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Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir

Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir

de John Cleland

Partie 1
LES PROGRÈS D’UNE GARCE

d’après les dessins de M. Hogarth.

Chapitre 1L’Innocente trahie

 

Voyez cette fille de campagne : que ses regards sont innocents ! que ses habits sont propres quoique unis ! N’êtes-vous pas indigné de voir la maquerelle qui n’oublie rien pour la débaucher ? Elle couvre ses desseins sous le voile de la piété et ne parle que de prières et de dévotions, jusqu’à ce que la pauvrette soit vendue et livrée à Francisque.

Voyez ce vieux paillard, comme il lorgne labelle : il est l’emblème véritable d’un satyre impudique. Le curé de campagne arrive à la ville avec une méchante rosse. Jugezce qui l’amène : moins à faire et mieux payé.

Chapitre 2 Un juif l’entretient somptueusement

 

Débauchée d’abord et chassée ensuite, c’est lesort de toutes les putains de Francisque. La pauvre Polly (Pollyest un nom de baptême comme Margot) est obligée de battre du plâtrejusqu’à ce qu’elle rencontre un juif opulent.

Le circoncis lui donne tout. Examinez-la danstoute sa splendeur.

Elle a un singe et un Maure qui la suit.

Qu’un homme est sot de s’imaginer jouir seuld’une femme ! Car malgré tout ce qu’il pourra lui donner, ellene perdra pas une occasion favorable pour baiser avec d’autres.

Polly donc avait son amant dans le lit quandl’Hébreu arriva sans être attendu. Pour le faire évader, ellequerelle le juif, donne un coup de pied à la table, pendant que safemme de chambre fait sortir le galant.

Chapitre 3Elle est réduite à la misère dans son logement de Drury-Lane

 

Margot, renvoyée pour la deuxième fois, seloge dans l’allée de Drury-Lane. (célèbre à Londres par le grandnombre de filles de moyenne sorte), tient boutique pour son compteet commerce avec toute la ville. Pendant qu’on verse le thé,mademoiselle est occupée à regarder une montre qu’elle avait prisepar subtilité à son galant pendant la nuit. On met sur une petitetable, devant elle, du beurre enveloppé d’un mandement deMonseigneur, une soucoupe, un couteau et du pain.

Sa cape est derrière elle, sur le dos d’unechaise ; la chandelle est fichée dans le trou d’une bouteillequi est auprès de la chaise percée.

Ne voyez-vous pas le chevalier Jean qui entreavec les archers pour mener mademoiselle et sa suivante àl’hôpital, pour y battre du chanvre ?

Au haut est écrit : « Boette àperruque de Jacques Datton ».

Chapitre 4Dans la maison de correction à battre le chanvre

 

Si vous voulez voir la pauvre Margot, il fautaller à l’hôpital où elle bat du chanvre, sans que personnes’intéresse pour elle. L’inspecteur, avec un regard de travers, luilâche de temps en temps quelques coups de bâton quand elle veutreposer.

Une vilaine garce, qui la voit en brocart, etavec une dentelle de Flandres, lui tire la langue et lui fait lamoue en clignotant des yeux. Une autre salope, qui n’a que lamoitié du nez, trousse sa méchante jupe, se moque de son habit detravail et du regard sévère de celui qui la fait travailler. Catortue des poux.

Le chevalier Jean est dessiné sur unvolet.

Au-dessus de celui qui fait travailler estécrit : « Il vaut mieux travailler que se tenirainsi. »

Chapitre 5Elle meurt en passant par le « grand remède »

 

Sortie de l’hôpital, Margot recommence denouveau ses intrigues et ses galanteries. Mais en connaissez-vousune seule d’entre ces créatures qui ait échappé à la vérole.

Notre Margot avait mal sur mal ; lesélixirs, les pilules et l’émétique l’avaient si fatiguée qu’elleétait lasse de vivre.

Bref, elle crève dans la salivation ; sasuivante, la voyant expirer, se met à crier de toutes sesforces.

Les médecins se blâment l’un et l’autre.Meagre (nom d’un des médecins) s’emporte de rage et de fureur,renverse la table et traite son camarade de fou. — Ce sont vospilules de Squab (nom de l’autre médecin) qui l’ont tuée, et nonmon élixir.

Pendant qu’ils se chamaillent, une vilainegarce fouille le coffre de Margot.

Chapitre 6Pompe de ses funérailles

 

La communauté de Drury-Lane s’assemble autourdu cercueil. Mlle Priss lève le couvercle pour dire adieu à ladéfunte. Cator, abattue de chagrin, boit. Margot ferme ses poingset baisse la vue. Babet essuie ses yeux, et Janeton s’ajuste devantle miroir.

La maquerelle, ruinée, ne fait que crier etboire. Madgee remplit les verres, et le petit garçon ne songe qu’àfaire aller sa toupie.

Le gantier a la vue attachée sur Suky enessayant ses gants ; la belle, l’ayant remarqué, lui prend cequ’il a dans ses poches.

Le curé lorgne Nanette ; auprès delaquelle il se campe, et laisse répandre son vin, pendant qu’il aune main cachée quelque part.

Partie 2
INTRODUCTION

&|160;

Le célèbre auteur des Memoirs of a womanof pleasure naquit en 1707 ou en 1709. Les biographes, qui nesont pas d’accord sur ce point, ne peuvent indiquer le lieu où ilvit le jour.

Il était fils du colonel Cleland, qui, sous lenom de Will Honeycomb, figure parmi les membres du SpectatorClub, imaginé par Steele et Addison.

Bien que laissé sans fortune par la mort deson père, le jeune John Cleland reçut une bonne éducation à l’Écolede Westminster. Ses études terminées, il fut, après 1722, nomméconsul à Smyrne. En 1736, il entra au service de la Compagnie desIndes et résida à Bombay, mais ce ne fut pas pour longtemps, car, àla suite d’une affaire qu’on ignore, il fut destitué et revint enAngleterre.

C’est alors que, sans emploi, il connut lamisère, traînant de taverne en taverne, au milieu des débauchés etdes prostituées.

** * * *

À cette époque, les rues de Londres étaient,le soir, pleines de filous et de filles. La dépravation desLondoniens était à son comble. La jeunesse dorée de la Noblesse etde la Bourgeoisie dissipait de grosses sommes à courir lestavernes, les Bagnios et les Seraglios que l’onvenait d’ouvrir à Londres, sur le modèle de ces établissementsparisiens que l’on a appelés des Temples d’Amour.

** * * *

Les tavernes étaient de diverses sortes. Il yen avait de fort ignobles fréquentées par les misérables et lesprostituées de bas étage. Dans d’autres, au contraire, la Noblesses’enivrait, jurait et faisait tapage de la façon la plus grossière.La plupart des repas fins se donnaient à la taverne. Et si lesAnglais goûtaient peu les potages, ils faisaient une honorableexception en faveur de la Soupe à la Tortue. Lorsqu’une taverne enannonçait, il n’était point rare que les consommateurs vinssentfaire queue à la porte.

** * * *

Cleland ne nous fournit guère de détails surla chère que faisaient les Anglais de son temps.

Voici la description d’un fin dîner anglais aumois de juin.

Un repas de cette sorte durait généralementplus de quatre heures, et le plus souvent les convives étaientsilencieux.

Pour le premier service, d’un côté, la tableronde était chargée d’un jambon rôti, reposant mollement sur desfèves de marais. Un énorme rosbif était de l’autre côté. Un plat dechoux-fleurs ornait le milieu de la table, flanqué de deuxsaucières, l’une de beurre, l’autre d’une sauce au gingembre et auxherbes, aromatiques. Dans une marmite se trouvait du bouilli peucuit, et, devant elle, un plat dans lequel se pressaient quelquespoulets que le beurre surbaignait.

Ensuite, on servait une oie grasse, unetortue, des petits pois sans sauce, cuits, dans l’eau bouillante, àdécouvert, pour conserver leur couleur verte, et une sorte de tartecroquante bourrée de groseilles à maquereau.

Les convives avaient devant eux des vidrecomespour le vin commun et des pots d’argent pour la bière, uneassiette, une fourchette de fer à deux branches, un couteau ensabre, arrondi par le bout pour servir de cuiller. Les serviettesétaient inconnues,

Après le second service, la nappe enlevée, onservait le dessert&|160;: des fraises, du melon, du fromage et cinqou six sortes de vins. On apportait alors les verres à la françaiseet l’on portait les santés, en commençant par celle du Roi. Oncontinuait par celle des Dames.

On servait ensuite du punch, puis le café etle thé avec des tartines de beurre.

Dans un coin de la salle était le pot àpisser, où chacun se soulageait sans vergogne, et comme l’on tenaitle plus souvent les fenêtres fermées, les vapeurs de l’urine, semêlant aux vapeurs de l’alcool et du vin, rendaient l’atmosphèreirrespirable pour d’autres que des Anglais.

** * * *

À propos du sans-gêne qu’apportaient lesAnglais dans la satisfaction de leurs besoins naturels, il convientde citer un trait rapporté par Casanova, qui visita Londresquelques années après la publication du livre de Cleland&|160;:

«&|160;Tout à coup, aux environs deBuckingham-House, j’aperçus à ma gauche cinq ou six personnes dansles broussailles qui satisfaisaient un besoin impérieux et quitournaient le derrière aux passants. Cette position me parut d’uneindécence révoltante et j’en témoignai mon dégoût à Martinelli, enlui disant que ces déhontés devraient au moins tourner leur faceaux passants.

«&|160;— Nullement, s’écria-t-il, car alors onles reconnaîtrait peut-être, et à coup sûr on lesregarderait&|160;; tandis qu’en exposant leur postérieur, ils necourent point le danger d’être connus, et qu’en outre ils forcentles gens tant soit peu délicats à se détourner.

«&|160;— J’approuve votre raisonnement, moncher ami, mais vous trouverez naturel que cela révolte unétranger.

«&|160;— Sans doute, car les usagess’enracinent comme des préjugés. Vous aurez pu remarquer qu’unAnglais qui, dans la rue, a besoin de lâcher ses écluses ne va pas,comme chez nous, se cacher dans une allée, se coller contre uneporte ou s’abriter contre une borne&|160;?

«&|160;— Oui, j’en ai vu qui se tournent versle milieu de la rue&|160;; mais s’ils évitent ainsi la vue des gensqui passent sur le trottoir ou qui sont dans les boutiques, ilssont vus de ceux qui passent en voiture, et cela n’est pasbien.

«&|160;— Qui oblige ceux qui passentcommodément en voiture à regarder là&|160;?

«&|160;— C’est encore vrai.&|160;»

Les repas se passaient le plus souvent ensilence, mais ce n’était pas une règle, et, dans les bonnescompagnies, la conversation allait son train. Faut-il ajouter queles hommes juraient volontiers et que les Damnations, lesFutitions, les Malédictions, le Ciel et l’Enfer formaient dans cesexclamations irritées les plus étranges alliances de mots quicontrastaient souvent avec un langage fort raffiné et témoignantd’une profonde culture.

Ces imprécations étaient à la mode au pointque les gens polis eux-mêmes s’abordaient delà façonsuivante&|160;:

«&|160;Damn ye, I am glad to seeyou. (Soyez damné, je suis bien aise de vousvoir.)&|160;»

Ou bien&|160;:

«&|160;Damn ye, you dog, how do youdo&|160;? (Soyez damné, chien, comment vousportez-vous&|160;?)&|160;»

Rencontrait-on un ami qu’on n’avait vu depuislongtemps, on lui disait&|160;:

«&|160;You son of a whore, wherehave you been&|160;? (Fils d’une putain, oùavez-vous été&|160;?)&|160;»

Et les damned revenaient sans cesse,envoyant au diable les hommes et les choses.

** * * *

Il serait trop long d’énumérer toutes lestavernes où l’on rencontrait les prostituées ou bien où l’onpouvait les faire venir en chaise.

Les plus misérables ou les plus corrompuesallaient à la Tête de Turc à Bow Street, ou bien parfoisdans la paroisse Saint-Gilles, où il existait une taverne fameusepar le club que les filous y tenaient tous les soirs.

Les couteaux et les fourchettes y étaientenchaînés aux tables et les nappes y étaient clouées. Les, filous yobservaient un certain décorum. Ils avaient, des règlements et deschefs qui les appliquaient. On y buvait et fumait, on y échangeait,on y vendait ce qui avait été escamoté pendant la journée.

Non loin de cette taverne était un autrecabaret à eau-de-vie. Sur la grande table, on lisait l’inscriptionque voici&|160;:

Here you may get drunk for a penny,dead drunk for two pence, and get straw fornothing.

(Ici on peut se saouler pour unpenny, tomber ivre-mort pour deux pence et avoirde. la paille par-dessus le marché.)

En effet, ceux qui tombaient ivres-mortsétaient descendus dans les caves, où on les étendait sur de lapaille. Une société mêlée fréquentait encore le LionBlanc, une des dernières des cent tavernes de Drury, sicélèbres sous Charles Il. La police voulut une fois intervenir dansune orgie qui s’y faisait et l’on trouva, mêlées à des filles de laplus basse catégorie, des dames de qualité qui furent laissées enliberté, tandis que les autres étaient menées en prison.

À la Cave au Cidre, près de MaidenLane, on rencontrait de jolies femmes et des gens d’esprit, desécrivains, des acteurs.

La Rose Tavern, dans Russel Street,n’était fréquentée que par les membres de l’aristocratie. Ilsvenaient s’y enivrer en soupant avec des femmes.

Mais l’établissement le plus élégant et leplus cher était celui à la Tête de Shakespeare et lescourtisanes tenaient à honneur de figurer sur la liste que JackHarris, le gérant, tenait à la disposition des gentlemen, sesclients.

C’est dans une de ces tavernes aristocratiquesque je ne sais plus quel écervelé, s’étant enivré, rencontra unefille qui lui plut au point qu’il voulut boire du champagne dansson soulier, et il faut ajouter qu’elle avait le pied bien fait etfort petit.

Le jeune Anglais ne se contenta pas decela&|160;: il voulut manger le soulier et le fit accommodersur-le-champ.

La tige, qui était de damas, fut mise enragoût, la semelle en hachis, et les talons de bois, coupés enlamelles fines, furent frits au beurre et servirent à garnir leplat, qui fut savouré amoureusement.

Cette folie fut renouvelée au XIX° siècle, àSaint-Pétersbourg, en l’honneur de la Taglioni, dont un soir deuxadmirateurs dévorèrent les chaussons de danse.

Il ne faut parler ici que pour mémoire descabarets à bière (Ale houses), où l’on ne voyait guère defemmes et où on ne donnait pas de verres, toutes les personnes dela même compagnie buvant au même pot. Quand le maître du cabaretservait lui-même, on l’invitait ordinairement à boire le premier etil acceptait toujours, disant&|160;:

«&|160;Your healths,gentlemen. (À vos santés,gentlemen).&|160;»

Il enfonçait alors son nez dans l’écume quis’élevait au-dessus du pot et s’essuyait ensuite du revers de lamain en faisant passer la bière de droite à gauche. Et celui quiaurait témoigné de la répugnance à boire après son voisin auraitété regardé de travers.

Il y avait aussi parmi les basses etcrapuleuses tavernes quelques cafés où les femmes allaient la nuit.Les plus nombreux de ces établissements étaient semblables au caféde Tom King.

Dans cette baraque en planches, accotée aumarché, en face de Tavistock Row, on trouvait toute la nuit depauvres filles, parfois belles et jeunes, mais bizarrement attiféeset trop fardée, les yeux cernés à l’encre de Chine, parées decolliers en verroteries de toutes couleurs, de boucles d’oreilles,et dont le langage précieux et grossier était mêlé de termesd’argot, de mythologie et de mots marins.

** * * *

Casanova nous a laissé dans ses mémoires ungrand nombre de précieuses notes touchant la vie anglaise.

«&|160;Rien en Angleterre, écrit-il, n’estcomme dans le reste de l’Europe&|160;; la terre même a une nuancedifférente, et l’eau de la Tamise a un goût qu’on ne trouve àaucune autre rivière&|160;; tout Albion porte un caractèreparticulier&|160;; les poissons, les bêtes à cornes, les chevaux,les hommes et les femmes, tout a un type qu’on ne trouve que là. Iln’est pas étonnant que la manière de vivre, en général, neressemble en rien à celle des autres peuples, et surtout leurcuisine. Quant au trait principal de ces fiers insulaires, c’estl’orgueil national qui les fait se mettre fort au-dessus de tousles autres peuples. Il faut cependant connaître que ce défaut estcommun à toutes les nations&|160;; chacune se met en premièreligne, et au fait il n’y a que le second rang qui soit difficile àdéterminer.

«&|160;Ce qui attira d’abord mon attention, cefut la propreté générale, la beauté de la campagne et de la bonneculture, la solidité de la nourriture, la beauté des routes, celledes voitures de poste, la justesse des prix des courses, lafacilité de les payer avec un morceau de papier, la rapidité deleurs chevaux de trait, quoiqu’ils n’aillent jamais qu’au trot,enfin la construction de leurs villes, de Douvres à Londres, tellesque Canterbury et Rochester, villes très populeuses, et quipourraient être figurées par de vastes boyaux, car elles sontextrêmement longues et n’ont presque point de largeur.&|160;»

Voici ce que Casanova vit dans un café, lejour de son arrivée à Londres&|160;:

«&|160;Il était sept heures, et un quartd’heure après, voyant beaucoup de monde dans un café, j’y entrai.C’était le café le plus mal famé de Londres, celui où se réunissaitla lie des mauvais sujets de l’Italie qui venaient à passer laManche. J’en avais été informé à Lyon, et je m’étais fortementproposé de ne jamais y mettre les pieds. Le hasard, qui se mêlepresque toujours de nous faire aller à gauche quand nous voulonsaller à droite, me joua ce mauvais tour, bien à mon insu. Je n’ysuis plus allé.

«&|160;Étant allé m’asseoir à part et ayantdemandé une limonade, un inconnu vint se placer près de moi, pourprofiter de la lumière, et lire une gazette que je reconnus êtreimprimée en italien. Cet homme, muni d’un crayon, s’occupait àeffacer certaines lettres et mettait la correction en marge&|160;;ce qui me fit juger que c’était un auteur. Une oisive curiositém’ayant fait suivre cette besogne, je vis qu’il corrigeait le motancora, mettant un h en marge, comme voulant faire imprimeranchora. Cette barbarie m’irritant, je lui dis que depuis quatresiècles on écrivait ancora sans h.

«&|160;— D’accord, me dit-il&|160;; mais jecite Boccace, et dans les citations il faut être exact.

«&|160;— Je vous fais réparation d’honneur,monsieur, je vois que vous êtes homme de lettres.

«&|160;— De la très petite espèce. Jem’appelle Martinelli.

«&|160;— Alors vous êtes de la grande et nonde la petite espèce. Je vous connais de réputation, et, si je ne metrompe, vous êtes parent de Calsabigi, qui m’a parlé de vous. J’ailu quelques-unes de vos satires.

«&|160;— Oserais-je vous demander à qui j’ail’honneur de parler&|160;?

«&|160;— Je me nomme Seingalt. Avez-vousachevé votre édition du Décaméron&|160;?

«&|160;— J’y travaille encore et je tâched’augmenter le nombre de mes souscripteurs.

«&|160;— Si vous me voulez, je vous prie de memettre du nombre.

«&|160;— Vous me faites honneur.

«&|160;Il me donna un billet, et voyant que cen’était qu’une, guinée, je lui en pris quatre, puis, me levant pourm’en aller, je lui dis que j’espérais le revoir au même café, dontje lui demandai le nom. Il me le dit, étonné que je l’ignorasse. Jefis cesser son étonnement en lui disant que je n’étais à Londres,pour la première fois, que depuis une heure.

«&|160;—Vous serez, me dit-il, embarrassé deretourner chez vous&|160;; permettez-moi de vous accompagner.

«&|160;Dès que nous fûmes sortis, il meprévint que le hasard m’avait conduit au café d’Orange, le plusdécrié de Londres.

«&|160;— Mais vous y allez&|160;!

«&|160;— Moi, je puis y aller, escorté du versde Juvénal&|160;:

Cantabit vacuus coram latrone viator.

Les fripons n’ont aucune prise sur moi&|160;;je les connais, ils me connaissent&|160;; nous ne nous parlonspoint.&|160;»

S’il ne retourna pas au café d’Orange,Casanova voulut connaître toutes les tavernes.

«&|160;J’allai dîner à toutes les tavernes debon et de mauvais ton pour me faire aux mœurs de ces insulaires sigrands et si petits.&|160;»

C’est dans les tavernes que l’on invitait àdîner ses amis.

«&|160;À Londres, dit Casanova, on peut bieninviter un homme comme il faut à dîner en compagnie à la taverne,où il paye son écot, c’est l’habitude, mais non à sa propre, table.Je fus un jour invité, au parc Saint-James, par un cadet du duc deBeaufort, à manger des huîtres et à boire une bouteille dechampagne. J’acceptai, et arrivé à la taverne il commanda deshuîtres et une bouteille de champagne. Mais nous en bûmes deux, etil me fit payer la moitié de la seconde. Telles sont les mœurs audelà de la Manche. On me riait au nez quand je disais que jemangeais chez moi, parce qu’aux tavernes on ne donnait pas lasoupe&|160;: — Êtes-vous malade&|160;? me disait-on, car la soupen’est bonne que pour les gens malades.&|160;» L’Anglais estsouverainement carnivore&|160;; il ne mange presque pas de pain etse prétend économe, parce qu’il épargne la dépense de la soupe etdu dessert, ce qui m’a fait dire que le dîner anglais n’a nicommencement ni fin. La soupe est considérée comme une grandedépense, parce que les gens de service même ne voudraient pasmanger de la viande qui aurait servi à faire le bouillon. Ilsprétendent que le bouilli n’est bon que pour être donné au chien.Au fait, le bœuf salé qui leur en tient lieu est excellent. Il n’enest pas de même de leur bière, à laquelle il me fut impossible dem’accoutumer, son amertume me paraissant insoutenable. Au reste, cequi contribua peut-être à m’en dégoûter, ce furent les vinsexcellents de France que mon marchand de vin me fournissait&|160;;ils étaient très purs, mais très chers.&|160;»

Voici une autre visite de Casanova dans unetaverne&|160;:

«&|160;…J’allai dîner à Star-tavern,où l’on m’avait dit que l’on trouvait les filles les plus jolies etles plus réservées de Londres. C’était de lord Pembroke que jetenais cette nouvelle&|160;; il y allait fort souvent. En arrivantà la taverne, je demande un cabinet particulier, et le maître,s’apercevant que je ne parlais pas l’anglais, vint me tenircompagnie, m’aborda en français, ordonna ce que je voulais etm’étonna, par ses manières nobles, graves et décentes, au point queje n’eus pas le courage de lui dire que je désirais dîner avec unejolie Anglaise. Je lui dis à la fin, avec des détours trèsrespectueux, que je ne savais pas si lord Pembroke m’avait trompéen me disant que je pourrais trouver chez lui les plus joliesfilles de Londres.

«&|160;— Il ne vous a point trompé, monsieur,et si vous en désirez, vous pouvez en avoir à souhait.

«&|160;— Je suis venu dans cetteintention.

«&|160;Il appelle, et un garçon fort propres’étant présenté, il lui ordonna de faire venir une fille pour monservice, du même ton qu’il lui aurait dit de m’apporter unebouteille de champagne. Le jeune homme sort et quelques minutesaprès je vois entrer une fille aux formes herculéennes.

«&|160;— Monsieur, lui dis-je, l’aspect decette fille ne me revient pas.

«&|160;— Donnez un shilling pour les porteurset renvoyez-la, On ne fait pas de façons à Londres, monsieur.

«&|160;Ce propos m’ayant mis à mon aise,j’ordonnai qu’on donnât un shilling et qu’on m’en amenât une autreplus jolie. La seconde vint pire que la première, et je la renvoyaiainsi que dix autres qui vinrent à la suite, charmé de voir que mongoût difficile amusait le maître, qui me tenait toujourscompagnie.

«&|160;— Je ne veux plus de filles, luidis-je&|160;; je ne veux que bien dîner. Je suis sûr que lepourvoyeur s’est moqué de moi pour faire plaisir aux porteurs.

«&|160;— C’est très possible, monsieur, etcela leur arrive souvent, quand on ne leur donne pas le nom et lademeure de la fille que l’on veut.&|160;»

Casanova raconta à lord Pembroke samésaventure&|160;:

«&|160;Il partit d’un grand éclat de rirequand je lui dis qu’à Star-tavern j’avais renvoyé une vingtaine defilles sans m’accommoder d’aucune, et qu’il était la cause de mondésappointement.

«&|160;— Je ne vous, ai pas dit le nom decelles que j’envoie chercher, et j’ai eu tort.

«&|160;— Oui, vous auriez dû me le dire.

«&|160;— Mais, ne vous connaissant pas, ellesne seraient pas venues, car elles ne sont pas à la disposition dupourvoyeur. Promettez-moi de les payer comme moi, et je vousdonnerai des billets qui les feront venir.

«&|160;— Pourrai-je aussi les avoirici&|160;? «&|160;— À votre choix.

«&|160;— Eh bien, cela me convientmieux, faites-moi des billets et donnez la préférence à celles quiparlent français.

«&|160;— Voilà le mal&|160;; les plusbelles ne parlent qu’anglais.

«&|160;— Faites toujours&|160;; pour ceque je veux en faire, nous nous comprendrons.&|160;»

«&|160;Il écrivit plusieurs billets àquatre et à six guinées&|160;; une seule était marquéedouze.

«&|160;— Celle-ci est donc le doubleplus belle&|160;? lui dis-je.

«&|160;— Ce n’est pas précisément lecas, mais elle fait cocu un duc et pair de la Grande-Bretagne quil’entretient et qui n’en use qu’une ou deux fois parmois.

«&|160;… N’ayant rien à faire cejour-là, j’envoyai Jarbe[1] chez l’unedes belles que Pembroke avait taxées à quatre guinées, en luifaisant dire que c’était pour dîner tête à tête avecelle.

«&|160;Elle vint, mais, malgré l’envie quej’avais de la trouver aimable, je ne la trouvai bonne que pourbadiner un instant après dîner. Elle ne devait pas s’attendre àquatre guinées que je ne lui avais pas fait gagner&|160;; aussi jela renvoyai fort contente en les lui mettant dans la main. Laseconde, au même taux, soupa avec moi le lendemain&|160;; elleavait été fort jolie&|160;; elle l’était encore&|160;; mais je latrouvai triste et trop passive, de sorte que je ne pus me résoudreà la faire déshabiller.

«&|160;Le troisième jour, n’ayant point envied’essayer encore d’un troisième billet, j’allai à Covent-Garden, etm’étant trouvé face à face d’une jeune personne attrayante, jel’abordai en français, en lui demandant si elle voulait venirsouper avec moi.

«&|160;— Que me donnerez-vous audessert&|160;?

«&|160;— Trois guinées.

«&|160;— Je suis à vos ordres.

«&|160;Après le théâtre, je me fis servir unbon souper pour deux, et elle me tint tête comme je l’aimais. Quandnous eûmes soupé, je lui demandai son adresse, et je fus fortsurpris quand je trouvai que c’était l’une de celles que lordPembroke m’avait taxées à six guinées. Je jugeai qu’il fallaitfaire ses affaires par soi-même ou n’avoir pas de grands seigneurspour agents. Les autres billets ne me procurèrent que des objets àpeine dignes d’attention.

«&|160;La dernière, celle de douze guinées,que je m’étais réservée pour la bonne bouche, fut celle qui me plutle moins. Je ne la trouvai pas digne d’un sacrifice et je ne mesouciai point de cocufier le noble lord quil’entretenait.&|160;»

Les parties que Casanova fit dans les taverneslondoniennes furent parfois de véritables orgies, et voici le récitd’une de ces folies, mais le célèbre aventurier ne fit qu’yfigurer, triste qu’il était des misères que lui faisait subir cetteCharpillon, qui pendant une partie du séjour de Seingalt enAngleterre fut son bourreau. Casanova voulait se suicider&|160;; ilfit rencontre du chevalier Edgard, jeune Anglais, aimable,riche, qui le sauva&|160;:

«&|160;— Fort bien, dit Edgard… je ne vousquitte pas&|160;; après la promenade nous irons au Canon.Je vais faire prévenir une jeune fille qui devait venir dîner avecmoi de venir nous y joindre avec une jeune Française charmante, etnous ferons partie carrée.

«&|160;Je lui donnai ma parole d’allerl’attendre au Canon…

«&|160;Edgard revint bientôt et fut content deme retrouver…

«&|160;Les discours sensés badins et toujourspleins de bienveillance que me tenait ce jeune homme me faisaientdu bien&|160;; je commençais à le sentir, quand les deux jeunesfolles arrivèrent, portant la gaieté sur leur charmantephysionomie. Elles étaient faites pour le plaisir et la nature lesavait largement pourvues de tout ce qui allume les désirs dans lesplus froids des hommes. Je leur ai rendu toute la justice qu’ellesméritaient, mais sans leur faire l’accueil auquel elles étaientaccoutumées…

«&|160;Nous eûmes un dîner à l’anglaise,c’est-à-dire sans l’essentiel, sans soupe&|160;; aussi je n’avalaique quelques huîtres avec du vin de Graves délicieux&|160;; mais jeme sentais bien, car je trouvais du plaisir à voir Edgard occuperhabilement les deux nymphes.

«&|160;Dans le fort de la joie, ce jeune fouproposa à l’Anglaise de danser le Rompaipe en costume dela mère Ève, et elle y consentit, pourvu que nous prissions lecostume du père Adam et que l’on trouvât les musiciensaveugles…

«&|160;On me dispensa des frais de toilette, àcondition que si je venais à sentir l’aiguille de la volupté, je medépouillerais comme les autres. Je promis. On alla chercher lesaveugles, on ferma les portes, et les toilettes s’étant faitespendant que les artistes accordaient leurs instruments, l’orgiecommença.

«&|160;Ce fut un de ces moments dans lesquelsj’ai connu beaucoup de vérités. Dans celui-là j’ai vu que lesplaisirs de l’amour sont l’effet et non la cause de la gaîté.J’avais sous mes yeux trois corps superbes, admirables de fraîcheuret de régularité&|160;; leurs mouvements, leur grâce, leurs gesteset jusqu’à la musique, tout était ravissant, séduisant&|160;; maisaucune émotion ne vint m’annoncer que j’y fusse sensible. Ledanseur conserva l’air conquérant, même pendant la danse, et jem’étonnais de n’avoir jamais fait cette expérience sur moi-même.Après la danse, il fêta les deux belles, allant de l’une à l’autrejusqu’à ce que l’effet naturel l’eût rendu inhabile en le forçantau repos. La Française vint s’assurer si je donnais quelque signede vie&|160;; mais sentant mon néant, elle me déclara invalide.

«&|160;L’orgie terminée, je priai Edgard dedonner quatre guinées à la Française et de payer les frais, n’ayantque peu d’argent sur moi.&|160;»

Parmi les lieux fréquentés par les débauchésse trouvaient les bagnios.

Les bagnios avaient été d’abord devéritables établissements de bains.

C’est dans un bagnio que Tillotson,qui fut dans le XVII° siècle le plus profond théologien et leprédicateur le plus éloquent de la Grande-Bretagne, eut l’aventuresuivante, qui montre qu’il pouvait aussi prétendre au titre d’hommele plus distrait de l’Angleterre.

Ayant donc été dans un bagnio, il s’ybaigna, enfoncé dans ses méditations&|160;; lorsqu’il se rhabilla,il oublia de mettre sa culotte et sortit gravement dans la rue.

Tout le monde éclatait de rire en le regardantet une troupe d’enfants le suivit. Finalement, il entra dans uneboutique et demanda ce qui causait tant de désordre. On lui en ditla cause et, plein de confusion, Tillotson envoya chercher laculotte.

C’est encore Tillotson qui, discutant avecquelques savants, sentit une mouche le piquer à la jambe. Il se mità gratter la jambe de son voisin qui le laissait faire. Tillotson,qui se sentait toujours piquer, continua à gratter la jambe de sonvoisin en trouvant qu’il ne concevait pas l’obstination de cettemouche qui le perçait jusqu’au sang…

** * * *

Peu à peu, il arriva que les bagnios ne furentplus destinés qu’au plaisir.

Ces maisons, qui existaient encore aucommencement du XIX siècle, étaient montées avec magnificence. Cen’étaient que tapis précieux, meubles somptueux. On y trouvait toutce qui pouvait flatter les sens, dont aucun n’avait été oublié. LesAnglais s’y livraient à la débauche la plus dispendieuse. Un jeunehomme de Southampton, qui n’avait jamais mis les pieds à Londres,vint à perdre son père, qui le laissa maître d’une fortune de4o,ooo livres sterling.

Notre héritier voulut visiter la capitale et,arrivé à Londres, il descendit dans un bagnio dont il nevoulut plus sortir. Peu accoutumés à recevoir des gens aussiprodigues, les tenanciers du bagnio résolurent de plumerle pigeon. On l’entoura de good companions, de filleschoisies parmi les plus jeunes, les plus belles et les plusspirituelles. À ses frais, on lui donna de la musique, des banquetsoù les vins les plus chers n’étaient pas épargnés. Cette orgiedurait depuis un mois, lorsque notre provincial se souvint d’un amiqu’il avait à Londres. Il l’envoya chercher pour qu’il prît part àses débauches. Mais l’ami était un homme sérieux qui, non sanspeine, décida le séquestré volontaire à sortir du mauvais lieu.

Il fallut payer ce qui avait été dépensé, etla carte s’élevait à 12, 000 livrés sterling (environ 296, 000francs).

L’ami du provincial s’opposa à ce qu’on ledépouillât. On plaida, et le tribunal jugea qu’un mois de plaisirsincessants dans un bagnio ne valaient que 2, 000 livres sterling,que l’habitant de Southampton fut condamné à payer.

** * * *

Le plus réputé parmi les bagniosétait celui de Molly King, au milieu de Covent-Garden.

Il y avait aussi celui de la mère Douglas,connue sous le nom de Mère Cole et que, Cleland a dépeintesous ce nom, ainsi que le fit ensuite Foote dans sa fameusecomédie, la Bouquetière de Bath.

Ses traits ont été fixés par Hogarth. C’étaitune femme maniérée, rebondie, hypocrite, dévote et soularde. C’estencore elle qui inventa la capeline.

Le bagnio de Mrs. Gould était un desplus élégants et renommé pour les liqueurs qu’on y servait.

Mrs. Stanhope tenait un bagnioégalement fameux et connu sous le nom de HellfireStanhope. Cette procureuse était la maîtresse du président del’Hellfire-Club ou Club du feu d’enfer, où l’on se livraitaux orgies cruelles et sataniques. Mrs. Stanhope était riche, etc’était chez elle que l’on trouvait les plus belles filles. Il yavait encore le Saint-James-Bagnio et leKey-Bagnio.

Casanova ne manqua pas de visiter lesbagnios.

«&|160;Je voulus aussi, écrit-il, dès lapremière semaine, connaître les bains choisis, où un homme riche vasouper, coucher et se baigner avec une catin de bon ton, espèce quin’est pas rare à Londres. C’est une partie de débauche magnifiqueet qui ne coûte que six guinées. L’économie peut réduire la dépenseà cent francs, mais l’économie qui gâte les plaisirs n’était pas demon fait.&|160;»

Toutefois, plus loin, Casanova paraît secontredire, il semble qu’il ne connut les bagnios que plustard et qu’il y fut mené par lord Pembroke longtemps après sonarrivée à Londres et pendant ses démêlés avec la Charpillon.

