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Lénore, et autres ballades

Lénore, et autres ballades

de Gottfried August Bürger

Préface

 

Bürger est né à Wolsmerwende, dans la principauté d’Halberstadt, le 1er janvier 1748.Un soir, il entendit une jeune paysanne chanter les mots suivants :

La lune est si claire,

Les morts vont si vite à cheval !

Dis, chère amie, ne frissonnes-tu pas ?

Ces paroles retentirent sans cesse à ses oreilles, et saisirent tellement son imagination, qu’il n’eut pas de repos avant d’avoir composé quelques strophes sur ce refrain. Il les montra à ses amis, qui le pressèrent vivement de ne pas laisser son ouvrage imparfait : ce n’était d’abord que des couplets isolés qu’il réunit ensuite dans un même cadre. Lorsque Lénorefut achevée, Bürger la lut à la société littéraire de Gœttingen ; arrivé à ces vers :

« Il s’élance à bride abattue contre une grille de fer ; d’un coup de sa houssine légère, il frappe… les verroux se brisent… »

il frappa contre la cloison de la chambre,ses auditeurs tressaillirent, et se levèrent en sursaut : lepoète qui tremblait pour le succès d’un ouvrage aussi différent desformes ordinaires, commença à espérer qu’il avait réussi. Il en eutbientôt la certitude par la vogue prodigieuse que Lénore obtintdans toute l’Allemagne ; les paysans mêmes chantent cetteromance, comme les gondoliers de Venise répètent les vers duTasse : Bürger est le poète le plus populaire de l’Allemagne.Il n’est personne qui ne sache par cœur des fragments de sespoésies. Il mourut de misère, et on se hâta de lui élever unmonument…

LÉNOREBallades allemandes tirées deBürger, Koerner et Kosegarten ; publ. par Ferdinand Floconhttp://gallica.bnf.fr/document?O=N074608

Traduit par Ferdinand Flocon

 

Aux premières lueurs du matin, Lénore,fatiguée de rêves lugubres, s’élance de son lit. Es-tu infidèle,Wilhelm, ou es-tu mort ? tarderas-tu long-temps encore ?– Il avait suivi l’armée du roi Frédéric à la bataille de Prague,et n’avait rien écrit pour rassurer son amie.

 

Lassés de leurs longues querelles, le roi etl’impératrice revinrent de leurs prétentions et conclurent enfin lapaix. Couronnée de verts feuillages, chaque armée retourna, enchantant, dans ses foyers, aux sons joyeux des fanfares et destymbales.

De tous côtés, sur les chemins et sur lesponts, jeunes et vieux se portaient en foule à leur rencontre. Dieusoit loué ! s’écriaient plus d’une épouse. Sois lebienvenu ! disaient plus d’une fiancée. Lénore seule attendaitle baiser du retour.

Elle parcourt les rangs : elle lesmonte ; elle les redescend, elle interroge, hélas, en vain.Dans cette foule innombrable, personne ne peut lui donner deréponse certaine. Déjà tous sont éloignés. Alors elle arrache sesbeaux cheveux, et se roule à terre dans le délire du désespoir.

Sa mère s’approche : Dieu ait pitié detoi, ma pauvre enfant ! et la serrant dans ses bras, elle luidemandait la cause de sa douleur.

– Oh ! ma mère ! ma mère !il est mort ! mort ! Périsse le monde et tout ce qu’ilrenferme ; Dieu est sans pitié. Malédiction sur moi,malheureuse que je suis !

– Que Dieu nous aide, ma fille, imploresa bonté[1] ce qu’il fait est bien fait, et jamais ilne nous abandonne.

– Oh ! ma mère, c’est une vaineillusion, Dieu m’a abandonnée : mes prières sont restéesinutiles ; à quoi serviraient-elles maintenant ?

– Que Dieu nous aide ! Celui quiconnaît sa puissance sait qu’il peut nous secourir jusque dans lesenfers. Sa sainte parole calmera tes douleurs[2].

– Oh ! ma mère, la douleur qui metue, aucune parole ne pourra la calmer. Aucune parole ne peutrendre la vie aux morts !

– Écoute, mon enfant, peut-être leperfide a-t-il trahi sa foi pour une fille de la lointaine Hongrie.Efface-le de ton souvenir. Il ne sera jamais heureux, et, à l’heurede la mort, il sentira le châtiment de son parjure.

– Oh ! ma mère ! les morts sontmorts, et ce qui est perdu est perdu. La mort, voilà mon lot.Oh ! que je voudrais n’être pas née. Éteins-toi pour toujours,flambeau de ma vie ! que je meure dans l’horreur et dans lesténèbres ! Dieu est sans pitié ! Malédiction sur moi,malheureuse que je suis !

– Mon Dieu ! ayez pitié denous ; n’entrez pas en jugement avec ma pauvre enfant, necomptez pas ses péchés ! Elle ne sait pas quelles sont sesparoles. Oh ! ma fille, oublie les souffrances de cemonde : pense à Dieu, à la félicité éternelle ; au moinston âme immortelle ne restera pas dans le veuvage[3].

– Oh ! ma mère ! qu’est-ce quela félicité, qu’est-ce que l’enfer ? Avec Wilhelm est lafélicité, sans Wilhelm est l’enfer. Éteins-toi pourtoujours, flambeau de ma vie ! que je meure dans l’horreur etdans les ténèbres ! Dieu est sans pitié ! Malédiction surmoi, malheureuse que je suis !

Ainsi la douleur ravage son cœur et son âme,et lui fait insulter[4] à la divineProvidence. Elle se meurtrit le sein et se tord les bras. Cependantles astres de la nuit s’élevaient lentement sur la voûte duciel.

Mais écoutez ! Voilà qu’au-dehorsretentit comme le galop d’un cheval. Il semble qu’un cavalier endescend avec bruit au bas de l’escalier. Écoutez ! la sonnettea tinté doucement, et voilà qu’à travers la porte, une voix faitentendre les paroles suivantes :

– Ouvre, mon enfant. Dors-tu, mon amie,ou es-tu éveillée ? Penses-tu encore à moi ? Es-tu dansla joie ou dans les larmes ?

– Ah ! Wilhelm ! est-cetoi ? Si tard dans la nuit ! Je veillais et jepleurais ! Ah ! j’ai bien souffert. D’où viens-tu doncsur ton cheval à cette heure ?

– Nous ne montons nos coursiers qu’àminuit. J’arrive du fond de la Bohême : tard je me suis mis enroute, et je viens te chercher pour te prendre avec moi.

– Oh ! Wilhelm ! entre d’abordque je te réchauffe dans mes bras. Entends-tu le bruit du vent dansla forêt ?

– Laisse l’aquilon mugir dans la forêt,enfant, laisse-le mugir. Le coursier frappe la terre, les éperonsrésonnent ; je ne puis demeurer ici. Viens, chausse-toi, sauteen croupe derrière moi. Il me faut faire encore cent lieuesaujourd’hui pour me précipiter avec toi au lit nuptial !

– Comment veux-tu que nous fassionsaujourd’hui cent lieues pour aller au lit de noces !Écoute : la cloche qui a sonné onze heures vibre encore.

– Regarde ! La lune est claire etbrillante. Nous et les morts nous allons vite. Je te promets de temener aujourd’hui même au lit nuptial.

– Dis-moi, où est ta demeure, et commentest ton lit de noces ?

– Loin, bien loin d’ici ; étroit,humide et silencieux : six planches et deux planchettes.

– Y a-t-il de la place pour toi et pourmoi ?

– Pour toi et pour moi. Viens,chausse-toi et monte en croupe : la chambre nuptiale estouverte, les conviés nous attendent.

La jeune fille se chausse et saute avecagilité sur le cheval : elle enlace ses blanches mains autourde celui qu’elle aime, et ils s’élancent avec le bruit et larapidité de la tempête. Le cheval et le cavalier respiraient àpeine, les pierres étincelaient sous leurs pas.

Oh ! comme à gauche et à droitedisparurent à leurs yeux les prairies, les plaines et lescampagnes ! comme les ponts retentirent à leurpassage !

– A-t-elle peur, mon amie ?… La luneest brillante. Hurrah ! les morts vont vite. A-t-elle peur desmorts ?

– Oh ! non. Mais laisse les morts enrepos.

Quelles sont ces voix lugubres ! Oùvolent ces corbeaux ? Écoutez : c’est le glas des clocheset l’hymne des funérailles. « Laissez-nous ensevelir cecorps[5]. » Et de plus en plus approchait leconvoi funèbre, déjà on distinguait la bière, et le chant semblaitles accents sinistres des habitans des marais.

– Après minuit, vous ensevelirez ce corpsavec vos chants et vos plaintes. Maintenant je conduis chez moi mafiancée, venez assister au banquet : viens, chantre, viensavec le chœur, et entonne l’hymne du mariage ! prêtre, viensaussi, tu prononceras la bénédiction quand nous entrerons au litnuptial.

Le chant funèbre a cessé, la bière adisparu : obéissant à sa voix, le convoi part à leur suite.Hurrah ! Hurrah ! Ils sont presque sur les pieds ducheval, et ils s’élancent avec le bruit et la rapidité de latempête : le cheval et le cavalier respiraient à peine ;les pierres étincelaient sous leurs pas.

Oh ! comme s’envolèrent à gauche et àdroite les montagnes et les forêts, les buissons et les campagnes,les hameaux et les villes !

– Crains-tu ? mon amie…

Là lune est brillante. Hurrah ! les mortsvont vite ! A-t-elle peur des morts ?

– Oh ! laisse donc les morts enrepos !

– Vois-tu, vois-tu auprès de ces potencesces fantômes aériens, demi visibles à la pâle clarté de lalune ? ils dansent autour de la roue. Ici, ici, troupe vile etinfâme, suivez-nous ; dansez la danse des noces, nous allonsau lit nuptial.

Et la foule des esprits s’élance après euxavec des cris et un bruit semblable à celui de l’ouragan dans lesbruyères desséchées. Et ils allaient toujours au galop avec lefracas et la rapidité de la tempête : le cheval et le cavalierrespiraient à peine ; les pierres étincelaient sous leurspas.

Oh ! comme s’envolait au loin tout ce quela lune éclairait autour d’eux ! Comme le ciel et les astresglissaient au-dessus de leurs têtes ! – A-t-elle peur, monamie ?… La lune est brillante. Hurrah ! Les morts vontvite ! A-t-elle peur des morts ?

– Oh ! mon Dieu ! laisse doncles morts en repos !

– Mon cheval noir ! Il me sembleentendre déjà le chant du coq. Bientôt le sablier seraécoulé ! Mon noir ! mon noir ! Je sens l’air dumatin. Dépêche-toi, hâte-toi !… Finie, finie est notrecourse ! Le lit nuptial s’ouvre pour nous : les mortsvont vite : nous voici arrivés ! »

Il s’élance à bride abattue contre une grillede fer : de sa houssine légère, il frappe… les verroux sebrisent et les deux battans s’ouvrent avec fracas. Leur élan rapideles emporte par-delà les tombes qui apparaissent de tous côtés à laclarté de la lune.

Mais voyez, voyez ! Au même instant,Dieu ! quel affreux miracle ! Le manteau du cavaliertombe en poussière[6], sa têteest changée en une tête de mort décharnée, son corps est unsquelette armé d’une faux et d’un sablier !

Le cheval noir se cabre furieux ; ilhennit, vomit des flammes, et s’abîme dans de sombres profondeurs.Des hurlemens, des hurlemens descendent des sphères célestes, desgémissemens sortent du fond des tombes. Le cœur de Lénore palpitaitavec angoisses entre la vie et la mort.

Alors, à la lueur de l’astre nocturne, et setenant par la main, dansèrent en rond, autour d’elle, de pâlesfantômes, et ils entonnèrent l’hymne suivante :

« Patience ! Patience ! si ladouleur brise ton cœur, ne blasphême jamais le Dieu du ciel !Ton corps est délivré ; Dieu ait pitié de tonâme ! »

LÉNOREPoésies allemandes : Klopstock,Goethe, Schiller, Burger / morceaux choisis et traduits par M.Gérard [de Nerval]. Publication : Paris : Bureau de laBibliothèque choisie, 1830.http://gallica.bnf.fr/document?O=N074764

Traduction en prose par Gérard de Nerval

 

Lénore se lève au point du jour, elle échappeà de tristes rêves : « Wilhelm, mon époux ! es-tumort ? es-tu parjure ? Tarderas-tu long-tempsencore ? » Le soir même de ses noces il était parti pourla bataille de Prague, à la suite du roi Frédéric, et n’avaitdepuis donné aucune nouvelle de sa santé.

Mais le roi et l’impératrice, las de leursquerelles sanglantes, s’apaisant peu à peu, conclurent enfin lapaix ; et cling ! et clang ! au son des fanfares etdes timbales, chaque armée, se couronnant de joyeux feuillages,retourna dans ses foyers.

Et partout et sans cesse, sur les chemins, surles ponts, jeunes et vieux, fourmillaient à leur rencontre.« Dieu soit loué ! » s’écriaient maint enfant,mainte épouse. « Sois le bienvenu ! » s’écriaitmainte fiancée. Mais, hélas ! Lénore seule attendait en vainle baiser du retour.

