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La Thébaïde ou Les Frères ennemis

La Thébaïde ou Les Frères ennemis

de Jean Racine

Adresse

 

À Monseigneur Le duc de Saint-Aignan

Pair de France.

 

MONSEIGNEUR,

Je vous présente un ouvrage qui n’a peut-être rien de considérable que l’honneur de vous avoir plu. Mais véritablement cet honneur est quelque chose de si grand pour moi que, quand ma pièce ne m’aurait produit que cet avantage, je pourrais dire que son succès aurait passé mes espérances. Et que pouvais-je espérer de plus glorieux que l’approbation d’une personne qui sait donner aux choses un juste prix, et qui est lui-même l’admiration de tout le monde ? Aussi, MONSEIGNEUR,si la Thébaïde a reçu quelques applaudissements, c’est sans doute qu’on n’a pas osé démentir le jugement que vous avez donné en sa faveur ; et il semble que vous lui ayez communiqué ce don de plaire qui accompagne toutes vos actions. J’espère qu’étant dépouillée des ornements du théâtre, vous ne laisserez pas de la regarder encore favorablement. Si cela est, quelques ennemis qu’elle puisse avoir, je n’appréhende rien pour elle, puisqu’elle sera assurée d’un protecteur que le nombre des ennemis n’a pas accoutumé d’ébranler. On sait, MONSEIGNEUR, que si vous avez une parfaite connaissance des belles choses, vous n’entreprenez pas les grandes avec un courage moins élevé, et que vous avez réuni en vous ces deux excellentes qualités qui ont fait séparément tant de grands hommes. Mais je dois craindre que mes louanges ne voussoient aussi importunes que les vôtres m’ont été avantageuses : aussi bien, je ne vous dirais que des choses qui sont connues de tout le monde, et que vous seul voulez ignorer.Il suffit que vous me permettiez de vous dire, avec un profond respect, que je suis,

MONSEIGNEUR,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

RACINE.

Préface

 

Le lecteur me permettra de lui demander un peuplus d’indulgence pour cette pièce que pour les autres qui lasuivent ; j’étais fort jeune quand je la fis. Quelques versque j’avais faits alors tombèrent par hasard entre les mains dequelques personnes d’esprit ; elles m’excitèrent à faire unetragédie, et me proposèrent le sujet de la Thébaïde. Ce sujet avaitété autrefois traité par Rotrou, sous le nom d’Antigone.Mais il faisait mourir les deux frères dès le commencement de sontroisième acte. Le reste était, en quelque sorte, le commencementd’une autre tragédie, où l’on entrait dans des intérêts toutnouveaux ; et il avait réuni en une seule pièce deux actionsdifférentes, dont l’une sert de matière aux Phéniciennesd’Euripide, et l’autre à l’Antigone de Sophocle. Jecompris que cette duplicité d’action avait pu nuire à sa pièce qui,d’ailleurs, était remplie de quantité de beaux endroits. Je dressaià peu près mon plan sur les Phéniciennes d’Euripide. Carpour la Thébaïde qui est dans Sénèque, je suis un peu del’opinion d’Heinsius, et je tiens, comme lui, que non seulement cen’est point une tragédie de Sénèque, mais que c’est plutôtl’ouvrage d’un déclamateur qui ne savait ce que c’était quetragédie.

La catastrophe de ma pièce est peut-être unpeu trop sanglante. En effet, il n’y paraît presque pas un acteurqui ne meure à la fin. Mais aussi c’est la Thébaïde,c’est-à-dire le sujet le plus tragique de l’antiquité.

L’amour, qui a d’ordinaire tant de part dansles tragédies, n’en a presque point ici ; et je doute que jelui en donnasse davantage si c’était à recommencer, car ilfaudrait, ou que l’un des deux frères fût amoureux, ou tous lesdeux ensemble. Et quelle apparence de leur donner d’autres intérêtsque ceux de cette fameuse haine qui les occupait toutentiers ? Ou bien il faut jeter l’amour sur un des secondspersonnages, comme j’ai fait ; et alors cette passion, quidevient comme étrangère au sujet, ne peut produire que de médiocreseffets. En un mot, je suis persuadé que les tendresses ou lesjalousies des amants ne sauraient trouver que fort peu de placeparmi les incestes, les parricides, et toutes les autres horreursqui composent l’histoire d’Oedipe et de sa malheureuse famille.

Acteurs

 

Étéocle, roi deThèbes.

Polynice, frèred’Étéocle.

Jocaste, mère deces deux princes et d’Antigone.

Antigone, sœurd’Étéocle et de Polynice.

Créon, oncle desprinces et de la princesse.

Hémon, fils deCréon, amant d’Antigone.

Olympe,confidente de Jocaste.

Attale,confident de Créon.

Unsoldat de l’armée de Polynice.

Gardes.

 

La scène est à Thèbes, dans unesalle du palais royal.

Acte I

Scène I

 

Jocaste,Olympe

 

Jocaste

Ils sont sortis, Olympe ? Ah !mortelles douleurs !

Qu’un moment de repos me va coûter depleurs !

Mes yeux depuis six mois étaient ouverts auxlarmes

Et le sommeil les ferme en de tellesalarmes ?

Puisse plutôt la mort les fermer pourjamais,

Et m’empêcher de voir le plus noir desforfaits !

Mais en sont-ils aux mains ?

 

Olympe

Du haut de la muraille

Je les ai vus déjà tous rangés enbataille ;

J’ai vu déjà le fer briller de toutesparts ;

Et pour vous avertir j’ai quitté lesremparts.

J’ai vu, le fer en main, Étéoclelui-même ;

Il marche des premiers, et d’une ardeurextrême

Il montre aux plus hardis à braver ledanger.

 

Jocaste

N’en doutons plus, Olympe, ils se vontégorger.

Que l’on coure avertir et hâter laprincesse ;

Je l’attends. Juste ciel, soutenez mafaiblesse !

Il faut courir, Olympe, après cesinhumains ;

Il les faut séparer, ou mourir par leursmains.

Nous voici donc, hélas ! à ce jourdétestable

Dont la seule frayeur me rendaitmisérable !

Ni prière ni pleurs ne m’ont de rienservi,

Et le courroux du sort voulait êtreassouvi.

Ô toi, soleil, ô toi qui rends le jour aumonde,

Que ne l’as-tu laissé dans une nuitprofonde !

À de si noirs forfaits prêtes-tu tesrayons ?

Et peux-tu sans horreur voir ce que nousvoyons ?

Mais ces monstres, hélas ! net’épouvantent guères :

La race de Laïus les a rendusvulgaires ;

Tu peux voir sans frayeur les crimes de mesfils,

Après ceux que le père et la mère ontcommis.

Tu ne t’étonnes pas si mes fils sontperfides,

S’ils sont tous deux méchants, et s’ils sontparricides ;

Tu sais qu’ils sont sortis d’un sangincestueux,

Et tu t’étonnerais s’ils étaient vertueux.

Scène II

 

Jocaste,Antigone,Olympe

 

Jocaste

Ma fille, avez-vous su l’excès de nosmisères ?

 

Antigone

Oui, Madame : on m’a dit la fureur de mesfrères.

 

Jocaste

Allons, chère Antigone, et courons de cepas

Arrêter, s’il se peut, leurs parricidesbras.

Allons leur faire voir ce qu’ils ont de plustendre ;

Voyons si contre nous ils pourront sedéfendre,

Ou s’ils oseront bien, dans leur noirefureur,

Répandre notre sang pour attaquer le leur.

 

Antigone

Madame, c’en est fait, voici le roilui-même.

Scène III

 

Jocaste,Étéocle,Antigone,Olympe

 

Jocaste

Olympe, soutiens-moi, ma douleur estextrême.

 

Étéocle

Madame, qu’avez-vous ? et queltrouble…

 

Jocaste

Ah, mon fils !

Quelles traces de sang vois-je sur voshabits ?

Est-ce du sang d’un frère ? ou n’est-cepoint du vôtre ?

 

Étéocle

Non, Madame, ce n’est ni de l’un ni del’autre.

Dans son camp jusqu’ici Polynice arrêté,

Pour combattre à mes yeux ne s’est pointprésenté.

D’Argiens seulement une troupe hardie

M’a voulu de nos murs disputer lasortie :

J’ai fait mordre la poudre à cesaudacieux,

Et leur sang est celui qui paraît à vosyeux.

 

Jocaste

Mais que prétendiez-vous ? et quelleardeur soudaine

Vous a fait tout à coup descendre dans laplaine ?

 

Étéocle

Madame, il était temps que j’en usasseainsi,

Et je perdais ma gloire à demeurer ici.

Le peuple, à qui la faim se faisait déjàcraindre,

De mon peu de vigueur commençait à seplaindre,

Me reprochant déjà qu’il m’avait couronné,

Et que j’occupais mal le rang qu’il m’adonné.

Il le faut satisfaire ; et quoi qu’il enarrive,

Thèbes dès aujourd’hui ne sera pluscaptive :

Je veux, en n’y laissant aucun de messoldats,

Qu’elle soit seulement juge de noscombats.

J’ai des forces assez pour tenir lacampagne,

Et si quelque bonheur nos armesaccompagne,

L’insolent Polynice et ses fiers alliés

Laisseront Thèbes libre, ou mourront à mespieds.

 

Jocaste

Vous pourriez d’un tel sang, ô ciel !souiller vos armes ?

La couronne pour vous a-t-elle tant decharmes ?

Si par un parricide il la fallait gagner,

Ah ! mon fils, à ce prix voudriez-vousrégner ?

Mais il ne tient qu’à vous, si l’honneur vousanime,

De nous donner la paix sans le secours d’uncrime,

Et de votre courroux triomphantaujourd’hui,

Contenter votre frère, et régner avec lui.

 

Étéocle

Appelez-vous régner partager ma couronne,

Et céder lâchement ce que mon droit medonne ?

 

Jocaste

Vous le savez, mon fils, la justice et lesang

Lui donnent, comme à vous, sa part à ce hautrang.

Oedipe, en achevant sa triste destinée,

Ordonna que chacun régnerait sonannée ;

Et n’ayant qu’un état à mettre sous voslois,

Voulut que tour à tour vous fussiez tous deuxrois.

À ces conditions vous daignâtes souscrire.

Le sort vous appela le premier à l’empire,

Vous montâtes au trône ; il n’en futpoint jaloux ;

Et vous ne voulez pas qu’il y monte aprèsvous !

 

Étéocle

Non, Madame, à l’empire il ne doit plusprétendre.

Thèbes à cet arrêt n’a point voulu serendre ;

Et lorsque sur le trône il s’est vouluplacer,

C’est elle, et non pas moi, qui l’en a suchasser.

Thèbes doit-elle moins redouter sapuissance,

Après avoir six mois senti saviolence ?

Voudrait-elle obéir à ce prince inhumain,

Qui vient d’armer contre elle et le fer et lafaim ?

Prendrait-elle pour roi l’esclave deMycène,

Qui pour tous les Thébains n’a plus que de lahaine,

Qui s’est au roi d’Argos indignementsoumis

Et que l’hymen attache à nos fiersennemis ?

Lorsque le roi d’Argos l’a choisi pour songendre,

Il espérait par lui de voir Thèbes encendre.

L’amour eut peu de part à cet hymenhonteux,

Et la seule fureur en alluma les feux.

Thèbes m’a couronné pour éviter seschaînes,

Elle s’attend par moi de voir finir sespeines.

Il la faut accuser si je manque defoi ;

Et je suis son captif, je ne suis pas sonroi.

 

Jocaste

Dites, dites plutôt, cœur ingrat etfarouche,

Qu’auprès du diadème il n’est rien qui voustouche.

Mais je me trompe encor : ce rang ne vousplaît pas,

Et le crime tout seul a pour vous desappas.