«&|160;Je passai le jour suivant avecl’aimable lord, qui me fit connaître le bagnio àl’anglaise, partie de plaisir qui coûte fort cher et que je nem’arrêterai pas à décrire, parce qu’elle est connue de tous ceuxqui ont voulu dépenser six guinées pour se procurer cettejouissance. Nous eûmes, dans cette partie, deux sœurs fort joliesqu’on appelait les Garis.&|160;»

** * * *

Il y avait aussi, à Londres, des maisonsdiscrètes où l’on trouvait deux ou trois filles. Mais le premierseraglio venait à peine d’être ouvert par Mrs. Goadby, quimérita le surnom de la grande Goadby. C’est elle qui donna à sonétablissement le nom de seraglio. Elle avait un grandnombre de femmes à demeure, qui devaient boire ferme la nuit avecles soupeurs, et, le jour, brodaient, jouaient de la guitare enbuvant du lait d’amandes. Les clients ne venaient guère qu’après lafermeture des théâtres.

Les seraglios se multiplièrentvite.

** * * *

Voici réimprimées d’après un ouvrage rare,Les Sérails de Londres, livre traduit de l’anglais, lesdescriptions des lieux de prostitution à Londres, au XVIII°siècle&|160;:

«&|160;Ce siècle d’avancement[2] et de perfection dans les arts, lessciences, le goût, l’élégance, la politesse, le luxe, la débaucheet même le vice, devait être particulièrement distingué par le modeet les cérémonies usités dans le culte rendu à la déesse deCypris.

«&|160;Nos pères connaissaient si peu ce quel’on appelle aujourd’hui le ton qu’ils regardaient infâme touthomme qui entretenait une maîtresse&|160;; les saillies même de lajeunesse étaient inexcusables&|160;; il fallait, avant le vœumatrimonial, observer très religieusement, des deux côtés, le plusparfait célibat. L’adultère était alors jugé un des plus grandscrimes que l’on pût commettre&|160;; et lorsqu’une femme s’enrendait coupable, fût-elle de la plus haute noblesse, on labannissait de la société&|160;; ses parents et ses amis ne laregardaient même pas. Aujourd’hui, la véritable politesse, établiesur les principes les plus libéraux du savoir-vivre, apris la place de ces notions gothiques&|160;: la galanterie s’estintroduite graduellement jusqu’à ce qu’elle ait atteint son présentdegré de perfection.

«&|160;Ce fut sous le règne de CharlesII qu’elle commença à prendre naissance. Ce monarque enétablit l’exemple dans le choix et le nombre de ses maîtresses pourses courtisans et ses sujets&|160;; mais dès que Jacques,ce prince moine et bigot (qui, comme l’avait observé LouisXIV, perdit trois royaumes pour une messe), parvint au trône,la galanterie fut alors bannie de ces royaumes.

«&|160;À. l’avènement de George I°,les dames reprirent leur pouvoir. La gaieté et la familiaritéétablirent un commerce entre les deux sexes. Il n’y avait point departie complète sans les dames&|160;; ces parties devinrent ensuiteplus particulières et favorisèrent les desseins des amants.L’intrigue commença alors à éviter les regards de la cour que lepalais avait favorisée&|160;; et les courtisans, pour mieux suivreleur passion, se retirèrent dans les boudoirs.

«&|160;Sous le règne de George II, lagalanterie se purifia&|160;; elle devint une science pour ceux quivoulurent intriguer avec dignité. Les femmes eurent alors toutpouvoir à Saint-James. On faisait plus sa cour à la maîtresse d’unhomme puissant qu’au premier ministre, et les dignitaires del’Église ne se croyaient pas déshonorés de solliciter les faveursd’une Laïs favorite.

«&|160;Le règne présent est celui où lagalanterie et l’intrigue sont parvenues au plus haut degré deperfection.

«&|160;Les divorces ne furent jamais simultipliés qu’ils le sont de nos jours&|160;; il ne faut pass’imaginer qu’ils sont occasionnés par aucune affection réelle del’une ou l’autre des parties, car si elles se sont unies parl’intérêt ou l’alliance, de même elles se désunissent par l’intérêtou le caprice d’un autre mariage.

«&|160;Des femmes entretenues, nous passeronsà celles que l’on peut se procurer pour une somme stipulée. Avantl’institution des sérails, le théâtre principal des plaisirslascifs était dans le voisinage de Covent-Garden. Ilexiste encore quelques libertines de ce temps qui doivent seressouvenir des amusements nocturnes de Moll-king, aucentre du marché de Covent-Garden. Ce rendez-vous était leréceptacle général des prostituées et libertines de tous les rangs.À cette époque, il y avait sous le marché un jeu public appelélord Mordington. Plusieurs familles ont dû leur ruine àcette association&|160;; elle était souvent la dernière ressourcedu négociant gêné qui allait droit dans cet endroit avec lapropriété de ses créanciers, dans l’espérance de s’yenrichir&|160;; mais il était entouré de tant d’escrocs qui, parleurs artifices, le trompaient si adroitement que c’était unmiracle lorsqu’il retournait chez lui avec une guinée dans sapoche. De cet établissement infernal, le joueur ruiné qui n’avaitpas un schelling pour se procurer un logement se rendait chezMoll-king pour y passer le reste de la nuit&|160;; si par hasard ilavait une montre ou une paire de boucles d’argent, tandis qu’ildormait, les mains habiles de l’un et l’autre sexe remplissaientles devoirs de leur vocation et la victime malheureuse de lafortune devenait alors une victime plus malheureuse de Mercure etde ses disciples.

«&|160;Lorsque Moll-king quitta sesrendez-vous nocturnes, elle se retira avec une fortune trèsconsidérable, qu’elle avait amassée par les folies, les vices et lelibertinage du siècle.

«&|160;Vers le même temps, la mèreDouglas, mieux connue sous le nom de mère Cole, avaitla plus grande réputation. Elle ne recevait dans sa maison que deslibertins du premier rang&|160;; les princes et les pairs lafréquentaient, et elle les traitait en proportion de leursdignités&|160;; les femmes de la première distinction y venaientfréquemment incognito, le plus grand secret était strictementobservé, et il arrivait souvent que, tandis que milord jouissaitdans une chambre des embrassements de Chloé, son épouse lui rendaitla chance dans la pièce adjacente.

«&|160;Il y avait à cette époque, à l’entourde Covent-Garden, d’autres endroits de marque inférieure.Mme&|160;Gould fut la première en vogue, après la mèreDouglas. Elle jouait la dame de qualité&|160;; elle méprisait lesfemmes qui juraient ou parlaient indécemment, et elle ne recevaitpas celles qui étaient adonnées à la débauche. Ses pratiquesconsistaient en citoyens riches qui, sous le prétexte d’aller à lacampagne, venaient le samedi soir dans sa maison et y restaientjusqu’au lundi matin&|160;; elle les traitait du mieux qu’il luiétait possible&|160;; ses liqueurs étaient excellentes, sescourtisanes très honnêtes, ses lits et ses meubles du goût le plusélégant. Elle avait un cher ami dans la personne d’un certainnotaire-public, d’extraction juive, pour qui elle avait un trèsgrand penchant, en raison de ses rares qualités et de ses grandescapacités.

«&|160;Près de cet endroit était une autremaison de plaisir, tenue par une dame connue sous le nom deHelle-Fire-Stanhope&|160;; on l’appelait ainsi à cause dela liaison intime qu’elle avait eue avec un gentilhomme à qui onavait donné ce sobriquet, parce qu’il avait été président duclub de Helle-Fire. Mme&|160;Stanhope passaitpour une femme aimable et spirituelle&|160;; elle avaitgénéralement chez elle les plus belles personnes de Covent-Gardenet elle ne recevait que celles qui avaient le ton de la bonnecompagnie.

** * * *

«&|160;Commençons ce chapitre en donnant unedescription de ces deux fameux et infâmes endroits de rendez-vousnocturnes connus sous le nom de Weatherby et deMargeram.

«&|160;Le premier de ces endroits, où seréfugiaient les fripons, les débauchés, les voleurs, les filous etles escrocs, fut, dans l’origine, établi, il y a environ trenteans, par Weatherby, peu de temps après la retraite de Moll-king.Son institution ne fut pas plus tôt connue qu’un grand nombre defilles de Vénus, de tous les rangs et conditions, depuis lamaîtresse entretenue jusqu’à la barboteuse, se rendirent dans lamaison. Un méchant déshabillé était un passeport suffisant pour cetendroit de libertinage et de dissipation. La malheureuse quimourait de faim, tandis qu’elle lavait sa seule et unique chemise,était sûre, en entrant dans cet infâme lieu, d’y rencontrer unjeune apprenti qui la régalait d’une tranche de mouton et d’un potde bière&|160;; et, s’il avait un peu d’argent, elle lui faisaitpayer pour dix-huit sols de punch et l’engageait à passer le restede la nuit avec elle.

«&|160;Lucy Cooper avait coutume devenir fréquemment dans ce séjour de prostitution&|160;: non qu’elleeût l’intention de disposer de ses charmes à un prix aussi vil quecelui de cet endroit, ni qu’elle y fût conduite par lanécessite&|160;; car elle était alors élégamment entretenue par feule baronnet Orlando Br…n, un vieux débauché, qui était sienchanté de ses reparties qu’il l’aurait épousée si elle n’eût paseu la générosité de refuser sa main, pour ne point couvrir safamille de déshonneur. Quoiqu’il ne lui laissât manquer de rien etqu’il eût pour elle tous les soins imaginables, la voiture de Lucyétait souvent pendant vingt-quatre heures, et quelquefois plus,arrêtée à la porte de Weatherby. D’après ce récit, le lecteur estsans doute curieux de savoir ce qui la portait à fréquenter cettemaison de débauche, plutôt que de rester dans son hôtel. Ladissipation était sa devise&|160;; elle haïssait le baronnet, etchez Weatherby elle était sûre d’y rencontrerPalmerl’acteur, Bet Weyms, AlexandreStevens, Derrick et autres esprits dont la compagnielui était agréable.

«&|160;À. la retraite du vieux baronnet, lesaffaires de Lucy prirent une tournure bien différente&|160;; ellene donna plus de dîners au beau Tracey ni au roi Derrickqui était dans la plus grande misère. Sa Majesté a compté plusd’une fois les arbres du parc pour un repas&|160;; mais si quelqueconnaissance amicale ne prenait pas compassion de lui et nel’invitait pas à se rendre à son logis, alors il faisait le tour dela cuisine de Lucy ou de Charlotte Hayes. À cette époque,cette dernière dame était entretenue par Tracey, un des hommes lesplus dissipés du siècle par rapport au beau sexe&|160;; il avaitcinq pieds neuf pouces de haut&|160;; sa taille était celle d’unHercule et sa contenance tout à fait agréable&|160;; l’extravagancede sa parure lui avait fait donner l’étiquette de beauTracey. Abstraction de ses qualités pour les femmes,c’était un homme au-dessus du médiocre pour le bon sens etl’instruction&|160;; il était écolier supportable, il avait unebibliothèque assez bien composée, il aimait tellement les livresque, pendant que son perruquier arrangeait ses cheveux, il lisaitconstamment quelque auteur estimé et il disait en cette occasion«&|160;que tandis qu’on embellissait l’extérieur de sa tête, ilpolissait toujours la région intérieure&|160;». Il serait à désirerque les jeunes gens du siècle qui affectent le savoir suivissent laremarque judicieuse d’un homme adonné à la dissipation et à ladébauche, et qui, quoiqu’il fût d’une forte constitution,détruisit, par ses vices, sa santé avant d’avoir atteint satrentième année&|160;; mais nos élégants du jour n’ont quel’extérieur&|160;; ils n’ont d’expressions dans leur contenance quecelles que leur donnent leurs perruquiers et leurs parures.

«&|160;La pauvreté de Derrick étaitquelquefois si grande qu’il n’avait ni souliers ni bas. Se trouvantun jour dans cette situation au café Forrest, à Charing-Cross, ilse retira plusieurs fois dans le temple Cloacinien pour rajusterses bas qui, méchamment, déployaient, à chaque minute, des trousremarquables, ce qui mettait le roi hors de contenance. Le docteurSmolletétait présent&|160;; il aperçut son embarras et luidit&|160;: «&|160;Il faut, Derrick, que vous soyez bien relâchépour aller si souvent au cabinet.&|160;» Comme il n’y avait pointd’étrangers dans le café, Derrick pensa qu’il pourrait tireravantage de l’observation et se procurer une bonne paire de bas parune plaisanterie&|160;; exposant alors sa pauvreté&|160;: «&|160;Ilest vrai, docteur, répliqua-t-il, mais le relâchement est dans mestalons, comme vous pouvez aisément le voir.&|160;» — «&|160;Sur monhonneur, Derrick, reprit Smollet, je l’avais jugé de même, car vospieds sentent mauvais.&|160;» Le malheur fut que l’observation setrouva juste. Cependant le docteur, pour lui faire réparation de lasévérité de sa raillerie, l’emmena chez lui, lui donna un bon dîneret, à son départ, il lui remit une guinée pour se procurer des baset des souliers.

«&|160;Nous avons donné la description desamis de Lucy Cooper et des autres personnes qui fréquentaient lamaison Weatherby, dans le temps de sa célébrité, afin de poursuivrehistoricalement notre narration. Bientôt après, elle n’eut plus lamême vogue&|160;; les disputes et les rixes qui toutes les nuitsavaient lieu dans cet endroit troublèrent à tel point le voisinageque la maîtresse de ce logis, conformément aux peines de la loi,fut emprisonnée et exposée sur le tabouret.

«&|160;La maison de Margeram était dans lamême rue, directement opposée à celle de Weartherby&|160;; elleétait établie sur le même pied&|160;; on la regardait comme lapetite pièce d’un spectacle, ou, pour mieux dire, on s’y rendaitcomme on passait autrefois du Vauxhall au Ranelagh, c’est-à-direque dès que l’on se trouvait fatigué des amusements d’un endroit,on allait à l’autre et on y restait toute la soirée. Ce rendez-vousne dura pas longtemps après la suppression de l’autre.

«&|160;Après avoir ainsi parcouru dès sanaissance les progrès de l’intrigue, de la galanterie et dulibertinage dans ses différents établissements, nous arrivons àl’époque où ces amusements nocturnes furent établis à l’extrémitéméridionale de la ville, sous une forme plus honnête et plusagréable et sous la dénomination d’Institution des Sérails.

«&|160;Mme&|160;Goadby fut la premièrefondatrice de ces sortes de couvents, dans sa maison deBerwick-Street, Soho. Elle avait voyagé en France et avaitété initiée dans les sérails des boulevards de Paris, sous ladirection des dames Pâris et Montigny, deuxanciennes abbesses qui connaissaient parfaitement tous les mystèreset les secrets de leur profession. Ces deux endroits renfermaientun certain nombre des plus belles prostituées de cette ville&|160;;elles étaient de différents pays et de différentes religions&|160;;mais elles étaient toutes unies par la même doctrine que l’onappelait la croyance de Paphos&|160;; elle consistait en peud’articles. Le premier, la plus grande soumission à la mèreabbesse, dont les décrets étaient irrévocables et la conduite jugéeinfaillible&|160;; le second, le zèle le plus sincère pour lesrites et les cérémonies de la déesse de Cypris, l’attention la plusstricte à satisfaire leurs admirateurs dans leurs fantaisies, leurscaprices et extravagances, et à prévenir, par leurs soins assidus,leurs souhaits et leurs désirs&|160;; enfin, à éviter les excès dela boisson et de la débauche, afin qu’elles pussent toujours avoirun air de modestie et de décence, même au milieu de leursamusements. Ces articles et quelques autres formaient leurconstitution. Enfin, c’était un crime impardonnable de cacher à lamère abbesse les présents et autres gratifications pécuniairesqu’elles recevaient au delà des prix fixés du sérail, lesquelsétaient très modérés. Une nuit de plaisir avec une sultane, un bonsouper et autres dépenses se payait un louis d’or, somme qui auraitsuffi à défrayer une de nos dames de la perte de son temps, sanscompter les rubans et autres ajustements du soir, ni mentionner lesouper, le vin de champagne mousseux et autres dépenses de lamaison.

«&|160;Ces dévotes de Vénus passaientordinairement leur après-dîner jusqu’au soir dans un grandsalon&|160;; quelques-unes pinçaient de la guitare, tandis qued’autres les accompagnaient de la voix&|160;; il y en avait quibrodaient au tambour ou festonnaient&|160;; on leur interdisaitl’usage des liqueurs, excepté l’orgeat, le sirop capillaire etautres boissons innocentes, afin que leurs esprits ne fussent pointéchauffés et qu’elles observassent le plus strict décorum.

«&|160;L’amateur des dames se rendait dans cesendroits avant la comédie ou l’opéra, et, semblable au grandseigneur, il jetait son mouchoir à la sultane favorite de lanuit&|160;; si elle le ramassait, c’était une preuve qu’elleacceptait le défi, et conformément aux lois du sérail&|160;; ellene voyait personne et elle lui était fidèle pour cette nuit.

«&|160;Mme&|160;Goadby, à son retour deFrance, commença à raffiner nos amusements amoureux et à lesétablir d’après le système parisien&|160;: elle meubla une maisondans le goût le plus élégant&|160;; elle engagea les filles de joiede Londres les plus accréditées&|160;; elle prit un chirurgien pourexaminer leur salubrité et n’en recevait aucune qui, à cet égard,paraissait douteuse. Ayant apporté avec elle une grande quantitéd’étoffes de soie et de dentelles des manufactures françaises, ellese trouva en état d’habiller ses vestales dans le goût le plusrecherché&|160;; elle y employa donc tous ses soins&|160;; mais ensuivant le plan des sérails parisiens, il y eut deux articlesqu’elle n’observa point, l’économie des prix et. l’abolition desliqueurs jusqu’au temps du souper. Mme&|160;Goadby ne recevaitpoint les bourgeois dans son sérail, mais les personnes de rang etde fortune, dont les bourses s’ouvraient largement lorsqu’ils’agissait de satisfaire leurs passions, et à l’extravagancedesquelles elle proportionnait toujours ses demandes&|160;; aussielle amassa en peu de temps une fortune considérable&|160;; elleacheta des terres et elle devint, par la suite, une femme vertueusede caractère et de réputation.

** * * *

«&|160;Le succès de Mme&|160;Goadby dans sanouvelle entreprise engagea plusieurs personnes à l’imiter dans sonplan. Charlotte Hayes, femme bien connue par sa galanterieet ses intrigues, suivit son exemple&|160;; elle loua une maisondans King’s-place, Pall-mall, elle la meublamagnifiquement et parut sur ses rangs peu de temps après avecéclat.

«&|160;Charlotte Hayes, Lucy Cooper etNancy Jones sortirent vers ce temps de leur obscurité etse montrèrent avec avantage dans les endroits publics. Nous avonsdéjà parlé du caractère de Lucy. Quant à la pauvre Nancy Jones,elle fut seulement le météore d’une heure&|160;; elle était une desplus jolies grisettes de la ville, mais ayant eu la petite vérole,cette cruelle maladie défigura tellement ses traits qu’il étaitimpossible de la reconnaître. Comme Nancy n’avait plus alors lamoindre prétention de captiver, que sa figure hideuse lui avaitfait perdre ses connaissances et l’empêchait d’entrer dans lesséminaires amoureux, comme elle avait été obligée de vendre sesmeubles pour se faire soigner pendant sa maladie, qu’elle, n’avaitplus, ni voiture élégante ni habillements magnifiques, qu’elleétait, en un mot, dans la plus grande détresse, elle se vit donccontrainte à parcourir les rues dans l’espoir de rencontrer quelquecitoyen ivre ou quelque apprenti endimanché qui pût lui donner unméchant repas. Dans le cours de cette carrière choquante, ellecontracta une certaine maladie qui la força d’aller à l’hôpital, oùelle paya bientôt la dette de la nature.

«&|160;Quant à Lucy, ses affaires, après lamort du baronnet Orlando, prirent une tournure trèsdésagréable&|160;; elle avait, par son intempérance et sa débauche,bien affaibli sa constitution&|160;; sa figure vive et tout à faitagréable était bien changée, elle n’avait plus les charmessuffisants pour captiver un homme, au point de la placer dans lemême état de splendeur dont elle avait joui pendant quelque temps.Il est vrai que Fett…acela secourut autant qu’il le put,mais ses affaires étaient tellement dérangées que, pour éviterl’impertinence de ses créanciers, il fut obligé de partir pour lecontinent. Lucy, abandonnée de tous côtés, après avoir disposé desa vaisselle, de ses meubles et hardes pour vivre, fut poursuiviepar ses créanciers et enfermée jusqu’au moment où elle fut mise enliberté par un acte d’insolvabilité.

«&|160;Après son élargissement, Lucy se vitcontrainte de recommencer de nouveau son état dans un temps où elleaurait dû assurer son sort pour le reste de ses jours. Elle trouvacependant des amis qui l’aidèrent à établir un séminaire àl’extrémité de Bow-Street, où elle fit assez bien sesaffaires pendant quelques mois, mais en peu de mois ses débauchesla réduisirent au tombeau.

«&|160;Charlotte avait pris tant d’empire surle beau Tracey qu’il faisait ce qu’elle lui commandait&|160;; nousavons déjà observé qu’il était devenu, par la suite de sesdébauches, un homme très faible pour les femmes&|160;; aussiCharlotte le trompait notoirement&|160;; il le voyait et il n’osaitlui en faire de reproches. Quand elle se prenait d’inclination pourun homme dont elle voulait jouir, elle lui donnait rendez-vous àShakespeare ou à la Rose, et là elle le régalait de la manière laplus somptueuse aux dépens de Tracey, car il lui avait donné créditdans ces deux maisons&|160;; mais lorsqu’il croyait que la dépensene devait se monter qu’à quatre ou cinq livres sterling, il étaitétonné de la voir portée à trente ou quarante. Quand Charlottemanquait d’argent, elle avait un moyen ingénieux pour s’enprocurer&|160;: elle s’habillait avec élégance et volupté, elleallait chez Tracey, elle prétendait être dans le plus grandembarras pour aller à la comédie ou aux autres spectacles, etquand, par des artifices bien connus aux femmes de cette caste,elle avait émouvé ses sens, elle ne demeurait pas un moment de plusà moins qu’il ne lui donnât une guinée, ce à quoi il se soumettaitde bonne grâce pour jouir de sa compagnie&|160;; elle ne restaitpas avec lui plus d’une heure, mais s’il voulait jouir une autreheure de la même faveur, encore une autre guinée&|160;; ainsi ellelui faisait, de cette manière, si bien payer, ses courses qu’ilaurait dépensé en peu de temps la plus grande fortune del’Angleterre&|160;; aussi à sa mort, qui arriva quelques moisaprès, ses affaires se trouvèrent-elles dans le plus granddésordre.

«&|160;Charlotte avait, avant cet accident,rompu avec Tracey. Elle tâcha de se procurer d’autres admirateurs,aussi complaisants que lui, ce qui n’était pas facile àrencontrer&|160;; mais, après une variété de vicissitudes, elle futenfermée pour dettes. Pendant sa captivité elle fit la connaissanceparticulière d’un comte qui, après avoir obtenu sa liberté, luiprocura la sienne. C’est alors que Charlotte forma sonétablissement dans King’s-Place&|160;; elle eut soin d’avoir desmarchandises choisies (telle était son expression). Ses nonnesétaient de la première classe&|160;; elle leur apprenait lesinstructions nécessaires pour le culte de la déesse de Cypris, elleen connaissait tous les mystères, elle savait aussi fixer le prixd’une robe ou autres ajustements, celui, d’une montre, d’une pairede boucles d’oreilles ou autres menus bijoux. Elle l’établissait enproportion de la nourriture, du logement et du blanchissage despersonnes&|160;; en surchargeant ainsi ses nonnes de dettes, ellese les assurait&|160;; lorsque quelques-unes cherchaient às’échapper, elle les renfermait jusqu’à ce qu’elles se fussentacquittées envers elle&|160;; alors ces malheureuses retournaient àleur devoir ou cédaient à l’abbesse leurs vêtements, bijoux, etc.,en un mot, tout ce qu’elles possédaient, afin d’obtenir leurliberté. Tel était le pied sur lequel elle avait établi samaison.

** * * *

«&|160;Les visiteurs du sérail deCharlotte étaient des pairs débiles, qui comptaient plussur l’art et les effets des charmes femelles que sur lanature&|160;; ils avaient usé leurs passions régulières, si on peutles appeler telles&|160;; et ils étaient obligés d’avoir recours,non seulement à la pharmacie, mais encore à l’aide factice del’invention femelle&|160;; des Aldermans impotents et autresLévites riches, qui s’imaginaient que leurs capacités amoureusesn’étaient pas en décadence, tandis qu’ils manquaient de force et dezèle pour pouvoir sans secours remplir leurs dévotions envers ladéesse de Cypris. Charlotte considérait de telles pratiques commedes amis choisis, qui, pour posséder des vierges, oubliaient lavaleur de l’or. Comme ces amoureux visaient à la jeunesse et à labeauté, elle avait toujours un magasin de vestales qui, par leursembrassements innocents, leur procuraient un plaisir inexprimable.Kitty Young et Nancy Feathers étaient denouvelles figures que l’on ne connaissait pas dans la ville et qui,avec une certaine préparation, pouvaient aisément passer pour desvierges&|160;; elles jouèrent donc le rôle de vestales etdonnèrent, pendant plusieurs mois, des preuves de leurs immaculéesvirginités.

«&|160;Voici, à cette occasion, un échantillonde l’état des prix et demandes de ce sérail&|160;:

«&|160;Dimanche, 9 janvier.

«&|160;Une jeune fille pour l’AldermanDrybones. — Nell Blossom, âgée d’environ dix-neufans, qui, depuis quatre jours, n’a fréquenté personne et est dansson état de virginité.

20guinées.

«&|160;Une fille de dix-neuf ans, pas plusâgée, pour le baronnet Harry Flagellam. — NellHardy, de Bow-Street. — Bet-Flourish, deBerners-Street, —ou Miss Birch, elle-même, deChapel-Street.

10guinées

«&|160;Une bonne réjouie pour lordSpasm.— Black Moll, de Hedge Lane, jouissant d’unesanté vigoureuse.

5guinées

«&|160;Colonel Tearall, une femmemodeste. — La servante de Mme&|160;Mitchell, arrivant dupays et n’ayant point encore paru dans le monde.

10guinées

«&|160;Doctor Frettext, aprèsl’office, une jeune personne complaisante, affable, d’une peaublanche et ayant la main douce. — Poll Nimblewrist,d’Oxford Market ou Jenny Speedydhand de May-fair.

2guinées

«&|160;Lady Loveit, arrivant des eauxde Bath, trompée dans ses amours avec lord Alto, désire derencontrer mieux et d’être bien montée cette soirée avant de serendre sur la route de la duchesse de Basto. — Lecapitaine O’Thunder ou Sawney Rawbone.

50guinées

«&|160;Son Excellence le comte Alto,—une femme à la mode, pour la bagatelle seulement pendant uneheure, Mme&|160;O’Smirk, arrivant de Dunkerque, ouMiss Graeful, de Paddington.

10guinées

«&|160;Lord Pyebald, pour jouer unepartie de piquet, prendre les tétons et autre chose, sans en venirà d’autre fin qu’à la politesse. — Mme&|160;Tredrille, deChelsea.

5guinées.

«&|160;Cet échantillon de prix donnera uneidée de la manière dont Charlotte conduisait ses affaires. On serapeut-être embarrassé de savoir comment elle s’y prit pour procurer,dans le même temps, à chacune de ses pratiques, un appartementsuffisant pour les satisfaire conformément à leurs différentsamusements favoris. Elle était trop bonne directrice de sa maisonpour que ses amis ne fussent pas assortis relativement à leursprix. Le Doctor fut donc placé au troisième&|160;; LadyLoveit eut la chambre dans laquelle il y avait un sopha et un litde camp&|160;; l’Alderman Drybones, la chambre desépreuves, qui, quoique petite, était élégante et ne servait quepour ces sortes de cérémonies&|160;; le baronnet HarryFlagellum, la salle des mortifications, qui était pourvue detout ce qui était nécessaire à cet effet&|160;; LordSpasm, la chambre française à coucher&|160;; leColonel passa dans le parloir&|160;; le Comtealla dans le salon de chasteté, et lord Pyebald dans lasalle de jeu. Tandis que Charlotte faisait toutes ses dispositions,elle fut interrompue par l’arrivée d’un jeune gentilhomme quivenait souvent dans la maison et à qui elle avait donné la plusgrande satisfaction à ses amusements. Il entra avec sa gaietéordinaire&|160;; il demanda à Charlotte une bouteille de vin dechampagne&|160;; il la pria de lui faire compagnie et de boire aveclui&|160;; elle y consentit et lui dit qu’étant dans ce moment trèsoccupée, elle espérait qu’il ne la retiendrait pas longtemps. Aprèsavoir porté deux ou trois santés constitutionnelles, conformément àla charte du séminaire, il dit à Charlotte qu’il venait pour uneaffaire très importante, dans laquelle elle devait être leprincipal agent. «&|160;J’allai, la nuit dernière, chezArthur, et, par un malheur inexprimable, je fus enragé devoir que mon partenaire était mon rival heureux au jeu et au lit.Je gageai avec lui mille guinées que, dans le mois, il attraperaitune certaine maladie à la mode.

«&|160;— Eh bien&|160;! milord, dit Charlotte,comment puis-je vous aider dans cette affaire&|160;?

«&|160;— Je vous dirai, répliqua-t-il, qu’à maconnaissance, mon rival a une liaison criminelle avec ma femme.Procurez-moi donc, pour demain soir, une personne qui aitgrandement cette, maladie, afin que je sois complètement en état deme venger de l’infidélité de ma femme et de la bonne fortune de monrival.

«&|160;— Dieux&|160;! s’écria Charlotte, quis’imaginait qu’il voulait l’insulter et jeter du discrédit sur samaison. Vous m’étonnez, milord, et me traitez bien mal, moi qui aitoujours pris le plus grand soin de votre santé. Je ne connaispoint et ne reçois point chez moi de cette espèce.&|160;»

«&|160;Il était temps pour milord d’en venir àune explication plus particulière&|160;; pour la convaincre de lavérité, il tira de sa poche son portefeuille et lui présenta unbillet de banque de trente livres sterling. Cette espèce d’avocatfit sur Charlotte son effet ordinaire&|160;: elle l’écouta avecplus d’attention, et promit de lui procurer un objet conforme à sessouhaits. Le lendemain, la consommation heureuse s’ensuivit, et, aubout de quinze jours, le mari injurié fut convaincu que la doubleinoculation avait eu tout l’effet qu’il en avait désiré. Quelquetemps après, l’associé de son lit parut en public&|160;; milord luidemanda le prix de sa gageure, qu’il paya immédiatement afin de nepas entrer en discussion sur cette affaire.

«&|160;Nous voyons dans quelle variété deservices Charlotte était obligée de s’engager&|160;; elle étaitnécessitée de produire des vierges qui, depuis longtemps nel’étaient plus&|160;; des femelles disposées à satisfaire de toutesles manières possibles le caprice imaginaire de la chair&|160;; desmaîtres de poste pour les dames, capables de donner les leçons lesplus sensibles à la garantie d’une minute près.

«&|160;Vers, les neuf heures du soir,Charlotte, après avoir arrangé tout son monde, était occupée àpréparer un bon souper, lorsqu’une des servantes, en allantchercher de la bière, laissa imprudemment la porte de la rueouverte. Le capitaine Toper, la tête un peu échauffée, sortait dela taverne&|160;; il entre sans être attendu, il monte, il ouvre laporte de la chambre des postes&|160;: le capitaine O’Thunder, parun oubli national, avait oublié de mettre le verrou, et Lady Loveitétait trop pressée pour avoir pensé à une pareille bagatelle. Lecapitaine Toper aperçoit sur le sopha O’Thunder et la dame en défiamoureux&|160;; elle était entièrement livrée à ses désirspassionnés et ressemblait beaucoup à la Vénus de Médicis. Leursurprise fut extrême de voir entrer Toper qui, au lieu de seretirer, fixait avec ravissement les charmes de la dame et s’écriaavec extase&|160;; «&|160;C’est un ange, grand dieux&|160;!&|160;»M.&|160;O’Thunder, quoique Irlandais, était si confondu et sihonteux qu’il ne savait que dire ni que faire&|160;; à la fin, ils’écrie&|160;: «&|160;Il est impertinent d’interrompre ainsi lesgens dans leurs amusements particuliers.&|160;» En disant ces mots,il saute en bas du sopha, il saisit Toper par le col et l’assommed’une grêle de coups de poing. La dame jette des crisaffreux&|160;; chacun, effrayé du bruit, sort avec précipitation desa retraite&|160;; le docteur Fretlext court ou plutôt roule en basdes escaliers avec sa culotte à moitié déboutonnée et sa chemise àmoitié pendante&|160;; Poll Nimblewrist, sans fichu et ses jupons àmoitié relevés&|160;; l’alderman Drybones paraît avec un torrent detabac qui ruisselait de son nez dans sa bouche. Le comte Altoexprime sa surprise en disant&|160;: «&|160;Diantre&|160;! quelfracas pour une maison si «&|160;bien réglée.&|160;» Le lordPyebald vient avec ses cartes dans sa main, grandement mortifiéd’avoir perdu son coup, quoiqu’il ne jouât rien. Le colonelTearall, avec sa modeste dame, paraissent presque in purisnaturalibus, croyant que le feu est dans la maison. Le lordSpasm tremble comme la feuille, et, n’ayant point de force,s’appuie sur Lady Loveit. La pauvre Charlotte s’évanouit, ellecraint que sa maison et la réputation de Lady Loveit ne souffrentde ce scandale.

«&|160;Il fut aussitôt résolu, par toutes lesparties, que le capitaine Toper serait invité de sortir et, dans lecas de refus, que l’on l’y forcerait. O’Thunder se chargea de cetemploi s’il en était nécessaire&|160;; mais le capitaine Toper, quiétait roué de coups, ne balança pas à se retirer.

** * * *

«&|160;Pour varier le sujet, nous allonstransporter la scène dans la maison de Madame Mitchell&|160;; sonprincipal commerce était moins avec la noblesse qu’avec lesbourgeois et souvent avec leurs épouses&|160;; elle avait le plusgrand soin de leur donner des marchandises choisies&|160;; elleconsidérait que la réputation de sa maison dépendait de cettecirconstance&|160;; elle était constamment à l’affût des jeunespersonnes qui se dégoûtaient de la rigueur de leurs parents ou qui,par un faux pas irréparable, se réfugiaient chez leurs amis etabandonnaient le sentier de la chasteté pour prendre le chemin dela destruction…

«&|160;Sam Foote (le fameuxcomédien), Chace Price et George Sel…n, étant aucafé de Saint-James, M.&|160;Price leur dit qu’il venait de luitomber entre les mains une relation curieuse du couvent deCharlotte Hayes et que, s’ils voulaient, il leur en ferait lalecture.&|160;»&|160;Volontiers&|160;», s’écrièrent Samuelet George. Il lut comme il suit&|160;:

«&|160;— Relation authentique du monastère deSainte-Charlotte.