Elle parcourt les rangs dans tous lessens ; partout elle interroge. De tous ceux qui sont revenus,aucun ne peut lui donner de nouvelles de son époux bien aimé. Lesvoilà déjà loin : alors, arrachant ses cheveux, elle se jetteà terre et s’y roule avec délire.

Sa mère accourt : « Ah ! Dieut’assiste ! Qu’est-ce donc, ma pauvre enfant ? » etelle la serre dans ses bras. « Oh ! ma mère, ma mère, ilest mort ! mort ! que périsse le monde et tout !Dieu n’a point de pitié ! Malheur ! malheur àmoi !

– Dieu nous aide et nous fassegrâce ! Ma fille, implore notre père : ce qu’il fait estbien fait, et jamais il ne nous refuse son secours. – Oh ! mamère ! vous vous trompez… Dieu m’a abandonnée : à quoim’ont servi mes prières ? à quoi me serviront-elles ?

– Mon Dieu ! ayez pitié denous ! Celui qui connaît le père sait bien qu’il n’abandonnepas ses enfants : le Très-Saint-Sacrement calmera toutes tespeines ! – Oh ma mère, ma mère !… Aucun sacrement ne peutrendre la vie aux morts !…

– Mon Dieu ! ayez pitié de nous.N’entrez point en jugement avec ma pauvre enfant ; elle nesait pas la valeur de ses paroles… ne les lui comptez pas pour despéchés ! Ma fille, oublie les chagrins de la terre ;pense à Dieu et au bonheur céleste ; car il te reste un épouxdans le ciel !

– Oh ! ma mère, qu’est-ce que lebonheur ? Ma mère, qu’est-ce que l’enfer ?… Le bonheurest avec Wilhelm, et l’enfer sans lui ! Éteins-toi, flambeaude ma vie, éteins-toi dans l’horreur des ténèbres ! Dieu n’apoint de pitié… Oh ! malheureuse que je suis ! »

Ainsi le fougueux désespoir déchirait son cœuret son âme, et lui faisait insulter à la providence de Dieu. Ellese meurtrit le sein, elle se tordit les bras jusqu’au coucher dusoleil, jusqu’à l’heure où les étoiles dorées glissent sur la voûtedes cieux.

Mais au dehors quel bruit se faitentendre ? Trap ! trap ! trap !… C’est comme lepas d’un cheval. Et puis il semble qu’un cavalier en descende avecun cliquetis d’armures ; il monte les degrés… Écoutez !écoutez !… La sonnette a tinté doucement… Klinglingling !et, à travers la porte, une douce voix parle ainsi :

– Holà ! holà ! ouvre-moi, monenfant ! Veilles-tu ? ou dors-tu ? Es-tu dans lajoie ou dans les pleurs ? – Ah ! Wilhelm ! c’estdonc toi ! si tard dans la nuit !… Je veillais et jepleurais… Hélas ! j’ai cruellement souffert… D’où viens-tudonc sur ton cheval ?

– Nous ne montons à cheval qu’àminuit ; et j’arrive du fond de la Bohème : c’estpourquoi je suis venu tard, pour te remmener avec moi. – Ah !Wilhelm, entre ici d’abord ; car j’entends le vent sifflerdans la forêt…

– Laisse le vent siffler dans la forêt,enfant ; qu’importe que le vent siffle. Le cheval gratte laterre, les éperons résonnent ; je ne puis rester ici. Viens,Lénore, chausse-toi, saute en croupe sur mon cheval ; car nousavons cent lieues à faire pour atteindre à notre demeure.

– Hélas ! comment veux-tu que nousfassions aujourd’hui cent lieues, pour atteindre à notredemeure ? Écoute ! la cloche de minuit vibre encore. –Tiens ! tiens ! comme la lune brille !… Nous et lesmorts, nous allons vite ; je gage que je t’y conduiraiaujourd’hui même.

– Dis-moi donc où est ta demeure ? Ya-t-il place pour moi ? – Pour nous deux. Viens, Lénore, sauteen croupe : le banquet de noces est préparé, et les conviésnous attendent.

La jeune fille se chausse, s’élance, saute encroupe sur le cheval ; et puis en avant ; hop !hop ! hop ! Ainsi retentit le galop… Cheval et cavalierrespiraient à peine ; et, sous leurs pas, les caillouxétincelaient.

Oh ! comme à droite, à gauche,s’envolaient à leur passage, les prés, les bois et lescampagnes ; comme sous eux les ponts retentissaient ! –A-t-elle peur, ma mie ? La lune brille… Hurra ! les mortsvont vite. A-t-elle peur des morts ? – Non… Mais laisse lesmorts en paix !

Qu’est-ce donc là-bas que ce bruit et ceschants ? Où volent ces nuées de corbeaux ? écoute… C’estle bruit d’une cloche ; ce sont les chants desfunérailles : « Nous avons un mort à ensevelir. » Etle convoi s’approche accompagné de chants qui semblent les rauquesaccents des hôtes des marécages.

– Après minuit vous ensevelirez ce corpsavec tout votre concert de plaintes et de chants sinistres :moi, je conduis mon épousée, et je vous invite au banquet de mesnoces. Viens, chantre, avance avec le chœur, et nous entonnel’hymne du mariage. Viens, prêtre, tu nous béniras.

Plaintes et chants, tout a cessé… la bière adisparu… Sensible à son invitation, voilà le convoi qui les suit…Hurra ! hurra ! il serre le cheval de près, et puis enavant ! Hop ! hop ! hop ! Ainsi retentit legalop… Cheval et cavalier respiraient à peine, et sous leurs pasles cailloux étincelaient.

Oh ! comme à droite, à gauches’envolaient à leur passage les prés, les bois et les campagnes. Etcomme à gauche, à droite, s’envolaient les villages, les bourgs etles villes. – A-t-elle peur, ma mie ? La lune brille…Hurra ! les morts vont vite… A-t-elle peur des morts ? –Ah ! laisse donc les morts en paix.

– Tiens ! tiens ! vois-tus’agiter, auprès de ces potences, des fantômes aériens, que la luneargente et rend visibles ? Ils dansent autour de la roue.Çà ! coquins, approchez ; qu’on me suive et qu’on dansele bal des noces… Nous allons au banquet joyeux. »

Husch ! husch ! husch ! toutela bande s’élance après eux, avec le bruit du vent parmi lesfeuilles desséchées : et puis en avant ! Hop !hop ! hop ! ainsi retentit le galop. Cheval et cavalierrespiraient à peine, et sous leurs pas les caillouxétincelaient.

Oh ! comme s’envolait, comme s’envolaitau loin tout ce que la lune éclairait autour d’eux !… Comme leciel et les étoiles fuyaient au-dessus de leurs têtes ! –A-t-elle peur, ma mie ? La lune brille… Hurra ! les mortsvont vite… – Oh mon Dieu ! laisse en paix les morts.

– Courage, mon cheval noir. Je crois quele coq chante : le sablier bientôt sera tout écoulé… Je sensl’air du matin… Mon cheval, hâte-toi… Finie, finie est notrecourse ! J’aperçois notre demeure… Les morts vont vite.… Nousvoici !

Il s’élance à bride abattue contre une grilleen fer, la frappe légèrement d’un coup de cravache… Les verroux sebrisent, les deux battants se retirent en gémissant. L’élan ducheval l’emporte parmi des tombes qui, à l’éclat de la lune,apparaissent de tous côtés.

Ah ! voyez !… au même instants’opère un effrayant prodige : hou ! hou ! lemanteau du cavalier tombe pièce à pièce comme de l’amadoubrûlée ; sa tête n’est plus qu’une tête de mort décharnée, etson corps devient un squelette qui tient une faux et unsablier.

Le cheval noir se cabre furieux, vomit desétincelles, et soudain… hui ! s’abîme et disparaît dans lesprofondeurs de la terre : des hurlements, des hurlementsdescendent des espaces de l’air, des gémissements s’élèvent destombes souterraines… Et le cœur de Lénore palpitait de la vie à lamort.

Et les esprits, à la clarté de la lune, seformèrent en rond autour d’elle, et dansèrent chantant ainsi :« Patience ! patience ! quand la peine brise toncœur, ne blasphème jamais le Dieu du ciel ! Voici ton corpsdélivré… que Dieu fasse grâce à ton âme ! »

LÉNOREPoèmes d’Outre-Rhin : poésiesallemandes (1840), suivies des Poésies de Henri Heine (1848) etd’autres traductions.http://www.biblisem.net/narratio/burgleno.htm

Traduction en vers par Gérard de Nerval

 

Lénore au point du jour se lève,

L’œil en pleur, le cœur oppressé ;

Elle a vu passer dans un rêve,

Pâle et mourant, son fiancé !

Wilhelm était parti naguère

Pour Prague, où le roi Frédéric

Soutenait une rude guerre,

Si l’on en croit le bruit public.

 

Enfin, ce prince et la tsarine,

Las de batailler sans succès,

Ont calmé leur humeur chagrine

Et depuis peu conclu la paix ;

Et cling ! et clang ! les deuxarmées,

Au bruit des instruments guerriers,

Mais joyeuses et désarmées,

Rentrent gaîment dans leurs foyers.

 

Ah ! partout, partout quellejoie !

Jeunes et vieux, filles, garçons,

La foule court et se déploie

Sur les chemins et sur les ponts.

Quel moment d’espoir pour l’amante,

Et pour l’épouse quel beau jour !

Seule, hélas ! Lénore tremblante

Attend le baiser du retour.

 

Elle s’informe, crie, appelle,

Parcourt en vain les rangs pressés.

De son amant point de nouvelle…

Et tous les soldats sont passés !

Mais sur la route solitaire,

Lénore en proie au désespoir

Tombe échevelée… et sa mère

L’y retrouva quand vint le soir.

 

– Ah ! le Seigneur nous fassegrâce !

Qu’as-tu ? qu’as-tu, ma pauvreenfant ?…

Elle la relève, l’embrasse,

Contre son cœur la réchauffant ;

Que le monde et que tout périsse,

Ma mère ! Il est mort ! il estmort !

Il n’est plus au ciel de justice

Mais je veux partager son sort.

 

– Mon Dieu ! mon Dieu ! quelledémence !

Enfant, rétracte un tel souhait ;

Du ciel implore la clémence,

Le bon Dieu fait bien ce qu’il fait.

– Vain espoir ! ma mère ! mamère !

Dieu n’entend rien, le ciel est loin…

À quoi servira ma prière,

Si Wilhelm n’en a plus besoin ?

 

– Qui connaît le père, d’avance

Sait qu’il aidera son enfant :

Va, Dieu guérira ta souffrance

Avec le très-saint sacrement !

– Ma mère ! pour calmer mapeine,

Nul remède n’est assez fort,

Nul sacrement, j’en suis certaine,

Ne peut rendre à la vie un mort !

 

– Ces mots à ma fille chérie

Par la douleur sont arrachés…

Mon Dieu, ne va pas, je t’en prie,

Les lui compter pour des péchés !

Enfant, ta peine est passagère,

Mais songe au bonheur éternel ;

Tu perds un fiancé sur terre,

Il te reste un époux au ciel.

 

– Qu’est-ce que le bonheur céleste

Ma mère ? qu’est-ce quel’enfer ?

Avec lui le bonheur céleste,

Et sans lui, sans Wilhelm, l’enfer ;

Que ton éclat s’évanouisse,

Flambeau de la vie, éteins-toi !

Le jour me serait un supplice,

Puisqu’il n’est plus d’espoir pourmoi !

 

Ainsi, dans son cœur, dans son âme,

Se ruait un chagrin mortel :

Longtemps encore elle se pâme,

Se tord les mains, maudit le ciel,

Jusqu’à l’heure où de sombres voiles

Le soleil obscurcit ses feux,

À l’heure où les blanches étoiles

Glissent en paix sur l’arc des cieux.

 

Tout à coup, trap ! trap !trap ! Lénore

Reconnaît le pas d’un coursier,

Bientôt une armure sonore

En grinçant monte l’escalier…

Et puis, écoutez ! la sonnette,

Klinglingling ! tinte doucement…

Par la porte de la chambrette

Ces mots pénètrent sourdement :

 

– Holà ! holà ! c’est moi,Lénore !

Veilles-tu, petite, ou dors-tu ?

Me gardes-tu ton cœur encore,

Es-tu joyeuse ou pleures-tu ?

– Ah ! Wilhelm, Wilhelm, à cetteheure !

Ton retard m’a fait bien du mal,

Je t’attends, je veille, et je pleure…

Mais d’où viens-tu sur ton cheval ?

 

– Je viens du fond de la Bohême,

Je ne suis parti qu’à minuit,

Et je veux si Lénore m’aime

Qu’elle m’y suive cette nuit.

– Entre ici d’abord, ma chère âme,

J’entends le vent siffler dehors,

Dans mes bras, sur mon sein de flamme,

Viens que je réchauffe ton corps.

 

– Laisse le vent siffler, ma chère,

Qu’importe à moi le mauvais temps,

Mon cheval noir gratte la terre,

Je ne puis rester plus longtemps :

Allons ! chausse tes pieds agiles,

Saute en croupe sur mon cheval,

Nous avons à faire cent milles

Pour gagner le lit nuptial.

 

– Quoi ! cent milles à faireencore

Avant la fin de cette nuit ?

Wilhelm, la cloche vibre encore

Du douzième coup de minuit…

– Vois la lune briller, petite,

La lune éclairera nos pas ;

Nous et les morts, nous allons vite,

Et bientôt nous serons là-bas.