Eh bien ! puisqu’à ce point vous en êtesavide,

Je vous offre à commettre un doubleparricide :

Versez le sang d’un frère ; et si c’estpeu du sien,

Je vous invite encore à répandre le mien.

Vous n’aurez plus alors d’ennemis àsoumettre,

D’obstacle à surmonter, ni de crime àcommettre,

Et n’ayant plus au trône un fâcheuxconcurrent,

De tous les criminels vous serez le plusgrand.

 

Étéocle

Eh bien, Madame, eh bien ! il faut voussatisfaire ;

Il faut sortir du trône et couronner monfrère ;

Il faut, pour seconder votre injusteprojet,

De son roi que j’étais devenir son sujet,

Et pour vous élever au comble de la joie,

Il faut à sa fureur que je me livre enproie ;

Il faut par mon trépas…

 

Jocaste

Ah ciel ! quelle rigueur !

Que vous pénétrez mal dans le fond de moncœur !

Je ne demande pas que vous quittiezl’empire :

Régnez toujours, mon fils, c’est ce que jedésire.

Mais si tant de malheurs vous touchent depitié,

Si pour moi votre cœur garde quelqueamitié,

Et si vous prenez soin de votre gloiremême,

Associez un frère à cet honneur suprême.

Ce n’est qu’un vain éclat qu’il recevra devous ;

Votre règne en sera plus puissant et plusdoux.

Les peuples, admirant cette vertu sublime,

Voudront toujours pour prince un roi simagnanime,

Et cet illustre effort, loin d’affaiblir vosdroits,

Vous rendra le plus juste et le plus grand desrois.

Ou s’il faut que mes vœux vous trouventinflexible,

Si la paix à ce prix vous paraîtimpossible,

Et si le diadème a pour vous tantd’attraits,

Au moins consolez-moi de quelque heure depaix.

Accordez cette grâce aux larmes d’unemère,

Et cependant, mon fils, j’irai voir votrefrère.

La pitié dans son âme aura peut-être lieu,

Ou du moins pour jamais j’irai lui direadieu.

Dès ce même moment permettez que jesorte :

J’irai jusqu’à sa tente, et j’irai sansescorte ;

Par mes justes soupirs j’espèrel’émouvoir.

 

Étéocle

Madame, sans sortir vous le pouvezrevoir ;

Et si cette entrevue a pour vous tant decharmes,

Il ne tiendra qu’à lui de suspendre nosarmes.

Vous pouvez dès cette heure accomplir vossouhaits

Et le faire venir jusque dans ce palais,

J’irai plus loin encore ; et pour faireconnaître

Qu’il a tort en effet de me nommer untraître,

Et que je ne suis pas un tyran odieux,

Que l’on fasse parler et le peuple et lesdieux.

Si le peuple y consent, je lui cède maplace ;

Mais qu’il se rende enfin, si le peuple lechasse.

Je ne force personne, et j’engage ma foi

De laisser aux Thébains à se choisir unroi.

Scène IV

 

Jocaste,Étéocle,Antigone,Créon,Olympe

 

Créon

Seigneur, votre sortie a mis tout enalarmes :

Thèbes, qui croit vous perdre, est déjà touteen larmes ;

L’épouvante et l’horreur règnent de toutesparts,

Et le peuple effrayé tremble sur sesremparts.

 

Étéocle

Cette vaine frayeur sera bientôt calmée,

Madame, je m’en vais retrouver monarmée ;

Cependant vous pouvez accomplir vossouhaits,

Faire entrer Polynice et lui parler depaix.

Créon, la reine ici commande en monabsence :

Disposez tout le monde à son obéissance.

Laissez, pour recevoir et pour donner seslois,

Votre fils Ménécée, et j’en ai fait lechoix ;

Comme il a de l’honneur autant que decourage,

Ce choix aux ennemis ôtera tout ombrage,

Et sa vertu suffit pour les rendreassurés.

Commandez-lui, Madame.

(À Créon)

Et vous, vous me suivrez.

 

Créon

Quoi ? Seigneur, …

 

Étéocle

Oui, Créon, la chose est résolue.

 

Créon

Et vous quittez ainsi la puissanceabsolue ?

 

Étéocle

Que je la quitte ou non, ne vous tourmentezpas ;

Faites ce que j’ordonne, et venez sur mespas.

Scène V

 

Jocaste,Antigone,Créon,

 

Créon

Qu’avez-vous fait, Madame ? et par quelleconduite

Forcez-vous un vainqueur à prendre ainsi lafuite ?

Ce conseil va tout perdre.

 

Jocaste

Il va tout conserver ;

Et par ce seul conseil Thèbes se peutsauver.

 

Créon

Eh quoi, Madame, eh quoi ? dans l’état oùnous sommes,

Lorsqu’avec un renfort de plus de six millehommes

La fortune promet toute chose auxThébains,

Le roi se laisse ôter la victoire desmains ?

 

Jocaste

La victoire, Créon, n’est pas toujours sibelle ;

La honte et les remords vont souvent aprèselle.

Quand deux frères armés vont s’égorger entreeux,

Ne les pas séparer, c’est les perdre tousdeux.

Peut-on faire au vainqueur une injure plusnoire,

Que lui laisser gagner une tellevictoire ?

 

Créon

Leur courroux est trop grand…

 

Jocaste

Il peut être adouci.

 

Créon

Tous deux veulent régner.

 

Jocaste

Ils règneront aussi.

 

Créon

On ne partage point la grandeursouveraine ;

Et ce n’est pas un bien qu’on quitte et qu’onreprenne.

 

Jocaste

L’intérêt de l’État leur servira de loi.

 

Créon

L’intérêt de l’État est de n’avoir qu’unroi,

Qui d’un ordre constant gouvernant sesprovinces,

Accoutume à ses lois et le peuple et lesprinces.

Ce règne interrompu de deux roisdifférents,

En lui donnant deux rois lui donne deuxtyrans.

Par un ordre, souvent l’un à l’autrecontraire,

Un frère détruirait ce qu’aurait fait unfrère ;

Vous les verriez toujours former quelqueattentat,

Et changer tous les ans la face de l’État.

Ce terme limité que l’on veut leurprescrire

Accroît leur violence en bornant leurempire.

Tous deux feront gémir les peuples tour àtour,

Pareils à ces torrents qui ne durent qu’unjour :

Plus leur cours est borné, plus ils font deravage,

Et d’horribles dégâts signalent leurpassage.

 

Jocaste

On les verrait plutôt, par de noblesprojets,

Se disputer tous deux l’amour de leurssujets.

Mais avouez, Créon, que toute votre peine

C’est de voir que la paix rend votre attentevaine,

Qu’elle assure à mes fils le trône où voustendez,

Et va rompre le piège où vous lesattendez.

Comme, après leur trépas, le droit de lanaissance

Fait tomber en vos mains la suprêmepuissance,

Le sang qui vous unit aux deux princes mesfils

Vous fait trouver en eux vos plus grandsennemis ;

Et votre ambition, qui tend à leurfortune,

Vous donne pour tous deux une hainecommune.

Vous inspirez au roi vos conseilsdangereux,

Et vous en servez un pour les perdre tousdeux.

 

Créon

Je ne me repais point de pareilleschimères.

Mes respects pour le roi sont ardents etsincères,

Et mon ambition est de le maintenir

Au trône où vous croyez que je veuxparvenir.

Le soin de sa grandeur est le seul quim’anime ;

Je hais ses ennemis, et c’est là tout moncrime :

Je ne m’en cache point. Mais à ce que jevoi,

Chacun n’est pas ici criminel comme moi.

 

Jocaste

Je suis mère, Créon, et si j’aime sonfrère,

La personne du roi ne m’en est pas moinschère.

De lâches courtisans peuvent bien le haïr,

Mais une mère enfin ne peut pas se trahir.

 

Antigone

Vos intérêts ici sont conformes auxnôtres,

Les ennemis du roi ne sont pas tous lesvôtres ;

Créon, vous êtes père, et dans cesennemis,

Peut-être songez-vous que vous avez unfils.

On sait de quelle ardeur Hémon sertPolynice.

 

Créon

Oui, je le sais, Madame, et je lui faisjustice ;

Je le dois, en effet, distinguer ducommun,

Mais c’est pour le haïr encor plus que pasun.

Et je souhaiterais, dans ma juste colère,

Que chacun le haït comme le hait son père.

 

Antigone

Après tout ce qu’a fait la valeur de sonbras,

Tout le monde en ce point ne vous ressemblepas.

 

Créon

Je le vois bien, Madame, et c’est ce quim’afflige ;

Mais je sais bien à quoi sa révoltem’oblige ;

Et tous ces beaux exploits qui le fontadmirer,

C’est ce qui me le fait justementabhorrer.

La honte suit toujours le parti desrebelles ;

Leurs grandes actions sont les pluscriminelles,

Ils signalent leur crime en signalant leurbras,

Et la gloire n’est point où les rois ne sontpas.

 

Antigone

Écoutez un peu mieux la voix de la nature.

 

Créon

Plus l’offenseur m’est cher, plus je ressensl’injure.

 

Antigone

Mais un père à ce point doit-il êtreemporté ?

Vous avez trop de haine.

 

Créon

Et vous trop de bonté.

C’est trop parler, Madame, en faveur d’unrebelle.

 

Antigone

L’innocence vaut bien que l’on parle pourelle.

 

Créon

Je sais ce qui le rend innocent à vosyeux.

 

Antigone

Et je sais quel sujet vous le rend odieux.

 

Créon

L’amour a d’autres yeux que le commun deshommes.

 

Jocaste

Vous abusez, Créon, de l’état où noussommes ;

Tout vous semble permis ; mais craignezmon courroux :

Vos libertés enfin retomberaient sur vous.

 

Antigone

L’intérêt du public agit peu sur son âme,

Et l’amour du pays nous cache une autreflamme.

Je la sais ; mais, Créon, j’en abhorre lecours,

Et vous ferez bien mieux de la cachertoujours.

 

Créon

Je le ferai, Madame, et je veux par avance

Vous épargner encor jusques à ma présence.

Aussi bien mes respects redoublent vosmépris,

Et je vais faire place à ce bienheureuxfils.

Le roi m’appelle ailleurs, il faut quej’obéisse.

Adieu. Faites venir Hémon et Polynice.

 

Jocaste

N’en doute pas, méchant, ils vont venir tousdeux ;

Tous deux ils préviendront tes desseinsmalheureux.

Scène VI

 

Jocaste,Antigone,Olympe

 

Antigone

Le perfide ! À quel point son insolencemonte !

 

Jocaste

Ses superbes discours tourneront à sahonte.

Bientôt, si nos désirs sont exaucés descieux,

La paix nous vengera de cet ambitieux.

Mais il faut se hâter, chaque heure nous estchère :

Appelons promptement Hémon et votrefrère ;

Je suis pour ce dessein prête à leuraccorder

Toutes les sûretés qu’ils pourrontdemander.

Et toi, si mes malheurs ont lassé tajustice,

Ciel, dispose à la paix le cœur dePolynice,

Seconde mes soupirs, donne force à mespleurs,

Et comme il faut enfin fais parler mesdouleurs.

 

Antigone, demeurant un peuaprès sa mère.

Et si tu prends pitié d’une flammeinnocente,

Ô ciel, en ramenant Hémon à son amante,

Ramène-le fidèle, et permets en ce jour

Qu’en retrouvant l’amant je retrouvel’amour.

Acte II

Scène I

 

Antigone,Hémon

 

Hémon

Quoi, vous me refusez votre aimableprésence,

Après un an entier de supplice etd’absence ?

Ne m’avez-vous, Madame, appelé près devous,

Que pour m’ôter sitôt un bien qui m’est sidoux ?

 

Antigone

Et voulez-vous sitôt que j’abandonne unfrère ?

Ne dois-je pas au temple accompagner mamère ?

Et dois-je préférer, au gré de vossouhaits,

Le soin de votre amour à celui de lapaix ?