«&|160;— Plusieurs institutions importantes etlouables sont ignorées par l’effet d’une timidité qui accompagnetoujours la vertu et la modestie, tandis que des entreprises demoindre importance sont recommandées à l’attention du public parl’impudence et la présomption&|160;; car c’est ordinairement enproportion du mérite supposé des candidats que l’on en impose.

«&|160;— Il est de mon devoir de devenir ledéfenseur d’une institution qui a ses avantages politiques etcivils. Les parents et les tuteurs ne seront plus en peined’envoyer leurs filles ou leurs pupilles dans les couvents deSaint-Omer ou de Lille, lorsqu’ils seront assurés de trouver icitous les avantages de leur éducation, en les plaçant dans unséminaire fondé par une de nos compatriotes, dans la partie la plusagréable de la capitale. On n’y adopte point les préjugés ni leserreurs étrangères, et tandis que l’on inspirera à ce sexe aimableles sentiments de la liberté anglaise, nos trésors alors nesortiront point de notre île et ne passeront point dans d’autresroyaumes. Cette institution est actuellement en activité et estsituée près de Pall-mall.

«&|160;— Cet établissement fut fondé par unesainte qui existe encore et dont il porte le nom. À en juger parles miracles qu’elle a déjà opérés et qu’elle fait, journellement,il n’y a point de doute qu’elle ne soit incessamment canonisée etque son nom ne soit inséré dans le calendrier, ce dont le lecteurconviendra d’après la lecture suivante&|160;:

«&|160;— Liste des miracles opérés et faitsjournellement par sainte Charlotte&|160;:

«&|160;— Elle change en un instant les guinéesen vins de champagne, de Bourgogne ou punch.

«&|160;— Elle guérit le mal d’amour et par satouche apprivoise le cœur le plus sauvage.

«&|160;— Elle fait passer la beauté des dameset donne de la beauté et des grâces à celles qui n’en ontpoint.

«&|160;— Elle donne aux vieillards qui secroient gais la vigueur de la jeunesse et elle change les jeunesgens en vieillards.

«&|160;— Elle a un spécifique particulier pourporter une femme à haïr son mari et à faire un prompt divorce.

«&|160;— Elle administre l’absolution dans lescas les plus désespérés, sans confession.

«&|160;— Elle possède la pierre philosophaleet, au grand étonnement de ses visiteurs, elle change la formela plus grossière en l’or le plus pur, par un procédéaussi vif qu’inexprimable, lequel a échappé à la découverte de tousnos chimistes, alchimistes, etc.

«&|160;— Ayant ainsi démontré ses pouvoirsmiraculeux qui lui donnent tant de droits pour être rangée aunombre des saints modernes, nous allons maintenant parler des lois,constitution, règlements et mœurs de ce séminaire.

«&|160;— Toute sœur qui prend le voile doitêtre ou jeune ou. belle&|160;; si elle réunit ces deux qualités, lesacrifice de sa personne en est mieux considéré par la déesseVénus, à qui cette institution est dédiée. Elle ne doit pasbeaucoup connaître le monde et si elle n’y a pas eu de grandeintimité, l’abbesse la juge digne d’être admise au rang descandidates.

«&|160;— Elle ne doit pas être mariée, niavoir aucun amant favori&|160;; si par hasard il lui restait dansle cœur quelque tendre attachement, elle doit aussitôt se soumettreà la touche miraculeuse, afin d’en obtenir une parfaiteguérison.

«&|160;— Comme les frères des séminairesadjacents viennent visiter leurs sœurs de la manière amicale quiconvient à leurs caractères, dans le dessein de les convertir etd’apporter du soulagement à leur âme, de même les sœurs, enpareilles occasions, doivent ouvrir leurs seins et ne rien cacher àces dignes frères.

«&|160;— Comme les richesses de ce monde sontau-dessous de l’attention des dévotes qui se sont séquestrées dansce cloître, la digne patronne, sainte Charlotte, s’approprie, à ceteffet, tous les présents, dons et possessions des sœurs, d’unemanière tout à fait édifiante, afin de ne pouvoir exciter en ellesla vanité ou l’ambition.

«&|160;— Sainte Charlotte, en formant cetétablissement glorieux et vertueux, ayant en horreur les infidèleset leurs lois, n’en admet aucun dans le couvent&|160;; elle n’aimepoint les coutumes des Turcs qui défendent de boire du vin&|160;;elle en permet, au contraire, l’usage, surtout dans les instants oùl’on sacrifie à la déesse&|160;; ces moments devant être regardés,par la communauté, comme des jours de fêtes qui doivent êtredistingués en lettres rouges dans le calendrier du séminaire.

«&|160;— Sa sévérité ne s’étend point à priverles sœurs de la jouissance des plaisirs raisonnables etinnocents&|160;; sous ce rapport, elle considère lesreprésentations dramatiques de toute espèce&|160;; elle leur permetde visiter souvent les théâtres et même l’opéra. Elle a loué à ceteffet, dans chacun de ces endroits, une loge particulière, sous ladénomination de séminaire de Sainte-Charlotte. Comme lesjésuites irlandais et autres prêtres de ce pays sont en grandnombre dans cette capitale et que ces prêtres sont connus pour êtrepauvres et dans le besoin, elle avertit particulièrement les sœursde ne point se confesser à aucun des frères de ce royaume, exceptéle prieur du monastère qui, quoique natif d’Irlande, vient souvent,pour des raisons particulières, faire l’instruction dans soncouvent.

«&|160;— Comme la dévotion fervente des nonnesest un objet de la plus grande attention, elles ne doivent, sousaucun prétexte quelconque, en être détournées par leurs autressœurs, ni par les domestiques de la maison.

«&|160;— Si quelque frère essayait d’enleverquelque sœur du couvent, il doit aussitôt subir sur le pupitre lechâtiment le plus exemplaire et être chassé à perpétuité duséminaire.

«&|160;— Il est jugé convenable pour le bonordre et le règlement de la société que les sœurs ne communiquentpoint avec celles des autres communautés.

«&|160;— Aucune femme ou demoiselle ne peutêtre admise dans la communauté sans avoir des lettres derecommandation sur leur chaste moralité et leurs vertueusesdispositions&|160;; ces lettres doivent être écrites par lespersonnes qui ont donné des preuves incontestables de leurattachement à ce séminaire.

«&|160;— Sainte Charlotte, qui considèrel’exercice très nécessaire à la santé, visite fréquemment lesendroits publics et se promène fort souvent dans les rues de lacapitale avec deux ou trois de ses nonnes. Ces exemples de beauténaissante, dévouée à la vertu et à la vie monastique&|160;; lasatisfaction et la gaieté exprimées dans leur aimable contenancelui procurent un grand nombre de jeunes personnes qui, édifiées deses bons principes, se sacrifient à la déesse dont elle est laprêtresse.

«&|160;— Lorsque le temps ne permet pas lespromenades à pied, alors elle sort toujours accompagnée dequelques-unes de ses vestales, dans un brillant équipageappartenant au couvent, afin d’attirer constamment l’attention despassants.

«&|160;— Les heures des sœurs pour le coucheret le lever sont différentes&|160;; elles sont relatives auxvigiles qu’elles doivent observer et au nombre des saints qu’ellesdoivent fêter&|160;: car, à cet égard, sainte Charlotte est trèsrigide et dans le cas de quelque manque ne leur fait pas derémission. Dans les jours non fêtés, la plus grande régularité etle décorum le plus strict sont observés&|160;; alors les nonnes setrouvent toutes réunies aux heures réglées du couvent.

«&|160;— Ces vigiles et ces prières étantconsidérées comme le principal établissement de cette institution,rien ne peut donner de plus grande satisfaction à sainte Charlotteque de trouver dans chaque sœur cette ferveur et dévotion quicaractérisent particulièrement cet ordre&|160;; mais commel’approbation de leurs confesseurs est, dans ces occasions,généralement témoignée par une croix en diamants ou quelques autresprésents de prix, alors il est permis à chacune des nonnes, tantqu’elle reste dans le séminaire, de porter ces croix, en forme decollier, sur le sein.

«&|160;— Comme cette institution n’est pastrop rigide et qu’on n’y envisage que l’éducation agréable du sexe,on n’y interdit point la musique et la danse&|160;; au contraire,il y a des maîtres attachés au couvent qui enseignent ces deuxarts, dont la plupart des sœurs ont tiré le plus grandavantage&|160;: on y joue à chaque instant de la guitare et on yexécute des cotillons et même le menuet de la cour avec uneréputation sans pareille.

«&|160;— Il y a un docteur attaché aumonastère qui, suivant l’occasion, agit doublement comme médecin etconfesseur&|160;; il ne prend point d’honoraires.

«&|160;— En un mot, tous les plaisirsinnocents d’une vie agréable et la félicité sociale règnent, sansmélange, dans ce séminaire qui n’a rien de cette austérité nirigueur monacale des couvents étrangers.&|160;»

«&|160;Dès que M.&|160;Price eut fini salecture, toute la compagnie, le croyant l’auteur de cettecomposition facétieuse, le remercia du plaisir qu’il lui avaitprocuré. Il fut ensuite résolu d’aller, le soir même, faire unevisite à sainte Charlotte et à ses nonnes&|160;; et nous nemanquerons pas d’accompagner les trois Génies dans leséminaire.

** * * *

«&|160;Les trois Génies se rendirent donc autemps prescrit dans la maison de Charlotte qui les reçut avecbeaucoup de politesse. Après les compliments de part et d’autre,Samuel Foote dit à Mme&|160;Hayes que ses amis et lui étaient venusd’après la lecture qu’on leur avait faite des règles et lois de sonséminaire, qui lui paraissaient extrêmement judicieuses etheureusement calculées pour l’avancement de la décence, du décorumet du bon ordre. L’abbesse le remercia poliment de son honnêteté.Samuel Foote lui ayant demandé à voir quelques-unes de ses nonnes,elle lui dit que Clara Ha.w…d finissait sa toilette etallait paraître dans le moment&|160;; que Miss Sh…ly avaitprié avec tant d’ardeur ce matin, que pour rétablir ses sens agitéselle prenait du repos&|160;; que Miss Sh…d.m était en cemoment confessée par un vieux baronnet qui, constamment, lavisitait deux fois par semaine, et que Miss W…ls etMiss Sc…tt étaient allées à la comédie&|160;; mais que sielles n’y rencontraient pas quelques frères, elles reviendraientaussitôt que la pièce serait achevée…

«&|160;… Alors Clara entra&|160;; et commeM.&|160;Price avait suffisamment satisfait sa curiosité, laconversation changea. On pria donc Miss Ha.w…d de chanter, cequ’elle fit à la satisfaction générale de toute la compagnie.Mme&|160;Hayes dit que Clara était une excellente actrice&|160;;Foote la pria de lui réciter quelques morceaux&|160;; après quelquehésitation, elle déclama avec tant d’art une scène de la BellePénitente que Samuel, surpris et enchanté de sontalent, jura qu’elle jouerait sur son théâtre si cette propositionlui paraissait agréable. Clara crut que c’était une pure railleriede sa part, et elle ne lui répondit que par une révérence&|160;;mais peu de temps après, elle fut engagée au théâtre de Hay-Market,où elle eut le plus grand succès, et passa ensuite, à larecommandation de Foote, à celui de Drury-Lane, où elle obtint lesapplaudissements les plus avantageux.

«&|160;Miss Sh…d…m descendit&|160;: on la priade chanter&|160;; elle répondit qu’elle était si fatiguée de sonopération avec Sir Harry Flagellum qu’elle demandait un petitmoment de répit pour remettre ses esprits. «&|160;J’ai été,dit-elle, deux grandes heures avec lui et j’ai eu plus de peine àfaire passer dans ses veines la ferveur que nous avons vouée à ladéesse que nous servons, que si j’eusse fouetté la plus obstinée detoutes les mules des Alpes.&|160;»

«&|160;Chace Price dit qu’il s’étonnait que lafertile imagination de Charlotte n’eût pas encore inventé unemachine propice à ces sortes d’œuvres pieuses&|160;; qu’il luiétait venu dans l’idée d’en construire une dans le genre de cellequi fut inventée, il y a quelques années, pour raser cent personnesà la fois&|160;; et que, d’après un pareil procédé, on pourraitsatisfaire, dans le même temps, les souhaits ardents de quaranteFlagellums,

«&|160;Foote fut de cet avis&|160;; puis,tournant le projet à l’avantage national, il pensa que ces machinesdevraient être construites par autorisation de patentes etqu’attendu le rapport énorme qu’en retireraient les propriétaires,il jugeait nécessaire que le Parlement mît un droit considérablesur chacune de ces machines.

«&|160;George Sel…n s’informa ensuite de lavirginité des nonnes. L’alderman Portsoken l’avait assuréhier, à la Taverne de Londres, qu’il avait passé la nuitd’auparavant au couvent de Charlotte avec une nonne véritablementvierge, mais qu’il ne pouvait pas concevoir commentl’hymen pouvait être préservé des assauts perpétuelsauxquels il était continuellement livré.

«&|160;Charlotte parut un peudéconcertée&|160;; mais le champagne agissant en ce moment avecbeaucoup de force sur sa personne, elle crut convenable de soutenirla dignité de sa maison et elle lui répliqua trèsinjudicieusement&|160;: — Que son opinion était qu’une femmepouvait perdre sa virginité cinq cents fois et paraître toujoursvierge&|160;; que le Dr O’Patrick l’avait assuré que lavirginité pouvait être rétablie de la même manière que l’on fait leboudin&|160;; qu’elle l’avait éprouvé elle-même et que, quoiqu’elleeût perdu la sienne mille fois et qu’elle eût été ce matin mêmesous la direction du docteur, elle se croyait une vierge aussibonne qu’une vestale. Que, quant à l’hymen, elle avaittoujours entendu dire que c’était un dieu et que, par conséquent,il ne faisait point partie de la formation de la femme&|160;;qu’elle hasardait donc de dire qu’elle avait maintenant dans sonséminaire autant de virginités qu’il en fallait pour contentertoute la cour des Aldermans et la Chambre des communes par-dessusle marché&|160;; qu’elle avait une personne, nommée MissSu…y, arrivant justement de la Comédie avec le conseillerPliant, qui, dans une semaine, avait fait trente-troiséditions de virginalité&|160;; que Miss Su…y, étant lafille d’un libraire et ayant travaillé sous l’inspection de sonpère, connaissait la valeur des éditions nouvelles.&|160;»

«&|160;Charlotte ayant ainsi conclu cettenarration curieuse, qui était un composé d’ignorance, de sophismesirlandais et de faux esprit, but un verre de vin de champagne, afinde remettre ses esprits. Foote proposa à ses amis de seretirer&|160;; il paya le mémoire, qui était assez bienchargé&|160;; il donna un rendez-vous pour le lendemain matin àClara Ha.w…d, afin de l’engager pour son théâtre&|160;; ensuite lestrois Génies prirent congé de Mme&|160;Charlotte et se rendirentjoyeusement à Bedford-arms.

** * * *

«&|160;Après avoir rendu une assez longuevisite à Charlotte et après avoir parlé avantageusement de soncouvent, nous allons maintenant donner quelques notions sur celuide sa voisine.

«&|160;Mme&|160;Mitchell, qui demeurait à côtéde Charlotte, fut probablement la première dame abbesse qui, pours’attirer des chalands, en leur recommandant la bonté de sesmarchandises, mit une devise latine au-dessus de sa porte&|160;;sur une plaque de cuivre était inscrit&|160;:

In medio tutissimus.

«&|160;La nouveauté de la pensée lui attira unnombre prodigieux de pratiques&|160;; elle ne manquait pas de leurprocurer les meilleures marchandises et de leur prouver la véritéde sa devise. Elle avait parmi ses nonnes Miss EmilieC…lth…st. Comme cette dame a fait et fait beaucoup de bruitdans le monde, nous allons donner quelques notions sur sa personneet sa vie.

«&|160;Son père tient un magasin considérabledans Piccadilly&|160;; elle était un jour dans la boutique lorsquele comte de L…n y vint pour acheter différentesmarchandises&|160;: le lord fut grandement frappé des charmesd’Emilie. De retour chez lui, il pensa aux moyens de laposséder&|160;; il informa son valet de chambre, qui était sonconfident et son mercure, de l’impression que cette jeune personneavait faite sur lui&|160;; il lui promit une récompenseconsidérable s’il pouvait la lui procurer&|160;: l’appât était trèsséduisant&|160;; il lui répondit qu’il allait tout employer pourl’accomplissement de ses souhaits&|160;; il commença son attaquepar lui adresser une lettre dans laquelle il lui marquait&|160;:«&|160;qu’il avait souvent contemplé ses charmes avecravissement&|160;; qu’il s’était flatté de pouvoir vaincre sapassion, mais qu’il s’apercevait qu’il lui était impossible de luicacher plus longtemps son amour&|160;; qu’il se jetait à ses piedset implorait sa miséricorde&|160;; que son destin était entre sesmains et qu’il la conjurait de décider, à son gré, de sonsort&|160;; qu’il préférait la mort à une vie de tourmentsperpétuels, que la belle main de l’aimable Emilie pouvait seuleadoucir.&|160;» La jeune personne lut cette épître avecémotion&|160;; d’un côté, sa vanité était en quelque sortesatisfaite d’avoir fait la conquête d’un beau jeune homme qu’ellesavait venir dans le magasin de son père&|160;; de l’autre part, sapitié et sa compassion la portaient à plaindre son tourment&|160;:elle consulta donc une dame en qui elle avait confiance pour savoircomment elle devait agir dans une pareille circonstance. Le valetde chambre du lord L…n n’était pas à mépriser&|160;; il était legrand favori de son maître&|160;; rien ne se faisait dans la maisonque par ses ordres&|160;; il dirigeait tout et même milordpar-dessus le marché. Comme milord avait beaucoup de crédit à lacour, Emilie ne doutait point qu’il ne procurât un fort bon emploià son valet de chambre&|160;: dans tous les événements, elle seraitbien mariée et c’était la principale des choses qu’elle désiraitdepuis longtemps. Elle lui fit, en conséquence, une réponse qui,quoique équivoque, donnait assez d’espérance pour poursuivre cetteaffaire avec succès, ce qu’il ne manqua d’exécuter&|160;; ilintroduisit auprès d’elle une femme qu’il faisait passer pour sasœur et qu’Emilie regardait déjà comme la sienne propre&|160;; ellelui ouvrit donc les secrets de son cœur qui furent aussitôtrapportés au frère supposé. Il lui proposa d’aller à la comédie, etcomme la sœur, en apparence, devait être de la partie, Emilie nevit point de danger d’accepter la proposition. Chacun fut trèssatisfait du spectacle jusqu’à la conclusion du drame, lorsquemalheureusement, ou plutôt heureusement pour le valet de chambre demilord, la pluie tomba avec une force si prodigieuse qu’il lui futimpossible d’avoir une voiture&|160;; il fallait cependant prendreune résolution&|160;: son avis fut de se rendre dans une tavernevoisine et d’y souper jusqu’à ce que la pluie cessât ou que l’onpût se procurer une voiture. Emilie frémit d’abord au nom detaverne, mais elle n’eut plus de scrupules lorsque sa compagne luireprésenta qu’en pareille circonstance sa délicatesse était hors desaison, surtout étant en leur compagnie. On fit venir une bouteillede vin de Madère, et, en attendant que le souper fût prêt, on but àla ronde. Le valet de chambre n’avait pas oublié de préparer sonhameçon, ni d’introduire une bouteille de vin de champagne bienrenforcée d’eau-de-vie. La soirée était très humide, et, comme onsortait d’un endroit extrêmement chaud, un autre verre de vin nepouvait point faire de mal, telle était la doctrine du valet dechambre, et du second on passa au troisième et ainsi de suite.Pendant ce temps, les yeux d’Emilie étaient plus animés quejamais&|160;; cette agréable boisson ajoutait à ses charmes et à sagaieté. Le souper achevé, il pleuvait toujours, et point devoiture. Le temps parut alors favorable pour le grand coup du valetde chambre. Il avait apporté avec lui de l’opium qu’il infusaadroitement dans un verre de vin et qu’Emilie but.

L’effet n’en fut pas long, car Morphées’empara aussitôt de ses sens. Emilie étant ainsi livrée ausommeil, le valet de chambre et la sœur prétendue se retirèrent,lorsque milord, qui attendait dans une chambre voisine l’issue del’affaire, entra et se livra sans beaucoup de difficultés à sesdésirs brûlants. Emilie s’éveilla et s’aperçut trop sensiblement desa situation&|160;; elle connaissait milord&|160;; elle vit qu’elleétait perdue. Milord s’efforça de l’apaiser, il lui dit que sapassion pour elle était si forte qu’il n’était plus le maître de saraison, qu’il l’adorait, l’idolâtrait, qu’il lui donnait carteblanche sur les conditions qu’elle lui imposerait pour vivre aveclui&|160;; une voiture, une maison élégante, , cinq cents livressterling, etc., étaient des tentations auxquelles peu de femmes nerésistent pas. Ces propositions plaidèrent tellement en sa faveurqu’elle s’abandonna donc entièrement à sa discrétion. Il la mitaussitôt en possession de ce qu’il lui avait promis. Mais,hélas&|160;! la satiété des complaisances répétées du même objetfort souvent nous ennuie. Après la révolution de plusieurs mois,milord s’aperçut que sa passion était bien diminuée&|160;; sous leprétexte de la jalousie, il lui chercha donc une querelle quirompit leur liaison.

«&|160;Une jeune personne âgée tout au plus devingt ans et ayant les charmes d’Emilie a rarement la prudencesuffisante pour profiter du présent et amasser pour l’avenir.Imaginez-vous une taille majestueuse, une figure aimable et rempliede grâces, les traits les plus réguliers, les yeux les plusséduisants, des lèvres qui appellent le baiser, une belle boucheornée de deux rangées d’ivoire qui, par leur régularité et leurblancheur, enchantent la vue&|160;; imaginez-vous, dis-je, unetelle personne et ne vous étonnez pas si le miroir fidèle d’Emilielui disait qu’elle avait de justes prétentions à la conquêteuniverselle&|160;; que si milord l’avait adorée, les autres pairsdevaient par conséquent rendre hommage à ses charmes&|160;; avec depareils sentiments pouvait-elle se former l’idée d’un besoin àvenir&|160;; mais les vicissitudes de cette vie sont siextraordinaires et si peu attendues qu’elle se trouva, en peu detemps, dans cette situation. Elle se vit contrainte, pour vivre, devendre ses bijoux, ses bagues, ses diamants et la plus grandepartie de ses ajustements&|160;; elle ne trouva plus d’admirateurs,elle se trouva enfin forcée de se soumettre à ces moyens infâmesauxquels la nécessité contraint souvent le sexe&|160;; enfinMme&|160;Mitchell ayant appris sa situation l’invita à venirdemeurer chez elle et la persuada qu’elle y serait regardée commeune amie. Emilie avait paru avec éclat dans le grand monde, et elleétait appelée le Phaéton femelle par rapport à un accidentqui lui arriva au spectacle&|160;: un jour qu’elle se trouvait authéâtre de Hay-Market, la hauteur de son chapeau n’étant pascalculée à celle des girandoles, le feu y prit avec tant deviolence que cet accident lui serait devenu funeste ainsi qu’auxdames qui étaient dans la même loge et qui craignaient le mêmeévénement pour leurs têtes, si M.&|160;Gl…n ne fût venugalamment à son secours et n’eût éteint le feu. Il préserva, aurisque de sa personne, les charmes et les ajustements d’Emilie dela proie des flammes, et elle se rendit ensuite dansKing’s-Place.

«&|160;Emilie est en une si haute estime poursa beauté et la douceur de son caractère qu’elle peut exiger lasomme qu’elle désire&|160;; elle a refusé plus d’une fois un billetde banque de vingt livres sterling, parce qu’elle n’aimait pointles personnes qui les lui offraient. Un certain juif très riche,qui était très passionné de la chair chrétienne, lui proposa del’entretenir et de l’établir très avantageusement&|160;; mais commeelle avait la plus grande aversion pour la circoncision, ellerejeta sa demande. Un certain lieutenant de marine, qui n’est pastrès délicat dans ses attachements pour le sexe et qui avait déjàvendu sa femme à un riche baronnet, offrit à Emilie del’épouser&|160;; mais, soit qu’elle soupçonnât que sa premièrefemme était encore vivante, soit qu’elle craignît qu’il eutl’intention de la traiter comme sa première épouse, elle refusa lemariage, quoique la personne du capitaine lui convînt beaucoup. Engénéral, Emilie est une fille de joie, mais elle n’en apoint les sentiments&|160;; elle peut servir d’exemple aux sœurs dela communauté et leur inspirer de la dignité dans l’exercice deleur profession.

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«&|160;… Dans les alentours de King’s-Place,nous sommes restés assez longtemps, et nous allons faire une petiteexcursion à Curzon-Street, May-Fair. Dans cet endroit demeuraitMme&|160;B…nks, femme intelligente, assidue et polie, qui,ayant assez de bon sens pour se convaincre qu’elle n’avait plus decharmes suffisants pour captiver les adorateurs, résolut de tournerà son avantage les talents que la nature lui avait accordés, enbénéficiant sur la beauté et les attraits des jeunes personnes deson sexe. Dans cette vue, elle rechercha la connaissance des bellesvoluptueuses de la ville. Les femmes galantes qui ne désiraient quesatisfaire leur passion amoureuse étaient sûres, par son agence, detrouver chez elle des coureurs forts et nerveux, qui ne manquaientjamais de donner les preuves les plus convaincantes de leurconnaissance et habileté. Quant à celles qui étaient dansl’indigence et qui se trouvaient forcées de faire un métier deleurs charmes, elle avait toujours pour elles un magasin constantdes meilleurs marchands des alentours de Saint-James et autresendroits. Charlotte Hayes avait été longtemps sa directrice&|160;;elle avait fait chez elle un apprentissage régulier, et, aidée deses conseils, elle parvint à acquérir les connaissances qui sontnécessaires dans cet état critique et important&|160;; en un mot,B…nks, ayant amassé une somme d’argent dans sa louable vocation,pensa qu’il était temps pour elle de fonder, à son tour, uneabbaye&|160;; en conséquence, elle prit une maison fort agréabledans Curzon-Sreet. Clara Ha.w…d fit son premiernoviciat public dans ce séminaire, quoiqu’elle allât dans la suitedans celui de Charlotte. Miss M…d…s fut la seconde qui futenregistrée sur la liste de ses nonnes&|160;; elle se renditcélèbre par ses charmes transcendants, qui étaient si puissantsqu’ils captivèrent le savant Dr. B…kns. Miss Sally H…ds…nétait la troisième en date&|160;; elle fut si prudente et siéconome qu’elle amassa deux cents livres sterling et devint bientôtune abbesse. La turbulente Mme&|160;C…x était aussiinscrite sur la liste de Mme&|160;B…nks. Ses liaisons avec un jeuneÉcossais, fils de Mars, lui donnent le droit, sous d’autresrapports, de choisir sa compagnie&|160;; mais elle n’écoute pointles propositions de tout homme qui lui offre moins de cinq guinées.Il vient constamment dans ce séminaire un autre gentilhommecalédonien qui, par des questions politiques, s’est distingué dansle monde, littéraire. On crut d’abord que Mme&|160;C…x étaitl’objet de ses attentions&|160;; mais cette erreur fut bientôtrectifiée, lorsqu’on vit clairement que Mme&|160;B…nks occupaitseule ses pensées et régnait en impératrice sur son cœur, malgréson visage hommasse et sa figure commune&|160;; il disait à cetteoccasion qu’elle avait ce je ne sais quoi, auquel tout hommesensible ne peut résister. Miss Betsey St…n…s…n exerce lafonction d’une nonne lorsqu’il y a un trop grand courant d’affaireset que toutes les autres sœurs se trouvent en exercice, et ce dansla vue de ne point mécontenter un visiteur et de ne point le forcerd’aller dans un séminaire&|160;; mais sa vocation générale estcelle d’assister Mme&|160;B…nks&|160;; et dans cette circonstance,elle déploie la plus grande connaissance et industrie. La fatiguede l’action, dans ce double emploi, l’oblige généralement à prendreles eaux dans la saison du printemps, afin de donner du relâchementà sa constitution. Mme&|160;W…ls.n a un embonpointdésagréable que les plaisirs de la table lui ont donné&|160;; maisses jolis yeux et sa bouche ravissante commandent toujoursl’admiration. Mme&|160;Br…n, généralement connue sous ladénomination de The Constable, étant un excellent moulepour les grenadiers, devrait être pensionnée par le gouvernementpour recruter les forces de Sa Majesté. Mme&|160;F…gs…n,la dernière sur la liste, a une main très utile et de très bonaccord avec tout le monde&|160;; soyez chrétien ou païen, brun oublond, court ou long, de travers ou droit, elle ne s’en met pas enpeine, pourvu que l’argent ne soit pas léger&|160;; mais, pour nepas être trompée, elle portait constamment une paire de balancespour peser l’or&|160;: malgré le grand nombre d’admirateurs dedifférentes complexions et nations que cette dame a eus, sespassions amoureuses ne sont pas encore absorbées, comme peutl’attester un certain gentilhomme irlandais, grand et à largesépaules, qui, il est vrai, est forcé de faire avec elle un devoirtrès dur, ce dont ne peuvent disconvenir les personnes quiconnaissent Mme&|160;F…gs…n., qui (pour me servir de ses propresexpressions) lorsqu’elle tient dans ses bras l’homme qu’elle aime,s’abandonne tout à fait. Marie Br…n a étépareillement engagée dans ce séminaire…

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«&|160;Rendons une dernière visite à CharlotteHayes, avant qu’elle ne quitte King’s-Place&|160;; cependant, commeelle était résolue avant de se retirer du commerce de fairequelques coups d’éclat, elle commença d’abord par recruter de deuxmanières différentes de nouvelles nonnes toutes fraîches pour sonséminaire&|160;; la première, par la visite des registresd’offices&|160;; la seconde, par les avertissements insérés dansles papiers publics. Nous allons donner une idée de ces deuxopérations.

«&|160;Charlotte s’habilla d’une manièresimple et, ressemblant, par sa mise et son maintien, à la femmed’un honnête négociant, elle alla dans les différents bureaux desregistres d’offices, aux alentours de la ville, demandant une jeunepersonne âgée de vingt ans, pleine de santé, dont le principalemploi serait de servir une dame qui demeurait chez elle au premierétage&|160;; quelquefois elle jugeait convenable de rendre salocataire malade au point de garder le lit&|160;; d’autres fois,elle la rendait vaporeuse&|160;; mais les gages étaient forts etbien au-dessus du prix ordinaire. Afin d’amener son plan àexécution, elle prit des logements et même des petites maisonsagréablement meublées dans les différents quartiers de la ville, decrainte que le caractère de son séminaire, si on fût venu prendredes renseignements dans le voisinage, n’eût donné de l’alarme etn’eût empêché l’accomplissement de son dessein. Lorsque quelquefille honnête, d’une figure jolie et annonçant la santé, seprésentait à elle, elle la retenait toujours pour la dame quidemeurait au premier étage, qui était très mal et qu’elle nepouvait pas voir&|160;; mais elle lui disait qu’il fallait que laservante couchât auprès d’elle, parce que ses infirmités étaient sigrandes qu’il était important qu’elle eût, pendant toute la nuit,une personne pour la veiller.

«&|160;Les préliminaires furent ainsiétablis&|160;; comme les servantes vont généralement le soirprendre possession de leurs places, la fille innocente, qui s’étaitprésentée à elle, fut conduite dans une chambre très sombre, parceque les yeux de la dame étaient dans un si triste état qu’ils nepouvaient pas supporter la lumière. À dix heures, toute la maisonétait tranquille, et chacun paraissait être livré au sommeil&|160;;mais, avant de se livrer au repos, on avait eu un bon souper. Onaccorda à la fille, qui avait fort bon appétit, la permission desouper avec Mme&|160;Charlotte&|160;; on lui donna de laforte bière et, pour lui montrer qu’elle serait bien traitée, on lafavorisa d’un verre de vin&|160;; les esprits de Nancyétant ainsi animés, elle se coucha dans le lit qui était dresséauprès de celui de sa vieille maîtresse supposée. Quand,hélas&|160;! la pauvre innocente fille se trouve dans son premiersommeil entre les bras du lord C…n, du lord B…keou du colonel L…, elle se plaint de la supercherie&|160;;les cris qu’elle jette n’apportent aucun soulagement à sasituation, et, voyant qu’il lui est inévitable d’échapper à sonsort, elle cède probablement. Le lendemain matin, elle se trouveseule avec quelques guinées et la perspective d’avoir une nouvellerobe, une paire de boucles d’argent et un mantelet de soie noire.Ainsi trompée, il n’y a plus de grandes difficultés de l’engager àquitter cette maison et de se rendre dans le séminaire établi dansKing’s-Place, afin de faire place à une autre victime qui doit êtresacrifiée de la même manière.

«&|160;Quand ces ressources ne remplissaientpas suffisamment les projets de Charlotte, elle avait recours auxavertissements qu’elle faisait insérer dans les papiers du jour,qui souvent lui produisaient l’effet désiré et lui procuraient,pour la prostitution, un grand nombre de jolies nonnes innocenteset confiantes. La plupart de ces avertissements étaient d’unenature sérieuse et portaient avec eux, pour toutes les jeunespersonnes qui se proposaient d’entrer en service, toutes lesapparences de la vérité, de la sincérité et le témoignage de labonté du lieu&|160;; quelquefois Charlotte enjolivait son style endonnant à entendre que l’on serait chez elle sur le pied d’amie, etpar ces publications badines elle trompait ainsi l’innocenceconfiante. Voici un avertissement qu’elle fit paraître il y aquelque temps et qu’elle adressa à George S…n&|160;:

«&|160;— On a besoin d’une jeune personne devingt ans, tout au plus, d’une bonne famille, qui ait eu la petitevérole et qui n’ait, en aucune manière, servi dans lacapitale&|160;; elle doit savoir tourner ses mains à toute chose,vu qu’on se propose de la mettre sous un cuisinier habile et trèsexpérimenté&|160;; elle doit entendre le repassage et connaître laboulangerie, ou du moins en savoir assez pour faire soulever lapâte&|160;; elle doit avoir également assez de connaissances pourconserver le fruit. On lui donnera de bons gages et de grandsencouragements si elle devient habile et si elle conçoit facilementet profite des instructions qui lui seront faites pour sonavantage.&|160;»

«&|160;Tout badin que puisse paraître cetavertissement, il produisit néanmoins son effet et il procura aumoins une demi-douzaine de jeunes personnes qui, en conséquence, seprésentèrent pour entrer au service et qui profitèrent bientôt desinstructions qui leur étaient données.