 

Mais où sont et comment sont faites

Ta demeure et ta couche ? –Loin :

Le lit est fait de deux planchettes

Et de six planches… dans un coin

Étroit, silencieux, humide.

– Y tiendrons-nous bien ? – Oui,tous deux ;

Mais viens, que le cheval rapide

Nous emporte au festin joyeux !

 

Lénore se chausse et prend place

Sur la croupe du noir coursier,

De ses mains de lis elle embrasse

Le corps svelte du cavalier…

Hop ! hop ! hop ! ainsi dans laplaine

Toujours le galop redoublait ;

Les amants respiraient à peine,

Et sous eux le chemin brûlait.

 

Comme ils voyaient, devant, derrière,

À droite, à gauche, s’envoler

Steppes, forêts, champs de bruyère,

Et les cailloux étinceler !

– Hourrah ! hourrah ! la luneest claire,

Les morts vont vite par le frais,

En as-tu peur, des morts, ma chère ?

– Non !… Mais laisse les morts enpaix !

 

– Pourquoi ce bruit, ces chants, cesplaintes,

Ces prêtres ?… – C’est le chant desmorts,

Le convoi, les prières saintes ;

Et nous portons en terre un corps. –

Tout se rapproche : enfin la bière

Se montre à l’éclat des flambeaux…

Et les prêtres chantaient derrière

Avec une voix de corbeaux.

 

– Votre tâche n’est pas pressée,

Vous finirez demain matin ;

Moi j’emmène ma fiancée,

Et je vous invite au festin :

Viens, chantre, que du mariage

L’hymne joyeux nous soit chanté ;

Prêtre, il faut au bout du voyage

Nous unir pour l’éternité ! –

 

Ils obéissent en silence

Au mystérieux cavalier :

– Hourrah ! – Tout le convois’élance,

Sur les pas ardents du coursier…

Hop ! hop ! hop ! ainsi dans laplaine

Toujours le galop redoublait ;

Les amants respiraient à peine,

Et sous eux le chemin brûlait.

 

Ô comme champs, forêts, herbages,

Devant et derrière filaient !

Ô comme villes et villages

À droite, à gauche, s’envolaient ! –

Hourrah ! hourrah ! les morts vontvite,

La lune brille sur leurs pas…

En as-tu peur, des morts, petite ?

– Ah ! Wilhelm, ne m’en parlepas !

 

Tiens, tiens ! aperçois-tu laroue ?

Comme on y court de tous côtés !

Sur l’échafaud on danse, on joue,

Vois-tu ces spectres argentés ? –

Ici, compagnons, je vous prie,

Suivez les pas de mon cheval ;

Bientôt, bientôt je me marie,

Et vous danserez à mon bal.

 

– Houch ! houch ! houch !les spectres en foule

À ces mots se sont rapprochés

Avec le bruit du vent qui roule

Dans les feuillages desséchés :

Hop ! hop ! hop ! ainsi dans laplaine

Toujours le galop redoublait ;

Les amants respiraient à peine,

Et sous eux le chemin brûlait.

 

– Mon cheval ! Mon noir !… Lecoq chante,

Mon noir ! Nous arrivons enfin,

Et déjà ma poitrine ardente

Hume le vent frais du matin…

Au but ! au but ! Mon cœurpalpite,

Le lit nuptial est ici ;

Au but ! au but ! Les morts vontvite,

Les morts vont vite. Nous voici ! –

 

Une grille en fer les arrête :

Le cavalier frappe trois coups

Avec sa légère baguette. –

Les serrures et les verrous

Craquent… Les deux battants gémissent,

Se retirent. – Ils sont entrés ;

Des tombeaux autour d’eux surgissent

Par la lune blanche éclairés.

 

Le cavalier près d’une tombe

S’arrête en ce lieu désolé : –

Pièce à pièce son manteau tombe

Comme de l’amadou brûlé…

Hou ! hou !… Voici sa chairencore

Qui s’envole, avec ses cheveux,

Et de tout ce qu’aimait Lénore

Ne laisse qu’un squelette affreux.

 

Le cheval disparaît en cendre

Avec de longs hennissements…

Du ciel en feu semblent descendre

Des hurlements ! deshurlements !

Lénore entend des cris de plainte

Percer la terre sous ses pas…

Et son cœur, glacé par la crainte,

Flotte de la vie au trépas.

 

C’est le bal des morts qui commence,

La lune brille… les voici !

Ils se forment en ronde immense,

Puis ils dansent, chantant ceci :

– Dans sa douleur la plus profonde,

Malheur à qui blasphémera !… –

Ce corps vient de mourir au monde…

Dieu sait où l’âme s’en ira !

LENOREAnthologie allemande : [extraite ducours de thèmes et de versions. Supplément] / J. T. Herrmann ;[trad. de l’allemand par Gottlieb Trenenthal]http://gallica.bnf.fr/document?O=N069328

Traduit par Gottlieb Trenenthal

 

Lenore, agitée par de pénibles songes,s’éveilla en sursaut au lever de l’aurore : Es-tu infidèle,Wilhelm, ou es-tu mort ? Combien de temps encoretarderas-tu ? – Il était parti dans l’armée du roi Frédéric,pour combattre à Prague, et n’avait point écrit s’il était dunombre des survivants.

Le roi et l’impératrice, fatigués de leurslongues querelles, revinrent à des sentiments plus doux, etconclurent enfin la paix ; les troupes, entonnant des chantsjoyeux, accompagnés de la trompette sonore, retournèrent dans leursfoyers, parées de verts rameaux.

De toutes parts, sur tous les chemins, jeuneset vieux se portèrent à la rencontre des joyeux arrivants. Dieusoit loué ! s’écriaient l’épouse et l’enfant. Sois le bienvenu, disait mainte fiancée dans son ivresse. Mais, hélas !pour Lenore, pas de bon accueil, pas de baiser.

Elle courut de la tête à la queue duconvoi ; elle s’informa de tous les noms ; mais de tousles arrivants pas un qui lui donnât des nouvelles. Quand la troupefut passée, elle s’arracha les cheveux, et se jeta par terre avectous les gestes du désespoir.

Sa mère courut à elle : Ah ! mon bonDieu ! qu’as-tu, ma chère enfant ? Et elle la pressa dansses bras. Ô ma mère, ma mère, c’en est fait, périssent le monde etl’univers ! Dieu est sans pitié ; malheur à moi,infortunée !

– Viens à notre secours, mon Dieu !jette sur nous un regard de bonté ! mon enfant ; dis unpater. Ce que Dieu fait est bien fait ; Dieu a pitiéde nous ; – erreur, ma mère, erreur ! Dieu m’a traitéesans pitié. Que m’a servi de prier. Il n’en est plus besoindésormais.

– Viens à notre secours, mon Dieu !Qui connaît ce bon père, sait qu’il protège ses enfants. Le divinsacrement apaisera la douleur : – Ô ma mère, ma mère ladouleur qui me consume ne saurait être apaisée par un sacrement. Iln’en est pas qui rende la vie aux morts.

– Écoute, mon enfant : sil’infidèle, dans la Hongrie lointaine, avait renoncé à sa croyancepour contracter de nouveaux liens ? Laisse, mon enfant, laisseson cœur ; il n’en saurait profiter. À la séparation du corpset de l’ame, son parjure fera son supplice.

– Ô ma mère, ma mère, c’en estfait ! mon malheur est sans ressource. La mort, la mort est maseule espérance. Oh ! pourquoi suis-je née ? Flambeau dema vie, meurs pour jamais ; évanouis-toi dans la sombre nuit.Dieu est sans pitié ; malheur à moi, infortunée !

– Viens à notre secours, mon Dieu !Ne juge pas ta pauvre enfant ! Elle ne sait ce qu’elle dit. Nelui tiens pas compte de son péché. Ah ! mon enfant, oublie tesmaux d’ici-bas ; pense à Dieu et à l’éternelle félicité !Ainsi ton ame ne cherchera pas en vain son fiancé.

– Ô ma mère ! Qu’est-ce que lafélicité ? Qu’est-ce que l’enfer ? C’est près de luiqu’est la félicité, et sans Wilhelm c’est l’enfer. Flambeau de mavie, meurs pour jamais ; évanouis-toi dans la sombre nuit.Sans lui, je ne saurais être heureuse ni dans ce monde ni dansl’autre.

Ainsi le désespoir agitait son esprit et soncorps. Elle continua d’accuser témérairement la divine providence,se frappa le sein, se tordit les mains, jusqu’au coucher du soleil,jusqu’à l’apparition des astres étincelants sur la voûte duciel.

Écoutez ! C’est le bruit des pas d’uncheval, un cavalier descend au bas des degrés qu’il fait retentir.Écoutez, écoutez ! la sonnette, très légèrement agitée, sefait entendre ; puis viennent ces mots : Holà !holà, ouvre, mon enfant ! Dors-tu, ma chère, ouveilles-tu ? Quels sont tes sentiments à mon égard ?Es-tu triste ou joyeuse ? – Ah ! Wilhelm, c’esttoi ? Si tard la nuit ? J’ai pleuré et veillé. Ah !J’ai eu bien à souffrir ! D’où viens-tu ?

– Nous ne sellons qu’à minuit. J’arrivede la Bohème. Je me suis mis tard en route, et vais te prendre avecmoi. – Ah ! Wilhelm, entre vite ; le vent siffle dans lesbuissons ; viens, mon bien-aimé, viens te réchauffer dans mesbras.

– Laisse, mon enfant, laisse le ventsiffler dans la bruyère ! mon coursier trépigne ;l’éperon veut piquer, je ne puis séjourner ici. Viens, élance-toisur mon coursier, et prends place derrière moi ! j’ai encorecent milles à faire aujourd’hui pour te mener au lit nuptial.

– Quoi ? cent milles encore pour memener au lit nuptial ? Écoute ! La cloche frémit encore,elle vient de sonner onze heures. – Vois, la lune estbrillante ; nous et les morts nous allons vite ; je temène, je le gage, aujourd’hui même au lit nuptial.

– Dis-moi, où est ta chambre ? Oùest ton lit nuptial ? Comment est-il ? – Loind’ici ! Paisible, fraîche et petite ; six planches etdeux planchettes. – Y a-t-il place pour moi ? – Pour toi etpour moi. Viens, saute, élance-toi. Les convives de la nocet’attendent ; la chambre est ouverte pour nous recevoir.

La douce amie relève sa robe, et d’un sauts’élance sur le coursier, ses blanches mains étreignent son fidèlecavalier ; le cheval part au galop ; cheval et cavaliersont haletants, les cailloux étincellent et volent çà et là.

À droite, à gauche, comme les champs, commeles bruyères passent devant leurs regards ! comme les pontsretentissent ! – As-tu peur, mon amie ? La lune estbrillante, hurrah ! les morts vont vite ! As-tu peuraussi des morts, mon amie ? – Oh ! non ; mais laisselà les morts.

– Quel est ce chant ? Quels sont cesaccents plaintifs ? Pourquoi ces corbeaux qui voltigent ?Écoutez le son de ces cloches ! Écoutez ce chantfunèbre : « ensevelissons le cadavre ». Un convois’avance, portant un cercueil. Le chant funèbre ressemblait aucroassement des grenouilles dans un étang.

« Enterrez votre cadavre après minuit,aux accents de l’hymne funèbre ! En ce moment je conduis majeune compagne au lit nuptial ! Viens ici, sacristain !Viens avec les chantres et entonne-moi l’hymne nuptial !Viens, prêtre, viens nous bénir, avant que nous nous mettions aulit. »

Le chant funèbre cesse. Le cercueil disparaît.Docile à son invitation, le convoi se précipite sur les pas ducheval, qui poursuit sa route au galop ; cheval et cavaliersont haletants, les cailloux étincellent et volent ça et là.

À droite, à gauche, disparaissent montagnes,arbres, buissons : à droite, à gauche, disparaissent lesvillages, les villes, les bourgades. – As-tu peur, mon amie ?La lune est brillante ; hurrah ! les morts vont vite.As-tu peur aussi des morts, mon amie ? – Ah ! laisse-lesen repos, les morts.

Voyez, voyez, à la pâle lueur de la lune,cette troupe de bandits suspendus à la potence danser autour de laroue. « Allons, canaille, viens ici ! viens,suis-moi ! Danse-nous le branle des noces, pendant que nousentrerons au lit nuptial. »

Et la canaille de se précipiter derrière euxavec le fracas d’un tourbillon qui dans une coudraie froisse desfeuilles desséchées. Et la troupe de poursuivre sa route au galop.Cavalier et coursier sont haletants ; les cailloux étincellentet volent çà et là.

Comme disparaissait en s’éloignant la vue desobjets que la lune éclairait autour d’eux ! Comme passaientsur leur tête le ciel et les étoiles ! – As-tu peur, monamie ? La lune est brillante. Hourrah ! Les morts vontvite. As-tu peur aussi des morts, mon amie ? – Ô mon Dieu,laisse en repos les morts.

– Il me semble que le coq chante déjà.Bientôt le sable sera écoulé. Je sens l’air du matin. Allons, moncoursier, abîme-toi ; notre course est achevée. Le lit nuptials’ouvre. Les morts vont vite. Nous voici arrivés.