 

Hémon

Madame, à mon bonheur c’est chercher tropd’obstacles ;

Ils iront bien sans nous consulter lesoracles.

Permettez que mon cœur, en voyant vos beauxyeux,

De l’état de son sort interroge ses dieux.

Puis-je leur demander, sans êtretéméraire,

S’ils ont toujours pour moi leur douceurordinaire ?

Souffrent-ils sans courroux mon ardenteamitié ?

Et du mal qu’ils ont fait ont-ils quelquepitié ?

Durant le triste cours d’une absencecruelle,

Avez-vous souhaité que je fussefidèle ?

Songiez-vous que la mort menaçait loin devous

Un amant qui ne doit mourir qu’à vosgenoux ?

Ah ! d’un si bel objet quand une âme estblessée,

Quand un cœur jusqu’à vous élève sapensée,

Qu’il est doux d’adorer tant de divinsappas !

Mais aussi que l’on souffre en ne les voyantpas !

Un moment loin de vous me durait uneannée ;

J’aurais fini cent fois ma tristedestinée,

Si je n’eusse songé jusques à mon retour

Que mon éloignement vous prouvait monamour,

Et que le souvenir de mon obéissance

Pourrait en ma faveur parler en monabsence ;

Et que pensant à moi vous penseriez aussi

Qu’il faut aimer beaucoup pour obéirainsi.

 

Antigone

Oui, je l’avais bien cru qu’une âme sifidèle

Trouverait dans l’absence une peinecruelle ;

Et si mes sentiments se doivent découvrir,

Je souhaitais, Hémon, qu’elle vous fîtsouffrir,

Et qu’étant loin de moi, quelque ombred’amertume

Vous fît trouver les jours plus longs que decoutume.

Mais ne vous plaignez pas : mon cœurchargé d’ennui

Ne vous souhaitait rien qu’il n’éprouvât enlui ;

Surtout depuis le temps que dure cetteguerre,

Et que de gens armés vous couvrez cetteterre.

Ô dieux ! à quels tourments mon cœurs’est vu soumis,

Voyant des deux côtés ses plus tendresamis !

Mille objets de douleur déchiraient mesentrailles ;

J’en voyais et dehors et dedans nosmurailles ;

Chaque assaut à mon cœur livrait millecombats,

Et mille fois le jour je souffrais letrépas.

 

Hémon

Mais enfin qu’ai-je fait, en ce malheurextrême,

Que ne m’ait ordonné ma princesseelle-même ?

J’ai suivi Polynice, et vous l’avezvoulu :

Vous me l’avez prescrit par un ordreabsolu.

Je lui vouai dès lors une amitiésincère ;

Je quittai mon pays, j’abandonnai monpère ;

Sur moi par ce départ j’attirai soncourroux ;

Et pour tout dire enfin, je m’éloignai devous.

 

Antigone

Je m’en souviens, Hémon, et je vous faisjustice :

C’est moi que vous serviez en servantPolynice ;

Il m’était cher alors comme il l’estaujourd’hui,

Et je prenais pour moi ce qu’on faisait pourlui.

Nous nous aimions tous deux dès la plus tendreenfance,

Et j’avais sur son cœur une entièrepuissance ;

Je trouvais à lui plaire une extrêmedouceur,

Et les chagrins du frère étaient ceux de lasœur.

Ah ! si j’avais encor sur lui le mêmeempire,

Il aimerait la paix, pour qui mon cœursoupire.

Notre commun malheur en seraitadouci :

Je le verrais, Hémon ; vous me verriezaussi !

 

Hémon

De cette affreuse guerre il abhorrel’image.

Je l’ai vu soupirer de douleur et de rage,

Lorsque, pour remonter au trône paternel,

On le força de prendre un chemin si cruel.

Espérons que le ciel, touché de nosmisères,

Achèvera bientôt de réunir les frères.

Puisse-t-il rétablir l’amitié dans leurcœur,

Et conserver l’amour dans celui de lasœur !

 

Antigone

Hélas ! ne doutez point que ce dernierouvrage

Ne lui soit plus aisé que de calmer leurrage.

Je les connais tous deux, et je répondraisbien

Que leur cœur, cher Hémon, est plus dur que lemien.

Mais les dieux quelquefois font de plus grandsmiracles.

Scène II

 

Antigone,Hémon,Olympe

 

Antigone

Eh bien ! apprendrons-nous ce qu’ont ditles oracles ?

Que faut-il faire ?

 

Olympe

Hélas !

 

Antigone

Quoi ? qu’en a-t-on appris ?

Est-ce la guerre, Olympe ?

 

Olympe

Ah ! c’est encore pis !

 

Hémon

Quel est donc ce grand mal que leur courrouxannonce ?

 

Olympe

Prince, pour en juger, écoutez leurréponse :

Thébains, pour n’avoir plus deguerres,

Il faut, par un ordre fatal,

Que le dernier du sang royal

Par son trépas ensanglante vosterres.

 

Antigone

Ô dieux, que vous a fait ce sanginfortuné ?

Et pourquoi tout entier l’avez-vouscondamné ?

N’êtes-vous pas contents de la mort de monpère ?

Tout notre sang doit-il sentir votrecolère ?

 

Hémon

Madame, cet arrêt ne vous regardepas ;

Votre vertu vous met à couvert dutrépas :

Les dieux savent trop bien connaîtrel’innocence.

 

Antigone

Et ce n’est pas pour moi que je crains leurvengeance :

Mon innocence, Hémon, serait un faibleappui ;

Fille d’Oedipe, il faut que je meure pourlui.

Je l’attends, cette mort, et je l’attends sansplainte ;

Et s’il faut avouer le sujet de macrainte,

C’est pour vous que je crains : oui, cherHémon, pour vous,

De ce sang malheureux vous sortez commenous ;

Et je ne vois que trop que le courrouxcéleste

Vous rendra, comme à nous, cet honneur bienfuneste,

Et fera regretter aux princes des Thébains

De n’être pas sortis du dernier deshumains.

 

Hémon

Peut-on se repentir d’un si grandavantage ?

Un si noble trépas flatte trop moncourage,

Et du sang de ses rois il est beau d’êtreissu,

Dût-on rendre ce sang sitôt qu’on l’areçu.

 

Antigone

Eh quoi ! si parmi nous on a fait quelqueoffense,

Le ciel doit-il sur vous en prendre lavengeance ?

Et n’est-ce pas assez du père et desenfants,

Sans qu’il aille plus loin chercher desinnocents ?

C’est à nous à payer pour les crimes desnôtres :

Punissez-nous, grands dieux ; maisépargnez les autres.

Mon père, cher Hémon, vous va perdreaujourd’hui,

Et je vous perds peut-être encore plus quelui.

Le ciel punit sur vous et sur votrefamille

Et les crimes du père et l’amour de lafille ;

Et ce funeste amour vous nuit encore plus

Que les crimes d’Oedipe et le sang deLaïus.

 

Hémon

Quoi ? mon amour, Madame ? Etqu’a-t-il de funeste ?

Est-ce un crime qu’aimer une beautécéleste ?

Et puisque sans colère il est reçu devous,

En quoi peut-il du ciel mériter lecourroux ?

Vous seule en mes soupirs êtesintéressée :

C’est à vous à juger s’ils vous ontoffensée ;

Tels que seront pour eux vos arrêtstout-puissants,

Ils seront criminels, ou seront innocents.

Que le ciel à son gré de ma perte dispose,

J’en chérirai toujours et l’une et l’autrecause,

Glorieux de mourir pour le sang de mesrois,

Et plus heureux encor de mourir sous voslois.

Aussi bien que ferais-je en ce communnaufrage ?

Pourrais-je me résoudre à vivredavantage ?

En vain les dieux voudraient différer montrépas,

Mon désespoir ferait ce qu’ils ne feraientpas.

Mais peut-être, après tout, notre frayeur estvaine ;

Attendons… Mais voici Polynice et lareine.

Scène III

 

Jocaste,Polynice,Antigone,Hémon

 

Polynice

Madame, au nom des dieux, cessez dem’arrêter :

Je vois bien que la paix ne peuts’exécuter.

J’espérais que du ciel la justice infinie

Voudrait se déclarer contre la tyrannie,

Et que lassé de voir répandre tant desang,

Il rendrait à chacun son légitime rang.

Mais puisque ouvertement il tient pourl’injustice,

Et que des criminels il se rend lecomplice,

Dois-je encore espérer qu’un peuplerévolté,

Quand le ciel est injuste, écoutel’équité ?

Dois-je prendre pour juge une troupeinsolente,

D’un fier usurpateur ministre violente,

Qui sert mon ennemi par un lâche intérêt,

Et qu’il anime encor, tout éloigné qu’ilest ?

La raison n’agit point sur une populace.

De ce peuple déjà j’ai ressenti l’audace,

Et loin de me reprendre après m’avoirchassé,

Il croit voir un tyran dans un princeoffensé.

Comme sur lui l’honneur n’eut jamais depuissance,

Il croit que tout le monde aspire à lavengeance ;

De ses inimitiés rien n’arrête lecours :

Quand il hait une fois, il veut haïrtoujours.

 

Jocaste

Mais s’il est vrai, mon fils, que ce peuplevous craigne,

Et que tous les Thébains redoutent votrerègne,

Pourquoi par tant de sang cherchez-vous àrégner

Sur ce peuple endurci que rien ne peutgagner ?

 

Polynice

Est-ce au peuple, Madame, à se choisir unmaître ?

Sitôt qu’il hait un roi, doit-on cesser del’être ?

Sa haine ou son amour, sont-ce les premiersdroits

Qui font monter au trône ou descendre lesrois ?

Que le peuple à son gré nous craigne ou nouschérisse,

Le sang nous met au trône, et non pas soncaprice.

Ce que le sang lui donne, il le doitaccepter,

Et s’il n’aime son prince, il le doitrespecter.

 

Jocaste

Vous serez un tyran haï de vos provinces.

 

Polynice

Ce nom ne convient pas aux légitimesprinces ;

De ce titre odieux mes droits me sontgarants ;

La haine des sujets ne fait pas lestyrans.

Appelez de ce nom Étéocle lui-même.

 

Jocaste

Il est aimé de tous.

 

Polynice

C’est un tyran qu’on aime,

Qui par cent lâchetés tâche à se maintenir

Au rang où par la force il a suparvenir ;

Et son orgueil le rend, par un effetcontraire,

Esclave de son peuple et tyran de sonfrère.

Pour commander tout seul il veut bienobéir,

Et se fait mépriser pour me faire haïr.

Ce n’est pas sans sujet qu’on me préfère untraître :

Le peuple aime un esclave et craint d’avoir unmaître.

Mais je croirais trahir la majesté desrois,

Si je faisais le peuple arbitre de mesdroits.

 

Jocaste

Ainsi donc la discorde a pour vous tant decharmes ?

Vous lassez-vous déjà d’avoir posé lesarmes ?

Ne cesserons-nous point, après tant demalheurs,

Vous, de verser du sang, moi, de verser despleurs ?

N’accorderez-vous rien aux larmes d’unemère ?

Ma fille, s’il se peut, retenez votrefrère :

Le cruel pour vous seule avait del’amitié.

 

Antigone

Ah ! si pour vous son âme est sourde à lapitié,

Que pourrais-je espérer d’une amitiépassée,

Qu’un long éloignement n’a que tropeffacée ?

À peine en sa mémoire ai-je encor quelquerang ;

Il n’aime, il ne se plaît qu’à répandre dusang.

Ne cherchez plus en lui ce princemagnanime,

Ce prince qui montrait tant d’horreur pour lecrime,

Dont l’âme généreuse avait tant dedouceur,

Qui respectait sa mère et chérissait sasœur.

La nature pour lui n’est plus qu’unechimère ;

Il méconnaît sa sœur, il méprise sa mère,

Et l’ingrat, en l’état où son orgueil l’amis,

Nous croit des étrangers, ou bien desennemis.

