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La princesse Flora

La princesse Flora

d’ Alexandre Dumas
I – La princesse Flora à sa parente, à Moscou.

Je suis furieuse contre Moscou, ma chère,parce que tu n’es pas avec moi. Je dois te raconter une foule de choses… mais comment te les écrire ? J’ai tant vu et tant vécu depuis une semaine ! D’abord, j’ai été mortellement triste : rien n’est plus ennuyeux qu’un continuel étonnement.La cour impériale et le grand monde me donnent le vertige, et j’en suis arrivé à entendre sans m’émerveiller la plus énorme sottise,comme à contempler sans sourire le plus curieux tableau ; mais la fête de Peterhoff, Peterhoff lui-même, c’est une exception, la perle des exceptions jusqu’à présent… J’ai tout vu ; j’ai été partout ; j’ai les oreilles assourdies du bruit du canon, des cris du peuple, du murmure des fontaines, du rebondissement des cascades… Nous avons lu avec attention, nous avons dévoré avec gourmandise ensemble, tu te le rappelles, la description des miracles de Peterhoff ; mais, quand j’ai vu de mes propres yeux toutes ces merveilles, elles m’ont littéralement dévorée, et j’ai tout oublié, même toi, mon bel ange ; j’ai rebondi dans les airs avec la cascade ; j’ai monté jusqu’au ciel avec sa poussière ; je suis redescendue sur la terre, légère comme la goutte de rosée ; j’ai jeté mon ombre céleste et odoriférante,sur les allées pleines de souvenirs ; j’ai joué avec les rayons du soleil et avec les vagues de la mer ; et tout cela,c’était le jour ; et quelle nuit a couronné ce jour ! Il fallait s’étonner en voyant comme peu à peu s’allumait l’illumination ; il semblait qu’un doigt de feu dessinât de merveilleux dessins sur le voile noir de la nuit ; elle s’épanouissant en fleurs, s’arrondissait en roue, rampait en serpent, et, tout à coup, voilà que tout le jardin fut en feu. Tueusses dit, ma chère, que le soleil était tombé du ciel sur la terre et s’y était éparpillé en étincelles ; les flammes avaient entouré les arbres, mais des couronnes d’étoiles aux piècesd’eau ; les fontaines étaient des volcans et les montagnes desmines d’or ; les canaux et les bassins s’en imbibaientavidement, reproduisaient les dessins et les doublaient ; etarbres, pièces d’eau, fontaines, montagnes, canaux et bassinssemblaient rouler un immense incendie. Les clameurs du peuple,jointes au bruit des cascades et au frémissement des arbres,vivifiaient ce splendide spectacle par leur majestueuseharmonie : c’était la voix de Circé, c’était le chant dessirènes.

À onze heures du soir, tout l’Olympe descendità terre ; de longues files de voitures serpentaient dans lesjardins, et les resplendissantes dames de la cour qui lesoccupaient, pareilles à des files de perles, semblaient un rêve depoète, tant elles étaient légères et presque transparentes. Et,moi-même, j’étais une de ces sylphides ! J’avais une robe debrocart, – qu’on appelle à la cour, je ne sais pourquoi, roberusse, – avec un dessous de satin blanc, garni de piquésd’or ; cette robe, ma chère Sophie, était si bien coupée, sibien brodée, qu’avant de la vêtir, j’eus envie de me mettre àgenoux devant ; j’étais coiffée avec des marabouts, présent demon mari, et je te dirai, sans vanité aucune, que cette coiffurem’allait à merveille ; et, quand même je ne m’en fusse pasrapportée à mon miroir, le murmure des hommes sur mon passage eûtpu convaincre l’apôtre Thomas lui-même que ta cousine était trèsgentille.

Mais tu attends probablement, chère Sophie, ladescription du bal masqué à Peterhoff. Mon Dieu ! commentvais-je donc faire pour mettre de l’ordre dans mes souvenirs ?Tous les objets roulent dans ma tête comme un tourbillon delucioles. Les plaques de diamants des princes et des générauxfaisaient pâlir les étoiles du ciel. Les poissons familiers del’étang de Marly suivaient dans l’eau les bavards officiers de lagarde se répandant par les allées, lesquels eussent dû prendre deleur mutisme une leçon de modestie. J’ai vu un chambellan myopeprêt à pleurer d’avoir perdu sa lorgnette. Et j’avais vraiment peurque le Samson, après avoir tué son lion, ne se mît à ma poursuite,tant un grain de vertigineuse folie était entré dans mon cerveau.Les statues de l’Apollon du Belvédère et de l’Actéon dansent lapolonaise devant moi avec la princesse Bebi et la comtesse Zezi. Jen’ose vraiment entamer le chapitre des compliments que m’a faits leprince Étienne, ni la description du pavillon Magique, où la dansebondissait comme une Folie avec des milliers de grelots.

Tout le monde dit que le bal masqué était desplus brillants et que, depuis la grande Catherine, il n’avaitjamais été fait une si grande dépense de rouge, d’or, de bougies etd’amabilités. Ton oncle, le cher homme ! avait mis une tellequantité de décorations, de croix et de cordons, que les mauvaisplaisants assuraient qu’il se préparait à faire partie del’exposition des arts, et l’on a comparé notre grosse Moscovite, laprincesse Z…, à cause de la traîne de sa robe, à une comète. Mais,à mon avis, c’était sans raison ; elle portait sa queue aussihabilement qu’un renard.

Te rappelles-tu cet aide de camp, si long detaille, qui nous a tant fait rire, l’an passé, par ses phrasesaussi roides que ses moustaches ? Eh bien, la générale T… nousa affirmé qu’il avait prétendu qu’une certaine dame marchait contreles cœurs à la baïonnette. Tu vois bien que tout le monde étaitfou, que moi la toute première, j’étais folle, et qu’il me seraitimpossible de te raconter tout ce qui s’est dit, tout ce qui a étéentendu, avec qui je me suis promenée, combien d’aiguillettesd’argent et d’or ont étincelé, rampé, tourbillonné autour de moi,et combien de généraux et de moustaches de toutes couleurs ont étéenivrés de bonheur, en m’entendant répondre à leur invitation cessimples mots :

– Avec plaisir, monsieur.

Ah ! mon cher ange, tu n’as pas idée àquel point ces perroquets à plumes blanches et noires m’ontennuyée ! Est-ce que tu ne crois pas que toute cette jeunessedoive acheter ses phrases en même temps que ses gants ? Commenos anciens dîners à Moscou commençaient toujours par la soupefroide, leur conversation commence toujours par ces spirituellesparoles :

– Vous aimez la danse, madame ?

Non, messieurs, non ; je suis prête, aucontraire, à haïr la danse à cause des danseurs qui, comme lecoucou de la pendule de ma grand’mère, ne cessent de me répéter lemême cri ; c’est une fatigue avec le commun des martyrs ;mais, avec nos jeunes gens à la mode, nos lions, nos dandys, c’estplus qu’une fatigue, c’est un véritable crucifiement. Ils torturentleur pauvre cerveau pour en tirer une goutte d’essence de rose oude vinaigre !

– Tous les yeux et toutes les lorgnettes sontfixés sur vous, madame, me disait un diplomate en se dandinant sigravement sur sa chaise, que l’on eût dit que de son équilibredépendait l’équilibre de l’Europe. Regardez donc, princesse, commetous les regards brillent quand ils rencontrent les vôtres :en vérité, c’est un véritable feu d’artifice !

– Pas tout à fait, lui répondis-je. Je voisbeaucoup d’artifices, c’est vrai ; mais où donc est lefeu ?

Me croiras-tu, ma chérie, si je te dis que,dans cette masse de têtes, dans cette voie lactée d’yeux gris,bleus, noirs, marron, pas une seule physionomie ne m’a souri commeje l’eusse désiré ? Pas un seul regard n’a brillé d’une vraiesympathie pour moi, et, dans ces yeux, aucuns qui fussent dignesd’occuper un instant mon esprit et ma pensée. « Comme il y apeu de cavaliers !… » disions-nous à Moscou. « Commeil y a peu d’hommes !… » disais-je à Peterhoff. Lavulgarité avait passé son linceul de glace sur tous ces visages.C’est en vain que tu étudieras tous les traits de leur physionomie,soit dans l’ensemble, soit dans les détails, tu ne pourras devinerni à quel peuple, ni à quelle époque, ni à quelle raceappartiennent tous ces gens-là. Dans leur sourire, tu ne trouveraspas l’expression ; dans leurs paroles, tu ne trouveras pas lapensée ; sous leurs crachats, tu ne trouveras pas lecœur ; c’est un tableau recouvert d’un magnifique vernis, dontle prix est énorme, mais dont personne ne peut dire le sujet.Pendant toute cette soirée, je n’ai pas entendu une seuleconversation, une seule phrase, un seul mot qui mérite de resterdans ma mémoire. Ils parlaient de tout ; mais qu’ont-ilsdit ? Un seul, en causant avec moi, fit une bonneappréciation.

– Regardez près de vous, regardez loin devous, regardez autour de vous, me dit-il ; n’est-ce pas quetout ce bal ressemble à un jardin anglais ? Les plumes et lesfleurs des dames tremblent comme des plantes sous les baisers duzéphyr ; là se déroule la danse polonaise, comme un sentiervivant ; là, une masse d’officiers, avec leurs panaches,semblent un massif de palmiers. Voilà, en petit, nos monts Ouralsavec leurs sables dorés. Voilà une grotte avec son écho ; cetécho est le plus formidable de tous ceux que vous ayez jamaisentendus : il peut répéter jusqu’à cent fois le motmoi. Plus loin, voyez ce dos voûté : c’est un pontqui ne mène nulle part. Partout des clefs en or, mais qui n’offrentabsolument rien ; des espèces d’urnes funéraires renfermant,au lieu de cendres, du tabac de France ou d’Espagne, et, autour deces monuments, les innocentes jeunes filles se promenant avec lesspirituelles pensées d’un troupeau de brebis ; et, si vous mepermettez de pousser ma comparaison jusqu’à l’hyperbole, continuaitmon railleur en arrêtant son regard sur un groupe de vieillesfemmes, nous pouvons trouver ici jusqu’à ces ruines pittoresques,jusqu’à ces tours gothiques qui s’élèvent dans les coins retirés,et dans lesquelles, comme des hiboux et des chouettes, nichent lespréjugés.

– Bon Dieu, que vous êtes caustique ! luidis-je ; est-ce que vous ne pourriez pas trouver des motifsmoins acerbes à vos comparaisons ? est-ce que vous n’auriezpas pu, dans votre jardin anglais, aussi bien qu’à Tzarko-Zélo,placer un temple, un monument de victoire ?

– Dans ce cas, me répondit mon interlocuteuren saluant, je prends le rôle de la colonne rostrale ; maisc’est vous, madame, qui serez le monument de ma défaite, en mêmetemps que le temple de l’Amour.

Je regardai ce monsieur en souriant ;c’était vraiment dommage qu’il ne fût ni jeune ni beau, et que sonnez, long et pointu, fût la véritable lance dont il frappait sesantagonistes.

Me voilà rentrée à la maison.

L’amour ! l’amour ! Pourquoi ce mot,que je veux repousser, pénètre-t-il malgré moi dans mon cœur, commecette rose épineuse dans les tresses de mes cheveux ? Pourquoipuis-je jeter cette rose par la fenêtre, et ne puis-je pas y jeterce mot après elle ? Pourquoi est-ce que je soupire quandj’entends ce mot amour ? Pourquoi suis-je prête à pleurerquand je pense à l’amour ?

– Ô ma bonne Sophie ! joyeuse etinsouciante amie de mon enfance, si tu savais de quel lourd métalse font les couronnes de noce, si tu pouvais comprendre que laboîte de Pandore, moins l’espérance, est la véritable corbeille demariage, tu aurais pitié de moi. Combien de luxe, et combien peu detendresse de cœur ! J’entends le pas de mon mari ; jecours à lui pleine de joie et d’ardeur, et lui m’accueille comme unprécepteur accueille un enfant ; il reçoit mes caresses, maisil ne les cherche pas, mais il n’y répond pas. Je le vois seulementà l’heure des repas ; mais alors il est bien plus préoccupé dechercher des truffes que tous les regards du monde ; ilapporte seulement dans la maison la fatigue de son service etl’ennui de ses recherches, et, quand mon amour demande un peu deréciprocité, il me fait un compliment. Ai-je besoin de parures, dechevaux, d’un équipage, il ne me refuse rien, il ouvre sa bourse,il la vide, il jette l’argent à poignées. Quelque part que jeveuille aller, il me dit : « Va, » sans me demanderpourquoi je ne lui dis pas de venir avec moi. Mais, hélas !son sourire et ses caresses seraient mon plus cher cadeau, et, pourattendre un baiser de lui, je resterais toute une semaine à lamaison.

Tu diras, ma chère, que c’est une injustice dema part. Non, mon ange, c’est de l’impatience ; et,probablement, cette impatience passera-t-elle avec le temps. J’aivoulu seulement te dire en passant qu’il est triste, bien triste,d’avoir des désirs matériels qui sont accomplis aussitôtqu’exprimés, tandis qu’un désir, mais qui vient du cœur celui-là,reste sans réponse et sans espérance. Mon cœur se glace ens’appuyant sur cette froide étoile d’or. Où est donc l’amour, latendresse ? où est même la simple amitié qui le réchaufferad’une heure de sympathie ?

Il est minuit ; tout est sombre et calmeautour de moi, et ce n’est que la mer qui menace et caresse lespierres de Monplaisir, où nous demeurons. Ce n’est que dans lelointain que passent, comme de vagues pensées, les feux des yachts.L’ennui m’endort. À demain, ma bonne Sophie.

Peterhoff, 1er juillet 1829.

La même à la même.

Je parie une larme contre une de tespaillettes, une larme, dix larmes, vingt larmes, – et, pour moi, cen’est point du tout une bagatelle, comme tu sais, chère cousine, –que tu ne devineras jamais où j’ai été aujourd’hui ? Tu dirasque j’ai été à la promenade, que j’ai monté à cheval, que j’ai faitun déjeuner dansant. Bah ! tout cela est par tropvulgaire ! Tu diras que j’ai été à la parade des troupes. Non.Au feu d’artifice. Non plus. Je me suis promenée, et sais-tuoù ? et croiras-tu en quoi ?

Ce n’était ni dans un radeau sur un lac, nidans un bateau sur une rivière. Imagine-toi que je me suis toutsimplement promenée en pleine mer, dans une frégate de quarante-sixcanons. Oh ! je suis persuadée que ton imagination moscovite,qui n’a jamais vu une tempête, excepté du boulevard deTchiste-Prodé, frémit à la seule pensée de l’immensité et deshorreurs de la mer. Ce sont de vraies bagatelles, ma chère. La modea fait des héroïnes, même de nous autres femmes timides, et, quandtu auras mis une seule fois le pied sur un tillac, tu serasfamiliarisée avec la crainte, et tu te trouveras, sur l’Océan,aussi bien que dans ton salon à visites.

Vraiment, la mer est une charmante créature.Elle m’a tellement plu dès la première visite que je lui ai faite,que me voilà toute prête à faire un voyage autour du monde.

Imagine-toi… – Mais non, attends ; – jene veux rien oublier, et je commencerai par le commencement.

M’y voilà.

J’espère que tu as entendu raconter combiennotre empereur aime la flotte. Il l’a ressuscitée ; il lui adonné la force russe, et il lui a procuré de vrais lauriers àNavarin. C’était la volonté de Sa Majesté de régaler la cour et lesambassadeurs d’une promenade en pleine mer. Et, en effet, quelrégal, donné par un petit-fils de Pierre le Grand, pouvait êtreplus czarien et plus magnifique que celui-là ?

Les bateaux étaient prêts ; la matinéeétait délicieuse.

La cour commençait à prendre place, et je tejure que ce n’est pas sans un gros serrement de cœur que j’aiquitté la terre ferme, et c’est toute frissonnante que je suisdescendue dans un bateau ; mais, quand les rames commencèrentà battre la mer, quand la longue file des chaloupes, dont chacuneétait pareille à une corbeille de fleurs flottante, commença defendre les vagues, et que, devant toutes les chaloupes, vola, commeun aigle, un bateau de vingt rames, portant la gloire etl’espérance de la Russie ; quand les bords semblèrent s’enfuirde nous, et que le lointain Cronstadt, avec son épaisse forêt demâts, vint à notre rencontre, alors que l’immense mer se développaderrière lui bleue et brillante, ma crainte se changea en unejouissance calme et tout à fait nouvelle, et je me trouvai aussibien dans ma barque que dans un berceau.

Mais voilà que nous avons dépassé Cronstadt,et que nous approchons de l’escadre, prête à mettre à la voile.Tous les matelots disposaient les agrès des bâtiments avec unetelle harmonie, qu’on n’eût dit une flotte peinte sur un immensepanorama, si des hourras mille fois répétés n’avaient prouvé quecette flotte était bien vivante.

À peine l’empereur, avec la famille impériale,eût-il mis le pied sur le vaisseau amiral, que toute la flotte leval’ancre, et que chacun de nos bateaux accosta au hasard le bâtimentle plus proche de lui. Le tableau était splendide : lesvoiles, en tombant, formaient une muraille flottante avec destours. Nous discutâmes longtemps sur le choix du bâtiment quidevait nous porter ; l’une désirait tout simplement unvaisseau de cent canons, aussi gros que notre président du bureaucivil ; l’autre, qui était plus modeste, se contentait d’unvaisseau de soixante et dix, pourvu toutefois que le vaisseauportât le pavillon du contre-amiral ; une troisième voulaitabsolument prendre place dans un yacht paré et doré comme pour unbal. Quant à moi, pourquoi ? je n’en sais rien, mais une seulefrégate me plaisait, harmonieuse dans tout son ensemble et idéalede légèreté, de beauté et de force. Elle élançait jusqu’au ciel sesmâts si fins et si hardis ; sa longue banderole brillait dansl’air si légère et si gracieuse ; elle-même, elle s’ébranlaitsi majestueusement ; ses canons nous regardaient par leursfenêtres avec tant d’étonnement et de curiosité, que j’avais unardent désir de mettre le pied sur ce monstre charmant !

Je ne saurais te dire si je fus plusséduisante ou plus opiniâtre que toutes mes compagnes de bateau,mais enfin je remportai la victoire. Un officier de l’équipage dela garde impériale qui, du pied gauche, dirigeait le gouvernail denotre république à douze rames, rendit honneur à mon goût et tournasous la poupe de cette charmante frégate. À la ceinture de sagalerie sculptée était écrit en lettres d’or le mot ESPÉRANCE. Cemot seul me l’eût fait préférer. Un escalier extérieur étaittapissé par des voiles. Nous montons. Imagine-toi… Mais non, tu nepeux pas t’imaginer ce que je vis là. Je ne sais par où commencer,et, surtout, par où finir. C’était un nouveau monde, c’était unmagnifique poème. Le plancher était blanc et ciré comme unetable ; les agrès, tant ils étaient coquets, semblaient despapillotes posées sur la tête d’une femme ; les haubansavaient l’air de dentelles fantastiques ; les cuivresétincelaient comme de l’or ; le bronze des canons était noircomme l’aile d’un corbeau ; et puis cette foule tout autour…et puis cette immensité devant les yeux, tout cela étaitenivrant.

Au signal donné par des trompettes d’argent,il sembla que notre géant tendait largement ses bras pour saisir levent. Sa poitrine ondulait, et notre colosse, accélérant d’instanten instant sa marche, finit par s’élancer devant lui en dévorantl’espace. La tête me tournait, prise d’un séduisant vertige, et,quand mes yeux furent redevenus clairs, ils se rencontrèrent avecles yeux du capitaine de vaisseau, dont je n’avais pu voir laphysionomie au moment où il était venu à notre rencontre. Lanature, comme dit Shakespeare, aurait pu le montrerorgueilleusement du doigt et dire : « Voilà unhomme ! »

Grand de taille, bien fait, noble detournure ; quelque chose de ravissant dans un visageirrégulier mais expressif, le distinguait de tous les autres. Sesyeux – quels yeux, chère Sophie ! – humides et bleus comme lamer qui dominait, ses yeux brillaient sous son front, dont les plissemblaient l’ondulation de la vague, qui caresse et dévorel’imprudent qui se confie à elle. Il n’y avait point dans sesmouvements cette agilité de nos jeunes gens à la mode. On pouvaitmême remarquer en lui quelque chose de sombre, de sauvage, quipeut-être ne venait pas de sa timidité, mais qui, en tout cas, luiallait à merveille. Il nous adressa la parole en rougissant ;il baissait les yeux sous nos regards, et, d’abord, sa voix tremblacomme la corde de cuivre d’un sistre ; et voilà que notresauvage s’enhardit, et, ayant levé enfin ses yeux pleins deflammes, il commença de nous expliquer toutes les manœuvres, ladestination de chaque chose, d’une façon si charmante, si poétique,si pittoresque, que nous autres femmes en avions oublié nosbavardages ordinaires, et que ce ne fut que de temps en temps quenous plaçâmes, dans les intervalles de sa narration, quelquesdemandes, dont la plus frivole de nous écoutait la réponse avec unimmense intérêt.

J’étais tombée du ciel, ma chérie. D’après ceque j’avais entendu dire de nos officiers de marine, je les avaisregardés, jusqu’à présent, comme un peu plus habiles – voilà tout –que les morses qui jouent de la guitare, et que l’on montre auxfoires dans un grand baquet ; et voilà que, tout à coup, jerencontrai sur le plancher d’un tillac un homme bien élevé, quoiqueson chapeau n’eût pas de plumes, un homme enfin qui pouvait êtrel’ornement du plus élégant salon de toute ville capitale.

Tout en causant avec nous, il n’oubliaitcependant pas son devoir. Un seul mot de sa part, un seul regard deses yeux, poussaient cette masse énorme que l’on appelle unvaisseau, c’est-à-dire cette œuvre du génie humain, bâtie de boiset de fer, et qui a des ailes de toile.

Nous descendîmes.

Que d’élégance, chère Sophie, dans le luxe descabines ! quel goût parfait dans les décorations ! Lescanons armaient les deux côtés du vaisseau ; les bouletsétaient amassés près d’eux, en pyramides de grosses perlesnoires ; les lances, les haches et toutes les armes mortellesdu vaisseau étaient pendues comme des ornements ; au milieu dece vaste pont – je m’amuse, ma chère, à te tourmenter avec mesénigmes maritimes – ouvrait sa bouche une énorme écoutille,c’est-à-dire l’ouverture par laquelle les yeux peuvent apercevoirles tonneaux et la patte d’une ancre gigantesque, emblème del’espérance qui reste toujours au fond de chaque chose.

Quant à mon mari, il était charmé. Il avaitvisité la cuisine de fer fondu, avec tous les ustensiles qui fontles délices d’un gastronome. On lui avait apporté un morceau deviande qui était destiné au commun des matelots, et il avait reditcette phrase de Grimod de la Reynière : « À cette sauce,on mangerait son grand-père. »

Enfin, le capitaine nous mena au fin fond del’enfer, et notre cœur se serra de terreur, et nous nous écriâmestoutes pleines d’angoisse, lorsqu’il nous dit, en nous éclairantavec une bougie, que nous étions maintenant juste au-dessus de lasainte-barbe, au centre du vaisseau. Il me semblait que toutes lesgargousses, avant qu’il nous eût bien avoué qu’elles étaientenfermées dans des caisses, prenaient feu et éclataient autour denous, et qu’au lieu d’air nous respirions des flammes. Je n’ai pasbesoin de te dire avec quelle prestesse et quelle légèreté jem’élançai hors du cratère de ce volcan endormi.

– Ah ! je vois bien, mesdames, nous ditle capitaine, que vous avez peur de sauter !

Je regardai le capitaine.

Un regard de tels yeux, et je ne sais pas uncœur qui ne saute au ciel.

Jusque-là, les manœuvres étaient les mêmes. Laflotte voguait vers la pleine mer. Les rivages semblaients’enfoncer.

Sur l’ordre de l’amiral, transmis par lessignaux, les bateaux se rangeaient sur deux lignes, viraient debord, ou coupaient une ligne par l’autre, comme les figures d’unjeu d’échecs de Titans, et nous passions si près des autresvaisseaux, que nous pouvions échanger des compliments avec lespersonnes de notre connaissance. Enfin, l’empereur fit déployer sondrapeau, et, à peine l’aigle à deux têtes eut-il ouvert ses ailessur le champ d’or, qu’en un instant un salut général tonna de tousles vaisseaux.

C’était une véritable image de l’enfer, maisd’un délicieux enfer, mon cher ange. D’abord des vagues de fuméeroulèrent dans les airs ; mais bientôt toute la mer ne futplus qu’un immense cratère de volcan. À peine le vent avait-ildissipé un nuage, que d’autres nuages, plus gros, plus épais etplus noirs lui succédaient. Je ne parle pas du tonnerre. Le bruitdu tonnerre n’est rien en comparaison du vacarme épouvantable quisemblait bouleverser le ciel et la terre. Je crus que j’endemeurerais sourde pour toute ma vie, et que je ne serais pascapable d’entendre la trompette du jugement dernier. De la poupe,nous contemplions avec étonnement et les vagues du canon et lesvagues de la mer. Le capitaine de la frégate restait près de nouset me regardait d’un air mélancolique.

Nous nous taisions.

Et, d’ailleurs, pouvait-on parler, au milieudu bavardage de ces mille commères de fer fondu ? Maisqu’avais-je besoin de parler ? J’étais aussi heureuse que siun songe aux ailes d’or m’eût transportée à travers l’espace.

Tout à coup, à trois pas de moi, retentit uncoup de canon isolé, et, aussitôt après, ce cri se fitentendre :

– Un homme à la mer !

Puis d’autres cris :

– Il disparaît !… il s’enfonce !… ilest perdu !

Je me sentis tout près de m’évanouir.

Un canonnier, en enfonçant la charge, étaittombé à la mer.

En un instant, le malheureux, était déjàderrière la poupe. Ayant perdu la tête, il roulait avec les vagues.On n’avait pas eu le temps d’envoyer une chaloupe à son aide, tantl’accident avait été rapide et inattendu. Et le cordage qu’on luiavait jeté du bâtiment, écarté par le mouvement du sillage, nageaitloin de lui. Il s’était enfoncé, avait reparu ; mais uninstant encore, et il allait disparaître pour toujours.

En ce moment, tout habillé, avec son uniforme,le capitaine sauta par dessus le bord dans la mer.

Ce fut un long cri d’enthousiasme ;chacun courut à l’arrière, se haussant pour voir par dessus lebastingage ; les canons qui hurlaient s’interrompirent. On eûtdit que l’émotion générale les avait atteints.

Pendant ce temps, le capitaine avait reparusur la surface des flots, avait nagé vers le marin, l’avait saisipar le bras, et, de la main qui restait libre, nageait vers levaisseau.

Mais le vaisseau s’éloignait.

En effet, quelle volonté humaine peutinstantanément arrêter une pareille masse une fois lancée ?L’effroi nous atteignit toutes lorsque nous vîmes que le sauveurperdait ses forces sous le poids énorme qu’il était obligé desoulever au-dessus de l’eau. Il commença de tourner sur lui-même,s’enfonça, reparut, s’enfonça de nouveau, resta longtemps,oh ! bien longtemps sous les vagues. Enfin, une épaulette d’orétincela au milieu de l’écume, mais ce ne fut que pour uninstant.

Je n’étais plus en état de rien voir, et,quand ce cri déchirant : « Il est perdu ! »retentit autour de moi, je m’évanouis tout à fait…

Oh ! comme il est bon de revenir à la viequand l’âme sommeille encore et que le corps seul peut apprécier ceretour, quand aucune pensée triste n’a encore eu le temps depénétrer dans l’esprit !

Tout cela m’arriva.

Mais, tout à coup, la réminiscence du périlque courait le brave capitaine serra mon cœur comme un ganteletd’acier. J’ouvris les yeux avec un grand cri, et… devine qui étaitderrière moi, me secouant au visage l’eau dont il était trempé…

Je vois que tu as deviné, chère cousine.

Eh bien, oui, c’était lui !

Je ferme ma lettre comme je fermai alors mesyeux, pour avoir un instant de plus à jouir d’un si doux rêve.J’étais si heureuse !

Oh ! pour que Dieu me permetted’abandonner cette vie mondaine, pour que Dieu me permette dem’imbiber comme une abeille de la rosée de ce doux souvenir, jeveux m’oublier, je veux oublier, et j’oublie tout le reste.

Peterhoff, le 2 juillet 1829.

II – Remède contre la folie.

Deux semaines après cette revue de la flotterusse, dans le salon commun de la frégate l’Espérance, àonze heures du soir, soupait le docteur Stettinsky.

Tous les autres officiers étaient déjà rentrésdans leurs cabines, de sorte que le digne docteur soupait seul.Mais le fils d’Esculape, par une habitude digne de louanges, étaitresté pour le vin de Porto. En appréciant le vin et en le buvant,en le buvant et en l’appréciant, il en était venu à se demander sic’était sa tête qui tournait sur ses épaules, ou si c’étaient lesobjets qui tournaient autour de sa tête. Ayant beaucoup plus detendance à adopter la dernière opinion, le docteur, à ce qu’ilparaissait, attendait, la main étendue, le moment favorable desaisir au passage une de ces bouteilles qui dansaient la polonaisesur la table. Il avait déjà essayé deux fois de s’emparer de labelle danseuse, éclairée par la bougie, qui brillait à peine aumilieu des bouteilles, comme la raison parmi les passions ;mais son regard, mal combiné avec le mouvement de sa main, avaitfait que deux fois la rebelle lui avait échappé, et que cette maincontinuait de s’égarer dans l’espace. Il lui semblait que le goulotde la capricieuse amphore lui glissait entre les doigts comme unécolier qui joue au colin-maillard. Par malheur, le roulisaugmentait à chaque instant, et, comme dans la lutte de deuxforces, la force attractive et la force répulsive, c’étaitévidemment la force répulsive qui devait finir par être vaincue, ilétait probable que, au moment où le docteur ne trouverait plus derésistance, son corps suivrait sous la table la diagonale tracéepar son nez.

Ce malheur eût été à déplorer avec une tableordinaire ; mais la table de la cabine était vissée auplancher du bâtiment, de sorte que le docteur, sentant l’équilibrequi lui manquait, saisit la table entre ses mains avec la mêmeénergie qu’un homme qui se noie, dans une inondation, saisit uneplanche, qu’il regarde, selon l’expression française, comme saplanche de salut.

En ce moment, entra dans le salon commun lelieutenant de quart. Son camarade, restant sur le pont à sa place,lui avait donné congé pour souper.

En enlevant son manteau, tout trempé par lapluie, il aperçut Stettinsky cramponné à la table, et se mit àrire.

– Eh ! eh ! Flogiston-Khininovitch[1] ! il me semble que tu n’es pas danston assiette ordinaire. Prends garde, cher ami ! à force deverser du vin dans ton estomac, tu vas mouiller jusqu’à tatrousse !

– N’ayez pas de crainte, répondit le médecinen lâchant la table et en se servant de ses bras comme un danseurde corde fait d’un balancier, je conserve mes instruments dansl’esprit-de-vin.

– Bon moyen, dit le lieutenant en avalant unverre de vodka, – excellent moyen ! et je vous demande encore,cher docteur, de l’employer maintenant sans votre ordonnance.

– Cent fois heureux ceux qui se traitent etmeurent selon les ordonnances médicales ! répliqua le docteurd’une langue avinée. Compteriez-vous pour rien, par hasard, lesordonnances, Nil-Paulovitch ?

– Au contraire, dit le jeune homme, je lesregarde comme de la plus grande utilité pour allumer les pipes.

Et Nil-Paulovitch se jeta sur le bifteck avecune voracité qui indiquait que, si le mauvais temps altère, il aaussi le privilège d’affamer.

Ce qui ne l’empêcha pas le moins du monde desoutenir vigoureusement contre le docteur la thèse qu’il avaitentreprise. Le vin de Porto servant de voie de communication, lesmots sortaient et les bouchées entraient, sans s’accrocher les unsdes autres.

– Brûler les ordonnances ! s’écria ledocteur, sana insania, – brûler les lettres de changed’Esculape, pour améliorer la santé !

– Dites plutôt des contre-marques d’entrée aucimetière. Et cependant il m’est arrivé plus d’une fois d’êtremalade, plus d’une fois il m’est arrivé que mon docteur m’a écritdes ordonnances plus longues que son nez ; – et notez quec’était un joli nez que le nez de mon docteur : quand ilallait dans une maison, le nez y entrait la veille, et lui lelendemain ! – avec beaucoup de religion, je les appliquaiscontre mon pouls, tenant pendant cinq minutes en l’air mon doigtindicateur.

– Après quoi ? demanda le docteur, étonnéde ce nouveau moyen de pharmacie sympathique.

– Après quoi, je les jetais aussi loin de moique je pouvais, répondit le jeune homme. Mon estomac n’en allaitpas pis, et ma bourse s’en trouvait mieux.

– Cependant, Nil-Paulovitch, j’espère que vousavez foi dans l’homéopathie, et que vous regardez Hahnemann commeun grand homme. Approchez, je vous prie, cette bouteille, etlaissez faire la nature.

– Mais, à ce qu’il me semble, tu n’est pashoméopathe, Stettinsky ; tu n’es pas si fou d’attendre que lanature te présente une bouteille, et, au lieu d’un cent millionièmede goutte, tu prends d’un seul coup tout son contenu.Sapristi ! d’après le système de Hahnemann, docteur, vousprenez en une soirée assez de vin pour enivrer tous les poissons dugolfe de Finlande pendant cinquante ans. Mais le diable est si fin,qu’il s’arrange toujours de manière à nous faire tomber dans lepiège les yeux fermés. Aussi, je vous adresse une prière, dignepetit-fils d’Esculape : au lieu d’attraper les mouches et demanquer les bouteilles comme vous faites, veuillez fouiller dansl’arche de la science et y chercher quelque moyen efficace contrela folie.

– Avez-vous l’intention de suivre unecure ? demanda le docteur, tandis que son visage se ridaitpour exécuter ce qui, en temps de carême, eût pu passer pour unsourire.

– Eh ! eh !Flogiston-Hippocratovitch, en vérité, l’on pourrait croire quec’est à jeun que tu as trouvé cette question ; mais, pourtant,je te redemande de nouveau la même chose : tu es en ce momentdans un état d’exaltation et dans une température élevée ; tues, sans comparaison, comme un grain de poudre qui, ens’enflammant, remplit huit cents fois la place qu’il tenaitauparavant.

– Sic est, et ce n’est pas sansraison que les francs-maçons nomment le vin rouge poudrerouge ; – la cartouche dans le canon, et je suischargé.

Et le docteur avala un grand verre de vin.

– Ainsi, continua-t-il en reposant son verreavec bruit et en se renversant magistralement dans son fauteuil,vous désirez que je vous donne un remède contre la folie ?

– Je ne cache pas que vous me rendrez service,docteur.

– Les anciens, et, entre autres, le père de lamédecine…

– C’est-à-dire le meurtrier du genre humain,dit à demi-voix le lieutenant.

– Hippocrate pensait que l’emploi fréquent del’ellébore pouvait guérir et même adoucir l’excitation exagérée dusystème cérébral. Pourquoi pas ? Comme si nous ne savions pas,comme si nous n’avions pas essayé nous-mêmes, comme si nousn’avions pas vu par nos yeux que trois prises de tabac de caporalpeuvent désenivrer un homme ; car le nez, dans ce cas-là,devient une soupape de sûreté ; et comme la folie elle-mêmen’est qu’une vapeur condensée ou des phlegmosités connues sous lenom général de serum, qui, se séparant du sang malade,remplissent la membrane cellulaire du cerveau…

Pendant ce temps, le docteur se mirait dansles dessins carabinés du gobelet avec lequel il arrosait les fleursde son éloquence.

– Hum ! continua-t-il, la membranecérébrale, ai-je dit, et agissent d’abord contre la tunique, puiscontre le pericranium, et, à la fin, contre la blancheessence du cerveau ; et voilà pourquoi Avicenne et Averrhoès,et même Paracelse, conseillent la diète et la saignée ; il estvrai que les autres, comme par exemple Boerhaave, traitent par lescantharides, les vésicatoires et les sinapismes ; les autresenfin, pour concentrer l’esprit qui se dilate dans tout le corps etqui ne demande qu’un conducteur pour s’échapper, coupent lescheveux, versent de l’eau froide sur le sommet de la tête, etrafraîchissent le cerveau par un capuchon de glace.

– Que le diable casse tous les agrès de lafrégate l’Espérance sur la tête de l’inventeur d’unepareille torture ! C’est peu de brûler, de rôtir, de scarifierla peau d’un vivant, il faut, par manière de réaction, le frappercomme une bouteille de vin de Champagne. Toute votre médecine,docteur, est l’art de troquer du mauvais latin contre du bonargent, jusqu’à ce que, comme dit Figaro, ou la nature emporte lamaladie, ou le remède emporte le malade.

– Je vous demande pardon, Nil-Paulovitch, lemot médecine – à votre santé ! – provient du mot latin…attendez donc… quel mot latin ? Ah ! que le diableemporte la médecine ! Si bien que la folie, comme j’avaisl’honneur de vous le dire, est de plusieurs genres : 1° levertige ; 2° l’hypocondrie ; 3° la manie ; 4° enfin,la frénésie.

– Et la magnésie, docteur, vousl’oubliez ?

– Comment, la magnésie ? Oh ! labonne naïveté ! Mais la magnésie n’est pas une maladie :c’est une chose aigre et acidulé, tandis qu’au contraire lafrénésie…

– Tenez, charmant docteur, il y a une chosedont vous parlez souvent, que vous guérissez rarement et que vousne comprendrez jamais.

– La vérité est au fond du verre,Nil-Paulovitch, dit le docteur.

– Voilà pourquoi la vérité se paye avec lalie, répliqua le lieutenant.

– Mais, insista le docteur, revenons à notresujet.

– C’est-à-dire à votre sujet, docteur.

– Hum !… Vous ignorez probablement queplusieurs médecins comptent pour folies le mal de tête, lacéphalalgie et même le spleen.

– Dieu merci, je n’en sais rien, et ne veuxpas même le savoir.