Ils accourent à bride abattue devant unegrille de fer. Un coup d’une légère baguette fait voler en éclatsserrure et verroux. Les battants s’ouvrent avec fracas, et ilspassent sur des tombeaux. La lune faisait briller tout à l’entourdes pierres funéraires.

Voyez, ah ! voyez ! En un moment,mon Dieu ! quelle terrible merveille ! La gorgerette ducavalier se détache et tombe en morceaux comme de l’amadoubrûlée.

Sa tête n’est plus qu’un crâne dépouillé, etson corps un squelette avec une faux et un sablier.

Le cheval se cabre, hennit, jette desétincelles, puis s’abîme sous elle et disparaît. L’air gémit, et lesein de la terre y répond par de sinistres lamentations. Le cœur deLenore frémit et lutte entre la vie et la mort. Alors à la clartéde la lune les esprits forment une ronde, et leur danses’accompagne de ce refrain : »Patience, patience, dût toncœur se briser ! Ne dispute pas avec le Dieu qui est auciel ! Tu es débarrassée de ton corps ; que Dieu aitpitié de ton ame. »

LÉNORELénore : ballade de Bürger / trad.de l’allemand [par Paul Lehr]http://gallica.bnf.fr/document?O=N109097

Traduit par Paul Lehr

 

D’un songe affreux Lénore poursuivie

Au point du jour se réveilla soudain.

« Mon cher Wilhelm ; as-tu perdu lavie ?

Es-tu parjure, ou te verrai-jeenfin ? »

Sous Frédéric il partit pourl’armée,

Et combattit à Prague en bonhussard ;

Mais depuis lors sa jeune bien-aimée

Ne reçut plus de lettres de sa part.

 

L’Impératrice et son noble adversaire,

Moins obstinés dans leurs vastes projets,

Et fatigués des fureurs de la guerre,

Quoique rivaux, avaient signé la paix.

Leurs bataillons, à la riante allure,

Musique en tête avec refrains joyeux,

Parés de fleurs, couronnés de verdure,

Drapeaux flottans, s’en retournaient chezeux.

 

Le peuple accourt partout sur leurpassage ;

Des cris de joie accueillent lessoldats ;

Jeunes et vieux exaltent leurcourage ;

Mères et fils, tous leur tendent les bras.

Plus d’une sœur, mainte et mainte fiancée

Criaient : « Amis ! soyez lesbienvenus ! »…

Lénore, hélas ! muette et délaissée,

Se trouva seule au milieu d’inconnus.

 

Allant, venant, parlant à chaque bande,

De tous les noms elle allas’enquérir ;

Chefs et soldats écoutaient sademande :

Mais nul ne put répondre à son désir.

Bientôt passa le dernier corps d’armée,

Et vint ravir tout espoir à son cœur.

Lénore, à terre et presque inanimée,

N’exhale plus que des cris de douleur.

 

La mère accourt et vers elles’élance :

« Que vois-je ? ô Dieu !qu’as-tu, ma chère enfant ?

Viens dans mes bras, parle avec confiance,

Dis-moi ton mal ; je t’écoute entremblant. » –

« Oh ! c’en est fait ; tout estperdu, ma mère !

Tout est perdu ! hélas ! Wilhelm estmort !

Il n’est plus rien qui m’attache à laterre ;

Dieu, sans pitié, m’abandonne à monsort ! » –

 

« Aide, Seigneur ! au moment dunaufrage

Les affligés n’ont que toi pour soutien.

Dis un Pater, enfant, celasoulage ;

Ce que Dieu fait, il le fait toujoursbien. » –

« Que votre foi, ma mère, estpuérile !

De mon bonheur Dieu n’a pris aucunsoin ;

Il a jugé ma prière inutile,

Et désormais il n’en est plus besoin. »–

 

« Aide, Seigneur ! qui te connaît,mon Père,

Sait qu’en tous lieux ton secours estcertain.

Ma chère enfant, pour calmer ta misère,

Approche-toi, du Sacrement divin. » –

« Ma mère ! il n’est, pour éteindrema flamme,

Ni Sacrement, ni remède ici-bas ;

Nul Sacrement ne peut rappeler l’ame

D’un bien-aimé, victime dutrépas ! » –

 

« Écoute, enfant ! ne pourrait-il sefaire

Que le perfide ait abjuré sa foi.

Pour épouser une femme étrangère,

Et qu’en Bohème il vive sous saloi ?…

Eh ! laisse aller le cœur de ceparjure ;

Il paira cher tant de déloyauté !

Au jour fatal, Dieu, vengeur de l’injure,

Saura punir son infidélité. » –

 

« Oh ! c’en est fait ! Wilhelmest mort, ma mère !

Il est perdu, oui, perdu sansretour :

Il n’est pour moi plus de bonheur surterre !

Pourquoi faut-il qu’on m’ait donné lejour ?

Mort ! frappe-moi. brise monexistence,

Et qu’à jamais mon nom soit oublié !

Jouis, ô Dieu ! jouis de masouffrance,

Puisque pour moi tu n’as pas depitié ! » –

 

« Aide, Seigneur ! oh ! puisseta justice

Ne pas juger ton enfant aujourd’hui !

De ses transports son cœur n’est pascomplice ;

Elle blasphème ; ô Dieu !pardonne-lui !…

Ma chère enfant ! oublie enfin tapeine,

Songe au salut, mets en Dieu tonbonheur ;

Qu’un saint amour vers l’Éternell’entraîne ;

L’époux céleste a seul droit à toncœur. » –

 

« Ah ! dites-moi, ma mère, je vousprie,

Qu’est le salut ? qu’est l’enfer et sesfeux ?

Près de Wilhelm je bénirais la vie,

Et loin de lui le jour m’est odieux.

Oh ! c’en est fait… Mort, néant quej’appelle.

Venez, venez ! je vous vois sanseffroi ;

Je ne veux pas de la vie éternelle,

Si mon Wilhelm sur terre est loin demoi. »

 

Rien ne calmait son désespoirextrême ;

Elle accusait avec témérité

La Providence et sa bonté suprême,

Lui reprochait un sort non mérité.

La pauvre enfant, défaite, échevelée,

Frappait son sein, versait des pleursamers.

Jusqu’au moment où la nuit étoilée

Vint de ses feux couronner l’univers.

 

Chut !… on entend arriver endroiture,

À pas pressés, un coursier au grandtrot ;

Un cavalier, à la bruyante armure,

Vient à la rampe et descend aussitôt.

Vers le cordon alors sa main seporte ;

L’oreille au guet, il sonne doucement

À petits coups ;… puis, à travers laporte.

Il fit voler ces mots distinctement :

 

« Lénore, viens ! viens, ouvre-moi,ma chère !

Dors-tu, ma belle ? ou n’as-tu pudormir ?

Ai-je toujours le bonheur de teplaire ?

Je viens te voir !… hâte-toi dem’ouvrir ! », –

« Oh ! cher Wilhelm ! sepeut-il ? est-ce un rêve ?

Est-ce bien toi ?… J’ai veillé, j’aipleuré,

J’ai bien souffert !… mais je t’écoute,achève !

D’où viens-tu donc ?… j’avaisdésespéré ! » –

 

« Minuit sonnant nous nous mîmes enroute,

Il m’a fallu bravement chevaucher !

Je viens de loin, de la Bohème :…écoute.

Il faut me suivre, et je viens techercher » –

« Ah, cher Wilhelm ! entre dans machambrette :

J’entends siffler les vents dans levallon ;

Viens te chauffer, ami ! je suisseulette :

Viens dans mes bras délierl’aquilon ! » –

 

« Laisse siffler au loin le ventd’automne ;

Mon cheval noir gratte le sol poudreux.

Et l’on entend l’éperon quirésonne !…

Je ne saurais m’arrêter en ces lieux.

Viens, couvre-toi, prends ton élan, machère !

Assise en croupe, il fait bon à cheval.

J’aurai ce jour bien cent milles à faire,

Pour t’amener dans le lit nuptial. »–

 

« Quoi ! tu voudrais me porter toutà l’heure

Dans notre couche en pays silointain ?

Déjà la cloche annonce l’onzièmeheure ;

N’entends-tu pas encor vibrerl’airain ? » –

« Lénore, vois ! la lune nouséclaire ;

Nous et les morts nous voyageons bontrain.

Je veux gager d’être avec toi, machère !

Au gite avant l’étoile du matin.

 

« Dis-moi, Wilhelm, où voit-on tachambrette ? » –

« Bien loin d’ici ! » –« Comment est fait le lit ? » –

« Six ais cloués forment notrecouchette,

En un lieu frais, paisible, assezpetit… » –

« Puis-je y loger ? » –« Oh ! deux y trouvent place ;

Viens, couvre-toi, prends ton élan,voyons !

Des conviés la foule attend, selasse ;

La chambre est prête, amie, allons,partons ! »

 

À peine il dit, que Lénore s’avance ;

Un doux penser l’agite en ce moment ;

Sur le coursier, légère, elles’élance ;

Ses bras de lis étreignent son amant.

Au grand galop, volant à perdre haleine,

Le feu jaillit et brille sous leurspas ;

Comme le vent le coursier les entraine,

Et du gravier lance au loin les éclats…

 

À leurs regards, dans ce fougueux voyage,

Tout semblait fuir, prés, champs, vastesforêts ;

Les ponts foulés accusaient leurpassage :

Pour eux les monts abaissaient leurssommets.

« M’amie a peur ? Eh ! vois, lalune donne :

Hourrah ! les morts ne s’arrêtentjamais.

Allons, courons !… crains-tu les morts,ma bonne ? » –

« Non, mon ami, mais laisse-les enpaix ! »

 

Quel bruit là-bas, au milieu desténèbres ?

Pourquoi voit-on ces corbeauxaccourir ?

La cloche tinte !… entends ces chantsfunèbres !

« Portons le corps, il fautl’ensevelir ! »

Alors on vit un lugubre cortège,

Cercueil en tête, orné de noirscyprès ;

Les chants pouvaient bien ressembler, quesais-je ?

Aux. cris plaintifs sortant de nos marais…

 

Vous porterez plus tard le corps en terre,

À son de cloche, avec chantsépulcral :

Moi, de ce pas, je conduis ma bergère,

Ma jeune épouse, au festin nuptial…

Viens, sacristain ! entonner lesfiançailles ;

Amène aussi les chantres, le serpent…

Viens, prêtre ! viens bénir nosépousailles ;

La couche est prête et l’hymen nousattend. »

 

À cet appel du cavalier fantasque,

L’airain funèbre et les chants… tout setait :

Comme enlevé par un coup de bourrasque,

Cercueil, cortège, enfin tout disparaît…

Le coursier noir au galop les entraîne.

Et siffle au loin, tel qu’un légerroseau ;

En bondissant il vole à perdrehaleine ;

Le sol frémît sous son double fardeau.

 

Comme à leurs yeux tous les objetss’enfuirent ;

Sur l’horizon les hameaux, les cités,

Les monts, les bois, soudains’évanouirent,

Et leur semblaient par les vents emportés.

« M’amie a peur ?… Eh ! vois,la lune donne ;

Hourrah ! les morts ne s’arrêtentjamais ;

Allons, courons ! Crains-tu les morts, mabonne ? » –

« Ah ! laisse-les !… laisse lesmorts en paix ! »

 

Vois-tu, vois-tu l’étrangephénomène ?

Au clair de lune, on aperçoit là-bas

Sous le gibet la gent aérienne,

Qui danse en rond et qui prend ses ébats.

« Ah ! ça, venez et suivez-nous,canailles !

Je veux vous voir décorer notre bal ;

Vous ouvrirez la danse à nos fiançailles,

Et nous suivrez jusqu’au litnuptial ! »

 

Il dit La bande accourt, les environne

À flots bruyans, comme la feuille aubois ;

Qui dans les airs s’amasse ettourbillonne.

Quand l’aquilon élève au loin sa voix.

Au grand galop, volant à perdre haleine,

Rien ne s’oppose à leur trajetfougueux ;

Impatient le coursier les entraine,

Et de ses fers jaillissent mille feux.

 

Dans leur essor, à peine touchantterre ;

Ils voyaient fuir et disparaître aux yeux,

Tous les objets qu’au loin la luneéclaire,

Et les flambeaux sur la voûte des cieux.

« M’amie a peur ?… Eh ! vois,la lune donne ;

Hourrah ! les morts ne s’arrêtentjamais ;

Allons, courons !… Crains-tu les morts,ma bonne ? » –

« De grâce, ami, laisse les morts enpaix ! » –

 

« Ardent coursier ! le coq se faitentendre ;

Je sens déjà la fraîcheur du matin ;

Courage, allons ! ne te fais pasattendre ;

Le sablier va tirer à sa fin…

Nous voici donc au terme du voyage !

Toujours les morts vont d’un train sanségal ;

Il est fini, notre pèlerinage ;

Je vois s’ouvrir notre litnuptial ! »

 

Disant ces mots, il vole à toute bride

Vers un portail à deux vastesbattans ;

De sa houssine il frappe un coup rapide.

Et fait tomber les verrouximpuissans :

Avec fracas les doubles portess’ouvrent ;

Il entre alors dans ce funèbre enclos.

Au clair de lune, autour d’eux sedécouvrent

Les monumens de l’éternel repos.