 

Polynice

N’imputez point ce crime à mon âmeaffligée ;

Dites plutôt, ma sœur, que vous êteschangée,

Dites que de mon rang l’injuste usurpateur

M’a su ravir encor l’amitié de ma sœur.

Je vous connais toujours et suis toujours lemême.

 

Antigone

Est-ce m’aimer, cruel, autant que je vousaime,

Que d’être inexorable à mes tristessoupirs,

Et m’exposer encore à tant dedéplaisirs ?

 

Polynice

Mais vous-même, ma sœur, est-ce aimer votrefrère

Que de lui faire ici cette injuste prière,

Et me vouloir ravir le sceptre de lamain ?

Dieux ! qu’est-ce qu’Étéocle a de plusinhumain ?

C’est trop favoriser un tyran quim’outrage.

 

Antigone

Non, non, vos intérêts me touchentdavantage.

Ne croyez pas mes pleurs perfides à cepoint ;

Avec vos ennemis ils ne conspirent point.

Cette paix que je veux me serait unsupplice,

S’il en devait coûter le sceptre àPolynice ;

Et l’unique faveur, mon frère, où jeprétends,

C’est qu’il me soit permis de vous voir pluslongtemps.

Seulement quelques jours souffrez que l’onvous voie,

Et donnez-nous le temps de chercher quelquevoie

Qui puisse vous remettre au rang de vosaïeux,

Sans que vous répandiez un sang siprécieux.

Pouvez-vous refuser cette grâce légère

Aux larmes d’une sœur, aux soupirs d’unemère ?

 

Jocaste

Mais quelle crainte encor vous peutinquiéter ?

Pourquoi si promptement voulez-vous nousquitter ?

Quoi ? ce jour tout entier n’est-il pasde la trêve ?

Dès qu’elle a commencé, faut-il qu’elles’achève ?

Vous voyez qu’Étéocle a mis les armesbas ;

Il veut que je vous voie, et vous ne voulezpas.

 

Antigone

Oui, mon frère, il n’est pas comme vousinflexible :

Aux larmes de sa mère il a parusensible ;

Nos pleurs ont désarmé sa colèreaujourd’hui.

Vous l’appelez cruel, vous l’êtes plus quelui.

 

Hémon

Seigneur, rien ne vous presse, et vous pouvezsans peine

Laisser agir encor la princesse et lareine :

Accordez tout ce jour à leur pressantdésir ;

Voyons si leur dessein ne pourra réussir.

Ne donnez pas la joie au prince votrefrère

De dire que sans vous la paix se pouvaitfaire.

Vous aurez satisfait une mère, une sœur,

Et vous aurez surtout satisfait votrehonneur.

Mais que veut ce soldat ? Son âme esttoute émue !

Scène IV

 

Jocaste,Polynice,Antigone,Hémon,unsoldat

 

Le soldat

Seigneur, on est aux mains, et la trêve estrompue !

Créon et les Thébains, par ordre de leurroi,

Attaquent votre armée et violent leur foi.

Le brave Hippomédon s’efforce, en votreabsence,

De soutenir leur choc de toute sapuissance.

Par son ordre, Seigneur, je vous viensavertir.

 

Polynice

Ah ! les traîtres ! Allons, Hémon,il faut sortir.

(À la reine.)

Madame, vous voyez comme il tient saparole :

Mais il veut le combat, il m’attaque, et j’yvole.

 

Jocaste

Polynice ! Mon fils !… Mais il nem’entend plus :

Aussi bien que mes pleurs mes cris sontsuperflus.

Chère Antigone, allez, courez à ce barbare

Du moins allez prier Hémon qu’il lessépare.

La force m’abandonne et je n’y puiscourir ;

Tout ce que je puis faire, hélas ! c’estde mourir.

Acte III

Scène I

 

Jocaste,Olympe

 

Jocaste

Olympe, va-t’en voir ce funestespectacle ;

Va voir si leur fureur n’a point trouvéd’obstacle,

Si rien n’a pu toucher l’un ou l’autreparti.

On dit qu’à ce dessein Ménécée est sorti.

 

Olympe

Je ne sais quel dessein animait soncourage ;

Une héroïque ardeur brillait sur sonvisage.

Mais vous devez, Madame, espérer jusqu’aubout.

 

Jocaste

Va tout voir, chère Olympe, et me viens diretout.

Éclaircis promptement ma tristeinquiétude.

 

Olympe

Mais vous dois-je laisser en cettesolitude ?

 

Jocaste

Va : je veux être seule en l’état où jesuis,

Si toutefois on peut l’être avec tantd’ennuis !

Scène II

 

Jocaste

Dureront-ils toujours ces ennuis sifunestes ?

N’épuiseront-ils point les vengeancescélestes ?

Me feront-ils souffrir tant de cruelstrépas,

Sans jamais au tombeau précipiter mespas ?

Ô ciel, que tes rigueurs seraient peuredoutables

Si la foudre d’abord accablait lescoupables !

Et que tes châtiments paraissent infinis,

Quand tu laisses la vie à ceux que tupunis !

Tu ne l’ignores pas, depuis le jour infâme

Où de mon propre fils je me trouvai lafemme,

Le moindre des tourments que mon cœur asoufferts

Égale tous les maux que l’on souffre auxenfers.

Et toutefois, ô dieux, un crimeinvolontaire

Devait-il attirer toute votrecolère ?

Le connaissais-je, hélas ! ce filsinfortuné ?

Vous-mêmes dans mes bras vous l’avezamené.

C’est vous dont la rigueur m’ouvrit ceprécipice.

Voilà de ces grands dieux la suprêmejustice !

Jusques au bord du crime ils conduisent nospas,

Ils nous le font commettre, et ne l’excusentpas !

Prennent-ils donc plaisir à faire descoupables,

Afin d’en faire après d’illustresmisérables ?

Et ne peuvent-ils point, quand ils sont encourroux,

Chercher des criminels à qui le crime estdoux ?

Scène III

 

Jocaste,Antigone

 

Jocaste

Eh bien ! en est-ce fait ? L’un oul’autre perfide

Vient-il d’exécuter son nobleparricide ?

Parlez, parlez, ma fille.

 

Antigone

Ah ! Madame, en effet,

L’oracle est accompli, le ciel estsatisfait.

 

Jocaste

Quoi ? mes deux fils sontmorts !

 

Antigone

Un autre sang, Madame,

Rend la paix à l’État, et le calme à votreâme ;

Un sang digne des rois dont il estdécoulé,

Un héros pour l’État s’est lui-mêmeimmolé.

Je courais pour fléchir Hémon etPolynice ;

Ils étaient déjà loin, avant que jesortisse,

Ils ne m’entendaient plus et mes crisdouloureux

Vainement par leur nom les rappelaient tousdeux.

Ils ont tous deux volé vers le champ debataille,

Et moi, je suis montée au haut de lamuraille,

D’où le peuple étonné regardait, commemoi,

L’approche d’un combat qui le glaçaitd’effroi.

À cet instant fatal, le dernier de nosprinces,

L’honneur de notre sang, l’espoir de nosprovinces,

Ménécée, en un mot, digne frère d’Hémon,

Et trop indigne aussi d’être fils deCréon,

De l’amour du pays montrant son âmeatteinte,

Au milieu des deux camps s’est avancé sanscrainte,

Et se faisant ouïr des Grecs et desThébains :

« Arrêtez, a-t-il dit,arrêtez, inhumains ! »

Ces mots impérieux n’ont point trouvéd’obstacle :

Les soldats, étonnés de ce nouveauspectacle,

De leur noire fureur ont suspendu lecours ;

Et ce prince aussitôt poursuivant sondiscours :

« Apprenez, a-t-il dit,l’arrêt des destinées,

Par qui vous allez voir vos misèresbornées.

Je suis le dernier sang de vos roisdescendu,

Qui par l’ordre des dieux doit êtrerépandu.

Recevez donc ce sang que ma main varépandre ;

Et recevez la paix où vous n’osiezprétendre ».

Il se tait, et se frappe en achevant cesmots ;

Et les Thébains, voyant expirer ce héros,

Comme si leur salut devenait leursupplice,

Regardent en tremblant ce noble sacrifice.

J’ai vu le triste Hémon abandonner sonrang

Pour venir embrasser ce frère tout ensang.

Créon, à son exemple, a jeté bas les armes

Et vers ce fils mourant est venu tout enlarmes ;

Et l’un et l’autre camp, les voyantretirés,

Ont quitté le combat et se sont séparés.

Et moi, le cœur tremblant et l’âme touteémue,

D’un si funeste objet j’ai détourné lavue,

De ce prince admirant l’héroïque fureur.

 

Jocaste

Comme vous je l’admire, et j’en frémisd’horreur.

Est-il possible, ô dieux, qu’après ce grandmiracle

Le repos des Thébains trouve encor quelqueobstacle ?

Cet illustre trépas ne peut-il vouscalmer,

Puisque même mes fils s’en laissentdésarmer ?

La refuserez-vous, cette noblevictime ?

Si la vertu vous touche autant que fait lecrime,

Si vous donnez les prix comme vouspunissez,

Quels crimes par ce sang ne seronteffacés ?

 

Antigone

Oui, oui, cette vertu serarécompensée ;

Les dieux sont trop payés du sang deMénécée ;

Et le sang d’un héros, auprès desimmortels,

Vaut seul plus que celui de millecriminels.

 

Jocaste

Connaissez mieux du ciel la vengeancefatale :

Toujours à ma douleur il met quelqueintervalle,

Mais, hélas ! quand sa main semble mesecourir,

C’est alors qu’il s’apprête à me fairepérir.

Il a mis cette nuit quelque fin à meslarmes,

Afin qu’à mon réveil je visse tout enarmes.

S’il me flatte aussitôt de quelque espoir depaix,

Un oracle cruel me l’ôte pour jamais.

Il m’amène mon fils, il veut que je levoie,

Mais, hélas ! combien cher me vend-ilcette joie !

Ce fils est insensible et ne m’écoutepas ;

Et soudain il me l’ôte et l’engage auxcombats.

Ainsi, toujours cruel, et toujours encolère,

Il feint de s’apaiser, et devient plussévère :

Il n’interrompt ses coups que pour lesredoubler,

Et retire son bras pour me mieux accabler.

 

Antigone

Madame, espérons tout de ce derniermiracle.

 

Jocaste

La haine de mes fils est un trop grandobstacle.

Polynice endurci n’écoute que sesdroits ;

Du peuple et de Créon l’autre écoute lavoix,

Oui, du lâche Créon ! Cette âmeintéressée

Nous ravit tout le fruit du sang deMénécée ;

En vain pour nous sauver ce grand prince seperd,

Le père nous nuit plus que le fils ne noussert.

De deux jeunes héros cet infidèle père…

 

Antigone

Ah ! le voici, Madame, avec le roi monfrère.

Scène IV

 

Jocaste,Étéocle,Antigone,Créon

 

Jocaste

Mon fils, c’est donc ainsi que l’on garde safoi ?

 

Étéocle

Madame, ce combat n’est point venu de moi,

Mais de quelques soldats, tant d’Argos que desnôtres,

Qui s’étant querellés les uns avec lesautres,

Ont insensiblement tout le corps ébranlé,

Et fait un grand combat d’un simpledémêlé.

La bataille sans doute allait êtrecruelle,

Et son événement vidait notre querelle,

Quand du fils de Créon l’héroïque trépas

De tous les combattants a retenu le bras.

Ce prince, le dernier de la race royale,

S’est appliqué des dieux la réponsefatale ;

Et lui-même à la mort il s’est précipité,

De l’amour du pays noblement transporté.

 

Jocaste

Ah ! si le seul amour qu’il eût pour sapatrie

Le rendit insensible aux douceurs de lavie,

Mon fils, ce même amour ne peut-ilseulement

De votre ambition vaincrel’emportement ?

Un exemple si beau vous invite à lesuivre.