«&|160;Charlotte, par ses ruses, avait initiédans les secrets de son séminaire une douzaine de jeunes filles,belles, florissantes et saines&|160;; elle commença d’abord parleur faire apprendre un nouveau genre d’amusement pour divertir sesnobles et honorables convives, et, après leur avoir fait subir,deux fois par jour et pendant une quinzaine, leurs exercices, elleenvoya, après ce laps de temps, une circulaire à ses meilleurespratiques, dont voici le contenu&|160;:

«&|160;— Mme&|160;Hayes présente sescompliments respectueux à lord…&|160;; elle prend la liberté del’informer que demain soir, à sept heures précises, une douzaine debelles nymphes, vierges et sans taches, ne respirant que la santéet la nature, exécuteront les célèbres cérémonies de Vénus, tellesqu’elles sont pratiquées à Otaïti, d’après l’instructionet sous la conduite de la reine Oberea, dans lequel rôleMme&|160;Hayes paraîtra.&|160;»

«&|160;Afin que le lecteur puisse se formerune idée compétente de leurs exercices, nous allons donner lacitation suivante, tirée du voyage de Cook, et écrite par lecélèbre docteur Hawkesworth&|160;:

«&|160;— Telles étaient nos matines…&|160;» Enparlant des cérémonies religieuses exécutées dans la matinée parles Indiens, il dit&|160;: «&|160;Nos Indiens jugeaient convenablede célébrer leurs vêpres d’une manière toute différente&|160;: unjeune homme de six pieds de haut et une petite fille d’environ onzeà douze ans faisaient un sacrifice à Vénus, devant plusieurspersonnes de leur pays et un grand nombre de leur nation, sans sedouter nullement de leur conduite indécente, comme il le paraissaitd’après la conformité parfaite de la coutume de leur endroit. Aunombre des spectateurs se trouvaient plusieurs femmes d’un rangsupérieur, particulièrement Oberea, qui, l’on peut dire, avaitassisté à toutes leurs cérémonies, car les Indiens lui donnèrent àce sujet les instructions nécessaires pour bien exécuter sa partiedans un temps où elle était trop jeune pour connaître lesimportances de ce culte.&|160;»

«&|160;Le lecteur ne sera certainement pasmécontent du commentaire du docteur Hawkesworth sur l’exécution deces cérémonies, d’autant qu’elles sont plus que curieuses etvraiment philosophiques. Il dit&|160;:

«&|160;— Cet événement n’est pas mentionnécomme un objet de curiosité oisive, mais il mérite au contraired’être considéré et de déterminer ce qui a été longtemps débattu enphilosophie, si la honte qui accompagne certaines actions, qui, detous les côtés, sont reconnues être en elles-mêmes innocentes, estimprimée par la nature ou cachée par la coutume&|160;: si elle ason origine dans la coutume, quelque générale qu’elle soit, il seradifficile de remonter jusqu’à sa source&|160;; si c’est dansl’instinct, il ne sera pas moins difficile de découvrir pour quelsujet elle fut surmontée par ce peuple dans les mœurs duquel onn’en trouve pas la moindre trace.&|160;»

«&|160;Voyage de Hawkesworth, v. 2, p.128.

«&|160;Mme&|160;Hayes avait certainementconsulté ce passage avec une attention toute particulière, et elleconclut que la honte en pareille occasion «&|160;était seulementcachée par la coutume&|160;». Ayant donc assez de philosophienaturelle pour surmonter tous les préjugés, elle résolut nonseulement d’apprendre à ses nonnes toutes les cérémonies de Vénustelles qu’elles sont observées à Otaïti, mais aussi de lesaugmenter de l’invention, imagination et caprice del’Arétin. C’était donc à cet effet que dans lesrépétitions qu’elle avait fait faire à ses nouvelles actrices, elleavait assigné à chacune d’elles les gestes et postures danslesquels elles étaient déjà très expérimentées.

«&|160;Il se trouva à cette fête lubriquevingt-trois visiteurs, de la première noblesse, des baronnets etcinq personnages de la Chambre des Communes.

«&|160;L’horloge n’eut pas plus tôt sonné septheures que la fête commença. Mme&|160;Hayes avait engagé douzejeunes gens les mieux taillés dans la forme athlétique qu’elleavait pu se procurer&|160;: quelques-uns d’entre eux servaient demodèles dans l’Académie royale, et les autres avaient les mêmesqualités requises pour le divertissement. On avait étendu sur lecarreau un beau et large tapis, et on avait orné la scène desmeubles nécessaires pour les différentes attitudes dans lesquellesles acteurs et actrices dévoués à Vénus devaient paraître,conformément au système de l’Arétin. Après que les hommes eurentprésenté à chacune de leur maîtresse un clou au moins de douzepouces de longueur, en imitation des présents reçus en pareillesoccasions par les dames d’Otaïti qui donnaient à un long clou lapréférence à toute autre chose, ils commencèrent leurs dévotions etpassèrent avec la plus grande dextérité par toutes les différentesévolutions des rites, relativement au mot d’ordre de santaCharlotta, en conservant le temps le plus régulier aucontentement universel des spectateurs lascifs, dont l’imaginationde quelques-uns d’eux fut tellement transportée qu’ils ne purentattendre la fin de la scène pour exécuter à leur tour leur partiedans cette fête cyprienne, qui dura près de deux heures et obtintles plus vifs applaudissements de l’assemblée. Mme&|160;Hayes avaitsi bien dirigé sa troupe qu’il n’y eut pas une manœuvre qui ne fûtexécutée avec la plus grande exactitude et la plus grandehabileté.

«&|160;Les cérémonies achevées, on servit unebelle collation et on fit une souscription en faveur des acteurs etactrices qui avaient si bien joué leurs rôles. Les acteurs étantpartis, les actrices restèrent&|160;; la plupart d’elles répétèrentla partie qu’elles avaient si habilement exécutée avec plusieursdes spectateurs. Avant que l’on se séparât, le vin de champagneruissela avec abondance. Les présents faits par les spectateurs etl’allégresse des actrices ajoutèrent à la gaieté de lasoirée&|160;!

«&|160;Vers les quatre heures du matin, chaqueactrice, accompagnée d’un sacrificateur, se retira dans sa chambre.Bientôt après, Charlotte se jeta dans les bras du comte… pourmettre en pratique une partie de ce dont elle était si grandemaîtresse en théorie.

«&|160;Nous allons les laisser jusqu’à midi,l’heure du déjeuner, attendu que les fatigues de la soirée doiventleur avoir imposé la taxe nécessaire du sommeil jusqu’à cemoment.

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«&|160;… La maison deMme&|160;Hamilton…[3] peutproprement être regardée plutôt comme une maison d’intrigue qu’unséminaire. Les plus belles femmes galantes de cette capitale lafréquentent très souvent. Mme&|160;Hamilton n’avait point lecaractère mercenaire des autres mères abbesses&|160;: elle aimaitmieux traiter d’une partie joyeuse, agréable et amusante que derecevoir des personnes tristes, flegmatiques et ennuyantes, quichassent la bonne humeur en proportion de l’argent qu’ellesdépensent. Les hommes instruits, gais, divertissants et aimables serassemblaient dans sa maison, moins pour satisfaire aucune passionlascive que pour jouir du plaisir d’être dans une bonne compagnieet pour passer quelques heures dans une agréable société.

«&|160;D’après ce genre d’amis et deconnaissances de Mme&|160;Hamilton, le lecteur est en état de seformer une idée du motif qui attirait les visiteurs dans samaison&|160;; en parlant ainsi, nous ne prétendons point direqu’elle est la région de l’amour platonique. Non, il n’est point defemmes plus sensuelles dans la passion amoureuse que Nelly. Il estvrai qu’elle a un homme qu’elle aime ou plutôt qu’elle est lafavorite d’un homme de grands moyens et qui a des liaisons avec lesthéâtres, mais nous ne voulons pas assurer que pendant son absenceelle est aussi chaste que Pénélope&|160;: non, Nelly est tropsincère pour prétendre à la parenté de Diane&|160;; elle viseseulement à garder les apparences et à soutenir la dignité d’unefemme honnête…

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«&|160;… Mme&|160;Nelson est une damequi, dans les premières années de sa vie, fut considérée comme unebeauté du plus grand mérite&|160;; elle céda à la fin à l’influencede ses passions et se jeta dans les bras du capitaine W…nqui lui fut constant pendant quelque temps, mais qui, ayantrencontré une autre personne agréable, abandonna cette dame et luilaissa prendre son essor&|160;; elle se livra bientôt au premiervenu&|160;; mais lorsqu’elle s’aperçut que ses charmes déclinaient,que sa constitution était en quelque sorte dérangée par lesirrégularités de sa conduite et par les visites trop fréquentesauxquelles elle se livrait, elle écouta alors les avis deM.&|160;Nelson, qui lui donna à entendre qu’il seraitprudent pour elle de se retirer de la vie publique, de prendre sonnom et de devenir mère abbesse. Il ajouta qu’il avait quelquecrédit chez un tapissier et qu’il jugeait, d’après la connaissanceet l’expérience qu’elle avait obtenues dans le cours régulier de saprofession, et d’après l’étude et le jugement approfondi qu’ilavait faits de la vie réelle et d’une variété de vocations qu’ilavait poursuivies, que le plan était non seulement très praticable,mais pouvait avoir la plus grande réussite.

«&|160;Mme&|160;Nelson admira son plan et ydonna sa sanction&|160;; ils louèrent une maison agréable dans leWardour-Street, Soho, au coin de Holland-Street, qu’ils arrangèrenten très peu de temps et qu’ils meublèrent de la manière la plusélégante. Il était préalablement nécessaire de se procurer unassortiment nécessaire de nonnes qui furent aussitôt prises dansles différents quartiers de la capitale, et nous vîmes bientôt queNancy Br…n, Maria S…s, Lucy F…scher etCharlotte M…rtin s’étaient aussitôt engagées dans ceséminaire&|160;: elles étaient toutes des filles très agréables,quoique quelques-unes d’elles eussent paru dans la ville pendant unassez long temps&|160;; il était alors urgent de se pourvoir dereligieuses pour le service présent&|160;; mais commeMme&|160;Nelson se proposait d’être délicate dans le choix, enattendant elle saisissait toutes les jeunes personnes qui seprésentaient.

«&|160;Son secrétaire et mari matrimonialétait employé à écrire des lettres circulaires aux nobles et auxriches qui étaient connus pour visiter le séminaire deMme&|160;Goadby etc., etc., ce qui procura à Mme&|160;Nelson unnombre considérable de visiteurs. Le lord M…h, le lordD…ne, le lord B…ke, le duc de D…t, lecomte H…g, le lord F…th, le lord H…n etune quantité estimable de membres des Communes vinrent lavoir&|160;; mais, en général, ils se plaignirent tous que lesmarchandises n’étaient pas de fraîche date, de sorte quelle étaitfréquemment obligée d’envoyer chercher d’autres dames, afin desatisfaire ses pratiques, ce qui diminuait beaucoup ses profits etfaisait perdre à sa maison le crédit et la réputation dont elleparaissait jouir. Mme&|160;Nelson, voulant donc rétablir larenommée de son séminaire, se servit de son génie, qui étaitfertile dans l’art de la séduction, pour obtenir de véritablesvierges dont elle pourrait demander un prix considérable&|160;;elle alla donc, visiter constamment tous les registresd’offices&|160;; elle se rendit dans les auberges où lesdiligences, les carrosses ou autres voitures publiques étaientattendus, et là, par ses insinuations adroites et sous prétexte deprocurer des places aux jeunes filles de campagne et autresdemoiselles qui se proposaient de servir, elle obtint bientôt unjoli assortiment des marchandises les plus fraîches que l’on pûttrouver dans Londres.

«&|160;Mme&|160;Nelson triompha alors de sesrivales. Mme&|160;Goadby, en son particulier, devint si jaloused’elle que, dans le dessein d’établir son séminaire sur le mêmepied que celui de Mme&|160;Nelson, elle fit le tour de l’Angleterreet fut assez heureuse pour amener avec elle une jolie provision denouvelles marchandises, qu’elle se proposa de présenter à sesconvives lors de la rentrée du Parlement.

«&|160;Mme&|160;Nelson n’eut pas plus tôtappris le but du départ de sa rivale que cette nouvelle, loin de ladécourager, excita dans son cœur l’émulation la plus forte desurpasser les projets de Mme&|160;Goadby&|160;; elle mit une foisde plus son génie imaginatif en marche&|160;; elle avait une légèreconnaissance de la langue française, elle avait appris dans sajeunesse à travailler à l’aiguille&|160;; ayant donc lu dans lespapiers un avertissement pour être gouvernante dans une école dejeunes filles, elle fit en conséquence les démarches nécessairespour avoir cet emploi, et fit tant que par son habileté elle enobtint la place. Comme son dessein n’était pas d’exercer longtempscette fonction, elle n’essaya point d’améliorer l’éducation desjeunes demoiselles en leur enseignant les bonnes mœurs’&|160;; aucontraire, elle s’efforça de corrompre leur esprit en leur parlantdes plaisirs agréables que l’on goûtait dans les caresses d’un beaujeune homme, et en leur donnant à entendre que c’était folie etpréjugé de croire qu’il y avait du crime à céder à leurs passionssensuelles. Dans cette vue, elle leur mit entre les mains tous leslivres qu’elle jugea convenables à éveiller leur inclinationlascive et à leur faire naître les idées les plus impudiques. LesMémoires d’une fille de joie et autres productions du même genreleur furent secrètement communiqués&|160;; elles les lisaient avecavidité. Quand elle vit qu’elle avait suffisamment animé leurspassions et qu’elle avait fait passer dans leurs sens le désirinvincible de la flamme amoureuse, un jour, sous le prétexte deprendre l’air, elle se rendit avec deux des plus belles filles del’école dans sa maison située dans Wardour-Street. Ces deux jeunesdemoiselles, qui s’appelaient Miss W…ms et MissJ…nes, étaient âgées d’environ seize à dix-sept ans etappartenaient à de très bonnes familles.

«&|160;Mme&|160;Nelson avait antérieurementprévenu le lord B… et M.&|160;G… de se tenirprêts à recevoir ces aimables personnes. Elles ne furent pas plustôt entrées dans cette maison qu’elles trouvèrent une collationservie&|160;; il y avait des fruits et des confitures en abondance.Mme&|160;Nelson informa les jeunes demoiselles qu’elles étaientchez une de ses parentes et qu’elle les priait d’agir librement etsans cérémonie&|160;; en conséquence, Miss W…ms et Miss J…nes selivrèrent à leur appétit avec beaucoup de satisfaction&|160;; onles engagea à boire un ou deux verres de vin, ce qui anima leuresprit. Mme&|160;Nelson jugea alors qu’il était temps d’introduireles gentilshommes&|160;; et quoiqu’ils fussent déjà dans la maison,un coup à la porte annonça leur arrivée&|160;; en entrant dansl’appartement, ils demandèrent excuse du trouble qu’ilscausaient&|160;; les jeunes demoiselles furent d’abord alarméesmais la politesse des gentilshommes dissipa bientôt leurs craintes,et on parla agréablement de différentes choses.

«&|160;Il commençait déjà à se faire tard, etles jeunes personnes étaient en quelque sorte inquiètes de savoircomment elles pourraient regagner la pension, qui était au-delà deKensington&|160;; lorsque l’on fit entrer la musique et que l’onproposa de danser&|160;; elles étaient si passionnées de la dansequ’elles oublièrent aussitôt leurs craintes et même le temps quis’écoulait tandis qu’elles se divertissaient&|160;; en un mot,elles continuèrent de danser jusqu’à minuit&|160;; pendant cetemps, on leur fit boire différentes liqueurs pour augmenterl’effervescence de leur passion. Les assiduités de leurs danseursles empêchèrent de prévoir leur danger et presque leur destructionprochaine.

«&|160;Il était deux heures du matinlorsqu’elles se retirèrent pour se coucher&|160;; tandis qu’ellesse déshabillaient, elles ne purent s’empêcher de parler de latournure, de l’élégance, de la conduite honnête de leurs danseurs.Miss W…ms avoua qu’elle désirait posséder pendant la nuit le lordB… dans ses bras, et Miss J…nes déclara qu’elle se croiraitcomplètement heureuse si M.&|160;G… était dans son lit avecelle&|160;; les amants, qui étaient aux écoutes, entrèrentsur-le-champ dans leur chambre, en disant qu’il était impossible derefuser des invitations aussi tendres et qu’ils se croiraient plusque des mortels si, après avoir entendu de pareilles déclarations,ils n’offraient pas leurs services.

«&|160;Les jeunes demoiselles étaient toutesles deux sur le point de se mettre au lit, et elles n’avaient en cemoment d’autres vêtements que leur chemise, lorsque M.&|160;G…,prenant Miss J…nes dans ses bras, la porta sur un lit qui étaitdans une chambre adjacente, et laissa le lord B… maître de lapersonne de Miss W…ms. Elles s’étaient trop avancées pour reculer,et leur destin devint alors inévitable.

«&|160;Nous supposons que les amants et lesbelles nymphes furent aussi heureux que leur situation l’exigeaitet qu’ils goûtèrent jusqu’au lendemain un bonheur sans mélange.

«&|160;Mais le lendemain, comment retourner àleur école&|160;? comment excuser leur absence&|160;? Ellesprièrent Mme&|160;Nelson de les reconduire à leur maîtresse et dedonner elle-même quelque raison plausible en leur faveur&|160;;elles la supplièrent, les larmes aux yeux, de les accompagner, maisle jeu de Mme&|160;Nelson était trop beau&|160;; elle avaitentièrement les cartes entre les mains&|160;; elle en avait déjàjoué un sans prendre et avait gagné deux centsguinées&|160;; elle espérait avec de telles dames en avoir encorequelques mille. Mais, en peu de temps, les parents des jeunesdemoiselles apprirent l’endroit où elles étaient retenues&|160;;ils obtinrent du juge voisin un ordre de les rendre et intentèrentun procès contre Mme&|160;Nelson.

** * * *

«&|160;Les démarches rigoureuses que lesparents de Miss W…ms et de Miss J…nes prirent enversMme&|160;Nelson pour la citer en justice la forcèrent dedécamper&|160;: le bruit que cette affaire fit dans le voisinageengagea plusieurs voisins à porter plainte contre cette maison dedébauche, et si Mme&|160;Nelson eût continué plus longtemps soncommerce, elle aurait probablement monté à la tribune, non pas pourprêcher, mais pour prier la populace de ne pas la régaler d’œufsdurs.

«&|160;Au bout de quelques moisMme&|160;Nelson, ayant vu qu’il n’y avait point de poursuite contreelle, prit un autre séminaire dans Bolton-Street, Piccadilly. Ellerésolut de jouer à un jeu plus assuré que celui qu’elle avait jouédans Wardour-Street&|160;; dans cet endroit, elle avait été troploin, avait trop risqué et avait presque tout perdu&|160;; ellejugea alors qu’il était prudent de ne pas s’élever au-dessus desfilles de joie sur le haut ton.

«&|160;Au nombre de ses nonnes, dans ladernière classe, étaient Mme&|160;Marsh…l,Mme&|160;Sm…th, Mme&|160;B…ker,Mlle&|160;Fisher et Mlle&|160;H…met.

«&|160;La première de ces dames était la filled’un chapelain qui lui donna une bonne éducation et qui s’efforçade fortifier son esprit par les sentiments de la religion et de lamorale. Elle est d’une figure agréable et bien faite. Se trouvantpar la mort de son père dans la plus grande détresse, elle écoutales sollicitations du colonel W…n, et elle résigna savertu et non pas son cœur à ces propositions&|160;; au colonelsuccéda un homme qu’elle aimait sincèrement, mais elle découvrittrop tard qu’il était engagé dans le mariage, et peu de semainesaprès il la quitta&|160;; elle fut donc alors forcée de rôder pourpourvoir à ses besoins, et maintenant, suivant les occasions, ellerend des visites à Mme&|160;W…ston, à Mme&|160;Nelson etdans les autres séminaires.

«&|160;Mme&|160;Sm…th est une femme fortjolie, quoique pas remarquablement belle&|160;; elle est trèsignorante, et elle fut trompée par un acteur ambulant, dont elle aadopté le nom. Pour ne point mourir de faim avec lui dans ungrenier, ou pour ne pas être envoyée à la maison de correctioncomme une vagabonde (car elle est très impétueuse, quoique toute sascience se borne à lire une chanson et à prononcer les mots tout detravers), elle se fit inscrire sur la liste des grisettes&|160;;étant donc entrée chez Mme&|160;Nelson comme une nouvelle figure,elle y a gagné une somme considérable d’argent, et maintenant ellefigure avec éclat au Ranelagh, à Carlisle-House et au Panthéon.

«&|160;Mme&|160;B…ker est une dame qui,pendant longtemps, a été très connue au théâtre. Quoiqu’elle aitparu souvent ici dans le caractère d’une déesse, nous ne pensonspas qu’elle ait quitté les planches&|160;; elle a de justesprétentions à ce titre&|160;; elle vécut pendant deux ans avec lecomte H…g&|160;; mais le comte, au bout de ce temps, ayantremarqué que ses affaires étaient très embarrassées et ayant doncen conséquence refusé de satisfaire aux demandes pécuniaires deMme&|160;B…ker, elle visite maintenant les séminaires pour yrencontrer un administrateur temporaire et pour se mettre au-dessusdu besoin&|160;; elle va également dans les mascarades et autresendroits publics.

«&|160;Miss Fisher a adopté ce nom parcequ’elle s’imagine ressembler beaucoup à la célèbre Kitty Fisher,qui était, il y a quelques années, la Laïs du bon ton la plusadmirée&|160;; on ne peut refuser qu’il y ait beaucoup de rapportentre elles&|160;; mais en vérité, nous ne pouvons pas dire que laprésente Fisher possède les qualités personnelles et spirituellesde Kitty&|160;; néanmoins elle est une fille très agréable, elle aplusieurs admirateurs, au nombre desquels se trouvent des personnesdu premier rang.

«&|160;Miss H…met a la prétention de se croirepetite parente de Mme&|160;Les…ham, mais nous croyons que laconsanguinité est imaginaire&|160;; il est certain qu’il y aquelque légère ressemblance de traits entre elles, elle imite cettedame autant qu’elle le peut dans son jeu, et comme Miss H…met esttrès vive, elle se flatte d’être engagée l’année prochaine à un desthéâtres.

«&|160;Nous allons maintenant parler d’unedame qui unit le jeûne et la débauche, la religion et le vice dansun degré d’hypocrisie dont il y a peu d’exemples.Mme&|160;P… est ou prétend être la femme d’un prédicateurambulant qui, depuis quelque temps, est enfermé par ordre de lajustice&|160;; elle est si extrêmement dévote qu’elle considèrecomme un péché mortel de mettre le moindre morceau de chair dans sabouche&|160;; mais nous ne dirons pas qu’elle l’abhorre aussicomplètement que de ne jamais en goûter d’une autre manière etaussi abondamment et aussi voluptueusement que possible&|160;; ellea, par sa rigide pénitence, obtenu le titre de systèmevégétal… Sa dévotion est égale à son péché. Si elle doit secoucher à cinq heures avec l’amant le plus athlétique que l’onpuisse décrire, elle n’a aucune sorte d’objection pour ne paséprouver la vigueur de son camarade de lit&|160;; mais aussitôtqu’elle entend la cloche de sept heures, qui appelle à la prière,elle se jette alors à bas du lit, elle s’habille promptement etelle vole à l’église ou à la chapelle pour faire desdévotions&|160;; l’office achevé, elle revient à son cher amoureux,elle se déshabille et elle se remet au lit pour achever lescérémonies de Vénus qu’elle avait auparavant commencées&|160;;cette conduite exemplaire, jointe à sa stricte abstinence de lachair dans un sens ou à son système végétal, doit certainement laplacer dans le vrai chemin du ciel dans lequel elle ne doit pastrouver d’obstacles pour empêcher le progrès de son voyagecéleste.

«&|160;Par ces secours agréables et religieux,Mme&|160;Nelson trouve les moyens de satisfaire le goût et lesdispositions de chacun de ses visiteurs. Est-il philosophe,casuiste ou métaphysicien&|160;? Mme&|160;M…rshall peut disputerdes sciences occultes avec le logicien le plus subtil des écoles.Le vrai sensualiste trouvera une ample gratification dans lapersonne de Mme&|160;Sm…th, d’autant que l’unique étude à laquelleelle s’est toujours appliquée est celle d’une agréable courtisane.Mme&|160;B…ker peut ravir par son chant et vous faire croirequ’elle est presque une déesse, comme elle l’était autrefois sur lethéâtre. Si la pompe et l’affection doivent avoir quelques charmesaux yeux d’un adorateur, Miss Fisher peut prendre tous les airsd’une femme de qualité du plus haut ton. Si un amoureux désireentendre Desdemona ou autres personnages furieux, Miss H…met peuten remplir le caractère avec autant de grâce qu’Othello lui-même.Si le puritain fanatique paraît animé de l’esprit de la chair,Mme&|160;P… jeûnera et priera avec lui aussi longtemps qu’il ledésirera, excepté au lit.

«&|160;Il n’est donc point surprenant que lesvisiteurs de Mme&|160;Nelson fussent de tous les rangs etdénominations, depuis le duc jusqu’au méthodiste qui accable sesparoissiens d’une abondance de damnation pour l’autre monde, afinde pouvoir jouir, sans trouble des douceurs et félicités de cettesphère mondaine dans les bras de sa Laïs.

«&|160;Ayant, comme nous le présumons, renduun triste hommage, à Mme&|160;Nelson, nous jugeons qu’il est tempsde renouveler nos visites à nos anciennes amies deKing’s-Place.

** * * *

«&|160;Nous revenons maintenant au grandendroit d’amour, de plaisir et de bonheur, au célèbre sanctumsanctorum, ou King’s-Place. Pendant nos dernières excursions àMay-Fair et à Newman-Street, il arriva une révolution trèsconsidérable dans ces séminaires. Charlotte Hayes se retira ducommerce. Mme&|160;Mitchell ruina un gentilhomme irlandais,extrêmement riche, et la négresse Harriot fut volée et pillée parses domestiques. Mais comme nous rencontrons cette dame chezMme&|160;Dubéry, nous allons présentement parler d’elle comme d’uncaractère extraordinaire.

«&|160;État présent et exact des séminairesdans King’s-Place, donné d’après les meilleuresautorités&|160;:

«&|160;Mme&|160;Adams.

«&|160;Mme&|160;Dubéry.

«&|160;Mme°Pendergast.

«&|160;Mme&|160;Windsor.

«&|160;Mme&|160;Mathews.

«&|160;Avant de parler des belles nonnes deces séminaires, nous allons donner une petite description de lanégresse Harriot, tandis qu’elle demeure encore dans un deces endroits voluptueux.

«&|160;Harriot habitait les côtes de laGuinée&|160;; elle était extrêmement jeune lorsqu’elle fut conduiteavec d’autres esclaves à la Jamaïque. Arrivée là, elle fut exposéeen vente, suivant la coutume ordinaire, et achetée par un richecolon de Kingston. À mesure qu’elle avança en âge, on découvrit enelle un génie vif et une intelligence supérieure à la classeordinaire des Européens dont les esprits ont été cultivés parl’instruction. Son maître la distingua bientôt de sescamarades&|160;; il prit en elle une confiance particulière et illa fit l’intendante de ses négresses&|160;; il lui fit apprendre àlire, à écrire, à compter, afin de tenir ses registres et réglerses comptes domestiques. Comme il était veuf, il l’admettait trèssouvent dans son lit&|160;; cet honneur était toujours accompagnéde présents, qui bientôt attestèrent qu’elle était safavorite&|160;; elle resta dans cet état près de trois années,pendant lequel temps elle eut deux enfants. Ses affairesl’appelèrent alors en Angleterre&|160;; Harriot l’y accompagna.Malgré les beautés qui, dans cette île, fixaient son attention,elle demeura constamment et sans rivalité l’objet chéri de sesdésirs, et cela n’était pas en quelque sorte extraordinaire, car,quoique son teint ne fût pas aussi engageant que celui des bellesfilles d’Albion, elle possédait plusieurs charmes qui ne sont pasordinairement rencontrés dans le monde femelle qui s’adonne à laprostitution. Harriot était fidèle à son maître, soigneuse de sesintérêts domestiques, exacte dans ses comptes, et elle n’auraitpoint souffert que personne le trompât, et à cet égard elle luiépargna par an quelques centaines de livres sterling. La personned’Harriot était très attrayante&|160;; elle était grande, bienfaite et gentille. Pendant son séjour en Angleterre, elle avaitorné son esprit par la lecture de bons ouvrages et, à larecommandation de son maître, elle avait acheté plusieurs livresutiles, agréables et convenables aux femmes. Elle avait par làconsidérablement perfectionné son jugement et elle avait acquis undegré de politesse qui se trouve à peine chez les Africaines.

«&|160;Telle fut sa situation pendantplusieurs mois&|160;; mais, malheureusement pour elle, son maître,ou plutôt son ami, qui n’avait jamais eu la petite vérole, attrapacette maladie, qui lui devint si fatale qu’il paya le tribut de lanature. Harriot possédait une assez belle garde-robe et quelquesbijoux&|160;; elle avait toujours agi d’une manière si généreuse etsi équitable qu’à la mort de son maître elle n’avait pas amassé enargent une somme de cinq livres sterling, quoiqu’elle eût pu,aisément et sans mystère, devenir la maîtresse de mille louis.

«&|160;La scène fut bientôt changée&|160;: desurintendante d’une table splendide, elle se trouva réduite à unetrès mince pitance, et même cette pitance n’aurait pas durélongtemps si elle n’eût pas avisé aux moyens de venir promptementau secours de ses finances presque épuisées.

«&|160;Nous ne pouvons pas supposer queHarriot eut quelques-uns de ces scrupules délicats et consciencieuxqui constituent ce que l’on appelle ordinairement la chasteté et ceque d’autres nomment la vertu. Les filles de l’Europe, aussi bienque celles de l’Afrique, en connaissent rarement la significationdans leur état naturel. La nature dirigea toujours Harriot,quoiqu’elle eût lu des livres pieux et remplis de morale&|160;;elle trouva qu’il était nécessaire de tirer un parti avantageux deses charmes et, à cet effet, elle s’adressa à Lovejoy,pour qu’il la produisît convenablement en compagnie. Elle était,dans le vrai sens du mot, une figure tout à fait nouvelle pour laville et un parfait phénomène de son espèce. Lovejoy dépêchaimmédiatement un messager au lord S…, qui s’arracha aussitôt desbras de Miss R…y pour voler dans ceux de la beauté maure.Le lord fut tellement frappé de la nouveauté des talents supérieursde Harriot, auxquels il ne s’attendait pas, qu’il la visitaplusieurs jours de suite et ne manqua jamais de lui donner chaquefois un billet de banque de vingt livres sterling,

«&|160;Harriot roula alors dans l’or&|160;;trouvant donc qu’elle avait des attraits suffisants pour s’attirerla recommandation et l’applaudissement d’un connaisseur aussiprofond que l’était milord dans le mérite femelle, elle résolut devendre ses charmes au plus haut taux possible, et elle conclut quele caprice du monde était si grand que la nouveauté pouvaittoujours commander le prix.

«&|160;Dans le cours de peu de mois, ellepouvait classer sur la liste de ses admirateurs quarante pairs etcinquante membres de la Commune qui ne se présentaient jamais chezelle qu’avec un doux papier appelé communément billet de banque.Elle avait déjà réalisé près de mille livres sterling, outre lelinge, la garde-robe immense, la vaisselle d’argent, les beauxameublements et les bijoux qu’elle s’était achetés. Un de ses amislui conseilla, alors de saisir l’occasion favorable qui seprésentait à elle de succéder à Mme&|160;Johnson dansKing’s-Place&|160;; elle écouta cet avis et, employa presque sapetite fortune à ce nouvel établissement.

«&|160;Harriot eut pendant quelque temps unsuccès prodigieux, mais ayant pris un caprice pour un certainofficier des gardes qui n’avait que sa paye pour se soutenir, ellerefusa d’accepter les offres de tout autre. adorateur&|160;; étantdonc, pendant ce temps, obligée de délier les cordons de sa bourseen faveur de ce fils de Mars, elle trouva bientôt un grand déficitdans l’état de ses recettes. Elle alla la saison dernière, avec sesnonnes, à Brightelmstoue&|160;; les domestiques, à qui elle avaitlaissé la charge et la conduite de sa maison, profitèrent de sonabsence&|160;: ils augmentèrent non seulement le montant de sesdettes en prenant à crédit dans toutes les boutiques du voisinage,mais ils lui dérobèrent plusieurs choses de valeur, qu’elle ne putpas ravoir. Elle ne voulut pas les poursuivre, quoiqu’ilsterminèrent la scène de sa ruine, car Harriot fut et est encoreenfermée pour dettes.

«&|160;Nous allons donc la laisser où elle estpour rendre visite aux autres abbesses. Nous commencerons parMme&|160;Adams, à l’extrémité septentrionale de laconstellation des séminaires, chez qui nous trouvons l’aimableEmily, les beaux yeux de Ph…y et la jolie Coleb…ke.

«&|160;Cette Emily n’est point EmilyC…l…lh…st, dont nous avons déjà parlé, mais Emily R…berts, quidescendait d’une famille toute différente. Son père était unrémouleur très fameux, et peu d’artistes dans ce genre ont euautant de réputation que lui&|160;; cependant, malgré son état etla considération dont il jouissait, il ne pouvait donner à sonEmily aucune fortune-capitale, ce qui la contraignit d’entrer auservice&|160;; elle se plaça donc chez un marchand respectable etvécut pendant quelque temps dans l’état de l’innocence. À la fin,le fils de son maître la débaucha, les fruits de leurcorrespondance devinrent bientôt visibles et elle se vit forcéed’abandonner la maison. Dès qu’elle eut donné au monde le gage deson indiscrétion, elle n’eut plus d’inclination pour le service. Lepanneau de sa chasteté étant donc démoli, il lui fut aisé de sepersuader que ses charmes la maintiendraient dans cet étatd’aisance, de dissipation et de plaisir pour lequel elle était sinaturellement portée. Il faut avouer qu’Emily était, dans le sensdu mot reçu de King’s-Place, une très bonne marchandise&|160;; ilest impossible d’être plus aimable qu’elle… Son frère travailletoujours dans l’humble état de rémouleur ambulant, comme successeurde son père. Mais si Emily n’a pas avancé son frère dans quelqueautre dignité, elle a, du moins, augmenté son petit commerce en luiprocurant les pratiques de tous les séminaires de Ring’s-Place, oùil travaille presque tous les jours de sa vocation.

«&|160;Miss Ph…y est célèbre et remarquablepar le brillant et la vivacité de ses yeux&|160;; elle est, àd’autres égards, une fille fort gentille et très agréable&|160;;elle fut mise en apprentissage chez une lingère dans Bond-Street etelle fut séduite par le lord P…, qui bientôt l’abandonna et la mitdans la nécessité d’aller exposer ses charmes dans ce marché,général de la beauté.

«&|160;Miss Coleb…ke est fort jolie et sedistingue par sa vivacité et ses reparties. M.&|160;R…, l’acteur,eut l’honneur d’être le premier sur la liste de sesadorateurs&|160;; elle fut la dupe d’un avertissement qu’il luiadressa au sujet de sa belle figure théâtrale&|160;; en conséquencede cet avertissement, elle eut un rendez-vous avec lui. M.&|160;R…lui promit de lui enseigner l’art dramatique et de la présenter audirecteur du théâtre&|160;; il lui dit qu’il ne doutait pointqu’elle ne devînt, en peu de temps, l’ornement de la scène etqu’elle n’obtînt un traitement considérable&|160;; il lui donnaquelques leçons dramatiques&|160;; mais dans une des scènestendres, il joua si bien son rôle qu’elle fut forcée de reconnaîtreses talents et de céder à ses conseils, et qu’elle réalisa lesdescriptions les plus amoureuses de nos poètes.

