyte estgardée.
Lysandre
Garde ton Hippolyte.
Dorimant
Et toi, ta Célidée.
Lysandre
Voilà faire le fin, de crainte d’uncombat.
Dorimant
Tu m’imputes la crainte, et ton cœur s’enabat !
Lysandre
Laissons à part les noms ; disputons lamaîtresse,
Et pour qui que ce soit, montre ici tonadresse.
Dorimant
C’est comme je l’entends.
Célidée,Lysandre,Dorimant
Célidée
Ô dieux ! ils sont aux coups !
(À Lysandre.)
Ah ! perfide ! sur moi détourne toncourroux ;
La mort de Dorimant me serait tropfuneste.
Dorimant
Lysandre, une autre fois nous viderons lereste.
Célidée, àDorimant.
Arrête, cher ingrat !
Lysandre
Tu recules, voleur !
Dorimant
Je fuis cette importune, et non pas tavaleur.
Lysandre,Célidée
Lysandre
Ne suivez pas du moins ce perfide à mavue :
Avez-vous résolu que sa fuite me tue,
Et qu’ayant su braver son plus vaillanteffort,
Par sa retraite infâme il me donne lamort ?
Pour en frapper le coup, vous n’avez qu’à lesuivre.
Célidée
Je tiens des gens sans foi si peu dignes devivre,
Qu’on ne verra jamais que je recule un pas
De crainte de causer un si juste trépas.
Lysandre
Eh bien, voyez-le donc ; ma lame touteprête
N’attendait que vos yeux pour immoler matête.
Vous lirez dans mon sang, à vos piedsrépandu,
Ce que valait l’amant que vous aurezperdu ;
Et sans vous reprocher un si crueloutrage,
Ma main de vos rigueurs achèveral’ouvrage.
Trop heureux mille fois si je plais enmourant
À celle à qui j’ai pu déplaire enl’adorant,
Et si ma prompte mort, secondant sonenvie,
L’assure du pouvoir qu’elle avait sur mavie !
Célidée
Moi, du pouvoir sur vous ! vos yeux sesont mépris ;
Et quelque illusion qui trouble vosesprits
Vous fait imaginer d’être auprèsd’Hippolyte.
Allez, volage, allez où l’amour vousinvite ;
Dans ses doux entretiens recherchez vosplaisirs,
Et ne m’empêchez plus de suivre mesdésirs.
Lysandre
Ce n’est pas sans raison que ma feintepassée
A jeté cette erreur dedans votre pensée.
Il est vrai, devant vous forçant messentiments,
J’ai présenté des vœux, j’ai fait descompliments ;
Mais c’étaient compliments qui partaient d’unesouche ;
Mon cœur, que vous teniez, désavouait mabouche.
Pleirante, qui rompit ces ennuyeuxdiscours,
Sait bien que mon amour n’en changea point decours ;
Contre votre froideur une modeste plainte
Fut tout notre entretien au sortir de lafeinte ;
Et je le priai lors…
Célidée
D’user de son pouvoir ?
Ce n’était pas par là qu’il me fallaitavoir.
Les mauvais traitements ne font qu’aigrir lesâmes.
Lysandre
Confus, désespéré du mépris de mesflammes,
Sans conseil, sans raison, pareil auxmatelots
Qu’un naufrage abandonne à la merci desflots,
Je me suis pris à tout, ne sachant où meprendre.
Ma douleur par mes cris d’abord s’est faitentendre ;
J’ai cru que vous seriez d’un naturel plusdoux,
Pourvu que votre esprit devînt un peujaloux ;
J’ai fait agir pour moi l’autorité d’unpère,
J’ai fait venir aux mains celui qu’on mepréfère ;
Et puisque ces efforts n’ont réussi qu’envain,
J’aurai de vous ma grâce, ou la mort de mamain.
Choisissez, l’une ou l’autre achèvera mespeines ;
Mon sang brûle déjà de sortir de mesveines :
Il faut, pour l’arrêter, me rendre votreamour ;
Je n’ai plus rien sans lui qui me retienne aujour.
Célidée
Volage, fallait-il, pour un peu derudesse,
Vous porter si soudain à changer demaîtresse ?
Que je vous croyais bien d’un jugement plusmeur !
Ne pouviez-vous souffrir de ma mauvaisehumeur ?