Il ne faudra cesser de régner ni devivre :

Vous pouvez, en cédant un peu de votrerang,

Faire plus qu’il n’a fait en versant tout sonsang ;

Il ne faut que cesser de haïr votre frère,

Vous ferez beaucoup plus que sa mort n’a sufaire.

Ô dieux ! aimer un frère est-ce un plusgrand effort

Que de haïr la vie et courir à lamort ?

Et doit-il être enfin plus facile en unautre

De répandre son sang, qu’en vous d’aimer levôtre ?

 

Étéocle

Son illustre vertu me charme comme vous,

Et d’un si beau trépas je suis mêmejaloux.

Et toutefois, Madame, il faut que je vousdie

Qu’un trône est plus pénible à quitter que lavie :

La gloire bien souvent nous porte à lahaïr,

Mais peu de souverains font gloired’obéir.

Les dieux voulaient son sang, et ce princesans crime

Ne pouvait à l’État refuser savictime ;

Mais ce même pays qui demandait son sang

Demande que je règne et m’attache à monrang,

Jusqu’à ce qu’il m’en ôte, il faut que j’ydemeure :

Il n’a qu’à prononcer, j’obéirai surl’heure,

Et Thèbes me verra, pour apaiser son sort,

Et descendre du trône, et courir à lamort.

 

Créon

Ah ! Ménécée est mort, le ciel n’en veutpoint d’autre.

Laissez coulez son sang sans y mêler levôtre ;

Et puisqu’il l’a versé pour nous donner lapaix,

Accordez-la, Seigneur, à nos justessouhaits.

 

Étéocle

Eh quoi ? même Créon pour la paix sedéclare ?

 

Créon

Pour avoir trop aimé cette guerre barbare,

Vous voyez les malheurs où le ciel m’aplongé :

Mon fils est mort, Seigneur.

 

Étéocle

Il faut qu’il soit vengé.

 

Créon

Sur qui me vengerais-je en ce malheurextrême ?

 

Étéocle

Vos ennemis, Créon, sont ceux de Thèbesmême ;

Vengez-la, vengez-vous.

 

Créon

Ah ! dans ses ennemis

Je trouve votre frère, et je trouve monfils !

Dois-je verser mon sang, ou répandre levôtre ?

Et dois-je perdre un fils pour en venger unautre ?

Seigneur, mon sang m’est cher, le vôtre m’estsacré :

Serai-je sacrilège ou bien dénaturé ?

Souillerai-je ma main d’un sang que jerévère ?

Serai-je parricide afin d’être bonpère ?

Un si cruel secours ne me peut soulager,

Et ce serait me perdre au lieu de mevenger.

Tout le soulagement où ma douleur aspire,

C’est qu’au moins mes malheurs servent à votreempire.

Je me consolerai, si ce fils que je plains

Assure par sa mort le repos des Thébains.

Le ciel promet la paix au sang deMénécée ;

Achevez-la, Seigneur, mon fils l’acommencée ;

Accordez-lui ce prix qu’il en a prétendu,

Et que son sang en vain ne soit pasrépandu.

 

Jocaste

Non, puisqu’à nos malheurs vous devenezsensible,

Au sang de Ménécée il n’est riend’impossible,

Que Thèbes se rassure après ce grandeffort :

Puisqu’il change votre âme, il changera sonsort.

La paix dès ce moment n’est plusdésespérée :

Puisque Créon la veut, je la tiensassurée.

Bientôt ces cœurs de fer se verrontadoucis :

Le vainqueur de Créon peut bien vaincre mesfils.

(À Étéocle.)

Qu’un si grand changement vous désarme et voustouche ;

Quittez, mon fils, quittez cette hainefarouche ;

Soulagez une mère, et consolezCréon :

Rendez-moi Polynice, et lui rendez Hémon.

 

Étéocle

Mais enfin c’est vouloir que je m’impose unmaître.

Vous ne l’ignorez pas, Polynice veutl’être ;

Il demande surtout le pouvoir souverain,

Et ne veut revenir que le sceptre à lamain.

Scène V

 

Jocaste,Étéocle,Antigone,Créon,Attale

 

Attale

Polynice, Seigneur, demande uneentrevue ;

C’est ce que d’un héraut nous apprend lavenue.

Il vous offre, Seigneur, ou de venir ici,

Ou d’attendre en son camp.

 

Créon

Peut-être qu’adouci

Il songe à terminer une guerre si lente,

Et son ambition n’est plus si violente.

Par ce dernier combat il apprendaujourd’hui

Que vous êtes au moins aussi puissant quelui.

Les Grecs mêmes sont las de servir sacolère,

Et j’ai su depuis peu que le roi sonbeau-père,

Préférant à la guerre un solide repos,

Se réserve Mycène, et le fait roi d’Argos.

Tout courageux qu’il est, sans doute il nesouhaite

Que de faire en effet une honnêteretraite.

Puisqu’il s’offre à vous voir, croyez qu’ilveut la paix.

Ce jour la doit conclure ou la rompre àjamais.

Tâchez dans ce dessein de l’affermirvous-même,

Et lui promettez tout, hormis le diadème.

 

Étéocle

Hormis le diadème, il ne demande rien.

 

Jocaste

Mais voyez-le du moins.

 

Créon

Oui, puisqu’il le veut bien

Vous ferez plus tout seul que nous ne saurionsfaire,

Et le sang reprendra son empire ordinaire.

 

Étéocle

Allons donc le chercher.

 

Jocaste

Mon fils, au nom des dieux,

Attendez-le plutôt. Voyez-le dans ceslieux.

 

Étéocle

Eh bien, Madame, eh bien ! qu’il vienne,et qu’on lui donne

Toutes les sûretés qu’il faut pour sapersonne.

Allons.

 

Antigone

Ah ! si ce jour rend la paix auxThébains,

Elle sera, Créon, l’ouvrage de vos mains.

Scène VI

 

Créon,Attale

 

Créon

L’intérêt des Thébains n’est pas ce qui voustouche,

Dédaigneuse princesse ; et cette âmefarouche,

Qui semble me flatter après tant demépris,

Songe moins à la paix qu’au retour de monfils.

Mais nous verrons bientôt si la fièreAntigone

Aussi bien que mon cœur dédaignera letrône ;

Nous verrons, quand les dieux m’auront faitvotre roi,

Si ce fils bienheureux l’emportera surmoi.

 

Attale

Et qui n’admirerait un changement sirare ?

Créon même, Créon pour la paix sedéclare !

 

Créon

Tu crois donc que la paix est l’objet de messoins ?

 

Attale

Oui, je le crois, Seigneur, quand j’y pensaisle moins ;

Et voyant qu’en effet ce beau soin vousanime,

J’admire à tous moments cet effortmagnanime

Qui vous fait mettre enfin votre haine autombeau.

Ménécée, en mourant, n’a rien fait de plusbeau ;

Et qui peut immoler sa haine à sa patrie

Lui pourrait bien aussi sacrifier sa vie.

 

Créon

Ah ! sans doute, qui peut d’un généreuxeffort

Aimer son ennemi peut bien aimer la mort.

Quoi ? je négligerais le soin de mavengeance,

Et de mon ennemi je prendrais ladéfense ?

De la mort de mon fils Polynice estl’auteur,

Et moi je deviendrais son lâcheprotecteur ?

Quand je renoncerais à cette haineextrême,

Pourrais-je bien cesser d’aimer lediadème ?

Non, non : tu me verras, d’une constanteardeur,

Haïr mes ennemis et chérir ma grandeur.

Le trône fit toujours mes ardeurs les pluschères :

Je rougis d’obéir où régnèrent mes pères,

Je brûle de me voir au rang de mes aïeux,

Et je l’envisageai dès que j’ouvris lesyeux.

Surtout depuis deux ans, ce noble soinm’inspire ;

Je ne fais point de pas qui ne tende àl’empire.

Des princes mes neveux j’entretiens lafureur,

Et mon ambition autorise la leur.

D’Étéocle d’abord j’appuyail’injustice ;

Je lui fis refuser le trône à Polynice.

Tu sais que je pensais dès lors à m’yplacer ;

Et je l’y mis, Attale, afin de l’enchasser.

 

Attale

Mais, Seigneur, si la guerre eut pour voustant de charmes,

D’où vient que de leurs mains vous arrachezles armes ?

Et puisque leur discorde est l’objet de vosvœux,

Pourquoi par vos conseils vont-ils se voirtous deux ?

 

Créon

Plus qu’à mes ennemis la guerre m’estmortelle,

Et le courroux du ciel me la rend tropcruelle.

Il s’arme contre moi de mon propredessein,

Il se sert de mon bras pour me percer lesein.

La guerre s’allumait lorsque pour monsupplice

Hémon m’abandonna pour servirPolynice ;

Les deux frères par moi devinrent ennemis,

Et je devins, Attale, ennemi de mon fils.

Enfin, ce même jour, je fais rompre latrêve,

J’excite le soldat, tout le camp sesoulève,

On se bat ; et voilà qu’un filsdésespéré

Meurt, et rompt un combat que j’ai tantpréparé.

Mais il me reste un fils, et je sens que jel’aime,

Tout rebelle qu’il est, et tout mon rivalmême.

Sans le perdre, je veux perdre mesennemis.

Il m’en coûterait trop, s’il m’en coûtait deuxfils.

Des deux princes d’ailleurs la haine est troppuissante :

Ne crois pas qu’à la paix jamais elleconsente.

Moi-même je saurai si bien l’envenimer,

Qu’ils périront tous deux plutôt que des’aimer,

Les autres ennemis n’ont que de courteshaines,

Mais quand de la nature on a brisé leschaînes,

Cher Attale, il n’est rien qui puisseréunir

Ceux que des nœuds si forts n’ont pas suretenir :

L’on hait avec excès lorsque l’on hait unfrère.

Mais leur éloignement ralentit leurcolère ;

Quelque haine qu’on ait contre un fierennemi,

Quand il est loin de nous on la perd àdemi.

Ne t’étonne donc plus si je veux qu’ils sevoient :

Je veux qu’en se voyant leurs fureurs sedéploient,

Que rappelant leur haine, au lieu de lachasser,

Ils s’étouffent, Attale, en voulants’embrasser.

 

Attale

Vous n’avez plus, Seigneur, à craindre quevous-même :

On porte ses remords avec le diadème.

 

Créon

Quand on est sur le trône, on a bien d’autressoins,

Et les remords sont ceux qui nous pèsent lemoins.

Du plaisir de régner une âme possédée

De tout le temps passé détourne sonidée ;

Et de tout autre objet un esprit éloigné

Croit n’avoir point vécu tant qu’il n’a pointrégné.

Mais allons. Le remords n’est pas ce qui metouche,

Et je n’ai plus un cœur que le crimeeffarouche :

Tous les premiers forfaits coûtent quelquesefforts

Mais, Attale, on commet les seconds sansremords.

Acte IV

 

Scène I

 

Étéocle,Créon

 

Étéocle

Oui, Créon, c’est ici qu’il doit bientôt serendre,

Et tous deux en ce lieu nous le pouvonsattendre.

Nous verrons ce qu’il veut ; mais jerépondrais bien

Que par cette entrevue on n’avancera rien.

Je connais Polynice et son humeuraltière :

Je sais bien que sa haine est encor touteentière,

Je ne crois pas qu’on puisse en arrêter lecours,

Et pour moi, je sens bien que je le haistoujours.

 

Créon

Mais s’il vous cède enfin la grandeursouveraine,

Vous devez, ce me semble, apaiser votrehaine.

 

Étéocle

Je ne sais si mon cœur s’apaiserajamais :

Ce n’est pas son orgueil, c’est lui seul queje hais.

Nous avons l’un et l’autre une haineobstinée :

Elle n’est pas, Créon, l’ouvrage d’uneannée,

Elle est née avec nous, et sa noire fureur

Aussitôt que la vie entra dans notre cœur.