** * * *

«&|160;Après avoir pris congé deMme&|160;Adams, nous approchâmes de l’équinoxe et nous fîmes voilevers le midi, où, après avoir touché le port suivant, nous entrâmesdans la baie Dubéry, où nous sommes assurés d’être très bienravitaillés et d’y être pourvus des vins et autres liqueursnécessaires pour poursuivre notre voyage à travers les détroits deKing’s-Place.

«&|160;Mme&|160;Dubéry est une femme du monde,et quoiqu’elle n’ait jamais lu les Lettres deChesterfield, elle peut découper une pièce avec autantd’adresse et de dextérité que milord lui-même. En effet, aucunefemme ne fait les honneurs de la table avec autant de propreté etd’élégance qu’elle. Quoiqu’elle ait reçu une éducation d’école etque ses mœurs furent un peu viciées par de mauvais exemples et parla lecture des Bijoux indiscrets, ses manières sont sipolies qu’elle paraît en quelque sorte une femme de ton&|160;; elleabhorre tout ce qui est vulgaire et ne se sert jamais d’expressionsqui choquent la bienséance&|160;; elle a quelque teinture de lalangue française&|160;; elle parle un peu italien, et, par lesecours de ces langues, elle peut accommoder les seigneursétrangers aussi bien que les sénateurs anglais&|160;: c’est pourcette raison que les ministres étrangers visitent souvent sonséminaire et trouvent toute la satisfaction qu’ils désirent.

Le comte de B…, M.&|160;de&|160;M…p…n, lebaron de N…, M.&|160;de&|160;D…, le comte de M… et le comte H…conviennent tous que les traités de cette maison sont dignes ducorps diplomatique. En un mot, tout le département du Nord vient,suivant l’occasion, y faire sa visite, et Mme&|160;Dubéry n’est passans les plus grandes espérances que le département méridionalsuivra bientôt leur exemple.

«&|160;Il ne faut cependant pas s’imaginer queles visiteurs de Mme&|160;Dubéry étaient tous des membres du corpsdiplomatique&|160;; non, assurément…

** * * *

«&|160;… Avant de rendre une visite en formeau séminaire de Mme&|160;Pendergast, qui, après la maisonde Mme&|160;Dubéry, est le plus voisin dans King’s-Place, nous nepouvons refuser l’invitation que nous avons reçue de nous rendrechez la célèbre Mme&|160;W…rs&|160;; une dame entièrementsur le haut ton, qui tient une maison de rendez-vous pour lesfemmes galantes et les beaux garçons de classesupérieure et qui s’est acquis une grande réputation par sacapacité à accoupler les deux sexes&|160;; aussi, par ces moyenshonorables et industrieux, elle roule dans un brillant équipage etsoutient une maison considérable, consistant en personnes depresque chaque dénomination…

«&|160;Nous y trouvâmes des beaux et desbelles, des auteurs, des artistes, des musiciens et des chanteurs.À notre première entrée, le groupe était formé du lordP…y, du colonel Bo…den, deM.&|160;A…ns…d et de M.&|160;C…b…d. Les damesétaient Mme&|160;H…n, Mme&|160;P…y, lamarquise de C…n, Mme&|160;Gr…r et MmesJ…… Il vint bientôt après d’autres visiteurs des deux sexes.Nous goûtâmes dans cette respectable compagnie le plaisir le plusagréable, d’autant que l’esprit et la beauté y régnaient à plusd’un titre. Comme il est ordinaire dans les compagnies mélangées dejouer aux cartes, on fit deux quadrilles…

«&|160;… On pria M.&|160;L…ni dechanter&|160;; il se rendit de la manière la plus agréable au désirde la compagnie&|160;; son ami l’accompagna de la flûte, et ilsreçurent les applaudissements qu’ils méritaient.

«&|160;Le lord P.f.t., ayant tiré àpart notre petit cercle du reste de la compagnie, ne put s’empêcherde donner carrière à sa veine sarcastique&|160;; il nous dit&|160;:«&|160;Je suis disciple de Pythagoras, et je crois fermement à lamétempsycose. Tandis que M.&|160;L…ni chantait, je ruminais quelleserait la transmigration la plus probable des âmes des damesprésentes&|160;; je pensais que celle de Lady H…s passerait dans lecorps d’une chèvre de l’espèce la plus vicieuse&|160;; que celle deMme&|160;P…y animerait peut-être un hoche-queue&|160;; que celle dela marquise de C…n pourrait, comme un serpent, se plier et sereplier dans la figure d’un B…h orgueilleux&|160;; quecelle de Mme&|160;Gr…r occuperait certainement le corps petit, maischaud, d’une grenouille, d’autant que l’on assure que cet animalest de toutes les créatures vivantes le plus long dans l’acte decoïtion&|160;; que celle de la pauvre Mme&|160;H…x, que jeplains de tout mon cœur, se réfugierait dans celui d’une brebisinnocente, comme étant jugée une victime&|160;; quant à celles deMmes J…, je pense que rien ne pourrait mieux leur convenir que lescorps d’une vipère, d’un crapaud ou d’un serpent àsonnettes.&|160;» Le lord, après avoir ainsi donné un libre essor àson imagination sur la transmigration des âmes des dames, futinterrompu par M.&|160;L…ni qui chanta un air favori auquel chacunprêta la plus sérieuse attention et pour lequel il reçut lesapplaudissements réitérés de toute la compagnie.

** * * *

«&|160;En nous éloignant de King’s-Place, nousallons rendre une visite amicale à une ancienne connaissance, dansQueen-Anne’s-Street. Nous serions en effet inexcusables de ne pasnous trouver à un rendez-vous aussi important que celui qui nousest assigné par Mme&|160;Br…dshaw. Nous aurions dû, à lavérité, nous présenter chez elle plus tôt, mais le fait est quenous n’étions par informé, du moins en partie, des. anecdotessuivantes.

«&|160;Nous ne prétendons pas tracer avec uneexactitude biographique la généalogie de Miss FannyHerbert. Cette dame, que nous avons rencontrée d’abord dans unséminaire, dans Bow…-Street, commença, bientôt après, cette époque,à travailler pour son compte et tint une maison très renommée aucoin du passage de la Comédie, dans la même rue, où elle demeuralongtemps.

«&|160;C’était une belle femme, grande et bienfaite, ayant un beau teint, des yeux vifs et expressifs et lesdents très blanches et très régulières. Nous croyons qu’ellen’avait point recours à l’art supplémentaire qu’emploient presquetoutes les nymphes du jardin. Sa maison était élégammentmeublée&|160;; une bonne table servie en vaisselle d’argentséduisait l’œil de ses visiteurs&|160;: ses nymphes, en général,étaient des marchandises supportables. Un riche citoyen était sonami le plus assidu et peut-être le principal soutien de samaison&|160;; mais quoiqu’elle ne fût pas prodigue de ses faveurs,elle n’était pas insensible à la rhétorique persuasive d’un beaujeune homme de vingt-deux ans, à larges épaules et très bientaillé. Le capitaine H…, M.&|160;B…,M.&|160;W… et plusieurs autres personnes qui vinrent seranger sous son étendard furent, en diverses occasions, très bienaccueillis dans la compagnie particulière&|160;; il faut cependantavouer qu’elle n’avait point l’âme mercenaire&|160;: parconséquent, ces messieurs, qui étaient tous beaux garçons deprofession, au lieu d’augmenter ses revenus, contribuaientplutôt à les diminuer, d’autant que la plus grande partie d’entreeux se trouvaient ruinés.

«&|160;À la fin, elle trouva un gentilhommed’une fortune considérable qui fut si passionné de ses charmesqu’il pensa que le seul moyen de la posséder, à lui tout seul,était de l’épouser&|160;; il lui offrit donc sa main, dans uneintention honorable, et pour la convaincre que sa proposition étaitsérieuse, il prit une maison agréable dans Queen-Anne’s-Street (oùelle demeure actuellement)&|160;; il la fit meubler d’une manièreélégante et fixa le jour de leurs noces&|160;; mais il tombasubitement malade&|160;; ses médecins lui conseillèrent, pour sasanté, de se rendre aux eaux de Bath&|160;; il y fut àpeine rendu qu’il y paya, avant la célébration de leursépousailles, la grande dette de la nature. Miss Fanny Herbert, enentrant dans la maison qu’il lui avait meublée dansQueen-Anne’s-Street, y ayant pris son nom, l’a toujours portédepuis.

«&|160;Mis Fanny Herbert se trouvant par cettemort inattendue dans un embarras extrême, ne sut, pendant quelquetemps, quel parti prendre. Comme elle n’avait point entièrementabandonné sa maison dans Bow-Street, elle continua toujours sonancien train de prostitution variée&|160;; bientôt après, ellesuivit une route honnête, elle quitta sa maison de Covent-Garden etse retira entièrement dans celle de Queen-Anne’s-Street.

«&|160;Sa maison devint alors un desséminaires les plus policés pour l’intrigue élégante, car aucunefemme, quand elle le voulait, ne se comportait avec plusd’honnêteté que Fanny&|160;; elle a l’esprit enjoué et emploie àpropos l’équivoque&|160;; à cet égard, on peut la regarder commeune seconde Lucie Cooper&|160;; en effet, Fanny l’imite trop, etquelquefois sans succès, mais en général, elle est une compagnevive et agréable, et quoiqu’elle ne soit plus dans son printemps,elle n’en est pas moins une personne digne encore derecherches.

«&|160;Miss Fanny Butler reçoitsouvent dans sa maison l’agréable Miss M…n, la capricieuseMme&|160;W…n et l’aimable Miss T…h. Ces damesfréquentent alternativement King’s-Place et les autres séminaires.Mais elles ne trouvent dans aucun de ces endroits de compagnie plusconforme à leur esprit que dans Queen-Anne’s-Street.

«&|160;La première de ces dames est beaucoupcourtisée par le chevalier P…0 et M.&|160;M…r,Portugais. M.&|160;Pis…ni, résident vénitien, a pris uncaprice pour Mme&|160;W…n. Quant à Miss T…h, elle est devenuel’intime amie de M.&|160;d’Ag…o, ministre de Genève.

«&|160;Nous pouvons pareillement introduiredans la maison de Mme&|160;Br…dsh…w tout le corps diplomatique dudépartement méridional, à l’exception de l’ambassadeurespagnol&|160;; nous allons prendre congé de ces messieurs, pourparler d’un nouveau visiteur, le lord Champêtre…

** * * *

«&|160;Ce fut chez Mme&|160;Br…dsh…w que lelord Champêtre vit d’abord Mme&|160;Armst…d. C’est l’opiniongénérale que le lord eut un tendre penchant pour Fanny et qu’ilpassa dans ses bras de doux moments&|160;; mais il est certainqu’il rendait de fréquentes visites particulières àMme&|160;Br…dsh., w, toutes les fois qu’il n’avait point d’autreobjet ostensible d’attachement, et que l’on a vu cette dame sepromener dans sa voiture dans les environs de la ville et sur lesdifférents chemins qui conduisent à Richmond,Putney et Hampstead. Il dirigea bientôt sa chaudeartillerie sur Mme&|160;Armst…d qui venait souvent chezMme&|160;Br…dsh…w&|160;; il la pressa de si près qu’elle cédabientôt, d’après une carte blanche qui lui fut offerte parmanière de capitulation. Il lui accorda tous les honneurs de laguerre amoureuse, et elle céda tambour battant, mècheallumée. Nous prions le lecteur de ne pas mal interprétercette dernière expression et de croire qu’il n’y avait point lamoindre raison de soupçonner un tison de l’un ou de l’autrecôté.

«&|160;Plusieurs personnes pensent que le lordcontinue toujours d’avoir un tendre penchant pour Fanny,quoiqu’elle ait presque cinquante ans et qu’il partage sesaffections entre elle et Mme&|160;Armst…d. Que ce soit assuré ounon, il n’en est pas moins vrai que les dames vivent dans le plusparfait accord et qu’il ne paraît pas y avoir entre elles lamoindre apparence de jalousie.

«&|160;Comme nous avons donné un détailparticulier de la conduite de Fanny jusques et y compris sasituation présente, nous allons avoir la même attention pourMme&|160;Armst…d.

«&|160;Nous sommes informés queMme&|160;Armst…d n’est point d’une famille illustre et qu’elle estla fille d’un cordonnier&|160;; qu’étant abandonnée de ses parentset que n’ayant aucun moyen de vivre, elle jugea prudent de mettreses charmes à prix, et que l’excellente négociatrice,Mme&|160;Goadby, ayant entrepris d’en faire la vente, en informa unmarchand juif. Il paraît qu’à celte époque elle avait tout au plusquinze ans&|160;; elle était bien faite, ses traits étaientparfaits et sa physionomie était tout à fait agréable. Il estprouvé que le lord L…n fut, après le juif, le second admirateur àqui Mme&|160;Goadby la présenta&|160;: mais comme les finances dulord n’étaient pas à ce temps dans un état aussi florissant qu’ilaurait pu le désirer, Mme&|160;Armst…d trouva que ses moyenspécuniaires n’étaient pas pour elle une connaissance avantageuse,et elle crut alors convenable d’accorder sa compagnie au duc deA…, mais leur correspondance ne dura que quelques mois,parce qu’il découvrit bientôt son infidélité&|160;; quelque tempsaprès, elle passa dans les bras du noble Cr…kter&|160;;cela paraîtra singulier en considérant sa liaison future avec ladyChampêtre&|160;; mais on peut dire, , en cette occasion, que le ducet le lord changèrent de danseuses dans le même cotillon.

«&|160;Bientôt après, le lord Champêtre formacette correspondance avec Mme&|160;Armst…d&|160;; il lui loua unepetite maison de campagne près de Hampstead&|160;; cette dame etFanny passèrent la plus grande partie de l’été dernier dans cetteretraite champêtre, allant dans la voiture du lord se promener dansles endroits voisins.

«&|160;Cette liaison est maintenant si bienétablie et le lord garde si peu le moindre secret de sonattachement pour ses deux dames qu’il y a raison de croire qu’elledurera longtemps&|160;; il est successivement occupé à satisfaireses passions amoureuses dans les bras de Fanny He…be…t etde Mme&|160;Armst.d. Fanny, outre les visites du lord Champêtre,est fréquemment favorisée de la compagnie du colonel B…, dubaronnet Thomas L…, du lord B… et de plusieursdes membres de chez Arthur et de Bootle. Lesdames qui fréquentaient ordinairement la maison deMme&|160;Br…dsh…w étaient Charlotte Sp…r, qui prit ce nomde sa liaison avec le lord Sp…r, Miss G…lle,Miss Mas…n, Mme&|160;T…r etMme&|160;L…ne.

«&|160;La première de ces dames a, pendantquelques années, figuré sur la liste des courtisanes du hautton&|160;; quoiqu’elle soit toujours dans son printemps et qu’ellesoit de la figure la plus agréable, elle est très difficile dans lechoix de ses amants, et, quoiqu’elle en ait plusieurs, elle préfèretoujours ses anciennes connaissances aux nouvelles. Le lord B… esttrès amoureux de Charlotte, malgré qu’il la connaisse depuis sixans passés. Le lord n’est plus actuellement le gai, le beaugarçon de vingt-deux ans, comme l’était Ned H… quandil fit la conquête d’une certaine duchesse àTunbridge&|160;; il trouve qu’il y a plus de peine àattacher un friand morceau que d’en venir à une action avec unedame d’expérience qui est libre d’accès et disposée à soutenir lesiège, quoiqu’il ne soit peut-être pas aussi vigoureux que sic’était une attaque de jeunesse.

«&|160;Comme l’aventure du lord B… à Tunbridgefut à la fois heureuse et bizarre, nous pensons que le lecteur nesera pas fâché d’en trouver ici le détail. À cette époque, lesappartements, dans cet endroit, étaient loués parM.&|160;Toy, qui, sur le récit d’une hésitation dans savoix et commençant tous ses mots par Tit Tit (n’importel’interprétation que l’on donne à ce premier mot), fut surnomméTit Tit[4]. Mme&|160;la duchesse de M… était danscette saison à prendre les eaux&|160;; se promenant un jour dansles jardins, elle aperçut, à travers un buisson, une plantesensitive qui lui parut si extraordinaire qu’après l’avoir bienremarquée elle la reconnut pour être celle d’un Tit Tit.Elle fut si frappée de sa longueur et de sa grosseur qu’ellerésolut d’en avoir la possession&|160;; dans ce dessein, elle allajusqu’à offrir sa main au Toy&|160;; mais malheureusement il setrouvait engagé et ne pouvait pas accepter l’honneur qui lui étaitproposé&|160;; cependant Toy s’intéressant au vif désir de SonAltesse et s’étant aperçu aussitôt qu’elle avait envisagé avectransport la plante sensitive, voulant en outre rendre service àson ami Ned, il informa Mme&|160;la duchesse de M… que cegentilhomme possédait une plante encore plus belle et plussensitive que lui. Son Altesse fut tellement enchantée de cet avisqu’en peu de temps Ned fut en pleine possession de sa…fortune.

«&|160;Miss G…lle, la seconde personne sur laliste des visiteurs femelles de Mme&|160;Br…dsh…w, est grande etd’une figure agréable&|160;; elle a tout au plus dix-huitans&|160;; sa contenance douce et expressive indique la bonténaturelle de son caractère&|160;: elle est la fille d’un chapelainqui mourut pendant qu’elle était très jeune et qui ne lui laissad’autre soutien qu’une fondation faite au profit, soulagement,entretien et éducation des fils et des filles desecclésiastiques&|160;; elle fut donc, par les fonds de cetétablissement, placée apprentie chez une couturière&|160;; elledemeura chez cette dame une partie de son apprentissage, mais leclerc d’un avocat lui fit la cour&|160;; elle l’écoutafavorablement, s’imaginant que ses desseins étaienthonorables&|160;; elle consentit de passer avec lui en Écosse.Lorsqu’ils furent en route, le clerc employa si bien la rhétoriqueamoureuse qu’il lui persuada d’antidater la cérémonie. Après deuxnuits de pleine satisfaction, il la quitta&|160;; elle se vit alorsobligée de revenir comme elle put, se trouvant grandement mortifiéed’avoir été abusée. La nécessité où elle se trouvait la contraignitde gagner sa vie. Ayant donc cédé toutes ces prétentions à lachasteté et étant présentée chez Mme&|160;Nelson, on lui persuadaaisément de suivre les avis de cette dame&|160;; elle commençaalors un nouvel apprentissage dans cette maison.

«&|160;Miss Mas…n descend d’une famille quivivait au delà de ses revenus et qui s’imaginait qu’il n’étaitpoint nécessaire de lui amasser une dot, d’autant qu’elle avait,aux yeux de ses parents, des charmes suffisants pour se procurer unmari de rang et de fortune&|160;; mais, hélas&|160;! les hommes dece siècle pensent que la beauté doit toujours être achetée quandelle est accompagnée de la pauvreté, et cette jeune personne est unexemple frappant de la vérité de cette observation.

«&|160;Mme&|160;Tur…r est la fille d’un grosmarchand de drap qui, à sa. mort, lui laissa une fortune assezconsidérable&|160;; elle vécut pendant quelque temps dansl’abondance, mais malheureusement elle fit la connaissance deM.&|160;Tur…r (qui était un des chasseurs les plus accrédités defortune et qui avait déjà trompé plusieurs femmes crédules de lamême manière qu’il en usa avec cette dame) qui lui offrit del’épouser&|160;; elle céda en peu de temps à ses tendressollicitations&|160;: les noces se firent. À peine le premier moisde mariage était-il écoulé que M.&|160;Tur…r décampa, après s’êtreemparé de l’argent comptant, des billets de banque et effetsprécieux de sa femme, en un mot de tout ce qu’elle possédait&|160;;elle apprit, mais trop tard, qu’avant de l’épouser il avait aumoins une demi-douzaine de femmes existantes qu’il avait égalementtraitées. Dans son désespoir, elle résolut d’user de représaillesenvers tout le sexe masculin et de lever des contributions surtoutes les personnes qui s’adresseraient à elle&|160;; elle a sibien réussi à cet égard qu’après avoir travaillé dans sa vocationprésente pendant dix-huit mois consécutifs elle a réalisé une sommede 1, 5oo livres sterling.

«&|160;Mme&|160;L…ne est une fort jolie femme,elle a des yeux noirs très expressifs et de superbes cheveux&|160;;elle est âgée d’environ vingt-cinq ans&|160;; elle a demeurépendant quelque temps dans New-Compton-Street, n° 10. Nous avouonsque nous n’avons pas eu de renseignements sur sa vie, mais nouscroyons qu’elle a été pendant quelque temps chez une marchande demodes, près de Leicester-Fields. Elle n’a point l’âme mercenaire,mais elle est très voluptueuse et très agréable.

«&|160;Telles sont les principales personnesqui viennent chez Mme&|160;Bradshaw, de laquelle nous prenonscongé, après lui avoir fait une aussi longue visite.

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«&|160;La maison de Mme&|160;Pendergast estsituée dans le centre de King’s-Place et a, jusqu’à présent,conservé sa dignité, d’après les règlements de cette abbessejudicieuse. La plupart des belles nymphes, sous la dénomination defilles de joie, ont figuré dans ce séminaire et ont contribué auxplaisirs de la première noblesse…

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«&|160;… Une ressemblance de nom entreMme&|160;Windsor et une autre dame, qui ne demeure pas à un millede Wardour-Street, Soho, a empêché plusieurs de ses amis, bienpensants, de venir dans son séminaire, d’après les bruits quiavaient couru de toutes parts que cette dernière dame était enclineà un vice qui révolte la nature humaine et dont l’idée seule faitfrémir. Mme&|160;Windsor ferait bien de changer de nom, afin queses amis et ses visiteurs n’imputassent plus à sa maison un pareilgenre d’amusements.

«&|160;Nous trouvons chez Mme&|160;Windsorplusieurs belles personnes, au nombre desquelles BetsyK…ng, une belle et rayonnante fille de dix-neuf ans, que l’onpeut regarder comme la Laïs là plus attrayante qui soit dans lesséminaires aux alentours de King’s-Place. On peut comparer sapersonne à son caractère qui est complètement aimable&|160;; et sil’on pouvait, pour un moment, oublier qu’elle est forcée par lanécessité de prostituer sa douce personne, on s’imaginerait voir enelle un ange. Betsy K…ng fut séduite, étant à l’école, par lanégresse Harriot qui était dans ce temps dans toute sagloire&|160;; mais il faut avouer qu’elle n’employa pas envers elleles mêmes artifices dont Santa Charlotta se servit àl’égard de Miss M…e, de B…L…, ou Mme&|160;Nelson à l’égard de MissW…ms et Miss J…nes. Il est vrai que la négresse Harriot fut lanégociatrice du traité entre Betsy K…g et le lord B…e&|160;; maisil faut convenir aussi que Betsy fit presque la moitié des avances,car elle déclara qu’elle était fatiguée d’être à moitié innocente,puisque d’après les pratiques de ses camarades d’école, elle avaitacquis une telle connaissance dans l’art de la masturbation qu’ellesatisfaisait ses passions presque à l’excès&|160;; mais ce moyen,au lieu de lui faire négliger les pensées du bonheur réel, laportait au contraire à désirer avec plus d’empressement lavéritable jouissance d’un bon compagnon. Le lord B…e lui futprésenté dans ce point de vue&|160;; comme il possédait de toutesles manières tout ce qu’il faut pour rendre une femme complètementheureuse, elle céda à la première entrevue à ses embrassements. Safuite jeta l’alarme dans l’école. Lorsque son oncle, qui était sonplus proche parent existant, découvrit qu’elle était débauchée etqu’elle résidait dans un des séminaires de King’s-Place (pour nousservir d’une phrase vulgaire), il se lava les mains et dit qu’ellene lui était plus rien. La passion du lord B…e n’ayant pas durélongtemps, elle se trouva dans la nécessité de prostituer sescharmes et d’admettre en sa compagnie une variété d’amants.

«&|160;Miss N…w…m est une autre Laïs favoritedu séminaire de Mme&|160;Windsor. Cette jeune dame est grande etgentille, ses yeux sont très expressifs&|160;; elle a les plusbeaux cheveux du monde qui n’exigent d’autres arts que de lesarranger à son avantage. Un marchand dans Lothbury la visitefréquemment et lui donne un assez joli revenu qui peut lui procurerune aisance honnête&|160;; mais l’ambition de briller et un goûtinsatiable pour la parure et les amusements à la mode la jettentdans une compagnie qu’elle méprise et qui. quelquefois, lui devientà charge&|160;: mais comme l’argent est pour Mme&|160;N…w…m unargument tout-puissant, elle ne peut pas résister aux charmes de satentation toutes les fois qu’il se trouve dans sa route unSoubise ou le petit Isaac de Saint-MaryAxe, elle se rend aussitôt à leur apparition et elle ditqu’elle ne voit pas plus de péché à céder à un maure ou à un juifqu’à un chrétien, ou à toute autre personne, n’importe sacroyance.

«&|160;Mme&|160;Windsor a fait dernièrementune très grande perte en la personne de Miss Mere…th, unejeune dame gauloise qui attirait chez elle le baronnetV…tk…ns, le baronnet W…w, le lord B…yetla plupart des gentilshommes gaulois qui venaient passer quelquetemps à Londres&|160;; elle était entièrement formée dans le genredes anciennes Bretonnes&|160;; et il est généralement reconnu queles dames de ce pays sont modelées différemment des dames anglaiseset qu’elles vous procurent un degré supérieur de jouissances auquelnos compatriotes femelles n’ont encore pu atteindre…

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«&|160;Nous croyons devoir entretenir noslecteurs du séminaire de Mme&|160;R…ds…n, près de Bolton-Street,Piccadilly. Cette dame joue le bon ton au suprêmedegré&|160;; elle n’admet point dans sa maison les femmes quifréquentent les séminaires, ni celles que l’on peut se procurer àla minute par un messager de Bedford Arms ou deMaltby. Ses amies femelles sont des dames grandemententretenues ou des femmes mariées qui viennent, incognito, s’amuseravec un beau garçon et gagner, par leurs exploitsmultipliés, des couronnes de laurier pour en ceindre le front deleurs chers, doux et impotents maris…

«&|160;… Mme&|160;R…ds…n prend ordinairementsoin de rassembler chez elle des parties suivant qu’elle les jugesatisfaisantes aux deux sexes, mais elle a été quelquefois fautived’erreur dans son jugement (comme il est arrivé à l’infortunéByng)&|160;; et quoiqu’elle ait reçu mille complimentsavantageux du côté mâle et une multiplicité de réprimandes etd’abus de la part des dames, elle a toujours eu le bonheur de s’entirer avec avantage, malgré les fréquentes et sévèresmortifications que ses erreurs lui ont attirées et lui font essuyerjournellement.

«&|160;Le duc de A… vint un soir avecplusieurs de ses amis dans ce séminaire&|160;; ils pensèrent queles dames devaient être contraintes de capituler sur leursconditions&|160;; ils se trouvèrent tous trompés dans leurattente&|160;; ils se retirèrent, à l’exception d’un seul qui crutqu’en leur absence il pourrait vaincre Miss L…n qui passait pourune prude et qui, au rapport de plusieurs personnes, n’avait jamaiscédé à aucun homme, malgré qu’elle fréquentât la maison deMme&|160;R…ds…n. Il commença d’abord par railler sa prétenduemodestie et lui dit qu’il voulait la convaincre qu’il n’y avaitrien de moins réel dans le monde femelle que la chasteté&|160;; ilassura qu’il avait scrupuleusement étudié le sexe pendant plusieursannées, ses artifices, ruses, stratagèmes, affectations, hypocrisieet dissimulation&|160;; il ajouta qu’afin de raisonner avecprécision sur ce sujet, il avait, avec beaucoup de travail etd’assiduité, formé une échelle des passions amoureuses du sexefemelle et de leur continence prétendue, laquelle il se proposaitde présenter à la Société royale et pour laquelle il recevrait,comme il n’en doutait point, son approbation et sesremerciements&|160;; en disant cela, il tira de sa poche un papierqui était intitulé&|160;:

«&|160;Échelle d’incontinence et de continencefemelle.

«&|160;Nous supposerons le plus haut degréêtre un trente et un et lorsque le jeu est avec certitudeporté à une ouverture, le calcul doit être ainsi trouvé&|160;:

1. Furor uterinus&|160;: 31 2 en100

2. Un pouce au-dessous deFuror&|160;: 3o 4 en 100

3. Pour être complètement satisfaite&|160;: 296 en 40

4. Passions extravagantes.&|160;: 28 10 en50

5. Désirs insurmontables&|160;: 27 12 en60

6. Palpitations enchanteresses&|160;: 26 6 en20

7. Chatouillement déréglé&|160;: 25 8 en30

8. Frénésies d’occasion&|160;: 24 9 en 17

9. Langueurs perpétuelles&|160;: 23 5 en18

10. Affections violentes&|160;: 22 3 en 12

11. Appétits incontestables&|160;: 21 6 en25

12. Démangeaisons lubriques&|160;: 20 1 en3

13. Désirs déréglés&|160;: 19 3 en 4

14. Sensations voluptueuses&|160;: 18 1 en1

15. Caprices vicieux et opiniâtres&|160;: 17 4en 11

16. Idées séduisantes&|160;: 16 4 en 5

17. Émissions involontaires et secrètes&|160;:10 2 en 4

18. Jeunes filles frustrées et agitées despâles couleurs&|160;: 14 1 en 100

19. Masturbation dans les écoles&|160;: 13 12en 13

20. Jouissances en perspective&|160;: 12 12toutes

21. Sur le bord de la consommation&|160;: 1114 en 15

22. Lenteur fatale&|160;: 10 1 en 11

23. Espérances séduisantes&|160;: 9 1 en 2

24. Mûre pour la jouissance&|160;: 8 toutesau-dessus de 14

25. Penchant de jeunesse&|160;: 7 toutedemoiselle à tout âge.

26. Plaisirs antidatés&|160;: 6 4 en 5

27. Espérances flatteuses et attentesagitées&|160;: 5 3 en 9

28. Lubricité temporaire&|160;: 4 3 en 4

29. Pruderie judicieuse&|160;: 3 1 en 20

30. Chasteté à contrôler&|160;: 2 4 en1000

31[5].Insensibilité glaciale et froide&|160;: 1 1 en 10000

«&|160;… Miss Fa…kl…d, une des plus bellespersonnes de Soho square, débuta dans la vie galante à l’âge de 15ans. Elle fut remarquée à cette époque par un major desBlack-guards qui l’enleva et la tint pendant quelque tempsprisonnière dans son château du Somershire. Mais le tempérament deMessaline dont elle était douée fut la cause de sa rupture avec sonprotecteur, qui, l’ayant un jour surprise dans les bras de sonjardinier, s’empressa de la renvoyer à Londres, non sans lui avoirroyalement garni la bourse pour acheter son silence. À Londres,elle mena joyeuse vie&|160;; elle ne négligea aucun des plaisirscapables d’assouvir les différentes passions de son âme&|160;;préférant donc les plaisirs de Cypris aux dons de Plutus, ellerejeta les offres avantageuses qu’on lui faisaitjournellement&|160;; elle se forma une société de jeunes gens rouéset vigoureux qui, tour à tour, répondaient à ses désirs lascifs. Samaison, en un mot, était devenue le palais enchanteur de lavolupté&|160;; elle traitait avec la plus grande magnificence lesfavoris de ses plaisirs&|160;; elle récompensait le zèle de ceuxqui n’étaient pas fortunés. Ce genre de vie sensuelle, auquelMme&|160;W…p…le contribuait beaucoup par la gaieté et la vivacitéde son imagination, l’entraînait dans des dépensesconsidérables&|160;; chaque jour elle voyait diminuer les dons dufeu lord&|160;; elle s’aperçut bientôt que toujours dépenser et nerien recevoir était le vrai moyen de se ruiner&|160;; elle résolutdonc de réparer le déficit de ses finances, sans cependant renoncerà ses plaisirs&|160;; elle forma alors le dessein d’établir unsérail dans un genre différent des autres séminaires&|160;; ellefit part de son projet à Mme&|160;W…p…le, qui l’approuva et luidonna des avis à ce sujet. Pour mettre son plan à exécution, ellevendit une grande partie de ses bijoux.

Elle loua dans Saint-James’s-Street troismaisons qui se touchaient les unes aux autres&|160;; elle les fitmeubler dans le goût le plus élégant&|160;; les appartementsétaient ornés de glaces qui réfléchissaient de tous côtés lesobjets&|160;; elle fit pratiquer des escaliers de communicationpour passer d’une maison dans l’autre&|160;:, Elle appelle cestrois maisons les temples de l’Aurore, de Floreet du Mystère. L’entrée principale du sérail de MissFa…kl…d est par la maison du milieu, que l’on intitule le temple deFlore&|160;; la maison à gauche est le temple de l’Aurore, et celleà droite se nomme le temple du Mystère.

«&|160;Le Temple de l’Aurore estcomposé de douze jeunes filles, depuis l’âge de onze ans jusqu’àseize&|160;; lorsqu’elles entrent dans leur seizième année, ellespassent aussitôt dans le temple de Flore, mais jamais avant cetteépoque&|160;; celles qui sortent du temple de l’Aurore sontremplacées sur-le-champ par d’autres jeunes personnes, pas plusâgées de onze ans, afin de ne pas faire de passe-droit&|160;; de.manière que cette maison, que Miss Fa…kl…d appelle le premiernoviciat du plaisir, est toujours composée du même nombre denonnes.

«&|160;Ces jeunes personnes sont élégammenthabillées et bien nourries&|160;; elles ont deux gouvernantes quiont soin d’elles et ne les quittent point. On leur enseigne à lireet à écrire si elles ne le savent pas, ainsi qu’à festonner et àbroder au tambour&|160;; elles ont un maître de danse pour donner àleur corps un maintien noble et aisé&|160;; elles ont également àleur disposition une bibliothèque de livres agréables, au nombredesquels sont La Fille de joie et autres ouvrages de cegenre, qu’on leur fait lire principalement, afin d’enflammer debonne heure leurs sens&|160;; les gouvernantes sont même chargéesde leur insinuer, avec une sorte de mystère, pour leur donner plusde désir, les sensations et les plaisirs qui résultent de l’uniondes deux sexes dans les divers amusements dont il est fait mentiondans ces sortes de livres. On leur défend entre elles lamasturbation&|160;; les gouvernantes les surveillent strictement àcet égard et les empêchent de se livrer à cette mauvaise habitudeque l’on contracte malheureusement dans les écoles&|160;; elles nesortent jamais&|160;; elles sont cependant libres de ne pointdemeurer dans cette maison, si elles ne peuvent pas s’accoutumer àce célibat, mais elles sont si bien fêtées et si bien choyéesqu’elles ne songent pas à la privation de leur liberté.

«&|160;Cet établissement, qui, dans leprincipe, a beaucoup coûté à Miss Fa…kl…d, lui est maintenant d’ungrand rapport&|160;; elle s’assure, par cet arrangement, des jeunespersonnes vierges qui, lorsqu’elles ont atteint l’âge prescrit pourêtre initiées dans le temple de Flore, lui produisent un bénéficeconsidérable. Cependant ces petites nonnes ont quelques visiteursattitrés qui, à la vérité, sont hors d’état de préjudicier à leursvestalies. On ne peut être introduit dans ce noviciat que par MissFa…kl…d&|160;; il faut avoir, pour y être admis, plus de soixanteans ou faire preuve d’impuissance. Le lord Cornw…is, le lordBuck…am, l’alderman B…net et M.&|160;Simp…n sont les paroissiensles plus fervents de ce temple. Leur occupation consiste à jouer aumaître d’école et à la maîtresse de pension avec ces jeunespersonnes&|160;; pendant le cours des leçons, les gouvernantes ontseules le droit d’aller faire des visites dans les appartements quiservent de classe aux maîtres et aux écolières, afin d’observer sices paroissiens paillards n’outrepassent pas les règles de l’ordre.Il est expressément défendu aux nonnes qui ne sont pas en exerciced’aller épier la conduite de leurs camarades. Ces jeunes personnesn’ont point de profits, les présents de leurs visiteurs suffisent àpeine pour leur entretien et leur éducation.