 

Ô ciel ! voilà, tout comme un coup defoudre,

Qu’il s accomplit un prodigeeffrayant :

Du cavalier l’armure tombe en poudre,

Son crâne est vide et son cœurflamboyant ;

Un blanc squelette, à face épouvantable,

Tient d’une main le sablier fatal ;

De l’autre armé de sa fauxredoutable ;

Il grince encor des dents sur son cheval.

 

Le coursier noir en frémissant sedresse ;

De ses naseaux un jet de feujaillit ;

La terre tremble et sous ses pieds saffaisse :

Un gouffre affreux tout à coupl’engloutit…

Des hurlemens descendent de la nue ;

Des cris plaintifs s’élèvent du tombeau.

Lénore lutte, et par la mort vaincue,

Voit de ses jours s’éteindre le flambeau.

 

Mille démons, aux clartés de lalune ;

Vinrent danser une ronde en ces lieux,

Et tous hurlaient ; pleins d’une ardeurcommune,

Cette morale en refrains pouradieux :

« Quand la douleur empoisonne ta vie.

Résigne-toi, n’accuse pas le Ciel !

Que l’ame enfin de ton corps affranchie

Obtienne grâce aux pieds del’Éternel ! »

LÉNORELeçons de littérature allemande :morceaux choisis des poètes et des prosateurs classés par genres ;[ouvrage précédé d’un] coup d’oeil sur la littérature allemandedepuis Luther jusqu’à nos jours / par M. Jules Le Fèvre-Deumierhttp://gallica.bnf.fr/document?O=N029633

Traducteur anonyme

 

Lénore, aux premiers feux du matin, s’éveilled’un songe douloureux, et se lève. Es-tu infidèle, Wilhelm, oumort ? Combien de temps tarderas-tu ? – Il était, avecl’armée du roi Frédéric, allé à la bataille de Prague ; et iln’avait point écrit s’il avait été blessé.

Le Roi et l’Impératrice, fatigués d’une longuequerelle, ont adouci leurs ressentiments, et ont fait enfin lapaix. Au bruit des chants, au bruit des cymbales et desinstruments, chaque armée, couronnée de vert feuillage, regagnaitsa patrie et ses foyers.

Partout, généralement partout, sur leschemins, sur les coteaux, jeunes et vieux, mêlant leurs hymnes dejoie, couraient au-devant des arrivants. Dieu soit loué !criaient les enfants et les épouses. Qu’ils soient lesbienvenus ! disait mainte fiancée joyeuse. Mais, hélas !pour Lénore, le salut et le baiser du retour étaient perdus.

Elle interroge le cortège d’un bout à l’autrebout, et elle s’informe de tous les noms. Mais il n’en est aucun detous ceux qui arrivent qui puisse lui donner des nouvelles. Quandtoute l’armée fut passée, elle arracha ses cheveux noirs, et sejeta sur la terre, avec la rage du désespoir.

Sa mère courut à elle. – Hélas ! que Dieuait pitié de nous ! Toi, mon cher enfant, que t’est-ilarrivé ? Et elle serrait sa fille dans ses bras. – Ô ma mère,ma mère ! Mort ! Il est mort ! Maintenant, adieu lemonde, adieu tout ! Dieu n’a aucune pitié. Ô malheur, malheurà moi, malheureuse !

– Secourez-nous, ô Dieu,secourez-nous ! Soyez-nous indulgent. Mon enfant, dis unPater noster ; ce que Dieu fait est bien fait. ÔDieu, mon Dieu, ayez pitié de nous ! – Ô ma mère, mamère ! Vaines paroles ! Si Dieu fait bien, ce n’est paspour moi. Que sert, que servirait ma prière ? Maintenant jen’ai plus besoin de rien.

– Secourez-nous, ô Dieu,secourez-nous ! Celui qui sait qu’il est un père, sait qu’ilaide ses enfants ; le Saint-Sacrement adoucira ton chagrin. –Ô ma mère ! Ce qui me brûle, il n’y a pas de sacrement quil’adoucisse ! Il n’y a pas de sacrement qui puisse rendre lavie aux morts.

– Écoute, mon enfant ! Peut-être cethomme faux, dans la lointaine Hongrie, aura oublié sa foi pourquelque nouvel hymen ! Laisse aller, mon enfant, laisse allerson cœur ; il n’en sera pas récompensé ; à l’heure oùl’âme et le corps se séparent, son parjure le dévorera.

– Ô ma mère, ma mère, il est mort !Il est mort, perdu, il est perdu ! Mourir, mourir, voilà monlot. Éteins-toi, ma lumière, éteins-toi pour toujours ! Que jemeure aussi ! Que je meure dans la nuit et l’effroi !Dieu n’a aucune pitié ! Ô malheur, malheur à moi,malheureuse !

– Secourez-nous, ô Dieu,secourez-nous ! N’entrez pas en jugement avec votre pauvreenfant. Elle ne sait pas ce que dit sa langue. Ne prenez pas gardeà ses péchés. Hélas ! mon enfant, oublie ta douleur terrestre,et pense à Dieu, à ton salut ! Ce fiancé-là ne manquera pas àton âme.

– Ô ma mère, qu’est-ce que lesalut ? Ô ma mère, qu’est-ce que l’enfer ? – C’est lui,c’est lui qui est mon salut, et sans Wilhelm tout est enfer.Éteins-toi, ma lumière, éteins-toi pour toujours ! Que jemeure aussi ! Que je meure dans la nuit et l’effroi !Sans lui, je ne puis pas rester sur terre : je ne puis pasêtre heureuse sans lui.

Ainsi le désespoir égare ses esprits etdéchire ses veines ; ainsi elle ose, arrogante, disputer avecla providence de Dieu. Elle meurtrit son sein ; elle se tordles bras, jusqu’au déclin du soleil, jusqu’à l’heure où la voûte duciel se couvre de ses étoiles d’or.

En dehors, écoutez ! Trap, trap,trap : on dirait le galop d’un cheval ; un chevalier endescend, on entend le cliquetis de ses pas prés de la grille.Écoutez ! écoutez ! Il tire la sonnette de la porte toutdoucement. Klin, klin, klin, et à travers la porte arrivedistinctement ces paroles :

Hollo ! hollo ! Ouvre, mon enfant.Dors-tu, ma bien-aimée, ou veilles-tu ? Qu’as-tu pensé demoi ! Pleures-tu, ou souris-tu ? – Hélas, Wilhelm !Toi ! Si tard, dans la nuit ! J’ai pleuré etveillé ! Hélas ! J’ai souffert une grande douleur. D’oùviens-tu donc maintenant à cheval ?

– Nous ne nous mettons en selle qu’àminuit. J’arrive ici du fond de la Bohême, et je veux t’emmeneravec moi. – Hélas ! Wilhelm, dépêche-toi d’abord d’entrer. Levent siffle dans l’aubépine. Viens dans mes bras, mon bien-aimé ducœur, te réchauffer.

– Laisse le vent siffler dans l’aubépine.Laisse-le siffler, enfant ! Le coursier noir bat du pied.L’éperon résonne. Je n’ose demeurer ici. Viens, noue ta robe,descends, et élance-toi sur mon coursier noir, derrière moi. Ilnous faut aujourd’hui courir cent milles, pour aller au litnuptial.

– Hélas ! Comment veux-tu que jepuisse faire aujourd’hui cent milles, pour aller au litnuptial ? Et écoute ! La cloche murmure encore ;elle a déjà sonné onze heures. – Regarde ici, regarde ! Lalune brille pure. Nous, et les morts, nous allons vite. Je teporterai, je le gage, encore aujourd’hui dans le lit de noces.

– Mais dis : où est tachambre ? Où ? Comment est ton lit de noces ? –Loin, bien loin d’ici : tranquille, froid et petit : sixplanches, et deux petites. – Y a t-il place pour moi ? – Pourtoi et pour moi. Viens, noue ta robe, descends, et monte en croupe.Les conviés de la noce nous attendent. Notre chambre estouverte.

Déjà la bien-aimée a noué sa robe. Elle estdescendue, et elle s’est élancée légèrement sur le cheval. Elleenlace autour du chevalier chéri ses mains de lys : et vite,vite : hop, hop, hop, voilà qu’ils partent à grand bruit augalop, tellement que le cheval et le cavalier respiraient à peine,et que les pierres faisaient jaillir sous leurs pas, comme unepoussière d’étincelles.

À droite, à gauche, comme ils fuyaient devantleurs yeux les prés, les plaines, les campagnes ! Les pontsrésonnaient comme la foudre, quand ils passaient. – Ma bien aiméea-t-elle peur ?… La lune brille pure… hurrah ! Les mortsvont vite… ma bien-aimée a-t-elle peur des morts ? –Hélas ! non… mais laisse les morts.

Quels sont ces chants, ces bruits quiretentissent ? Que cherche le vol des corbeaux ? –Écoutez ! c’est la cloche du glas. Écoutez ! c’est lechant des morts : Laissez-nous ensevelir cecorps. Et le convoi funèbre approchait, pourtant le cercueilavec son drap mortuaire. Le chant était semblable au cri du reptiledans les marécages.

Après minuit, vous ensevelirez ce corps aubruit des cloches, des chants, des gémissements ! Maintenantje conduis dans mes foyers ma jeune épouse. Avec nous, avec nous, àla fête ! Viens ici, sacristain ! Viens avec le chœur, etdébite-moi l’office du mariage. Viens, curé, et prononce labénédiction, avant que nous nous mettions au lit.

Les bruits, les chants ont cessé… La bière adisparu. Obéissant à sa voix le cortège les suit. Vite, vite !Il courait le cortège, qu’il touchait presque aux sabots du cheval,et toujours plus rapides, hop, hop, hop, ils continuaient leurbruyant galop, tellement que le cheval et le cavalier respiraient àpeine, et les pierres faisaient jaillir sous leurs pas comme unepoussière d’étincelles.

Comme ils fuyaient à droite, comme ilsfuyaient à gauche, les coteaux, les bois, les buissons ! Commeils fuyaient à gauche, et à droite, et à gauche, les villages, lesvilles, les bourgades ! – – Ma bien aimée a-t-ellepeur ?… La lune brille pure !… hurrah ! Les mortsvont vite… ma bien-aimée a-t-elle peur des morts ? –Hélas ! non. Mais laisse-les reposer, les morts.

– Vois là ! vois là ! Près dela potence, vois-tu danser autour de la roue, à demi visible à laclarté de la lune, cette canaille de fantômes ? Sasa !Canaille de toi ! Viens ici ! Canailles, venez etsuivez-moi. Vous nous danserez le branle de noces, quand nousserons pour nous mettre au lit.

Et cette canaille, vite, vite, vite, se mit àles suivre, en criant comme l’ouragan, qui grince dans la coudraieà travers les feuilles sèches ; et toujours plus rapides, hop,hop, hop ! ils continuaient leur bruyant galop, tellement quele cheval et le cavalier respiraient à peine, et les pierresfaisaient jaillir sous leurs pas comme une poussièred’étincelles.

Comme tout fuit autour d’eux de ce que la luneéclaire ! Comme tout fuit au loin ! Au-dessus d’eux,autour d’eux, comme ils fuient, le ciel et les étoiles ! – Mabien aimée a-t-elle peur ?… La lune brille pure… Hurrah !Les morts vont vite… ma bien-aimée a-t-elle peur des morts ? –Ô malheur ! Laisse reposer les morts.

– Mon cheval noir ! Mon chevalnoir ! Il me semble déjà que le coq m’appelle ; le sablesera bientôt écoulé. Mon cheval noir ! Mon cheval noir !Je sens l’air du matin. Mon cheval noir, dépêche-toi ! Elleest finie ! Notre course est finie ! Voilà le lit nuptialqui s’ouvre ! les morts vont vite. Nous sommes, nous sommesarrivés.

Soudain contre une grille de fer il s’élance,bride abattue ; d’un coup de sa légère houssine, il brise laporte et les verroux. Leur fuite retentissante a des ailes. Ilscourent par-dessus les tombeaux. Toutes les pierres sépulcralesbrillent autour d’eux éclairées par la lune.

Et voyez, voyez ! En un moment, voyezquel horrible miracle ! Le manteau du chevalier, morceau parmorceau, tombe comme les lambeaux d’amadou. Un crâne, sans chair etsans cheveux, un crâne nu, voilà sa tête ! Son corps est unsquelette, avec un sablier et une faulx.

Le cheval noir se cabre tout droit. Il pousseun hennissement sauvage, ses naseaux jettent du feu, puis sous lecavalier, il s’enfonce et disparaît. Des hurlements, des hurlementsdescendent du fond des airs, des gémissements montent du creux destombeaux. Le cœur tremblant de Lénore battait entre la mort et lavie.

Maintenant les esprits dansent au clair delune, en se tenant par la main et tournant : c’est la rondedes ombres, et ils chantent ces paroles : Patience !Patience, quand même le cœur se brise ! Ne dispute pas avecDieu dans le ciel. Tu es délivrée de ton corps : Dieu soit bonpour ton âme.

 

LÉNOREIllustrations des classiquesallemands par Eugène Neureutherhttp://gallica.bnf.fr/document?O=N069226

Traducteur anonyme

 

Lénore surgit en tressaillant, réveillé aumatin par des rêves pénibles. – Guillaume, es-tu infidèle ? oubien es-tu mort ? Combien tarderas-tu encore ? –Guillaume était parti avec les troupes du roi Frédéric, avaitassisté à la bataille de Prague, et n’avait pas écrit ce qu’ilétait devenu.