Nous étions ennemis dès la plus tendreenfance ;

Que dis-je ? nous l’étions avant notrenaissance.

Triste et fatal effet d’un sangincestueux !

Pendant qu’un même sein nous renfermait tousdeux,

Dans les flancs de ma mère une guerreintestine

De nos divisions lui marqua l’origine.

Elles ont, tu le sais, paru dans leberceau,

Et nous suivront peut-être encor dans letombeau.

On dirait que le ciel, par un arrêtfuneste,

Voulut de nos parents punir ainsil’inceste,

Et que dans notre sang il voulut mettre aujour

Tout ce qu’ont de plus noir et la haine etl’amour.

Et maintenant, Créon, que j’attends savenue,

Ne crois pas que pour lui ma hainediminue :

Plus il approche, et plus il me sembleodieux,

Et sans doute il faudra qu’elle éclate à sesyeux.

J’aurais même regret qu’il me quittâtl’empire :

Il faut, il faut qu’il fuie, et non qu’il seretire.

Je ne veux point, Créon, le haïr à moitié,

Et je crains son courroux moins que sonamitié.

Je veux, pour donner cours à mon ardentehaine,

Que sa fureur au moins autorise lamienne ;

Et puisqu’enfin mon cœur ne saurait setrahir,

Je veux qu’il me déteste afin de le haïr.

Tu verras que sa rage est encore la même,

Et que toujours son cœur aspire audiadème ;

Qu’il m’abhorre toujours, et veut toujoursrégner ;

Et qu’on peut bien le vaincre, et non pas legagner.

 

Créon

Domptez-le donc, Seigneur, s’il demeureinflexible.

Quelque fier qu’il puisse être, il n’est pasinvincible,

Et puisque la raison ne peut rien sur soncœur,

Éprouvez ce que peut un bras toujoursvainqueur.

Oui, quoique dans la paix je trouvasse descharmes,

Je serai le premier à reprendre les armes,

Et si je demandais qu’on en rompît lecours,

Je demande encor plus que vous régnieztoujours.

Que la guerre s’enflamme et jamais nefinisse,

S’il faut avec la paix recevoir Polynice.

Qu’on ne nous vienne plus vanter un bien sidoux ;

La guerre et ses horreurs nous plaisent avecvous.

Tout le peuple thébain vous parle par mabouche ;

Ne le soumettez pas à ce princefarouche :

Si la paix se peut faire, il la veut commemoi ;

Surtout, si vous l’aimez, conservez-lui sonroi.

Cependant écoutez le prince votre frère,

Et s’il se peut, Seigneur, cachez votrecolère ;

Feignez… Mais quelqu’un vient.

Scène II

 

Étéocle,Créon,Attale

 

Étéocle

Sont-ils bien près d’ici ?

Vont-ils venir, Attale ?

 

Attale

Oui, Seigneur, les voici.

Ils ont trouvé d’abord la princesse et lareine,

Et bientôt ils seront dans la chambreprochaine.

 

Étéocle

Qu’ils entrent. Cette approche excite moncourroux.

Qu’on hait un ennemi quand il est près denous !

 

Créon

Ah ! le voici ! Fortune, achève monouvrage,

Et livre-les tous deux aux transports de leurrage !

Scène III

 

Jocaste,Étéocle,Polynice,Antigone,Créon,Hémon

 

Jocaste

Me voici donc tantôt au comble de mesvœux,

Puisque déjà le ciel vous rassemble tousdeux.

Vous revoyez un frère, après deux ansd’absence,

Dans ce même palais où vous prîtesnaissance ;

Et moi, par un bonheur où je n’osaispenser,

L’un et l’autre à la fois je vous puisembrasser.

Commencez donc, mes fils, cette union sichère,

Et que chacun de vous reconnaisse sonfrère :

Tous deux dans votre frère envisagez vostraits :

Mais pour en mieux juger, voyez-les de plusprès,

Surtout que le sang parle et fasse sonoffice.

Approchez, Étéocle ; avancez,Polynice…

Hé quoi ? loin d’approcher, vous reculeztous deux ?

D’où vient ce sombre accueil et ces regardsfâcheux ?

N’est-ce point que chacun, d’une âmeirrésolue,

Pour saluer son frère attend qu’il lesalue,

Et qu’affectant l’honneur de céder ledernier,

L’un ni l’autre ne veut s’embrasser lepremier ?

Étrange ambition qui n’aspire qu’au crime,

Où le plus furieux passe pourmagnanime !

Le vainqueur doit rougir en ce combathonteux,

Et les premiers vaincus sont les plusgénéreux.

Voyons donc qui des deux aura plus decourage,

Qui voudra le premier triompher de sarage…

Quoi ? vous n’en faites rien ? C’està vous d’avancer,

Et venant de si loin vous devezcommencer :

Commencez, Polynice, embrassez votrefrère,

Et montrez…

 

Étéocle

Hé, Madame ! à quoi bon cemystère ?

Tous ces embrassements ne sont guère àpropos :

Qu’il parle, qu’il s’explique, et nous laisseen repos.

 

Polynice

Quoi ? faut-il davantage expliquer mespensées ?

On les peut découvrir par les chosespassées :

La guerre, les combats, tant de sangrépandu,

Tout cela dit assez que le trône m’est dû.

 

Étéocle

Et ces mêmes combats, et cette mêmeguerre,

Ce sang qui tant de fois a fait rougir laterre,

Tout cela dit assez que le trône est àmoi ;

Et tant que je respire, il ne peut être àtoi.

 

Polynice

Tu sais qu’injustement tu remplis cetteplace.

 

Étéocle

L’injustice me plaît, pourvu que je t’enchasse.

 

Polynice

Si tu n’en veux sortir, tu pourras entomber.

 

Étéocle

Si je tombe, avec moi tu pourrassuccomber.

 

Jocaste

Ô dieux ! que je me vois cruellementdéçue !

N’avais-je tant pressé cette fatale vue,

Que pour les désunir encor plus quejamais ?

Ah ! mes fils, est-ce là comme on parlede paix ?

Quittez, au nom des dieux, ces tragiquespensées.

Ne renouvelez point vos discordespassées :

Vous n’êtes pas ici dans un champinhumain.

Est-ce moi qui vous mets les armes à lamain ?

Considérez ces lieux où vous prîtesnaissance :

Leur aspect sur vos cœurs n’a-t-il point depuissance ?

C’est ici que tous deux vous reçûtes lejour ;

Tout ne vous parle ici que de paix etd’amour :

Ces princes, votre sœur, tout condamne voshaines,

Enfin moi, qui pour vous pris toujours tant depeines,

Qui pour vous réunir immolerais…Hélas !

Ils détournent la tête, et ne m’écoutentpas !

Tous deux, pour s’attendrir, ils ont l’âmetrop dure ;

Ils ne connaissent plus la voix de lanature,

(À Polynice.)

Et vous, que je croyais plus doux et plussoumis…

 

Polynice

Je ne veux rien de lui que ce qu’il m’apromis :

Il ne saurait régner sans se rendreparjure.

 

Jocaste

Une extrême justice est souvent uneinjure.

Le trône vous est dû, je n’en sauraisdouter ;

Mais vous le renversez en voulant ymonter.

Ne vous lassez-vous point de cette affreuseguerre ?

Voulez-vous sans pitié désoler cetteterre,

Détruire cet empire afin de legagner ?

Est-ce donc sur des morts que vous voulezrégner ?

Thèbes avec raison craint le règne d’unprince

Qui de fleuves de sang inonde sa province.

Voudrait-elle obéir à votre injusteloi ?

Vous êtes son tyran avant qu’être son roi.

Dieux ! si devenant grand souvent ondevient pire,

Si la vertu se perd quand on gagnel’empire,

Lorsque vous régnerez, que serez-vous,hélas !

Si vous êtes cruel quand vous ne régnezpas ?

 

Polynice

Ah ! si je suis cruel, on me force del’être ;

Et de mes actions je ne suis pas lemaître.

J’ai honte des horreurs où je me voiscontraint,

Et c’est injustement que le peuple mecraint.

Mais il faut en effet soulager mapatrie ;

De ses gémissements mon âme est attendrie.

Trop de sang innocent se verse tous lesjours,

Il faut de ses malheurs que j’arrête lecours ;

Et sans faire gémir ni Thèbes ni la Grèce,

À l’auteur de mes maux il faut que jem’adresse :

Il suffit aujourd’hui de son sang ou dumien.

 

Jocaste

Du sang de votre frère ?

 

Polynice

Oui, Madame, du sien.

Il faut finir ainsi cette guerreinhumaine.

Oui, cruel, et c’est là le dessein quim’amène,

Moi-même à ce combat j’ai voulut’appeler ;

À tout autre qu’à toi je craignais d’enparler :

Tout autre aurait voulu condamner mapensée,

Et personne en ces lieux ne te l’eûtannoncée.

Je te l’annonce donc. C’est à toi deprouver

Si ce que tu ravis tu le sais conserver.

Montre-toi digne enfin d’une si belleproie.

 

Étéocle

J’accepte ton dessein, et l’accepte avecjoie.

Créon sait là-dessus quel était mondésir :

J’eusse accepté le trône avec moins deplaisir.

Je te crois maintenant digne du diadème,

Et te le vais porter au bout de ce fermême.

 

Jocaste

Hâtez-vous donc, cruels, de me percer lesein,

Et commencez par moi votre horribledessein.

Ne considérez point que je suis votremère,

Considérez en moi celle de votre frère.

Si de votre ennemi vous recherchez lesang,

Recherchez-en la source en ce malheureuxflanc.

Je suis de tous les deux la communeennemie,

Puisque votre ennemi reçut de moi la vie.

Cet ennemi, sans moi, ne verrait pas lejour ;

S’il meurt, ne faut-il pas que je meure à montour ?

N’en doutez point, sa mort me doit êtrecommune ;

Il faut en donner deux, ou n’en donner pasune ;

Et sans être ni doux ni cruel à demi,

Il faut me perdre, ou bien sauver votreennemi.

Si la vertu vous plaît, si l’honneur vousanime,

Barbares, rougissez de commettre un telcrime ;

Ou si le crime enfin vous plaît tant àchacun,

Barbares, rougissez de n’en commettrequ’un.

Aussi bien, ce n’est point que l’amour vousretienne

Si vous sauvez ma vie en poursuivant lasienne :

Vous vous garderiez bien, cruels, dem’épargner,

Si je vous empêchais un moment de régner.

Polynice, est-ce ainsi que l’on traite unemère ?

 

Polynice

J’épargne mon pays.

 

Jocaste

Et vous tuez un frère !

 

Polynice

Je punis un méchant.

 

Jocaste

Et sa mort, aujourd’hui,

Vous rendra plus coupable et plus méchant quelui.

 

Polynice

Faut-il que de ma main je couronne cetraître,

Et que de cour en cour j’aille chercher unmaître ?

Qu’errant et vagabond je quitte mes États,

Pour observer des lois qu’il ne respectepas ?

De ses propres forfaits serai-je lavictime ?

Le diadème est-il le partage ducrime ?

Quel droit ou quel devoir n’a-t-il pointviolé ?

Et cependant il règne, et je suisexilé !

 

Jocaste

Mais si le roi d’Argos vous cède unecouronne…

 

Polynice

Dois-je chercher ailleurs ce que le sang medonne ?

En m’alliant chez lui n’aurai-je rienporté ?

Et tiendrai-je mon rang de sa seulebonté ?

D’un trône qui m’est dû faut-il que l’on mechasse,

Et d’un prince étranger que je brigue laplace ?

Non, non : sans m’abaisser à lui faire lacour,

Je veux devoir le sceptre à qui je dois lejour.

 

Jocaste

Qu’on le tienne, mon fils, d’un beau-père oud’un père,

La main de tous les deux vous sera toujourschère.