«&|160;Le Temple de Flore est composédu même nombre de nonnes, qui sont toutes jeunes, jolies etfraîches comme la déesse dont cette maison porte le titre. Ellesont au premier abord un air de décence qui vous charme&|160;; maisdans le tête-à-tête elles sont d’une vivacité, d’une gaieté, d’unecomplaisance et d’une volupté inconcevables&|160;; elles sontégalement si affables, si spirituelles et si enjouées que lesvisiteurs sont souvent incertains sur leur choix&|160;; ellesvivent ensemble de bonne union et sans rivalité. Miss Fa…kl…d pourentretenir entre elles la meilleure intelligence et pour ne pointles rendre jalouses les unes des autres par le plus ou moins devisiteurs à leur égard, a établi pour loi fondamentale de leurordre d’apporter en bourse commune les gratifications que leur fontles visiteurs au delà du prix convenu, lesquelles sont, au fur et àmesure, inscrites sur un registre, versées ensuite dans un coffredestiné à cet usage, et partagées entre elles, par portions égales,le premier de chaque mois&|160;; si par hasard l’une d’entre elles(ce qui n’est pas encore arrivé) se trouvait convaincue d’avoirfrustré la somme ou même une partie de la somme qui lui aurait étéremise, elle serait sur-le-champ renvoyée par Miss Fa…kl…d, et tousles bénéfices qu’elle a reçus depuis le moment où elle est entréedans ce temple jusqu’à cette époque lui seraient confisqués parMiss Fa…kl…d et partagés, sous ses yeux, entre ses camarades. Cetteloi rigoureuse qu’elles jurent, lors de leur admission dans lesérail, de remplir scrupuleusement, établit parmi elles lafranchise la plus sincère et les exempte de reproches etexplications de préférence qu’elles pourraient continuellement sefaire.

«&|160;Ces nonnes sont entièrement libres dequitter le sérail lorsqu’il leur plaît. Miss Fa…kl…d ne suit point,à leur égard, la règle commune des autres abbesses des séminaires,qui leur font payer les frais de leur entretien, de leur nourritureet qui leur retiennent, par nantissement, leurs habillements et lepeu qu’elles possèdent, et les forcent même de demeurer malgréelles, jusqu’à ce qu’elles se soient acquittées de leur dépense.Miss Fa…kl…d les exempte de toute charge quelconque&|160;; ellepousse le désintéressement jusqu’à faire don à celles qui ont étéélevées dans le temple de l’Aurore de tous les ajustements dontelles sont parées dans le sérail&|160;; mais toutes celles quiabandonnent la maison ne peuvent plus y rentrer sous aucun prétextequelconque. Elles sont si bien traitées par Miss Fa…kl…d qu’ellesne songent point à s’en aller&|160;; d’ailleurs, les bénéfices decette maison sont si considérables qu’elles sont assurées des’amasser, en plusieurs années, une petite fortune.

«&|160;Miss Fa.kl.d est si généralement connuepar ses égards, son attachement, son affabilité et sondésintéressement envers ses nonnes qu’elle reçoit perpétuellementla visite de jeunes personnes de la plus grande beauté qui seprésentent chez elle dans le dessein de se faire religieuses de sonordre&|160;; mais, s’étant fait une loi inviolable d’avoir toujoursle même nombre de personnes et de ne jamais en renvoyer aucune, àmoins qu’elle ne s’y trouve contrainte par de grands motifs ou queses nonnes ne s’en aillent d’elles-mêmes, elle n’accepte pointleurs offres, mais elle les enregistre dans le cas de placevacante.

«&|160;Des douze nonnes destinées au servicedu temple de. Flore, six ont été élevées dans celui de l’Aurore.Ces jeunes personnes étant dans ce séminaire depuis l’âge de onzeans, nous n’en donnerons aucun détail&|160;; les six autress’appellent Miss Edw…d, Miss Butler, MissRoberts, Miss Jonhs…n, Miss Bur…et etMiss Bid…ph.

«&|160;Miss Edw…d est une brune piquante devingt et un ans elle est la fille d’un bon marchand. Son père,homme très rigide et très intéressé, avait formé le projet de lamarier à un négociant âgé de cinquante-deux ans, très riche à lavérité, mais qui joignait à une figure très désagréable un espritcaustique et avaricieux. Miss Edw…d représenta en vain ladisproportion d’âge. Son père lui enjoignit expressément de seconformer à ses volontés, Cette jeune fille, se voyant sacrifiée àl’intérêt, résolut de se soustraire à une union qui révoltait sonâme&|160;; elle s’en alla de la maison paternelle la surveille dujour fixé pour ses noces et se réfugia chez sa marchande de modesqui, craignant que le père de la jeune demoiselle ne lui fît unmauvais parti s’il apprenait qu’elle était chez elle, la conduisitchez Miss Fa…kl…d, à qui elle la recommanda. Cette dame, à cetteépoque, commençait l’établissement de son sérail&|160;; elle lareçut avec affection et l’initia aussitôt dans les mystères de sonséminaire auxquels elle se livre aujourd’hui avec une ferveursurprenante.

«&|160;Miss Butler, jolie blonde, de la figurela plus voluptueuse, âgée de dix-neuf ans&|160;: elle entra chezMiss Fa…kl…d le jour même que Miss Edw…d. Elle perdit son père dansl’âge le plus tendre&|160;; sa mère est revendeuse à la toilette.Miss Butler était tous les jours occupée à raccommoder lesdentelles, mousselines, gazes et autres effets que sa mère achetaitd’occasion dans les ventes. Mme&|160;Butler, pour se délasser, lesoir, des fatigues de son petit négoce, se dédommageait de sonveuvage avec M.&|160;James, qui était son compère et le parrain desa fille. M.&|160;James ne manquait pas de venir tous les jourssouper avec sa commère. Après le repas, Mme&|160;Butler ordonnait àsa fille de se retirer dans sa chambre, qui n’était séparée de lasienne que par une cloison de planches couvertes en papierpeint&|160;; elle prenait le prétexte de chercher quelque chosedans la chambre de sa fille pour examiner si elle dormait&|160;;elle retournait ensuite auprès de son compère&|160;; elle jasaitavec lui&|160;; leur conversation devenait alors si vive, sianimée, elle était tellement accompagnée d’exclamations divines queMiss Butler, curieuse d’entendre leur baragouinage, auquel sonjeune cœur prenait déjà part, sans en connaître encore le véritablesens, se levait doucement, s’approchait sur la pointe du pied de lacloison, approchait son oreille de la muraille planchéiée, afind’entendre plus distinctement le sujet sur lequel ils sedisputaient avec tant d’ardeur&|160;; elle enrageait de ne rienvoir et de ne pouvoir pas bien comprendre l’agitation dont ilsétaient animés&|160;; les mots entrecoupés, joints aux soupirspoussés de part et d’autre pendant l’intervalle de cesexclamations, portaient dans ses sens un feu brûlant dont ellecherchait à se rendre compte. Chaque soir, la même scène serépétait, et Miss Butler n’était pas plus instruite. Ne pouvantrésister plus longtemps au désir de connaître particulièrement cequi se passait entre sa mère et son parrain, elle fit un trouimperceptible à la muraille&|160;; elle découvrit alors le motif deleurs ébats et de leurs vives agitations&|160;;. elle soupira, elleenvia la jouissance d’une pareille conversation. Le surlendemain desa découverte (elle entrait alors dans sa seizième année), sa mèrelui dit qu’elle ne rentrerait que le soir et lui. recommandad’avoir bien soin de la maison. M.&|160;James vint dans la matinéede ce jour pour voir sa commère&|160;; Miss Butler lui dit que samère ne serait pas au logement de la journée&|160;; elle l’engageaà se reposer, elle lui fit mille prévenances dont il fut enchanté.Le rusé parrain, qui depuis quelque temps convoitait les appasnaissants de sa filleule et qui cherchait l’occasion de les admirerde plus près, la complimenta d’abord sur ses charmes&|160;; il laprit en badinant sur ses genoux, il la serra avec transport entreses bras, il l’accabla de mille baisers qu’elle lui rendit avec lamême ardeur et comme par forme de reconnaissance. M.&|160;James,animé par ses douces caresses et brûlant d’avoir avec sa filleulela même conversation qu’il avait journellement avec sa commère, luidit qu’il désirait s’entretenir avec elle d’un sujet qui demandaitde sa part la plus grande discrétion. Miss Butler, qui lisaitd’avance dans ses yeux le préambule de son discours, lui jura leplus grand secret. M.&|160;James, enhardi par sa promesse et parles préliminaires de sa harangue à laquelle sa filleule avait l’airde prendre la plus vive attention et qu’elle se gardait biend’interrompre, poursuivit aussitôt la conversation d’une manièreforte et vigoureuse&|160;; Miss Butler soutint de même saréplique&|160;; elle alla même, dans la chaleur de l’action,jusqu’à lui pousser trois arguments de suite auxquels il lui fallutrépondre&|160;; elle avait tant à cœur de prendre la défense d’unsujet aussi beau qu’elle voulut passer à un quatrièmeargument&|160;; mais le parrain, n’ayant plus d’objections valablesà lui présenter, s’avoua vaincu&|160;; cependant on finitamicalement par un baiser de part et d’autre la dispute, que l’onse proposa de reprendre le lendemain, à l’insu de sa mère.M.&|160;James prit donc congé de sa filleule et revint à son heureordinaire voir sa commère qui, dès que sa fille fut couchée, repritla même conversation de la veille&|160;; mais la bonne dame avaitbeau exciter son compère à lui répondre, il ne pouvaits’exprimer&|160;; la parole lui manquait&|160;; elle fut d’autantplus surprise de son silence, auquel elle ne s’attendait pas,qu’elle n’avait jamais eu tant envie de causer&|160;; elle fut doncobligée, à son grand mécontentement, d’abandonner la conversation.Miss Butler, qui observait tout ce qui se passait et qui, comme samère, avait la démangeaison de parler, se promit bien d’empêcher lelendemain son parrain d’avoir une grande conférence avecelle&|160;; en effet, elle s’y prit si bien qu’elle le mit horsd’état de soutenir le moindre argument, ce qui désespéra tellementsa mère qu’elle crut qu’il était attaqué de paralysie. Cependant,Mme&|160;Butler, ennuyée de ne pouvoir plus tirer une parolefavorable de son compère, commença à le soupçonner d’indifférence àson égard&|160;: elle remarqua que M.&|160;James lui demandaitdepuis quelques jours si elle avait bien des courses à faire lelendemain&|160;; ses questions réitérées et les prévenances de safille pour son parrain lui firent augurer qu’il y avait del’intelligence entre eux&|160;; elle voulut donc s’enconvaincre&|160;; pour cet effet, elle dit un soir à sa fille,devant M.&|160;James, qu’elle sortirait le lendemain de bonne heureet qu’ayant de grandes courses à faire, elle dînerait en route. Àcette nouvelle, le parrain et la filleule se regardèrent d’un œilde satisfaction, ce qui la confirma dans ses soupçons.

Mme&|160;Butler s’en alla donc de bon matin,comme elle l’avait annoncé la veille&|160;; elle se plaça ensentinelle dans un café peu éloigné de sa maison, d’où elle pouvaittout épier&|160;; elle vit bientôt M.&|160;James qui, d’un airjoyeux, se rendait chez elle&|160;; elle suivit peu de minutesaprès ses pas&|160;; elle ouvrit doucement sa porte, entrabrusquement dans la chambre de sa fille, où elle la trouva engrands pourparlers avec son parrain, car nos gens conversaient dansce moment avec tant de chaleur qu’ils n’avaient pas entendu rentrercette dame. À cette vue, Mme&|160;Butler se jeta avec rage sur safille&|160;; elle l’accabla de malédictions, elle la traîna par lescheveux et la chassa inhumainement de chez elle. M.&|160;Jamesvoulut prendre sa défense, mais inutilement. Miss Butler, toutéplorée, allait sans savoir où se réfugier, lorsqu’elle rencontraMme&|160;Walp…e qui, émerveillée de sa beauté, lui demanda le sujetde son chagrin, la consola et l’amena chez Miss Fa…kl…d.

«&|160;Miss Robert, âgée de vingt-deux ans,est de la figure la plus intéressante&|160;; elle perdit ses pèreet mère dès l’âge le plus tendre&|160;; elle fut élevée sous latutelle de son oncle qui, ayant dissipé toute sa fortune au jeu,sacrifia la sienne de la même manière. Elle avait à peine quinzeans que son oncle devint éperdument amoureux d’elle.M.&|160;Roberts, non satisfait d’avoir perdu la légitime fortune desa nièce qui était considérable, jura la perte de son innocence.Pour venir à ses fins, il commença par lui prodiguer des caressesqu’elle prenait pour les marques sincères de son amitié et que, parconséquent, elle lui rendait dans la même intention. Au lieu derespecter l’attachement simple et naturel de cette jeune personnequi répondait à ses prévenances et à ses attentions, il poussa lascélératesse jusqu’à ravir l’honneur de cette créature faible etsans défense. M.&|160;Roberts n’eut pas plus tôt consommé son crimequ’il vit l’abîme infernal ouvert sous ses pieds&|160;; sansargent, sans crédit, perdu de réputation, couvert d’infamie,accablé de dettes et de remords, il ne vit d’autre moyen d’échapperau glaive de la justice que d’anéantir lui-même sonexistence&|160;; il se brûla donc la cervelle. Miss Roberts setrouvant alors sans parents, sans fortune, sans expérience,s’abandonna aux conseils d’une amie avec qui elle avait été élevéedans la même pension. Cette amie, dont nous allons donner ladescription, puisqu’elle figure dans ce séminaire, était liée avecla marchande de modes de Miss Fa…kl…d&|160;; elle lui vanta,d’après les récits de ladite marchande de modes, les agréments etles plaisirs dont on jouissait dans la maison de cette dame&|160;;elle l’engagea d’y entrer avec elle&|160;; Miss Roberts, qui étaitdénuée de ressources et qui était enchantée de se retrouver avecson amie, consentit à ce qu’elle voulut&|160;: elles se rendirent,en conséquence, chez la marchande de modes, qui les présenta à MissFa…kl…d.

«&|160;Miss Ben…et est justement cette amie deMiss Edw…d et qui entra avec elle dans le séminaire de MissFa…kl…d&|160;; elle a vingt et un ans et elle est de bonnefamille&|160;; il n’est point de figure plus enchanteresse que lasienne&|160;; ses parents, pour qui les plaisirs bruyants du mondeavaient plus de charmes que les agréments d’un ménage paisible,envoyèrent de bonne heure leur fille en pension, afin de s’épargnerl’embarras de son éducation. Entièrement livrés à la dissipation,ils épuisèrent leurs santés en passant la plupart des nuits dansles divertissements et ils mangèrent leur fortune qui étaitimmense. La misère et les infirmités, suite ordinaire d’unepareille existence, les accablèrent de leur poids&|160;; épuiséspar les veilles, les plaisirs et les chagrins, ils ne purentsoutenir le fardeau pénible de l’indigence, et ils avancèrent, parleur folle extravagance, le terme de leur dette à la nature. MissBen…et venait à peine de retourner à la maison paternellelorsqu’elle perdit, dans le même temps, ses parents. Orpheline etdénuée de fortune, elle chercha à se placer&|160;; elle s’adressapour cet effet à la marchande de modes de sa mère qui était aussicelle de Miss Fa…kl…d. Cette femme lui vanta tant les agréments dela maison de cette dame que, portée par tempérament aux plaisirs,elle se décida à entrer dans ce séminaire et engagea Miss Edw…d à yvenir avec elle.

«&|160;Miss Jonhs…n, superbe brune âgée devingt-deux ans&|160;; toute sa personne est un assemblage devolupté&|160;; elle est la fille d’une femme entretenue qui,dépensant d’un côté tout ce qu’elle gagnait de l’autre, se trouvaitsans cesse dans le besoin&|160;: voyant qu’elle n’avait plusd’attraits pour captiver les cœurs, elle ne trouva d’autreressource pour exister que de se faire succéder dans son infâmenégoce par sa fille qui avait à peine quatorze ans&|160;; mais lesrecettes ne répondant point à ses désirs, elle fut condamnée, parsentence, à être enfermée pour dettes. Miss Jonhs…n se vit alorscontrainte à se placer dans quelque maison&|160;; ayant entenduparler du nouvel établissement de Miss Fa…kl…d, elle se présentachez cette dame, où elle est toujours demeurée jusqu’à présent.

«&|160;Miss Bid…ph, blonde séduisante, âgée devingt ans. Le jour de sa naissance fut celui de la mort de sa mère.Son père, qui est un artisan et qui n’a point d’attachement pourelle, la laissa de bonne heure courir avec les enfants&|160;: elleprit tant de goût à jouer à la maîtresse d’école qu’ennuyée à lalongue du peu de zèle des petits garçons, elle s’attachaparticulièrement à l’instruction des jeunes gens, qui, suivantelle, avaient des dispositions plus heureuses. Elle gagna tantd’embonpoint dans son travail qu’elle se vit obligée, à l’âge dequinze ans, de quitter son père qui la maltraitait&|160;; elle seréfugia chez une sage-femme qui, après l’avoir débarrassée du gainde son école et voyant qu’elle ne voulait plus retourner à lamaison paternelle, la recommanda à Miss Fa…kl…d.

«&|160;Les visiteurs abonnés de ce temple sontle lord Sh…ri…an, le lord Gr…y, le lordHamil.on, le lord Bol…br…ke,MM.&|160;Sm…let, Vaub…gh, Sh…l…k,W…son, etc.&|160;» Le Temple du Mystère n’estconsacré qu’aux intrigues secrètes. Les nonnes du Temple deFlore, ni celles des autres séminaires, n’y sont pointadmises. Miss Fa…kl…d et son amie Mme&|160;Walp…e mettent tantd’adresse, d’honnêteté et de réserve dans ces sortes denégociations qu’elles retirent un produit considérable de ce genred’affaires. Ne voulant point trahir le secret de ce temple, nousnous abstiendrons de nommer les personnes que le zèle de ladévotion y attire avec affluence…&|160;»

Dans ces bagnios, dans ces seraglios,on n’ignorait pas la flagellation. Des particuliers même lapratiquaient chez eux. Le curieux ouvrage intitulé The Cries ofLondon, dont il a été donné une réimpression accompagnée d’unetraduction parfois insuffisante sous le titre&|160;: Les Crisde Londres au XVIII° siècle (Paris, 1893), nous montre unpetit marchand de verges parcourant les rues, en criant&|160;:«&|160;Come buy my little Tartars, my pretty littleJemmies&|160;; no more than a half penny a piece. (Venez,achetez-moi mes petites cannes, mes jolies petites verges&|160;; jene les vends qu’un demi-penny pièce.)&|160;» Le motTartars est sans doute une allusion aux Russes, à cause duknout dont ils usent. Les Anglais ont toujours eu un penchantdéclaré pour la fustigation, et l’on a conservé le nom du vieuxBuckhorse, vendeur de cannes et de verges que l’on ne destinait pastoujours à corriger les méchants enfants, mais qui servaientparfois les desseins de gentlemen aux sens égarés et aux mœurscorrompues.

Cependant, ce n’est que plus tard qu’il y eutdes seraglios aménagés en vue de la flagellation. Lepremier fut installé sous George IV, par Miss Collett, àTavistock-Court, Covent-Garden. Ensuite elle alla dans les environsde Portland-Place et finalement à Bedford-Street, Russel-Square, oùelle mourut. Mais ce ne fut qu’en 1828 que la reine de cetteprofession, Mrs. Teresa Berkeley, inventa le chevalet àflagellation appelé Berkeley-Horseet, paraît-il, encore enusage.

** * * *

Les précédentes digressions nous ont éloignésde notre acteur. Pendant sa jeunesse, Cleland avait connu cesprostituées qui, un masque sur le visage, parcouraient les rues envoiture, à cheval, se montraient nues aux fenêtres. Mais il nes’est pas donné la tâche de décrire cette époque. Il nous peintdans son livre la prostitution vers 1740. Et le début desMemoirs rappelle le premier tableau du Harlot’sProgress, de Hogarth&|160;; une vieille maquerelle accoste unejeune fille de la campagne. Cette fille, arrivée à Londres pourêtre couturière, ou modiste, vient de descendre de la diligenced’York devant l’auberge de la Cloche, à Wood-Street, dansle quartier de Cheapside. La pauvre fille ne sait pas la viemisérable qui l’attend dans les Cavernes d’iniquité duquartier de Flesh-Market, où logent les prostituées…

Cleland fréquenta aussi les bals et lesjardins publics. Il errait dans les rues populeuses, observant lesmœurs, écoutant les refrains populaires et chantonnant, commefaisaient les servantes, des refrains de chansonsconnues&|160;:

«&|160;Gentle shepherd tell mewhere, where, where, where, etc. (Gentil berger,dites-moi où, où, où, où, etc.)&|160;»

Le jour, Londres présentait un spectacle aussiintéressant que pendant la nuit. Cleland ne nous a pas laissé ladescription de l’animation de la ville. C’est à peine s’il nousparle de l’impression que les belles boutiques produisent sur lescampagnards. Il n’a pas fixé l’aspect pittoresque des petitsartisans, des petits marchands qui parcouraient la capitale enjetant leurs cris rythmés. Le gagne-petit promenait sa meule enchantant&|160;: Knives to grind, razors or scissors togrind&|160;! C’est-à-dire&|160;: Couteaux à repasser,rasoirs et ciseaux à repasser&|160;!

Le marchand de paillassons criait&|160;:Buy a mat&|160;; a door mat or a bed mat&|160;!(Achetez un paillasson, un paillasson pour devant de porte ouune descente de lit&|160;!)

Le marchand de tournebroches en fil de fertordu répétait sans cesse&|160;: Buy a roastingJack&|160;! (Achetez un tourne-broche&|160;!)

Le chaudronnier chantait&|160;: Anypots, or pans, or kettles to mend&|160;? Any work for thethinker&|160;? (Avez-vous des chaudrons, descasseroles, des bouilloires à raccommoder&|160;? Avez-vous del’ouvrage pour le chaudronnier&|160;?)

La marchande de ces sortes de petits poudingsaux raisins secs, appelés dumplings, les annonçaitbizarrement&|160;: Diddle, diddle, diddle, dumplings, o&|160;!hot&|160;! hot&|160;! et les petits garçons qui couraientaprès elle pour en acheter répétaient en l’imitant&|160;:Diddle, diddle, diddle dumplings&|160;! tout chauds, toutchauds.

Des juifs sordides, marchands d’habits,passaient en poussant leur appel lamentable&|160;: Old clothesto sell&|160;? Any shœs, hats or oldclothes&|160;? (Vieux habits à vendre&|160;?Chaussures, chapeaux ou vieux habits&|160;?)

Le marchand de sablon, accompagné de son âne,criait&|160;: Sand o&|160;! sand o, any sand below,maids&|160;? (Du sable, oh&|160;! du sable, oh&|160;! vousfaut-il du sable, servantes&|160;?)

Était-ce le vendredi saint&|160;? Le marchandde Hot-Cross Buns, sortes de brioches que l’on mangeait chaudes etsur lesquelles une croix était dessinée, les annonçait&|160;:One a penny, two a penny, Hot-Cross Buns (Une pour unpenny, deux pour un penny, des Hot-Cross Buns&|160;!)

Avait-on un soufflet endommagé&|160;? Onattendait que le cri de celui qui les réparait retentît&|160;:Bellows to mend&|160;; maids your bellows to mend&|160;?(Soufflets à réparer, servantes, avez-vous des soufflets àréparer&|160;?)

L’été, c’était la marchande de groseilles àmaquereau&|160;: Ready-pick’d green gooseberries, eight pence agallon&|160;! (Groseilles vertes, fraîches cueillies, huitpence le gallon.) Les ménagères en achetaient souvent pourpréparer une sorte de marmelade qui consistait en un mélange degroseilles, de lait et de sucre recouvert d’une légère pâte.

Le charbonnier n’était pas le moinsbruyant&|160;: Small coal&|160;; maids, do you want, any smallcoal&|160;? (Charbon de bois&|160;! Servantes, ‘vousfaut-il da charbon de bois&|160;?)

En avril, de jeunes paysannes vendaient desprimevères&|160;; Primroses, primroses&|160;!Buy my spring flowers. (Primevères,primevères&|160;? Achetez-moi des fleurs de printemps.)

Un des plus bizarres, parmi ces petitsmarchands, était celui qui vendait les pigs ou cochons,gâteaux emplis de compote de pruneaux. Il criait&|160;: Apig and plum sauce. Who buys my pig an plumsauce&|160;? (Un cochon et de la compote depruneaux, qui m’achète du cochon et de la compote deprunes&|160;?)

Au moment des petits pois, on en vendait dansla rue, et l’on estimait surtout les rowley powlies. LesAnglais préparaient les pois en les faisant bouillir et en versantdessus du beurre fondu sur lequel on posait une tranche de lardfumé. Le cri du marchand de petits pois était long&|160;: GreenHastings, hastings. 0&|160;! come here’s your largerowley powlies, no more than six pence a peck&|160;!(Pois verts nouveaux, pois verts&|160;! Voilà vos grands rowleypowlies, je ne les vends que six pence le peck&|160;!)

Les peaux de lapins ou de lièvres se vendaientcomme de nos jours. Déjà, sans doute, on falsifiait les fourruresprécieuses. Lorsque les servantes entendaient&|160;: Hareskins, or rabbit skins&|160;! (Peaux de lièvres, peaux delapins à vendre&|160;!) elles se hâtaient de porter à lamarchande les dépouilles des rongeurs qu’elles avaientsoigneusement mises de côté. Une peau de lapin se vendait quatrepence et une peau de lièvre huit pence.

Les marchandes de homards vivants disaientd’une voix de tête&|160;: Buy a lobster, a large livelobster. (Achetez-moi un homard, un gros, homardvivant.) Ces crustacés coûtaient bon marché et il s’en faisaitune grande consommation. On les mangeait bouillis, assaisonnésd’huile, de vinaigre, de sel et de poivre.

Voici un cri particulièrementmélodieux&|160;: Ground ivy, ground ivy, come buy my groundivy&|160;; come buy my water cresses. (Lierreterrestre, lierre terrestre, venez m’acheter du lierre terrestre,venez m’acheter du cresson.)

La marchande d’allumettes chantonnait&|160;:Matches, maids&|160;! my pickedpointed matches&|160;!(Allumettes, servantes&|160;! mes allumettes bienpointues&|160;!)

Le vendeur de trappes en portait tout unassortiment qu’il annonçait ainsi&|160;: Buy a mouse trap, or atrap for you rats. (Achetez une trappe à souris ou unetrappe pour prendre vos rats.)

En automne, on vendait desnoisettes&|160;: Jaw-work, jaw-work, a whole pot for ahalf-penny, hazelnuts&|160;! (Ouvrage pourmâchoires, ouvrage pour mâchoires, une mesure pleine pour undemi-penny, noisettes&|160;!)

Les crabes s’annonçaient brièvement&|160;:Crab&|160;! Crab&|160;! Will youcrab&|160;? (Crabe&|160;! crabe&|160;! Voulez-vousdes crabes&|160;?)

Le pauvre homme qui recueillait les débris deverre, les tessons de bouteilles, les demandait humblement&|160;:Any fluit glass or broken bottles for a poor mantoday&|160;? (Avez-vous du cristal, des bouteilles casséespour un pauvre homme aujourd’hui&|160;?)

C’étaient encore les fèves vantéesallègrement&|160;: Windsor beans&|160;: a groat a peck, broadWindsors. (Fèves de Windsor, un groat le peck, les bellesfèves de Windsor.)

D’autres marchands de fruitsannonçaient&|160;: Nice peaches or nectarines&|160;; rare ripeplums (Belles pêches, beaux brugnons, prunes mûres et dequalité rare), ou encore&|160;: A groat a pound largeFilberts, a groat a pound, full weight, a groat a pound.(Un groat la livre de belles avelines, un groat la livre, bonnemesure, un groat la livre.) Ou bien&|160;: Wheh youwill for a half-penny, golden rennets. (Choisissezcelle que vous voudrez pour un demi-penny, les reinettesdorées.)

De Chelsea, d’Hoxton, de Battersea, lesmaraîchers apportaient leurs légumes&|160;: Carotts, cabbages,fine Savoys, nice curious Savoys. (Carottes, choux, beauxchoux de Milan, choux de Milan extraordinaires&|160;!)

Le marchand de lapins les portait dépouilléset pendus à une perche, en criant&|160;: Rabbits, o&|160;! afine Rabbit. (Lapins&|160;! Oh&|160;! un beaulapin&|160;!)

Le gingembre était déjà une épice dont lesAnglais étaient très friands, et faisait le fond d’une sorte depain d’épice que l’on vendait chaud dans les rues&|160;: Hotspice gingerbread, all hot&|160;! (Du pain d’épice chaud,tout chaud&|160;!) Le plus renommé était débité par unmarchand qui se tenait aux alentours de Saint-Paul où il installaitchaque matin un petit four en fer-blanc.

Les pommes cuites faisaient le régal desgamins qui en achetaient en se rendant à l’école&|160;: Hotbak’d Pippins, nice and hot&|160;! (Pommes cuites etchaudes, belles et chaudes&|160;!)

Le marchand de volaille criait, d’une voixrauque&|160;: Buy a chicken, or a fine fat fowl&|160;!(Achetez, un poulet ou une belle poule grasse&|160;!)

Les servantes qui voulaient récurer lesmarmites, les bouilloires et les ustensiles de diverses sortes seprécipitaient lorsque retentissait le cri bien connu&|160;: Anybrickdust below, maids&|160;? Maids, do you want anybrickdust&|160;? (Vous faut-il de la poudre debrique, là en bas, les servantes&|160;? Servantes, avez-vous besoinde poudre de brique&|160;?)

Malgré qu’il soit un aliment indigeste, leconcombre avait ses gourmands et c’est pour eux que l’oncriait&|160;: Nice green cucumbers&|160;!0&|160;! two for three halfpence&|160;!(De beaux concombres verts&|160;! Oh&|160;! deux pour troisdemi-pences&|160;!)

Pour les chats et pour les chiens, on vendaitles aliments qu’ils préfèrent&|160;: Buy my found liver orlights for your cat&|160;! (Achetez-moi du foie bien fraisou du mou pour votre chat&|160;!)

Le cordier annonçait mélodieusement samarchandise&|160;: Buy a jack-line or a clothesline&|160;!(Achetez une corde pour le tournebroche ou pour étendre lelinge&|160;!)

Les mandarines, que l’on appelait oranges deChine, étaient un fruit fort apprécié&|160;: Chinaoranges&|160;; one a penny, two a penny, nice China&|160;!(Oranges de Chine&|160;; une pour un penny, deux pour un penny,les belles oranges de Chine&|160;!)

La marchande d’éperlans allait en acheter àBillingsgate et toute la journée elle marchait, criant de rue enrue&|160;: Sprats, o&|160;! Sprats, o&|160;!Fresh live sprats&|160;! (Les éperlans, oh&|160;!Les éperlans frais vivants&|160;!)

Quand venait l’automne et jusqu’en hiver, lesnoix ornaient souvent la table. On les mangeait trempées dans unverre de vin&|160;; aussi était-il prospère le commerce de lapetite marchande qui poussait sa brouette en criant&|160;:Walnuts, nice walnuts&|160;; ten a penny, fine crackingwalnuts&|160;! (Les noix, les belles noix&|160;; dix pourun penny, les belles noix croquantes&|160;!)

Le marchand de lacets les portait au boutd’une perche, en ventant la qualité de sa marchandisemulticolore&|160;: Long and strong, long and strong&|160;; comebuy my garters and laces, long and strong&|160;! (Longs etsolides, longs et solides, venez m’acheter des jarretières et deslacets longs et solides&|160;!)

Le marchand de canards sauvages trouvait denombreux chalands pour son gibier&|160;: Buy a wild duck, or awild fowl&|160;! (Achetez un canard sauvage ou unepoule-sauvage&|160;!)

Le maquereau avait des amateurs décidés quidonnaient à ce poisson une place privilégiée à côté du turbot,proclamé roi des poissons&|160;: New mackerel, nicemackerel&|160;! (Le maquereau nouveau, le beaumaquereau&|160;!)

Quand l’été ramenait les cerises et quand lespremières apparaissaient, on entendait la voix de la marchande quivendait des bâtonnets sur lesquels elle avait attaché unedemi-douzaine de cerises&|160;: courte-queue, cerises de Kent oubigarreaux&|160;: A half-penny a stick, Duke cherries&|160;;round and found, no more than a half-penny a stick&|160;!(Un demi-penny le bâton, les griotes&|160;; rondes et saines,un demi-penny le bâton seulement&|160;!)

Un paquet de jonc sur le dos, le rempailleurcriait&|160;: Old chairs to mend&|160;; any old chairs tomend&|160;? (Vieilles chaises à réparer, avez-vous desvieilles chaises à réparer&|160;?)

Pendant les mois en R, on vendait dans desbrouettes les bonnes huîtres de Colchester, de Wainfleet, deMelton&|160;: Oysters, o&|160;! Fine Wainfleetoysters&|160;! (Des huîtres, oh&|160;! de belleshuîtres de Wainfleet&|160;!)

Les fraises se vendaient dans de petitspaniers longs&|160;: Nice strawberries, or hautboys&|160;!(Les belles fraises, les grosses fraises&|160;!)

Les oiseaux chanteurs, le linot, l’alouetteaccompagnaient de leurs trilles leur marchand qui chantait&|160;:Buy my singing, singing birds&|160;! (Achetez-moi lesoiseaux chanteurs, les oiseaux chanteurs&|160;!)

Il y avait aussi un marchand de boules de bois(la nature et l’utilité de sa marchandise m’échappent), qui s’enallait par les rues en faisant des jeux de mots dans le genre dusuivant&|160;: My old soul, will you buy a bowl,&|160;?Cela rime en anglais, mais non plus en français&|160;: Mavieille âme, voulez-vous m’acheter une boule&|160;?

Le tonnelier criait&|160;: Any workfor the cooper&|160;? (Avez vous de l’ouvrage pourle tonnelier&|160;?)

Un des métiers les plus fatigants et les moinslucratifs était celui qui consistait à errer le jour et même lesoir en criant&|160;: Buy a fire-stone, cheeks for youstoves&|160;! (Achetez une pierre de foyer, des briquespour vos fourneaux.)

Des pêcheurs parcouraient les rues avec despoissons, flondes ou carrelets dans un panier sur la tête enchantant&|160;: Buy my flounders, live flounders&|160;!(Achetez-moi des flondes, des flondes vives&|160;!)

Le cireur se promenait, un petit panier à lamain&|160;: Black your shœs, Your Honour&|160;!Black, sir&|160;! black, sir&|160;!(Faites noircir vos souliers, Voire Honneur&|160;! Noircir,monsieur&|160;! noircir, monsieur&|160;!)