Le roi et l’impératrice, fatigués de leurslongues querelles, adoucirent leur humeur guerrière, et firentenfin la paix. Chaque armée, avec des chants et des cris de joie,au bruit des tambours et des timbales, ornée de branches vertes auchapeau, prit le chemin de ses foyers.

Et partout, sur les grandes routes comme surles sentiers, coururent jeunes et vieux attirés par les chants detriomphe des arrivants. – Dieu soit loué ! s’écriaient enfantset épouses. Sois le bienvenu, disait mainte joyeuse fiancée. – Maispour Lénore, bienvenu et baisers étaient perdus.

Elle questionna le cortège dans toute salongueur et demanda après tous les noms ; mais personne detous ceux qui y étaient ne put lui répondre. Quand l’armée eutdéfilé, elle déchira ses cheveux de corbeau, et se roula à terre entordant ses membres avec fureur.

Sa mère courut à elle. – Oh ! que le cielte prenne en pitié, mon enfant chéri ; quet’arrive-t-il ? – Et elle la serra dans ses bras. – Oh !mère, mère, ce qui n’est plus n’est plus ! Maintenant adieu lemonde et tout le monde ! Dieu n’a pas de pitié !Douleur ! douleur, à moi, malheureuse !

– Grand Dieu, assistez-nous !Enfant, dis un pater, ce que Dieu fait est bien fait. Dieua pitié de nous. – Oh ! mère, mère, vain espoir ; Dieun’a pas bien agi avec moi. À quoi bon ma prière ? elle estmaintenant inutile.

– Grand Dieu, assistez-nous ! Quiconnaît le père sait qu’il vient au secours de ses enfants. Lesaint sacrement adoucira ta douleur. – Oh ! mère, mère, ce quime brûle le cœur ne sera guéri par aucun sacrement : aucunsacrement ne peut rendre la vie aux morts !

– Écoute, enfant : et si dans safausseté cet homme s’était démis de sa foi et avait contracté unenouvelle union dans le pays des Hongrois ? Enfant, abandonneson cœur ; il en sera bien puni, quand corps et ame sesépareront : son parjure le brûlera comme du feu.

Oh ! mère, mère, ce qui n’est plus n’estplus ! ce qui est perdu est perdu ! La mort, la mort futmon lot ! Oh ! si je n’étais née jamais !Éteins-toi, ma lumière, éteins-toi pour toujours ; meurs,meurs dans la nuit et les horreurs. Dieu est sans pitié, Douleur,douleur à moi, malheureuse !

– Grand Dieu, assistez-nous !n’appelez pas votre pauvre enfant devant votre justice, elle nesait pas ce que dit sa langue ; ne lui tenez pas compte d’unpéché. Oh ! enfant, oublie ta douleur terrestre et pense àDieu et à ton salut ; du moins, ton ame ne perdra pas sonfiancé.

– Oh ! mère, qu’est-ce que lesalut ? Oh ! mère, qu’est-ce que l’enfer. Éteins-toi, malumière, éteins-toi pour toujours ; meurs, meurs dans la nuitet les horreurs. Sans lui je ne veux de salut ni dans le ciel nisur la terre.

Ainsi le désespoir se déchaînait dans soncerveau et dans ses veines. Elle continua à invectiver avec audacela providence divine, se meurtrit la poitrine et se tordit lesmains jusqu’au moment où le soleil se coucha, jusqu’au moment où àla voûte du ciel parurent les étoiles dorées.

Et au dehors un bruit – tro, tro, tro, tro,comme les fers d’un cheval et les cliquetis des éperons. Uncavalier descendit à la rampe de l’escalier, puis écoutez, àl’anneau de la petite porte, doucement, légèrement, kling, kling,kling, et à travers la porte s’entendirent ces mots :

– Holà ! ouvre, mon enfant !Dors-tu, ma belle ? es-tu éveillée ? Qu’éprouves-tuencore pour moi ? Pleures-tu ou ris-tu ? – Quoi !Guillaume ! toi, si tard dans la nuit ! J’ai pleuré etj’ai veillé. Ah ! j’ai eu beaucoup de mal ! D’où viens-tuà cheval comme cela ?

– Nous ne sellons nos cheveux qu’àminuit. J’arrive de bien loin, de Bohème. Je me suis levé tard, etje viens te prendre avec moi. – Ah ! Guillaume ! entred’abord, bien vite. Le vent siffle dans les buissons. Entre, monbien-aimé, que je te réchauffe dans mes bras.

– Laisse siffler le vent à travers lesbuissons. Mon noir hennit, l’éperon résonne ; je ne dois pasrester ici. Viens, lève ta robe, enlève-toi et saute derrière moisur mon cheval noir. Je dois aujourd’hui encore courir cent lieuesjusqu’à notre lit de fiancés.

– Eh quoi ! tu voulais aujourd’huicourir cent lieues pour me porter au lit nuptial ? Écoute, lacloche retentit encore qui déjà a sonné onze heures. – Regarde ici,regarde là. La lune luit clair. Nous et les morts courrons vite àcheval. Je te porte, je gage, aujourd’hui encore au lit denoces.

– Oh ! dis-moi où est le réduit quinous recevra… Où ? Comment ! ton lit de noces ? –Loin, loin d’ici, tranquille, frais et petit ; six planches etdeux planchettes. – Y a-t-il place pour moi ? – Pour toi etpour moi. Viens, relève ta robe, saute et enlève-toi. Les convivesde la noce nous espèrent ; la porte nous est déjà ouverte.

– La belle releva sa robe, s’enleva etsauta avec prestesse sur le coursier ; elle serra le cavalierbien aimé de ses mains de lis, et tro, tro, tro, et hop, hop, hop,ce fut un galop si emporté, que cheval et cavalier soufflaient horshaleine,’qu’étincelles et cailloux volaient en l’air.

Comme à droite, à gauche et devant leursregards galopaient les prairies, les champs et la campagne !comme les ponts tonnaient sous leurs pas ! – Ma belleaurait-elle peur ? La lune luit clair. Hourra ! Les mortscourent vite à cheval. Ma belle a-t-elle peur des morts ? –Oh ! non ; mais laisse là les morts.

– Pourquoi ces chants ? pourquoi cessons ? Pourquoi volent les corbeaux ? Écoutez… le son descloches ; écoutez… des chants de morts… « Portons le morten terre. » Et plus près s’avançait un convoi funèbre quiportait bière et brancard ; le chant ressemblait au cri desgrenouilles dans les étangs.

– Après minuit, enterrez le corps avecchants, et cloches, et complaintes. Maintenant je ramène une jeunefemme avec moi, avec moi vers mon lit de noces. Viens, sacristain,viens ici ; viens avec le chœur et hurle-moi le cantique desfiancés. Viens, prètre, et dis la bénédiction avant que nous soyonscouchés dans le lit.

Cessez, cloches et chants… – Le brancarddisparut… Obéissant à son cri impératif… tro, tro, tro ; ceuxqu’il appela accoururent et suivirent de près les fers du chevalnoir. Et hop, hop, hop, toujours plus loin les emportait lebruissant galop, et cheval et cavalier soufflaient horsd’haleine ; étincelles et cailloux volaient en l’air.

Comme à droite et à gauche galopaientmontagnes, arbres et haies ! comme galopaient à gauche, àdroite, à gauche, les villages, les villes et les bourgs. – Mabelle aurait-elle peur ? La lune luit clair. Hourra ! Lesmorts courent vite à cheval. Ma belle aurait-elle peur desmorts ? – Oh ! laisse en paix les morts.

– Voyez ! voyez à l’échafaud, autourdu pivot de la roue danse une bande aérienne. Là… là… bande… ici…viens… bande, viens et suis-moi ; danse-nous le branle desnoces quand nous monterons au lit.

– Et la bande vint, frou, frou, frou,courant après eux et faisant un bruit étrange comme le tourbillonqui rugit dans des buissons de noisetiers à travers des feuillesmortes.

Comme volait tout ce que la lune éclairait àla ronde ; comme tout volait dans le lointain ; commevolaient au dessus d’eux la lune et les étoiles. – Ma belleaurait-elle peur ? La lune luit clair. Hourra ! Les mortscourent vite à cheval. Ma belle a-t-elle pour des morts ? –Grand Dieu ! laisse en paix les morts !

– Mon noir, mon noir, le coq, je croisappelle déjà ; bientôt le sable va se rejoindre. Mon noir, monnoir, je sens l’air du matin. Mon noir, allons vite loin d’ici. –Finie, finie notre course ; le lit de noces s’ouvre déjà. Lesmorts courent vite à cheval. Nous voici, nous voici arrivés.

À bride abattue ils courent vers une portegrillée ; la gaule pliante fit d’un seul coup sauter serrureset verrous. Les battants se fendirent en faisant entendre uncliquetis terrible, et la course continua sur des tombeaux. Despierres mortuaires blanchissaient à l’entour aux rayons de lalune.

– Voyez, voyez soudain, oh !oh ! un miracle effroyable. Le dolman du cavalier tombe pièceà pièce comme de l’amadou pourrie. Un crâne sans cheveux niqueue ; un crâne tout nu, la tête du cavalier ; soncorps, un squelette avec faux et clepsydre.

Haut se dressa, fougueusement hennit le noircoursier, et soufflait des étincelles, et soudain il avait disparusous Lénore et s’était enfoncé sous terre. Des mugissementssortaient du ciel, des gémissements des tombes profondes. Le cœurtremblant de Lénore se tordait entre vie et mort.

Alors dansèrent, brillant à la lune ettourbillonnant en cercle, les esprits affilés en longues chaînes,et hurlèrent ces paroles. – Patience ! patience ! quandmême le cœur se rompt, n’offense pas ton Dieu au ciel. Tu es librede ton corps ; que Dieu ait pitié de ton ame.

LÉONORELéonore : poème / imité del’allemand de Bürger ; par Mme Pauline de B**** [Bradi]http://gallica.bnf.fr/document?O=N074567

Imité par Mme Pauline de B****

 

Léonore, accablée, oubliant ses douleurs,

Vers la fin de la nuit a fait trêve à sespleurs.

Depuis quelques instants Léonoresommeille ;

Bientôt un songe affreux l’agite et laréveille.

« Cher amant, ô Wilhelm !hélas ! combien de temps

» Dois-je voir loin de toi prolonger mestourments ?

» Dieu ! peut-être la mort,peut-être l’inconstance

» De te revoir jamais m’ont ravil’espérance ! »

Ainsi l’infortunée a gémi sur son sort.

Affrontant les périls et méprisant lamort,

Loin d’elle son amant trop avide degloire,

De son sang achetait l’honneur et lavictoire ;

De Frédéric à Prague il a suivi les pas.

Quel sera son destin parmi tant decombats ?

Quels seront ses succès, ses revers ?Léonore

Craint et pleure déjà des malheurs qu’elleignore.

Mais du peuple Hongrois la reine fait lapaix :

Souveraine adorée, elle aime ses sujets.

Leur sang vient de couler, et son noblecourage ;

Fit la guerre en héros et veut la paix ensage.

Les traités sont signés. On laisse lesguerriers

Regagner triomphants leurs paisiblesfoyers.

Ils arrivent ! Quels cris ! Quelstransports d’allégresse !

Quels doux embrassements bannissent latristesse !

Les lauriers qui paraient la tête desvainqueurs

Sont déjà remplacés par de plus simplesfleurs.

Ils quittent leurs faisceaux pour de fraîchesguirlandes :

L’amour leur prépara ces touchantesoffrandes.

On revoit un époux, un fils, un frère…Hélas !

Parmi tant de guerriers Wilhelm ne paraîtpas !

La triste Léonore, inquiète, agitée,

Vers la foule en tremblant s’étaitprécipitée ;

Son visage inondé d’un déluge de pleurs,

Aux regards attendris décelait sesterreurs ;

Ses genoux affaiblis la soutenaient àpeine.

Elle parcourt les rangs d’une marcheincertaine ;

Elle hésite, interroge… On répondtristement,

Que l’on ne connaît point le sort de sonamant.

Elle s’adresse à tous, et la mêmeignorance

Ravit à son amour un reste d’espérance.

On la quitte. Chacun de bonheur enivré

Va revoir son foyer si long-temps désiré,

Heureux et fier de voir sa parureguerrière

Décorer l’humble mur qu’il regrettaitnaguère.

 

Léonore est glacée. Une morne stupeur

La prive de ses sens et suspend sadouleur ;

Ses yeux semblent fixés sur un objetterrible.

Dont l’aspect effrayant l’a rendueinsensible ;

Mais bientôt reprenant sa force et sesesprits,

Ses regrets concentrés s’exhalent en longscris :

Elle meurtrit son sein, se jette sur laterre

Ses cheveux détachés sont souillés depoussière.

Dans les convulsions d’un frénétiqueamour,

Elle veut se soustraire à la clarté dujour.

Sa mère, qui déjà sent les glaces del’âge,

Vient dans ses faibles bras ranimer soncourage,

La presse toute en pleurs sur le seinmaternel

Et pour sa Léonore invoque l’Éternel.

« Laisse le ciel en paix, lui ditl’infortunée :

» Aux maux les plus affreux par ton Dieudestinée,

» Puis-je encor le prier d’adoucir montourment ?