 

Polynice

Non, non, la différence est trop grande pourmoi :

L’un me ferait esclave, et l’autre me faitroi.

Quoi ? ma grandeur serait l’ouvrage d’unefemme ?

D’un éclat si honteux je rougirais dansl’âme.

Le trône, sans l’amour, me serait doncfermé ?

Je ne régnerais pas si l’on ne m’eûtaimé ?

Je veux m’ouvrir le trône ou jamais n’yparaître ;

Et quand j’y monterai, j’y veux monter enmaître,

Que le peuple à moi seul soit forcéd’obéir,

Et qu’il me soit permis de m’en fairehaïr.

Enfin, de ma grandeur je veux êtrel’arbitre,

N’être point roi, Madame, ou l’être à justetitre ;

Que le sang me couronne ; ou, s’il nesuffit pas,

Je veux à son secours n’appeler que monbras.

 

Jocaste

Faites plus, tenez tout de votre grandcourage ;

Que votre bras tout seul fasse votrepartage,

Et dédaignant les pas des autressouverains,

Soyez, mon fils, soyez l’ouvrage de vosmains.

Par d’illustres exploits couronnez-vousvous-même,

Qu’un superbe laurier soit votrediadème ;

Régnez et triomphez, et joignez à la fois

La gloire des héros à la pourpre des rois.

Quoi ? votre ambition serait-ellebornée

À régner tour à tour l’espace d’uneannée ?

Cherchez à ce grand cœur, que rien ne peutdompter,

Quelque trône où vous seul ayez droit demonter.

Mille sceptres nouveaux s’offrent à votreépée,

Sans que d’un sang si cher nous la voyionstrempée.

Vos triomphes pour moi n’auront rien que dedoux,

Et votre frère même ira vaincre avec vous.

 

Polynice

Vous voulez que mon cœur, flatté de ceschimères,

Laisse un usurpateur au trône de mespères ?

 

Jocaste

Si vous lui souhaitez en effet tant demal,

Élevez-le vous-même à ce trône fatal.

Ce trône fut toujours un dangereuxabîme ;

La foudre l’environne aussi bien que lecrime ;

Votre père et les rois qui vous ontdevancés,

Sitôt qu’ils y montaient, s’en sont vusrenversés.

 

Polynice

Quand je devrais au ciel rencontrer letonnerre,

J’y monterais plutôt que de ramper àterre.

Mon cœur, jaloux du sort de ces grandsmalheureux,

Veut s’élever, Madame, et tomber avec eux.

 

Étéocle

Je saurai t’épargner une chute si vaine.

 

Polynice

Ah ! ta chute, crois-moi, précédera lamienne !

 

Jocaste

Mon fils, son règne plaît.

 

Polynice

Mais il m’est odieux.

 

Jocaste

Il a pour lui le peuple.

 

Polynice

Et j’ai pour moi les dieux.

 

Étéocle

Les dieux de ce haut rang te voulaientinterdire,

Puisqu’ils m’ont élevé le premier àl’empire.

Ils ne savaient que trop, lorsqu’ils firent cechoix,

Qu’on veut régner toujours quand on règne unefois.

Jamais dessus le trône on ne vit plus d’unmaître.

Il n’en peut tenir deux, quelque grand qu’ilpuisse être :

L’un des deux, tôt ou tard, se verraitrenversé,

Et d’un autre soi-même on y serait pressé.

Jugez donc, par l’horreur que ce méchant medonne,

Si je puis avec lui partager la couronne.

 

Polynice

Et moi je ne veux plus, tant tu m’esodieux,

Partager avec toi la lumière des cieux.

 

Jocaste

Allez donc, j’y consens, allez perdre lavie ;

À ce cruel combat tous deux je vousconvie ;

Puisque tous mes efforts ne sauraient vouschanger,

Que tardez-vous ? allez vous perdre et mevenger.

Surpassez, s’il se peut, les crimes de vospères ;

Montrez, en vous tuant, comme vous êtesfrères :

Le plus grand des forfaits vous a donné lejour,

Il faut qu’un crime égal vous l’arrache à sontour.

Je ne condamne plus la fureur qui vouspresse ;

Je n’ai plus pour mon sang ni pitié nitendresse :

Votre exemple m’apprend à ne le pluschérir

Et moi je vais, cruels, vous apprendre àmourir.

 

Antigone

Madame… Ô ciel ! que vois-je ?Hélas ! rien ne les touche !

 

Hémon

Rien ne peut ébranler leur constancefarouche.

 

Antigone

Princes…

 

Étéocle

Pour ce combat, choisissons quelque lieu.

 

Polynice

Courons. Adieu, ma sœur.

 

Étéocle

Adieu, Princesse, adieu.

 

Antigone

Mes frères, arrêtez ! Gardes, qu’on lesretienne ;

Joignez, unissez tous vos douleurs à lamienne.

C’est leur être cruels que de lesrespecter.

 

Hémon

Madame, il n’est plus rien qui les puissearrêter.

 

Antigone

Ah ! généreux Hémon, c’est vous seul quej’implore.

Si la vertu vous plaît, si vous m’aimezencore,

Et qu’on puisse arrêter leurs parricidesmains,

Hélas ! pour me sauver, sauvez cesinhumains.

Acte V

Scène I

 

Antigone,seule.

À quoi te résous-tu, princesseinfortunée ?

Ta mère vient de mourir dans tesbras ;

Ne saurais-tu suivre ses pas,

Et finir en mourant ta tristedestinée ?

À de nouveaux malheurs te veux-turéserver ?

Tes frères sont aux mains, rien ne les peutsauver

De leurs cruelles armes.

Leur exemple t’anime à te percer leflanc ;

Et toi seule verses des larmes,

Tous les autres versent du sang.

Quelle est de mes malheurs l’extrémitémortelle ?

Où ma douleur doit-elle recourir ?

Dois-je vivre ? dois-je mourir ?

Un amant me retient, une mèrem’appelle :

Dans la nuit du tombeau je la vois quim’attend ;

Ce que veut la raison, l’amour me ledéfend

Et m’en ôte l’envie.

Que je vois de sujets d’abandonner lejour !

Mais, hélas ! qu’on tient à la vie,

Quand on tient si fort à l’amour !

Oui, tu retiens, Amour, mon âmefugitive ;

Je reconnais la voix de monvainqueur :

L’espérance est morte en mon cœur,

Et cependant tu vis, et tu veux que jevive ;

Tu dis que mon amant me suivrait autombeau,

Que je dois de mes jours conserver leflambeau

Pour sauver ce que j’aime.

Hémon, vois le pouvoir que l’amour a surmoi :

Je ne vivrais pas pour moi-même,

Et je veux bien vivre pour toi.

Si jamais tu doutas de ma flamme fidèle…

Mais voici du combat la funeste nouvelle.

Scène II

 

Antigone,Olympe

 

Antigone

Eh bien ! ma chère Olympe, as-tu vu ceforfait ?

 

Olympe

J’y suis courue en vain, c’en était déjàfait.

Du haut de nos remparts j’ai vu descendre enlarmes

Le peuple qui courait et qui criait auxarmes ;

Et pour vous dire enfin d’où venait saterreur,

Le roi n’est plus, Madame, et son frère estvainqueur.

On parle aussi d’Hémon : l’on dit que soncourage

S’est efforcé longtemps de suspendre leurrage,

Mais que tous ses efforts ont étésuperflus.

C’est ce que j’ai compris de mille bruitsconfus.

 

Antigone

Ah ! je n’en doute pas, Hémon estmagnanime ;

Son grand cœur eut toujours trop d’horreurpour le crime.

Je l’avais conjuré d’empêcher ce forfait,

Et s’il l’avait pu faire, Olympe, il l’auraitfait.

Mais, hélas ! leur fureur ne pouvait secontraindre :

Dans des ruisseaux de sang elle voulaits’éteindre.

Princes dénaturés, vous voilàsatisfaits :

La mort seule entre vous pouvait mettre lapaix.

Le trône pour vous deux avait trop peu deplace ;

Il fallait entre vous mettre un plus grandespace,

Et que le ciel vous mît, pour finir vosdiscords,

L’un parmi les vivants, l’autre parmi lesmorts.

Infortunés tous deux, dignes qu’on vousdéplore !

Moins malheureux pourtant que je ne suisencore,

Puisque de tous les maux qui sont tombés surnous,

Vous n’en sentez aucun, et que je les senstous !

 

Olympe

Mais pour vous ce malheur est un moindresupplice

Que si la mort vous eût enlevé Polynice.

Ce prince était l’objet qui faisait tous vossoins ;

Les intérêts du roi vous touchaient beaucoupmoins.

 

Antigone

Il est vrai, je l’aimais d’une amitiésincère ;

Je l’aimais beaucoup plus que je n’aimais sonfrère,

Et, ce qui lui donnait tant de part dans mesvœux,

Il était vertueux, Olympe, et malheureux.

Mais, hélas ! ce n’est plus ce cœur simagnanime,

Et c’est un criminel qu’a couronné soncrime.

Son frère plus que lui commence à metoucher :

Devenant malheureux, il m’est devenu cher.

 

Olympe

Créon vient.

 

Antigone

Il est triste ; et j’en connais lacause :

Au courroux du vainqueur la mort du roil’expose.

C’est de tous nos malheurs l’auteurpernicieux.

Scène III

 

Antigone,Créon,Olympe,Attale,Gardes

 

Créon

Madame, qu’ai-je appris en entrant dans ceslieux ?

Est-il vrai que la reine…

 

Antigone

Oui, Créon, elle est morte.

 

Créon

Ô dieux ! puis-je savoir de quelleétrange sorte

Ses jours infortunés ont éteint leurflambeau ?

 

Olympe

Elle-même, Seigneur, s’est ouvert letombeau,

Et s’étant d’un poignard en un momentsaisie,

Elle en a terminé ses malheurs et sa vie.

 

Antigone

Elle a su prévenir la perte de son fils.

 

Créon

Ah ! Madame, il est vrai que les dieuxennemis…

 

Antigone

N’imputez qu’à vous seul la mort du roi monfrère,

Et n’en accusez point la céleste colère.

À ce combat fatal vous seul l’avezconduit :

Il a cru vos conseils, sa mort en est lefruit.

Ainsi de leurs flatteurs les rois sont lesvictimes ;

Vous avancez leur perte en approuvant leurscrimes ;

De la chute des rois vous êtes lesauteurs ;

Mais les rois en tombant entraînent leursflatteurs.

Vous le voyez, Créon, sa disgrâce mortelle

Vous est funeste autant qu’elle nous estcruelle :

Le ciel, en le perdant, s’en est vengé survous,

Et vous avez peut-être à pleurer commenous.

 

Créon

Madame, je l’avoue ; et les destinscontraires

Me font pleurer deux fils si vous pleurez deuxfrères.

 

Antigone

Mes frères et vos fils ? Dieux ! queveut ce discours ?

Quelque autre qu’Étéocle a-t-il fini sesjours ?

 

Créon

Mais ne savez-vous pas cette sanglantehistoire ?

 

Antigone

J’ai su que Polynice a gagné la victoire,

Et qu’Hémon a voulu les séparer en vain.

 

Créon

Madame, ce combat est bien plus inhumain.

Vous ignorez encor mes pertes et lesvôtres.

Mais, hélas ! apprenez les unes et lesautres.

 

Antigone

Rigoureuse Fortune, achève toncourroux !

Ah ! sans doute, voici le dernier de tescoups.

 

Créon

Vous avez vu, Madame, avec quelle furie

Les deux princes sortaient pour s’arracher lavie,

Que d’une ardeur égale ils fuyaient de ceslieux,

Et que jamais leurs cœurs ne s’accordèrentmieux.

La soif de se baigner dans le sang de leurfrère

Faisait ce que jamais le sang n’avait sufaire :

Par l’excès de leur haine ils semblaientréunis,

Et prêts à s’égorger, ils paraissaientamis.