– C’est, en vérité, une chose très curieuse.Imaginez-vous qu’un jour, – par ma foi, il n’y a pas longtemps decela, – un célèbre médecin russe, en anatomisant le cadavre d’unmatelot, avait trouvé, ou plutôt n’avait pas trouvé en lui de rate,– d’où le spleen, – qui a donné son nom à la maladie. On aconclu de là que la rate était une superfluité, et que, sans rate,on pouvait vivre admirablement. Il est des gens qui affirment que,dans l’économie du corps, la rate, qui fait cependant défaut, estnécessaire à la séparation du fiel ; mais les meilleursanatomistes ont reconnu, jusqu’à présent, que la rate n’avaitd’autre mission que d’engendrer le spleen, et la regardant purementet simplement comme un ornement placé là pour la symétrie par lamain du Créateur.

Les leçons de médecine étaient si bien gravéesdans la mémoire du docteur, que, même en état d’ivresse, il pouvaitdire autant de bêtises sur ce grave sujet qu’en état de luciditéd’esprit. Mais le lieutenant, qui achevait son souper, arrêtal’orateur, pour ainsi dire, au milieu de son vol scientifique.

– Écoute, cher docteur, lui dit-il, je suishorriblement fatigué d’écouter ton galimatias, et je crois que, toiet tous les savants de ton espèce, vous traitez de superfluitéstoutes les choses dont vous ne connaissez pas la véritabledestination ; et, si vous n’aviez pas porté des lunettes etpris du tabac, vous eussiez regardé votre nez aussi comme unesuperfluité, et lui eussiez donné congé sans uniforme [2]. La question est de savoir, non pas sil’on peut vivre sans rate, mais si ce n’est pas voler l’empereurque d’entrer à son service sans esprit. Donc, je me résume,Flogiston-Hippocratovitch : en énumérant les différentesespèces de folie, tu as omis la principale, – l’amour ! – Etveux-tu que je te dise quel est le malade empesté de cettemaladie ? Eh bien, c’est le capitaine Élie Pravdine.

– Le capitaine ! vous plaisantez,Nil-Paulovitch, dit le docteur en frottant ses yeux couverts dubrouillard de l’ivresse, et en saisissant sa chaise comme s’ilsentait que, plein des vapeurs du vin, il pouvait s’envoler commeun aérostat.

– Je ne plaisante pas le moins du monde,répondit le lieutenant. Je te répète que ce fou, fou d’amour, fou àlier, est Élie-Petrovitch Pravdine.

– Pravdine !… c’est lui qui est maladed’amour, avec votre permission ?

– Mais non, sans ma permission, au contraire.Que Satan emporte cette princesse avec ses yeux noirs ! Ilfaut qu’elle ait ensorcelé Élie-Petrovitch. Je dois cependantavouer qu’elle est belle et gracieuse comme le yacht del’empereur ; qu’elle est agile comme une yole, et, à ce quel’on dit, sage comme un diable !

– Ouais !

– Te souviens-tu de la princesse,Flogiston ? de cette femme haute de taille, en robe de satinnoir, à laquelle la seule demoiselle d’honneur Hevitch peutdisputer le prix de la beauté ? Voyons, docteur, tonavis : laquelle est la plus jolie des deux ?

– J’aime mieux le vin de Madère, répondit ledocteur.

– Ah ! tu aimes mieux le vin deMadère ?

– Oui. Il ne se défend pas, lui : onl’aime, il se laisse boire. Pas de cour à faire, et rien nem’ennuie comme de faire la cour.

– Tu as raison, frère ; mais il me sembleque, sous ce rapport-là, il est temps pour toi de gagner ton bassind’hivernage ; je ne parle pas du vin, docteur, je parle desfemmes.

– Des femmes ? Hum ! ce n’est pas dutout la même chose. Tu as raison, Nil : une jeune femme peutvieillir un jeune homme, tandis que, au contraire, un vin vieuxpeut rajeunir un vieillard. – Où est le poison, la nature a vouluque l’on trouvât le contre-poison : là où est la maladie, onpeut trouver le remède.

– Je jure par le grand mât que les deux mauxou les deux biens, ensemble, peuvent conduire l’esprit de qui quece soit à un dominateur, et, si l’on doit choisir le moindre malentre l’ivresse et l’amour, j’eusse conseillé au capitaine deplutôt caresser le cou d’une bouteille que le cou d’unefemme ; et, quant à moi, j’aimerais mieux qu’il regardât lesfigures des cartes que ces terribles yeux noirs qui me font sigrand peur. Si je bois, j’en suis quitte pour un mal de tête ;si je perds aux cartes, je risque seulement d’attraper un coupd’air par ma poche. Mais les femmes, les femmes, non seulementc’est la tête qu’elles font tourner, non seulement ce sont lespoches qu’elles vident, mais encore c’est le cœur qu’elles brûlentet qu’elles dessèchent.

– Le cœur, le cœur ! Ces jeunes gensparlent toujours du cœur à tort et à travers : voyons,savez-vous ce que c’est que le cœur ? C’est une cornue, unecucurbite d’alambic, dans laquelle s’opère le mécanisme de lacirculation et de la coloration du sang à l’aide de l’oxygène quel’on aspire. Avez-vous lu Harvey ? connaissez-vous le traitédu docteur Creissig, des Maladies du cœur ?

– Je crois, docteur, si complet que soit letraité des Maladies du cœur de votre confrère allemand,qu’il est aussi difficile d’y trouver un remède à la maladie denotre capitaine, que le moindre mot pour rire dans l’alphabet.Voyons, docteur, parlons raison ; est-ce que, par un moyenpharmaceutique quelconque : emplâtre, purgatif, magnétisme, tune pourrais pas clouer, pendant deux mois seulement, le capitaine àsa frégate ? La séparation et la diète sont les deux mortelsennemis de l’amour. Peut-être qu’il s’occuperait du service ;peut-être que nos discussions, parfois un peu folles, luirendraient sa gaieté primitive. Mais, maintenant, il nes’appartient plus. Il y avait un temps où l’on ne pouvait pasl’arracher du pont, où il ne pouvait pas dormir à terre, où l’airdes villes l’étouffait. Maintenant, il ne peut vivre que loin deson bord ; il n’aime plus qu’à rouler sur deux roues, et nesait plus que polir les boulevards avec les talons de ses bottes.En vérité, je crois qu’il a pêché cette folle passion comme uneperle au fond de la mer, le jour où il s’est jeté à l’eau poursauver ce canonnier qui se noyait. Il ne fallait pas s’inquiéter delui : il nage comme un chien de Terre-Neuve ; mais il estdevenu fou en voyant qu’une princesse aux yeux noirs s’étaitévanouie en le croyant mort.

– Aïe ! aïe ! aïe ! aïe !…Maintenant, je me souviens de tout cela ; j’ai vu le capitaineà genoux devant elle ; il était trempé comme un caniche, et ils’agitait comme la mouche du coche. L’amie de la princesse avait,de son côté, perdu la tête, et, au lieu d’aider, elle criaitseulement : « De l’eau !… Appelle du sel, et apportele médecin ! »

– Ah ! voilà un joli conte, par exemple.Il me semble que tu étais là, et qu’on n’avait pas besoin det’apporter ; ce jour-là, par hasard, tu marchais toutseul.

– Vous riez toujours, Nil-Paulovitch ;mais c’est si vrai, mon cher, qu’au moment où j’arrivai l’amie dela princesse ordonnait au capitaine de la délacer.

– Voilà la chose ! s’écria le lieutenantavec terreur ; de la délacer ! On aurait demandé àÉlie-Petrovitch où passe et où s’amarre la dernière cargue dechaque vaisseau chrétien ou barbaresque, et il aurait débité saréponse aussi couramment que Pater Noster, de la quillejusqu’au mât de perroquet ; mais il n’aurait pu dire de lamême façon où chercher la bouline des dames. Voilà comment legoéland a été pris au piége ; il est difficile de faire sansaccident le tour du monde ; mais une jolie femme est bienautrement dangereuse que le cap Horn ! Depuis ce temps, envérité, notre capitaine expose la frégate et l’équipage, comme sile diable en personne était assis à son gouvernail. On lui ditqu’il faut réparer le cabestan, et il répond guirlande ; on leprie de changer d’ancre, et il change de gilet ; quand ilregarde à travers son binocle, il lui semble qu’une galiotehollandaise passe, en robe jaune ; quand un grain s’abat surle bâtiment et que les agrès craquent, il se met à rire. Nousrions, et il soupire ; nous buvons, et il regarde dans sonverre, comme s’il cherchait sa bonne aventure dans du marc decafé.

– C’est une manie, alors, Nil-Paulovitch, unevraie manie. Aussi sûr que l’hippopotame, de peur de l’apoplexie,se saigne lui-même avec un roseau, et que le chien se purge avec duchiendent, je vous répète que c’est une manie.

– Appelle la chose comme tu voudras,Flogistn ; mais, ni notre capitaine, ni nous-mêmes ne nous entrouverons mieux ; et pourtant, à quoi peut conduire une sifolle passion ? Elle ne saurait l’aimer, puisqu’elle estmariée ; et, si un jour elle l’aime, alors c’est bien pisencore ! Si elle ne l’aime pas, il en mourra étique. Mais si,ce dont Dieu nous préserve ! elle l’aime, il se perdra ;c’est un homme qui ne sait rien faire ni rien sentir àmoitié : – je puis dire cela, moi qui le connais depuis lecordon de marine jusqu’aux épaulettes de lieutenant-capitaine, moiqui l’ai suivi depuis l’école jusqu’à Navarin… Oh ! jedonnerais tout au monde, s’écria le lieutenant en avalant en mêmetemps un verre de vin, comme si dans le vin il eût voulu noyer sonangoisse, je donnerais mon prix de concours, quitte à reprendre duservice sous ses ordres comme simple matelot, pour voir mon bon amiÉlie dans son état primitif ! C’était l’âme de notre société,c’était le cerveau au moment du combat. Il est bon comme un ange etbrave comme un démon. Je pressens qu’il fera Dieu sait quellesottise ; il quittera le service et oubliera la mer, et alorsque restera-t-il à notre pauvre frégate ? qui le remplaceracomme officier ? quel est celui qui inspirera aux marins lemême amour et la même confiance ? Mieux vaut que le tonnerrecasse le grand mât, que le gouvernail sorte de ses gonds, que lafrégate soit désemparée, que de perdre notre capitaine. Avec lui,tout est facile ; sans lui, le cabestan ne tirera même pasl’ancre, et le meilleur matelot ne saura plus carguer une voile.Grâce à lui, nous damions le pion même aux Anglais, comme nousavons fait l’an dernier dans la Méditerranée. Per Bacco esignor diavolo ! Je suis prêt à boire de l’eau pure et àmanger du pain sec pendant six mois pour guérir mon pauvreÉlie.

Stettinsky parlait de son côté médecine,n’écoutant pas le lieutenant. Le vin faisait ressortir les passionsde l’un et de l’autre, comme il fait voir dans un verre de cristalou les défauts ou les ornements.

– Il faut commencer la cure par lesémollients, disait le docteur : crème de tartre, madère,sangsues ; puis on peut encore essayer de l’ordonnance ducélèbre docteur romain Anachorète, qui coupait les pieds pourguérir des cors et les mains pour les délivrer des verrues ;il faut couper, couper, morbleu ! et faire des frictions surle cœur avec de l’esprit-de-vin.

Le fils d’Esculape, dès le commencement de sondiscours, avait été frappé de paralysie par le dieu du sommeil,sort qui eût menacé ses auditeurs s’il en eût eu. Sa tête étaittombée sur sa poitrine, ses mains s’étaient abaissées et tombaientinertes de chaque côté de sa chaise, et il commença à prouver d’unefaçon matérielle et bruyante que, selon l’opinion de notre célèbreétymologiste, le verbe dormir vient du verberonfler.

Mais, avant que le lieutenant eût fini sondiscours et que le docteur eût commencé à ronfler, la porte de lacabine s’ouvrit et un enseigne de quart entra tout pâle et touteffaré.

– Nil-Paulovitch, s’écria-t-il, nousdérivons.

– Tout le monde sur le pont ! cria lelieutenant d’une telle voix, qu’elle eût pu éveiller les morts.

Et, à ces mots, il s’élança au dehors sanscasquette et sans manteau.

III – Les deux tempêtes.

Nil-Paulovitch, en arrivant sur le pont,trouva le lieutenant qui le remplaçait, faisait tous ses effortspour maintenir la frégate dans sa direction. Il jeta un coup d’œilexpérimenté sur le rivage et sur le ciel ; il était clairqu’il n’y avait à plaisanter ni avec la tempête, ni avec lasituation. Les vagues, rudes et fréquentes, venaient, les unesaprès les autres, se briser violemment contre la proue de lafrégate, et la frégate, heurtée par elles, frissonnait comme unmalade atteint de la fièvre. La force du vent était telle, qu’il nepermettait pas aux flots de s’élever, mais les chassait les uns surles autres, les enfonçait dans la mer, les déchirait et enéparpillait les lambeaux. Le ciel était noir, et, quand les éclairsfaisaient momentanément disparaître les ténèbres, on voyait lesnuages s’abaissant sans cesse en masse compacte, comme si, souscette masse, ils voulaient écraser la mer. Chaque apparitiond’éclair ouvrait, dans le ciel, un cratère de feu. Il semblait quedes serpents de flamme couraient sur le sommet écumeux des vagues.Puis les ténèbres devenaient encore plus profondes, et l’ouragansoufflait plus furieux dans les mâts dépouillés de leurs voiles,tordant les cordages et sifflant à travers les poulies.

– Marche aux bras de vergue, à labalancine ! cours vite, et tire ferme les vergues le long duvaisseau ! cria Nil.

Puis, se retournant vers l’avant :

– L’ancre a-t-elle pris ?demanda-t-il.

– L’ancre a pris, répondirent lesmatelots.

– Dieu merci !… Master, est-ce que lachaîne de la seconde ancre est prête ? Il faudrait affourcherpeut-être. Doublez les bosses à l’ancre de la fourche, apprêtez lesroues du câble, envoyez la hache au bossoir de droite, et, si jevous dis : « Hachez ! » à l’instant coupez labosse de bout.

Puis, à l’enseigne :

– Monsieur, lui dit-il, vous répondrez sur vosépaulettes si on lâche le serre-bosse avant le temps. N’oubliez pasle sort de la frégate Falk… Tirez, tirez les galhaubans auplus près ! Courage, enfants ! vite ! vite !ou, sans cela, nous allons avant demain à tous les diables ! –Et vous, là-haut, qui êtes sur les hunes, est-ce que tout est bienchez vous ? Ah ! ah ! les petits huniers craquent etse brisent à leur aise. Nous en ferons des cure-dents. – Monsieurle quartier-maître, examinez les parquets à boulets, afin que lesboulets n’en sortent pas ; ce n’est pas le moment de jouer auxquilles. – Les mantelets des sabords sont-ils bien fermés ? –Pilote, combien de pieds nous donne la sonde ?

– Cent vingt, capitaine.

– Allons, tout va bien ; il y a encoreloin de la quille à l’hivernage des écrevisses.

Ainsi criait Nil-Paulovitch, en accompagnantchacun de ses ordres de cette série de jurons queNicolas-Ivanovitch a comparés à la mousse qui sort d’une bouteillede vin de Champagne.

Il semblait qu’au milieu de la tempête lejeune officier était dans son véritable élément ; il examinaittout, était partout ; et les matelots, rassurés par sonsang-froid, travaillaient à la lumière des lanternes, prompts,hardis et muets. Lorsque éclatait un coup de tonnerre, lorsquel’éclair fendait les ténèbres, sa lueur illuminait rapidement leursgroupes pittoresques, qu’on eût pu croire des créations de SalvatorRosa, si ce n’eût été le bruit mesuré de leurs pas et les éclatsdes porte-voix se mêlant aux clameurs de la tempête et auxcraquements terribles de la frégate.

– Merci, enfants ! dit Nil-Paulovitch ense frottant les mains. Le capitaine donnera double ration de vodka…Les précautions sont prises, et nous sommes prêts à affronter laplus violente tempête, qu’elle vienne d’où elle voudra. – Bien m’ena pris de ne pas vous écouter, continua-t-il en s’adressant aulieutenant qui était de quart sous lui et avec lui, et d’abaisserau plus vite les mâts de perroquet ; sans cela, ils eussentété brisés comme des espars. Je l’avais bien dit hier au soir, quenous aurions une tempête : le soleil, en se couchant, étaitrouge comme les joues d’un brasseur anglais, et les nuages, sombreset floconneux, montaient sournoisement à l’horizon ; mais,franchement, je ne l’aurais pas crue de cette taille ; il fautque tous les vents du ciel et tous les diables de l’enfer soientdéchaînés à la fois. Nous devions nous attendre à chasser sur nosancres, et à être jetés sur les rivages de la Finlande pour ychercher des canneberges.

– Une chaloupe qui s’approche ! crièrentles matelots du gaillard d’avant.

– Dites mieux, fit Nil-Paulovitch : unechaloupe qui s’enfonce ! Qui diable peut chercher un pareildanger ? Hélez-moi ces gaillards-là.

– Holà ! qui rame là-bas ? crièrentcinq ou six voix.

– Un matelot ! répondit une seule.

– De quel bâtiment ? Est-ce qu’il y a unofficier ? demanda Nil-Paulovitch.

Le bruit de la tempête empêcha d’entendre laréponse.

– Il me semble, lieutenant, avoir entendu lenom Espérance ! dit un matelot du gaillardd’avant.

– Vous êtes des ânes ! criaNil-Paulovitch en sautant sur les haubans et en montant rapidementcinq ou six échelons pour mieux voir la chaloupe ; est-ce quevous ne distinguez pas deux lanternes sur le taille-mer ?C’est le capitaine, mon Dieu ! Apprêtez les cordages, etenvoyez à bâbord les matelots d’honneur avec les lanternes.

Un fulgurant éclair avait dissipé les ténèbreset montrait la chaloupe chassée par la tempête avec son mât cassé,avec ses voiles déchirées. Une vague énorme la portait sur lafrégate en menaçant de l’y briser, et, tout à coup, la vagues’était écroulée avec un bruit énorme et les ténèbres avaient toutdévoré.

– Jette des cordages ! criaNil-Paulovitch. Manqué, manqué, encore une fois manqué !encore, encore !

Un nouvel éclair fendit le ciel, et, à salueur, on vit les braves rameurs s’accrocher avec les grappins auxflancs de la frégate.

– Attrape ! attrape ! cria-t-on detous côtés.

Et plusieurs cordes tombèrentsubitement ; mais le vent les emportait et elles tombaientloin du but où elles étaient envoyées.

– Mon Dieu ! s’écria Nil-Paulovitch enlevant les mains au ciel, mon Dieu, ils sont perdus !

Non, ils n’étaient pas perdus ; non, ilsn’étaient pas emportés vers la pleine mer. Un croc avait saisiaussi adroitement que vigoureusement le palan du gouvernail, et,par l’échelle de tempête, nos rameurs montaient sur ladunette ; la chaloupe vide se brisa à l’instant, et, un quartd’heure après, il ne restait que les débris de son étrave.

– Tu vis encore, tu es sauvé, mon ami, monfrère ! cria le bon Nil-Paulovitch en étouffant le capitaineentre ses bras.

Mais, tout à coup, il se rappela l’inférioritéde son grade et son devoir d’obéissance. Il fit deux pas en arrièreet commença son rapport sur l’état du bâtiment et sur les manœuvresqu’il avait exécutées.

Il y avait un côté étrange et curieux danscette scène. En regardant en ce moment, vous eussiez dit cettegrande vérité : « Voici à la fois un excellent homme etun brave marin. » Et vous eussiez ajouté que cet homme était àla fois incapable de trahir un noble sentiment et de manquer à sonservice.

– Je te remercie de tout mon cœur, mon cherNil ; je vous remercie tous, messieurs, dit le capitaine auxofficiers. Je pourrais dormir tranquillement si vous pouviezconduire le vent et la mer comme vous conduisez votre quart ;j’ai vu la tempête et j’ai voulu partager le danger avec vous. Jepuis donner des nouvelles du temps, attendu que j’arrive de là oùvos regards n’ont pas pu atteindre ; la rafale va venir dansun instant ; la seconde ancre est-elle prête ?

– Oui, capitaine, répondit Nil.

– Tant mieux ! Hé ! là-haut !cria le capitaine avec son porte-voix, descendez deshunes !

Puis aux matelots prêts à lamanœuvre :

– Laissez tomber l’ancre, cria-t-il.

Quoique les clameurs des flots et lesifflement du vent fussent terribles, on entendit le bruit d’uneancre pesante qui tombait à la mer, et le déroulement du câble.

– La rafale approche, capitaine !crièrent les matelots du gaillard d’avant.

Vous est-il arrivé de voir un jour le passaged’une violente rafale courant à la surface de l’Océan ? Avantcette rafale règne un silence de mort ; la mer gronde, lesflots se pressent en s’abattant les uns sur les autres, lapoussière enlevée à la cime des vagues roule comme une écume ;et voilà que, dans le lointain, sous les épaisses ténèbresdéchirées par les éclairs, roule une montagne d’eau pareille à uneblanche muraille. Il n’y a pas de mots, pas de sons pour rendre lebruit de l’ouragan qui rencontre un obstacle ; il semble quetous les démons de l’enfer rient alors du rire de Satan, leurdieu.

Eh bien, c’était une semblable rafale quifondait, furieuse et grondante, sur la frégate l’Espéranceet qui enveloppait son gaillard d’avant dans un typhon, de sorteque la vague roula de la proue au tillac. La pesanteur de la massed’eau, la violence du coup, la rage du vent étaient si formidables,que la bosse de la première ancre se cassa avant que la chaîne dela seconde ancre se fût tendue. La frégate tremblait comme unefeuille ; et, tout à coup, avec une rapidité incroyable, ellepassa sous le vent.

La seconde ancre n’avait pas eu le temps demordre, et la première était insuffisante à retenir le bâtimentdans sa course. La frégate chassait.

Il y a peu de marins qui n’aient vu, pendantle cours de leur service sur mer, se tordre les chaînes de leursancres. C’est à la fois bizarre et terrible. Imaginez-vous descâbles gros comme la cuisse, qui, avec un bruit effroyable,s’échappent du faux pont et du tillac, leur place ordinaire ;qui s’enroulent comme des serpents en immenses anneaux, grondent àl’égal des flots, jetant en l’air tout ce qu’ils rencontrent surleur chemin, les coffres, les hamacs, les boulets et les hommes, etenfin, se serrant en nœuds autour de la grosse poutre de la bitte,l’enflamment par le frottement ; c’est un typhon qui broietout, et devant lequel tout fuit avec un lugubre gémissement.

C’est inutilement qu’on jette dans l’écubierles hamacs et les barres du cabestan pour serrer et retenir lecâble qui fuit : le gigantesque serpent continue de glisser etde disparaître. Par bonheur, les deux câbles de la frégate étaientparfaitement assujettis au grand mât. Les coups de vague faisaientfrémir tout le corps du bâtiment.

Tout à coup, il s’arrêta ; les ancresavaient mordu au moment où le capitaine, ne comptant plus surelles, s’attendait à être jeté sur les bords inhospitaliers, surles bancs de sable et les récifs de la Finlande.

On fit une revue rapide des hommes et deschoses. Les marins étaient tous à leur poste et les avariesn’étaient pas grandes. L’orage augmentait, la pluie tombait àtorrents, et, dans le lointain du terrible tableau, grandissait unetrombe. Elle s’avançait, formidable, au milieu des ténèbresblanchies, semblable à l’esprit des tempêtes décrit par Camoens.Son sommet touchait aux nuages et ses flancs étaient illuminés pard’incessants éclairs. La mer étincelait et fumait autour de lafrégate, comme une immense chaudière en ébullition.

D’autres trombes s’élevaient comme la premièreet s’écroulaient avec un bruit énorme, semant de flammesphosphoriques les vagues sur lesquelles elles s’abattaient. Lesmatelots regardaient avec terreur le spectacle qui lesentourait.

– N’ordonnerez-vous pas, capitaine, demandeNil-Paulovitch, de régaler ces trombes de quelques boulets decanon ?

– Faites approcher seulement deux batteries,une à bâbord et l’autre à tribord, et ne tirez qu’au moment où latrombe curieuse viendra nous regarder de trop près. Je ne veux pasfaire révolution à Cronstadt. On croirait que nous sommes pris depeur et que la frégate est en perdition.

Le danger passa, mais point la tempête ;le vent souffla plus calme, mais toujours avec violence, et lafrégate, fouettée çà et là dans toute la longueur de ses câbles,plongeait dans la mer tantôt sa poupe tantôt son gaillard d’avant.On envoya coucher la moitié des matelots, tandis que l’autre moitiérestait sur le pont. Nil-Paulovitch, le porte-voix en main,marchait sur le gaillard d’arrière en regardant tour à tour la meret le capitaine. Mais le capitaine, appuyé à la roue du gouvernail,était immobile et silencieux comme une statue. La lumière de lalampe de l’habitacle tombait précisément sur son visage pâle maisexpressif ; son regard suivait les masses de nuages et leséclairs qui les déchiraient. Il ne paraissait sentir ni le vent nila pluie. Il n’entendait point la voix de son ami ; son âmeétait loin.

Enfin, Nil-Paulovitch alla à lui et le pritpar la main.

– À quoi penses-tu, Élie ? luidemanda-t-il avec un accent fraternel.

Pravdine sembla sortir d’un songe.

– C’est facile à demander, Nil ; mais ilest difficile de répondre. Une trombe de pensées, pareille à cellequi nous donnait la chasse tout à l’heure, tourbillonne dans moncerveau. J’ai un abîme dans le cœur. Si j’étais forcé de te diretoutes mes pensées, j’aurais les cheveux blancs avant de finir.Pourtant, comme il n’y a pas d’effet sans cause, quand même je neserais pas en état de te raconter mes pensées, je ne t’en cacheraipas la cause. Cette cause, la voici : on nous a séparés del’escadre qui est en rade de Cronstadt ; notre frégate a reçul’ordre d’entrer dans la Méditerranée et de porter des ordres auxamiraux alliés et au président de la Grèce.

– Et sans doute que nous emporterons avec nousun certain nombre de boulets pour régaler les Turcs. Dût la grandevergue me tomber sur la tête, je veux absolument avoir affaire à undes bâtiments du pacha.

– Mais, moi, mon cher Nil, je rougis devantmoi. Mon âme se partage en deux parts : l’une désire rester àPétersbourg, l’autre aspire aux voyages, à la tempête aux combats.C’est aujourd’hui, à l’instant, le plus tôt possible, que je veuxsortir de ma position ; j’attends avec impatience le moment oùje pourrai lever l’ancre et aller à terre.

– Il est bien facile de commander aux drissesde la grande vergue ; mais déployer nos voiles dans une nuitsi sombre, par une telle tempête…

– Par une telle tempête ? répéta lecapitaine. Qu’est-ce qu’une tempête, près de celle qui est dans moncœur ?

Nil-Paulovitch regarda longtemps sonami ; enfin, il lui serra la main, ne prononçant que ces deuxmots :

– Pauvre Élie !

Pauvre Pravdine ! répéterons-nousaussi.

La tempête calmée, le capitaine, rassuré surle sort de son bâtiment, partit aussitôt pour Peterhoff, d’où, lelendemain, il écrivit la lettre suivante :

Le capitaine-lieutenant Élie Pravdine aulieutenant Nil-Paulovitch.

Qu’aurais-tu dit, qu’aurais-tu pensé, mon bonami, si tu m’avais vu hier à la soirée de la princesse ?Moi ! moi à qui, aussi bien qu’à toi, jusqu’à présent, tousles habits étaient faits par le voilier, j’ai mis un uniforme faitpar le meilleur, c’est-à-dire par le plus cher tailleur deSaint-Pétersbourg, et, malgré tout son talent, ce grand artiste m’aencore laissé à désirer. Tantôt il me semblait que les boutonsn’étaient pas également espacés ; tantôt se montraient par-cipar-là des plis coupables de ne pas faire valoir toute l’élégancede ma taille. Enfin, je n’eusse jamais été à cette soirée si lamontre inexorable n’en avait sonné l’heure. Mes cheveux étaientluisants de pommade, mon linge était parfumé ; j’ai essayévingt cravates et dix paires de gants, sans trouver une cravate quiallât à mon visage, sans trouver une paire de gants qui allât à mesmains. Je me tournai et me retournai devant mon miroir, et finispar m’y trouver ; ayant essayé dix fois mon salut, autant defois mon entrée, autant de fois mon ordre de bataille, pournaviguer avec bon vent, et, après avoir coupé la ligne des chaisesennemies, mettre en panne et commencer mon feu ; enfin, lemanteau sur les épaules et la voiture lancée, je suis parti.

Mon cœur battait à rompre ma poitrine, quandle pont de Kamenostrov trembla sous ma voiture. Et me voilà à lamaison de campagne du prince, splendidement éclairée et à traversles vitres de laquelle je voyais, au delà d’une haie de fleurs, lesombres d’une quantité de convives !

Tout à coup, ma bravoure m’abandonna.

Cependant, en comprimant mon cœur avec mamain, je traversai l’antichambre aussi adroitement que si jedoublais l’entrée du port de Sveaborg. Mon nom, sorti de la bouched’un valet de pied, retentit comme un coup de canon. La respirationme manqua, un brouillard voila mes yeux, et je fus tout près defaire le signal d’un navire en perdition. Mais j’avais traversé laligne, il était trop tard pour retourner en arrière. J’entre, jefais mon salut ; – je devais avoir l’air d’un bouletrouge ! – je me tourne à droite, plus maladroitement qu’unvaisseau perdu. En un mot, je me sens aussi parfaitement à mon aisequ’une baleine échouée sur le sable. Alors ma confusion augmente.Les lorgnons des hommes me brûlaient comme le miroird’Archimède ; les regards des femmes m’incendiaient comme desfusées à la Congreve ; les tapis, eux-mêmes, dansaient sousmes pieds ; et les maudites glaces répétaient vingt fois magaucherie et ma confusion. Ah ! si la princesse avait su cequ’il en coûtait à mon amour-propre de passer par une telleexposition, elle m’eût plaint, et peut-être récompensé. Lasituation, qui, pour le premier fat venu, eût été un sujet detriomphe, était devenue pour moi une véritable angoisse.

J’étais parti dans l’espoir de faire ma cour àla princesse, et je frémissais à cette idée toute simple quej’allais lui paraître profondément ridicule. La honte mesuffoquait. Par bonheur, la scène fut courte. Le gros maître de lamaison vint à ma rencontre, et la maîtresse elle-même, ayant quittéle divan sur lequel elle était assise, me fit tant de gracieusetés,que mon âme avait repris son équilibre. Je levai orgueilleusementla tête, et je toisai tous les invités d’un regard superbe. Que mefaisaient maintenant ces ennuyeux bavards quand, devant eux,j’étais l’objet des prévenances de la maîtresse du salon, dont lesattentions m’étaient si chères ? Les convives avaient comprismon triomphe et les murmures railleurs avaient cessé. Chacun mesouriait, comme s’il avait reçu l’ordre de me sourire. Pourquoidonc l’opinion publique va-t-elle toujours à celui qui laméprise ? On me fit asseoir au cercle, entre un monsieur del’ambassade, qui regardait tout le monde du haut de sa cravate, etun officier qui m’était tout à fait inconnu, mais que jereconnaîtrai partout où je le rencontrerai, non pas à son visage,non pas à sa physionomie, non pas à sa voix, mais à l’odeurd’essence de rose qu’il répandait autour de lui. Le premier lançaitforce bulles de savon, le second jurait par les houris de Mahometni plus ni moins qu’un renégat. Les autres invités étaient toutsimplement une multiplication de zéros. Après les inévitablesquestions à l’aide desquelles on entame une conversation qui meurtaussitôt, je m’enfonçai dans mon fauteuil et donnai toute liberté àmes yeux et à mes pensées. Quoique tu n’aies pas un diplôme deprophète, tu devineras, cher ami, vers quel astre tournait maboussole. C’était elle le vrai pôle, véritable pôle arctique,entouré d’un cercle de glaces, sans lumière et sans vie, et ce sontces atomes poussés par le vent de la mode et non par la brise deleur intelligence et de leur libre arbitre, que l’on nomme lesornements de la société.

Mais revenons à elle, encore à elle, à elletoujours.

Je buvais avec avidité le doux poison de sesregards ; j’étais si heureux ! Elle riait, et, moi, demon côté, je répondais aussi en riant. Où prenais-je les mots sanspensées qui jaillissaient de mes lèvres ? L’amour, dit-on,rend les hommes insensés et leur donne de l’esprit. À peine eus-jeentamé la conversation avec elle, que la timidité m’abandonna.Mais, chose étrange ! si une autre femme qu’elle m’adressaitla parole, je rougissais, je pâlissais, je m’agitais sur ma chaisecomme si cette chaise était rembourrée d’aiguilles, et il mesemblait que mon chapeau horriblement tourmenté par moi, criaitentre mes mains. Tu sais que je parle la langue française ni mieuxni plus mal qu’un perroquet ; tu sais aussi que, soitentêtement, soit fierté, je n’aime pas à changer ma languenationale contre une autre langue ; il en résulta qu’ayantappris de moi que je ne parlais que russe, tous les beaux messieursqui m’entouraient furent obligés de me parler russe, tout enregrettant que je n’eusse pas pris un interprète, ce qui leur eûtpermis de me parler français. À ma grande joie et à mon grandétonnement, la personne qui parlait le mieux le russe était laprincesse. Honneur soit rendu à la ville de Moscou ! Si tusavais comme j’étais heureux !

Maintenant, que tu en sois satisfait ou non,je vais te transcrire un petit morceau de notre dialogue, quoiqueje sache parfaitement que les gâteaux et les conversations ontbesoin d’être servis chauds et arrosés de vin de Champagne.

Une discussion s’était engagée.

La princesse ne voulait pas croire à laconstance des marins ; elle nous nommait des hirondelles demer, cherchant deux printemps dans la même année, des désireux dedécouvertes, qui ne font des découvertes que pour y laisser unécriteau conçu en ces termes : ICI A PASSÉ UN TEL.

– Mais est-ce que le mot êtresignifie vivre ? est-ce que le mot voir signifiesentir ? est-ce que le changement éternel des lieux laisseplace à une passion ou à un souvenir ? Mais vous-même,continua-t-elle, vous qui, depuis votre enfance, sillonnez toutesles mers, vous devez avouer qu’après avoir respiré l’air parfumédes forêts du Brésil, après avoir visité les îles splendides del’océan Pacifique, après avoir exploré les rivages de l’Australie,après avoir vu les glaces flottantes du pôle du sud, et les volcansqui chauffent le ciel de leur haleine, vous devez avouer que votrepatrie vous a paru une terre de marais, de steppes et debrouillards.

– Elle m’a paru beaucoup plus magnifiquequ’avant de la quitter, princesse. Vous me croyez donc dessentiments plus volages qu’une femme qui, après avoir dépouillé saparure, l’oublie aussitôt, et, si elle retombe sous ses yeux, laméprise. Les sentiments ne sont pas une mode, madame, et les plusbeaux pays, les plus délicieux climats ne remplacent pas la patrie.Ces brouillards ont été mes langes, ces pluies, mon laitnourricier ; ces âpres sapins ont été les joujoux de monenfance. Je suis devenu homme en respirant l’air où flottaient lesatomes de mes aïeux, et je les ai respirés dans les plantes :mon cœur et mes os sont pétris avec la terre russe. Oh !croyez-moi, madame, la patrie, ce n’est pas seulement l’habitudeprise de demeurer à la même place. Ce n’est pas un mot vague, cen’est point une pensée frivole. La patrie, c’est la vivante portionde nous-mêmes ; nous sommes son inaliénable propriété, nouslui appartenons moralement et matériellement ! Commentvoulez-vous donc que nous ne soyons pas tristes, que nous ne soyonspas affligés en quittant notre patrie ? Non, princesse, non,dans le cœur vraiment russe, existe une volonté de fer qui, commel’aiguille aimantée, tourne obstinément au nord.

– Et cette volonté existe dans votre cœur,capitaine ? demanda la princesse.

– Je suis Russe, je suis un vrai Slave, commedit Pouchkine.

– Tant pis ! répondit la princesse ;moi, je déteste les cœurs de fer ; on ne peut faire aucuneimpression sur eux.

– Pourquoi pas, princesse ? Chauffez lemétal et il fondra, et la main des siècles n’effacera plus jamaisl’empreinte que vous y aurez laissée.

– Mais, pour y imprimer quelque chose, il fautuser du marteau, et le marteau va mal à la main d’une femme.

– La patience fait plus que la force,princesse.

– Mais croyez-vous, capitaine, qu’on fassemanœuvrer la patience comme vous faites manœuvrer votrefrégate ? Et, à propos de votre frégate, comment seporte-t-elle ?

– Mal, princesse, mal ; du moment où vousl’avez quittée, les tempêtes l’ont assaillie.

– J’espère pourtant, continua l’aimable femmeen jouant sur le nom de ma frégate, j’espère quel’Espérance n’est pas perdue ?

– Peu m’importe, répondis-je ; je suis siloin d’elle ou plutôt, ajoutai-je avec un soupir, elle est si loinde moi !

– Mais, comme un fidèle chevalier, vous porteztoujours sa devise, et, sur votre collet, je vois brillersymboliquement deux ancres.

– Oui, princesse ; mais regardez-les deprès, vous verrez que leurs câbles sont brisés.

En ce moment, l’officier, mon voisin, sepenchant derrière moi, du côté du diplomate, lui dit à demi-voix,en français :

– Mais, écoutez donc, je crois que notre liondésire faire de l’esprit.

– Oui-da, répondit le diplomate dans la mêmelangue.

– Eh bien, décidément, il n’est pas si bêtequ’il en a l’air, fit dédaigneusement l’officier en reprenant soncentre de gravité.

Une flamme me brûla les joues et me monta aucerveau. Un pareil oubli des convenances me blessa au cœur. Jejetai un regard terrible à ce drôle, et, me penchant vers lui, jelui dis à mon tour, à demi-voix et dans la même langue :

– Si bon vous semble, monsieur, nous feronsassaut d’esprit demain, à dix heures du matin. Libre à vous dechoisir la langue qu’il vous plaira. Je les parle toutes, languesde fer ou langues de plomb. Vous me saurez gré, je l’espère, dem’entendre dire dans les cinq langues européennes que jeparle : « Monsieur, vous êtes un lâche ! »

Tu ne saurais te faire une idée, mon cher, dutrouble de mon voisin. Il devint beaucoup plus rouge que les reversde son uniforme, et il contemplait tous les assistants, comme s’ilcherchait parmi eux un soutien et un défenseur.