Ne pouviez-vous juger que c’était unefeinte
À dessein d’éprouver quelle était votreatteinte ?
Les dieux m’en soient témoins, et ce nouveausujet
Que vos feux inconstants ont choisi pourobjet,
Si jamais j’eus pour vous de dédainvéritable,
Avant que votre amour parût si peudurable !
Qu’Hippolyte vous die avec quelssentiments
Je lui fus raconter vos premiersmouvements,
Avec quelles douceurs je m’étais préparée
À redonner la joie à votre âmeéplorée !
Dieux ! que je fus surprise, et mes senséperdus,
Quand je vis vos devoirs à sa beautérendus !
Votre légèreté fut soudain imitée :
Non pas que Dorimant m’en eûtsollicitée ;
Au contraire, il me fuit, et l’ingrat ne veutpas
Que sa franchise cède au peu que j’aid’appas ;
Mais, hélas ! plus il fuit, plus sonportrait s’efface.
Je vous sens, malgré moi, reprendre votreplace.
L’aveu de votre erreur désarme moncourroux ;
Ne redoutez plus rien, l’amour combat pourvous.
Si nous avons failli de feindre l’un etl’autre,
Pardonnez à ma feinte, et j’oublierai lavôtre.
Moi-même je l’avoue à ma confusion,
Mon imprudence a fait notre division.
Tu ne méritais pas de si rudesalarmes :
Accepte un repentir accompagné delarmes ;
Et souffre que le tien nous fasse tour àtour
Par ce petit divorce augmenter notreamour.
Lysandre
Que vous me surprenez ! Ô ciel !est-il possible
Que je vous trouve encore à mes désirssensible ?
Que j’aime ces dédains qui finissentainsi !
Célidée
Et pour l’amour de toi, que je les aimeaussi !
Lysandre
Que ce soit toutefois sans qu’il vous prenneenvie
De les plus essayer au péril de ma vie.
Célidée
J’aime trop désormais ton repos et lemien ;
Tous mes soins n’iront plus qu’à notre communbien.
Voudrais-je, après ma faute, une plus douceamende
Que l’effet d’un hymen qu’un père mecommande ?
Je t’accusais en vain d’uneinfidélité :
Il agissait pour toi de pleine autorité,
Me traitait de parjure et de fillerebelle ;
Mais allons lui porter cette heureusenouvelle ;
Ce que pour mes froideurs il témoigned’horreur
Mérite bien qu’en hâte on le tired’erreur.
Lysandre
Vous craignez qu’à vos yeux cette belleHippolyte
N’ait encor de ma bouche un hommagehypocrite ?
Célidée
Non, je fuis Dorimant qu’ensemblej’aperçoi ;
Je ne veux plus le voir, puisque je suis àtoi.
Dorimant,Hippolyte
Dorimant
Autant que mon esprit adore vos mérites,
Autant veux-je de mal à vos longuesvisites.
Hippolyte
Que vous ont-elles fait pour vous mettre encourroux ?
Dorimant
Elles m’ôtent le bien de vous trouver chezvous.
J’y fais à tous moments une courseinutile ;
J’apprends cent fois le jour que vous êtes enville ;
En voici presque trois que je n’ai pu vousvoir,
Pour rendre à vos beautés ce que je saisdevoir ;
Et n’était qu’aujourd’hui cette heureuserencontre,
Sur le point de rentrer, par hasard me lesmontre,
Je crois que ce jour même aurait encorpassé
Sans moyen de m’en plaindre aux yeux qui m’ontblessé.
Hippolyte
Ma libre et gaie humeur hait le ton deplainte ;
Je n’en puis écouter qu’avec de lacontrainte.
Si vous prenez plaisir dedans monentretien,
Pour le faire durer ne vous plaignez derien.
Dorimant
Vous me pouvez ôter tout sujet de meplaindre.
Hippolyte
Et vous pouvez aussi vous empêcher d’enfeindre.
Dorimant
Est-ce en feindre un sujet qu’accuser vosrigueurs ?
Hippolyte
Pour vous en plaindre à faux, vous feignez deslangueurs.
Dorimant
Verrais-je sans languir ma flamme qu’onnéglige ?
Hippolyte
Éteignez cette flamme où rien ne vousoblige.