Il sollicitait ainsi les élégants etchoisissait de préférence les allées malpropres où lesbeaux ne s’aventuraient pas sans se salir.

À ce propos Casanova remarque&|160;:

«&|160;Un homme en costume de cour n’oseraitaller à pied dans les rues de Londres sans s’exposer à être couvertde boue par une vile populace, et les gentlemen lui riraient aunez.&|160;»

Ajoutons que l’accent de la plupart descireurs indiquait une origine irlandaise. Dans leur panier, ilsportaient un trépied pour placer le pied du client, des brosses,des linges et du cirage, ce fameux cirage anglais qui n’est connuen France que depuis la moitié du XIX° siècle. Il faut ajouter queles petits cireurs faisaient encore métier de surveiller lesprostituées pour le compte des maquerelles ou des logeuses, et touten brossant à tour de bras, ils donnaient discrètement l’adresse dequelque maison fournie de jolies femmes comme était celle deMme&|160;Cole, dans le roman de Cleland.

La marchande d’anguilles portait sur la têteson baquet plein de sable où se lovaient les anguilles. Elle allaitainsi depuis Old-Shadwell jusqu’au Strand en criant&|160;: Buymy eels&|160;; a groat a pound live eels&|160;!(Achetez-moi des anguilles&|160;; un groat la livre d’anguillesvives&|160;!)

Rien d’étonnant à ce que le poisson soitabondant en Angleterre. Les poissonniers ont toujours été les plusnombreux des petits marchands qui parcourent les rues de Londres.Et tels de ces pêcheurs que guignaient les racoleurs pour la marineau seuil des cabarets vendaient des poissons chers etestimés&|160;: Buy my maids&|160;; and fresh soles&|160;!(Achetez-moi des anges de mer et des solesfraîches&|160;!)

De robustes laitières apportaient, dès lematin, le lait de leurs vaches dans certaines rues de différentsquartiers. King-Street surtout en était encombré et retentissait deleurs cris&|160;: Any milk below, maids&|160;? (Vousfaut-il du lait, là en bas, les servantes&|160;?)

La marchande de riz au lait s’installait avecson attirail et sa chaise au coin des rues populeuses, les enfantspauvres, les décrotteurs, les ramoneurs se délectaient de lafriandise qu’elle leur servait dans une tasse sale avec unecuillère plus sale encore&|160;: Hot rice milk&|160;!(Du riz au lait tout chaud&|160;!)

La marchande d’almanachs en vendait de toutessortes en criant&|160;: New almanacks, news&|160;!Some lies, and some true. Buy a newalmanack&|160;! (Almanachs nouveaux, nouveaux&|160;! Ily en a qui mentent, d’autres qui disent vrai. Achetez un almanachnouveau&|160;!)

L’almanach contenait les renseignements lesplus utiles, des prédictions, les jeûnes, les fêtes, les joursfériés, les changements de la lune, la table pour calculerl’intérêt, la liste des rois, l’époque où commencent et finissentles termes, etc.

Les pommes de terre, dans certaines provinces,forment la base de la nourriture des pauvres gens&|160;; dans leConnaught, dans le Cheshire, ils dévoraient avec joie les pommes deterre et le lait caillé et se passaient le plus souvent de viande.À Londres même, les pommes de terre coûtaient bon marché.Potatoes&|160;! o&|160;! Two pound a penny&|160;! fîvepound two pence&|160;! (Les pommes de terre&|160;!oh&|160;! Deux livres pour un penny&|160;! cinq livres pour deuxpence&|160;!) Mais ce mets était réputé grossier et réservéaux gens du commun.

Les servantes avaient comme petits profits leproduit de la vente des peaux de lièvres, de lapins, les graisses,le suif qui coulaient des chandelles. Elles vendaient ces résidusaux vieilles femmes qui criaient&|160;; Anykitchenstuff&|160;? (Avez-vous des restes de graisse àvendre&|160;?) Quand ces servantes étaient jeunes et jolies,la mégère avait toujours quelques bons conseils à leur donner,comme d’aller trouver telle dame, dans telle rue de tel quartier,qui fournissait gratis, tant elle était bonne, des atours auxjeunes filles et s’occupait de leur fortune, pour peu qu’ellesvoulussent être aimables avec de vieux gentlemen prêts à lesépouser, et la vieille citait des noms de servantes devenues desgrandes dames pour l’avoir écoutée, et elle se retirait sepromettant de revenir bientôt afin de connaître l’effet de sesparoles habiles dans l’âme des jeunes filles innocentes etnaïves.

Dans les après-midi pluvieuses, quand on nepouvait aller prendre le thé à la jolie et agréable colline deWhite-Conduit, le jeune homme de la Cité donnait à sa maîtressel’illusion de cette promenade en achetant un pain de White-Conduitqu’on vendait dans les rues et qu’on allait manger dans unetaverne. A hot loaf&|160;! A White-Conduitloaf&|160;! (Un pain tout chaud&|160;! un pain deWhite-Conduit&|160;!) L’abus du thé était déjà un sujet derailleries de la part des écrivains de l’époque. White-Conduitétait un de ces jardins publics, nommés tea-gardens, parcequ’on y prenait surtout du thé. Les plus fameux de ces jardins quifavorisèrent la débauche londonienne au XVIII° siècle furent ceuxde Vauxhall et de Ranelagh, qui étaient situéshors des barrières de Londres.

Les autres étaient dans la ville. Dans tous,la société était mêlée. La plupart étaient agréablement plantés etbien dessinés. Presque déserts pendant la semaine, ils étaientpleins le dimanche, et c’était surtout, ainsi que le dit unedescription du temps, «&|160;de petite bourgeoisie, d’ouvriers etd’ouvrières, de servantes requinquées et de demoiselles, toutesfilles d’honneur comme il plaît à Dieu.&|160;»

On dînait, on soupait, et le plus grand nombreparmi les visiteurs se bornaient à prendre du thé, à boire de labière ou encore du cidre dans des tonnelles aménagées autour dujardin. Faisait-il mauvais temps&|160;? On allait dans les sallesdu café, où un orgue jouait les airs en vogue. Au demeurant, onpouvait se promener sans rien prendre. Un des jardins les plusfréquentés était le Dog’ and Duck, situé dansSaint-George’s fields, à portée des trois ponts. On allaitaussi à White-Conduit Hill, à Bagnigge Wels, auBelvédère, à Bermondsey Spas, au Cromwell, auNew Tumbridge, à la Florida, au Rumbolo,à Hihgbury barn.

Situés hors de Londres, les jardins deRanelagh et de Vauxhall attiraient, le soir surtout, un grandconcours de cette population mêlée où ne manquaient ni lesdébauchés, ni les mignons, ni les filles de mauvaise vie.

Voici la description du Ranelagh,d’après un ouvrage du temps&|160;: Londres et ses environs ouGuide des voyageurs curieux et amateurs dans cette partie del’Angleterre… ouvrage fait à Londres par M.&|160;D. S. D.L.

«&|160;Ranelagh est agréablementsitué sur les bords de la Tamise, à deux milles de Londres&|160;;c’est un des endroits d’amusements publics les plus à la mode, tantpour la beauté que pour la grande compagnie qu’on y trouve lessoirées du printemps et partie de l’été. Afin que Ranelaghcontinue d’être le rendez-vous de la meilleure compagnie, on nel’ouvre qu’au commencement d’avril et il finit en juillet, qui estle temps où les familles distinguées partent pour leurs terres.

«&|160;On paie à la porte unedemi-crown (un petit écu). En traversant le bâtiment, ontrouve un escalier qui conduit dans les jardins&|160;; mais, dansles temps froids ou pluvieux, on entre tout de suite dans larotonde par un passage couvert, bien éclairé, qui met à l’abri del’inclémence des saisons.

«&|160;Ranelagh-House appartenait aucomte de Ranelagh. À sa mort, il fut acheté par des particuliersdans l’intention d’en faire une place d’amusements publics. Enconséquence, M.&|160;William Jones, architecte de la Compagnie desIndes, dessina le plan de la présente rotonde ouamphithéâtre. Comme la dépense aurait été énorme pour laconstruire en pierre, les propriétaires se déterminèrent à la faireen bois et sous l’inspection de M.&|160;Jones&|160;; elle futcommencée et finie en 1740.

«&|160;Le bâtiment est circulaire et a quelqueressemblance avec le Panthéon de Rome. L’architecture du dedans estanalogue à celle du dehors. Le diamètre extérieur est de centquatre-vingt-cinq pieds et l’intérieur de cent cinquante. On yentre par quatre portiques opposés les uns aux autres&|160;; ilssont de l’ordre dorique et le premier étage est rustique. Dans toutle tour, en dehors, règne une arcade et une galerie au-dessus, dontl’escalier aboutit aux portiques. La compagnie entre dans lespremières loges par cette galerie, au-dessus de laquelle sont lescroisées.&|160;»

À l’époque où parut Fanny Hill,l’orchestre était élevé au centre de la rotonde.

Les musiciens et les chanteurs étaientnombreux et bien choisis. Le concert commençait à sept heures etfinissait à dix. Autour de la rotonde se trouvaient cinquante-deuxloges ayant chacune une table sur laquelle on servait le thé et lecafé gratis. Les loges avaient chacune un escalier menantdans les jardins. Elles pouvaient contenir sept ou huit personnes.Au-dessus se trouvait une galerie à balustrade, qui contenait lamême quantité de loges qu’en bas, ayant chacune son escalierdérobé. Une loge était réservée à la famille royale. Toute la pièceétait bien éclairée. On y donnait des déjeuners publics, qui, plustard, furent interdits par un acte du Parlement. La rotonde étaitplus élevée que les jardins. Reprenons la description deLondres et ses environs&|160;:

«&|160;La partie de derrière est entouréed’une allée sablée, éclairée avec des lampes, et l’extrémité decette espèce de terrasse est plantée d’arbustes en massifs. De là,on descend sur un beau lapis de gazon, de forme octogone, terminépar une allée sablée, ombragée par des ormes et des ifs. On entretout de suite dans des allées serpentantes, qui sont éclairées lesoir par des lampes qui font un effet agréable vues au travers desarbres.

«&|160;Mais la promenade la plus généralementadmirée est celle qui est au sud de Ranelagh-House et quiconduit au fond du jardin&|160;: c’est une allée sablée bordée dedeux tapis de gazon, ombragée d’ormes et d’ifs et éclairée parvingt lampes.

«&|160;Sur une éminence, tout à fait au bout,est un temple circulaire du dieu Pan, et la statue d’un de sesfaunes est sur le dôme&|160;; il est peint en blanc et le dôme estsupporté par huit piliers.

«&|160;À la droite de ces jardins est un beaucanal où il y a une grotte. Des deux côtés sont des alléeséclairées par douze lampes. À droite sont deux allées&|160;: laplus près de l’eau a douze lampes&|160;; et l’autre, qui est trèslongue, en a trente-quatre. Les arbres y sont très grands. Au boutde cette allée sont vingt lampes, qui forment trois archestriomphales et offrent un charmant coup d’œil le soir.

«&|160;Les jardins hauts sont très aérés etbien plantés. Au bout est un édifice avec un fronton supporté pardix colonnes. Plusieurs personnes vont voir les jardins le matin.On voit aussi la rotonde&|160;; il n’en coûte qu’unschelling.&|160;»

Casanova rapporte à propos du Ranelagh unehistoire qui montre bien ce qu’était ce fameux jardin et nous faitjuger de la liberté des mœurs des dames anglaises du bon ton, en cetemps-là&|160;:

«&|160;Le soir, étant allé me promener au parcSaint-James, je me rappelai que c’était jour de Ranelagh, et,voulant connaître cet endroit, je pris une voiture et, seul, sansdomestique, je m’y rendis dans le dessein de m’y amuser jusqu’àminuit et d’y chercher quelque beauté qui me plût.

«&|160;La rotonde du Ranelagh me plut&|160;;je m’y fis servir du thé, j’y dansai quelques minutes&|160;; maispoint de connaissances&|160;; quoique j’y visse plusieurs filles etfemmes fort polies, de but en blanc je n’osais en attaquer aucune.Ennuyé, je prends le parti de me retirer&|160;; il était près deminuit&|160;; j’allai à la porte, comptant y trouver mon fiacre queje n’avais point payé&|160;; mais il n’y était plus et j’étais fortembarrassé. Une très jolie femme, qui était sur la porte enattendant sa voiture, s’apercevant de mon embarras, me dit enfrançais que, si je ne demeurais pas loin de Vaux-Hall, ellepourrait me conduire à ma porte. Je la remercie et, lui ayant ditoù je demeurais, j’accepte avec reconnaissance. Sa voiture arrive,un laquais ouvre la portière et, s’appuyant sur mon bras, ellemonte, m’invite à me placer à côté d’elle et ordonne qu’on arrêtedevant chez moi.

«&|160;Dès que je fus dans la voiture, jem’évertuai en expressions de reconnaissance et, lui disant mon nom,je lui témoignai le regret que j’éprouvais de ne l’avoir point vueà. la dernière assemblée de Soho-Square.

«&|160;— Je n’étais pas à Londres, medit-elle, je suis revenue de Bath aujourd’hui.

«&|160;Je me loue du bonheur que j’avais del’avoir rencontrée, je couvre ses mains de baisers, j’ose lui endonner un sur la joue, et, ne trouvant, au lieu de résistance, quela douceur et le sourire de l’amour, je colle mes lèvres sur lessiennes et, sentant la réciprocité, je m’enhardis et bientôt je luiai donné la marque la plus évidente de l’ardeur qu’elle m’avaitinspirée.

«&|160;Me flattant que je ne lui avais pasdéplu, tant je l’avais trouvée douce et facile, je la suppliai deme dire où je pourrais aller pour lui. faire une cour assiduependant tout le temps que je comptais passer à Londres&|160;; maiselle me dit&|160;: «&|160;Nous nous reverrons encore et soyezdiscret.&|160;» Je le lui jurai et ne la pressai pas. L’instantd’après la voiture s’arrête, je lui baise la main et me voilà chezmoi fort satisfait de cette bonne fortune.

«&|160;Je passai quinze jours sans la revoir,lorsqu’enfin je la retrouvai dans une maison où lady Haringtonm’avait dit d’aller me présenter à la maîtresse de sa part. C’étaitune lady Betty Germen, vieille femme illustre. Elle n’était pas aulogis, mais elle devait rentrer en peu de temps et je fus introduitau salon pour l’attendre. Je fus agréablement surpris en y.apercevant ma belle conductrice du Ranelagh, occupée à lire, unegazette. Il me vint dans l’esprit de la prier de me présenter. Jem’avance vers elle et à la question que je lui fais, si ellevoudrait bien être mon introductrice, elle répond d’un air poliqu’elle ne pouvait pas, n’ayant pas l’honneur de me connaître.

«&|160;— Je vous ai dit mon nom, madame,est-ce que vous ne me remettez pas&|160;?

«&|160;— Je vous remets fort bien, mais unefolie n’est pas un titre de connaissance.

«&|160;Les bras me tombèrent à cettesingulière réponse. Elle se remit tranquillement à lire sa gazetteet ne m’adressa plus la parole jusqu’à l’arrivée de ladyGermen.

«&|160;Cette belle philosophe passa deuxheures en conversation, sans faire le moindre semblant de meconnaître, me parlant cependant avec beaucoup de politesse lorsquel’à-propos me permettait de lui adresser la parole. C’était unelady de haut parage et qui jouissait à Londres d’une belleréputation.&|160;»

On trouve aussi dans Londres et sesenvirons une description détaillée des jardins de Vaux-Hallqui avaient été rouverts en 1732.

«&|160;Ils sont situés sur la Tamise, dans laparoisse de Lambeth, à deux milles de Londres. On ouvre ces jardinstous les jours, à 6 h. 1/2 du soir, excepté le dimanche, depuis maijusqu’à la fin d’août&|160;; l’admission est d’un schelling.

«&|160;En entrant par la grande porte, lepremier objet qui se présente est une allée de 900 pieds delongueur, plantée des deux côtés d’ormes qui forment une arche, àl’extrémité de laquelle on a le plus beau paysage, terminée par unobélisque gothique où on monte par un petit escalier. La base estdécorée de festons de fleurs et aux coins sont peints des esclavesenchaînés. Au-dessus est cette inscription&|160;:

Spectator

Fastidiosus

Sibi Molestus

«&|160;En avançant quelques pas, on trouve, àdroite, un quadrangle planté en bosquet. Au milieu est un orchestrede construction gothique, très orné de sculpture, niches, etc. Ledôme est surmonté de plumes blanches qui sont les armes des princesde Wales. Tout cet édifice est en bois peint en blanc etcouleur de chêne. Les ornements sont en plaistic,composition particulière qui ressemble un peu au plâtre de Paris,mais qui n’est connue que de l’architecte. Les beaux jours, lamusique se fait dans cet orchestre, dont les musiciens, tant pourla partie vocale qu’instrumentale, sont bien choisis. Le concertcommence à huit heures et finit à onze.

«&|160;Sur une grande pièce de bois est unpaysage qu’on appelle The Day-Scène. On l’ôte à la chutedu jour pour découvrir une cataracte en transparent, dont l’effetest très brillant. Il est curieux de voir comment toute lacompagnie court en foule, au son d’une cloche qui sonne à neufheures pour avertir du moment où cette cascade est visible. On larecouvre au bout de dix minutes.

«&|160;Dans la partie du bosquet, en face del’orchestre, sont placés quantité de tables et de bancs, et ungrand pavillon de l’ordre composite, qui fut construit pour ledernier prince de Wales, dans lequel son petit-fils asoupé souvent les années dernières. On monte dans ce pavillon parun escalier double à balustrades. Le front est supporté par despilastres de l’ordre dorique. Dans le plafond sont trois petitsdômes, avec des ornements dorés d’où descendent trois lustres.

«&|160;Il y a dans cette pièce plusieurstableaux, par M.&|160;Hay-man, tirés des pièceshistoriques de Shakespeare. Ils sont admirés généralement,tant pour le dessin que pour le coloris et l’expression.

«&|160;Le premier, en entrant dans lesjardins, est une représentation de la tempête dans la tragédie deLear.

«&|160;Le second est le moment de la tragédied’Hamlet, où le roi, la reine de Danemark, aumilieu de leur cour, donnent audience.

«&|160;Le troisième est la scène d’HenriV, qui précède la fameuse bataille d’Azincourt&|160;:elle se passe devant la tente du roi&|160;; son armée est à quelquedistance, et le héraut français, accompagné d’un trompette, vientlui demander s’il veut composer pour sa rançon.

«&|160;Le dernier est la scène de laTempête où Miranda aperçoit, pour la première fois,Ferdinand&|160;: elle est à lire sous un arbre&|160;; lelivre lui tombe des mains&|160;; Ferdinand est à sesgenoux et exprime l’agréable surprise qu’il éprouve.Prospero, dans sa robe magique, affecte de la colère…

«&|160;… L’espace entre le pavillon etl’orchestre est le rendez-vous général de la compagnie qui s’yrassemble pour entendre le chant. Lorsqu’une ariette est finie,elle se disperse dans les jardins. Le bosquet est illuminé par 2,000 lampes qui font un charmant effet au milieu des arbres. Sur laface de l’orchestre, elles forment trois arches triomphales&|160;;le tout est allumé avec une rapidité surprenante.

«&|160;Lorsque le temps est mauvais, leconcert se donne dans la grande salle ou rotonde qui a 70 pieds dediamètre…

«&|160;… La première allée du jardin, ensortant de la rotonde, est pavée de carreaux de Flandres, afind’éviter l’humidité que contracte le sable quand il a plu. Le restedu bosquet est entouré d’allées sablées. Il y a une quantité depavillons ou alcôves décorées de peintures, d’après les dessins deMM.&|160;Hayman et Hogarth. Chaque pavillon a unetable et peut tenir huit personnes…

«&|160;… Les peintures des pavillonssont&|160;:

«&|160;1° Deux Mahométants regardant avecétonnement toutes les beautés de ces lieux&|160;;

«&|160;2° Un berger qui joue du flageolet pourattirer une bergère dans le bois&|160;;

«&|160;3° La nouvelle rivièred’Islington avec une famille qui se promène&|160;; unevache qu’on trait et des cornes fixées sur la tête dumari&|160;;

«&|160;4° Une partie de quadrille et unservice de thé&|160;;

«&|160;5° Un concert&|160;;

«&|160;6° Des enfants faisant des châteaux decartes&|160;;

«&|160;7° Une scène du Médecin malgrélui&|160;;

«&|160;8° Un paysage&|160;;

«&|160;9° Une contredanse de villageois autourd’un mai&|160;;

«&|160;1o° Enfilez mon aiguille&|160;;

«&|160;11° Un vol de cerf-volant&|160;;

«&|160;12° Le moment du roman dePaméla, où elle annonce à la femme de charge le désirqu’elle a de retourner chez ses parents&|160;;

«&|160;13° Une scène du Diable àpayer entre Jobson Nell et le sorcier&|160;;

«&|160;14° Des enfants jouant à lacachette&|160;;

«&|160;15° Une chasse&|160;;

«&|160;16° Paméla sautant par lafenêtre pour s’échapper de chez lady Davers&|160;;

«&|160;17° La scène des Merry Wives deWindsor où Sir John Falstaff est mis dans lacorbeille au linge sale&|160;;

«&|160;18° Un combat naval entre les Espagnolset les Maures&|160;;

«&|160;Les peintures finissent ici&|160;; maisles pavillons continuent et conduisent à une colonnade de 5oo piedsde longueur, dans la forme d’un demi-cercle…

«&|160;Après avoir traversé ce demi-cercle, ontrouve d’autres pavillons qui mènent dans la grande allée.

«&|160;Dans le dernier de ces pavillons estpeinte Suzanne aux yeux pochés, lorsqu’elle vient direadieu à son doux William, qui est à bord de la flotte quiva partir…

«&|160;En retournant au bosquet, les pavillonsderrière l’orchestre ont les peintures suivantes&|160;:

«&|160;1° Difficile à plaire&|160;;

«&|160;2° Des glisseurs sur laglace&|160;;

«&|160;3 Des joueurs de musette et dehautbois&|160;;

«&|160;4° Un feu de joie à Charing-Cross etautres réjouissances. Le coche de Salisburyversé&|160;;

«&|160;5 Le jeu de Colin-Maillard&|160;;

«&|160;6° Le jeu des lèvres degrenouilles&|160;;

«&|160;7° Une hôtesse de Wapping,avec des matelots qui débarquent&|160;;

«&|160;8° Le jeu des épingles, et le marigrondé par sa femme qui lui enfonce des épingles dans lementon.&|160;»

La description continue, énumérant longuementles peintures, les allées, les statues, les cyprès, les ifs, lescèdres, les tulipiers et la belle «&|160;prairie défendue par unhaha pour empêcher qu’on n’y entre&|160;».

À la fin on donne&|160;:

«&|160;le prix des denrées qu’on peut avoirdans ces jardins.

Une bouteille de bourgogne&|160;: 7 Schelling6 Pence

Une de champagne&|160;: 10 Schelling 6Pence

De Frontignac&|160;: 7 Schelling

De Claret [6]&|160;: 7Schelling

De vieux hock&|160;: 6 Schelling

De madère&|160;: 5 Schelling

Du Rhin&|160;: 3 Schelling

De Sheres [7]&|160;: 3Schelling 6 Pence

De Montagne&|160;: 3 Schelling

De Port [8]&|160;: 2Schelling 6 Pence

De Lisbonne&|160;: 2 Schelling 6 Pence

Une bouteille de cidre&|160;: 1 Schelling

Une d’arrack&|160;: 8 Schelling

Deux livres de glace&|160;: 1 Schelling

La petite bière&|160;: 0 Schelling 6 Pence

Un poulet&|160;: 3 Schelling

Un plat de jambon&|160;: 1 Schelling

Un de bœuf&|160;: 1 Schelling

Un de bœuf roulé&|160;: 1 Schelling

Un pigeon préservé dans le beurre&|160;: 1Schelling

Une laitue&|160;: 0 Schelling 6 Pence

Une petite mesure d’huile&|160;: 0 Schelling 5Pence

Un citron&|160;: 0 Schelling 3 Pence

Une tranche de pain&|160;: 0 Schelling 1Pence

Un petit pain de beurre&|160;: 0 Schelling 2Pence

Un biscuit&|160;: 0 Schelling 1 Pence

Une tranche de fromage&|160;: 0 Schelling 2Pence

Une tarte&|160;: 1 Schelling 0 Pence

Une custard [9]&|160;: 0Schelling 4 Pence

Un gâteau de fromage&|160;: 0 Schelling 4Pence

Un plat d’anchois&|160;: 1 Schelling

Un d’olives&|160;: 1 Schelling

Un concombre&|160;: 0 Schelling 6 Pence

Une gelée&|160;:&|160;: 0 Schelling 6Pence

Les bougies&|160;: 1 Schelling 4Pence&|160;»

L’entrée au Vauxhall coûtait un schelling.

Casanova observe&|160;:

«&|160;Pour entrer au Vauxhall, on payait lamoitié moins que pour l’entrée du Ranelagh, et malgré cela onpouvait s’y procurer les plaisirs les plus variés, tels que bonnechère, musique, promenades obscures et solitaires, allées garniesde mille lampions, et l’on y trouvait pêle-mêle les beautés lesplus fameuses de Londres&|160;; depuis le plus haut jusqu’au plusbas étage.&|160;»

Perdu de dettes, John Cleland fut mis enprison, et c’est pour se libérer que, sur la proposition d’unlibraire, il écrivit les Memoirs of a woman of pleasure,autrement Fanny Hill, œuvre remarquable&|160;; libre, maisdélicate. Elle lui fut payée 20 guinées.

On ne sait pas bien si la première édition desMemoirs parut en 1 747, 1748, 1749 ou 1750. On pense quel’éditeur en fut le libraire Griffiths, qui publiait TheMonthly Review. Cela paraît probable, car dès 1760 Griffithpublia, sous le titre de Memoirs of Fanny Hill, uneédition publique, mais très adoucie de l’ouvrage de Cleland, et leMonthly Review fit l’éloge d’un ouvrage dont lapublication clandestine et le texte expurgé, mais publiéouvertement, lui rapportèrent.10, 000 guinées.

Poursuivi pour l’avoir écrit, Cleland alléguasa pauvreté comme excuse, et le Président qui le jugeait et quiétait le comte Granville lui fit une pension de 100 livres sterlingpar an. La seule condition était de ne plus écrire d’ouvrageslibres. Cleland observa cette condition et toucha sa pensionjusqu’à la fin de sa vie. Il vécut dans l’étude, à l’écart de lasociété qui ne lui pardonnait pas d’avoir écrit lesMemoirs. Cleland était un épicurien très doux, trèscultivé. Il vivait dans la retraite, ne voyant que quelques amis,qu’il charmait par son érudition aimable et inépuisable. Il avaitune bibliothèque pleine de livres rares et précieux.

Il mourut tranquillement le 23 janvier1789.

Cleland écrivit, outre les Memoirs of awoman of pleasure. plusieurs romans qui ne manquent pasd’intérêt&|160;:

The Memoirs of a Coxcomb(1767, in-18)ou Mémoires d’un fat&|160;;Surprises of Love ou Surprises d’amour (Londres,1765, in-12)&|160;; The Man of Honour ou l’Homme d’honneur(Londres, 3 vol. in-12).

Il composa des pièces&|160;: TitusVespasian, 1755 (in-8°), drame&|160;; Timbo Chiqui or theamerican Savage, 1758 (in-8°), drame en 3 actes.

On lui doit quelques essais dephilologie celtomaniaque sans grande valeur&|160;: Theway to thing by words, and to words. by thing, et en 1768,Specimen of an etimological vocabulary, or essay, by means ofthe analytic method, to retrieve the antient Celtic, ouvrageauquel il donna l’année suivante un supplément sous le titred’Additionnal articles to the Specimen, etc.

Cleland donna aussi des articles dans despériodiques tels que le Public Advertiser, où il signa tantôtModestus et tantôt A. Briton.

Gay, dans la Bibliographie des principauxouvrages relatifs à l’amour, etc., dit, en parlant du fameuxpamphlet en vers (parodie de l’Essai sur l’homme, dePope), intitulé Essay on woman ou Essai sur lafemme, et qui est de John Wilkes&|160;: «&|160;D’après unenote insérée dans un catalogue d’autographes vendus à Londres parSotheby, en 1829, le véritable auteur de cet Essai serait Cleland,l’auteur de The woman of pleasure.&|160;»

Dans le Bulletin du Bouquiniste (mars 1861),M.&|160;Charles Nodier releva vivement cette assertion&|160;:

«&|160;Il ne faut pas, disait-il, laisser sepropager cette erreur en France, et il est probable même qu’elle adû être signalée depuis longtemps en Angleterre.

«&|160;Wilkes est bien le véritable auteur del’Essai sur la femme&|160;; il n’est permis à aucun égardde le révoquer en doute…&|160;»

Le seul ouvrage qui garde de l’oubli le nom deJohn Cleland, c’est le roman de Fanny Hill, la sœur anglaise deManon Lescaut, mais moins malheureuse, et le livre où elle paraît ala saveur voluptueuse des récits que faisait Chéhérazade.

G.A.[10]

Partie 3
MÉMOIRES D’UNE FEMME DE PLAISIR

 

LETTRE PREMIÈRE

&|160;

MADAME,

Je vais vous donner une preuve indubitable dema complaisance à satisfaire vos désirs et, quelque mortifiante quepuisse être la tâche que vous m’imposez, je me ferai un devoir dedétailler avec fidélité les périodes scandaleuses d’une viedébordée, dont je me suis enfin tirée heureusement, pour jouir detoute la félicité que peuvent procurer l’amour, la santé et unefortune honnête&|160;; étant d’ailleurs encore assez jeune pour engoûter le prix et pour cultiver, un esprit qui naturellementn’était pas dépravé, qui, même parmi les dissipations où je me visentraînée, ne laissa point de former des observations sur les mœurset sur les caractères des hommes, observations peu communes aux,personnes de l’état où j’ai vécu, lesquelles, ennemies de touteréflexion, les bannissent pour jamais, afin d’éviter les remordsqu’un retour sur elles-mêmes ferait naître dans leurs cœurs.

Haïssant aussi mortellement que je le faistoute préface inutile, je ne vous ferai point languir par un exordeennuyeux&|160;; je dois seulement vous avertir que je retraceraitoutes mes actions avec la même liberté que je les ai commises.

La vérité, là vérité toute nue guidera maplume. Je ne prendrai même pas la peine de couvrir de la pluslégère gaze mes crayons&|160;; je peindrai les choses d’aprèsnature, sans crainte de violer les lois de la décence, qui ne sontpas faites pour des personnes aussi intimement amies que nous.D’ailleurs, vous avez une connaissance trop consommée des plaisirsréels pour que leur peinture vous scandalise. Vous n’ignorez pasque les gens d’esprit et de goût ne se font nul scrupule de décorerleurs cabinets de nudités de toute espèce, quoique, par la craintequ’ils ont de blesser l’œil et les préjugés du vulgaire, ilsn’aient garde de les exposer dans leurs salons.

Passons à mon histoire. On m’appelait, étantenfant, Frances Hill[11]. Je suisnée de parents pauvres, dans un petit village près de Liverpool,dans le Lancashire, de parents extrêmement pauvres et, je le croispieusement, très honnêtes.

Mon père, qu’une infirmité empêchait detravailler aux gros ouvrages de la campagne, gagnait, à faire desfilets, une très médiocre subsistance, que ma mère n’augmentaitguère en tenant une petite école de filles dans le voisinage. Ilsavaient eu plusieurs enfants dont j’étais restée seule en vie.

Mon éducation, jusqu’à l’âge de quatorze anspassés, avait été des plus communes. Lire ou plutôt épeler,griffonner et coudre assez mal, faisait tout mon savoir. À l’égardde mes principes de vertu, ils consistaient dans une parfaiteignorance du vice et dans une sorte de retenue et de timiditénaturelles à notre sexe, dans la première période de la vie, où lesobjets vous effrayent surtout par leur nouveauté&|160;; mais alorsnous ne guérissons de la peur que trop tôt aux dépens de notreinnocence, lorsque nous nous habituons peu à peu à ne plus voir,dans l’homme, une bête féroce prête à nous dévorer.

Ma pauvre mère avait toujours été tellementoccupée de son école et des petits embarras du ménage qu’ellen’avait employé que bien peu de temps à m’instruire. Au reste, elleétait trop ignorante du mal pour être en état de me donner desleçons qui pussent m’en garantir.

J’étais entrée dans ma quinzième année,lorsque les chers et regrettables auteurs de ma vie moururent de lapetite vérole, à quelques jours l’un de l’autre, Mon père mourut lepremier, entraînant ma mère dans la tombe. Je me trouvai, par leurmort, une malheureuse orpheline sans ressources et sans amis, carmon père, qui était du comté de Kent, s’était établi par hasarddans le village. Je fus aussi attaquée de cette contagieusemaladie, mais fort légèrement&|160;; je fus bientôt hors de dangeret (avantage dont j’ignorais alors la valeur) sans qu’il m’enrestât aucune marque. Je passe sur le chagrin, la véritableaffliction où cette perte me plongea. Le temps et l’humeur volagede la jeunesse n’en effacèrent que trop tôt de ma mémoire la tristeet précieuse époque. Mais ce qui contribua surtout à me la faireoublier, ce fut l’idée, qu’on me mit tout à coup dans la tête,d’aller à Londres chercher une place. Une jeune femme, nomméeEsther Davis, alors dans notre village, devait retournerincessamment à Londres, où elle était en service&|160;; elle meproposa de l’y suivre, m’assurant de m’aider de ses avis et de soncrédit pour me faire placer.

Comme il n’y avait personne au monde qui semît en peine de ce que je deviendrais et que la femme qui avaitpris soin de moi après la mort de mes parents m’encourageait plutôtdans, mon nouveau dessein, j’acceptai sans hésiter l’offre qu’on mefaisait, résolue d’aller à Londres et d’y tenter fortune&|160;;tentative qui, soit dit en passant, est plus funeste qu’avantageuseaux aventuriers de l’un et l’autre sexe, émigrés de leurprovince.

J’étais enchantée des merveilles qu’EstherDavis me contait de Londres&|160;; il me tardait d’y être pour voirles Lions de la Tour, le Roi, la Famille royale, les mausolées deWestminster, la Comédie, l’Opéra, enfin toutes les jolies chosesdont elle piquait ma curiosité par ses agréables récits et dont letableau détaillé me tourna complètement la tête.

Je ne puis non plus me rappeler sans rire lanaïve admiration, mêlée d’une pointe d’envie, avec laquelle nousautres pauvres filles, dont les habits du dimanche étaient tout auplus des chemises de grosse toile et des robes d’indienne, nousregardions Esther avec ses robes de satin luisant, ses chapeauxbordés d’un pouce de dentelle, ses rubans aux vives couleursbrochés d’argent&|160;; toutes choses qui, pensions-nous,poussaient, naturellement à Londres et qui entrèrent pour beaucoupdans ma détermination d’y aller afin d’en prendre ma part.