Mais chacun se détourna, faisant semblant den’avoir rien entendu.

– Très volontiers, répondit-il cependant, enjouant avec la chaîne de sa montre. Seulement, je vous préviens quej’abats les hirondelles au vol.

– Je ne saurais en dire autant,monsieur ; cependant, il m’est arrivé parfois de tuer uncorbeau perché sur un arbre.

La position de mon adversaire étaitmauvaise ; mais la mienne était exécrable. Je tremblais decolère. Je me mordais les lèvres jusqu’au sang. Je pâlissais commeun fer chauffé à blanc. Des mots sans suite se pressaient sur meslèvres comme les lambeaux d’une voile déchirée par la tempête. Laprésence de ces hommes, aux yeux desquels j’étais insulté sans êtrevengé m’étouffait. Enfin, je repris assez d’assurance pour reportermes regards sur la princesse. Je dis assez d’assurance, car jetremblais de rencontrer dans ses yeux de la pitié pour monadversaire, et cette pitié m’eût été beaucoup plus amère que laplus amère raillerie ; mais, au contraire, j’y rencontrai uneexpression de bonté, d’inquiétude, presque d’amour. Son regard serépandit sur mon âme ; il reflétait, comme une glace, et lacolère qu’elle ressentait contre mon officier et la crainte qu’elleéprouvait pour ma vie ; il reprochait et priait tout à lafois. Je fus calme. La société, en continuant ses conversations,semblait ne pas remarquer notre aparté. La parole passait de mainen main. Je sentis que j’étais de trop. Je me levai, saluai etsortis sans regarder ce qui se passait derrière moi.

Ma fierté blessée doublait monamour-propre.

– Nous espérons vous voir plus souvent, me ditle maître de la maison en courant après moi.

Une fois dehors, je me retournai.

Oh ! mon ami, mon ami ! je suis peuau courant du livre des signaux des femmes ; mais, pour leregard que la princesse m’a jeté, je suis prêt à supporter milleoffenses et à braver mille morts.

Le lendemain, cette injure, ce défi, ce duel,tout avait disparu ; je rêvai toute la nuit de laprincesse.

Son regard d’adieu me troublait au delà detoute expression.

Peterhoff, juillet 1829.

Le même au même, un jour après.

Jette au feu l’Histoire desnaufrages, mon bien cher Nil ; mon naufrage de terre estbien autrement curieux que tous les naufrages de mer !

Je m’imagine avec quel étonnement tu tefrottes les yeux en lisant ma dernière lettre : « Élieest amoureux ! Élie est élégant ! Élie fait le beau dansun salon ! Élie se bat demain ! »

Tu crois, n’est-ce pas ? que cela estaussi impossible à un marin que la promenade sur roulettes de laflotte d’Igor, fils de Rurik, et pourtant tout cela est plushistorique que le plus historique des romans de Walter Scott. Tu esheureux, Nilouska, de ne pas savoir jusqu’où la passion peutpousser un cœur. J’ai honte devant mon prochain ; je megourmande moi-même, et, cependant, je passe d’une folie àl’autre ; mon pauvre esprit se perd dans le trouble ; ilest couché, il se tait et ne voit goutte, quoiqu’il regarde de tousses yeux.

Enfin, j’ai beau raisonner ou déraisonner, jen’ai pu échapper aux suites du passé ; l’affaire était faite.Le duel a dû avoir lieu ; tu me manquais seulement commetémoin.

C’était ce matin que nous devions nousrencontrer. À dix heures du matin, nous sommes arrivés au lieu durendez-vous ; nous nous sommes salués avec une exquisecourtoisie, et, tandis que nos témoins s’éloignaient de nous pourmesurer les pas, mon adversaire, en vertu de l’axiome russe que« le matin est plus difficile que le soir, » s’est approché demoi d’un air caressant, plus calme que l’eau et plus humble quel’herbe.

– Il me semble, capitaine, me dit-il avec sonplus aimable sourire, que nous n’avons aucun motif de nousquereller.

– Sans doute, répondis-je, nous n’avons pas demotif pour nous quereller ; mais nous avons un motif pour nousbattre, et un motif très suffisant ; vous m’avez triplementoffensé : comme Russe, comme homme et comme officier. Uneballe décidera notre affaire, et, dans un instant, tout serafini.

– Mais comment la balle pourra-t-elle décider,capitaine ? me répondit-il. Celui qui sera tué sera toujourscoupable ; et si c’est vous qui êtes tué ?

– Que voulez-vous que j’y fasse,monsieur ? Est-ce ma faute si les lois du monde ont décidé quele hasard devait régler le droit ? Si vous ajustez bien, jeserai tué ; on me portera en grande cérémonie aucimetière ; et vous, le soir, au théâtre, vous irez raconteraux curieux les détails de notre affaire.

– Vous en parlez bien à votre aise,capitaine ; mais notre empereur ne peut pas souffrir lesduels, et, si l’un de nous tue l’autre, on donnera au vainqueur unecellule un peu plus grande que celle où sera couché son adversaire.Songez-y, capitaine.

– C’était à vous d’y songer, monsieur,lorsqu’il vous a pris la mauvaise idée de m’offenser ;maintenant, il est trop tard. Pourquoi diable vous amusez-vous àrailler les autres ?

– Mais je ne supposais pas que vouscomprissiez le français ; vous veniez de dire que vous ne leparliez pas.

– Vous ne savez donc pas le russe, monsieur,que vous preniez les mots je ne parle pas, pour les motsje ne comprends pas ?

– Oh ! quant à la langue russe, monsieur,je ne nie pas que vous ne la sachiez infiniment mieux quemoi ; je ne briserai jamais une lance pour madame lagrammaire ; mais, comme je vois, capitaine, que vous êtes undigne et honorable gentilhomme, je serais heureux que cette affairese terminât par un traité de paix.

– Merci, monsieur, pour votre amicaleproposition ; je n’ai pas l’habitude de traiter de la paix surle terrain de la guerre. Nous nous battrons, s’il vous plaît.

– Soit, si vous le voulez absolument, maiscomme des philosophes, comme des hommes au-dessus des préjugés.Arrangeons-nous de manière que les loups soient repus sans que lesmoutons soient tués. Écoutez-moi, me dit-il à mi-voix, et en meconduisant à l’écart : j’ai eu tort, je le sais ; mais,vous, vous aussi avez eu tort ; vous pouvez penser que jeparlais de vous derrière votre dos, mais on ne parle pas autrementdes rois. Moi, de mon côté, je ferai comme si vous ne m’aviez riendit d’insultant ; finissons donc cette affaire comme on en afini tant d’autres : tirons l’un sur l’autre, mais à côté l’unde l’autre. Vous comprenez, qui le saura ? pas même lestémoins ; et, le feu essuyé de part et d’autre, eh bien, jevous ferai mes excuses, et l’affaire sera dans nos chapeaux et noschapeaux seront sur nos têtes. Tout le monde criera :« Voilà de vrais braves ! voilà de vraisgentilshommes ! le premier a su avouer sa faute, et le secondpardonner ! » Sans doute, je pourrais vous faire mesexcuses plus tôt, mais cela n’est pas convenable de s’excuserdevant le canon d’un pistolet ; dans ce cas-là, il y auraitdes gens qui ne manqueraient pas de dire que j’ai lâché pied, – et,avant tout, l’honneur ! – Ainsi, tout est arrangé, n’est-cepas, mon cher capitaine ?

Tu ne saurais t’imaginer quel profond méprisj’éprouvai pour cette impudente vanité recouvrant un si profondabaissement ; et chez qui ? chez un homme qui, sinon parcaractère, du moins par habitude, doit être brave, – ou qui doitparaître, pour son uniforme, sinon pour lui-même. « Je ne puispas croire, disait le marquis de Gramont, que Dieu aime lesimbéciles. » Je ne veux pas croire, moi, qu’une femme puisseaimer ou estimer un poltron. Je lui jetai un tel regard, qu’ilbaissa les yeux et rougit jusqu’aux oreilles, et, sans lui répondreun seul mot, je lui montrai les témoins.

Ils s’approchaient avec les pistolets toutchargés ; nous jetâmes nos manteaux et nous nous plaçâmes àtrente pas l’un de l’autre. Chacun de nous avait le droit de fairedouze pas en avant et de tirer.

Mon témoin était un officier de la garde,brave et charmant jeune homme. C’était un classique en matière deduel. Il avait, comme ami et comme ennemi, vu passer pas mal degens dans les cliniques et dans les Champs Élysées. Il me donna debons conseils, et je fis tout mon possible pour les suivre.

J’avais rapidement fait mes douze pas, n’ayantpas même armé mon pistolet. Je pris ma place, que mon adversairen’était encore qu’à mi-chemin : tous les avantages étaientdonc à moi. Je le visai très tranquillement, car lui devait tireren marchant. Il comprit la chose et se troubla. Sa physionomieindiquait que la bouche de mon pistolet lui paraissait beaucoupplus large que celle des canons du Kremlin, et lui semblait prête àl’avaler tout entier. Pourtant le tireur d’hirondelles voulut êtrele premier à faire feu ; il se pressa, appuya sur la détente,et la balle passa en sifflant à trois pieds de mon oreille.

Il fallait voir alors la physionomie de monhéros ; elle s’était tellement allongée, qu’elle semblaitdescendre jusqu’au cinquième bouton de son habit.

– Je vous prie de venir jusqu’à votre limite,monsieur, lui dis-je.

Mais il ne m’entendit pas et resta comme unestatue de marbre ; enfin, ses témoins le conduisirent à lalimite, et le préjugé est si puissant, même chez les faibles, qu’iltrouva une certaine force dans sa honte, et qu’un sourire effleurases lèvres au moment où, les larmes aux yeux, il eût voulu sefourrer dans un terrier de renard.

Le témoin, avec l’exactitude d’un diplomate,le plaça un peu de côté, en lui levant le bras de manière qu’il segarantît, autant que possible, la tête avec son pistolet ;mais, à mon avis, il était aussi bien garanti de mon feu derrièreson pistolet que l’on est garanti de la pluie sous une herse. C’estune triste consolation pour l’homme qui se voit visé à six pas. Jelevai deux fois mon pistolet et deux fois l’abaissai, en me donnantla cruelle satisfaction de sa terreur ; enfin, j’eus pitié delui, ou, pour mieux dire, j’en étais arrivé à un tel mépris pour sapersonne, que je jugeai que ce n’était pas pour de pareilsmisérables que Berthold Schwartz avait inventé la poudre, et Lepageconfectionné les pistolets. Je levai une troisième fois mon arme,mais, cette fois, vers le ciel, et lâchai le coup en l’air. Monadversaire fut prêt à bondir de joie et il eût saisi ma main si jene l’eusse mise dans ma poche.

– Messieurs, dit-il en s’adressant auxtémoins, maintenant, après avoir essuyé le feu (il eût dû direaprès avoir entendu le coup), je crois de mon devoir de faire mesexcuses à mon adversaire, et même de lui demander pardon,ajouta-t-il en voyant que mon témoin recommençait à charger uneseconde paire de pistolets ; en effet, j’étais coupable ;êtes-vous content ? Quant à moi, je dirai partout et à tout lemonde que M. Pravdine est un noble gentilhomme et un braveofficier.

– Je regrette de ne pouvoir en dire autant devous, monsieur, répondis-je à mon adversaire.

Puis, me tournant vers mes témoins :

– Messieurs, ajoutai-je, milleremerciements ; au revoir !

– Bravo ! me dit mon témoin en montantdans ma voiture.

Et nous partîmes pour la ville.

Saint-Pétersbourg.

Du même au même, deux jours après.

Chante le De Profundis pour monesprit, cher ami, et dis à ceux qui pourront prendre quelqueintérêt à l’état dans lequel je me trouve, que je suis tout à faitmort. Ma raison doit être jetée à la mer comme une bouteille vide.Mais quel cœur ne serait atteint de cette batterie électrique qu’onappelle la princesse Flora ? Jusqu’à présent, il me semblaitque mon amour pour elle était une folie ; maintenant, je sensqu’elle est le sort de ma vie, plus encore, ma vie elle-même.Auparavant, les liens amoureux se mêlaient, dans mon imagination,avec les agrès de mon bâtiment. Ma frégate voilait de temps entemps cette charmante image avec ses bonnettes, et l’orageuse merse partageait mon cœur avec l’amour. Mais, maintenant, tout s’estréuni et tout a disparu dans la princesse. Je ne peux rien faire,je ne peux rien imaginer qui n’aboutisse à elle. Toutes mespassions, tous mes désirs se réunissent dans quatre lettresmagiques : Elle ! C’est toute monexistence ; c’est toute mon histoire.

Mais que raconté-je, et à qui ? Est-cequ’un homme qui n’aime pas peut me comprendre, moi qui ne suis plusen état de me comprendre moi-même ? Est-ce que tu peux, avecton sextant de cuivre, avec tes calculs des plus petits atomes,saisir ce nouveau ciel que devine seulement mon cœur, et comprendrela rapidité de la voie de la comète qui glisse sur ce ciel ?Mais pourtant tu peux me plaindre. Plains ton ami, lui qui n’enviajamais rien, ni dans ce monde ni dans l’autre, ni la couronne dugénie sur la terre, ni les ailes des séraphins au ciel ; quin’envia rien, excepté l’amour de Flora.

Ah ! si tu pouvais lire dans mon cœur etsi tu étais poète, tu l’aurais comparé au paradis de Milton, quiétait assourdi par les combats des démons et des anges. Mon cœur…Non, je ne trouve pas de mots pour expliquer ce qui le trouble etle remplit. Est-ce qu’un voyageur dandy, en fermant sa bonbonnière,faite de lave du Vésuve, sait de quels éléments est composée cettelave ? Voilà ma lettre ; voilà mon cœur.

Non, ne traduisons pas le sublime en ridicule,et n’allumons pas notre cigare à des éclairs ; mais je doistoujours te parler d’elle, car ce n’est qu’à elle que je pense.

Je sais parfaitement que mes bavardages sontplus ennuyeux pour toi qu’un calme sous les tropiques, plusennuyeux même que le registre de comptes d’un officier, registredont toutes les pages répètent éternellement :« Eau-de-vie, harengs, saindoux, vinaigre du Rhin, etc. »Mais, si tu ne veux pas que ton ami étouffe, un jour, à la fumée deson propre cœur, tu dois, bon gré mal gré, lire ce que jet’écris.

Le même jour de mon ridicule duel, j’allaichez la princesse, oubliant toutes les convenances. Je voulais luiprouver deux choses : la première, que je n’étais pasmort ; la seconde, que je n’étais pas poltron ; car, sil’idée qu’une femme peut me supposer capable d’une lâcheté m’estinsupportable, l’idée que cette supposition peut venir à laprincesse est pire que la mort. La sonnette a retenti : laprincesse est au jardin ; la princesse se promène.

– Avec qui ? demandai-je vivement.

– Toute seule.

Je me précipite. Mon cœur pique midi. Je lavois venant de côté, et je saute, pour lui couper le chemin,par-dessus une plate-bande de fleurs. Je la rencontre, et je restedevant elle, sans parole, sans respiration. Il me sembla qu’ungouffre de flammes tourbillonnait devant mes yeux. Ma langue étaitparalysée ; un danger sans conséquence avait passé entre nous,et, comme si ce danger avait amené une longue séparation, nousavions une foule de choses à nous dire ; j’étais si joyeux etsi troublé tout à la fois, que j’avais oublié d’ôter macasquette ; mais, si j’étais troublé, moi, elle aussi étaittroublée ; elle rougissait et pâlissait en même temps ;elle me tendit ses deux petites mains ; elle était prête àcrier d’étonnement, à pleurer de joie ; oui, oui, de joie, cen’était pas un rêve d’amour-propre !

Cette scène muette fut pour moi ravissante.Cette physionomie, toute brûlante d’amour, m’enivrait, et, dans uninstant, tout disparut comme ces brouillards que nous autres marinsprenons si souvent pour des rivages.

La princesse reprit un peu de sang-froid. Saphysionomie redevint calme. – Mon Dieu ! mon Dieu ! iln’est donc pas une femme au monde qui ne soit uncaméléon !

– Que je suis contente de vous revoir, et devous revoir bien portant, capitaine ! Dites-moi comment s’estterminée votre querelle avec N… Où est-il ? que lui est-ilarrivé ?

– Je l’ai laissé sur la place, répondis-je enriant.

J’étais piqué de ce que je croyais chez laprincesse un sentiment d’inquiétude pour mon adversaire.

– Eh quoi ! vous l’avez tué ?s’écria la princesse.

– Ne vous tourmentez pas, princesse ; ilvivra encore un bon nombre d’années, si la prudence est un gage delongue vie. Il est infiniment mieux portant qu’avant notreduel.

– Vous êtes donc devenu méchant depuishier ? Pourquoi m’avez-vous effrayée ? Combien ne vousseriez-vous pas repenti, et combien n’eussiez-vous pas plaint sapauvre mère, si vous l’aviez tué ? Croiriez-vous que, n’étantcependant pas le moins du monde ni sa parente, ni son ami, je n’aipas dormi un instant ? Je m’imaginais toujours cette scènesanglante de votre duel, et les suites terribles qu’elle pouvaitavoir pour vous.

– Au prix de votre compassion, princesse, jesuis prêt à acheter le plus grand malheur du monde, et cela sansmurmurer ; non seulement votre compassion, mais même votreopinion, princesse. Je l’apprécie tant, que je me suis hâté devenir chez vous pour vous raconter notre affaire. Je connais peu lemonde ; cependant je suis convaincu qu’il traite fortimpitoyablement ceux qui ont le malheur d’entrer dans son cercleintime. Je veux donc écarter toute calomnie. Que les autres disentde moi tout ce qu’ils voudront, peu m’importe ; maisj’aimerais mieux mourir que de vous voir, vous, princesse, prendrede moi une fausse opinion.

Alors je lui racontai toute notre affaire.

J’avais fini depuis quelque temps déjà,qu’elle continuait à rester muette. Dans ses yeux, levés au ciel,brillaient deux larmes. Sa physionomie s’illuminait de douceur. Unbaume suave était descendu dans mon cœur, et semblait se répandredans toutes mes veines. J’étais prêt à pleurer moi-même, et Dieusait de quoi.

J’aurais voulu tomber à ses petits piedscharmants et mourir, tant j’étais certain de ne plus retrouver unpareil instant pendant tout le reste de ma vie.

Mais je n’osais pas même songer à y poser meslèvres. Il me suffisait de baiser en pensée la trace de ses pas etle bas de sa robe : j’étais à la fois heureux de sa présenceet malheureux de mes désirs. Enfin, cher ami, j’étais ce que, danstoutes les langues possibles, on appelle un niais ; mais, pourcet accès de folie, j’eusse donné, outre ma propre sagesse, toutela sagesse des siècles.

Quelqu’un s’approcha de nous ; laprincesse se leva, couvrit ses yeux de sa main, et, en rougissant,les releva.

– Vous ne risquerez plus jamais maintenantvotre vie, n’est-ce pas ? me dit-elle. J’exige cela devous ; vous m’en donnez votre parole d’honneur.

– Vous allez me forcer d’aimer la vie, madame,lui répondis-je ; vous…

Je ne pouvais ni n’osais dire un mot deplus.

– Imbécile ! dira un Lovelace, de perdreun moment si propice à une déclaration d’amour.

Soit, ce moment fut peut-être perdu pourl’amour ; mais, à coup sûr, il ne le fut pas pour le cœur.

Nos yeux se rencontrèrent. Oh ! ellem’aime ! elle m’aime !

Saint-Pétersbourg.

IV – Jalousie.

Dans le cercle des jeunes mauvais sujets etdes ci-devant jeunes gens de Saint-Pétersbourg, celui qui plutdavantage ou déplut le moins à Pravdine fut le capitaine decavalerie Granitzine, qui avait été son témoin dans le duel qu’ilvenait d’avoir. Comme représentant de l’aristocratie militairerusse, le capitaine valait la peine d’être étudié ; car lesangles se faisaient moralement et presque matériellement sentirdans son caractère. Pravdine trouva en lui plus et moins qu’iln’attendait. Riche, mais criblé de dettes, il fallait qu’unmerveilleux hasard le servît pour qu’en fouillant machinalementdans sa poche, il y trouvât un rouble. C’était un de ces hommesd’esprit qui font sans cesse des sottises ; c’était un libéral– il le disait du moins – et, sans aucun but, il passait sa viedans les antichambres. Il riait de tout, mais il n’osait rienheurter. Il méprisait le monde, et le monde le méprisait. Braveparmi les braves, il n’avait jamais la force de dire non, fût-ce auplus misérable intrigant. Noble, mais rougissant de sa noblesse, ilse laissait employer aux plus indignes missions. En un mot, c’étaitun de ces êtres sans volonté qui, dans le livre des bipèdes, sontdésignés sous les noms de bonhomme, de brave homme, de bongarçon : titres élastiques comme les corsets decaoutchouc !

Avec tout cela, c’était curieux, sinonagréable, de passer avec lui une soirée ou de rester, pendant unrepas, près de lui à table. Où n’avait-il pas été ? quellechose n’avait-il pas vue ? Quoique, par habitude, ilfréquentât des gens indignes, il était parfaitement capabled’apprécier l’esprit des autres, et même, parfois, il avait lu deslivres sérieux. Ce n’était pas inutilement qu’il avait gaspillé sajeunesse. De ces deux choses, il ne lui restait rien, ni dans lespoches, ni dans l’âme ; mais il lui restait quelque chose dansl’esprit : l’expérience.

À l’honneur de Granitzine, on pouvait ajouterqu’il était vraiment un des bavards les plus sincères qu’il y eûtau monde. Il ne pouvait cacher ni le mal qu’il pensait de ses amis,ni le bien qu’il pensait de ses ennemis. Quand il ne trouvait pluspersonne de qui médire, il médisait alors de lui-même, et auraitété jusqu’à se calomnier si la chose eût été possible. On pouvaitégalement dire que c’était un apôtre de la vérité et un pécheurrepenti. Il y en avait qui, à cause de son esprit frondeur,l’appelaient le Juvénal russe. Ce n’était ni un apôtre, ni unpécheur repenti, ni un satirique ; il ne voulait prêcheraucune doctrine, ni politique, ni religieuse ; il ne voulaitpas corriger les autres, et encore moins se corriger lui-même.

Il était persuadé que, là où l’on estimeseulement les apparences de la vertu, les défauts cachés n’ont pasbesoin de réforme. D’ailleurs, qu’est-ce que la calomnie ? Unmoyen galvanique de réveiller le rire dans les cœursengourdis ; et, en cela, il suivait naturellement et sansméchanceté la pente du temps qui est de détruire tout ce qu’il y ade gênant et de saint dans le passé, en mettant au rang despréjugés la croyance et la foi.

Notre siècle est le Diogène des siècles :il se moque de tout, roule son tonneau par les chemins, écrasantégalement dans sa course et les fleurs et les champignons.

– Ôte-toi de mon soleil ! ne me prendspas ce que tu ne saurais me donner ! dit-il fièrement auMacédonien.

Et puis il siffle l’immortalité de l’âme dePlaton.

Les hommes, aujourd’hui, méprisent leursfrères, non par le sentiment de leur propre dignité, mais, aucontraire, parce qu’ils ont perdu le respect d’eux-mêmes. Nous ensommes arrivés à la congélation morale ; nous n’admirons pasune belle action ; nous ne méprisons pas un grand vice.

Mais, Dieu merci ! je parle de la masse,et le fatal niveau de l’égoïsme, en passant sur la société,rencontre encore quelques têtes qui ne veulent pas se courber. Il ya encore des élus du ciel, des hommes qui, sauvegardés par quelqueaccident de naissance ou de position, ont recueilli et réchauffésur leur cœur les idées virginales de la conscience et del’humanité. De loin, cette vie, que nous essayons de peindre, leursemble un jardin défendu ; ils lisent sur la portel’inscription du poète toscan :

Per me si va nella cittadolente !

et ils s’écartent avec terreur du sentiermaudit.

Tel était Pravdine. Du corps des cadets, ilétait passé sur son bâtiment, et, comme auparavant, une muraille depierre semblait le séparer de la société, l’Océan sans borne étaitdevenu son monde ; il connaissait tous les caprices de lamer ; mais où, je vous le demande, eût-il pu apprendre àconnaître les hommes ? Le visage du ciel lui était dévoilé parsa plus légère rougeur, par son plus imperceptible nuage ; ildevinait et prédisait tous les caprices du temps ; mais levisage d’une femme, il n’avait point appris à y lire, et, rougeurou nuage le troublant au point de le rendre fou, un sombre mais sûrpressentiment lui disait : « Ne crois pas à la moitié dece que disent les femmes, ni de ce que montrent leshommes. »

Mais là était la question difficile : àquelle moitié fallait-il croire ? Entrant dans le monde avecune ferme volonté, avec un ferme désir d’être en garde contre tous,ce désir et cette volonté fondaient sous le premier regard ;il était prêt à donner son dernier kopek, à vendre son dernierbouton pour une poignée de main qui lui paraissait bien serrée etbien franche. Connaissant les passions pour les avoir étudiéesseulement dans les livres, il fut frappé d’amour comme on estfrappé de la foudre. L’Océan avait poli, caressé, conservé son cœurvirginal comme une perle précieuse. Depuis que sa boussole avaitchangé de direction, et que son étoile s’était métamorphosée enfemme, il ne pouvait plus supporter la solitude, qui, auparavant,lui était agréable. Il se jeta dans toutes les distractions qu’ilput trouver ; être avec elle ou n’être plus avec lui-même,voilà quelle fut la pensée de son cœur, et il se mit à courir lesboulevards, les promenades et les théâtres.

Un jour, dans une de ces courses, il rencontrasur son chemin le capitaine Granitzine.

– Ah ! mon cher, que faites-vousaujourd’hui ?

– Vous le voyez, rien au monde ; jeflâne.

– Dînons-nous ensemble ?

– Parfaitement.

Et tous deux s’acheminèrent vers unrestaurateur.

De parole en parole, de verre en verre, leslangues se délièrent et les cœurs commencèrent à mousser comme lechampagne. On était aux jours des victoires contre les Turcs. Onbut à la santé des vainqueurs de Varna et d’Akhalstsike ; onbut à la gloire de la Russie, à la longue vie de l’empereur, à laconservation de l’héritier. On avait quelques bouteilles à videravant que d’être au bout.

– Et maintenant, dit Granitzine, passons auxfemmes, aux belles de Saint-Pétersbourg. Je ne sais, ma foi, paspourquoi là où est la gloire, les femmes y sont aussi ;peut-être est-ce pour cela que la gloire est une femme. Quant àmoi, pro teterrima causa omnis belli, j’aime à la folie letoast anglais. I like the women to forgive my folly, commedit Byron. Amour aux dames, honneur aux braves, morbleu ! Levin de Champagne est un admirable précepteur : non seulementil parle sa propre langue, mais encore il enseigne celle desautres. Je veux devenir, à force d’en boire, un philologue aussicélèbre que Joseph Senkovsky. – Allah verdy, comme disentles Géorgiens, bois donc plus vite, amico diletto. Lechampagne s’évapore aussi vite que la vertu d’une femme.

– Allons, dit Pravdine en vidant son verre,voilà encore ta vieille chanson qui revient, incorrigiblepécheur ! Tu as été piqué par les épines, et tu maudis lesroses.

– Par des épines, c’est possible ; mais,en tout cas, pas par celles de la sévérité. En vérité, Pravdine, tues à mourir de rire. Tu n’aurais jamais fait tache dans une comédieclassique, où tous tes confrères semblent être sortis de la mêmeécole, et s’être enrôlés la même année. Des épines sous des rosesfaites de satin, de velours et de dentelles ! Jamais Pinettilui-même n’a montré à Saint-Pétersbourg des choses si rares. Nepense pas, cependant, que je vais sonner devant toi les fanfares demes victoires, comme un sous-lieutenant d’infanterie, et que jejurerai, par les livres saints de Kiev, qu’il n’existe pas uneseule femme qui puisse résister à mes lunettes d’acier et à meséperons d’argent. Tantôt le succès, près d’elles, est uncaprice ; tantôt c’est un accident. Si parfois j’ai reçuquelques coups d’éventail sur les doigts, cela prouve toutsimplement que j’ai été maladroit, mais non pas que les femmesaient été inexorables.

– Granitzine, Granitzine, souviens-toi duproverbe russe : « Humilité passe fierté. »

– Essaye toi-même et tu en jugeras. Passe unebonne fois entre les mains d’une femme du monde, et tu verras encombien de morceaux tu en sortiras. Au reste, cela réussit souventaux imbéciles. Heureusement, sur ton front n’est pas écrit :Ici habite la raison. Le marin, dans le monde, est unerareté et même une nouveauté ; une jolie femme te prendra parcuriosité, pour s’assurer que tu ne mords pas ; une autre,pour se vanter d’avoir eu à sa disposition un phoque qu’elle tenaiten laisse avec un ruban rose, pour l’empêcher de sauter à l’eau. Neperds pas de temps, Pravdine, je te prédis des victoiressplendides, et qui ne te coûteront pas cher.

– Par malheur, mon cher capitaine, je détesteles victoires faciles.

– Eh ! mordieu ! prends les chosescomme elles sont, et non comme elles te semblent de loin ;nous ne pouvons pas rebâtir le monde, acceptons-le donc comme ilest fait, et, pour vrai dire, mon cher Pravdine, je déteste cesamoureux qui mouraient de langueur en regardant la fenêtre de leurbien-aimée. Dieu a créé le monde en six jours, et nous devrionsaimer éternellement ! Allons donc, l’amour est le printemps ducœur, mon cher, et le printemps a mille et mille fleurs. Cueille larose, mais ne dédaigne pas la violette ; le vin de Bordeauxest excellent dans les entremets ; mais, que veux-tu ! jelui préfère l’aï[3] ; vois donc cette mousse, c’estl’amour comme le comprennent nos dames du monde ; il est légeret splendide ; mais soufflez dessus, bonsoir, il n’y a plus nimousse ni amour. Bois-le donc au vol.

– Je ne te comprends pas, Granitzine ; tum’offres les joies mondaines, comme si elles étaient dans ta cave,et comme si je n’avais qu’à tirer le bouchon et verser.

– Bravo, mon cher, bravo ! je vois avecplaisir que tu fais des progrès : d’abord, tu n’avais pasenvie de faire ta cour le moins du monde, et voilà que maintenantil ne te manque plus que la possibilité. Je suis sûr que tu neporteras pas longtemps ton cœur vide comme un mendiant son sac.Va ! nos dames de Pétersbourg sont si bonnes et si sensibles,et, toi, tu es si gentil et si intéressant, que ce serait un péchéque de te laisser soupirer en vain. Notre éducation a coupé lesongles et limé les dents aux passions, mon ami ; elles ne sontplus dangereuses.

– Parle pour toi, Granitzine ; moi, sij’aimais, je sens que j’aimerais sérieusement.

– Quand je disais que les marins étaient desanimaux à part, dont les vaisseaux sont les ménageries. Eh !mon Dieu ! si tout cela est ainsi, ce n’est pas même la fautedes femmes ; ce n’est pas même la faute des hommes, c’est lafaute de notre organisation sociale : nous nous dépêchons devivre, mais nous tardons à nous marier ; chacun de nous veutêtre colonel ou général pour vendre ses épaulettes et sa croix deSaint-Georges le plus cher possible. La fiancée n’est que l’appointde sa dot. Au reste, éducation complète, cher ami : elle monteà cheval, elle tire au vol, casse des poupées à vingt-cinq pas,joue du piano et chante ; seulement, sa chanson ne s’accordepas avec celle de son mari. Est-elle belle ou non ? Peuimporte, c’est un sac de cent ou de deux cent mille roubles. Aureste, elle connaît son importance, et, comme madame de Lignolles,elle sait conjuguer le verbe je veux, à tous ses temps.Maintenant, avec ses dispositions puisées à l’institut, quetrouve-t-elle en son mari ? Un homme vieux et fatigué, quitousse le matin, bâille toute la journée et s’ennuie le soir.Depuis onze heures du matin jusqu’à cinq heures, il estdehors ; depuis huit heures jusqu’à deux, il est en visite. Iljoue ses paysans, ses terres, ses poules, ses œufs et jusqu’auxcoquilles de ses œufs ; il est comme le balancier d’unependule, suspendu entre une bouteille de vin de Bourgogne et unemédecine. Tu comprends qu’avec un pareil intérieur, la femme, deson côté, ne restera pas chez elle ; elle finira par avoir samaison dans une loge de premier rang, par faire sa patrie dumagasin anglais et son paradis des bals. La jeunesse l’entoure, etun fat aux joues roses a déjà été remarqué par elle. Il lui ditforce douceurs, quelquefois même des tendresses. Sur le compte del’esprit, nos femmes ne sont pas exigeantes ; et, si la postede France retarde, elles se contentent des tendresses et desdouceurs du pays. Il lui raconte des histoires, que le diable enfait des signes de croix, et souvent, en riant, dansant, polkanttoute une nuit, il parvient à la convaincre qu’il a la pâleur surle visage et le désespoir dans le cœur, tout cela à cause de larésistance incroyable qu’il trouve en elle. Sans doute, elle n’encroit rien, mais elle fait semblant de croire. Il faut bien qu’à unmoment donné elle puisse se laisser tomber entre les deux bras d’unfauteuil, mettre son mouchoir sur ses yeux, et dire :« Oh ! vous autres hommes, vous êtes de glace, de pierre,de granit, de marbre, de bronze ! Vous êtes un ingrat, uncruel, un perfide ! J’étais innocente, j’étais pure, et vousm’avez séduite. » De là à la faute, il n’y a pas loin,quoique, moi, je t’avoue que je ne sais pas ce que l’on appelle unefaute. Et Méphistophélès est déjà dans la maison, soufflant sesdiableries à l’oreille de la femme et accueillant le mari avec ungeste des deux doigts auquel il n’y a pas à se tromper, et que toutle monde voit, excepté le pauvre bonhomme d’époux.

– Allons donc, tu mens, tu calomnies, tu asd’abominables idées en tête ; il y a déjà un certain temps queje me frotte contre ce monde dont tu parles ; je n’y ai rienremarqué de pareil à ce que tu dis, et il me paraît, tout aucontraire, que nos dames de Saint-Pétersbourg sontinabordables.

– En vérité, mon cher, s’écria Granitzine enéclatant de rire, je regarde autour de moi pour savoir de qui tuparles ! N’étais-tu pas enseigne sur le vaisseau de l’amiralNoé ? Mais avec cette crédulité antédiluvienne, tu pourraisbien, en effet, n’aller jamais plus loin que le salon. Ah !mon pauvre ami, croire à l’inaccessibilité de nos femmes !mais c’est croire aux vertus consignées dans les épitaphes. Lesiècle des Potemkine est déjà loin pour les amants, mais nous ytouchons encore pour l’amour. Tu crois à une femme, n’est-cepas ? parce qu’elle vient au bal avec son mari, qu’ellel’appelle son cher bon et qu’elle le baise au front devant tout lemonde. Mais, avec son cavalier servant, elle parle de la dernièreparade, et elle chante le Lac, de Lamartine. Ne te trompepas aux apparences, cher ami, le diable n’y perd rien. La dame saitparfaitement bien qu’aucun diable boiteux n’enlèvera le toit de sonboudoir, et que la serrure de sa chambre à coucher, dès qu’on latouche, joue l’air de Réveillez-vous, belle endormie.

Le cœur bon et pur de Pravdine se serrait àcette amère analyse des passions de notre temps et des vices denotre société, auxquels le carnaval éternel de notre civilisationpermet de porter le masque de la modestie.

– En effet, dit-il, avec un triste sourire,comment connaîtrais-je le monde, moi, espèce de coquillage, attachécomme une huître à la carène de mon vaisseau ? Je conçois lafaiblesse dans une femme, je comprends l’entraînement de lapassion ; mais, je l’avoue, l’idée d’une dépravation pareilleà celle que vous venez de dépeindre ne m’était jamais passée parl’esprit. J’ai connu à Thébizonde une bayadère qui, non seulementfaisait son prix avec les voyageurs, mais qui encore, de dessousson oreiller, tirait une petite balance avec laquelle elle pesaitles ducats demandés par elle. Mais, à mon avis, cette femme étaitune vertu près de celles dont tu me parles. Oh ! le monde, lemonde ! murmura Pravdine en laissant tomber sa tête dans sesdeux mains.

– Allons, bien ! voilà que tu prends lachose au tragique et tu vas exagérer les torts de ce pauvre monde.Soyons avant tout impartiaux, mon cher Pravdine. Le monde estdépravé, soit, mais tu ne trouveras même pas dans le monde unedépravation parfaite. Les Lovelace et les chevaliers de Valmontsont des héros de romans, et les auteurs de ces romans, comme lemarquis de Sade et le chevalier de Laclos, sont des fanfarons deperversité. Combien de fois n’est-il pas arrivé qu’une fantaisied’un moment, qu’un caprice qui ne devait pas laisser sa trace dansle lendemain du jour où il était né, a passé de la tête au cœur ets’est changé en une passion longue, fidèle, dévouée, prête à tousles sacrifices, victorieuse de tous les égarements ; en unepassion qui pourrait faire honneur non seulement à un cavalier denos jours, mais encore à un chevalier de la Table ronde ? Etmoi-même, ajouta-t-il, moi qui ne crois ni à la vertu des hommes,ni à la fidélité des femmes, moi-même…

Un profond soupir coupa la phrase deGranitzine, qui demeura pensif et silencieux. Devant ses yeux,passaient de charmants souvenirs ; mais, comme des spectres,ces souvenirs étaient pleins de reproches.

– Pourquoi me plaindrais-je ?murmura-t-il à demi-voix. Je n’étais pas digne d’elle !

Pravdine comprit tout ce qu’il y avait dedouleur dans ce soupir, tout ce qu’il y avait de regrets dans cetaparté.

– Je te plains, Granitzine, lui dit-il, maisexplique-moi une chose : c’est comment, connaissant si bienles vices de notre société, tu as pu te laisser prendre à l’amour,ou comment, t’étant laissé prendre à l’amour, tu as pu continuerd’envisager le monde sous le même point de vue ? Tu me faisl’effet de l’usurier, du débauché et du pillard Salluste, tonnantcontre le vol, la débauche et l’usure, ou, mieux encore, deRepetilof dans la comédie de Gribojedof, le Malheur d’avoirtrop d’esprit.