Dorimant
Vos charmes trop puissants me forcent à cesfeux.
Hippolyte
Oui, mais rien ne vous force à vous approcherd’eux.
Dorimant
Ma présence vous fâche et vous estodieuse.
Hippolyte
Non ; mais tout ce discours la peutrendre ennuyeuse.
Dorimant
Je vois bien ce que c’est ; je lis dansvotre cœur :
Il a reçu les traits d’un plus heureuxvainqueur ;
Un autre, regardé d’un œil plus favorable,
À mes submissions vous faitinexorable ;
C’est pour lui seulement que vous voulezbrûler.
Hippolyte
Il est vrai ; je ne puis vous ledissimuler :
Il faut que je vous traite avec toutefranchise.
Alors que je vous pris, un autre m’avaitprise,
Un autre captivait mes inclinations.
Vous devez présumer de vos perfections
Que si vous attaquiez un cœur qui fût àprendre,
Il serait malaisé qu’il s’en pût biendéfendre.
Vous auriez eu le mien, s’il n’eût étédonné ;
Mais puisque les destins ainsi l’ontordonné,
Tant que ma passion aura quelqueespérance,
N’attendez rien de moi que del’indifférence.
Dorimant
Vous ne m’apprenez point le nom de cetamant :
Sans doute que Lysandre est cet objetcharmant
Dont les discours flatteurs vous ontpréoccupée.
Hippolyte
Cela ne se dit point à des hommesd’épée :
Vous exposer aux coups d’un duelhasardeux,
Ce serait le moyen de vous perdre tousdeux.
Je vous veux, si je puis, conserver l’un etl’autre ;
Je chéris sa personne, et hais si peu lavôtre,
Qu’ayant perdu l’espoir de le voir monépoux,
Si ma mère y consent, Hippolyte est àvous.
Mais aussi jusque-là plaignez votreinfortune.
Dorimant
Permettez pour ce nom que je vousimportune ;
Ne me refusez plus de me ledéclarer :
Que je sache en quel temps j’aurai droitd’espérer,
Un mot me suffira pour me tirer depeine ;
Et lors j’étoufferai si bien toute mahaine,
Que vous me trouverez vous-même tropremis.
Pleirante,Lysandre,Célidée,Dorimant,Hippolyte
Pleirante
Souffrez, mon cavalier, que je vous rendeamis.
Vous ne lui voulez pas querellerCélidée ?
Dorimant
L’affaire, à cela près, peut être décidée.
Voici le seul objet de nos affections,
Et l’unique motif de nos dissensions.
Lysandre
Dissipe, cher ami, cette jalouseatteinte ;
C’est l’objet de tes feux, et celui de mafeinte.
Mon cœur fut toujours ferme, et moi je medédis
Des vœux que de ma bouche elle reçutjadis.
Piqué d’un faux dédain, j’avais prisfantaisie
De mettre Célidée en quelquejalousie ;
Mais, au lieu d’un esprit, j’en ai fait deuxjaloux.
Pleirante
Vous pouvez désormais achever entrevous :
Je vais dans ce logis dire un mot àmadame.
Dorimant,Lysandre,Célidée,Hippolyte
Dorimant
Ainsi, loin de m’aider, tu traversais maflamme !
Lysandre
Les efforts que Pleirante à ma prière afaits
T’auraient acquis déjà le but de tessouhaits ;
Mais tu dois accuser les glacesd’Hippolyte,
Si ton bonheur n’est pas égal à tonmérite.
Hippolyte
Qu’aurai-je cependant pour satisfaction
D’avoir servi d’objet à votrefiction ?
Dans votre différend je suis la plusblessée,
Et me trouve, à l’accord, entièrementlaissée.
Célidée
N’y songe plus, de grâce, et pour l’amour demoi,
Trouve bon qu’il ait feint de vivre sous taloi.
Veux-tu le quereller lorsque je luipardonne ?
Le droit de l’amitié tout autrementordonne.
Tout prêts d’être assemblés d’un lienconjugal,
Tu ne peux le haïr sans me vouloir du mal.
J’ai feint par ton conseil ; lui, parcelui d’un autre ;
Et bien qu’amour jamais ne fût égal aunôtre,
Je m’étonne comment cette confusion
Laisse finir si tôt notre division.