Ils ont choisi d’abord pour leur champ debataille,

Un lieu près des deux camps, au pied de lamuraille.

C’est là que reprenant leur premièrefureur

Ils commencent enfin ce combat pleind’horreur.

D’un geste menaçant, d’un œil brûlant derage,

Dans le sein l’un de l’autre ils cherchent unpassage,

Et la seule fureur précipitant leurs bras,

Tous deux semblent courir au-devant dutrépas.

Mon fils, qui de douleur en soupirait dansl’âme,

Et qui se souvenait de vos ordres, Madame,

Se jette au milieu d’eux, et méprise pourvous

Leurs ordres absolus qui nous arrêtaienttous.

Il leur retient le bras, les repousse, lesprie,

Et pour les séparer s’expose à leur furie.

Mais il s’efforce en vain d’en arrêter lecours,

Et ces deux furieux se rapprochenttoujours.

Il tient ferme pourtant, et ne perd pointcourage ;

De mille coups mortels il détournel’orage,

Jusqu’à ce que du roi le fer troprigoureux,

Soit qu’il cherchât son frère, ou ce filsmalheureux,

Le renverse à ses pieds prêt à rendre lavie.

 

Antigone

Et la douleur encor ne me l’a pasravie !

 

Créon

J’y cours, je le relève, et le prends dans mesbras ;

Et me reconnaissant : « Jemeurs, dit-il tout bas,

Trop heureux d’expirer pour ma belleprincesse.

En vain à mon secours votre amitiés’empresse :

C’est à ces furieux que vous devezcourir ;

Séparez-les, mon père, et me laissezmourir ».

Il expire à ces mots. Ce barbare spectacle

À leur noire fureur n’apporte pointd’obstacle ;

Seulement Polynice en paraîtaffligé :

« Attends, Hémon, dit-il, tuvas être vengé ».

En effet sa douleur renouvelle sa rage,

Et bientôt le combat tourne à sonavantage.

Le roi, frappé d’un coup qui lui perce leflanc,

Lui cède la victoire et tombe dans sonsang.

Les deux camps aussitôt s’abandonnent enproie,

Le nôtre à la douleur, et les Grecs à lajoie ;

Et le peuple, alarmé du trépas de son roi,

Sur le haut de ses tours témoigne soneffroi.

Polynice, tout fier du succès de soncrime,

Regarde avec plaisir expirer savictime ;

Dans le sang de son frère il semble sebaigner :

« Et tu meurs, lui dit-il,et moi je vais régner.

Regarde dans mes mains l’empire et lavictoire ;

Va rougir aux enfers de l’excès de magloire ;

Et pour mourir encore avec plus deregret,

Traître, songe en mourant que tu meurs monsujet ».

En achevant ces mots, d’une démarche fière

Il s’approche du roi couché sur lapoussière,

Et pour le désarmer il avance le bras.

Le roi, qui semble mort, observe tous sespas ;

Il le voit, il l’attend, et son âmeirritée

Pour quelque grand dessein semble s’êtrearrêtée.

L’ardeur de se venger flatte encor sesdésirs,

Et retarde le cours de ses dernierssoupirs.

Prêt à rendre la vie, il en cache lereste,

Et sa mort au vainqueur est un piègefuneste ;

Et dans l’instant fatal que ce frèreinhumain

Lui veut ôter le fer qu’il tenait à lamain,

Il lui perce le cœur ; et son âmeravie,

En achevant ce coup abandonne la vie.

Polynice frappé pousse un cri dans lesairs,

Et son âme en courroux s’enfuit dans lesenfers.

Tout mort qu’il est, Madame, il garde sacolère,

Et l’on dirait qu’encore il menace sonfrère :

Son visage, où la mort a répandu sestraits,

Demeure plus terrible et plus fier quejamais.

 

Antigone

Fatale ambition, aveuglementfuneste !

D’un oracle cruel suite tropmanifeste !

De tout le sang royal il ne reste quenous ;

Et plût aux dieux, Créon, qu’il ne restât quevous,

Et que mon désespoir, prévenant leurcolère,

Eût suivi de plus près le trépas de mamère !

 

Créon

Il est vrai que des dieux le courrouxembrasé

Pour nous faire périr semble s’êtreépuisé ;

Car enfin sa rigueur, vous le voyez,Madame,

Ne m’accable pas moins qu’elle afflige votreâme.

En m’arrachant mes fils…

 

Antigone

Ah ! vous régnez, Créon,

Et le trône aisément vous console d’Hémon.

Mais laissez-moi, de grâce, un peu desolitude,

Et ne contraignez point ma tristeinquiétude.

Aussi bien mes chagrins passeraient jusqu’àvous.

Vous trouverez ailleurs des entretiens plusdoux :

Le trône vous attend, le peuple vousappelle ;

Goûtez tout le plaisir d’une grandeurnouvelle.

Adieu. Nous ne faisons tous deux que nousgêner :

Je veux pleurer, Créon, et vous voulezrégner.

Créon, arrêtant Antigone.

Ah, Madame ! régnez, et montez sur letrône :

Ce haut rang n’appartient qu’à l’illustreAntigone.

 

Antigone

Il me tarde déjà que vous nel’occupiez :

La couronne est à vous.

 

Créon

Je la mets à vos pieds.

 

Antigone

Je la refuserais de la main des dieuxmême,

Et vous osez, Créon, m’offrir lediadème !

 

Créon

Je sais que ce haut rang n’a rien deglorieux

Qui ne cède à l’honneur de l’offrir à vosyeux.

D’un si noble destin je me connaisindigne ;

Mais si l’on peut prétendre à cette gloireinsigne,

Si par d’illustres faits on la peutmériter,

Que faut-il faire enfin, Madame ?

 

Antigone

M’imiter.

 

Créon

Que ne ferais-je point pour une tellegrâce !

Ordonnez seulement ce qu’il faut que jefasse :

Je suis prêt…

 

Antigone, en s’enallant.

Nous verrons.

 

Créon,la suivant.

J’attends vos lois ici.

 

Antigone, en s’enallant.

Attendez.

 

Attale

Son courroux serait-il adouci ?

Croyez-vous la fléchir ?

Scène IV

 

Créon,Attale

 

Créon

Oui, oui, mon cher Attale ;

Il n’est point de fortune à mon bonheurégale,

Et tu vas voir en moi, dans ce jourfortuné,

L’ambitieux au trône, et l’amant couronné.

Je demandais au ciel la princesse et letrône :

Il me donne le sceptre et m’accordeAntigone.

Pour couronner ma tête et ma flamme en cejour,

Il arme en ma faveur et la haine etl’amour,

Il allume pour moi deux passionscontraires :

Il attendrit la sœur, il endurcit lesfrères,

Il aigrit leur courroux, il fléchit sarigueur,

Et m’ouvre en même temps et leur trône et soncœur.

 

Attale

Il est vrai, vous avez toute choseprospère,

Et vous seriez heureux si vous n’étiez pointpère.

L’ambition, l’amour, n’ont rien àdésirer ;

Mais, Seigneur, la nature a beaucoup àpleurer :

En perdant vos deux fils…

 

Créon

Oui, leur perte m’afflige,

Je sais ce que de moi le rang de pèreexige,

Je l’étais ; mais surtout j’étais né pourrégner,

Et je perds beaucoup moins que je ne croisgagner.

Le nom de père, Attale, est un titrevulgaire :

C’est un don que le ciel ne nous refuseguère.

Un bonheur si commun n’a pour moi rien dedoux,

Ce n’est pas un bonheur, s’il ne fait desjaloux.

Mais le trône est un bien dont le ciel estavare ;

Du reste des mortels ce haut rang noussépare,

Bien peu sont honorés d’un don siprécieux :

La terre a moins de rois que le ciel n’a dedieux.

D’ailleurs tu sais qu’Hémon adorait laprincesse,

Et qu’elle eut pour ce prince une extrêmetendresse.

S’il vivait, son amour au mien seraitfatal.

En me privant d’un fils, le ciel m’ôte unrival.

Ne me parle donc plus que de sujets dejoie,

Souffre qu’à mes transports je m’abandonne enproie ;

Et sans me rappeler des ombres des enfers,

Dis-moi ce que je gagne, et non ce que jeperds.

Parle-moi de régner, parle-moid’Antigone :

J’aurai bientôt son cœur, et j’ai déjà letrône.

Tout ce qui s’est passé n’est qu’un songe pourmoi :

J’étais père et sujet, je suis amant etroi.

La princesse et le trône ont pour moi tant decharmes,

Que… Mais Olympe vient.

 

Attale

Dieux ! elle est tout en larmes.

Scène V

 

Créon,Olympe,Attale

 

Olympe

Qu’attendez-vous, Seigneur ? La princessen’est plus.

 

Créon

Elle n’est plus, Olympe ?

 

Olympe

Ah ! regrets superflus !

Elle n’a fait qu’entrer dans la chambreprochaine,

Et du même poignard dont est morte lareine,

Sans que je pusse voir son funestedessein,

Cette fière princesse a percé son beausein.

Elle s’en est, seigneur, mortellementfrappée,

Et dans son sang, hélas ! elle estsoudain tombée.

Jugez à cet objet ce que j’ai dû sentir.

Mais sa belle âme enfin, toute prête àsortir :

« Cher Hémon, c’est à toi que je mesacrifie »,

Dit-elle ; et ce moment a terminé savie.

J’ai senti son beau corps tout froid entre mesbras,

Et j’ai cru que mon âme allait suivre sespas,

Heureuse mille fois, si ma douleurmortelle

Dans la nuit du tombeau m’eût plongée avecelle !

(Elle s’en va.)

Scène dernière

 

Créon,Attale

 

Créon

Ainsi donc vous fuyez un amant odieux,

Et vous-même, cruelle, éteignez vos beauxyeux !

Vous fermez pour jamais ces beaux yeux quej’adore,

Et pour ne me point voir, vous les fermezencore !

Quoique Hémon vous fût cher, vous courez autrépas

Bien plus pour m’éviter que pour suivre sespas.

Mais dussiez-vous encor m’être aussirigoureuse,

Ma présence aux enfers vous fût-elleodieuse,

Dût après le trépas vivre votre courroux,

Inhumaine, je vais y descendre après vous.

Vous y verrez toujours l’objet de votrehaine,

Et toujours mes soupirs vous rediront mapeine,

Ou pour vous adoucir, ou pour voustourmenter ;

Et vous ne pourrez plus mourir pourm’éviter.

Mourons donc…

 

Attaleet des gardes.

Ah ! Seigneur ! quelle cruelleenvie…

 

Créon

Ah ! c’est m’assassiner que me sauver lavie !

Amour, rage, transports, venez à monsecours,

Venez, et terminez mes détestablesjours !

De ces cruels amis trompez tous lesobstacles.

Toi, justifie, ô ciel, la foi de tesoracles :

Je suis le dernier sang du malheureuxLaïus,

Perdez-moi, dieux cruels, ou vous serezdéçus.

Reprenez, reprenez cet empirefuneste :

Vous m’ôtez Antigone, ôtez-moi tout lereste.

Le trône et vos présents excitent moncourroux ;

Un coup de foudre est tout ce que je veux devous.

Ne le refusez pas à mes vœux, à mescrimes ;

Ajoutez mon supplice à tant d’autresvictimes.

Mais en vain je vous presse, et mes propresforfaits

Me font déjà sentir tous les maux que j’aifaits.

Polynice, Étéocle, Jocaste, Antigone,

Mes fils, que j’ai perdus pour m’élever autrône,

Tant d’autres malheureux dont j’ai causé lesmaux,

Font déjà dans mon cœur l’office desbourreaux.

Arrêtez… Mon trépas va venger votre perte,

La foudre va tomber, la terre estentr’ouverte,

Je ressens à la fois mille tourmentsdivers,

Et je m’en vais chercher du repos auxenfers.

(Il tombe entre les mains desgardes.)

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Tags: Jean Racine