– Hélas ! nous sommes tous faits ainsi,mon cher Pravdine, nous autres nés à la limite de deuxsiècles : le XVIIIe nous tire par les pieds vers la matière,le XIXe nous enlève par les oreilles vers l’idéalité. Nous nesommes ni chair ni poisson, ni Europe ni Asie. Nous ne pouvons pasjuger le passé, nous ignorons le présent, et nous ne croyons pas àl’avenir. Nous sommes, comme l’homme de Prométhée, pétris d’argileet de feu ; l’argile tend à la boue, le feu au ciel. L’espritdemande à manger comme l’estomac ; il veut casser la durenoisette de la science. Seulement, il s’aperçoit que c’estimpossible avec des dents gâtées par le sucre de betterave.

La conversation s’éloignait du but où voulaitl’amener Pravdine. Machiavel et l’amour sont grands ennemis l’un del’autre. Pravdine voulait étudier cet océan insondable qu’onappelle la femme ; mais, quand il disait les femmesen général, en particulier et à part lui, il pensait à la princesseFlora. Il ramena donc la conversation dans le cercle qu’il voulaitlui faire parcourir.

– Voyons, dit-il, n’exagérons point, comme tule disais tout à l’heure ; est-ce que la dépravation desgrandes villes est réellement portée au point que tu disais, et n’ya-t-il pas à Saint-Pétersbourg, par exemple, une femme, une seule,sur laquelle, comme sur ce pur cristal, ne puisse ramper le ver dela médisance ?

– Je ne suis pas grand maître de police, cherami, je ne saurais donc répondre précisément à ta question. Boileaucomptait deux Lucrèces à Paris, du temps de Louis XIV. Pouchkine,qui voulait réunir trois paires de petits pieds, assure que, danstoute la Russie, il n’a jamais pu trouver le sixième. Je tiens lesdeux choses pour calomnies, et, quoique les cœurs inflexiblesdoivent être plus rares que les petits pieds, je me chargerais biende compter à Saint-Pétersbourg au moins une douzaine de femmesfidèles.

Et probablement, au nombre de celles quitrouveront grâce à tes yeux, seront au premier rang la femme deMirone Igitch N…, et qui dirai-je après elle ?… Ah ! laprincesse Flora, par exemple.

Et, en prononçant le nom de la princesse,Pravdine se sentit rougir jusqu’aux yeux. Il y a deux choses quen’a jamais su faire un premier amour, écouter de sang-froid le nomde la bien-aimée, ou le prononcer sans embarras.

– De la première, je ne dirai rien, et c’estce que crois pouvoir faire de mieux pour son honneur. Quant à laseconde, c’est une étoile de Moscou, qui se lève à peine sur leciel de Saint-Pétersbourg. Elle en est à ses premiers jours denoces ; où pouvait-elle se gâter, et comment ? lamédisance, eût-elle eu affaire à elle, n’aurait pas eu le temps depoursuivre jusqu’ici.

La physionomie de Pravdine s’éclaircit.

– La médisance, eût-elle eu affaire à elle,répéta-t-il tout bas ; non, jamais ! – la calomnie,peut-être, – mais Flora n’a rien à faire avec la médisance.

Granitzine, qui avait les yeux fixés surl’officier de marine, sourit, et, comme s’il eût entendu jusqu’à ladernière syllabe de la phrase que Pravdine s’était dite àlui-même :

– Serais-tu membre d’une compagnie d’assurancesur la vertu des femmes, Pravdine ? lui demanda-t-il en riant.Prends garde ! mon ami, l’année est mauvaise, et je connaisnombre de ces établissements, qui, depuis le 1er janvierde cette année, ont fait faillite. Attends donc ! voyons… MonDieu, Seigneur ! donnez-moi, pour un moment, la chose que jevous ai si souvent prié de m’enlever : la mémoire !… Laprincesse Flora, hum ! Le prince Pierre – c’est bien cela, –gros et simple. Elle, belle et rêveuse, mêle de l’huile avec du vinde Champagne, et je te dirais sa bonne aventure comme avec descartes. Bon ! je tiens mon valet de cœur.

Pravdine frissonna.

– Tu le tiens ? demanda-t-il ; ilexiste donc ?

– Pardieu ! c’est un diplomate, un poète,un archiviste bouclé du ministère des affaires étrangères. Toutpoète a une muse, – le moyen d’avoir l’inspiration sans muse ?– Celle du nôtre est la princesse Flora. Mais il n’y a, en vérité,qu’un aveugle qui pourrait ne pas voir comme il papillonne autourd’elle, le tournesol ne pivote pas plus assidûment vers le soleil.Là où est la princesse, on le voit aussitôt pousser, pour ainsidire, comme un champignon après la pluie. Au bal de l’ambassadeurd’Autriche, il lui a, pendant tout le cotillon, chanté une romanceà l’oreille ; et cette romance, ou je me trompe fort, a pourtitre : Mon cœur soupire !

– Et quel est le nom de ce beauchanteur ? demanda Pravdine.

– Allons donc ! est-il besoin de te ledire, son nom ? Tu le connais déjà, ou, si tu ne le connaispas, ma foi, tu le connaîtras bientôt ! Il n’y a qu’un marisans passion ou un amoureux passionné qui puisse être si aveugle,que de n’avoir rien vu.

– Son nom, répéta le marin, son nom ?N’entends-tu pas que je te demande son nom ?

Son sang bouillait.

– Jéronime Lénovitch.

Pravdine jeta un cri : ce nom lui avaitpercé le cœur comme une épée.

Sa mémoire venait à l’instant même de luirappeler mille détails, de lui suggérer mille pensées, de luiinspirer mille doutes. Il se le rappelait maintenant ; ilavait vu leurs regards se croiser, s’interroger, se répondre.Pravdine n’entendait déjà plus, ou plutôt ne comprenait déjà plusce que lui disait le capitaine ; ses artères battaient commedans la fièvre. Il sentit tout à la fois son sang bouillir et seglacer. Un murmure indistinct et confus de menaces et demalédictions voltigeait sur ses lèvres. Il serra la main deGranitzine, jeta sur la table un billet de vingt roubles, et, sansattendre qu’on lui rendît la différence, il rentra en courant chezlui.

Là, il sentit mille pensées différentes seheurter si violemment dans son cerveau, qu’il crut un instant queson crâne allait se briser.

– Oh ! s’écria-t-il enfin, si jeuneencore et déjà si fausse ! Pourquoi m’encourager par desregards, pourquoi me tromper par de douces paroles, pourquoim’attirer à elle aussi irrésistiblement que l’aimant attire lefer ? Pour s’amuser, pour se moquer de moi, pour m’utiliser enguise de paratonnerre. Oh ! non, cela ne sera pas ainsi.Terrible, soit, je puis l’être ; ridicule, non, jamais. Mais,au bout du compte, qui me dit que ce ne sont point des calomnies,des propos de rivale ? Elle doit être enviée, elle est sibelle !… Qui m’attache donc à cette femme ? De quel lieninvisible m’a-t-elle garrotté ? Avant de la voir, ne vivais-jepas tranquille et heureux sans elle ?… Eh bien, jem’éloignerai, je l’oublierai, et ce sera comme si je ne l’avais pasvue. Je voudrais cependant, ne fût-ce que par pure curiosité,savoir ce qu’il y a de vrai dans ce que m’a dit Granitzine.Oh ! si c’est vrai, à mon tour, je m’amuserai d’elle ; àmon tour, je lui ferai pleurer du sang ! Mais comment arriverà la vérité dans une ville où un mari qui embrasse sa femme à huitheures du matin n’est jamais sûr d’être le premier qui l’aitembrassée de la journée, dans une ville où toutes les femmes sontinnocentes parce qu’on peut toujours croire à une vraie innocence,mais jamais prouver une vraie faute ?

La nuit vint ; Pravdine demanda en vaindu calme au sommeil. Sous son chevet se tordait et sifflait cettevipère qu’on appelle la jalousie. Chacune de ses pensées était uneraillerie pour le moment où il rencontrerait la princesse, uneinsulte pour celui où il se trouverait en face de son amant.

– Oh ! que je la voie seulement uneminute, disait-il en grinçant des dents, et cette minute suffirapour que je lui dise tout ce que je pense d’elle !

Et la cause de tout cela, qu’était-ce, ensomme ? Quelques mots jetés en l’air par Granitzine, sortis desa bouche comme la mousse sort d’une bouteille de champagne dont onvient de faire sauter le bouchon, quelques gouttes de cette bileextravasée au fond de son cœur, et qu’il répandait au hasard, sanssavoir lui-même quel poison corrosif elles contenaient. Comme cesconquérants antiques qui, envieux de la ville qu’ils venaient deprendre, la livraient à l’incendie, et semaient du sel dans lessillons de la charrue, lui, après avoir brûlé un cœur, aprèsl’avoir sillonné par le sarcasme, il y semait le doute, – au lieude sel.

Et cependant, cet homme était plus malheureuxencore que ceux qu’il torturait ; leur malheur, à eux,venaient de ce qu’ils aimaient ; son malheur, à lui, venait dece qu’il ne pouvait plus aimer.

V – Le capitaine-lieutenant Pravdine aulieutenant Nil-Paulovitch, à Cronstadt.

Je pars, je pars demain, je pars pourrejoindre, mon cher Nil. Qu’ai-je, en vérité, à faire àSaint-Pétersbourg, dans cette ville « de neige peinte, » commedit Byron [4] ?

Quel est le fou qui a inventé l’amour, et quelest le démon qui m’a entraîné à aimer une femme du monde ?Aimer ! aimer ! quel singulier son a ce mot dans lasociété ! Semblable à l’écho des cavernes, on répète bien desfois après vous : « Aimer ! » Mais qui vousrépond ? Les pierres… pas même les pierres… le désert !Je tremble d’indignation !… Comment ai-je pu penser, ai-je pucroire que l’amour pouvait se loger dans un cœur pétri par lesmains du monde ? Fou ! fou que j’étais ! Ontrouverait plus facilement du sentiment au fond de la boîte doréed’un enfant, sur le couvercle de laquelle est écrit :Sucreries, et qui contient, à l’intérieur, quelquesbonbons, mais aussi du bois, de l’amidon, enveloppés d’oripeauxbrillants.

Pourquoi parler de ce qui est passé ? Monamour non plus ne reviendra pas ! Félicite-moi. Nilouchka, jesuis guéri ; j’ai jeté loin de moi ma passion pour laprincesse Flora, en même temps que les hochets de la mode.

Maintenant, plus tôt je serai sur mer, plustôt je serai heureux. La terre brûle sous mes pieds ; mon cœurbrûle dans ma poitrine, et j’ai besoin des brumes de l’Océan pourl’éteindre.

Parlons affaires. Tu m’écris que l’Amirautéest avare d’ouvriers, et ne donne que de mauvais matériaux. Envérité, tous ces messieurs commencent à lasser ma patience ;j’adresserai mes plaintes en plus haut lieu. Se figurent-ilsqu’après l’orage ils auront d’abondantes fenaisons ?… Ilsn’ont qu’à rester dans cette conviction. Le temps n’est plus où lesouvriers de la marine bâtissaient des maisons avec le bois demâture, et faisaient les toits avec le cuivre de doublure…Aujourd’hui, ils n’en voleraient pas assez pour une potence.T’es-tu préparé à faire changer l’artimon ? Le beaupré est-ilà sa place ? Fais-y pendre dix, vingt tonneaux d’eau s’il faitl’obstiné. Je ne puis souffrir un beaupré qui lève le nez, comme ungentilhomme de la chambre en son jour de service. Tu as demandé ledessin d’un filet pour la batayole ; non, ces tresseshistoriées me rappellent les dentelles des dames… Au dernier bal,la princesse en était couverte. Tu penseras pour sûr qu’une foisarrivé je l’ai vue, et j’ai été vaincu. Je l’ai vue, et elle ne m’ainspiré que de l’aversion, mon ami… Cela mérite la peine de t’êtreraconté ; peut-être cela sera-t-il une curiosité pour toi, etun souvenir pour moi ! Tu as été bien étonné d’apprendre quej’allais au bal ; que sera-ce lorsque je te dirai que je mesuis rendu à un bal où je n’étais point invité, chez des gens queje ne connaissais nullement ; que j’y ai été pour la regarder,mais pour la regarder hostilement !

Je t’ai déjà fait part de mes soupçons ;je désirais depuis longtemps avec ardeur d’avoir l’occasion de lesvérifier ou de les dissiper ; mais je n’avais pu la rencontrerni chez elle, ni nulle part. Enfin, j’apprends que la princesseFlora s’est rendue à une grande soirée hors la ville, chez le comteT… Comment faire ? J’y suis inconnu, et, par conséquent, pasinvité ; mon impatience était devenue intolérable, ma jalousieavait atteint la démence. Je résolus d’y perdre plutôt la vie, maisde la voir. Je me jette dans une voiture de louage et me fais menerà treize verstes d’ici, par la route de Peterhoff… J’arrive,j’entre, je rencontre le maître de la maison.

Pendant le trajet, j’avais combiné le prétexteà donner à ma visite : le comte, amateur passionné de livresrares, possède une bibliothèque remarquable ; je m’accrochai àcela.

– Pardonnez, comte, à un marin originall’inopportunité de sa visite, mais j’espère que la nécessité seraune excuse pour moi. Je ne puis disposer que de l’heure présente,et, passant par Oranienbaum, je me suis décidé à entrer chez vousavec une prière. Voici l’affaire : J’écris une histoire de lanavigation, et le voyage de l’Espagnol Guerera dans l’océan du Sudme serait nécessaire. Il dépend de vous de me venir en aide en m’enpermettant la lecture ; car je sais que l’original se trouvedans votre admirable bibliothèque, que toute la Russie connaît deréputation.

Le comte parut on ne peut plussatisfait ; il me prit sous le bras et m’entraîna dans sabibliothèque. Là, je fus obligé de m’émerveiller bravement sur dessottises de tous les formats : des raretés typographiquesreliées en veau et en chagrin, devenues précieuses parce quepersonne ne les lisait plus depuis longtemps.

J’éternuais au milieu de cette vieillepoussière remuée, je me frottais les yeux et maudissais du fond demon cœur l’imprimerie et les bibliophiles ; mais lepropriétaire de ce musée fut inexorable, et je dus, sans en passerun seul, lire le titre de chaque volume. Enfin, après m’avoirconfié les récits peu véridiques de l’Espagnol, il m’invita àpasser dans la salle de danse, c’était tout ce que j’attendais.Couvrant mon cœur de mon chapeau comme un pigeon que l’on a peur devoir s’envoler, je m’avançai. De ravissantes têtes passaient prèsde moi, emportées par une valse furieuse, couvertes de plumes, defleurs ou de diamants. Mais comme, entre mille étoiles, j’aurais pumontrer celle que j’aimais, de même, au milieu de la foule, mesyeux reconnurent instantanément la princesse Flora… Jamais encoreelle ne m’avait semblé aussi belle, aussi aérienne, aussiidéale ! L’amour animait tout son être ; il brillait dansses yeux, sortait avec le souffle de ses lèvres, étendait sesrayons autour d’elle.

Pourquoi la fausseté peut-elle être siséduisante ? Tout à coup, je remarquai à qui s’adressaient cesregards qui l’animaient d’un charme inusité. Mon cœur devint deglace, ma tête de feu… Affreux instant ! où tout ce qu’onm’avait dit, où tout ce que je soupçonnais se fit certitude !Ainsi, je l’avais perdue, je n’avais plus de droits surelle !… Sans me remarquer, elle s’assit à côté de son éternelrival, et ils parlèrent à demi-voix ; ils souriaient tous deuxde plaisir. Par moments, elle inclinait la tête, et ses yeuxindiquaient une vague rêverie… Oh ! combien je maudis alors lamusique, qui m’empêchait d’entendre leur conversation !…Oh ! que le ciel préserve mon rival des tourments de lajalousie ! Et quelle jalousie ! une jalousie que jen’avais point le droit de ressentir, et encore moins celui demontrer ; mais pouvais-je être maître de moi en un pareilmoment ? Je crois que mon visage devait être effrayant, carune scène effrayante se passait dans mon âme. Ils selevèrent : c’était leur tour de valser. Lorsque je la vis luidonner la main, je m’élançai comme un tigre sur sa proie, et meplaçai devant elle comme un fantôme accusateur ; et c’est avecjouissance que je vis son trouble ; je souris en contemplantson regard à présent éteint, et qui, il y a une minute, avait plusde feu que ses diamants ; je la vis pâlir, et la voixs’éteignit sur ses lèvres ! Oh ! c’est une douce, unebien douce chose, que la vengeance !… Ce n’est pas à tortqu’Homère l’a appelée le plaisir des dieux… Que n’en peut-on direautant de la jalousie ? Pourquoi cette passion de l’enfer necontient-elle pas une seule goutte consolante qui rappelle lescieux ?

Je détournai ma tête de Méduse du coupleeffrayé, et m’éclipsai. Je m’enfuis à toutes brides… Roule,isvotschik, crève tes chevaux ; cinq, dix, vingtroubles seront ton pourboire ! Je volais ; les rouesbrûlaient le pavé ; je désirais, par la rapidité, faire naîtrel’oubli de moi-même et n’y parvenais point !

Mille sentiments bizarres s’étaient déchaînésdans mon sein : tantôt je les contemplais, elle et lui, duhaut des sommets glacés du dédain. Mérite-t-elle non seulement unsoupir, mais même un regard, la femme qui se laisse éblouir par leclinquant, captiver par de vulgaires flatteries ? Puis uneprofonde et brûlante envie pénétrait dans mon âme.Qu’enviais-je ? La brillante nullité de ces amoureux de salon,leurs manières de poupée, leur ramage d’oiseau près des dames. Cen’est pas tout, j’enviais aussi la séduisante fortune du sot,l’amitié des mauvais sujets, le talent de faire des dettes énormes,le savoir du joueur à gagner aux cartes, la bassesse de se vendrecher ou l’adresse de voler poliment les autres, tous les moyensenfin qui m’eussent donné la facilité de me trouver fréquemmentprès d’elle, de l’étonner, de briller dans un monde où l’or, dequelque manière qu’il soit acquis, donne tous les droits desouveraineté !…

Il est vrai que tous ces vils désirs netraversèrent mon âme qu’une minute durant, mais plains-moi de cequ’ils aient pu même l’effleurer. Ô amour, amour ! tu es lamère et la marâtre de l’âme humaine ! Tu peux l’élever jusqu’àl’étoile et l’abaisser jusqu’au bourbier. Tu fais des héros ou descriminels de ceux qui ont l’âme vigoureuse ; des ambitieux oudes misérables, de ceux qui l’ont faible… Je t’abhorre, je temaudis ; je m’enfuis loin de tes sentiers ! Ô indignefaiblesse ! Je pleure sur mon joug brisé… Ce n’est riend’avoir pu pleurer, si je puis encore raisonner !

Saint-Pétersbourg, août 1829.

VI – Psyché.

La frégate l’Espérance reçut ordred’être prête à l’automne pour une expédition lointaine.

On la ramena au port pour le chargement de lacale, le changement des mâtures et des manœuvres dormantes. Lecommandant du navire, Pravdine, était respecté comme un officier degrand savoir et d’un courage exemplaire, et on lui fournit tous lesmoyens de décoration dont peut être orné un navire de guerre :du bronze pour les vis de ses caronades, les grillages desécoutilles, les tolets de tournage, les rampes des échelles ;du chêne sculpté et de l’acajou pour les cabines. On se mit àl’œuvre avec un zèle et une activité infatigables.

Tourmenté par le poison de la jalousie,Pravdine cherchait dans l’activité un moyen d’échapper à ses peinesde cœur, et d’étouffer sa nouvelle passion par l’ancienne.

D’une aurore à l’autre, il arpentait letillac, et pas le moindre détail n’échappait à son attention ;il surveillait tout et mettait lui-même la main à tout.

Sa minutie avait fini par ennuyerNil-Paulovitch, qui lui-même était réputé dans la flotte pour saponctualité.

– Dieu merci, dit-il un jour au médecinStettinsky, notre Élie s’est ravisé. Le service l’a débarrassé,comme avec la main, de sa folie. J’avais raison de dire que l’amourarrosé d’essences fuirait l’odeur de la résine, comme le diablefuit l’encens.

– S’il a fui, c’est tout à fait pour une autreraison, répliqua Stettinsky ; ce sont mes fumigations qui ontguéri le capitaine ; il était distrait au point de ne pasremarquer que je mêlais des herbes médicinales à son tabac àfumer.

Mais, au fond, Pravdine était-il réellementguéri ?

Cependant, les travaux s’activaient,l’armement grossissait, non au jour, mais à l’heure, et en mêmetemps croissait l’impatience de Pravdine.

– Vite ! plus vite ! puissions-nousgagner la rade et nous élancer dans la mer le plus loin possible dece Saint-Pétersbourg maudit ! Tant que je vivrai, je n’yremettrai plus le pied ! s’écria-t-il un jour.

Et, deux heures plus tard, Pravdine se tenaitpenché au-dessus de la roue d’un vapeur, comme s’il comptait chacundes coups qui frappaient l’onde écumante.

– Bon ! voici M. lecapitaine-lieutenant Pravdine dans la capitale !

– Et comment, de grâce, aurait-il pu sedispenser d’aller dans la capitale ? N’est-ce point surl’Observatoire qu’il doit régler son chronomètre ? Il doitaller prendre à l’Académie des sciences une nouvelle carte del’Amirauté, recommandée spécialement par le commandant supérieur del’état-major.

– Oui, et pourquoi, au lieu d’un jour n’enresterait-il point deux ? Car, après tout, ce n’est pas demainqu’on lève l’ancre. Il a sur la frégate des auxiliaires danslesquels il peut avoir toute confiance !… Nous sommes siriches d’arguments lorsqu’il s’agit de satisfaire unefantaisie !

Cependant l’orgueilleuse résolution dePravdine, de ne point chercher à voir la princesse, était demeuréeinflexible. Ses pensées convergeaient toujours vers le même point,et ce point, c’était elle ; mais lui, au contraire,comme dominé par une force motrice, s’éloignait de plus en plus dechaque endroit où il eût eu chance de la rencontrer. Pravdineétait, sans s’en douter, poète en prose, poète dans l’âme ; ya-t-il, en ce bas monde, un homme qui ne l’ait été, ne fût-cequ’une fois ?

La différence consiste uniquement en ce quel’un l’est souvent, l’autre plus rarement, l’un plus profondément,l’autre superficiellement. Les majestueuses beautés de la naturen’étaient point seules à toucher et à captiver Pravdine ; non,il aimait ardemment toutes les productions du goût lorsqu’ellesavaient un cachet poétique, n’importe sous quelle forme elles seprésentassent, sous celles d’un poème, d’une mélodie, d’une pierre,d’un bronze, et là où l’homme avait mêlé son labeur à celui de lanature, et là où il la recréait par l’idéalité de son imagination.L’amour avait développé toutes les tendances de Pravdine, et,débordant de son cœur, se répandait, en les animant, sur tous lesobjets qui l’entouraient.

Du sein de l’onde s’élevaient des sonstristes, mais doux pour lui ; la brise caressait son visagecomme une main aimée. Il trouvait un sens nouveau méconnu dans leslivres ; il surprenait dans la poésie des rayons qu’il n’avaitpoint aperçus jusqu’à ce jour ; la porte d’une maison, un sonde cloche, un pilier, une gravure savaient exciter son intérêt. Ilrestait parfois un quart d’heure entier en contemplation devant unerue, un pont ou une jolie habitation. Il ne remarquait ni lesheurtements ni les sourires moqueurs des passants lorsqu’ilcontemplait pieusement le monument de Pierre le Grand ; maisce qu’il aimait surtout, c’était de parcourir en flânant lesmajestueuses salles de ce palais appelé l’Ermitage… C’était sajouissance, sa consolation.

C’est du moins ce qu’il pensait en arpentantde nouveau le musée, où les images de la nature chassèrent unmoment de son âme l’image exécrée et chérie. Il s’apaisa comme lecalme Marais de Ruysdael, respira l’air frais de laNuit de van der Neer, vola, avec son vaisseau, sur lajaune Mer du Nord de van Ostade. Les portraits de Van Dycks’agitaient, et le ciel de Raphaël s’ouvrait à ses yeux…. Pravdinecombattait avec les Mèdes du Poussin et priait avecl’Enfant prodigue de Murillo. De charmants visages luisouriaient, les chevaliers lui tendaient la main et les fêteschampêtres le conviaient. À sa gauche bruissait la noireForêt de Salvador, tandis qu’à sa droite s’agitait laMer orageuse de Vernet. Tantôt c’était une harmonieusemais silencieuse danse d’images, d’idées, de siècles ; tantôtc’était un microscope palpable de l’âme humaine, depuis le fangeuxmatérialisme de Téniers jusqu’à l’inaccessible sainteté d’Urbino,illimitée comme un chaos, confuse comme un rêve, déjà prête, maisencore invisible à l’homme.

Pravdine se sentait à l’aise au milieu deshabitants de ce monde à la clarté duquel il sommeillait ;mais, à part le paravent de verre par lequel l’Ermitage lui voilaitses chagrins, il y était encore attiré en droite ligne par sapassion.

Dans la salle renfermant le musée deJoséphine, entre la ravissante Hébé et laDanseuse de Canova, s’élevait le groupe d’Amour etPsyché, œuvre du même ciseau. Cette Psyché était, trait pourtrait, la princesse Flora. C’est à son piédestal que Pravdines’empressait de venir se reposer. Se reposer ! Oh ! demême se repose le travailleur sur son lit de pierre. Non, il venaitfaire entendre à l’image de son infidèle ses reproches et sesimprécations, il venait la maudire et l’admirer.

Vous avez vu, pour sûr, cet admirable morceau,l’une des meilleures productions de Canova ! Psyché, enlacée àl’Amour, admire un papillon qu’il tient dans la paume de sa main.Haute comme le ciel, pure comme un rayon de soleil, fertile commele sol de la Grèce, a été l’idée de présenter la réunion de l’âmeavec le corps, ou de la jeunesse avec l’amour, par l’Amour etPsyché. Mais, si le groupe de Scopas (leur baiser) est supérieursous le rapport de l’art, celui de Canova est incontestablementsupérieur comme ampleur. Dans le premier, vous voyez le symbole destemps primitifs, la passion ; dans le second, l’emblème denotre époque, la pensée. Et la pensée a jeté, sans s’en douter, surles visages, dans le maintien des deux personnages, une ombre degravité contrastant avec l’adolescence de leurs formes. Mais aussi,quel charme dans le mouvement de la tête ! quelle finesse dansl’expression de la physionomie ! quelle aisance dans lapose ! quelle noblesse dans l’attitude ! Le ciseau de feuCanova a amolli le marbre pour la chair ; mais sa pensée, envenant l’animer, a rendu la chair diaphane et aérienne ; en unmot, il y a imprimé l’âme. Une série d’idées toutes différentesassiégeaient en ce moment l’esprit de Pravdine.

Combien d’événements, que de figureshistoriques avaient passé en peu d’années au pied de cemarbre ! Que de fois devant lui avait peut-être pleurél’impératrice détrônée des Français ! Sur lui était tombé,rapide comme l’éclair, le regard de Napoléon, avide de conquérir lemonde. Que de rois et de généraux avaient regardé ce groupe, lesuns avec la distraction de la satiété, d’autres avec l’indifférencede l’ignorance, beaucoup en se disant : « Pourquoin’est-ce point à moi ? » Et où est allé ce marbre aprèsavoir quitté les Tuileries ? et où se trouvent tous ceux quil’ont admiré il y a si peu de temps, et là-bas, et ici ?…

– Les uns ne sont plus, les autres sontloin ! pensait Pravdine en soupirant.

Installé le matin de je ne sais quel jour defête, sans savoir lui-même comment, aux pieds de Psyché, Pravdines’abîma insensiblement en de profondes et douloureuses pensées,l’œil arrêté sur cette admirable figure.

– Lorsque je te vis pour la première fois, sedisait-il, il me sembla qu’un ange venait d’appeler mon âme par sonnom, et que, depuis l’enfance, tu étais fiancée à mon cœur.Insensé !… Je me riais de cette singulière idée ; mais,en l’aimant, je la crus et je m’y abandonnai… À qui ajouter foidésormais, s’il faut se défier d’une pareille créature, si belle etsi fausse, si sensée et si légère ? Pourquoi l’ai-jerencontrée ? pourquoi m’a-t-elle amené à l’aimer ?Inspirer une si ardente passion, alimenter l’incendie, puisdisperser au vent les cendres du cœur, sans laisser tomber unelarme, pas même de sympathie, mais de pitié ; vous faire voirl’espérance, et donner le bonheur à un autre !

Pravdine était complètement seul ; satête se pencha et des larmes silencieuses coulèrent le long de sesjoues.

– Vous pleurez ? dit quelqu’un près delui.

Cette voix fit tressaillir tout sonêtre ; elle était douce, affectueuse, et témoignait d’unprofond intérêt.

Pravdine se retourna.

À côté de lui, la princesse Flora, vêtue d’unerobe légère, se tenait debout, éblouissante de parure, de jeunesse,de beauté.

On devinait qu’elle venait de s’échapper d’uneréception pour respirer à l’aise en contemplant les productions dupinceau et du ciseau, et, qui sait ? dominée peut-être par unsecret pressentiment du cœur ; car notre cœur est un devin,ainsi que l’a dit avec justesse Dimitrief.

– Vous avez pleuré ? répéta-t-elleémue.

La bouillante indignation de Pravdine s’étaitenfuie de son cœur devant cette séduisante apparition ; maisl’amour-propre blessé, ce ver qui n’a ni pattes ni ailes, yresta.

Pravdine se recula, s’inclina devant laprincesse avec un respect glacial et répondit enrougissant :

– Oui, princesse, je pleurais, et mes larmesétaient amères ; je me croyais seul ici et…

– Est-il possible, capitaine, que vous soyezblessé de l’idée que j’aie pu surprendre une larme dans vosyeux ?… Quelle nature étrange ont les hommes ! Ilspeuvent sans rougir se vanter du sang d’un ami, mais ils ont honted’une larme de sentiment !

– Je dois, en effet, être honteux de ceslarmes, et j’avoue que vous êtes le dernier témoin que j’eussedésiré pour une semblable faiblesse ; mes larmes n’ont pas vuet ne verront jamais le monde. Soyez convaincue, princesse,qu’elles n’augmenteront l’éclat d’aucune robe.

Pravdine n’avait jamais parlé à la princessede son amour ; mais quelle femme ignore le sens d’un regard defeu, d’une joue qui rougit, d’une poitrine qui se soulève, de mainsqui se crispent ?

La princesse, cette fois encore, comprit lereproche de Pravdine, et mit dans sa réponse plus de sentiment qued’orgueil.

– Croyez-vous, en vérité, capitaine, que mavie ne soit que clinquant, et que j’ignore les larmes duchagrin ? Mais vous avez porté le coup encore plus loin etplus profondément : vous avez presque dit que je pouvais meréjouir du chagrin d’autrui. Expliquez en quoi j’ai pu mériter uneaussi injuste accusation, et de qui encore !… dequi ?

Pravdine se troubla. Il était pris comme unécolier qui, courant avec une explication au-devant de son maître,devient muet et confus sous son terrible regard.

En semblable occasion, l’habitude générale estd’affirmer qu’on n’eût jamais pensé, qu’on n’eût jamais osé selivrer à une pareille accusation, etc. Pravdine débita une foule deces vulgaires excuses.

La princesse hocha la tête avecmélancolie.

– Capitaine, dit-elle, la franchise des marinsest devenue proverbiale ; voudriez-vous la démentir ?Depuis quelques jours déjà, j’ai remarqué que vous étiez fâchécontre moi.

Pravdine parut se réveiller d’un songe.

– À l’occasion, je vous prouverai mafranchise !… s’écria-t-il avec feu. – Savez-vous, princesse, àqui ressemble cette Psyché ?

La princesse sourit avec une expression desatisfaction, leva les yeux sur le marbre et dit enrougissant :

– Plusieurs de mes amies prétendent qu’il y aquelques points d’analogie entre moi et cette statue ; maisj’avoue que les compliments des femmes m’inspirent peu deconfiance.

– Fiez-vous au sentiment des hommes,princesse. Le cœur est un bon connaisseur. Ce n’est point lapremière fois que je me trouve aux pieds de cette Psyché. Il fut untemps où je venais l’admirer et lui raconter tout ce que je n’osaisdire à son Sosie et que je ne pouvais garder en moi. Maintenant,oh ! maintenant, c’est une autre affaire : je suis venul’accabler de reproches et répandre sur ce marbre insensible lespleurs d’un inexprimable chagrin. Vous avez vous-même fait appel àma franchise, elle se montrera tout entière. Oui, princesse, cen’est plus le moment de feindre ; d’ailleurs, le voudrais-je,que cela me serait impossible… Ne le niez point, ne dites pointnon : vous avez vu, vous saviez que je vous aimais ; vousn’avez pas compris, vous n’avez pas apprécié mon cœur, un cœur quidébordait d’amour pour vous… Vous voyez ici ces trésorssouverains ? Vous avez vu l’arsenal ? Là, chaque siècle aapporté son joyau, sa couronne, son armure, son souvenir… Ne riezpoint de la comparaison ; mon cœur est ce palais d’où j’auraisjeté à vos pieds mes sensations, mes idées, ma passion, touteschoses qui valaient des perles et de l’or… Vous auriez été lasouveraine de mon âme et eussiez fait de moi ce que bon voussemblait. Vous m’eussiez dit : « Sois poète, » et, aubout d’une année, j’aurais incliné mon front couronné devant cellequi m’avait inspiré. La grandeur de mon amour n’était-elle pas unepoésie ? N’y a-t-il point de semences en mon âme ? J’enaurais fait jaillir des étincelles, des sons, des pensées, et lemonde m’eût répondu par des soupirs, des larmes et desapplaudissements ! Eussiez-vous souhaité de me voirhéros ? Qui aurait pu me résister ? Et j’aurais réchauffévotre cœur aux rayons de ma gloire. C’est peu ; je suis altéréd’action, j’ai de l’ambition dans l’âme, je suis un de ceuxauxquels une voix intérieure dit : « Tu peux êtrepuissant ! » Eh bien, j’aurais brisé mon sabre et maplume, je me serais sevré des chères tempêtes de l’Océan, j’auraisjeté le lingot d’or de toute ma vie dans le torrent de l’oubli,afin de pouvoir seulement vous admirer comme la création, vousentendre comme un oiseau de paradis ; afin de pouvoir êtresouvent à vos côtés, de respirer votre haleine, de vous adorer…Mais vous, vous ne l’eussiez point voulu…

En disant cela, Pravdine saisit la main de laprincesse, dont le cœur était ému par les regards et les discoursbrûlants qu’elle venait d’entendre.

– Assez ! Taisez-vous, capitaine !s’écria-t-elle. Je ne veux ni ne dois vous écouter davantage.Rappelez-vous qui je suis, ce que je suis ; en serrant mamain, vous pressez un anneau ; c’est le signe apparent del’invisible mais indissoluble chaîne qui m’entoure… C’est madestinée d’être toujours liée à un autre !

Pravdine lâcha avec tristesse la main de lajeune femme.

– Oh ! s’il n’y avait que le destin entrenous, j’eusse moins murmuré ; j’aurais envié, profondémentenvié l’homme qui a votre main ; mais, à son tour, il m’eûtenvié si vous m’eussiez donné votre âme. Il fut un temps où jecroyais à cette union, à ce mariage de l’âme… Mais, hélas !après m’avoir attiré, vous vous êtes, en riant, détournée demoi ; vous avez rejeté mon amour infini, vous avez brisé moncœur ; et ce ne sont point les devoirs de l’épouse qui enfurent cause, non : ce fut un autre sentiment, un autre amour.Oui, princesse, en contemplant cette Psyché, je me disais qu’elleétait à l’image de la princesse Flora, mais qu’il était regrettableque l’amour ne ressemblât point à Lénovitch ; sans quoi, l’oneût pu croire que Canova vous avait choisis pour modèles au momentoù vous vous disposiez à valser.

– Contenez-vous, Pravdine, interrompit avecfeu la princesse ; une vaine jalousie vous aveugle ;Lénovitch est un proche parent de mon mari, fiancé depuis longtempsà ma cousine Sophie [nom illisible], unique amie de monenfance ; au moment où je vous parle, il est à Moscou, auxpieds de Sophie. C’est d’elle, de son avenir que nous causionsensemble lorsque vous êtes apparu, sans y être invité, au bal ducomte T… Malheureux bal ! malheureuse Flora ! Inspirertant de passion, et si peu de confiance… Non, capitaine, celui quiaime a confiance ; il a confiance jusqu’à la crédulité ;je le sais moi-même ; non, monsieur, vous ne méritez pas queje me justifie. Mon Dieu, mon Dieu ! aurais-je jamais penséque, sur un simple soupçon, une apparence dénuée de tout fondement,je perdrais l’estime de l’homme que j’ai toujours distingué entretous, que je respecte à un si haut degré, que j’aime siardemment !…

Flora était entraînée par le dépit : ledépit est le meilleur moyen pour forcer une femme à ouvrir soncœur. Mais ce qui, avec un amant expérimenté, eût été l’œuvre ducalcul, ne fut ici que l’œuvre des circonstances.

Le dernier mot de la princesse s’était échappéde son cœur, non comme un aveu, mais comme une exclamation. Elles’était oubliée, mais celui qu’un pareil oubli rend heureux peut-ilperdre la mémoire de ce qui a été dit ? Peut-il ne pointcroire à la réalité du sentiment qui a dicté l’aveu ? Non,jamais l’hypocrisie n’a eu cette voix, n’a eu ce regard ! Tousles doutes de Pravdine se dissipèrent ; il tomba dans unesorte de ravissement fanatique, couvrit de baisers les mains deFlora, et, les pressant contre son cœur :

– Il est à vous, à vous pour l’éternité, femmedivine ! s’écria-t-il. Où trouverais-je la force de supportermon bonheur !… Je suis prêt, maintenant, à serrer, comme celled’un ami, la main de mon plus grand ennemi ; à embrasser lemonde entier comme un frère !