Hippolyte
De sorte qu’à présent le ciel yremédie ?
Célidée
Tu vois ; mais après tout, s’il faut queje le die,
Ton conseil est fort bon, mais un peudangereux.
Hippolyte
Excuse, chère amie, un esprit amoureux.
Lysandre me plaisait, et tout mon artifice
N’allait qu’à détourner son cœur de tonservice.
J’ai fait ce que j’ai pu pour brouiller vosesprits ;
J’ai, pour me l’attirer, pratiqué tesmépris ;
Mais puisqu’ainsi le ciel rejoint votrehyménée…
Dorimant
Votre rigueur vers moi doit être terminée.
Sans chercher de raisons pour vouspersuader,
Votre amour hors d’espoir fait qu’il me fautcéder ;
Vous savez trop à quoi la parole vous lie.
Hippolyte
À vous dire le vrai, j’ai fait unefolie :
Je les croyais encor loin de se réunir,
Et moi, par conséquent, loin de vous latenir.
Dorimant
Auriez-vous pour la rompre une âme assezlégère ?
Hippolyte
Puisque je l’ai promis, vous pouvez voir mamère.
Lysandre
Si tu juges Pleirante à cela suffisant,
Je crois qu’eux deux ensemble en parlent àprésent.
Dorimant
Après cette faveur qu’on me vient depromettre,
Je crois que mes devoirs ne se peuventremettre :
J’espère tout de lui ; mais, pour un biensi doux
Je ne saurais…
Lysandre
Arrête ; ils s’avancent vers nous.
Pleirante,Chrysante,Lysandre,Dorimant,Célidée,Hippolyte,Florice
Dorimant, àChrysante.
Madame, un pauvre amant, captif de cettebelle,
Implore le pouvoir que vous avez surelle ;
Tenant ses volontés, vous gouvernez monsort.
J’attends de votre bouche ou la vie ou lamort.
Chrysante, àDorimant.
Un homme tel que vous, et de votrenaissance,
Ne peut avoir besoin d’implorer mapuissance.
Si vous avez gagné ses inclinations,
Soyez sûr du succès de vosaffections ;
Mais je ne suis pas femme à forcer soncourage ;
Je sais ce que la force est en un mariage.
Il me souvient encor de tous mesdéplaisirs
Lorsqu’un premier hymen contraignit mesdésirs ;
Et, sage à mes dépens, je veux bienqu’Hippolyte
Prenne ou laisse, à son choix, un homme demérite.
Ainsi présumez tout de mon consentement,
Mais ne prétendez rien de moncommandement.
Dorimant, àHippolyte.
Après un tel aveu serez-vousinhumaine ?
Hippolyte, àChrysante.
Madame, un mot de vous me mettrait hors depeine.
Ce que vous remettez à mon choixd’accorder,
Vous feriez beaucoup mieux de me lecommander.
Pleirante, àChrysante.
Elle vous montre assez où son désir seporte.
Chrysante
Puisqu’elle s’y résout, le reste nem’importe.
Dorimant
Ce favorable mot me rend le plus heureux
De tout ce que jamais on a vu d’amoureux.
Lysandre
J’en sens croître la joie au milieu de monâme,
Comme si de nouveau l’on acceptait maflamme.
Hippolyte, àLysandre.
Ferez-vous donc enfin quelque chose pourmoi ?
Lysandre
Tout, hormis ce seul point, de lui manquer defoi.
Hippolyte
Pardonnez donc à ceux qui, gagnés parFlorice,
Lorsque je vous aimais, m’ont fait quelqueservice.
Lysandre
Je vous entends assez ; soit. Aronteimpuni
Pour ses mauvais conseils ne sera pointbanni ;
Tu le souffriras bien, puisqu’elle m’ensupplie.
Célidée
Il n’est rien que pour elle et pour toi jen’oublie.
Pleirante
Attendant que demain ces deux couplesd’amants
Soient mis au plus haut point de leurscontentements,
Allons chez moi, madame, achever lajournée.
Chrysante
Mon cœur est tout ravi de ce doublehyménée.
Florice
Mais afin que la joie en soit égale àtous,
Faites encor celui de monsieur et de vous.
Chrysante
Outre l’âge en tous deux un peu troprefroidie,
Cela sentirait trop sa fin de comédie.