» Que pourrait-il pour moi ? J’aiperdu mon amant.

» – Juste ciel, prends pitié de ce cœurtrop fidèle !

» Hélas ! jusqu’à ce jour te servantavec zèle,

» Elle observe tes lois, elle bénit tonnom !…

» Ma fille, soumets-toi ; rappelleta raison.

» Dieu répand tour a tour les biens etles misères,

» Et d’une ame affligée exauce lesprières.

» Peut-être que Wilhelm voit encore lejour ?

» Peut-être, qu’égaré par un nouvelamour,

» Auprès d’une autre épouse il devientinfidelle ?

» Tu pleures son trépas, il t’oublieauprès d’elle…

» Mais de ton désespoir l’accablantsouvenir

» Tourmentera l’ingrat jusqu’au derniersoupir.

» – Je croirais un instant que Wilhelmest parjure !…

» Ma mère, qu’as-tu dit ? Cesse, jet’en conjure,

» D’outrager mon amant, de profaner sonnom !

» Tu veux en m’abusant rappeler maraison…

» Je l’ai perdue. Eh quoi !terminant ma carrière,

» Ne puis-je perdre aussi ce reste delumière ?

» Ne me prodigue plus tes impuissantssecours,

» Je maudis à jamais le premier de mesjours.

» La tombe est mon bonheur, la mort monespérance,

» Je vois fuir avec joie une affreuseexistence,

» Mon adoré Wilhelm, je n’espère qu’entoi ;

» Je meurs, et ton nom seul est invoquépar moi.

» – Pardonne, Dieu clément, ce coupablemurmure !

» Pardonne à cette aveugle et faiblecréature !

» Jamais par cette enfant tu ne fusoffensé ;

» Elle abjure déjà ce discoursinsensé.

» Oh, mon enfant ! oublie un amourpérissable ;

» Pense au ciel, où l’on goûte une joieineffable ;

» C’est là qu’une ame pure aimeéternellement :

» Ici tout est fragile et passe en unmoment.

» – Ni du ciel le séjour, ni de l’enferl’abîme,

» Ne peut rien sur un cœur que l’amourseul anime :

» Le ciel, sans mon amant, ne m’offrepoint d’appas,

» Et l’enfer est aux lieux où je ne levois pas. »

 

Telle est de son amour la coupablefolie ;

Dans ses égarements elle devient impie,

Ne craint plus d’irriter le ciel par sesclameurs,

Et sans la consoler voit une mère enpleurs ;

 

Périsse de l’amour la funestepuissance !

Cette enfant jusqu’alors vivait dansl’innocence.

Sa mère tous les jours bénissait leseigneur

Des pieux sentiments qui remplissaient soncœur ;

Sur son front virginal brillait lamodestie ;

Léonore ignorait qu’elle en fut embellie.

On n’osait point louer la grâce, lesattraits

Qu’une noble pudeur répandait sur sestraits.

Maintenant ce n’est plus la douceLéonore ;

C’est une amante en proie au feu qui ladévore ;

Elle a tout oublié, sa mère, lavertu :

Wilhelm est le seul dieu d’un espritéperdu.

Son corps succombe enfin sous tant deviolence,

Et l’excès de ses maux la réduit ausilence.

 

Cependant s’élevait l’astre mystérieux

Qui remplace du jour le flambeau radieux.

Léonore, épuisée, a promis à sa mère

De chercher le repos sur son litsolitaire.

C’est en vain : le silence et l’ombre dela nuit

Ne peuvent ramener le repos qui la fuit

Libre enfin, pour pleurer, pour gémir elleveille…

Quel son ! quel bruit lointain a frappéson oreille !

C’est le hennissement, c’est le pas d’uncoursier,

C’est le bruit d’une armure annonçant unguerrier…

Mais on vient d’ébranler la clochedomestique ;

Quelle voix retentit auprès du seuilrustique ?

» Veilles-tu Léonore ? As-tu de tonamant

» Perdu le souvenir, oublié leserment ? »

À ces accents d’amour, l’heureuse Léonore

Se lève en tressaillant. C’est l’amant qu’elleadore !

Elle court, elle vole, et d’une faiblevoix

Elle dit : « Oh ! Wilhelm,enfin je te revois !

» Les craintes, les douleurs ont été monpartage.

» Oh ! pourquoi loin de moi signalerton courage ?

» Oh ! pourquoi si long-tempsdifférer ton retour ?

» – Je n’ai pu quitter Prague avant lafin du jour.

» J’attendais ce coursier ; sur luitu dois me suivre ;

» Auprès de ton époux, Léonore, il fautvivre.

» – Eh ! pourquoi donc ici ne pointte reposer ?

» À de nouveaux périls te faut-ilexposer ?

» Les vents impétueux attristent lanature,

» Et de quelque malheur semblent êtrel’augure.

» – Laisse mugir le vent, que te fait soncourroux ?

» Ne peux-tu le braver pour suivre tonépoux ?

» Je suis impatient. Hâte-toi,Léonore,

» Veux-tu que loin de toi ton amantsouffre encore ?

» Je ne saurais ici me reposer enpaix,

» Et ce coursier fougueux ne s’arrêtejamais.

» Viens occuper enfin la couchenuptiale ;

» Tu dois y précéder l’aurorematinale.

» Partons sans différer. – Attends aumoins le jour :

» J’éprouve autant d’effroi que jeressens d’amour :

» L’heure…, l’obscurité… Écoute, l’airainsonne…

» Bientôt il est minuit… La foudre auloin résonne…

» Oh, Wilhelm ! attendons. – Voisl’astre de la nuit,

» Profitons de l’instant où sa clarténous luit

» Mon amour a déjà disposé ton asile,

» Nous l’atteindrons bientôt sur cecoursier agile.

» Viens, pour te recevoir on a toutpréparé ;

» Viens célébrer enfin cet hymendésiré.

» – Mais où sont les flambeaux, lesvoiles, les guirlandes ?

» Quel temple, quel autel recevra nosoffrandes ?

» D’une nouvelle épouse ai-je lesvêtements ?

» – Loin de toi le désir de ces vainsornements !

» Un long voile de lin doit recouvrir tatête,

» Tout éclat est banni de cette augustefête ;

» Cependant jusqu’ici le plus puissantmortel

» Ne célèbra jamais hymen plussolennel,

» – Ma mère t’attendait pour me bénirencore ?

» Cesse de résister… J’espérais quel’amour,

» Par plus d’empressements payerait monretour. »

Wilhelm se tait. L’amour lui prête tous sescharmes ;

la douceur de sa voix, ses yeux baignés delarmes,

Les dangers qu’il courut, tant defidélité…

Léonore se dit qu’elle a trop résisté.

Sa robe est détachée et flotte sansceinture ;

Son sein n’est recouvert que par sachevelure ;

Elle craignait l’orage, elle craignait lanuit :

Mais elle ne voit plus que l’amant qu’ellesuit.

Wilhelm par ses regards l’interroge ensilence,

Enfin sur le coursier, légère, elles’élance.

Et, pressant son amant de ses brasdélicats,

Elle oublie un danger qu’elle ne bravepas.

 

Aussi prompt que l’éclair dans sa marcherapide,

L’indomptable coursier sous un maîtreintrépide

Entraîne Léonore à travers les guérets.

Ni les monts escarpés, ni les sombresforêts

N’arrêtent son élan qui fait trembler laterre ;

Autour de lui s’élève une épaissepoussière ;

Ses pieds frappent le roc qui jaillit enéclats,

Et vole étincelant embrasé sous ses pas.

Wilhelm s’adresse alors à sa tristecompagne,

» Les astres, lui dit-il, éclairent lacampagne ;

» Rassure-toi, bientôt je serai tonépoux ;

» Vois, les ames des morts vont moinsvite que nous.

» Les morts, les craindrais-tu ? –Oh ! non, lui répond-elle ;

» Mais laisse-les en paix dans la nuitéternelle. »

 

Soudain le bruit confus de gémissantesvoix

Interrompt le repos des habitants desbois.

Le corbeau croassant, et l’oiseau desténèbres

Font retentir l’écho de leurs accentsfunèbres.

Des prêtres du seigneur vêtus d’habits dedeuil,

S’avancent à pas lents conduisant uncercueil :

La dure austérité d’une vie ascétique

Traça de creux sillons sur leur visageantique.

Ils portent des flambeaux, dont la pâlelueur

Rend les bois plus obscurs et répand laterreur ;

Ils chantent gravement un hymnefunéraire :

» Ô mortel, tu n’es plus que cendre etque poussière !

» Quoi ! tu connus l’orgueil, etdans un froid tombeau

» Ton corps sert de pâture au plus vilvermisseau !

» Abjure ta fierté, reconnais tamisère ;

» Hâte-toi d’obéir ; terre,redeviens terre ! »

« Oui, bientôt, dit Wilhelm, vous serezsatisfaits.

» Pontifes du Très-Haut, achevez vosapprêts ;

» Nous atteignons enfin cette heurefortunée

» Où vous devez bénir un si sainthyménée.

» Hâtons-nous Léonore ; » et lecoursier fougueux

Semble un trait décoché par un brasvigoureux.

Son maître, de la voix l’encourage et lepresse,

Il déchire ses flancs, et le fer qui leblesse

Irrite l’animal, qui, redoublant d’ardeur,

Croit laisser loin de lui le fer et ladouleur.

Léonore s’écrie, en respirant àpeine :

« Oh, Wilhelm ! arrêtons !quelle lugubre scène !

» Ces crêpes, ce cercueil me remplissentd’effroi.

» Je tremble, je frémis, et je suis prèsde toi !

» – Pourquoi trembler encor ! lafortune jalouse

» Ne peut plus de mes bras arracher monépouse.

» Crains-tu ceux que la mort a glacéspour jamais ?

» – Non, je ne les crains pas ; maislaisse-les en paix. »

Elle répond ces mots d’une voixdéfaillante ;

Ses esprits sont troublés, sa force estchancelante ;

Son regard fixe et morne exprime laterreur,

Son front est recouvert d’une horriblepâleur.

Du sang coule autour d’elle et rougit laverdure.

Elle voit des apprêts de mort et detorture,

Des fantômes errants, des ombres depêcheurs ;

Un bruit sourd et confus, d’effrayantesclameurs,

La voix de son amant qui devientmenaçante,

Tout de l’infortunée augmente l’épouvante.

L’astre brillant des nuits a perdu saclarté,

De bleuâtres éclairs percent l’obscurité,

En nuages épais le vent chasse la poudre,

L’air au loin retentit des éclats de lafoudre ;

La terre lui répond par unmugissement ;

Sur le sol ébranlé s’élève unmonument :

L’enfer en construisit les muraillessanglantes,

Couvertes d’ossements et de chairspalpitantes !

Une grille d’airain s’entr’ouvre avecfracas.

Le coursier haletant précipite ses pas.

D’un bond il a franchi cette enceintecruelle

Qui contient des pêcheurs la dépouillemortelle.

Les morts épouvantés sortis de leurstombeaux,

Soulèvent lentement leurs linceuls enlambeaux.

Le fier coursier hennit, et sa boucheenflammée

Vomit un tourbillon d’une épaisse fumée.

Il rampe, se relève, et ses crins hérissés

Se changent en serpents hideux etcourroucés.

À des feux souterrains le roc ouvre unpassage ;

Ils coulent en torrents sur un sanglantrivage ;

Des esprits infernaux apportés sur lesvents,

Repoussent les pêcheurs dans leurs noirsmonuments.

Léonore éperdue entr’ouvre lapaupière ;

Elle touche bientôt à son heure dernière.

Mais avant que ses jeux se ferment sansretour,

Elle veut voir encor l’objet de tantd’amour.

Juste ciel ! son amant n’est plus qu’unspectre horrible,

Dans sa main brille un dard flamboyant etterrible.

Les bras de Léonore autour de lui pressés,

N’approchent de son sein que des restesglacés.

Elle succombe enfin à cette horrible vue,

Aux pieds de son amant elle tombe étendue.

« Résigne-toi, lui crie un messagerdivin,

» Et n’accuse que toi d’un si tristedestin.

» Aux arrêts de ton Dieu tu te montrasrebelle ;

» Mais ton Dieu se souvient que tu luifus fidelle.

» Viens joindre ton époux, sa compagne àjamais

» Ton ame va me suivre au séjour de lapaix. »

Note de Mme Pauline de B****

 

À Madame

La Comtesse de Genlis.

Mon amie,

Je suis heureuse de pouvoir dire que je vousdois l’hommage de ce premier essai : autrement, aurais-je osévous l’offrir ? Vous m’avez conseillé, ordonné l’étude ;vous m’avez prouvé qu’elle pouvait s’allier avec mes devoirs. Jevous ai obéi ; et ma docilité m’a valu des plaisirs dont lesouvenir ne me donnera jamais de regrets. Ayez, je vous prie,quelque indulgence pour Léonore ; songez, en la lisant, que jelui dois le bonheur de vous répéter que mon respect et ma tendresseégalent ma reconnaissance et les bontés que votre amitié m’aprodiguées.