La princesse n’entendait rien, ne voyaitrien ; sa vie semblait s’être envolée avec le fatal secret. Lefront incliné sur le piédestal de la Psyché, l’une était aussi pâleque l’autre… De grosses larmes perlaient à ses cilsabaissés ; son corps frissonnait comme une feuille. Pravdinefut effrayé…

– Qu’avez-vous, princesse ?s’écria-t-il.

– Éloignez-vous, prononça-t-elle d’une voixfaible ; maintenant que vous savez tout, soyez clément,partez ! Une autre fois, un autre jour, nous nous reverrons…En ce moment, je mourrais de honte en vous regardant. Si vousfaites quelque cas de mon repos, quittez-moi !

En proie au ravissement et à la frayeur,Pravdine s’éloigna.

Le soir du même jour, le prince Pierre, l’airinquiet, mais tenant sa serviette en main, vint de la salle àmanger à la rencontre du docteur, qui, sur la pointe des pieds,sortait de la chambre à coucher de la princesse Flora.

– Eh bien, cher docteur, demanda-t-il ens’essuyant les lèvres, comment se trouve ma Floreska ?

Le docteur, avec un sourire d’importance quiéclairait invariablement sa physionomie à tous les dîners comme àtous les enterrements, répondit que, grâce à Dieu, il n’y avaitaucun danger, que cela passerait.

Je vous dirai que ce docteur, passé maître enl’art de dorer la pilule, avait toujours, pour cette raison, del’or plein ses poches ; mais on ne sut jamais si c’était parcequ’il était habile, ou parce qu’il était cher.

– Avez-vous écrit une ordonnance,docteur ?

– Oh ! je ne suis jamais en retard,Excellence ! J’ai bâclé une recette longue comme un jour demai, et, si la princesse se conforme de point en point à monordonnance, à la première fiole, la fièvre s’enfuira.

– Comment est son pouls, docteur ?

– Un peu inégal, répondit celui-ci boutonnant,non sans difficulté, le dernier bouton de son frac ; mais celase dissipera à mesure que les frissons et la chaleur diminueront.Il faudrait couvrir davantage la princesse.

– Quelle peut être la cause de sa maladie,docteur ? Ce matin, en sortant, elle était gaie comme unehirondelle, et tout à coup…

– La cause est toute naturelle,Excellence ; notre verdoyant hiver, que nous sommes convenusd’appeler été, est on ne peu plus malsain, et les dames s’habillentavec une légèreté !… Est-il difficile à un courant d’air deles emporter jusqu’à l’autre monde ?… Tout en elles estzéphyr, vapeur, mousseline, gaze…

– On ne peut cependant point sortir enpalatine, observa gravement le prince Pierre.

– On ne peut cependant éviter unrefroidissement lorsque l’on sort en robe de gaze, Excellence.

– Ainsi, vous croyez que c’est unrefroidissement, docteur ?

– Sans aucun doute, Excellence.

– Mais elle soupire si tristement ! elleest devenue capricieuse au delà de toute compréhension… elle nepeut même me supporter près d’elle !

– Tout cela provient du refroidissement,Excellence.

Ce bon docteur était prêt à jurer sur lemortier d’Esculape qu’il n’y avait là qu’un refroidissement.

VII – La résolution.

Les jours heureux s’écoulent rapides et doux.Les joies passées et les espérances futures se confondent dans lemoment présent comme les baisers qu’échangent sur le seuil deuxamis qui se revoient. Hier, aujourd’hui, demain n’existent pointpour les amants ; le temps se transforme pour eux en unerêverie magique, dans laquelle un fil aérien et fantastiques’enroule d’un nœud indissoluble au fil de leur existence, et où lecœur, en chacun de ses battements, compte ses jouissances ;mais, que dis-je ! non, les jouissances ne se comptentpoint ; la misère et le chagrin ont seuls inventé lecalcul.

Pravdine aimait pour la première fois ;l’amour de Pravdine était novice. L’amour virginal n’est-il pastimide jusqu’à la simplicité, respectueux jusqu’àl’adoration ? Mais l’amoureux ne reste pas longtemps àparcourir tous les degrés qui mènent à la passion. Enfant par lesdiscours, les fantaisies, les curiosités, ses désirs grandissent,non par année, mais par heure, jusqu’à la virilité, puisant leurforce dans la réciprocité.

Pauvre chercheur ! il rêve aux moyens degagner une parole affable, un regard affectueux, une insignifiantecaresse.

– Cela me rendrait si heureux ! se dit-ilen regardant autour de lui si nul n’a pu l’entendre, et tremblantde la hardiesse de son imagination, avec laquelle, après avoir faitconnaissance, il finit par s’habituer.

Bientôt elle le domine entièrement, et ildevient aussi orgueilleux d’avoir ravi un premier baiser queProméthée lorsqu’il déroba le feu du ciel. Sa joie, bouillonnantcomme un flacon de champagne (je suis convaincu que le bonheur estune sorte de gaz que les chimistes analyseront quelque jour),déborde son cœur, et, une fois évaporée, comme la nature, en dépitde Pascal, s’oppose au vide, de nouveaux et ardents désirss’introduisent à la place des anciens. L’habitude gâte le jeunefou ; la concession d’hier est un droit pour demain !Selon moi, le cœur ressemble fort au cabinet de Westminster, quisait tout obtenir par ses importunités et ses trafics, puis metdehors ceux qui l’ont servi.

– Si tu m’aimes ! dit l’amant avec detendres caresses ; encore cela, cela seulement, et je seraiheureux comme un dieu.

Mais le dieu en question est un dieu païen,l’ambroisie ne suffit pas à son appétit. Il est prêt à setransformer d’aigle en cygne, du cygne en taureau. Chaque jour, ildevient plus hardi ; chaque jour, il brise une des épines quiprotègent la rose, et la rose se flétrit sous le souffle brûlant dela passion ! Voulez-vous savoir de quel mot je définis toutesles passions, et principalement l’amour ? Par le motcuriosité !

Nous n’avons pas plutôt connu, éprouvé,subjugué, que notre savoir, notre épreuve, notre conquête, nousennuient, et que nous éprouvons le besoin de chercher autre chose,de trouver mieux, de conquérir davantage.

Encore, encore, plus loin etdavantage, telles sont les limites de la pensée humaine ;limites situées au delà de la voie lactée, à l’ombre dutombeau.

Il n’est pas donné à chacun de couper lechemin aux puissantes passions, qui, semblables aux comètes, sonttraversées de nombreux systèmes solaires. Il n’arrive point àchacun d’être amoureux, poète, ambitieux, avide de gain, et de secoucher dans le cercueil avec les mêmes hochets qui ont amusé sonenfance.

Beaucoup qui avaient parcouru la même route,depuis la naissance de leur âme jusqu’à la mort de leur corps, sesont, à un moment donné, enfoncés profondément dans l’ornière.Ainsi Napoléon est tombé au carrefour du chemin de la puissance,dont la première étape fut le siège de Toulon, et la dernière l’îlede Sainte-Hélène. Géant lancé par le volcan révolutionnaire, ilrendit ses restes au roc volcanique fait de lave coagulée,majestueux et imposant mausolée, plus grand qu’aucun de ceux qu’onlui a dressés dans le passé ou qu’on lui dressera dansl’avenir !…

Les amants sont presque aussi insatiables queles conquérants, avec lesquels ils ont bien quelque ressemblance.Après la première lettre, leur passage des Alpes, ils soupirentdéjà après les lauriers d’Iéna et de Marengo… Ils oublient que cemême Napoléon a eu Moscou, où il a failli brûler ; laBérésina, où il a été bien près d’enfoncer. L’ardeur du sang n’estpas fort soumise au docteur en philosophie M. le Bon Sens, etles discours du cœur commencent ordinairement par le chasteplatonisme. Le platonisme ressemble à ces montagnes de glace où,une fois l’impulsion donnée, il n’y a plus moyen de seretenir ; ou encore à ces bourrelets que l’on met au front desenfants afin qu’ils ne se fassent point de mal en tombant.

Oui, cher lecteurs, oui, belles lectrices,nommez-moi comme vous voudrez, mais je ne puis m’empêcher d’avoirun méchant sourire lorsque j’entends une jeune femme ou un jeunehomme raisonner sur le désintéressement d’une affection platonique,délicieuse et pure comme les fleurs de deux sexes réunies dans unmême vase. J’ai tout à fait le même sourire lorsque j’entends unjoueur parler de son honneur, un juge moscovite dedésintéressement, un diplomate du droit des gens. Ce seraitpourtant un péché de dire que le platonisme soit une machination dupodimennik [5]érotique ; au contraire, c’est plutôt un fossé creusé avecintention à la frontière, et d’autant plus dangereux, qu’on y tombefaute d’être prévenu.

Voilà pourquoi j’aurais volontiers murmuré àl’oreille de certaine dame : « Ne croyez pas auplatonisme ni aux autres bons sentiments de la jeunesse, ne vousfiez point à votre jugement ! Le platonisme, comme Cagliostro,vous ensorcellera ; il escamotera votre cœur en un clind’œil ; il vous posera sous la tête un oreiller bourré desophismes ; il vous bercera par d’harmonieux chants, et vousvous endormirez comme sous la puissance du pavot. Mais aussi, vousvous réveillerez avec la soif de l’asphyxie, avec votre bonnetchiffonné, et peut-être avec de tardifs regrets. En outre… maisn’avez-vous donc point remarqué que je plaisante, que j’aiseulement voulu vous effrayer ? » Et de grâce, messieurs,serait-ce à moi, constant adorateur de ce joli chapon d’unmonde si moral, à lever la main sur lui ? serait-ce à moi àécrire contre lui lorsque, en toute occasion, à voix haute etbasse, j’ai constamment parlé en sa faveur, que j’ai écrit seslouanges en vers et en prose ?

– Allons, revenez à l’action, à l’action, medirez-vous.

La parole n’est donc point une action ?La faculté de droit prétend qu’entre ces deux choses il y a uneénorme différence ; la loi agit positivement, mais nouscomparons relativement. Il est certain que l’homme dit rarement cequ’il pense, et plus rarement encore accomplit ce qu’il dit ;de sorte qu’on ne peut ni l’accuser ni le louer, s’il promet ous’il menace ; mais cela se rapporte à l’avenir ; lepassé, au contraire, n’existe qu’en paroles, un mot peut leconfondre ou le justifier.

Ce long récit a pour but de prouver à meschers lecteurs que mes paroles sont des faits, que mes allusionssont entrées non dans le sourcil, mais droit dans l’œil de madamePersonne, appelée mistress Nobody dansla bouffonnerie anglaise ; j’ajouterai que le caractèregénéral de tous les amoureux est semblable au caractère particulierde Pravdine : ainsi ce qui a été pour les autres, ade même été pour lui.

Oui, Pravdine était affectueusement, mêmepassionnément aimé ; mais lui-même aimait sans raison et sansfrein. Pravdine était un animal sauvage que le lien féminin nesavait pas toujours dompter.

Dans un même moment, il se plaignait de lafroideur et du trop de vivacité de Flora. En brisant un bracelet,il jurait de ne point envier le paradis, et, une heure après, ilaffirmait qu’il n’y avait pas un mortel plus infortuné quelui ; pourquoi ? Parce que, après le bracelet, ses lèvresavaient envie de la ceinture ; après la ceinture, ducollier ; après le collier, ce qui était dessous. Laséparation prochaine était une excuse à ses violences, ses extases,ses colères et ses oublis.

Il était flatteur, mais effrayant d’être ainsiaimée. Flora avait de rudes combats à soutenir contre son proprecœur et contre la fougueuse nature de Pravdine. Elle résistaitcomme la poudre qui, mouillée par la rosée du ciel, résiste aufusil ; cent coups sont tirés en vain, mais chacun d’eux sècheun des grains de la poudre, et le moment est proche où elles’enflammera.

Flora avait passé une moitié de sa jeunesse aumilieu des champs, et l’autre dans la capitale. Les jeunes fillesjouissent à Moscou d’une liberté beaucoup plus grande qu’àSaint-Pétersbourg, et, là où il y a liberté, il y a plus denaturel. C’est pourquoi les jeunes filles de Moscou m’offrent plusd’intérêt que les dames du bord de la Néva. Chez les premières,vous rencontrez souvent une charmante simplicité ; chez lessecondes, plus de sagacité ; chez les premières, beaucoup decharme ; chez les secondes, le savoir-faire que donne la couret le goût, plus enfant de l’habitude que du sentiment. En un mot,à Moscou, c’est l’harmonie ; à Saint-Pétersbourg, c’est leton. À Moscou, on lit et l’on cultive beaucoup les languesétrangères. À Saint-Pétersbourg, on n’a point de temps pour lascience, et la langue française est la seule qui domine. On ne sesert de l’italien que pour le chant ; on ne parle de Byron quepar ouï-dire, et l’on craint de se désarticuler la mâchoire enapprenant la langue de Schiller.

En outre, il y a à Saint-Pétersbourg un sigrand nombre de régiments de la garde, tant de diplomates, tantd’employés de tous grades, tant de parades, de promenades, despectacles, de visites, de réceptions, que, la journée fût-elle dequarante-huit heures, on ne trouverait pas un moment à endistraire. À part cela, il règne encore à Moscou un certain parfumde la Russie ; sans offrir un grand caractère, cette ville anéanmoins son côté original, ses croyances, ses miracles, sescoutumes ; on y retrouve de l’ancien.

À Saint-Pétersbourg, tout est neuf, tout est àl’enchère. Ce n’est ni le monde ni l’accent russes. Sur les placesse coudoient toutes les nations. Dans les carrefours, lessignori vendent des parapluies ; et le long des quaisflânent les Anglais, les mains dans les poches et legoddam aux lèvres ; sur les perrons piétinent lesFrançais, et au rez-de-chaussée s’agitent les Allemands. Lekalatch [6] russe y estétranger ; la barbe patriarcale se faufile le long du mur,fort heureuse si elle n’est point heurtée par une sentinelle ouécrasée par le timon de la voiture de quelque ambassadeur, sehâtent d’exécuter de toute la force de son haleine unenote diplomatique. Il n’y a point une maison où, en semettant à table, tout le monde fasse le même signe de croix.

Quant aux cercles plus élevés, là, depuis lechien jusqu’à la maîtresse de la maison, depuis la dalle dutrottoir jusqu’aux vases étrusques, rien n’est russe, ni dans leparler ni dans l’accueil. Nos dames discutent avec une admirablegravité sur les mérites du vaudeville nouveau et sur la toilettequ’avait la maîtresse de R… au dernier raout de Londres ;elles reçoivent un avis télégraphique sur l’arrivée des huîtresfraîches ; et demandez-leur de quoi vit le gouvernement deVologda, elles vous répondront en français : « Je nesaurais vous le dire au juste, monsieur ; je n’ai point depropriété dans ce gouvernement. »

Du reste, il est une chose que nos deuxcapitales possèdent au même degré : la médiocrité etl’égoïsme ! Personne ne s’inquiète de ce que pensera levulgaire ; une seule chose inquiète : « Qu’en dirala princesse Marie-Alexievna ? » En toutes choses, lapersonnalité, la partialité, le calcul. Aucune générosité, aucunegrandeur.

La princesse Flora avait grandi, nourrie de cemême lait d’amandes ; mais elle eut la chance d’être bien etsagement entourée, et d’avoir l’esprit de l’apprécier.

La lecture des poètes lui révéla un mondeenchanteur, pour lequel elle s’enthousiasma ; mais cefanatisme offrait un danger, le danger des rêveries idéales.

Il est des oiseaux qu’il est plus avantageuxde tirer au vol que sur place ; Flora était au nombre despremiers.

Incapable de la fragilité étourdie, lancée aumilieu du tourbillon d’un monde où elle venait de faire sonapparition, elle s’y montrait fière et indifférente, bien qu’ellene ressentît aucun amour pour l’homme bon, mais froid et nul,auquel une tante et le sort l’avaient attachée comme un prisonnierà sa chaîne. Pour la captiver, il fallait d’abord fixer sonattention par quelque chose d’extraordinaire, exciter sa curiositéet son intérêt.

De là à l’amour, il n’y avait pas loin, carson cœur avait soif d’amour.

C’est ce qui arriva.

Rencontrant un homme franc, ardent, neuf, dontle caractère ressortait si beau du cadre où s’agitait la société,elle fut vaincue, surtout parce que, ne prévoyant point une attaquede ce côté, elle avait encore moins prévue la chute.

Pourtant, elle sentit bientôt qu’elle aimait,et ses lettres à son amie devinrent moins franches et mieuxécrites. Elle y parla de toutes choses, sauf de son cœur ; detoutes personnes, à l’exception de Pravdine. En effet, une femmemariée pouvait-elle faire d’une jeune fille, d’une fiancée, laconfidente d’un secret qu’elle-même eût encore voulu ignorer ?Par la solitude, par le manque d’expansion, la passion devait avoirplus de prise sur Flora.

Entraînée rapidement dans une route inconnue,elle sut néanmoins s’arrêter vaillamment ; elle sentait que,pour son repos, sinon pour son bonheur, à cette maxime dumonde : « Sauvez les apparences, » il était indispensabled’ajouter : « Sauvez la conscience ; » et,forte, de sa résolution, au lieu de ramener sa barque au rivage,elle exposa hardiment sa robe de gaze au souffle impétueux de lapassion, et les vagues irritées venaient se briser au fragile flancde sa nacelle, ou, repoussée au loin, s’avançaient de nouveau engrondant.

Ainsi s’écoula un mois.

Pour l’amour, un mois est un siècle defermentation ; les pensées, les désirs, les exigences errent,changent, se combattent les uns les autres.

La virginité du cœur et les forces juvénilesde Pravdine s’étaient maintenues dans son vaisseau, comme dans uneglacière. Mais parfois elles s’agitaient impétueusement, surtoutlorsque la philosophie mondaine, sous l’uniforme de Granitzine, lesmettait en ébullition par ses acides.

– Tu me parais avoir été élevé dans le ventred’une baleine, disait Granitzine en dégrafant le collet de sonuniforme. Au lieu de répéter à ta princesse Flora l’air Ditanti palpiti, tu ferais mieux de lui affirmer que Unavoce poco fa. La patience est une admirable vertu chez lesdromadaires ; mais les dromadaires, mon cher, ne sont utilesque dans les steppes, et non sur les parquets. Il est vrai quenombre de ceintures sont fermées par les nœuds de l’orgueil ;mais alors, tranche-les par le milieu, si tu ne veux point qu’unautre les déchire à ton nez. En vérité, il serait honteux que cetteblanche colombe moscovite se jouât de toi, et, qui sait !peut-être se rit-elle de ta simplicité et se dépite-t-elle de tatimidité.

Ces plaisanteries, mêlées de champagne,entraient droit dans le cœur de Pravdine, tantôt flattant, tantôtaiguillonnant sa passion.

– Non, pensait-il, voilà assez de minauderies.Aujourd’hui ou jamais !

Et le lendemain, le surlendemain s’écoulaientde la même façon. Les lettres de feu, les scènes violentes, lesreproches, les menaces, les colères, tout était vain. Flora restaitinflexible.

Pravdine prit une résolution. L’amour est rusépour motiver les entrevues. Pravdine voyait plusieurs fois par jourla princesse, et cela par des motifs fort naturels en apparence. Onétait au milieu de la journée lorsque Pravdine arriva à la maisonde campagne de la princesse.

– Que signifie cela, capitaine ? demandaFlora. Vous êtes dans le plus strict uniforme.

L’amour a la passion de l’exclusif ;l’idée de la pluralité ou du partage lui est antipathique. C’estpourquoi les amoureux passent si subitement du pronom vousau pronom tu. La première phrase de l’accueil appartienttoujours aux lois de la société ; mais, aussitôt après,l’amour reprend ses habitudes [7].

– Princesse, répondit Pravdine en baisantfroidement la main de la jeune femme, je suis venu pour faire mesadieux pour longtemps, peut-être pour toujours.

– Vous plaisantez, capitaine !… Tu veuxm’effrayer, Élie ; pourquoi cela ? Ne m’as-tu pas affirméplus de mille fois, mon ami, que tu ne partirais que vers leprintemps et que tu reviendrais dans la même saison ?

– J’arrive de chez le commandant d’état-major.En apprenant que ma frégate était prête, il a été assez bon pour melaisser choisir, entre deux missions, celle que je préférais :ou d’aller dans la Méditerranée, ce qui serait pour peu de temps,car la paix avec les Turcs est sur le point de se conclure, ou biende partir en croisière vers l’Amérique pour quatre ans, en partiepour explorer la côte, en partie pour protéger nos bateaux pêcheursdans la Perse indienne et les îles Aléoutiennes. J’ai accepté cettedernière proposition.

– Non ! tu ne feras, tu n’oseras pointfaire cela ! Et c’est ainsi que tu décides sans meconsulter ? Suis-je donc devenue étrangère à ton cœur ?s’écria fougueusement la princesse. J’aurais encore pu me soumettreà l’idée qu’un ordre irrécusable t’envoyât pour longtemps loin demoi ; mais que, de ta propre volonté, tu m’abandonnes pourquatre ans ; non cela ne peut être, cela ne serajamais !

– Ne dites point jamais, princesse,car ce mot n’a de poids que sur les lèvres du Destin. Vousprétendez que je pars d’ici par ma propre volonté ; est-ce àvous dire cela, à vous dont un regard suffit à m’enchaîner, à vouspour qui j’eusse sacrifié les devoirs du service et les promessesde la gloire, à vous pour qui j’eusse avec joie sacrifié mavie ! Pour qui, si ce n’est pour toi, serais-je prêt à donnermon âme ? serais-je prêt, pour un peu d’amour, à perdre monparadis, et, pour un instant de bonheur, mon éternité ! Maisvous, princesse, vous êtes incapable de vous laisser emporter aussiloin ; vous avez aimé avec mesure, et avez pris congé de votreamour lorsqu’il est arrivé à la limite qui fait d’une joie undanger. Vous avez pensé à ne point chiffonner vos rubans de gazelorsque mon cœur se déchirait, lorsque j’étais mourant à vospieds !

– Homme injuste et cruel ! t’ai-jeméconnu, n’ai-je point partagé ton amour ? Mais je nepartagerai pas ta folie ! Je t’ai donné la pureté de mon âmeet le repos de ma conscience ; quant à mon honneur, je ne tele donnerai pas ; car il appartient à un autre.

– Combien vous êtes habile en théologie et enscience héraldique, princesse ! Vous savez, à une once près,ce que pèse un baiser dans la balance du ciel, et la grandeur del’ombre qu’il projette sur un blason. Je vous avoue que je n’aijamais bien compris les degrés de l’amour par Réaumur. J’ai mis del’orgueil à aimer sans mesure, à me donner tout entier ; c’estainsi que j’aime, c’est ainsi que j’aurais souhaiter d’êtreaimé ; mais pas autrement. Vous me verriez perdre la raison,que vous ne voudriez point vous départir de vos sotspréjugés !… Vous souvient-il d’une lettre où je vousécrivais : « Ne lisez pas plus loin, ou accomplissez cequi est écrit plus loin ?… » Pourquoi aviez-vous violécette demande et repoussé la prière ? Pourtant, ne croyez pas,princesse, que je compte pour rien vos caresses, votre esprit,votre mérite ! Oh ! personne au monde ne sauraitapprécier mieux que je ne le fais vos charmes et votrecondescendance à mon égard. Mais l’amour se nourrit de victimes, seprouve par des sacrifices ; tout ou rien est sadevise, et je suis torturé par votre demi-dureté, humilié par vosdemi-faveurs.

– Mon Dieu ! comment ai-je pu aimer unhomme aussi impitoyable ?

– Aimer !… Cessons cette conversation,princesse. Je vous concède la palme de l’affection ; je prendssur moi toutes les fautes. Je suis un cœur endurci, je suis tout cequ’il vous plaira de dire. Soyez heureuse, princesse ; lespersonnes de votre caractère sont faites pour le bonheur brillant.Elles sont enchantées lorsqu’elles sentent dans leur cœurs’épanouir quelques fleurs, bien que ce soient des fleursmalingres, écloses sous la neige. Encore une fois, soyez heureuse,jouissez de l’amour, « sous la garantie dugouvernement ; » recevez avec reconnaissance le flot destendresses de votre époux, que vous devrez à une bouteille debourgogne ou à un pâté du Périgord.

Des larmes furent la seule réponse de Flora àces humiliants sarcasmes.

– Les larmes sont la rosée, princesse ;le soleil va paraître en indiquant l’heure de la promenade, etelles sécheront.

– Elles sécheront bientôt, mais ce sera par ledésespoir !

Le désespoir !… C’est une nouvelleexpression du dictionnaire de la mode !… N’y a-t-il point unebague ou un bracelet de ce nom ? car il y a bien, n’est-cepas, des soupirs, des repentirs et des souvenirs offerts auxamateurs chez les orfèvres ? Le désespoir !…

La princesse leva sur Pravdine ses yeuxbaignés de larmes, et, avec une expression de reproche :

– Celui qui connaît si mal le passé a tort dese poser en prophète, dit-elle. Soyez fier de votre dureté,capitaine ; vantez-vous de votre exploit ; riez du pauvrecœur que vous avez brisé. Oui, vous me tuez parce que je n’aiapporté que de chastes fruits sur l’autel de l’amour !… Soyezfratricide par reconnaissance de ce que je vous ai aimé comme unfrère.

– Comme un frère, dites-vous ? Mais leschagrins fraternels n’exigent-ils point aussi la séparation ?Du reste, je ne suis pas venu pour compter avec vous, princesse, nipour vous faire des reproches, ni pour vous adresser desprières ; je n’attends qu’un salut d’adieu… pas un demi-mot,pas un demi-regard au delà.

On représente le serpent éternel se rongeantla queue. C’est ainsi que j’eusse personnifié la colère, qui senourrit d’elle-même et dont les extrémités se joignent.

Pravdine s’était laissé entraîner par lemécontentement hors des bornes de toute justice. Plus la colère estcalme, froide d’aspect, plus elle ronge le cœur.

Pravdine s’aperçut enfin de la force du coupdont il avait frappé Flora. Elle était pâle comme la neige, deslarmes mouillaient encore ses joues, mais elle ne pleuraitplus ; elle n’avait pas un sanglot. Sa main gauche, crispée,était posée sur ses genoux, tandis que la droite s’appuyait sur sonsein, comme pour comprimer sa respiration haletante ; sesyeux, ses lèvres semblaient adresser un reproche au Ciel.

Oh ! pervers est celui qui fait répandreà sa bien-aimée des larmes amères, qui inspire à ses lèvres lemurmure contre la Providence ; mais celui qui peut contemplerce spectacle avec ironie ou indifférence, celui-là est unmonstre.

Pravdine tomba aux genoux de Flora, pleuracomme un enfant, mêlant à ses larmes des paroles d’un profondrepentir.

– Flora, pardonne-moi, disait-il serrant lesgenoux et baisant les pieds de la jeune femme. Mon ange innocent,je t’ai offensée sans savoir ce que je faisais et ce que jedisais ! je suis fou, mais mon cœur est bon ; il n’a étépour rien dans tout cela ; le cœur peut-il être mauvaislorsqu’il est rempli d’amour, et d’amour pour toi ? L’ardeurseule de mon sang est cause de ma folie. Je voudrais racheterchacune de tes larmes au prix de mon existence, au prix de monbonheur. Mais que dis-je, le bonheur ! il n’y en a plus pourmoi. Nos deux cœurs étaient éclos sur la même branche ; ilsauraient dû fleurir ensemble ; mais le destin les a cueilliset les a séparés ! Que l’Océan roule entre nous ; qu’ilfasse mugir ses vagues furieuses, il n’éteindra point monamour ; mais il faut que toi, le trésor de mon âme, tu sois àl’abri de cet incendie. Je vais partir ; ne dis pas non, monange ; je ne puis, je ne dois pas rester. Ce départ estindispensable à ton salut et au mien, à ma raison et à ton honneur.Adieu !… Oh ! combien est dure la séparation !… Ilserait moins pénible de séparer son âme de son corps que de séparerson âme d’une autre âme. Et je vivrai loin de toi ; et jen’aurai point, le soir, l’espérance de te voir le lendemain !Je ne verrai plus ton doux regard, je n’entendrai plus ton cœurbattre contre le mien ; je ne sentirai plus tes baisers :je serai seul ; et, dans cette affreuse solitude, penser quetu appartiens à un autre ! Dis-moi quel chagrin pourraitdominer celui-là, si ce n’est celui de te voir de mes yeux dans lesbras de cet autre ? Adieu, adieu ! mon lot est de te fuirtoujours et de t’aimer sans espoir. Âme de mon âme, tu as été laseule joie de ma vie, tu resteras mon unique chagrin, ma seulevision. Tu seras la dernière pensée de mon cœur. Oh ! je t’aiaimée, Flora ; je t’aime. Jette-moi encore un de tes regardsd’autrefois, ma chérie, et je pars.

Ce rapide changement de reproche en tendresse,de colère en tristesse, stupéfia la princesse. En ébranlant sonâme, les plaintes de son amant la firent fléchir. Ses larmes lasubjuguèrent. Le regard de Flora brilla d’un éclat inusité ;son ravissant visage parut s’animer sous l’expression d’unsentiment d’abnégation.

– Va, si tu le veux, jusqu’au bout du monde,dit-elle d’une voix qui résonna aussi harmonieusement à l’oreillede Pravdine que la voix qui annonce sa grâce au coupable condamné àmort. Tu veux partir, Élie, ajouta-t-elle en posant ses lèvres surle front du jeune homme ; mais tu ne partiras pointseul ; je t’accompagnerai, car, à compter de cette heure, nousn’avons qu’une même route, qu’une même destinée. Je te sacrifietout, je suis prête à tout supporter pour toi, afin que tu puissesun jour, couché dans ton cercueil, te dire : « Flora m’aaimé ! » Ne me demande point par quel moyen je vaisempêcher notre séparation : l’amour me l’apprendra. Je n’exigequ’une chose ; accepte ta mission pour la Méditerranée et nonpour l’Amérique.

Ceci se passait le 17 août de l’année 1829, àune heure précise de l’après-midi. C’est ainsi, du moins, que celafut marqué, au crayon rouge, sur un des feuillets du mémorandum dePravdine.

VIII – En mer.

Dix jours après la date inscrite en lettresrouges que nous avons mentionnée, une ravissante frégate levaitl’ancre, et, par le côté sud de la rade de Cronstadt, s’élançait enpleine mer. À la poupe se dessinait un groupe de troispersonnages : c’était un officier supérieur de la marine,auprès duquel se tenait un homme de petite taille, avec desépaulettes de général, et une ravissante jeune femme.

Cette frégate avait noml’Espérance.

Les trois personnes étaient : lecapitaine Pravdine, le prince Pierre [nom illisible] et safemme.

La promesse de la princesse Flora étaitréalisée. Comment ne serait-elle pas réalisée ? Du momentqu’une femme veut résolument une chose, pour elle il n’est pointd’impossibilité.

Le prince Pierre parlait depuis longtemps devoyager dans le but de raffermir sa santé. La volonté de sa femmel’avait décidé, et, de plus, lui avait donné la ferme convictionque les huîtres de l’Adriatique et le macaroni de Naples luiétaient indispensables. Il va sans dire qu’à cela il ajoutaitquelques exclamations sur les pures jouissances de respirer l’airde l’Ausonie, de se promener au Colisée, de jeter quelquesgrivenniks [8] russes auxlazzaroni du môle, de se sentir, après le dessert, bercé sur laBrenta, et de s’endormir aux chants des gondoliers !

Le prince Pierre n’aurait jamais, sanssignature, distingué un Caravaggio d’un Paul Potter ; mais,voulant, comme on dit, être à la hauteur du siècle, il parcouraitparfois courageusement l’Encyclopédie et raisonnaitsuperficiellement, bien que jamais à propos, sur les arts, lesmachines à vapeur, les morilles et la politique.

Dès que le prince Pierre eut conçu son projetde voyage, il fit sa demande afin de pouvoir le mettre àexécution ; non seulement il n’essuya point de refus, mais onlui confia plusieurs missions et on lui permit d’aller jusqu’enAngleterre sur la frégate l’Espérance.

Tout cela s’était fait si rapidement, que leprince Pierre en était à se demander d’où pouvait lui venir une sibrusque passion pour la mer.

Néanmoins, il est présumable que lespréparatifs du prince auraient duré jusqu’à l’hiver, car tantôt ilmanquait du bouillon de gibier, ou des gelinottes, ou de vraispiccalilli, tantôt on ne pouvait trouver les boîtes de fer-blancnécessaires à toutes ces provisions de bouche. La princesse, aucontraire, ne fut pas longue à ses préparatifs ; elle n’avaità emballer que son cœur, et, comme toute femme amoureuse, ellepouvait dire : Omnia mecum porto, je porte tout avecmoi !

– Je suis prête, mon ami, dit-elle un matin,de sa voix la plus caressante, à son époux, qui paraissait plongédans de profondes préoccupations. La frégate ne nous attendrapoint ; demain, sans faute, il faut que nous y soyons.

Ce laconisme ne plut pas infiniment au princePierre, qui commençait déjà à réfléchir que, malgré l’agréablesaveur du poisson de mer, c’était l’acheter un peu cher que d’allerle pêcher soi-même au fond de la Méditerranée ; mais,apprenant que la princesse avait formellement annoncé à soncuisinier et à son valet de chambre que, si tous les préparatifsn’étaient point terminés le jour même, ils seraient chassés lelendemain, le prince avala le mais prêt à sortir de sabouche, et le voici, bon gré, mal gré, voyageur sur mer. Pendantqu’on levait l’ancre, que les voiles se gonflaient à la brise,pendant que la frégate se balançait impatiente, le cœur de Florapalpitait sous cette question du doute :

– Est-il donc vrai que nous allions demeurersur cette frégate ?

Et ses yeux se fixaient tantôt vers le rivage,tantôt sur son mari, dont les regards paraissaient regretter laterre ferme. Mais aussi, lorsque la frégate prit le large et saluala forteresse de Cronstadt, cet émouvant adieu à la Russie prouva àFlora que tout retour au rivage était impossible, et qu’elle allaitêtre pour longtemps près de Pravdine ; son regardbrilla ; elle contempla la mer, dont l’immensité se déployaitde plus en plus devant elle ; puis ses yeux s’arrêtèrent surson bien-aimé, semblant lui dire : « Devant nous une mer,une mer de félicité ! » Pas une pensée de tristesse ou defrayeur ne s’éleva entre elle et Pravdine ; le sentiment dubonheur l’envahit sans limites.

Quant à Pravdine, il était violemment ému, etle bonheur n’en était pas la seule cause. Quel est l’homme qui,même ayant à son côté celle qu’il aime, peut quitter sa patrie sansun soupir, un dernier regard ; sans que son cœur se serre souscette question de l’avenir : « Quand et comment tereverrai-je ? » sans sentir sous sa paupière une larmelui voiler l’horizon bleu ?

Pravdine regarda tristement le rivage qu’ilabandonnait, puis prêta l’oreille avec une sorte d’inquiètecuriosité aux coups de canon qui s’échangeaient entre la frégate etCronstadt. Par intervalles grondaient les unes après les autres lesarmes redoutables ; vous eussiez dit la voix du Destin àlaquelle le ciel répondait… Pravdine les écoutait comme unhoroscope en langue inconnue et dont le sens est indéchiffrable àla compréhension humaine. Enfin, le septième et dernier coupretentit, puis le son s’effaça par degrés. Alors un noir nuage defumée, vomi par les lèvres de bronze, s’éleva devant le regard dePravdine. Les terribles sons semblaient s’être transformés enhiéroglyphes de feu, comme dans le festin de Balthazar !… Puisles hiéroglyphes se dispersèrent sous la brise en dessins, enfigures étranges, et le soleil brilla joyeusement, et de mêmecontinuèrent à rouler les vagues éternelles…

Pravdine se sentait au cœur une indéfinissabletristesse.

– Ne sommes-nous pas nous-mêmes un son, unétrange hiéroglyphe, une fugitive image de fumée, dans l’éternitédu monde ? pensa-t-il.

Puis ses yeux s’arrêtèrent sur Flora, etaussitôt la patrie avec ses souvenirs, la mer avec ses vagues, leciel et son soleil, l’avenir et ses frayeurs, tout cela, tout, sansexception, s’enfuit de l’esprit de Pravdine ; il ne vit plusqu’elle, ne se sentit vivre que pour elle, n’éprouva que jouissanceet amour !…

Il est trois choses que je puis contempler desheures entières sans m’apercevoir de la fuite du temps ; troischoses incomparables pour moi : ce sont les yeux aimés, leciel de Dieu, la mer azurée. Est-il grand, le globe de l’œil[9] ? Non, et cependant il contienttrois mondes, le sentiment, la pensée et la lumière. L’œil, commela pomme du bien et du mal, renferme les semences de la vie et dela mort. Il est doux d’observer, dans le regard aimé, la lumière etl’ombre, c’est-à-dire le sentiment et la pensée ; de remarquerla contraction et la dilatation de la prunelle dans laquelle, commesur le bouclier d’Achille, on voit se refléter toute lanature ; de suivre, de prévoir, de saisir les étincelles de lapassion, de percer le nuage de la tristesse, et de lire dans lesprofondeurs de l’âme les sympathies et les antipathies ; desurveiller l’action que produit le monde sur la personne aimée, etl’influence qu’elle-même y exerce.

Mais l’œil de chaque homme est aussi une chosecurieuse à analyser : il contient toujours un romanmerveilleux quoique inédit ; chacun de ses regards est unchapitre du genre de Gil Blas, de Don Quichotteou de Rob-Roy. Ainsi qu’en l’espace de deux heures nousvivons parfois en songe des années entières, de même, sous unmouvement de la paupière peut passer, en un quart de seconde, toutun siècle d’idées, renfermant le désir du gain avec toutes sesbassesses, les remords de la conscience, la frayeur des lois, lacrainte de l’opinion, et enfin le triomphe du bon principe quiefface jusqu’au souvenir de la tache noire sur laquelle il vient depasser.

Ou bien, au contraire, une pensée pure commeune larme éclaire le regard : aider l’infortune, tirer un amide la peine, sacrifier tout au devoir et à la vérité. Puis à cettepensée succède celle du doute : « Est-ce vrai ? Celaest-il vraiment son droit ? » Et alors vient laréticence : « Il sera encore temps demain ; on peutsacrifier un peu moins, un peu moins encore ; » et enfinarrive le conseil de l’égoïsme, qui dit : « Il y a desgens plus riches et plus puissants que toi, pourquoi te mettre enavant ? »

Et à tout cela succède la finale ordinaire dela plus impitoyable avarice :

Vous chantiez, j’en suis fort aise ; Ehbien, dansez maintenant.

Quel rapide échange de projets, d’inventions,de ruses, de faits ! combien d’odieuses préméditations qui nedoivent jamais s’accomplir ! que de paroles qui ne serontjamais prononcées ! que de divines idées qui tomberont ànéant !

Et tout cela, ainsi que je viens de le dire,contenu dans un seul mouvement, un seul regard, même un seulscintillement de la prunelle ! Oh ! que celui qui désiredéchiffrer la grammaire chinoise de l’âme humaine, qui souhaite lavoir à nu, que celui-là apprenne à observer les yeux ! Maisqu’il sache aussi qu’il entreprend un travail de fossoyeur ;que, chaque jour, il enfouira dans la poussière une de sesflatteuses illusions, une de ses bonnes opinions surl’humanité ; qu’il enterrera graduellement son intérêt pourelle, et enfin son propre cœur… Il brisera sa bêche et s’enfuiradans un bois, loin de ce cimetière que l’on appelle vulgairement lemonde ! Il ira là-bas mourir seul, abandonner son corps auxbêtes sauvages, aux oiseaux, aux vents, afin de ne point divertirpar sa mort ses affectueux frères les hommes !

Est-il possible qu’il en soit ainsi de toutel’humanité ? Dieu nous garde non seulement de le croire, maisencore de le penser !

Notre race a des vagues impétueuses ettroubles ; mais ces vagues contiennent aussi des gouttespures, claires, de la blanche écume, et des perles sortiesbrillantes du fond de la mer. Que de nobles âmes j’ai connues, etcombien j’en connais encore ! Elles réconcilient l’homme avecl’humanité, comme la nature réconcilie l’humanité avec le destin.Croyez que, si tous ne font pas le bien, tous du moinsreconnaissent le bien, et cela n’est point une bagatelle.

J’aime à contempler l’immensité du ciel ;c’est la vraie harmonie des yeux. Libres et heureux, les aigles yplanent, les hirondelles se précipitent dans cet éternel printemps,les mouches imperceptibles y bourdonnent et les éphémères papillonsy voltigent ! Là se réunissent les vapeurs qui engendrent lafoudre, là se promènent les nuages, là se joue l’arc-en-ciel, làvivent les étoiles et le soleil qui nous fait vivre !

Paisibles splendeurs ! vous ignorez nostempêtes et nos agitations ! Le soleil ne pâlit point devantla perversité terrestre, les étoiles ne rougissent point à la vuedes rivières de sang qui coulent sur notre globe. Non, tous vousaccomplissez impassiblement votre invariable route.

À la vue de la voûte céleste, ma poitrinesemble s’élargir, grandir, embrasser l’espace.

Le soleil, comme reflété par un télescope surle miroir de mon âme, réchauffe mon sang ; une surabondance devie bouillonne en mon cœur, et dans mon esprit s’accomplitl’éternité ! Je ne puis définir ce sentiment, mais ils’éveille en moi chaque fois que je contemple le ciel… c’est ungage de la vie éternelle, une étincelle de Dieu ! Oh ! jene cherche point alors s’il vaut mieux l’appeler Jéhovah, ou Zeus,ou Allah ! Je ne demande pas, avec les philosophesallemands : « Est-il das immerwahrende Nichts,ou bien das immerwahrende Alles ? » Mais je lesens partout, en tout, en en moi-même ; et alors tout le globeterrestre me paraît moins grand et moins précieux que la plusvulgaire pièce de monnaie. Mais la vie, semblable au serpent boa,darde sur moi son œil fascinateur, et moi, pareil à l’alouette, jeme laisse tomber du ciel dans sa gueule !

Et toi, mer, impétueuse amie de majeunesse ! avec quelle fougue je t’aimais naguère, et combienje te suis resté fidèle jusqu’à ce jour ! Dans mon enfance,j’ai joué avec l’eau jaillissante de tes vagues ; dans majeunesse, j’ai admiré du haut des mâts ton calme transparent et tesviolentes colères. Les jours que j’ai passés sur le tillac, loin del’air étouffant du stupide pédantisme des villes, ces jours-là ontété mes jours de fête.

Je me rappelle qu’une fois le lieutenant dequart me donna, en plaisantant, le porte-voix pour commander lamanœuvre ; il s’agissait de tourner, et avec quelle joieimmodérée je commandai :

– La barre à tribord, et filez le cordage dugrand foc !

Avec quelle gravité je regardais la banderole,afin de crier à temps :

– Lâchez la grande hune de bouline !

À ces paroles magiques, toutes les vergues, aubruit des poulies, changèrent de côté, et le vaisseau, comme uncoursier bouillant d’ardeur, mais soumis au frein de son cavalier,changea de direction à la voix d’un enfant de treize ans.

Ô mer, mer ! j’aurais voulu te confier mavie, te dévouer mes aptitudes ! Peut-être ma jeunesseaurait-elle sommeillé comme la mouette sur tes brisants ;anachorète dans ma cellule mouvante, les tempêtes de l’Océaneussent peut-être préservé mon âme des tempêtes du monde… Mais lesort en a décidé autrement.

Tu n’as point été à moi, admirable élément,mais je t’aime encore comme un frère absent, comme une amanteperdue ; et je ne puis contempler avec indifférence ton steppemourant ; je ne puis entendre sans tressaillir ta voix aimée,pleine de souvenirs pour moi ; j’aime, penché au-dessus de tononde, j’aime rêver à ce qui n’est plus ; je suis heureuxlorsque mon coursier, le long du rivage sablonneux, fait jaillirton écume, et je regarde les vagues effacer en un clin d’œil latrace de mon passage !

C’est mon passé et mon avenir !

Pendant que Pravdine, rêveur, contemplait lesyeux noirs de Flora, Flora, de son côté, sondait la profondeur desyeux bleus de Pravdine, admirait l’ombre qu’y projetaient les cilset les sourcils noirs, admirait les anneaux de sa brunechevelure.

Au bras l’un de l’autre, ils regardaient lesillon d’écume que creusait la poupe, sillon toujours nouveau ettoujours effacé. Les vagues, semblables à des amis, tantôt leursouriaient, tantôt les menaçaient, et, frappant en cadence lesflancs de la frégate, résonnaient, comme des vers de Pouchkine,sous les rayons du soleil ; elles se réunissaient en gerbesirisées à la lueur de la lune ; elles scintillaient en lamesd’argent, et, dans la nuit noire, c’était une écumephosphorescente ; le vaisseau alors tirait sa lumière de lamer.

Et la voûte insondable, tantôt avec sa nuitéclairée d’étoiles, tantôt avec sa tente bleue du jour, que lesoleil surmonte, ou bien encore avec son gris manteau de brume,s’élevait au-dessus des deux amants, les tenant des heures entièresimmobiles et sans voix, plongés dans la contemplation de ce tableaude l’infini : les yeux, le ciel et la mer ! La mer, lesyeux et le ciel ! un siècle ne serait pas assez long pour enrassasier notre vue !

L’amour dote notre âme de milliers defacettes, qui répercutent instantanément une foule d’objets divers,tous clairs et brillants. C’est pourquoi une des plus minimesbeautés de la nature, l’insignifiante plaisanterie qu’un officierse permettait à table, le fabuleux récit que narrait un matelottout en fumant sa pipe près de la chaudière, un livre étranger luensemble, tout cela suffisait pour offrir à nos amants maintssujets de conversation, de discussion qui donnaient essor à desmilliers d’idées nouvelles.

La vérité m’oblige à dire qu’ils avaient toutle loisir d’échanger leurs impressions. Pravdine avait cédé à sesvisiteurs toutes ses cabines, à l’exception de la plus petite et dela plus retirée. L’insouciant époux s’était fort vite habitué à lavie du bord : du reste, de quoi eût-il été mécontent ? Ilavait avec lui un excellent cuisinier, de la volaille en abondance,par conséquent, son amour d’artiste pour la Plastitik desfliessenden (l’architecture flexible), ainsi que la dépeignentles penseurs allemands, s’y livrait on ne peut mieux. Après saconférence avec son artiste culinaire, le prince employait samatinée à jouer aux échecs, dans le salon commun, avec lesenseignes du vaisseau ; pendant le dîner, il versait àStettinsky du vin de Bordeaux ; après dîner, il se reposait,et ensuite cela recommençait de la même façon.

Pendant que le prince Pierre vivait ainsi dansle salon commun, et que quelque plaisant, s’approchant parfois deson jeu, prétendait, avec un rusé sourire que la plus faibleposition était celle de la reine, le capitaine Pravdine s’étaitpris d’une passion inusitée pour ses travaux d’écriture. Il étaitconstamment occupé par des calculs astronomiques, dont le totals’élevait tout au plus à la hauteur des regards de la princesse, età la rédaction du journal de son voyage autour des deuxhémisphères.

Regardez sur la carte la distance entre leTigre et l’Euphrate, qui formait le paradis terrestre du premiercouple de nos ancêtres ; nous ne sommes plus aussi gâtésqu’eux, et nous avons dû nous habituer à des espaces plus limités.Notre Éden peut, à la rigueur, trouver place sur une seule bande deterre, entre les quatre murs d’un cabinet, dans une cabine écartée,où, pour troisième compagnon d’amour, vous aurez trente-six poudsde boulets [10]. Si vous ne me croyez point,demandez-le à Pravdine et à la princesse Flora. Pour le bonheur dePravdine et de la princesse Flora, mais au grand dépit de tousleurs compagnons, les orages et les vents contraires causèrent unretard considérable à leur navigation, en les retenant dans lesports, où il était indispensable de s’arrêter pour lerenouvellement de l’eau et des autres provisions. Ainsi tout estrelatif en ce monde. L’éclair arrive à souhait lorsqu’il indique laroute que l’on perdait. Effrayante est l’aurore lorsqu’elle faitvoir l’échafaud de la condamnation.

Pour le voyageur, l’éclair a brillé comme lalumière d’un festin ; pour le criminel, l’aurore est apparuecomme le tranchant de la hache. De même, ce qui soulevait desbâillements et des murmures sur les lèvres des marins, inspiraitaux amoureux de tendres discours et de plus tendres baisersencore.

– Ne crains rien, chérie ! disaitPravdine à Flora en l’étreignant avec passion contre son sein, enécoutant le bruit d’une vague qui venait, déchaînée, se brisercontre la frégate.

– Est-ce à moi de craindre ces vagues,répondait-elle, lorsque je sais que chacune d’elles m’apporte uneminute de plus de bonheur ? Que le chêne tremble ; quantà mon cœur, s’il tremble, ce n’est point de frayeur.

Les deux amants ne sortaient pas de cet oublid’esprit que cause la fièvre d’amour, oubli animé de jouissances etde visions de feu. Il faut dire que des éclairs de jalousievenaient méchamment déchirer le cœur de Pravdine, lorsque le princePierre s’approchait de Flora avec ses caresses quotidiennes ;mais alors le regard suppliant de la jeune femme, et, plus tard,son abandon sans limite, récompensaient la patience de l’amant etle tranquillisaient. La pureté du cœur est semblable à laquenouille magique qui file l’or de la poésie avec le plus grossierchanvre de la matière. L’amour de Pravdine et de Flora étaitréel ; c’était une de ces passions que le monde ne voit pluset auxquelles il ne croit plus depuis longtemps. Ils jouissaienttous deux d’un bonheur idéal.

J’ai dit que la frégate l’Espéranceavait été retardée par les vents contraires. Sans aucun doute,l’amour y gagnait, mais le service aurait pu y perdre, et beaucoup.Pravdine avait renoncé à toute idée qui ne concernait point sonamour. Admirer Flora lorsqu’ils étaient ensemble ; penser àelle lorsqu’elle n’était point à ses côtés ; hors de là, iln’existait plus pour lui d’autres préoccupations.

Le commandement, l’ordre extérieur etintérieur de la frégate n’attiraient plus son attention.

Durant le gros temps, au moment du dangerseulement, il se réveillait de cet assoupissement, s’emparait duporte-voix, et sa parole vibrante maîtrisait la fureur deséléments. Mais, après la tempête, il s’apaisait aussi, et retombaitdans cette fâcheuse indifférence de tout ce qui ne concernait pointsa passion.

Nil-Paulovitch, qui avait commencé par hocherla tête, puis haussé les épaules, finit par reprocher sérieusementà Pravdine sa négligence au service.

– Je t’ai prédit plus d’une fois, lui dit-il,que celui qui commence à tâtonner dans le chemin de l’honneur, et àsourire des liens sociaux, celui-là, évidemment, ne sera plusretenu par les devoirs du service. Allons, Élie, assezd’enfantillages ! cette liaison ne peut te mener à rien debon ; tu risques, à ce jeu, de perdre ta santé, l’honneur deton nom, peut-être la vie, et, de plus, de perdre avec toi laprincesse, cette admirable créature qui mérite un meilleur monde etune plus pure destinée. C’est honteux à un homme de cœur del’enrôler au nombre des anges déchus !

Pravdine, d’abord, se justifia, s’excusa surl’exemple d’autrui, sur la force de sa passion ; puis il serejeta sur la plaisanterie ; enfin, il devint silencieux etboudeur. Les conseils de son ami l’ennuyèrent et le blessèrent. Ilconsidérait les remontrances de Paulovitch non comme dites dans sonintérêt, mais simplement comme tendant à faire ressortir lasupériorité qui les dictait. Il taxait leur sévéritéd’insensibilité, et leur inflexibilité d’orgueil. Tous ceux qui neflattent point nos passions, qui, en nous administrant la médecine,n’enduisent pas de miel les bords du verre, sont ainsi jugés parnous. Nous détestons les gens qui lisent dans notre pensée, et noussommes humiliés lorsque notre conscience parle par la bouched’autrui. « Pourquoi obéirai-je à qui que ce soit ?suis-je donc un enfant ? ne sais-je point ce que jefais ? Chacun a sa manière de voir ! »L’amour-propre n’est jamais en défaut pour trouver de semblablesraisonnements ; il suffit de le piquer, ne fût-ce qu’avec uneépingle.

La froideur et la contrainte vinrent se placerentre les deux amis. Pravdine oublia que Nil avait partagé les jeuxde son enfance et les dangers de sa virilité ; qu’à sasollicitude il devait, sinon la vie, du moins la santé ; car,à la suite de la violente blessure qu’il avait reçue à Navarin, etqui lui avait valu son grade de capitaine-lieutenant, Pravdineétait resté longtemps privé de tout mouvement, et Nil-Paulovitch,tout le temps que durèrent la maladie et la convalescence, avaitpassé ses nuits sans sommeil, prévenant chaque désir, chaque besoindu malade, dont il supporta patiemment toutes les bizarreries.

Ô amour ! plante parasite qui envahitrapidement le cœur, en excluant, avec la même rapidité, tous lesautres sentiments ! Cependant, en dépit des tempêtes, desvents contraires, en dépit de toutes les ruses du capitaine pourfaire languir le voyage, on avait depuis longtemps dépassé lespetites îles et les rochers qui bordent la Finlande, lachevaleresque Reval, dont les flèches et les tourelles s’élancentvers le ciel, pareilles aux lances des géants, et la gardienne dela rive opposée, Sveaborg, ceinte de trois rangées de batteries.Après avoir touché à Copenhague, traversé le Sund, laissé Elseneurderrière elle, la frégate longea les rochers abrupts qui formentl’extrême pointe de la triste Norvège et fit son entrée dans la merdu Nord. Enfin, le phare de Norfolk scintilla dans la brume commel’étoile de Vénus…

– L’Angleterre ! s’écria d’une voixjoyeuse le matelot de la vigie.

Mais ce phare, cette voix, frappèrentdouloureusement le cœur des deux amants, en leur annonçantl’instant prochain de la séparation.

On engagea le prince Pierre à ne descendrequ’à Plymouth, où la frégate relâcherait, pour s’approvisionneravant de se lancer dans l’Océan.

On représenta au prince tous les agréments dela route de Plymouth à Londres, passant sous silence l’inutilité duchemin que l’on venait de faire pour contempler l’Angleterre etredescendre sur ses pas. Ainsi, la frégate entra dans la Manche.Calais et Douvres passèrent comme un songe ; Spithead, commeun porc-épic, se cacha derrière les nombreux mâts quil’environnaient. On dépassa Wight, cette bague d’émeraude del’Angleterre, et enfin apparut le phare d’Eddystone, vrai pilierd’Hercule enfoncé par des mains mortelles dans les rocssous-marins. Gigantesque monument de la volonté humaine, non decette volonté tyrannique qui élevait des pyramides sur les sablesarides de l’Égypte, mais de cette volonté bienfaisante, secourable,qui allume pour les marins de nouvelles étoiles, afin que,semblables à l’œil de la Providence, elles veillent sans relâche etpréservent de la mort des milliers d’équipages. À droite se montraPlymouth, célèbre par son port, qui compte depuis peu, comme ungigantesque break-water [11] contreles tempêtes de l’Océan. Les Anglais sont grands dans l’utile. Maisl’étrangeté du coupe-vagues, la splendeur de la ville, le charme dupaysage, la nouveauté du sujet, ne parvinrent point à distraire lesamants, auxquels chaque maison, chaque pas sur la terre fermedisaient : « Il faut vous séparer ! » Et enfin,il fallut prononcer le mot adieu ! ce mot quireprésente les arrhes du déchirement de la séparation, ce motsemblable à la cheville de fer à l’aide de laquelle on tend lacorde de l’arc qui, à chaque souffle de l’air, fait entendre un cride douleur.

Il fallait se séparer, mais non se séparercomme des amants, comme des époux, pressés l’un contre l’autre,séchant sous des baisers les larmes du chagrin ; non ! ilfallait se quitter avec un salut, cacher sous un sourire ses larmesà de dangereux témoins, voiler ses soupirs par les expressionsbanales de la politesse, souhaiter le bonheur en ayant l’enfer dansle cœur. Cet enfer est toujours le lot de ceux qui attellent leurâme au bien d’autrui, qui, en les volant cueillent les fruits del’Éden. Le véritable propriétaire reprend son bien comme il reprendà son esclave son cafetan du dimanche, et l’esclave n’a pas ledroit de réclamer. Il cache en son cœur jusqu’au souvenir, commes’il était aussi chose volée, et rougit sous un noble sentimentcomme un noble criminel.

Pravdine ne se souvint plus de quelle manièreil était sorti de la chambre du prince Pierre ; lorsqu’ilrassembla ses idées, il était déjà sur la frégate, et, au cri dumaître d’équipage qui ordonnait de lever l’ancre, les matelotsrépondaient par des hourrahs retentissants. Pravdine retira de samain crispée une carte que la princesse Flora y avait glissée aumoment de la séparation ; mais, avant de la lire, il la tintlongtemps pressée contre ses lèvres.

IX – Les deux amis.

La frégate l’Espérance s’en allaitdoucement, longeant les côtes du Devonshire. Les clochers dePlymouth et les mâts des vaisseaux de son port semblaients’enfoncer sous l’eau. De pittoresques points de vue, éclairésd’arbres, paraissaient, disparaissaient comme dans le verre d’uncosmorama. Le lointain jetait un voile bleu sur tous les objets. Laterre exhalait les fraîches senteurs de l’automne. Un calme parfaitrégnait dans le ciel et sur la mer ; mais bientôt de grisnuages apparurent à l’horizon ; la mer houleuse s’engouffra engrondant dans le détroit. Les parties occidentales de ses vagues,s’élevant de plus en plus aiguës, présagèrent un vent violent del’Océan.

Le jour baissait, Nil-Paulovitch, murmurantentre ses dents, observait d’un air anxieux le ciel assombri et lamer troublée. Il était de quart.

– N’ordonnez-vous point, capitaine, de serrer,nos bonnettes ? Bien entendu le voile de perroquet pouvaitsuivre la même route ? demanda-t-il à Pravdine.

– Donnez-en l’ordre, répondit celui-ci avecindifférence, bien que je n’en voie point la nécessité ;regardez nos voiles ; elles sont presque en ralingue.

– Effectivement, interrompit Nil-Paulovitchlégèrement piqué de la remarque, elles n’ont pas plus de ventre quen’en montre le tablier d’une enfant de dix ans ; mais aussivoyez comme la mer enfle le sien ! Quelle gloutonne ! unvrai Falstaff, prêt à avaler le globe, nous compris, sans poivre nijus de citron ! Écoutez-la mugir, avec sa gueule béante !Non, attends, chienne de mer, nous ne sommes point encore assezpêcheurs pour mériter de faire connaissance avec ton estomac. Nefaudrait-il pas, capitaine, nous livrer davantage au vent, afin depouvoir être loin des côtes lorsque viendra la nuit ?

– Non, Nil-Paulovitch, nous n’entrerons dansl’Océan qu’après avoir doublé le cap Lizard, afin que, partis deplus haut, nous puissions être poussés loin de l’orageuse baie deBiscaye jusqu’au cap. Il faut donc tenir la parallèle durivage.

– Pourvu que les vagues ne nous lancent pointcontre les brisants… Un roc de pierre est un mauvais voisin pour unflanc de bois.

– Il me semble, Nil-Paulovitch, que je n’aipas encore dépassé le méridien de la vie, au delà duquel lapoltronnerie est glorifiée du titre de prudence.

– La prudence est préférable aux remords,capitaine !

– Le risque est une noble chose,Nil-Paulovitch ! N’étions-nous point ensemble sur un vieuxtreillage pourri, entre les montagnes de glace, dans l’océan duSud, et avions-nous peur d’aller en avant, toujours en avant ?Souvent, alors que, relevé de quart, on commençait à s’endormir, onse réveillait jeté hors du hamac, et, à travers les joints dubâtiment, on pouvait facilement compter les étoiles.« Qu’est-ce ? demandait-on. – Nous avons heurté lesglaçons… l’eau entre dans la cale, le roulis ébranle les carlinguesdes mâts ! – Eh bien, est-ce que nous coulons ? – Pasencore, » répondait-on d’en haut ! Et nous nous rendormions dusommeil des bienheureux.

– Cela est vrai, capitaine, nousdormions ; mais cela provenait de ce que vous n’étiez pointalors commandant, ni moi premier lieutenant, comme à présent. Nousn’avions même pas la responsabilité de notre propre personne ;nous n’avions qu’à nous laisser choir sans ôter notre couverture,de crainte de nous refroidir. Maintenant, c’est une autreaffaire : Dieu et l’empereur exigent le salut du vaisseau, etcelui des gens, dont nous sommes responsables.

Le capitaine n’entendit pas la fin de cediscours ; plongé dans une méditation profonde, ses regardsétaient fixés sur les vagues. Quel singulier effet elles produisentsur l’imagination d’un homme ému ! Leur jeu se reflète en luicomme un miroir ; ses rêves s’ébranlent, se soulèvent,retombent, et, confondus avec la matière, ils se mêlent à cettemer, sans laisser rien qui indique la trace de leur passage.L’amour de Pravdine était aussi profond que la mer ; son cœur,après avoir été anéanti par la séparation, venait seulement de seréveiller ; il se réveillait comme l’enfant qu’une mèreimpitoyable a déposé en plein hiver sur le seuil d’une maisonimmonde, et qui fait entendre pour premier son le gémissement de ladouleur.

Le souffle de la séparation, comme ledestructeur Timour-Lang, ravage l’âme de l’homme doué d’imaginationet de sensibilité. Pravdine avait versé son âme entière dans cellede sa bien-aimée ; il avait mêlé ses pensées à ses pensées,ses impressions à ses impressions à elle. Leurs deux cœurs, commeceux de ces étranges jumeaux, s’étaient soudés ensemble, et voilàque la destinée venait brusquement les séparer en lesdéchirant.

L’homme ainsi fait perd tout en un instant,car il a tout donné ; il ne croit pas à l’espérance, parcequ’il a trop pris au passé, parce qu’en quelques heures il adépensé le bonheur de plusieurs années. Parfois un souvenir vient,comme un serpent, ramper sur les ruines. Ô souvenir ! quelleslarmes brûlantes tu fais verser aux yeux, que de sang tu tires ducœur ! À ton appel se dresse, entre ceux qui se sont aimés,une muraille de glace qui, semblable au fanal magique, reflète lepassé sous mille faces différentes. On y revoit tout ce qui vous acharmé, on entend revibrer les douces et tendres paroles !Enchanteresse ! elle nous montre les caresses, les regards quinous ont enivrés ; puis, lorsque notre lèvre a soif du baiser,que notre cœur se précipite vers l’autre cœur, notre main, notrelèvre, notre cœur, ne rencontrent que la glace, et la visions’enfonce dans la froide rivière, sans laisser plus de traces quele sépulcre de bois dévoré par l’incendie. Alors, oh ! alors,on croit à l’esprit du mal, au règne d’Arimane, à la puissance del’ange des ténèbres ! on sent son souffle mortel, on voitbriller ses yeux cruels, on entend près de soi bruire son rireinfernal !

De plus en plus sombre se faisait la mer, deplus en plus sombres devenaient les pensées de Pravdine.

Sa respiration était pénible, comme si lesvagues de plomb l’oppressaient, comme si la main gigantesque dudestin s’était appesantie sur sa poitrine. Il suivait de l’œil levol des mouettes, qui, les unes après les autres, s’éloignaient dela frégate, et, avec des cris plaintifs, disparaissaient dans lesnuages brumeux.

– Avec vous, pensa Pravdine, s’envolent mesdernières joies, et, lorsque l’Angleterre, cette coquille quirenferme la perle de mon âme, aura disparu à mes yeux, ne ferai-jepas aussi bien d’enterrer mon âme dans l’Océan ?… Quand lehasard nous réunira-t-il ? Où puis-je la rencontrer ? Et,en attendant, moi, pauvre vagabond, je resterai au-dessus del’abîme, seul, tout seul ! Tout seul ! combien ces deuxmots paraissent simples à prononcer ! Ouvrez un dictionnaire,et vous aurez peine à les découvrir sur la page ; dans lagrammaire, rien ne les distingue des autres locutions ; mais,comme définition de pensées, comme symbole de sentiments, commeconclusion d’actions, je ne puis ni les lire ni les entendre sansque mon cœur s’émeuve de pitié. Il n’y a que Dieu qui puisse aimersa solitude, parce que tout s’agite à ses pieds ; il n’y a queDieu qui puisse rester seul, parce qu’il n’a point desemblable.

Les présages, les pressentiments assaillaientle cœur de Pravdine ; une violente passion nous rendsuperstitieux ; et à toutes ces pensées venait se joindre lajalousie, qu’aucun raisonnement ne peut dompter.

– Elle va aller à Londres et à Paris, sedisait Pravdine, et qui peut me garantir qu’au milieu du tourbillondes plaisirs mondains, elle ne m’oubliera point ? Aura-t-ellela force, douée, comme elle est, d’esprit, de beauté, d’élégance,aura-t-elle la force de résister à la vanité ? Pourquoin’ai-je pas exigé d’elle un serment de fidélité ? Oh !que ne ferais-je pas pour la voir encore ne fût-ce qu’une heure,pour entendre de sa bouche de rassurantes promesses d’amour, pourla supplier, quoi qu’il advienne, de ne jamais me tromper !Que ne donnerais-je pas pour effacer notre froide séparation dePlymouth par des larmes répandues ensemble, par de brûlants baisersd’amour !

Il tira de sa poche le mot au crayon que luiavait remis la princesse, mot tracé à la hâte sur le revers del’adresse du meilleur hôtel d’une petite bourgade que nousnommerons Leet-Borough et où la princesse, se sentant brisée duvoyage, se proposait de s’installer afin de se soustraire au bruitde Plymouth, d’où le prince Pierre viendrait, trois jours après, lachercher pour continuer leur route vers Londres. Leet-Borough setrouvait précisément en ce moment en vue de la frégate ; deuxmilles au plus séparaient la frégate du rivage ! Tout celarevint en une seconde à la mémoire de Pravdine. Il retourna lacarte entre ses doigts, et ce fut pour lui un trait delumière ; chacun des mots s’en détachait comme une fuséeélectrique au contact du fil conducteur.

– Mon ange, je suis à toi ! s’écriaPravdine ; te voir ou mourir !

Pourquoi avait-elle parlé de se rendre àLeet-Borough ? Pourquoi avait-elle précisément choisi cetteadresse de l’hôtel pour y écrire ces quelques motsd’adieu ?…

– La voir ou mourir ! se répétaitPravdine. – Nil-Paulovitch, dit-il en se tournant brusquement versson lieutenant, donnez ordre de détacher ma chaloupe à dixrames : je vais au rivage !

– Au rivage ! vous allez au rivage,capitaine ? Mais cela est impossible ! fit Nil-Paulovitchavec émotion.

Pravdine regarda gravement le lieutenant.

– Je désirerais savoir pourquoi cela estimpossible, lui dit-il d’un ton ironique.

– Parce que ce serait manquer au devoir,capitaine.

– Nil-Paulovitch sera sans doute assez bonpour m’expliquer le sens de ses paroles ?

– Je pense que vous savez mieux que personne,capitaine, que par ce vent, il est dangereux de se risquer enchaloupe au milieu des brisants, et tout aussi dangereux de laisserla frégate en panne ; il est, par conséquent, fort inutile deretarder notre marche.

– C’est à moi de savoir ce qui est utile et cequi ne l’est pas. Je le veux ainsi et cela sera. Donnez ordre dedescendre ma chaloupe.

Nil-Paulovitch s’aperçut trop tard qu’il avaitété maladroit en contredisant Pravdine comme subordonné, au lieu del’amener par les raisonnements de l’amitié ; aussi, serapprochant de lui :

– Tu es fâché, Élie, lui dit-il ;vraiment tu as tort. Regarde le ciel et la mer ; ils froncentles sourcils comme un juge en présence du criminel. N’abandonnepoint la frégate en un tel moment ; ne t’expose pas aureproche d’avoir fui le danger !

– Moi, fuir le danger ? Écoute, Nil, iln’y a que toi d’assez osé pour me dire une chose que nul en cemonde ne pourrait se vanter de répéter une seconde fois. J’ai assezvécu, assez servi pour être hors d’atteinte du soupçon depoltronnerie !

– Élie, Élie, loin de moi la pensée d’unpareil soupçon ! Ce n’est point la témérité, c’est le jugementqui te fait défaut. Aussi, dans le cas où tu pars, et où, ce dontDieu nous garde, il arrive quelque malheur, on t’accusera, non depoltronnerie, mais d’imprudence.

– Il paraît que Nil-Paulovitch craint fort laresponsabilité qui pourrait peser sur lui ?

– Ce n’est pas la responsabilité, c’est lemalheur du navire et de l’équipage qui m’effraye. Je ne suis pas unmauvais marin, Élie, tu le sais aussi ; ce que je sais, c’estque tu es encore meilleur marin que moi. Rester en panne àt’attendre au milieu des brisants n’est vraiment point une agréableperspective par ce temps orageux. Cher Élie, renonce à ton projet,continua Nil-Paulovitch prenant affectueusement la main dePravdine ; regarde combien les vagues sont irritées !

Effectivement, une vague, après être venue sebriser au flanc de la frégate, rejaillit sur les deux amis.

La frégate s’en ébranla ; mais le cœur ducapitaine n’en battit pas plus fort, car rien ne lui paraissait àcraindre. L’amour aveugle les plus expérimentés et leur fait croireque la nature n’a point de lois assez puissantes pour résister auxamoureux.

Pravdine secoua la poussière liquide quicouvrait ses habits, et, détachant doucement sa main de celle deNil-Paulovitch :

– Vaines frayeurs ! fit-il. Jepars ; je veux partir !…

– La moindre de tes volontés est une loi pourmoi ; mais je dis une volonté, et non une fantaisie, uncaprice. Que la brusquerie de mes paroles ne te fâche point, jesuis franc. Sois homme, Élie ! tu as déjà beaucoup baissé dansl’opinion de tes camarades par ta liaison condamnable ; maisle passé est passé, que Dieu t’accompagne ! La séparation a eulieu, basta ! Eh bien, non, voici les amours qui recommencent.Juge toi-même s’il vaut la peine de risquer une frégate impériale,la vie de tous ces braves gens pour les lèvres fardées de je nesais quelle princesse éhontée !

Le capitaine fit un soubresaut.

– Ayez l’obligeance, monsieur le lieutenant,d’être moins prodigue de réflexions sur une personne que vousconnaissez fort peu. Au lieu de juger la conduite de votrecapitaine, vous feriez mieux d’aller exécuter ses ordres.

– Ah ! exclama Nil-Paulovitch, humilié àson tour, puisqu’il vous plaît de me parler comme supérieur,permettez-moi de vous répondre, comme lieutenant de quart, qu’il neconvient point, capitaine, que vous abandonniez, au moment de latempête, la frégate qui vous est confiée, sachant qu’en agissantainsi, vous l’exposez à un danger imminent.

Nil-Paulovitch venait de jeter de l’huile surle feu.

– Vous n’êtes point mon juge, monsieur ;donnez ordre de descendre la chaloupe, vous dis-je ! Nem’obligez pas à m’acquitter moi-même de ma commission. Sachez,monsieur, qu’en mettant ma patience à bout, vous me forcerez àoublier notre amitié d’autrefois, et les nombreuses années de notreservice commun.

– Il me semble, capitaine, que le service estdéjà oublié, puisque vous abandonnez votre poste. Je protesteouvertement contre votre départ, et je demande que l’on inscrivemon opinion dans le journal du bord.

– Monsieur le pilote, s’écria le capitaineavec colère, relatez dans le journal les paroles du lieutenantPaulovitch, et ajoutez qu’il est mis aux arrêts pourinsubordination. – Remettez, monsieur, votre porte-voix aulieutenant Strelkine et ne sortez point de votre cabine. – Labarque !

– Dieu et l’empereur nous jugeront ! ditd’un ton douloureux Nil-Paulovitch en s’éloignant ; maisrappelez-vous mes paroles, capitaine, vous payerez cela en remordsbien amers !

Le capitaine d’un navire, se trouvantconstamment en rapports de service avec ses officiers, est obligé àune certaine retenue, afin que la camaraderie ne nuise point à lasubordination, et cette retenue dégénère rapidement en habitude dedomination.

Pravdine, comme tous les autres, était habituéà l’obéissance passive, et Nil-Paulovitch venait d’irritermaladroitement la passion et l’orgueil du capitaine ; blessé àvif, ce dernier estima de son devoir de faire preuve d’entêtementvis-à-vis de son ami.

Après avoir donné au jeune lieutenant lesinstructions nécessaires, Pravdine sauta dans la barque. Unedizaine de rames fondirent rapidement les flots, le vent enfla lavoile, et la barque glissa de vagues en vagues, pendant que l’écumegrise recouvrait impétueusement son sillage, jalouse qu’elle étaitde voir la fragile nacelle mépriser la fureur du puissantélément.

X – L’hôtel de Leet-Borough.

Dans la chambre qu’occupait la princesse Floraà l’hôtel de Leet-Borough, les bougies brûlaient encore, bien quetouchant à leur fin. Il était trois heures de la nuit, et l’heureuxPravdine s’arrachait des bras de sa belle et ardente maîtresse.

– Est-il possible ! dit-il ; le jourva bientôt paraître… La nuit a passé rapide comme un baiser.

La princesse se souleva à demi du divan surlequel elle était étendue.

– Ne me parle pas du jour, ne me rappellepoint le moment de la séparation ; je ne te laisserai pointpartir… D’ailleurs, toi-même, aurais-tu la force dem’abandonner ? continua-t-elle avec une câlinerie enfantine,en attirant Pravdine sur son sein. Non, mon Élie ne sera pas assezcruel pour me livrer au désespoir… Je ne te rendrai pas à lamer ! Entends-tu la pluie ? Comme elle fouette lesvitres ! comme la tempête mugit !…

Pravdine, par un brusque mouvement, détachases lèvres des lèvres de corail de Flora et prêta anxieusementl’oreille aux bruits effrayants du dehors. La pensée du danger oùpouvait se trouver sa frégate traversa son cerveau. Il étaitsaisissant de voir le contraste que faisait son pâle visage à côtédu visage de la princesse coloré par l’amour. Flora était en cemoment aussi ravissante que la passion idéale du poète, qui serapproche plus du ciel que de la terre. Les traits bouleversés dePravdine semblaient l’image du remords.

– Seigneur ! s’écria-t-il enfin d’unevoix troublée, ma frégate sombre… Entendez-vous le canond’alarme ?… Encore une détonation !… encore !

La tempête paraissait enfin se lasser ;un bruit sourd s’en allait mourant dans le lointain ; la mermugissait encore contre les rocs ; mais autour des deux amantstout était calme, si calme, qu’on entendait les battements du cœureffrayé de la princesse.

– Non, mon trésor, tu t’es trompé ; tu asentendu le tonnerre et non le canon. Il ne peut y avoir unmalheureux sur terre pendant que nous sommes si heureux !

Pravdine, avec une sorte de délire frénétique,se rejeta dans les bras de Flora.

– Tu es à moi, tu es à moi, ma Flora !que m’importe tout le reste ? Que l’humanité meure, que leglobe vole en éclats, je saurai t’élever au dessus de ses débris,et mon dernier souffle s’en ira dans un baiser !… Oh !que tes lèvres sont brûlantes et passionnées, monenchanteresse ! !… Sais-tu, ajouta-t-il plus bas, que tudois plus que jamais me respecter, m’aider, m’admirer ?…Sais-tu que je suis à cette heure plus riche que Rothschild, pluspuissant qu’un roi d’Angleterre, car je puis faire mourir à mafantaisie une centaine d’hommes pour prix de chacun de tes baisers…Ce ne seront point des ennemis que je sacrifierai, cela est tropvulgaire… non, je te le dis, ce sont des amis, des frères, pourlesquels j’eusse naguère répandu jusqu’à la dernière goutte de monsang, et dont aujourd’hui je répandrais les cendres auvent !

La princesse écoutait en tremblant ces motsincohérents, ne pouvant en saisir le sens.

– Tu m’épouvantes, Élie, dit-elle ; Élie,tu me fais mourir de frayeur !