Depuis deux ans cette imitation estterminée ; et je me rendais assez justice pour ne pas lapublier, lorsque l’on m’a donné avis que madame la baronne deStaël, ayant parlé de l’original dans son dernier ouvrage, jedevais m’attendre à voir imprimer quelque copie de l’imitation deLéonore, que j’ai trop souvent prêtée. L’opinion de madame de Staëlsur la romance de Bürger, est tout-à-fait décourageante : cequ’elle regarde comme difficile doit m’être impossible ; etj’aurais caché mon ouvrage plus que jamais, si je n’avais su qu’ilallait paraître avec toutes les fautes que j’ai corrigées depuisque le manuscrit est rentré dans mes mains.

Une imitation ne vaut guère d’éloges à sonauteur, mais peut lui attirer beaucoup de critiques : je vaisd’avance répondre le mieux possible à celles que je prévois.

On me reprochera le choix du sujet ; maissi l’on tolère les revenants sur la scène et dans les romans, onpeut bien les tolérer dans un petit poëme : il n’est pas plusfou de croire aux apparitions qu’aux devineresses ; c’estmoins dangereux, et les morts ne donnent que d’utiles leçonspartout où on les fait intervenir. J’ai trouvé le dénouement deLéonore très moral : son amant même la punit du crime dont ilest la cause ; cette pensée est juste et terrible, on peut laméditer avec fruit.

On dira que je n’ai pas imité assezscrupuleusement l’original : j’avoue que je n’ai pas eu lecourage de faire danser les morts ni de détailler lesdernières scènes de Léonore ; le goût français s’y oppose. Jeme suis crue obligée aussi d’ajouter quelques vers, qui, enapprenant aux lecteurs les premières vertus de Léonore, motivent lagrâce qui lui est faite au moment d’expirer.

Le lecteur doit savoir que Léonore est unepromise, et que ce titre justifie en Allemagne le partiqu’elle prend de suivre Wilhelm.

LENOREhttp://gutenberg.spiegel.de/autoren/buerger.htm

Version originale par Gottfried August Bürger

 

Lenore fuhr ums Morgenrot

Empor aus schwerenTräumen :

»Bist untreu, Wilhelm, odertot ?

Wie lange willst du säumen ?« –

Er war mit König FriedrichsMacht

Gezogen in die PragerSchlacht,

Und hatte nichtgeschrieben :

Ob er gesund geblieben.

 

Der König und die Kaiserin,

Des langen Haders müde,

Erweichten ihren harten Sinn,

Und machten endlichFriede ;

Und jedes Heer, mit Sing undSang,

Mit Paukenschlag und Kling undKlang,

Geschmückt mit grünenReisern,

Zog heim zu seinen Häusern.

 

Und überall all überall,

Auf Wegen und auf Stegen,

Zog alt und jung demJubelschall

Der Kommenden entgegen.

Gottlob ! rief Kind und Gattinlaut,

Willkommen ! manche froheBraut.

Ach ! aber für Lenoren

War Gruß und Kuß verloren.

 

Sie frug den Zug wohl auf undab,

Und frug nach allenNamen ;

Doch keiner war, der Kundschaftgab,

Von allen, so da kamen.

Als nun das Heer vorüber war,

Zerraufte sie ihr Rabenhaar,

Und warf sich hin zur Erde,

Mit wütiger Gebärde.

 

Die Mutter lief wohl hin zu ihr :–

»Ach, daß sich Gotterbarme !

Du trautes Kind, was ist mit dir ?« –

Und schloß sie in die Arme. –

»Ô Mutter, Mutter ! hin isthin !

Nun fahre Welt und alleshin !

Bei Gott ist kein Erbarmen.

Ô weh, o weh mir Armen !« –

 

»Hilf Gott, hilf ! Sieh uns gnädigan !

Kind, bet einVaterunser !

Was Gott tut, das istwohlgetan.

Gott, Gott erbarmt sich unser !« –

»Ô Mutter, Mutter ! EitlerWahn !

Gott hat an mir nichtwohlgetan !

Was half, was half meinBeten ?

Nun ist’s nicht mehr vonnöten.« –

 

»Hilf Gott, hilf ! wer den Vaterkennt,

Der weiß, er hilft denKindern.

Das hochgelobte Sakrament

Wird deinen Jammer lindern.« –

»Ô Mutter, Mutter ! was michbrennt,

Das lindert mir keinSakrament !

Kein Sakrament mag Leben

Den Toten wiedergeben.« –

 

»Hör, Kind ! wie, wenn der falscheMann,

Im fernen Ungerlande,

Sich seines Glaubens abgetan,

Zum neuen Ehebande ?

Laß fahren, Kind, sein Herzdahin !

Er hat es nimmermehrGewinn !

Wann Seel und Leib sichtrennen,

Wird ihn sein Meineid brennen.« –

 

»Ô Mutter, Mutter ! Hin isthin !

Verloren ist verloren !

Der Tod, der Tod ist meinGewinn !

Ô wär ich nie geboren !

Lisch aus, mein Licht, auf ewigaus !

Stirb hin, stirb hin in Nacht undGraus !

Bei Gott ist kein Erbarmen.

Ô weh, o weh mir Armen !« –

 

»Hilf Gott, hilf ! Geh nicht insGericht

Mit deinem armen Kinde !

Sie weiß nicht, was die Zungespricht.

Behalt ihr nicht dieSünde !

Ach, Kind, vergiß dein irdischLeid,

Und denk an Gott undSeligkeit !

So wird doch deiner Seelen

Der Bräutigam nicht fehlen.« –

 

»Ô Mutter ! Was istSeligkeit ?

Ô Mutter ! Was istHölle ?

Bei ihm, bei ihm istSeligkeit,

Und ohne Wilhelm Hölle !–

Lisch aus, mein Licht, auf ewigaus !

Stirb hin, stirb hin in Nacht undGraus !

Ohn ihn mag ich auf Erden,

Mag dort nicht selig werden. « – ––

 

So wütete Verzweifelung

Ihr in Gehirn und Adern.

Sie fuhr mit Gottes Vorsehung

Vermessen fort zuhadern ;

Zerschlug den Busen, undzerrang

Die Hand, bisSonnenuntergang,

Bis auf am Himmelsbogen

Die goldnen Sterne zogen.

 

Und außen, horch ! ging’s trapptrapp trapp,

Als wie vonRosseshufen ;

Und klirrend stieg ein Reiterab,

An des GeländersStufen ;

Und horch ! und horch ! denPfortenring

Ganz lose, leise,klinglingling !

Dann kamen durch die Pforte

Vernehmlich dieseWorte :

 

»Holla, Holla ! Tu auf meinKind !

Schläfst, Liebchen, oder wachstdu ?

Wie bist noch gegen michgesinnt ?

Und weinest oder lachst du ?« –

»Ach, Wilhelm, du ? – – So spät beiNacht ? – –

Geweinet hab ich undgewacht ;

Ach, großes Leiderlitten !

Wo kommst du hergeritten ?« –

 

»Wir satteln nur umMitternacht.

Weit ritt ich her von Böhmen.

Ich habe spät michaufgemacht,

Und will dich mit mir nehmen.« –

»Ach, Wilhelm, erst hereingeschwind !

Den Hagedorn durchsaust derWind,

Herein, in meinen Armen,

Herzliebster, zu erwarmen !« –

 

»Laß sausen durch denHagedorn,

Laß sausen, Kind, laßsausen !

Der Rappe scharrt ; es klirrt derSporn.

Ich darf allhier nichthausen.

Komm, schürze, spring und schwingedich

Auf meinen Rappen hintermich !

Muß heut noch hundert Meilen

Mit dir ins Brautbett eilen.« –

 

»Ach ! wolltest hundert Meilennoch

Mich heut ins Brautbetttragen ?

Und horch ! es brummt die Glockenoch,

Die elf schon angeschlagen.« –

»Sieh hin, sieh her ! der Mondscheint hell.

Wir und die Toten reitenschnell.

Ich bringe dich, zur Wette,

Noch heut ins Hochzeitbette.« –

 

»Sag an, wo ist deinKämmerlein ?

Wo ? Wie deinHochzeitbettchen ? « –

»Weit, weit von hier ! – – Still,kühl und klein ! – –

Sechs Bretter und zwei Brettchen !« –

»Hat’s Raum für mich ?« – »Für dich und mich !

Komm, schürze, spring und schwingedich !

Die Hochzeitgästehoffen ;

Die Kammer steht uns offen.« –

 

Schön Liebchen schürzte, sprang undschwang

Sich auf das Roßbehende ;

Wohl um den trauten Reiterschlang

Sie ihre Liljenhände ;

Und hurre hurre, hopp hopphopp !

Ging’s fort in sausendemGalopp,

Daß Roß und Reiter schnoben,

Und Kies und Funken stoben.

 

Zur rechten und zur linkenHand,

Vorbei vor ihren Blicken,

Wie flogen Anger, Heid undLand !

Wie donnerten die Brücken !–

»Graut Liebchen auch ? – – Der Mondscheint hell !

Hurra ! die Toten reitenschnell !

Graut Liebchen auch vor Toten ?« –

 

»Ach nein ! – – Doch laß dieToten ! –

Was klang dort für Gesang undKlang ?

Was flatterten die Raben ? ––

Horch Glockenklang ! horchTotensang :

»Laßt uns den Leib begraben !«

Und näher zog ein Leichenzug,

Der Sarg und Totenbahre trug.

Das Lied war zu vergleichen

Dem Unkenruf in Teichen.

 

»Nach Mitternacht begrabt denLeib,

Mit Klang und Sang undKlage !

Jetzt führ ich heim mein jungesWeib.

Mit, mit zumBrautgelage !

Komm, Küster, hier ! Komm mit demChor,

Und gurgle mir das Brautliedvor !

Komm, Pfaff, und sprich denSegen,

Eh wir zu Bett uns legen !« –

 

Still, Klang und Sang. – – Die Bahreschwand. – –

Gehorsam seinem Rufen,

Kam’s, hurre hurre !nachgerannt,

Hart hinter’s Rappen Hufen.

Und immer weiter, hopp hopphopp !

Ging’s fort in sausendemGalopp,

Daß Roß und Reiter schnoben,

Und Kies und Funken stoben.

 

Wie flogen rechts, wie flogenlinks,

Gebirge, Bäum undHecken !

Wie flogen links, und rechts, undlinks

Die Dörfer, Städt und Flecken !–

»Graut Liebchen auch ? – – Der Mondscheint hell !

Hurra ! die Toten reitenschnell !

Graut Liebchen auch vor Toten ?« –

»Ach ! Laß sie ruhn, dieToten ! « –

 

Sieh da ! sieh da ! AmHochgericht

Tanzt’um des Rades Spindel

Halb sichtbarlich beiMondenlicht,

Ein luftiges Gesindel. –

»Sasa ! Gesindel, hier ! Kommhier !

Gesindel, komm und folgemir !

Tanz uns den Hochzeitreigen,

Wann wir zu Bette steigen !« –

 

Und das Gesindel husch huschhusch !

Kam hinten nachgeprasselt,

Wie Wirbelwind am Haselbusch

Durch dürre Blätter rasselt.

Und weiter, weiter, hopp hopphopp !

Ging’s fort in sausendemGalopp,

Daß Roß und Reiter schnoben,

Und Kies und Funken stoben.

 

Wie flog, was rund der Mondbeschien,

Wie flog es in dieFerne !

Wie flogen oben über hin

Der Himmel und die Sterne !–

»Graut Liebchen auch ? – – Der Mondscheint hell !

Hurra ! die Toten reitenschnell !

Graut Liebchen auch vor Toten ?« –

»Ô weh ! Laß ruhn die Toten !« – – –

 

»Rapp’! Rapp’! Mich dünkt der Hahn schonruft. – –

Bald wird der Sand verrinnen ––

Rapp’! Rapp’! Ich wittre Morgenluft ––

Rapp’! Tummle dich von hinnen !–

Vollbracht, vollbracht ist unserLauf !

Das Hochzeitbette tut sichauf !

Die Toten reitenschnelle !

Wir sind, wir sind zur Stelle. « –– –

 

Rasch auf ein eisernGittertor

Ging’s mit verhängtem Zügel.

Mit schwanker Gert’ein Schlagdavor

Zersprengte Schloß undRiegel.

Die Flügel flogen klirrendauf,

Und über Gräber ging derLauf.

Es blinkten Leichensteine

Rundum im Mondenscheine.

 

Ha sieh ! Ha sieh ! imAugenblick,

Huhu ! ein gräßlichWunder !

Des Reiters Koller, Stück fürStück,

Fiel ab, wie mürber Zunder.

Zum Schädel, ohne Zopf undSchopf,

Zum nackten Schädel ward seinKopf ;

Sein Körper zum Gerippe,

Mit Stundenglas und Hippe.

 

Hoch bäumte sich, wild schnob derRapp’,

Und sprühteFeuerfunken ;

Und hui ! war’s unter ihrhinab

Verschwunden und versunken.

Geheul ! Geheul aus hoherLuft,

Gewinsel kam aus tieferGruft.

Lenorens Herz, mit Beben,

Rang zwischen Tod und Leben.

 

Nun tanzten wohl beiMondenglanz,

Rundum herum im Kreise,

Die Geister einen Kettentanz,

Und heulten dieseWeise :

»Geduld ! Geduld ! Wenn’s Herzauch bricht !

Mit Gott im Himmel hadrenicht !

Des Leibes bist duledig ;

Gott sei der Seele gnädig !«

 

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