– Mourir !… Qui parle de mourir ?C’est maintenant qu’il faut vivre, car l’amour seul est la vie.Flora, fit-il en étreignant la jeune femme, tu es belle comme lavie, mais tu es aussi divine comme la mort, car tu fais toutoublier, car tu renfermes en toi le paradis et l’enfer. Tesouvient-il de ma promesse de perdre pour toi mon âme ? Lavoici réalisée. Je n’ai pas livré mon âme à l’or et aux joiesfragiles ; je l’ai gardée jusqu’à ce jour pure et innocente,et maintenant je la jette à tes pieds comme un billet de banquedéchiré. Ô mon adorée ! tu me coûtes cher, immensémentcher ! mais je ne m’en repens pas ; s’il était un plushaut prix, je l’aurais donné !

Avec une joie convulsive, Pravdine pressacontre son sein la princesse, qui répondait à ses caresses d’un aird’effroi ; elle semblait en ce moment une péri descendue duciel sur les genoux d’un dieu cruel… Et la passion reprit ledessus, et leurs lèvres s’unirent encore en un interminablebaiser.

Les heures sonnèrent, les coqs firent entendreleurs chants du matin, et les amants étaient encore plongés dansl’enivrant oubli, lorsque, effrayante comme la trompette dujugement dernier, une voix résonna à leurs oreilles… Leurs cœurstressaillirent… Immobile, devant eux, se tenait le princePierre…

Elle arracha le pistolet de la main dePravdine, et, presque évanouie, se cramponna à lui.

Pravdine la déposa avec précaution dans unfauteuil ; puis, les yeux baissés, mais la tête haute, lejeune homme se tourna vers l’époux offensé.

– Votre heure et votre lieu, prince ? Jeconnais l’étendue de ma faute ; je sais ce qu’exigel’honneur…

La physionomie et le maintien du prince,ordinairement vulgaires, avaient acquis en cet instant uneexpression solennelle ; car une juste indignation toujours augeste et à la parole de l’homme un cachet de noblesse.

– Ce qu’exige l’honneur, monsieur !…répondit avec hauteur le prince. Vous me parlez d’honneur dans lachambre à coucher de ma femme ! vous me parlez d’honneur, vousque j’ai accueilli dans ma maison, vous en qui j’ai eu la confianced’un frère, vous qui avez séduit ma femme… cette femme, veux-jedire ! vous me parlez d’honneur, vous qui avez taché un nomhonorable, qui avez causé la honte de deux familles, qui êtes venudans ma maison ravir la seule joie qu’elle renfermât pour moi,l’amour de ma femme ! en un mot, monsieur, vous m’avez volémon honneur, et vous croyez tout réparer en ajoutant, par un coupde pistolet, le meurtre à la trahison ! Écoutez, monsieurPravdine, j’ai servi l’empereur sur le champ de bataille et je l’aihonorablement servi ; je ne suis point poltron ; mais jene me battrai pas avec vous, monsieur, car vous en êtes indigne. Jene me battrai point, parce que je ne veux déshonorer ni moi nicelle qui porte mon nom. Que cet événement meure entre nous ;mais, entre moi et elle, il n’y aura jamais, à partir de ce jour,moins de cent verstes[12] dedistance. La maîtresse d’autrui ne pourra plus jamais se dire mafemme. Nous nous séparerons ; elle est riche, elle trouverafacilement des consolations et des consolateurs. Je ne la reverraiplus, j’en fais le serment ! Nous laisserons croire au mondece qu’il voudra, que nous nous sommes brouillés pour un fichu, pourune bague, que m’importe ?… Voilà tout ce que j’avais à vousdire, à vous, monsieur. Quant à cette femme ingrate, je ne luiferai pas entendre un reproche, elle ne mérite que le mépris. J’aiété bon, trop bon ; mais je n’ai point cette bonté quisupporte volontairement d’être trompé. J’espère vous rencontrer lemoins possible sur mon chemin, et elle jamais ! Je pars pourLondres ; je vous laisse en tête-à-tête avec cette femmeperverse et avec votre conscience, convaincu que vous ne serez paslongs à vous brouiller tous trois.

L’époux offensé mit une main sur sesyeux ; de grosses larmes filtrèrent bientôt entre ses doigts.Il se détourna brusquement et sortit.

Les yeux de la princesse étaient secs ;de bruyants sanglots soulevaient sa poitrine ; elle était àgenoux sur le sol, la figure cachée dans un des coussins dudivan.

Pravdine, les bras croisés, étaitdebout ; plongé dans une sorte d’engourdissement, il ne puttrouver un mot pour se défendre vis-à-vis du prince, car une voixintérieure l’accusait lui-même plus hautement encore que sonaccusateur ; il ne put prodiguer aucune consolation à laprincesse, car il n’en trouvait aucune en lui. L’égoïsme de lapassion apparut à ses yeux dans toute sa nudité, dans toute sabrutale laideur.

« C’est toi, c’est toi qui as faitpleurer sa conscience, qui as brisé cette coupe précieuse !c’est toi qui as jeté au feu cette myrrhe, afin d’avoir pourquelques instants la jouissance de son parfum. Tu savais qu’ellerenfermait le talisman du bonheur, l’alliance de l’inflexibledestin, la gloire et la vie de ta bien-aimée… tu le savais, et tuas brisé l’enveloppe ainsi qu’un enfant brise son jouet afin devoir ce qu’il contient. Contemple maintenant l’âme de Flora,anéantie par toi ; admire son cœur, dont tu as jeté leslambeaux aux remords ; admire son esprit, qui à partir de cejour, sera le repaire des idées sombres, des visions accusatrices…Et pour quoi, pour qui cela ? Ne cherche point à tedissimuler, tout cela a été pour toi, pour ta jouissancepersonnelle ! Tu n’as point lutté avec ta passion, tu n’aspoint cherché à fuir la séduction, tu ne t’es pas offert ensacrifice ; non : semblable au prêtre païen, tu as tué lavictime au nom de l’idole Amour, et tu l’as toi-même dévorée.Quelle place as-tu donnée dans le monde à la princesse ? Àpartir d’aujourd’hui, dans chaque salut, elle croira voir uneoffense ; dans chaque sourire, un sarcasme ; dans chaquebaiser, un baiser de Judas ; dans la plus innocenteconversation, elle sentira des piqûres d’épines ; dans la plusfranche amitié, elle verra une arrière-pensée. Toute sa vie seradésormais la proie du doute amer, des soupirs étouffants, deslarmes qui dévorent le cœur ! »

Oui, il est affreux, le réveil de l’enivrementde la passion ! Épuisés de corps et d’esprit, nous sortons denotre engourdissement à la voix de l’incorruptible jury qui, desprofondeurs de notre âme, fait entendre le terrible verdict :Coupable !

Pravdine se détourna de la princesse. Le jourse levait, et, appuyé à la fenêtre, il laissa tomber ses regardsvers la mer infinie, en ce moment aussi sombre et déserte que l’âmedu jeune homme. D’immenses vagues, semblables à un régiment debaleines, couraient, se heurtant dans l’espace, lorsque, tout àcoup, au milieu d’elles apparut un vaisseau ; seulement, àtravers les vapeurs du brouillard, sa forme se montra si vague, siindécise, qu’un marin superstitieux aurait dit : « C’estle vaisseau fantôme condamné à se traîner éternellement surl’Océan, avec son équipage maudit. »

Avec quelle anxiété, quelle palpitation decœur Pravdine suivait des yeux le mouvement du vaisseau, qui tantôtapparaissait, tantôt disparaissait, et, enveloppé de brouillard, seconfondait avec les nuages ! La tempête était apaisée, mais desombres nuées couraient encore de tous côtés comme des vainqueursoccupés à compter les morts ennemis.

Enfin, sous les rayons du soleil levant, lesvapeurs de la mer et les doutes de Pravdine se dissipèrent. Levaisseau remarqué par lui était effectivement la frégatel’Espérance, qui se trouvait, hélas ! dans la plustriste situation : ses mâts étaient renversés, ses voilesdéchirées, et quelques lambeaux encore étendus semblaient témoignerd’une dernière lutte avec le destin, qui s’efforçait d’entraîner lafrégate contre les rochers. Oh ! puissant est celui qui auraitpu analyser physiologiquement l’exclamation que ce spectaclearracha à Pravdine : « Encore cela ! » Si lediable de Lesage, qui soulevait les toits, eût pu en ce moment enfaire autant du crâne de Pravdine, il eût reculé d’épouvante à lavue de ce qui se passait dans ce cerveau. Semblant craindre que letourbillon de ses idées ne fît éclater sa tête, le jeune hommepressait convulsivement son front de ses mains, et ses yeux hagardsse portaient alternativement de la frégate à la princesse, de lamer à sa bien-aimée ; Pravdine était en ce moment l’imagevivante du châtiment entre deux victimes, entre deux crimes :l’un contre les lois morales, l’autre contre le devoirmatériel.

Enfin, le devoir triompha de la passion.Pravdine mit un ardent baiser sur le front de la princesse endisant :

– Pardonne-moi, Flora, et adieu ! Nousdevons nous séparer ; ma frégate est en péril !

Flora s’élança avec la rapidité de la lionnequi se voit enlever son dernier lionceau.

– En péril ! Ta frégate est enpéril !… Et moi-même où suis-je ? Ne suis-je point dansla détresse ? Tu te prends de pitié pour le bois et le fer,mais non pour un cœur que tu as brisé ; tu oublies que, pourtoi, j’ai tout donné, tout oublié. Non ! tu es à moi, à moipour toujours ; je t’ai acquis au prix de mon bonheur en cemonde, de mon paradis dans l’autre ? N’est-il pas vrai, monÉlie, tu ne saurais m’abandonner ? Je n’ai plus que toi pourmon protecteur. Il y a une heure encore, je possédais un nom, unepatrie, une famille, des amis ; et tu m’as enlevé tout celacomme on cueille des fleurs ; je ne me plaindrai pas, je neregretterai rien aussi longtemps que je t’aurai près de moi. Toncœur sera ma patrie, tes bras seront ma famille, tes paroles serontmes amis ; tu renfermeras pour moi le monde entier… Oh !ne m’abandonne pas, ne me fais pas mourir !

Elle entoura amoureusement Pravdine de sesbras de marbre ; elle lui murmura à l’oreille des motspassionnés et sans suite.

Mais Pravdine répondit :

– Âme de mon âme, le passé estirréparable ; ne t’inquiète point de l’avenir ; nouspourrons encore le forcer à nous obéir ! Je vais me rendre surla frégate, afin de la secourir avant qu’il soit trop tard. Tu eslibre maintenant de te rendre où bon te semble : parsimmédiatement pour l’Italie ! J’irai te retrouver dans un desports de la Méditerranée. Permets-moi de m’éloigner, cela estindispensable au salut des débris de mon honneur, au salutpeut-être de cinq cents de mes camarades. Je te jure que demain ausoir je serai dans tes bras… Regarde, l’orage s’apaise !…

La princesse plongea un long et profond regarddans les yeux de Pravdine.

– Tu ne me trompes pas, dit-elle avec undouloureux soupir ; mais le sort ne peut-il noustromper ?… Oh ! ne pars pas… j’ai le pressentiment quenous ne nous reverrions plus… Du moins, ne me dis pas adieu, c’estun mot que je hais. Je remets mon cœur entre tes mains, Élie, et jeconfie le tien à Dieu.

Elle tomba à genoux devant la fenêtre,semblant supplier la mer furieuse de faire grâce à l’ami qu’ellelui confiait ; puis, son regard s’élevant vers le ciel, ellelui adressa une longue et fervente prière. Dans cette adorablefigure, baignée de larmes, exprimant la foi dans toute sa pureté,on aurait cru voir l’ange du pardon implorant Dieu pour lespécheurs !…

Elle se retourna vers Pravdine, recevant avecun triste sourire son baiser d’adieu ; puis elle suivitquelque temps des yeux le jeune homme qui s’éloignait, et tombainanimée sur le froid plancher de la chambre d’auberge…

– Enfants, cria le capitaine aux rameurs quil’attendaient sur le rivage, couchés près de la chaloupe qu’ilsavaient amenée sur la grève, j’ai besoin de me rendre à lafrégate ; s’il faut mourir, que ce soit du moins avec noscompagnons ; partons !

– Avec joie ! crièrent d’une commune voixles braves matelots, pour lesquels chaque désir de leur capitaineétait sacré, chacun de ses ordres une loi.

Il n’était pas facile de sortir de labaie ; à chaque nouvelle tentative, la barque était rejetée enarrière par les brisants furieux. Quatre fois les matelotss’efforcèrent en vain de franchir cette muraille de vagues. Enfin,après un dernier et vigoureux effort, ils se trouvèrent en mer. Lachaloupe était violemment ballottée par les flots déchaînés ;le vent soufflait vers la rive de façon qu’on ne pût se servir dela voile et que les rames durent agir seules. Deux hommes étaientoccupés sans interruption à vider l’eau qui, de tous côtés,envahissait la barque.

Le gouvernail était aux mains d’un piloteémérite, habitué depuis longtemps aux bourrasques et aux dangers,pour lequel, d’après son expression, la mer était un carnaval dontles vagues étaient les crêpes. Il s’occupait de sa manœuvre avecautant de sang-froid que si tout eût marché d’après les loisordinaires de la nature.

Ayant accompagné le capitaine dans ses pluslointaines expéditions, il connaissait à fond le caractère de sonmaître, et savait lire sur sa physionomie l’instant où ses discoursétaient bien accueillis.

– Oserai-je vous demander, Élie-Petrovitch,dit-il à demi-voix, si les songes que nous avons parfois nous sontenvoyés de Dieu ?

– Cela arrive, répondit distraitementPravdine.

– Le mien vient immédiatement de Dieu, VotreExcellence ; car, enfin, le démon ne saurait entrer dans latête d’un chrétien qui s’est signé avant de s’endormir. J’avaispourtant, hier au soir, mis une croix sur mon traversin ; car,voyez-vous, Excellence, avec une croix, un lit de pierre mêmesemble doux, et néanmoins j’ai eu un rêve bien étrange… – Allons,les amis, enfoncez l’aviron, ferme ; faites avancerrapidement. – J’ai rêvé, reprit-il, que sur notreEspérance, se pressait une foule immense, et cependant cen’était ni une revue ni une fête. Il y avait nombre d’amiraux, degénéraux, d’officiers d’état-major, qui tous buvaient etmangeaient, mais au milieu d’un tel silence, que l’on eût entenduune mouche voler ; puis Votre Excellence apparut tout à coup,je ne sais d’où, en grand uniforme ; vous aviez une dame aubras, et, vous approchant de moi, vous dîtes à cette dame :« Je l’emmène avec nous ; il y a assez longtemps qu’ilsert, ses vieux os ont besoin de repos ! » Ce quisignifie que vous prendrez votre retraite, et que vous m’emmènerezà votre service. Mais ce n’est pas là le plus bizarre.Figurez-vous, Excellence, qu’en m’examinant, je m’aperçus qu’aulieu d’être en jaquette d’uniforme, j’avais une longue chemiseblanche… Je me réveillai en sursaut ; mon cœur battait sifort, que j’eus peine à faire un signe de croix. Que peut vouloirsignifier un semblable rêve, Excellence ?

Pravdine tomba involontairement dans uneprofonde méditation. L’idée de la mort envahit comme naguère sonesprit ; mais, cette fois, elle n’apportait aucune idéeconsolatrice. Mourir avant d’avoir eu le temps de se réconcilieravec sa conscience par quelque bonne action, sans avoir eu le tempsde racheter avec gloire les fautes du passé !…

Il se souvint alors qu’une simple planche leséparait seule de l’humide tombeau ; il tressaillit et regardaautour de lui ; la mer roulait effrayante ; la frégaten’était pas loin, mais le roulis la balançait avec tant deviolence, que la bordure de cuivre se découvrait à fleur d’eau,brillante comme une armure gigantesque ; puis la vagueengloutissait de nouveau tout un côté du navire, baignant jusqu’aupied de ses mâts. Une demi-encâblure au plus séparait la chaloupedu bord, mais ce bord était plus difficile à atteindre que desrochers à pic. Les brisants frappaient en hurlant les flancs dubâtiment, menaçant à chaque instant d’engloutir la frêle nacelle,qui luttait courageusement.

– Priez, rameurs !… Prie saintNicolas ! dit le capitaine en frappant sur l’épaule dupilote ; les prières des matelots sont écoutées du Ciel. Sinous arrivons heureusement à bord, Grebetz, tu berceras encore mespetits-fils.

– Le croc ! s’écria Grebetz.

Du bord, on répondit :

– Saisissez-le, saisissez-le !

L’instant fatal était arrivé.

L’œil du capitaine ne s’était point trompé surle degré du danger.

Le songe du pilote devait seréaliser !…

Dans la nuit qui suivit ce jour, le vent avaitcomplètement cessé, la mer était calme. De temps en tempsseulement, un bruissement de ses vagues se faisait entendre, pareilà un soupir de lassitude.

La frégate l’Espérance, complètementavariée, était à l’ancre, non loin du rivage où elle avait étéremorquée. On y travaillait à force ; le bruit des scies, desmarteaux, des maillets troublait le silence des environs. Onremplaçait les mâts brisés par les vergues de détresse ; onchangeait les agrès ; on raccommodait les filets ; letillac représentait un chaos ; le travail régnait partout, etcependant l’on sentait que nul n’avait le cœur à l’ouvrage. Lesmatelots vaquaient à leur besogne sans chansons et sansrécits ; ils parlaient à mi-voix en hochant tristement latête ; on devinait qu’ils étaient sous le poids d’un événementdouloureux.

– Eh bien, n’y a-t-il pas d’espoir ?demanda un enseigne au docteur Stettinsky, qui, sortant del’infirmerie, se dirigeait vers le tillac.

– Pas le moindre, répondit le docteur ;la médecine lui est aussi inutile à cette heure qu’une pipe detabac ; il ne reste qu’à lui prendre mesure pour sonsuaire.

– C’est grand dommage ! car Grebetz étaitun brave marin ! Et dans quelle situation se trouvent ceux quiont été blessés par la chute des mâts ?

– On pourra en sauver deux ; les troisautres s’en iront rejoindre les sept premiers.

– Cela est pénible, bien pénible ! Dixvictimes sur la frégate et six de la barque du capitaine, c’esthorrible ! Je frissonne lorsque je pense à la manière dont labarque est venue se briser à notre bord ! Grebetz s’estfracassé sous mes yeux, contre le porte-hauban ; un autre aété aplati comme un bouton. Mais qu’importe tout cela, si notrecapitaine peut être sauvé ? L’avez-vous quitté depuislongtemps, Stettinsky ?

– Je l’ai laissé, il y a une demi-heure,perdant toujours beaucoup de sang par la blessure que ce mauditclou lui a faite au côté. J’ai eu grand’peine à arrêterl’hémorragie ; maintenant, la fièvre semble vouloir se calmer,mais l’esprit est plus malade que le corps : affectionmentale. Il est en proie à une violente surexcitationnerveuse, causée par les avaries de la frégate et la mort d’un sigrand nombre de gens. Si nous devions, nous autres médecins, nouschagriner autant lorsque nous commettons une faute, il ne nousresterait qu’à nous étrangler après notre premier jour de service àla clinique.

– Il est heureux, docteur, que tout le mondene puisse s’accoutumer aussi subitement à la mort d’autrui. Quant ànotre capitaine, savez-vous qu’à part notre blâme et celui desAnglais, sa promenade pourrait fort bien lui coûter lesépaulettes ?

– Est-il possible qu’on le fasse passer enjugement pour un mât brisé ?

– Oui, Stettinsky. Dieu nous préserve duconseil de guerre ! c’est pis que vos consultations ; etcependant, dans le cas présent, il est inévitable. L’empereurconnaît personnellement Pravdine, cela est vrai. Après l’affaire deNavarin, il l’a lui-même nommé commandant de la frégate ; legouvernement respecte notre capitaine ; mais vous savezvous-même que lorsqu’il s’agit du service, il n’y a ni ménagementni partialité.

– Oui, oui ! ce sera pour la flotte uneperte irréparable !

– Du reste, faites votre devoir, et nousautres officiers, nous saurons nous acquitter du nôtre. Comme s’iln’y avait pas moyen de mettre sur le vent les trois quarts de lafaute ! On s’arrange avec la tempête comme vous avec lesmaladies : on dissimule et on brode.

– Dieu le veuille ! Dieu leveuille !

Sur ces mots, le docteur entra dans la cabinedu capitaine.

Qui aurait pu reconnaître sous cette enveloppede pâleur et d’affaissement ce Pravdine qui, la veille encore,rayonnait de santé et d’espérance ? Sa tête blessée étaitentourée de linges ; ses prunelles étaient fixes et mornes aumilieu du cercle bleu qui les entourait ; sa main gauchesoutenait sa tête, sa main droite était posée dans celle deNil-Paulovitch, assis sur le lit du malade.

Les deux amis causaient, et des larmestremblaient au bord de leurs cils.

– Niloutcha, ne cherche point à me justifier,je vois clair maintenant ; je suis le seul coupable, et seraile seul à en répondre. Si je ne t’avais mis aux arrêts, nousn’aurions pas eu la moindre avarie. On ne peut accuser Strelkine,qui est un jeune officier et un lieutenant novice, d’avoir voguésous le grain en ayant le vent en poupe ; car il ne s’étaitjamais trouvé en de semblables circonstances.

– Du reste, répondit affectueusementNil-Paulovitch, tout dépend de la manière de présenter l’affaire auconseil.

– Crois-tu, par hasard, mon ami, que je vaisalléguer de menteuses excuses ? Non, jamais ! Demain,j’informerai de notre malheur l’empereur et l’amirauté sans leurrien dissimuler. Tu m’as pardonné ; la punition de mes chefssera peut-être légère aussi ; mais pourrai-je jamais mepardonner à moi-même la mort de tant de braves gens ?…

– La vergue du grand hunier s’est briséeaccidentellement. Au milieu de l’agitation générale, un des basofficiers a enlevé la balancine au lieu du câbleau de la voiled’étai du grand mât de hune, et les gens ont été lancés au loin.Mais ce malheur aurait aussi bien pu arriver en ta présence.

– Je suis convaincu qu’en ma présence ou en latienne jamais on ne se serait livré à une semblable confusion… Etmes rameurs, hein ?

Pravdine remonta sa couverture sur son visageet demeura silencieux durant quelques minutes. Le frissonnement dela couverture prouvait qu’il était en proie à une violenteémotion.

– Nil, dit enfin le malade en se découvrant,tu sais qu’il y a eu plus d’une erreur dans ma vie ; maisj’aurais volontiers donné à la mort la moitié des jours qui merestent à vivre et consacré l’autre à Dieu, si j’avais pu rayer dupassé ces dernières vingt-quatre heures. Oui, je suis criminel,continua-t-il après quelques instants de silence. Je suis uncriminel, moi qui ai abusé de la confiance impériale, qui ai séduitet perdu une femme aimée, qui ai offensé un ami, fait une tache àla marine russe, causé la mort de seize hommes pour satisfaire unefantaisie… Et je songerais encore à la vie ! Oh ! non, jene veux pas, je ne dois pas survivre à mon honneur. La mer m’aélevé ; elle m’a donné ses orageuses passions ; qu’elleles reprenne maintenant ; je ne puis plus trouver le repos quedans son insondable profondeur. Si je suis condamné à souffrir audelà du tombeau, que la souffrance soit impuissante contre mon cœuret mon corps ; qu’elle se contente de mon âme, cela est déjàsuffisant… Ô Mort ! tu m’apparais souriante comme Flora…Arrive, arrive vite !

Il étendit les bras en faisant entendre uneeffrayante exclamation ; le délire l’avait repris.

– La fièvre l’envahit de nouveau, dit ledocteur à l’oreille de Nil-Paulovitch ; nous allons employerles calmants, et demain il sera mens sana in corporesano.

Il recouvrit soigneusement le malade.

Nil-Paulovitch quitta la cabine et remonta,afin de rafraîchir ses idées ébranlées par tant de péniblesimpressions. Le soleil était à son déclin. On battait le rappel dusoir ; les deux pavillons se balançaient mollement sous lesouffle de la brise ; la nuit s’avançait calme et sereine,tandis que le cœur du brave marin était bouleversé par l’inquiétudeque lui causait le sort de son ami.

– Enfants privilégiés de la nature, pensaitNil, vous payez bien cher votre esprit, vos délicatesses desentiment ! Vous avez d’immenses jouissances ; mais aussicombien vos souffrances sont aiguës et variées ! votre cœurest un télescope, donnant à tout des mesures gigantesques.Oh ! quel est celui qui, contemplant Pravdine, n’eût pointdésiré d’être sot, suffisant, ou insensible que lapierre !…

Vers minuit, Nil-Paulovitch entra sur lapointe des pieds dans la cabine du capitaine. Sur la table voisinedu lit était une lettre commencée ; il était évident quePravdine avait écrit depuis peu de temps, car l’encre brillaitencore au bout de la plume, et deux gouttes de sang paraissaientfraîchement répandues sur le papier ; quant à Pravdine, ilétait étendu calme et la tête complètement voilée par lacouverture. La main de l’ami souleva la couverture, et son regardanxieux examina la figure du malade. Il semblait plongé dans unprofond sommeil ; une teinte rosée se jouait sur ses joues,mais les sourcils présentaient une douloureuse contraction, lasouffrance se peignait sur les lèvres.

– Il souffre même en rêve ! se ditNil-Paulovitch en sortant avec les mêmes précautions qu’il avaitprises en entrant. – Grâces soient rendues à Dieu ! lecapitaine va mieux, dit-il aux matelots assemblés en foule à laporte de la cabine.

Leurs physionomies inquiètes s’éclaircirent,et en un instant un joyeux murmure parcourut les rangs :

– Le capitaine va mieux !

Il allait mieux, en effet.

XI – Dernier message.

Depuis le moment de la séparation, laprincesse ne s’était pas éloignée de la fenêtre. Le soleil s’étaitlevé, il était arrivé à son zénith, et la jeune femme, toujoursassise à la même place, le cœur oppressé, contemplait, à l’aided’une lunette d’approche, la frégate dans laquelle, sans jeu demots, était renfermée toute son espérance. Une longue observation àtravers le télescope produit non seulement sur le regard, maisencore sur l’imagination une sensation étrange. La distance qui,tout en conservant le mouvement aux gens et aux choses, ne laissearriver à nous aucun son, nous représente comme une autre sphère.Semblables à des fantômes, ils se meuvent à nos yeux ; nousvoudrions saisir leurs discours, leurs pensées, nous rendre comptede chacun de leurs gestes, et plus nous regardons, plus notrecuriosité s’accroît.

Vers cinq heures de l’après-midi, la princesseremarqua une plus grande agitation sur la frégate. Les matelotsavaient débarrassé et orné le pont, un objet rouge fut lancé à lamer, et, aussitôt après, trois coups de canons vibrèrent !…Puis le pavillon, qui jusque-là était resté plié, flotta dans toutesa longueur… Le son du dernier coup de canon se perdit dans lelointain, la fumée se mêla aux nuages, et tout reprit son aspectprimitif.

La princesse contemplait cette scène dont ellene pouvait se rendre compte, et qui s’offrait à son regard, confusecomme un rêve ; elle essuya à plusieurs reprises le verre dutélescope, mais le voile resta devant ses yeux, d’où les larmess’échappaient.

– Cela provient de ce que je suis fatiguée,murmura-t-elle.

Et, pensive, sa tête s’inclina sur sa main, unfrisson involontaire parcourut tout son corps.

– Comme le vent est froid ! pensa lajeune femme en croisant son châle sur son sein.

Puis une angoisse indescriptible oppressa soncœur.

– Aujourd’hui même, il ne viendra point !dit-elle tristement.

Quoique ces paroles indiquassent unedéception, on sentait néanmoins une lueur d’espérance dans le tonqui les avait dictées, quelque chose de cette aveugle confiance del’enfant pour son bourreau.

Aujourd’hui ?… Le jour a-t-il donc uncrépuscule au delà de la tombe ? l’aurore succède-t-elle à lanuit chez les morts ?…

La princesse restait assise, plongée dans unprofond et pénible anéantissement ; anéantissement dépourvu detoute idée, de toute sensation ; anéantissement qui, semblableà la mer Morte, n’a ni lames, ni flux, ni reflux ; c’est undésert muet, étouffant, dont les oiseaux craignent des’approcher ; en un mot, c’est un anéantissement qui nediffère de la mort qu’en ce qu’il est le conservateur de ladouleur.

Il était onze heures du soir, lorsqu’un pasd’homme, se faisant entendre dans le corridor qui conduisait à lachambre de la princesse, l’éveilla brusquement de la torpeurfunèbre où elle était plongée. La première idée qui se fit jourdans l’esprit de la malheureuse femme, le premier sonqu’articulèrent ses lèvres fut :

– C’est lui !

Et elle s’élança impétueusement vers la porte,tombant dans les bras de celui qui entrait.

– Princesse, prononça une voix inconnue, vousvous trompez ; je ne suis point Pravdine ; je ne suis queson envoyé.

Nil-Paulovitch tendit une lettre à laprincesse.

Celle-ci fit un bond en arrière, comme si elles’était heurtée à un serpent.

– Et Pravdine ?… Il n’a donc pas vouluvenir ? s’écria-t-elle d’un ton de reproche. Il m’atrompée !… Du reste, en qui avoir foi maintenant, puisque moncœur lui-même a pu m’induire en erreur ? Dites-moi vite où estmon Élie ? est-il bien portant ? quand arrivera-t-ilici ?

Nil-Paulovitch resta silencieux.

Les yeux de Flora brillèrent comme la pointed’un kandjar.

– Je vous comprends, monsieur le lieutenant,dit-elle avec irritation ; vous avez su le décider à ne pointvenir, vous avez toujours été l’ennemi de notre amour. Plus d’unefois votre nom a arraché Pravdine de mes bras… il devenait sombreet silencieux lorsqu’il vous voyait venir… Après me l’avoir enlevé,qu’en avez-vous fait ? où avez-vous caché mon Élie ?Répondez, monsieur !

– Femme infortunée, je puis vous répondre parla même question : Où avez-vous amené Pravdine ? qu’enavez-vous fait ?

– Serait-il mort ?… demanda la princesseglacée d’épouvante.

– Mon pauvre ami a répandu son sang… Mais,avant son sang, il a répandu des larmes amères. Dans une lettre, ilme charge de vous consoler ; mais puis-je donner ce que jen’ai point ?… Je ne suis pas Dieu, et Dieu seul peut apaiserles larmes du chagrin et du remords ! ajouta doucementNil-Paulovitch, pour qui la perte de son ami dominait tout autresentiment. Adieu, princesse ! que Dieu vous accorde l’oubli,c’est le seul bonheur des malheureux !

Et il sortit.

Flora ouvrit d’une main tremblante la lettreécrite par la main glacée d’un mourant. Nous ne la lironspoint ; nous ne violerons point le secret de la tombe, lesecret que les mourants ont enseveli avec eux dans lapoussière.

Pleurs et plaintes, dons du ciel ! parvous l’infortuné échappe à une partie de la souffrance que lui faitéprouver la torture qui le déchire. Mais la douleur de celui dontles yeux n’ont pas une larme, la bouche pas un sanglot, le cœur pasun soupir ; la douleur de celui dont l’esprit n’a plus qu’unepensée, la pensée de sa solitude, la pensée inflexible qui luimurmure à tout instant : « Ainsi que le vautour deProméthée, tu rongeras éternellement ton cœur ; »oh ! cette douleur-là est horrible !

XII – Conclusion.

Extrait du journal L’ABEILLE DU NORD,du mois d’août de l’année 1831.

« Hier est entrée dans notre rade lafrégate l’Espérance, venant de la Méditerranée, etcommandée par le capitaine-lieutenant Paulovitch. La beauté duvaisseau, l’ordre qui y règne, l’air de santé et de vigueur del’équipage ont attiré l’attention des autorités et de tous lesvisiteurs de la frégate. »

Le 31 août de l’année 1832, eut lieu àSaint-Pétersbourg l’ouverture du théâtre Alexandre. À sept heures,la salle était comble. Le parterre, l’amphithéâtre resplendissaientde décorations et de riches uniformes. Cinq rangées de logesétalaient la variété des toilettes féminines ; vous eussiezdit un vase de fleurs émaillées d’une rosée de brillants.

On voyait de ravissants visages encadrés pardes plumes comme des chérubins par leurs ailes.

Des milliers de bougies, distribuées entre lesloges, joignaient leur clarté au lustre éblouissant.

Les dieux de l’Olympe semblaient jeter, duplafond, des regards envieux sur ce luxe terrestre ; lesdéesses rougissaient de dépit en se voyant éclipsées par la beautédes dames russes. Tout était charme, lumière, magie ! En unmot, la salle du théâtre Alexandre, et ce qu’elle renfermait,ressemblait en ce moment à un grandiose et magique rêve de lajeunesse sous le brûlant ciel du Midi… Oh ! croyez-moi, la viedu monde a aussi sa poésie, bien qu’elle soit rare etchère !

La famille impériale n’était pas encorearrivée, et la foule distrayait son impatience par un bourdonnementconfus. Deux hommes entrèrent dans le troisième rang des fauteuilsd’orchestre ; et, après s’être inclinés poliment chaque foisqu’ils heurtaient un pied ou une épaule, ils arrivèrent enfin àleur place, y posèrent leur chapeau, et, se tenant debout, sedisposèrent à passer la salle en revue.

L’un de ces hommes était jeune encore, d’unetaille et d’une physionomie agréables. Il était en petite tenued’uniforme du Collège-Étranger. Tournant le dos à la scène, etrépondant à peine aux saluts que lui adressaient ses connaissances,il fixa fort attentivement à travers ses lunettes une loge encorevide. (Les lunettes sont l’appendice obligé de tous lesdiplomates ; on n’a pas encore pu s’assurer s’ils lesportaient pour mieux saisir le regard d’autrui ou pour mieuxdissimuler le leur.) Le second de ces messieurs était un jeunehomme dans toute l’acception du mot, aux mouvements vifs, àl’expression joyeuse et expansive ; il paraissait si satisfaitdes revers rouges de son uniforme, si heureux du luxe qui rayonnaitautour de lui, qu’il avait l’air d’un papillon par un beau jour demai. Il examinait tout et chacun, et riait de plein cœur enécoutant les épigrammes de son élégant compagnon, qui avait peine àsatisfaire à la rapidité de ses questions.

Au moment où ils achevaient la revue de tousles ambassadeurs et autres dignitaires, de toutes les femmes belleset connues, la porte de la loge restée vide s’ouvrit brusquement,livrant passage à deux femmes resplendissantes de toilette et debeauté.

Paraissant indifférentes aux murmures et auxregards admirateurs qui accueillirent leur entrée, elles sedébarrassèrent de leur châle, secouèrent de la main leurs mancheslégères, et se tournèrent vers leur cavalier, lui faisant observercombien les couloirs étaient étroits.

Ce cavalier était un général d’un âgemûr ; sa poitrine était couverte de décorations ; unsourire épanouissait sa figure.

– Ah ! Joseph, s’écria avec feu le jeunehomme en s’adressant au diplomate, dis-moi vite quelle est cetteravissante personne en toque rouge qui occupe la droite de la loge.Ses yeux semblent faits d’étincelles et de brillants ; sabouche semble une coquille à perles entr’ouverte sous un rayon desoleil… Tout s’éclaire autour d’elle ; c’est la déesse de lajoie ! Son nom, son nom ?

– Comme tu as pris feu, mon cher !répondit le diplomate. Permets néanmoins que je te calme :c’est Sophie Lenovitch, ma femme.

Lenovitch, après s’être amusé quelque temps dela confusion où cette révélation avait plongé le jeune homme,poursuivit d’un ton de badinage :

– Oui, c’est ma femme ; mais tu ne seraspas son poète, cher ami. Pendant six mois, tu peux venir autantqu’il te plaira chez moi ; car, pendant six mois, tu serasencore sans danger ; mais, plus tard, mon cher, que cela tefâche ou non, je répondrai à cet enthousiasme par cettephrase : « Vous êtes un brave garçon, un hommehonnête ; mais remarquez bien ma porte pour n’y entrerjamais ! »

Cette plaisanterie fut dite d’un ton siamical, que le jeune homme, rasséréné, voulut atténuer l’exaltationde ses premières louanges, en les reportant sur la dame quiaccompagnait madame Lenovitch.

– Sais-tu, Joseph, que l’amie de ta femme estcharmante comme la mélancolie ? Remarque : chacun desregards de ses yeux noirs brille comme une larme, sa respirationsemble un soupir, ses boucles noires se jouent autour de son pâlevisage, ses formes sont comme voilées sous une fumée diaphane.

– Est-ce de l’assaut de Varsovie, mon cher,que tu as rapporté cette fumée ? Mets-la immédiatement enrimes, et sois persuadé qu’en arrosant ton œuvre de quelquesbouteilles de champagne tes amis te proclameront poète.

– Plaisante à ton aise ; les traits decette beauté se sont si profondément gravés dans ma mémoire, que,demain, je ferai son portrait, et quiconque aura vu l’original, nefût-ce qu’une fois, dira : « C’est elle ! »Dis-moi donc son nom ?

– Tu vois le général qui est assis derrièreSophie : c’est le prince Pierre, un de mes parents éloignés,et cette dame aux yeux noirs est sa femme.

– La princesse Flora ? s’écria le jeunemilitaire avec une joie si immodérée, que plusieurs lorgnettes sebraquèrent sur lui. La princesse Flora, qui, durant une année, a eude si grands succès dans tous les salons deSaint-Pétersbourg ! Flora était l’idéal de mon frère. À sonretour de Saint-Pétersbourg, en 1829, il ne m’entretenait qued’elle… Il m’est enfin donné de contempler à mon tour cettemerveilleuse créature !

– Le merveilleux ne reste pas longtemps surterre, dit Lenovitch en soupirant. Cette dame brune est la secondefemme du prince Pierre, et Flora, cet ange de bonté et de beauté,Flora, à laquelle je suis redevable de mon bonheur, est morte enAngleterre. Je te raconterai quelque jour sa tristehistoire !

Les yeux de Lenovitch, quelque diplomate qu’ilfût, ne purent cacher une larme.

Le jeune militaire se taisait, en proie à depénibles réflexions. Mais l’orchestre fit entendre sa voix, lerideau se leva… et le sort de Flora fut oublié.

L’oubli nous attend tous, l’oubli inoffensif.Mais peut-être, un jour, quelque Lovelace sans âme saura extraireun doux poison de l’amour de Flora et de Pravdine, en ne racontantà l’inexpérience que ce qui peut servir ses projets. Peut-êtrelira-t-il cette histoire du cœur en tête-à-tête dans le boudoir dequelque charmante femme, à laquelle il n’aura jusqu’à ce moment osédire, que des yeux seulement : « Je vousaime ! » Les couleurs de la passion animeront ses joues,sa voix tremblera sous la feinte émotion de son âme, et une larmed’emprunt brillera sur ses cils… Il épiera avidement un soupir detristesse, une larme de compassion, la compassion étantl’avant-coureur de l’amour, et, lorsqu’il aura saisi ces signes, iltombera aux genoux de la femme émue en s’écriant :

– Oh ! soyez ma Flora, car je vous adorecomme Pravdine l’adorait.

– Vous oubliez leurs infortunes ?répondra-t-elle.

– Chacun a ses infortunes… Mais une part defélicité nous attend ! Mon sort, dût-il être plus malheureuxque celui de Pravdine, je l’accepterais volontiers pour une secondede bonheur… Oh ! si vous saviez combien je vousaime !

Et on l’écoute, on le croit presque !

À cette pensée, l’envie me prend de briser maplume.

Mais, hélas ! y a-t-il une chose aumonde, outre les idées, les paroles, les sensations, où le mal nesoit constamment mêlé au bien ? L’abeille extrait son miel dela belladone, et les hommes en tirent du poison. Le vin ranimel’homme sobre et abat l’ivrogne jusqu’à l’âme.

Rejetons, par conséquent, la plaisante idée devouloir réformer l’humanité par des paroles ; laissons ce soinà la Providence. Contentons-nous de dire : « Telle choses’est passée ainsi, » et que le temps y prenne sa part de bien etde mal.

Les habitants des ports de mer sontépouvantés, le soir à la vue d’un vaisseau qui périt ; lelendemain matin, ils vont sur la grève, et, rassemblant les débrisque le flot y a jetés, ils en construisent une fragile nacelle, ets’élancent en chantant sur la mer orageuse…

FIN

Bibliographie – Œuvres complètes

Tiré de Bibliographie des Auteurs Modernes(1801 – 1934) par Hector Talvart et Joseph Place, Paris,Editions de la Chronique des Lettres Françaises, Aux Horizons deFrance, 39 rue du Général Foy , 1935 Tome 5.

1. Élégie sur la mort du généralFoy. Paris, Sétier, 1825, in-8 de 14 pp.

2. La Chasse et l’Amour.

Vaudeville en un acte, par MM. Rousseau,Adolphe (M. Ribbing de Leuven) et Davy (Davy de la Pailleterie : A.Dumas).

Représenté pour la première fois, à Paris, authéâtre de l’Ambigu-Comique (22 sept.1825).

Paris, Chez Duvernois, Sétier, 1825, in-8 de40 pp.

3. Canaris.

Dithyrambe. Au profit des Grecs.

Paris, Sanson, 1826, in-12 de 10 pp.

4. Nouvellescontemporaines.

Paris, Sanson, 1826, in-12 de 4 ff., 216pp.

5. La Noce etl’Enterrement.

Vaudeville en trois tableaux, par MM. Davy,Lassagne et Gustave.

Représenté pour la première fois, à Paris, authéâtre de la Porte-Saint-Martin (21 nov.1826).

Paris, Chez Bezou, 1826, in-8 de 46 pp.

6. Henri III et sa cour.

Drame historique en cinq actes et enprose.

Représenté au Théâtre-Français (11fév.1829).

Paris, Vezard et Cie, 1829, in-8 de 171pp.

7. Christine ou Stockholm,Fontainebleau et Rome.

Trilogie dramatique sur la vie de Christine,cinq actes en vers, avec prologue et épilogue.

Représenté à Paris sur le Théâtre Royal del’Odéon (30 mars 1830).

Paris, Barba, 1830, in-8 de 3 ff. et 191pp.

8. Rapport au Général La Fayette surl’enlèvement des poudres de Soissons. Paris, Impr. deSétier, s.d. (1830), in-8 de 7 pp.

9. Napoléon Bonaparte, ou trente ansde l’histoire de France.

Drame en six actes.

Représenté pour la première fois, sur laThéâtre Royal de l’Odéon (10 janv.1831).

Paris, chez Tournachon-Molin, 1831, in-8 deXVI-219 pp.

10. Antony.

Drame en cinq actes en prose.

Représenté pour la première fois sur lethéâtre de la Porte-Saint-Martin (3 mai 1831).

Paris, Auguste Auffray, 1831, in-8 de 4 ff. n.ch., 106 pp.et 1 f.n. ch. (post-scriptum).

11. Charles VII chez ses grandsvassaux.

Tragédie en cinq actes.

Représentée pour la première fois sur leThéâtre Royal de l’Odéon (20 oct. 1831).

Paris, Publications de Charles Lemesle, 1831,in-8 de 120 pp.

12. Richard Darlington.

Drame en cinq actes et en prose, précédé deLa Maison du Docteur, prologue par MM. Dinaux.

Représenté pour la première fois sur lethéâtre de la Porte-Saint-Martin (10 déc. 1831).

Paris, J.-N. Barba, 1832, in-8 de 132 pp.

13. Teresa.

Drame en cinq actes et en prose.

Représenté pour la première fois sur leThéâtre Royal de l’Opéra-Comique (6 fév. 1832).

Paris, Barba; Vve Charles Béchet; Lecointe etPougin, 1832, in-8 de 164 pp.

14. Le Mari de la veuve.

Comédie en un acte et en prose, par M.***.

Représentée pour la première fois sur leThéâtre-Français (4 avr. 1832).

Paris, Auguste Auffray, 1832, in-8 de 63pp.

15. La Tour de Nesle.

Drame en cinq actes et en neuf tableaux, parMM. Gaillardet et ***.

Représenté pour la première fois, à Paris, surle théâtre de la Porte-Saint-Martin (29 mai 1832).

Paris, J.-N. Barba, 1832, in-8 de 4 ff., 98pp.

16. Gaule et France.

Paris, U. Canel ; A. Guyot, 1833, in-8 de375 pp.

17. Impressions devoyage.

Paris, A. Guyot, Charpentier et Dumont,1834-1837, 5 vol. in-8.

18. Angèle.

Drame en cinq actes.

Paris, Charpentier, 1834, in-8 de 254 pp.

19. Catherine Howard.

Drame en cinq actes et en huit tableaux.

Paris, Charpentier, 1834, in-8 de IV-208pp.

20. Souvenirs d’Antony.

Paris, Librairie de Dumont, 1835, in-8 de 360pp.

21. Chroniques de France. Isabel deBavière (Règne de Charles VI).

Paris, Librairie de Dumont, 1835, 2 vol. in-8de 406 pp. et 419 pp.

22. Don Juan de Marana ou la chuted’un ange.

Mystère en cinq actes.

Représenté pour la première fois, à Paris, surle théâtre de la Porte-Saint-Martin (30 avr.1836).

Paris, Marchant, Éditeur du Magasin Théâtral,1836 in-8 de 303 p.

23. Kean.

Comédie en cinq actes.

Représentée pour la première fois aux Variétés(31 août 1836).

Paris, J.-B. Barba, 1836, in-8 de 3 ff. et 263pp.

24. Piquillo.

Opéra-comique en trois actes.

Représenté pour la première fois sur leThéâtre Royal de l’Opéra-Comique (31 oct. 1837).

Paris, Marchant, 1837, in-8 de 82 pp.

25. Caligula.

Tragédie en cinq actes et en vers, avec unprologue.

Représentée pour la première fois, à Paris,sur le Théâtre-Français (26 déc. 1837).

Paris, Marchant, Editeur du Magasin Théâtral,1838 in-8 de 170 p.

26. La Salle d’armes. I.Pauline II. Pascal Bruno (précédéde Murat).

Paris, Dumont, Au Salon littéraire, 1838, 2vol. in-8 de 376 e t 352 pp.

27. Le Capitaine Paul

(La main droite du Sire de Giac).

Paris, Dumont, 1838, 2 vol. in-8 de 316 et 323pp.

28. Paul Jones.

Drame en cinq actes.

Représenté pour la première fois, à Paris (8oct. 1838).

Paris, Marchant, 1838, gr. in-8 de 32 pp.

29. Nouvelles impressions devoyage.

Quinze jours au Sinaï, parMM. A. Dumas et A. Dauzats.

Paris, Dumont, 1839, 2 vol. in-8 de 358 et 406pp

30. Acté.

Paris, Librairie de Dumont, 1839, 2 vol. in-8de 3 ff., 242 et 302 pp.

31. La Comtesse de Salisbury.Chroniques de France.

Paris, Dumont, (et Alexandre Cadot),1839-1848, 5 vol. in-8.

32. Jacques Ortis.

Paris, Dumont, 1839, in-8 de XVI pp. (préfacede Pier-Angelo-Fiorentino) et 312 pp.

33. Mademoiselle deBelle-Isle.

Drame en cinq actes, en prose.

Représenté pour la première fois, à Paris, surle Théâtre-Français(2 avr. 1839).

Paris, Dumont, 1839, in-8 de 202 pp.

34. Le CapitainePamphile.

Paris, Dumont, 1839, 2 vol. in-8 de 307 et 296pp.

35. L’Alchimiste.

Drame en cinq actes en vers.

Représenté pour la première fois, sur leThéâtre de la Renaissance (10 avr. 1839).

Paris, Dumont, 1839, in-8 de 176 pp.

36. Crimes célèbres.

Paris, Administration de librairie, 1839-1841,8 vol. in-8.

37. Napoléon, avec douzeportraits en pied, gravés sur acier par les meilleurs artistes,d’après les peintures et les dessins de Horace Vernet, TonyJohannot, Isabey, Jules Boily, etc.

Paris, Au Plutarque français; Delloye, 1840,gr; in-8 de 410 pp.

38. Othon l’archer.

Paris, Dumont, 1840, in-8 de 324 pp.

39. Les Stuarts.

Paris, Dumont, 1840, 2 vol. in-8 de 308 et 304pp.

40. Maître Adam leCalabrais.

Paris, Dumont, 1840, in-8 de 347 pp.

41. Aventures de JohnDavys.

Paris, Librairie de Dumont, 1840, 4 vol.in-8.

42. Le Maître d’armes.

Paris, Dumont, 1840-1841, 3 vol. in-8 de 320,322 et 336 pp.

43. Un Mariage sous LouisXV.

Comédie en cinq actes.

Représentée pour la première fois, à Paris,sur le Théâtre-Français (1er juin 1841).

Paris, Marchant; C. Tresse, 1841, in-8 de 140pp.

44. Praxède, suivi deDon Martin de Freytas et dePierre-le-Cruel.

Paris, Dumont, 1841, in-8 de 307pp.

45. Nouvelles impressions de voyage.Midi de la France.

Paris, Dumont, 1841, 3 vol. in-8 de 340, 326et 357 pp.

46. Excursions sur les bords duRhin.

Paris, Dumont, 1841, 3 vol. in-8 de 328, 326et 334 pp.

47. Une année à Florence.

Paris, Dumont, 1841, 2 vol. in-8 de 340 et 343pp.

48. Jehanne la Pucelle.1429-1431.

Paris, Magen et Comon, 1842, in-8 de VII-327pp.

49. Le Speronare

Paris, Dumont, 1842, 4 vol. in-8.

50. Le Capitaine Arena.

Paris, Dolin, 1842, 2 vol. in-8 de 309 et 314pp.

51. Lorenzino. Magasinthéâtral. Théâtre français.

Drame en cinq actes et en prose.

Paris, Marchant; Tarride, s. d. (1842), gr.in-8 de 36 pp.

52. Halifax. Magasinthéâtral. Choix de pièces nouvelles, jouées sur tous les théâtresde Paris. Théâtre des Variétés.

Comédie en trois actes et un prologue.

Paris, Marchant; Tarride, s. d. (1842), gr.in-8 de 36 pp.

53. Le Chevalierd’Harmental.

Paris, Dumont, 1842, 4 vol. in-8.

54. Le Corricolo.

Paris, Dolin, 1843, 4 vol. in-8.

55. Les Demoiselles deSaint-Cyr.

Comédie en cinq actes, suivie d’une lettre àl’auteur à M. Jules Janin.

Représentée pour la première fois, à Paris,sur le Théâtre-Français (25 juill.1843). Paris, chez Marchant, ettous les Marchands de Nouveautés, 1843, gr.

in-8 de 1 f. (lettre de Dumas à son éditeur),38 pp. et VIII pp. (lettre à J. Janin).

56. La Villa Palmieri.

Paris, Dolin, 1843, 2 vol. in-8.

57. Louise Bernard. Magasinthéâtral. Choix de pièces nouvelles, jouées sur tous les théâtresde Paris.

Théâtre de la Porte-Saint-Martin.

Drame en cinq actes.

Paris, Marchant; Tarride, s. d. (1843), gr.in-8 de 34 pp.

58. Un Alchimiste au dix-neuvièmesiècle.

Paris, Imprimerie de Paul Dupont, 1843, in-8de 23 pp.

59. Filles, Lorettes etCourtisanes.

Paris, Dolin, 1843, in-8. de 338 pp.

60. Ascanio.

Paris, Petion, 1844, 5 vol. in-8.

61. Le Laird de Dumbicky.Magasin théâtral. Choix de pièces nouvelles, jouées sur tous lesthéâtres de Paris.

Théâtre Royal de l’Odéon.

Drame en cinq actes.

Paris, Marchant; Tarride, s. d. (1844), gr.in-8 de 42 pp.

62. Sylvandire.

Paris, Dumont, 1844, 3 vol. in-8 de 318, 310et 324 pp.

63. Fernande.

Paris, Dumont, 1844, 3 vol. in-8 de 320, 336et 320 pp.

64. A. Les TroisMousquetaires

Paris, Baudry, 1844, 8 vol. in-8.

B. LesMousquetaires

Drame en cinq actes et douze tableaux,précédé de L’Auberge de Béthune,

prologue par MM. A. Dumas et AugusteMaquet.

Représenté pour la première fois, àParis, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique (27 oct.1845).

Paris, Marchant, 1845, gr. in-8 de 59pp.

C. La Jeunesse desMousquetaires.

Pièce en 14 tableaux, par MM. A. Dumaset Auguste Maquet.

Paris, Dufour et Mulat, 1849, in-8 de 76pp.

D. Le Prisonnier de laBastille, fin desMousquetaires.

Drame en cinq actes et neuftableaux.

Représenté pour la première fois, àParis, sur le Théâtre Impérial du Cirque (22 mars 1861).

Paris, Michel Lévy frères, s. d. (1861),gr. in-8 de 24 pp.

65. Le Châteaud’Eppstein.

Paris, L. de Potter, 1844, 3 vol. in-8 de 323,353 et 322 pp.

66. Amaury.

Paris, Hippolyte Souverain, 1844, 4 vol.in-8.

67. Cécile.

Paris, Dumont, 1844, 2 vol. in-8 de 330 et 324pp.

68. A. Gabriel Lambert.

Paris, Hippolyte Souverain, 1844, 2 vol.in-8.

B. GabrielLambert.

Drame en cinq actes et un prologue, parA. Dumas et Amédée de Jallais.

Paris, Michel Lévy frères, 1866, in-18de 132 pp.

69. Louis XIV et sonsiècle.

Paris, Chez J.-B. Fellens et L.-P.Dufour, 1844-1845, 2 vol. gr. in-8 de II-492 et 512 pp.

70. A. Le Comte deMonte-Cristo.

Paris, Pétion, 1845-1846, 18 vol.in-8.

B.Monte-Cristo.

Drame en cinq actes et onze tableaux,par MM. A. Dumas et A. Maquet.

Paris, N. Tresse, 1848, gr. in-8 de 48pp.

C. Le Comte deMorcerf.

Drame en cinq actes et dix tableaux deMM. A. Dumas et A. Maquet.

Paris, N. Tresse, 1851, gr. in-8 de 50pp.

D.Villefort.

Drame en cinq actes et dix tableaux deMM. A. Dumas et A. Maquet.

Paris, N. Tresse, 1851, gr. in-8 de 59pp.

71. A. La ReineMargot.

Paris, Garnier frères, 1845, 6 vol.in-8.

B. La ReineMargot.

Bibliothèque dramatique. Théâtremoderne. 2ème série.

Drame en cinq actes et en 13 tableaux,par MM. A. Dumas et A. Maquet.

Paris, Michel Lévy frères, 1847, in-12de 152 pp.

72. Vingt Ans après, suitedes Trois Mousquetaires. Paris, Baudry, 1845, 10vol.

73. A. Une Fille duRégent.

Paris, A. Cadot, 1845, 4 vol. in-8.

B. Une Fille duRégent.

Comédie en cinq actes dont unprologue.

Représentée pour la première fois, àParis, sur le Théâtre-Français (1er avr. 1846).

Paris, Marchant, 1846, gr. in-8 de 35pp.

74. Les Médicis. Paris,Recoules, 1845, 2 vol. in-8 de 343 et 345 pp.

75. Michel-Ange et RaphaëlSanzio.

Paris, Recoules, 1845, 2 vol. in-8 de 345 et306 pp.

76. Les Frères Corses.

Paris, Hippolyte Souverain, 1845, 2 vol. in-8de 302 et 312 pp.

77. A. Le Chevalier deMaison-Rouge.

Paris, A. Cadot, 1845-1846, 6 vol. in-8.

B. Le Chevalier deMaison-Rouge. Bibliothèque dramatique.

Théâtre moderne. 2ème série.

Épisode du temps des Girondins, drame en5 actes et 12 tableaux, par MM. A. Dumas et A. Maquet.

Paris, Michel Lévy frères, 1847, in-18de 139 pp.

78. Histoire d’uncasse-noisette.

Paris, J. Hetzel, 1845, 2 vol. pet. in-8.

79. La Bouillie de la ComtesseBerthe.

Paris, J. Hetzel, 1845, pet. in-8 de 126pp.

80. Nanon de Lartigues.

Paris, L. de Potter, 1845, 2 vol. in-8 de 324et 331 pp.

81. Madame de Condé.

Paris, L. de Potter, 1845, 2 vol. in-8 de 315et 307 pp.

82. La Vicomtesse deCambes.

Paris, L. de Potter, 1845, 2 vol. in-8 de 334et 324 pp.

83. L’Abbaye de Peyssac.

Paris, L. de Potter, 1845, 2 vol. in-8 de 324et 363 pp.

N. B. Ces 8 volumes (n 80 à 83)constituent une série intitulée : La Guerre desfemmes, qui a inspiré la pièce :

La Guerre desfemmes.

Drame en cinq actes et dix tableaux, parMM. A. Dumas et A. Maquet. Représenté pour la première fois, àParis, sur le Théâtre Historique (1er oct. 1849). Paris, A. Cadot,1849, gr. in-8 de 57 pp.

84. A. La Dame deMonsoreau.

Paris, Pétion, 1846, 8 vol.in-8.

B. La Dame deMonsoreau.

Drame en cinq actes et dix tableaux,précédé de L’Etang de Beaugé, prologue par MM. A.Dumas et A. Maquet.

Paris, Michel Lévy, 1860, in-12 de 196pp.

85. Le Bâtard de Mauléon.

Paris, A. Cadot, 1846-1847, 9 vol. in-8.

86. Les Deux Diane.

Paris, A. Cadot, 1846-1847, 10 vol. in-8.

87. Mémoires d’unmédecin.

Paris, Fellens et Dufour (et A. Cadot),1846-1848, 19 vol. in-8.

88. Les Quarante-Cinq.

Paris, A. Cadot, 1847-1848, 10 vol. in-8.

89. Intrigue et Amour.Bibliothèque dramatique.

Théâtre moderne. 2ème série.

Drame en cinq actes et neuf tableaux.

Paris, Michel Lévy frères, 1847, in-12 de 99pp.

90. Impressions de voyage. De Paris àCadix.

Paris, Ancienne maison Delloye, Garnierfrères, 1847-1848, 5 vol. in-8.

91. Hamlet, prince deDanemark.

Bibliothèque dramatique. Théâtre moderne. 2èmesérie.

Drame en vers, en 5 actes et 8 parties, parMM. A. Dumas et Paul Meurice.

Paris, Michel Lévy frères, 1848, in-18 de 106pp.

92. Catilina.

Drame en 5 actes et 7 tableaux, par MM. A.Dumas et A. Maquet.

Paris, Michel Lévy frères, 1848, in-18 de 151pp.

93. Le Vicomte deBragelonne.ou Dix ans plus tard, suitedes Trois Mousquetaires et de Vingt Ans après.

Paris, Michel Lévy frères, 1848-1850, 26 vol.in-8.

94. Le Véloce, ou Tanger, Alger etTunis.

Paris, A. Cadot, 1848-1851, 4 vol. in-8.

95. Le Comte Hermann.

2ème Série du Magasin théâtral…

Drame en cinq actes, avec préface etépilogue.

Paris, Marchant, s. d. (1849), gr. in-8 de 40pp.

96. Les Mille et unfantômes.

Paris, A. Cadot, 1849, 2 vol. in-8 de 318 et309 pp.

97. La Régence.

Paris, A. Cadot, 1849, 2 vol. in-8 de 349 et301 pp.

98. Louis Quinze.

Paris, A. Cadot, 1849, 5 vol. in-8.

99. Les Mariages du pèreOlifus.

Paris, A. Cadot, 1849, 5 vol. in-8.

100. Le Collier de laReine.

Paris, A. Cadot, 1849-1850, 11 vol.in-8.

101. Mémoires de J.-F.Talma.

Écrits par lui-même et recueillis et misen ordre sur les papiers de sa famille, par A. Dumas.

Paris, 1849 (et 1850), HippolyteSouverain, 4 vol. in-8.

102. La Femme au collier develours.

Paris, A. Cadot, 1850, 2 vol. in-8 de326 et 333 pp.

103. Montevideo ouune nouvelle Troie.

Paris, Imprimerie centrale de NapoléonChaix et Cie, 1850, in-18 de 167 pp.

104. La Chasse auchastre.

Magasin théâtral. Piècesnouvelles…

Fantaisie en trois actes et huittableaux.

Paris, Administration de librairiethéâtrale. Ancienne maison Marchant, 1850, gr. in-8 de 24pp.

105. La Tulipenoire.

Paris, Baudry, s. d. (1850), 3 vol. in-8de 313, 304 et 316 pp.

106. Louis XVI (Histoire deLouis XVI et de Marie-Antoinette.) Paris, A. Cadot,1850-1851, 5 vol. in-8.

107. Le Trou del’enfer. (Chronique de Charlemagne).

Paris, A. Cadot, 1851, 4 vol.in-8.

108. Dieudispose.

Paris, A. Cadot, 1851, 4 vol.in-8.

109. La Barrière deClichy.

Drame militaire en 5 actes et 14tableaux.

Représenté pour la première fois à Parissur le Théâtre National (ancien Cirque, 21 avr. 1851).

Paris, Librairie Théâtrale, 1851, in-8de 48 pp.

110. Impressions de voyage.Suisse.

Paris, Michel Lévy frères, 1851, 3 vol.in-18.

111. AngePitou.

Paris, A. Cadot, 1851, 8 vol.in-8.

112. Le Drame deQuatre-vingt-treize. Scènes de la vie révolutionnaire.Paris, Hippolyte Souverain, 1851, 7 vol. in-8.

113. Histoire de deuxsiècles ou la Cour, l’Église et le peuple depuis1650 jusqu’à nos jours.

Paris, Dufour et Mulat, 1852, 2 vol. gr.in-8.

114.Conscience.

Paris, A. Cadot, 1852, 5 vol.in-8.

115. Un Gil Blas enCalifornie.

Paris, A. Cadot, 1852, 2 vol. in-8 de317 et 296 pp.

116. Olympe deClèves.

Paris, A. Cadot, 1852, 9 vol.in-8.

117. Le Dernier roi (Histoire dela vie politique et privée de Louis-Philippe.) Paris,Hippolyte Souverain, 1852, 8 vol. in-8. 118. MesMémoires.

Paris, A. Cadot, 1852-1854, 22 vol.in-8.

119. La Comtesse deCharny.

Paris, A. Cadot, 1852-1855, 19 vol.in-8.

120. IsaacLaquedem.

Paris, A la Librairie Théâtrale, 1853, 5vol. in-8.

121. Le Pasteurd’Ashbourn.

Paris, A. Cadot , 1853, 8 vol.in-8.

122. Les Drames de lamer.

Paris, A. Cadot, 1853, 2 vol. in-8 de296 et 324 pp.

123.Ingénue.

Paris, A. Cadot, 1853-1855, 7 vol.in-8.

124. La Jeunesse dePierrot. par Aramis. Publications duMousquetaire

Paris, A la Librairie Nouvelle, 1854,in-16, 150 pp.

125. LeMarbrier.

Drame en trois actes.

Représenté pour la première fois, àParis, sur le théâtre du Vaudeville (22 mai 1854).

Paris, Michel Lévy frères, 1854, in-18de 48 pp.

126. LaConscience.

Drame en cinq actes et en sixtableaux.

Paris, Librairie d’Alphonse Tarride,1854, in-18 de 108 pp.

127. A. El Salteador.

Roman de cape et d’épée.

Paris, A. Cadot, 1854, 3 vol. in-8.

Il a été tiré de ce roman une pièce dont voicile titre :

B. Le Gentilhomme de lamontagne.

Drame en cinq actes et huit tableaux,par A. Dumas (et Ed. Lockroy).

Paris, Michel Lévy, 1860, in-18 de 144pp.

128. Une Vied’artiste.

Paris, A. Cadot, 1854, 2 vol. in-8 de315 et 323 pp.

129. Saphir, pierre précieusemontée par Alexandre Dumas.

Bibliothèque du Mousquetaire.

Paris, Coulon-Pineau, 1854, in-12 de 242pp.

130. CatherineBlum.

Paris, A. Cadot, 1854, 2 vol.in-8.

131. Vie et aventures de laprincesse de Monaco. Recueillies par A. Dumas.

Paris, A. Cadot, 1854, 6 vol.in-8.

132. La Jeunesse de LouisXIV.

Comédie en cinq actes et enprose.

Paris, Librairie Théâtrale, 1856, in-16de 306 pp.

133. Souvenirs de 1830 à1842.

Paris, A. Cadot, 1854-1855, 8 vo l.in-8.

134. Le Page du Duc deSavoie.

Paris, A. Cadot, 1855, 8 vol.in-8.

135. Les Mohicans deParis.

Paris, A. Cadot, 1854-1855, 19 vol.in-8.

136. A. Les Mohicans deParis (Suite) Salvator lecommissionnaire.

Paris, A. Cadot, 1856 (-1859), 14 vol.in-8.

Il a été tiré des Mohicans de Paris, lapièce suivante:

B. Les Mohicans deParis.

Drame en cinq actes, en neuf tableaux,avec prologue.

Paris, Michel Lévy, 1864, in-12 de 162pp.

137. Taïti. Marquises.Californie. Journal de Madame Giovanni. Rédigé et publiépar A. Dumas.

Paris, A. Cadot, 1856, 4 vol.in-8.

138. La dernière année de MarieDorval.

Paris, Librairie Nouvelle, 1855, in-32de 96 pp.

139. Le Capitaine Richard. (UneChasse aux éléphants.) Paris, A. Cadot, 1858, 3 vol.in-8.

140. Les Grands hommes en robede chambre. César. Paris, A. Cadot, 1856, 7 vol.in-8.

141. Les Grands hommes en robede chambre. Henri IV. Paris, A. Cadot, 1855, 2 vol. in-8de 322 et 330 pp.

142. Les Grands hommes en robede chambre. Richelieu.

Paris, A. Cadot, 1856, 5 vol.in-8.

143.L’Orestie.

Tragédie en trois actes et en vers,imitée de l’antique.

Paris, Librairie Théâtrale, 1856, in-12de 108 pp.

144. Le Lièvre de mongrand-père.

Paris, A. Cadot, 1857, in-8 de 309pp.

145. La TourSaint-Jacques-la-Boucherie.

Drame historique en 5 actes et 9tableaux, par MM. A. Dumas et X. de Montépin.

Représenté pour la première fois sur leThéâtre Impérial du Cirque (15 nov. 1856).

A la Librairie Théâtrale, 1856, gr. in-8de 16 pp.

146. Pèlerinage deHadji-Abd-el-Hamid-Bey (Du Couret). Médine et la Mecque.Paris, A. Cadot, 1856-1857, 6 vol. in-8.

147. Madame duDeffand.

Paris, A. Cadot, 1856-1857, 8 vol.in-8.

148. La Dame devolupté.

Mémoires de Mlle de Luynes, publiés parA. Dumas.

Paris, Michel Lévy frères, 1864, 2 vol.in-18 de 284 et 332 pp.

149. L’Invitation à lavalse.

Comédie en un acte et enprose.

Représentée pour la première fois, àParis, sur le Théâtre du Gymnase (18 juin 1857).

Paris, Beck, 1837 (pour 1857), in-12 de48 pp.

150. L’Homme auxcontes.

Le Soldat de plomb et la danseuse depapier. Petit-Jean et Gros-Jean.

Le roi des taupes et sa fille. LaJeunesse de Pierrot.

Édition interdite en France.

Bruxelles, Office de publicité, Coll.Hetzel, 1857, in-32 de 208 pp.

151. Les Compagnons deJéhu.

Paris, A. Cadot, 1857, 7 vol.in-8.

152. Charles leTéméraire.

Paris, Michel Lévy frères, 1860, 2 vol.in-12 de 324 et 310 pp.

153. Le Meneur deloups.

Paris, A. Cadot, 1857, 3 vol.in-8.

154.Causeries.

Première et deuxième séries.

Paris, Michel Lévy frères, 1860, 2 vol.in-8.

155. La Retraiteilluminée, par A. Dumas, avec divers appendices par M.Joseph Bard et Sommeville.

Auxerre, Ch. Gallot, Libraire-éditeur,1858, in-12 de 88 pp.

156. L’Honneur estsatisfait.

Comédie en un acte et enprose.

Paris, Librairie Théâtrale, 1858, in-12de 48 pp.

157. La Route deVarennes.

Paris, Michel Lévy, 1860, in-18 de 279pp.

158.L’Horoscope.

Paris, A. Cadot, 1858, 3 vol.in-8.

159. Histoire de mesbêtes.

Paris, Michel Lévy frères, 1867, in-18de 333 pp.

160. Le Chasseur desauvagine.

Paris, A. Cadot, 1858, 2 vol. in-8 dechacun 317 pp.

161. Ainsisoit-il.

Paris, A. Cadot, s. d. (1862), 5 vol.in-8.

Il a été tiré de ce roman la piècesuivante:

Madame deChamblay.

Drame en cinq actes, enprose.

Paris, Michel Lévy, 1869, in-18 de 96pp.

162. Black.

Paris, A. Cadot, 1858, 4 vol.in-8.

163. Les Louves deMachecoul, par A. Dumas et G. de Cherville.

Paris, A. Cadot, 1859, 10 vol.in-8.

164. De Paris àAstrakan, nouvelles impressions de voyage.

Première et deuxième série.

Paris, Librairie nouvelle A. Bourdilliatet Cie, 1860, 2 vol. in-18 de 318 et 313 pp.

165. Lettres deSaint-Pétersbourg (sur le Servage en Russie).

Édition interdite pour laFrance.

Bruxelles, Rozez, coll. Hetzel 1859,in-32 de 232 pp.

166. La Frégatel’Espérance.

Édition interdite pour laFrance.

Bruxelles, Office de publicité; Leipzig,A. Dürr, coll. Hetzel, 1859, in-32 de 232 pp.

167. Contes pour les grands etles petits enfants.

Bruxelles, Office de publicité; Leipzig,A. Dürr, coll. Hetzel, 1859, 2 vol. in-32 de 190 et 204pp.

168. Jane.

Paris, Michel Lévy frères, 1862, in-18de 324 pp.

169. Herminie etMarianna.

Édition interdite pour laFrance.

Bruxelles, Méline, Cans et Cie, coll.Hetzel, 1859, in-32 de 174 pp.

170.Ammalat-Beg.

Paris, A. Cadot, s. d. (1859), 2 vol.in-8 de 326 et 352 pp.

171. La Maison deglace.

Paris, Michel Lévy, 1860, 2 vol. in-18de 326 et 280 pp.

172. Le Caucase. Voyaged’Alexandre Dumas.

Paris, Librairie Théâtrale, s. d.(1859), in-4 de 240 pp.

173. Traduction de VictorPerceval. Mémoires d’un policeman. Paris, A. Cadot, 1859,2 vol. in-8 de chacun 325 pp.

174. L’Art et les artistescontemporains au Salon de 1859.

Paris, A. Bourdilliat et Cie, 1859, 2vol. in-18 de 188 pp.

175. Monsieur Coumbes.(Histoire d’un cabanon et d’un chalet.)

Paris, A. Bourdilliat et Cie, 1860,in-18 de 316 pp.

Connu aussi sous le titre suivant :Le Fils du Forçat

176. Docteur Maynard. LesBaleiniers, voyage aux terres antipodiques.

Paris, A. Cadot, 1859, 3 vol.in-8.

177. Une Aventured’amour (Herminie).

Paris, Michel Lévy frères, 1867, in-18de 274 pp.

178. Le Père laRuine.

Paris, Michel Lévy frères, 1860, in-18de 320 pp

179. La Vie au désert. Cinq ansde chasse dans l’intérieur de l’Afrique méridionale par GordonCumming.

Paris, Impr. de Edouard Blot, s. d.(1860), gr. in-8 de 132 pp.

180.Moullah-Nour.

Édition interdite pour laFrance.

Bruxelles, Méline, Cans et Cie, coll.Hetzel, s. d. (1860), 2 vol. in-32 de 181 et 152 pp.

181. Un Cadet defamille traduit par Victor Perceval, publié par A.Dumas.

Première, deuxième et troisièmesérie.

Paris, Michel Lévy frères, 1860, 3 vol.in-18.

182. Le Romand’Elvire.

Opéra-comique en trois actes, par A.Dumas et A. de Leuven.

Paris, Michel Lévy frères, 1860, in-18de 97 pp.

183. L’Envers d’uneconspiration.

Comédie en cinq actes, enprose.

Paris, Michel Lévy frères, 1860, in-18de 132 pp.

184. Mémoires deGaribaldi, traduits sur le manuscrit original, par A.Dumas.

Première et deuxième série.

Paris, Michel Lévy frères, 1860, 2 vol.in-18 de 312 et 268 pp.

185. Le père Gigognecontes pour les enfants.

Première et deuxième série.

Paris, Michel Lévy frères, 1860, 2 vol.in-18.

186. Les Drames galants. LaMarquise d’Escoman.

Paris, A. Bourdilliat et Cie, 1860, 2vol. in-18 de 281 et 291 pp.

187. Jacquot sansoreilles.

Paris, Michel Lévy frères, 1873, in-18de XXVIII-231 pp.

188. Une nuit à Florence sousAlexandre de Médicis.

Paris, Michel Lévy frères, 1861, in-18de 250 pp.

189. Les Garibaldiens.Révolution de Sicile et de Naples. Paris, Michel Lévyfrères, 1861, in-18 de 376 pp.

190. Les Morts vontvite.

Paris, Michel Lévy frères, 1861, 2 vol.in-18 de 322 et 294 pp.

191. La Boule deneige.

Paris, Michel Lévy frères, 1862, in-18de 292 pp.

192. La PrincesseFlora.

Paris, Michel Lévy frères, 1862, in-18de 253 pp.

193. Italiens etFlamands.

Première et deuxième série.

Paris, Michel Lévy, 1862, 2 vol. in-18de 305 et 300 pp.

194.Sultanetta.

Paris, Michel Lévy, 1862, in-18 de 320pp.

195. Les Deux Reines, suite etfin des Mémoires de Mlle de Luynes. Paris, Michel Lévyfrères, 1864, 2 vol. in-18 de 333 et 329 pp.

196. LaSan-Felice.

Paris, Michel Lévy frères, 1864-1865, 9vol. in-18.

197. Un Pays inconnu,(Géral-Milco; Brésil.).

Paris, Michel Lévy frères, 1865, in-18de 320 pp.

198. Les Gardesforestiers.

Drame en cinq actes.

Représenté pour la première fois, àParis, sur le Grand-Théâtre parisien (28 mai 1865).

Paris, Michel Lévy frères, s. d. (1865),gr. in-8 de 36 pp.

199. Souvenirs d’unefavorite.

Paris, Michel Lévy frères, 1865, 4 vol.in-18.

200. Les Hommes defer.

Paris, Michel Lévy frères, 1867, in-18de 305 pp.

201. A. Les Blancs et lesBleus.

Paris, Michel Lévy frères, 1867-1868, 3vol. in-18.

B. Les Blancs et lesBleus.

Drame en cinq actes, en onzetableaux.

Représenté pour la première fois, àParis, sur le Théâtre du Châtelet (10 mars 1869).

(Michel Lévy frères), s. d. (1874), grin-8 de 28 pp.

202. La Terreurprussienne.

Paris, Michel Lévy frères, 1868, 2 vol.in-18 de 296 et 294 pp.

203. Souvenirsdramatiques.

Paris, Michel Lévy frères, 1868, 2 vol.in-18 de 326 et 276 pp.

204. Parisiens etprovinciaux.

Paris, Michel Lévy frères, 1868, 2 vol.in-18 de 326 et 276 pp.

205. L’Île defeu.

Paris, Michel Lévy frères, 1871, 2 vol.in-18 de 285 et 254 pp.

206. Création et Rédemption. LeDocteur mystérieux.

Paris, Michel Lévy frères, 1872, 2 vol.in-18 de 320 et 312 pp.

207. Création et Rédemption. LaFille du Marquis.

Paris, Michel Lévy frères, 1872, 2 vol.in-18 de 274 et 281 pp.

208. Le Prince desvoleurs.

Paris, Michel Lévy frères, 1872, 2 vol.in-18 de 293 et 275 pp.

209. Robin Hood leproscrit.

Paris, Michel Lévy frères, 1873, 2 vol.in-18 de 262 et 273 pp.

210. A. Grand dictionnaire decuisine, par A. Dumas (et D.-J. Vuillemot).

Paris, A. Lemerre, 1873, gr. in-8 de1155 pp.

B. Petit dictionnaire decuisine.

Paris, A. Lemerre, 1882, in-18 de 819pp.

211. Propos d’art et decuisine. Paris, Calmann-Lévy, 1877, in-18 de 304pp.

212. Herminie.L’Amazone. Paris, Calmann-Lévy, 1888, in-16 de 111pp.

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