Quant à Esther, son seul et unique motif pourse charger de moi pendant le voyage était d’avoir en route lasociété d’une compatriote. Nous allions dans une ville où, commeelle me disait dans son langage et avec ses gestes&|160;:

«&|160;Nombre de pauvres campagnardes onttrouvé moyen, par leur bonne conduite, de s’enrichir elles et lesleurs. Bien des filles vertueuses ont épousé leurs maîtres, qui lesfont aujourd’hui rouler en carrosse. On en connaît mêmequelques-unes qui sont devenues duchesses. La chance fait tout etnous y pouvons prétendre aussi bien que les autres.&|160;»

Et un tas de propos pareils qui me faisaientgriller d’envie d’entreprendre cet heureux voyage. Que devais-jequitter d’ailleurs&|160;? un village où j’étais née, il est vrai,mais où je n’avais personne à regretter&|160;; un endroit quim’était devenu insupportable, depuis qu’à des témoignages detendresse avaient succédé des airs froids de charité, dans lamaison même de l’unique amie dont je pouvais attendre soins etprotection. Cette femme, toutefois, se conduisit honnêtement. Ellefit argent des petites choses qui me restaient et me remit, lesdettes et les frais d’enterrement acquittés, toute ma fortune, àsavoir&|160;: huit guinées et dix-sept schellings. J’empaquetai mamodeste garde-robe dans une boîte à perruque et mis mon argent dansune boîte à ressort. Je n’avais jamais vu tant de richesse et nepouvais concevoir, qu’il fût possible de la dépenser&|160;; ma joiede posséder un tel trésor était si réelle que je fis très peud’attention à une infinité de bons avis qui me furent donnés, parsurcroît.

Nous partîmes par la voiture de Chester. Jelaisse de côté la petite scène des adieux, où je versai quelqueslarmes de chagrin et de joie. Ma conductrice me servit de mèrependant la route, en considération de quoi elle jugea à propos deme faire payer son écot jusqu’à Londres. Elle fit, à la vérité, leschoses en conscience et ménagea ma bourse comme si c’eût été lasienne. Je ne m’arrêterai pas au détail insignifiant de ce quim’arriva en route, comme, par exemple, les regards que d’un œilhumide de liqueur me lançait le postillon, le manège de tel ou teldes voyageurs à mon adresse, déjoué par la vigilance de maprotectrice Esther.

Ce ne fut qu’assez tard, un soir d’été, quenous arrivâmes à la ville, dans notre pesant équipage traînécependant par deux forts chevaux. Comme nous passions par lesgrandes rues qui menaient à notre auberge, le bruit des voitures,le tumulte, la cohue des piétons, bref, tout ce nouveau spectacledes boutiques et des maisons me plaisait et m’étonnait à lafois.

Lorsque nous fûmes arrivées à l’auberge et quenos bagages furent descendus, Esther Davis, sur la protection dequi je comptais plus que jamais, me pétrifia par une froideharangue dont voici la substance&|160;:

«&|160;Loué soit Dieu, nous avons fait un bonvoyage. Ça, je m’en vais vite dans ma place&|160;; songez à vousmettre en service le plus tôt que vous pourrez&|160;; n’appréhendezpas que les places vous manquent&|160;; il y en a ici plus que deparoisses. Je vous conseille d’aller au bureau de placement. Pourmoi, si j’entends parler de quelque chose, je vous en donneraiavis. Vous ferez bien, en attendant, de prendre une chambre. Jevous souhaite beaucoup de bonheur… J’espère que vous serez toujoursbrave fille et ne ferez point tort à vos parents.&|160;»

Après cette belle exhortation, elle me fit unecourte révérence et prit congé de moi, me laissant pour ainsi direconfiée à moi-même, aussi légèrement que je lui avais étéconfiée.

Je sentis avec une amertume inexprimable lacruauté de son procédé. Elle n’eut pas les talons tournés que jefondis en larmes, ce qui me soulagea un peu, mais point assez pourme tranquilliser l’esprit sur l’embarras où je me trouvais. Un desgarçons de l’hôtellerie vint mettre le comble à mes inquiétudes enme demandant si je n’avais besoin de rien. Je lui répondisnaïvement que non, mais que je le priais de me faire avoir unlogement pour cette nuit. L’hôtesse parut et me dit sèchement, sansêtre touchée de l’état où elle me voyait, que j’aurais un lit pourun schelling, et que ne doutant pas que je n’eusse des amis dans laville (ce qui me fit, hélas&|160;! pousser un grand soupir), jepourrais me pourvoir le lendemain matin.

Dès que je me vis assurée d’un lit, je repriscourage et résolus d’aller, le jour suivant, au bureau de placementdont Esther m’avait donné l’adresse sur le revers d’unechanson.

J’espérais trouver dans ce bureau l’indicationd’une place convenable pour une campagnarde telle que moi et qui mepermettrait d’épargner le peu que je possédais. Quant à uncertificat de bonne conduite, Esther m’avait souvent répété qu’ellese chargeait de m’en procurer un&|160;; or, si affectée que jefusse de son abandon, je n’avais pas cessé de compter sur elle. Enbonne fille que j’étais, je commençais à croire qu’elle avait agitout naturellement et que si j’en avais mal jugé d’abord, c’étaitpar ignorance de la vie.

L’impatience où j’étais de mettre mon projet àexécution me rendit matinale. Je mis à la hâte mes plus beauxatours de village, et laissant l’hôtesse dépositaire de ma petitemalle, je m’en fus droit au bureau qui me fut indiqué.

Une vieille matrone tenait cette maison. Elleétait assise devant une table avec un gros registre, où paraissaitgriffonné par ordre alphabétique un nombre infini d’adresses.

J’approchai de cette vénérable personne lesyeux respectueusement baissés, passant à travers une fouleprodigieuse de peuple, tous rassemblés pour la même cause. Je luilis une demi-douzaine de révérences niaises, en lui bégayant matrès humble requête.

Elle me donna audience avec toute la dignitéet le sérieux d’un petit ministre d’État, et m’ayant toisée del’œil, elle me répondit, après m’avoir fait au préalable lâcher unschelling, que les conditions pour femmes étaient fort rares, etsurtout pour moi qui ne paraissais guère propre aux ouvrages defatigue&|160;; mais qu’elle verrait pourtant sur son livre s’il yavait quelque chose qui me convînt, quand elle aurait expédiéquelques-unes de ses pratiques.

Je me retirai tristement en arrière, presquedésespérée de la réponse de cette vieille médaille. Néanmoins, pourme distraire, je hasardai de promener mes regards sur l’honorablecohue dont je faisais partie, et parmi laquelle j’aperçus une lady(car, dans mon extrême ignorance, je la crus telle)&|160;: c’étaitune grosse dame à trogne bourgeonnée, d’environ cinquante ans,vêtue d’un manteau de velours au cœur de l’été, tête nue. Elleavait les yeux fixés avidement sur moi, comme si elle eût voulu medévorer. Je me trouvai d’abord un peu déconcertée et je rougis,mais un sentiment secret d’amour-propre me faisait interpréter lachose en ma faveur&|160;; je me rengorgeai de mon mieux et tâchaide paraître le plus à mon avantage qu’il me fût possible. Enfin,après m’avoir bien examinée tout son saoul, elle s’approcha d’unair extrêmement composé et me demanda si je voulais entrer enservice. À quoi je répondis que oui, avec une profonderévérence.

«&|160;Vraiment, dit-elle, j’étais venue ici àdessein de chercher une fille… Je crois que vous pourrez faire monaffaire, votre physionomie n’a pas besoin de répondant… Au moins,ma chère enfant, il faut bien prendre garde&|160;; Londres est unabominable séjour… Ce que je vous recommande, c’est de lasoumission à mes avis et d’éviter surtout la mauvaisecompagnie.&|160;» Elle ajouta à ce discours mainte autre phraseplus que persuasive pour enjôler une innocente campagnarde, qui secroyait trop heureuse de trouver une telle condition, car je mefigurais avoir affaire à une dame fort respectable.

Cependant, la vieille teneuse de livre, à lavue de qui notre accord s’était passé, me souriait de façon que jem’imaginai sottement qu’elle me congratulait sur ma bonnechance&|160;: mais j’ai découvert depuis que les deux gueusess’entendaient comme larrons en foire et que cette honnête maisonétait un magasin d’où Mistress Brown, ma maîtresse, tirait souventdes provisions neuves pour accommoder ses chalands. Elle était sicontente que, de peur que je lui échappasse, elle me jetaimmédiatement dans un carrosse, et ayant été retirer ma boîte demon auberge, nous fûmes à une boutique dansSaint-Paul’s-Churchyard, où elle acheta une paire de gantsqu’elle me donna&|160;; puis elle nous fit conduire et descendredroit à son logis, dans …Street&|160;!

Elle m’avait, durant la route, amusée partoutes sortes d’histoires plus croyables les unes que les autres,sans laisser échapper une syllabe d’où je pusse rien conclure,sinon que, par le plus heureux des hasards, j’étais tombée dans lesmains de la meilleure maîtresse, pour ne pas dire la meilleureamie, qu’il me fût possible de trouver en ce bas monde. Enconséquence, je franchis le seuil toute confiante et joyeuse, mepromettant, aussitôt installée, d’informer Esther Davis de ma rarebonne fortune.

L’apparence du lieu, le goût et la propretédes meubles ne diminuèrent rien de la bonne opinion que j’avaisconçue de ma place. Le salon où je fus introduite me parutmagnifiquement meublé&|160;; car, en fait de salon, je neconnaissais encore que les salles d’auberge où j’avais passé sur maroute. il y avait deux trumeaux dorés et un buffet garni dequelques pièces d’argent bien en évidence qui m’éblouirent. Je nedoutai pas que je ne fusse dans une maison des mieux famées.

Aussitôt mon installation faite, ma maîtressedébuta par me dire que son dessein était que nous vécussionsfamilièrement ensemble, qu’elle m’avait prise moins pour la servirque pour lui tenir compagnie et que, si je voulais être bonnefille, elle ferait plus pour moi qu’une véritable mère. À quoi jerépondis niaisement en faisant deux ou trois ridiculesrévérences&|160;:

«&|160;Oui, oh&|160;! que si, bien obligée,votre servante.&|160;»

Un moment après elle sonna et une grandedégingandée de fille parut&|160;:

«&|160;Martha, lui dit Mistress Brown, jeviens d’arrêter cette jeune personne pour prendre soin de monlinge&|160;; allez, montrez-lui sa chambre. Je vous ordonne surtoutde la regarder comme une autre moi-même&|160;; car je vous avoueque sa figure me plaît à un point que je ne sais pas ce que jeserais capable de faire pour elle.&|160;»

Martha, qui était une rusée coquine des mieuxstylées au métier, me salua respectueusement et me conduisit ausecond étage, dans une chambre sur le derrière, où il y avait unfort bon lit, que je devais partager, à ce qu’elle m’apprit, avecune jeune dame, une cousine de Mistress Brown. Après quoi elle mefit le panégyrique de sa bonne et chère maîtresse, m’assurant quej’étais fort heureuse d’être si bien tombée&|160;; qu’il n’étaitpas possible de mieux rencontrer&|160;; qu’il fallait que je fussenée coiffée&|160;; que je pouvais me vanter d’avoir fait unexcellent hasard. En un mot, elle me dit cent autres platitudes decette espèce, capables de me faire ouvrir les yeux si j’avais eu lamoindre expérience.

On sonna une seconde fois&|160;; nousdescendîmes et je fus introduite dans une salle où la table étaitdressée pour trois. Ma maîtresse avait alors avec elle sa prétendueparente, sur qui les affaires de la maison roulaient. Mon éducationdevait être confiée à ses soins, et, suivant ce plan, on étaitconvenu que nous coucherions ensemble.

Ici je subis un nouvel examen de la part deMiss Phœbe Ayres, ma tutrice, qui eut la bonté de me trouver ausside son goût. J’eus l’honneur de dîner entre ces deux dames, dontles attentions et les empressements alternatifs me ravissaientl’âme, et, simple que j’étais, je ne cessais d’appeler MistressBrown Sa Seigneurie.

Il fut arrêté que je garderais la chambrependant qu’on me ferait des habits convenables à l’état que jedevais tenir auprès de ma maîtresse&|160;; mais ce n’était qu’unprétexte. Mistress Brown ne voulait pas que personne de ses clientsou de ses biches, comme elle appelait les filles de samaison, me vît jusqu’à ce qu’elle eût trouvé acheteur, pour mavirginité, trésor que, selon toute apparence, j’avais apporté auservice de Sa Seigneurie.

Depuis le dîner jusqu’au soir, il ne se passarien qui mérite d’être rapporté. Après souper, l’heure de laretraite étant arrivée, nous montâmes chacune à notre appartement.Miss Phœbe, qui s’aperçut que j’avais de la honte à me déshabilleren sa présence, m’enleva dans la minute mouchoir de cou, robe etcotillons. Alors, rougissant de me voir ainsi nue, je me fourraicomme un éclair entre les draps, où la commère ne tarda pas à mesuivre en riant aux éclats.

Phœbe avait environ vingt-cinq ans et enparaissait dix de plus par ses longs et fatigants services etl’usage des eaux chaudes&|160;; ce qui l’avait réduite au métierd’appareilleuse avant le temps.

L’égrillarde ne fut pas plus tôt à mon côtéqu’elle m’embrassa avec une ardeur incroyable. Je trouvai ce manègeaussi nouveau que bizarre&|160;; mais l’imputant à la seule amitié,je lui rendis de la meilleure foi et le plus innocemment du mondebaisers pour baisers. Encouragée par ce petit succès, elle promenases mains sur mon corps et ses attouchements m’émurent et mesurprirent davantage qu’ils me scandalisèrent.

Les éloges flatteurs dont elle assaisonnaitses caresses contribuèrent à me gagner&|160;; ne connaissant pointle mal, je n’en craignais aucun, d’autant plus qu’elle m’avaitdémontré qu’elle était femme en portant mes mains sur une paire deseins flasques et pendants dont le volume était plus que suffisantpour faire la distinction des deux sexes, surtout pour moi qui n’enconnaissais point d’autre.

Je demeurai donc aussi docile qu’elle put ledésirer, ses privautés ne faisant naître dans mon cœur quel’émotion d’un plaisir, d’autant plus vif et plus pénétrant que jel’avais ignoré jusqu’alors. Un feu subtil se glissa dans mes veineset m’embrasa pour ainsi dire jusqu’à l’âme. Ma gorge naissante,ferme et polie, irritant de plus en plus ses désirs, l’amusèrent unmoment, puis Phœbe porta la main sur cette imperceptible trace, cejeune et soyeux duvet éclos depuis quelques mois et qui promettaitd’ombrager un jour le doux siège des plus délicieuses sensations,mais qui jusqu’alors avait été le séjour de la plus insensibleinnocence. Ses doigts en se jouant s’exerçaient à tresser lestendres scions de cette charmante mousse, que la nature a faitcroître autant pour l’ornement que pour l’utilité.

Mais, non contente de ces préludes, Phœbetenta le point principal, en insinuant par gradations son indexjusqu’au vif, ce qui m’aurait sans doute fait sauter hors du lit etcrier au secours si elle ne s’y était pas prise aussi doucementqu’elle le fit.

Ses attouchements avaient allumé dans tout moncorps un feu nouveau, qui s’était principalement concentré dans lepoint central, où des mains étrangères s’égarèrent pour, lapremière. fois, tantôt me pinçant, tantôt me caressant, jusqu’à cequ’un hélas&|160;! profond eût fait connaître à Phœbe qu’elletouchait à ce passage étroit et inviolé, qui lui refusait uneentrée plus libre.

Enfin cette libertine triompha. Je restaientre ses bras dans une espèce d’anéantissement si délectable quej’aurais souhaité qu’il ne cessât jamais.

«&|160;Ah&|160;! s’écriait-elle en me tenanttoujours serrée, que tu es une aimable enfant&|160;!… quel sera lemortel assez heureux pour te rendre femme&|160;!… Dieu&|160;! quene suis-je homme&|160;!…&|160;» Elle interrompait ces expressionsentrecoupées par les baisers les plus brûlants et les plus lascifsque j’aie reçus de ma vie…

J’étais si transportée, mes sens étaienttellement confondus, que je serais peut-être expirée si des larmesdélicieuses, qui m’échappèrent dans la vivacité du plaisir,n’eussent en quelque manière calmé le feu dont je me sentaisdévorée.

Phœbe, l’impudique Phœbe, à qui tous lesgenres et toutes les formes de plaisirs étaient connus, avaientpris, selon toute apparence ce goût bizarre en éduquant de jeunesfilles. Ce, n’était pas néanmoins qu’elle eût de l’aversion pourles hommes, qu’elle ne les préférât à notre sexe, mais un penchantinsupportable pour les plaisirs les lui faisait prendreindistinctement, de quelque façon qu’ils se présentassent. Rien, enun mot, n’étant capable de la rassasier, elle jeta tout à coup ledrap au pied du lit et je me trouvai la chemise au-dessus desépaules, sans que j’eusse la force de me dérober à ses regards. Ilfaut dire que ma brûlante rougeur provenait plutôt du désir que dela modestie. Cependant la chandelle brûlant encore, à coup sûr, nonsans dessein, jetait sa pleine lumière sur tout mon corps.

«&|160;Non, me disait-elle, ma chère poulette,il ne faut pas songer à me dérober tous ces trésors. Il faut que jesatisfasse ma vue aussi bien que le toucher… je veux dévorer desyeux cette gorge naissante… Laisse-la-moi baiser… Je ne l’ai pointassez considérée… Que je la baise encore une fois&|160;!…Ciel&|160;! quelle chair douce et ferme&|160;! quelleblancheur&|160;!… Quels contours délicats&|160;!… Oh&|160;! lecharmant duvet&|160;!… De grâce, souffre que je voie tout. C’en esttrop… je n’en puis plus… Il faut, il faut…&|160;»

Ici elle se saisit de ma main et l’a porta àl’endroit que l’on sait. Mais que les mêmes choses sont quelquefoisdifférentes&|160;! Une épaisse et forte toison couvrait une énormesolution de continuité. Je crus que je m’y perdrais tout entière.Cependant, après s’être bien démenée, son ardeur se ralentit&|160;:elle soupira profondément, et, me tenant toujours étroitementserrée entre ses bras, elle semblait, par ses baisers redoublés,attirer nos âmes sur nos lèvres brûlantes et collées ensemble.Ensuite, elle lâcha mollement prise, se remit à mon côté, éteignitla chandelle et retira sur nous la couverture.

J’ignore le plaisir dont elle jouit&|160;;mais je sais bien que je goûtai cette nuit, pour la première fois,les transports de la nature&|160;; que les premières idées de lacorruption s’emparèrent de mon cœur et que j’éprouvai, en outre,que la mauvaise compagnie d’une femme n’est pas moins fatale àl’innocence que la séduction des hommes. Mais, continuons… Lorsquela passion de Phœbe fut assouvie et qu’elle goûtait un calme dontje me trouvais bien éloignée, elle me sonda artificieusement surtous les points qu’elle crut de l’intérêt de sa vertueuse maîtresseet conçut, par mes réponses, par mon ignorance et par la chaleur demon tempérament, les espérances les plus flatteuses.

Après un dialogue assez long, ma compagne delit me laissa à moi-même&|160;; si bien que, fatiguée par lesviolentes émotions que j’avais souffertes, je m’endormissur-le-champ, et, dans un de ces songes lubriques que les feux duplaisir font naître, je réalisai mes transports à peine inférieurspour la jouissance à ceux de l’acte réel dans l’état de veille. Jem’éveillai le matin à dix heures, très gaie et parfaitementreposée. Phœbe, debout avant moi, eut soin de ne faire aucuneallusion aux scènes de la nuit. À ce moment, la servante apporta lethé et je m’empressai de m’habiller. Quand Mistress Brown entra ense dandinant, je tremblais qu’elle ne me grondât de m’être levée sitard&|160;; mais tout au contraire, elle me mangea de caresses etme dit les choses du monde les plus flatteuses. Nous déjeunâmes, etle thé à peine desservi, on se mit à m’équiper promptement pour mefaire paraître avec décence devant un des chalands de la maison,qui attendait déjà que je fusse visible. Imaginez combien mon cœurdut s’enfler de joie à la vue d’un taffetas blanc broché d’argent,qui avait, à la vérité, subi un nettoyage, d’un chapeau en dentellede Bruxelles, de bottines brodées, et le reste à l’avenant. Je puisdire sans vanité que, malgré tous les soins que l’on prit à meparer, la nature faisait mon plus grand ornement. J’étais d’unetaille, avantageuse et faite au tour&|160;; j’avais les cheveuxblonds cendrés luisants, qui flottaient sur mon cou en bouclesnaturelles&|160;; la peau était d’un blanc à éblouir, les traits duvisage un peu trop coloré avaient de la délicatesse et de larégularité&|160;; j’avais de grands yeux noirs pleins de langueurplutôt que de feu, si ce n’est en de certaines occasions où,disait-on, ils lançaient des éclairs. J’avais au menton unefossette qui était loin de produire un effet désagréable&|160;; mesdents, desquelles j’avais toujours eu grand soin, étaient petites,égales et blanches&|160;; ma poitrine était haute et. bienattachée, on pouvait y voir la promesse plutôt que la réalité deces seins ronds et fermes qui, avant peu, devaient justifier cettepromesse. En un mot, toutes les conditions le plus généralementrequises pour la beauté, je les possédais, ou, du moins, ma vanitém’empêchait de contredire la décision de nos souverains juges, leshommes qui tous, à ma connaissance, se prononçaient hautement en mafaveur. Dans mon sexe même, je rencontrai des femmes d’un caractèretrop élevé pour me refuser cette justice, tandis que d’autres melouaient encore bien plus sûrement en essayant de m’enlever ce quej’avais de mieux dans ma personne et sur mon visage… En voilà trop,je l’avoue, beaucoup trop, en fait d’éloge de moi-même&|160;; maisje serais ingrate envers la nature, envers une beauté à laquelle jedois de si extraordinaires avantages, en tant que plaisirs etfortune, si j’omettais, par fausse modestie, de mentionner desbiens si précieux.

Aussitôt ma toilette achevée, nous descendîmeset Mistress Brown me présenta à un vieux cousin de sa proprecréation, un gentleman, qui, après m’avoir saluée, m’appuya sur labouche un baiser dont je l’aurais volontiers dispensé. En effet, onne pouvait guère voir une plus désagréable figure. Que l’on sereprésente un homme de soixante ans passés, petit et contrefait, decouleur de cadavre, avec de gros yeux de bœuf, une bouche fenduejusqu’aux oreilles, garnie de deux ou trois défenses au lieu dedents, une haleine pestilentielle, enfin un monstre dont le seulaspect faisait horreur.

C’était là le gentleman à qui ma bienfaitrice,son ancienne pourvoyeuse, me destinait. Suivant ce beau projet,elle me fit tenir droite devant lui, me tourna tantôt d’une façon,tantôt de l’autre, et, détachant mon mouchoir, lui fit remarquerles mouvements, la forme et la blancheur de ma gorge.

Quand on crut le bouc suffisamment prévenu parcet échantillon de mes charmes, Phœbe me reconduisit à ma chambre,et, ayant fermé la porte, elle me demanda mystérieusement si je neserais pas bien aise d’avoir un aussi beau gentleman pour mari. (Jesuppose qu’on lui donnait le titre de beau parce qu’il étaitchamarré de dentelles.) Je répondis naïvement que je ne songeaispoint au mariage, mais que si jamais j’avais un choix à faire ceserait parmi les gens de ma sorte, me figurant que tous lesbeaux gentlemen étaient faits sur le modèle de ce hideuxanimal.

Tandis que Phœbe employait sa rhétorique à mepersuader en sa faveur, Mistress Brown, ainsi que j’ai ouï diredepuis, l’avait taxé à cinquante guinées pour la seule permissiond’avoir un entretien préliminaire avec moi, et à cent de plus aucas qu’il obtînt l’accomplissement de ses désirs, le laissantmaître de me récompenser comme il le jugerait à propos. Le marchéfut à peine conclu qu’il prétendit qu’on lui livrât la marchandisesur-le-champ. On eut beau lui représenter que je n’étais pas encorepréparée à une pareille attaque, qu’il, fallait tâcher dem’apprivoiser avant de brusquer les choses&|160;; que, timide etjeune comme je l’étais, on risquerait de m’effaroucher et de merebuter par trop de précipitation. Discours inutiles&|160;; tout cequ’on put obtenir de lui fut qu’il patienterait jusqu’au soir.

Pendant le dîner, mes deux embaucheuses necessèrent d’exalter le merveilleux cousin&|160;: «&|160;J’avais eule bonheur de le rendre sensible dès la première vue… il me feraitma fortune si je voulais être bonne fille et ne point écouter mescaprices, … que je pouvais compter sur son honneur… que je seraisau niveau des plus grandes dames… j’aurais un carrosse pour mepromener…&|160;»

Elles ajoutèrent à ces fastidieux proposmaintes autres bêtises capables de tourner la tête d’une pauvreinnocente telle que moi, si l’aversion insurmontable que j’avaispour lui n’eût rendu leur babil sans effet. La bouteille aussiallait grand train, afin, je suppose, de trouver un auxiliaire dansla chaleur de mon tempérament pour l’assaut qui se préparait.

La séance fut si longue qu’il était environsept heures quand nous sortîmes de table. Je montai à machambre&|160;; le thé fut bientôt servi&|160;; notre vénérablemaîtresse entra, escortée de mon effroyable satyre. L’introductionfaite, on prit le thé, puis lorsqu’il fut desservi elle me ditqu’une affaire de la dernière importance la forçait de nousquitter, que je l’obligerais sensiblement de vouloir bien tenircompagnie à son cher cousin jusqu’à son retour.

«&|160;Pour vous, monsieur, ajouta-t-elle,songez, par vos attentions et vos bonnes manières, à vous rendredigne de l’affection de cette aimable enfant. Adieu, ne vousennuyez point.&|160;»

En proférant ces derniers mots, la perfideétait déjà presque au bas de l’escalier. Je m’attendais si peu à cedépart précipité, que je tombai sur le canapé comme pétrifiée. Lemonstre se mit aussitôt près de moi et voulut m’embrasser&|160;;son haleine infecte me fit évanouir. Alors, profitant de l’état oùj’étais, il me découvrit brusquement la gorge, qu’il profana de sesregards et de ses attouchements impurs. Encouragé par cet heureuxdébut, l’infâme m’étendit de mon long et eut l’audace de glisserune de ses mains sous mes jupes&|160;;. cette outrageante tentativeme rappela à la vie. Je me relevai avec promptitude et le suppliai,fondant en larmes, de ne me faire aucune insulte. «&|160;— Qui,moi, ma chère&|160;? dit-il, vous faire insulte&|160;! Ce n’est pasmon intention&|160;; est-ce que la vieille madame ne vous a pasappris que je vous aime&|160;? que je suis dans le desseinde…&|160;»

«&|160;— Je sais cela, monsieur,interrompis-je&|160;; mais je ne saurais vous aimer, sincèrement jene le puis… De grâce, laissez-moi… Oui, je vous aimerai de tout moncœur si vous voulez me laisser et vous en aller.&|160;»

C’était parler en l’air. Mes pleurs neservirent qu’à l’enflammer davantage&|160;; il m’étendit de nouveausur le canapé et après avoir jeté mes jupes par-dessus la tête, levilain fit, en soufflant et mugissant comme un taureau, des effortsqui se terminèrent par une libation involontaire. Ce bel exploitachevé, il me vomit, dans sa rage, toutes les horreurs imaginables,disant «&|160;qu’il ne me ferait pas l’honneur de s’occuperdavantage de moi&|160;; que la vieille maquerelle pouvait chercherun autre pigeon…, qu’il ne serait plus ainsi dupé par une bégueulede campagnarde…&|160;; qu’il pensait bien que j’avais donné monpucelage à quelque manant de mon pays et que je venais vendre monpetit lait à la ville&|160;». J’écoutai toutes ces insultes avecd’autant plus d’indifférence que je me flattais de n’avoir rien àredouter de ses brutales entreprises.

Cependant, les pleurs qui coulaient de mesyeux, mes cheveux épais (mon bonnet était tombé dans la lutte), magorge nue, en un mot, le désordre attendrissant où j’étais,ranimèrent sa luxure. Il radoucit le ton et me dit que si jevoulais me prêter de bonne grâce avant que la vieille revînt, il merendrait son affection&|160;; en même temps il se mit en devoir dem’embrasser et de porter la main à mon sein&|160;; mais, la crainteet la haine me tenant lieu de force, je le repoussai avec uneviolence extrême, et m’étant saisie de la sonnette, je la secouaitant que la servante monta voir ce qu’il y avait, si le gentlemandemandait quelque chose.

Quoique Martha fût accoutumée dès longtempsaux scènes de cette espèce, elle ne put me voir ensanglantée etchiffonnée comme je l’étais sans émotion. De sorte qu’elle le priaimmédiatement de descendre et de me laisser reprendre mes sens, luipromettant que Mistress Brown et Phœbe rajusteraient les choses àleur retour… qu’il n’y aurait rien de perdu pour laisser respirerun peu la pauvre petite… qu’en son particulier elle ne savait quepenser de tout ceci, mais qu’elle ne me quitterait pas que samaîtresse ne fût rentrée. Le vieux singe, voyant qu’il seraitinutile de persister, sortit de la chambre, plein de rage, et medélivra de son abominable figure.

Après son départ, Martha jugea, au pitoyableétat où j’étais, que j’avais besoin de repos et m’offrit enconséquence quelques gouttes d’ammoniaque et de me mettre aulit&|160;; ce que je refusai par la crainte que me donnait leretour du monstre qui venait de me quitter. Cependant, Martha mepersuada si bien que je me couchai, en proie au plus vif chagrin etagitée par la cruelle inquiétude d’avoir déplu à Mistress Brown,dont je redoutais la vue, tant était grande ma simplicité, car nila vertu ni la modestie n’avaient eu aucune part dans la défenseque j’avais faite&|160;: elle provenait uniquement de l’aversionque m’avait inspirée la brutalité de l’horrible séducteur de moninnocence.

Les deux appareilleuses rentrèrent à onzeheures du soir, et sur le récit que ma libératrice leur fît desprocédés brutaux du faux cousin à mon égard, les perfidesemployèrent tous les soins imaginables pour me rassurer et metranquilliser l’esprit. Cependant elles se flattaient que cen’était que partie remise, et que je leur ferais gagner tôt ou tardle restant du marché&|160;; mais heureusement je n’eus que la peur.Le lendemain au soir j’appris, avec une joie extrême, que l’hommeen question, nommé Mr Crofts, et qui était un&|160;marchand desplus considérables, venait d’être arrêté par ordre du roi, sousl’inculpation de s’être indûment approprié près de quarante millelivres par des opérations de contrebande. Ses affaires étaient,disait-on, si désespérées que, en eût-il encore le goût, il n’avaitplus le moyen. de poursuivre ses vues sur moi, car on venait de lejeter en prison et il n’était pas probable qu’il en sortirait desitôt. Mistress Brown, persuadée par le mauvais succès de cettepremière épreuve qu’il fallait, avant de faire de nouvellestentatives, essayer d’adoucir mon humeur sauvage, crut que le plussûr moyen était de me livrer aux instructions d’une troupe defilles qu’elle entretenait à la maison. Conformément à ce beauprojet, elles eurent toute liberté de me voir.

En effet, l’air délibéré de ces follescréatures, leur gaieté, leur étourderie, me gagnèrent tellement lecœur, qu’il me tardait d’être agrégée parmi elles. La timideretenue, la modestie, la pureté de mœurs que j’avais apportées demon village se dissipèrent en leur compagnie comme la rosée dumatin disparaît aux rayons du soleil.

Mistress Brown me gardait pourtant toujourssous ses yeux jusqu’à l’arrivée de lord B… de Bath, avec qui elledevait trafiquer de ce joyau frivole qu’on prise tant et quej’aurais donné pour rien au premier crocheteur qui aurait voulum’en débarrasser&|160;; car dans le court espace que j’avais étélivrée à mes compagnes, j’étais devenue si bonne théoricienne qu’ilne me manquait plus que l’occasion pour mettre leurs leçons enpratique. Jusque-là je n’avais encore entendu que desdiscours&|160;; je brûlais, de voir des choses&|160;; le hasard mesatisfit sur cet article lorsque je m’y attendais le moins.

Un jour, vers midi, que j’étais dans unepetite garde-robe obscure, séparée de la chambre de Mistress Brownpar une porte vitrée, j’entendis je ne sais quel bruit qui excitama curiosité. Je, me glissai doucement et je me postai de tellefaçon que je pouvais tout voir sans être vue. C’était notreRévérende Mère Prieure elle-même, suivie d’un jeune grenadier àcheval, grand, bien découplé, et, selon les apparences, un hérosdans les joyeux ébats.

Je n’osais faire le moindre mouvement, nirespirer, de peur de manquer, par mon imprudence, l’occasion d’unspectacle fort intéressant&|160;; mais la paillarde avaitl’imagination trop pleine de son objet présent pour que toute autrechose fût capable de la distraire. Elle s’était assise sur le pieddu lit, vis-à-vis delà garde-robe, d’où je ne perdis pas un coupd’œil de ses monstrueux et flasques appas. Son champion avait l’aird’un vivant de bon appétit&|160;; et expéditif. En effet, il posasans cérémonie ses larges mains, sur les effroyables mamelles, ouplutôt sur les longues et pesantes calebasses de la mère Brown.Après les avoir patinées quelques instants avec autant d’ardeur quesi elles en avaient valu la peine, il la jeta brusquement à larenverse et couvrit de ses cotillons sa face bourgeonnée par lebrandy. Tandis que le drôle se débraillait, mes yeux eurent leloisir de faire la revue des plus énormes choses qu’il soitpossible de voir et qu’il n’est pas aisé de définir. Qu’on sereprésente une paire de cuisses courtes et grosses, d’un volumeinconcevable, terminée en haut par une horrible échancrure,hérissée d’un buisson épais de crin noir et blanc, on n’en auraencore qu’une idée imparfaite,

Mais voici ce qui occupa toute mon attention.Le héros produisit au grand jour cette merveilleuse et superbepièce qui m’avait été inconnue jusqu’alors et dont le coup d’œilsympathique me fit sentir des chatouillements presque aussidélectables que si j’eusse dû réellement en jouir. Puis le drillese laissa tomber sur la dame. Aussitôt les secousses du lit, lebruit des rideaux, leurs soupirs mutuels m’annoncèrent qu’il avaitdonné dans le but.

La vue d’une scène si touchante porta le coupde mort à mon innocence.

Pendant la chaleur de l’action, glissant mamain sous ma chemise, j’enflammai le point central de masensibilité et je tombai tout à coup dans cette délicieuse extaseoù la nature, accablée de plaisir, semble se confondre ets’anéantir.

Quand j’eus assez repris mes sens pour êtreattentive au reste de la fête, j’aperçus la vieille dame embrassantcomme une forcenée son grenadier qui paraissait en cet instant plusrebuté que touché de ses caresses. Mais une rasade d’un cordialqu’elle lui fit avaler et certain mouvement officieux lui rendirentbientôt son premier état. Alors j’eus tout le loisir de remarquerle mécanisme admirable de cette partie essentielle de l’homme. Lesommet écarlate de l’instrument, ses dimensions, un buisson qui enombrageait la racine, joint au vaste gousset qui l’accompagnait,tout fixa mon attention et augmenta mes transports, qui ne firentque s’accroître par l’aspect des plaisirs d’un second combat, quema position me fit voir distinctement.

Avant de congédier son gars, Mistress Brownlui mit trois ou quatre pièces de monnaie dans la main.

Le drôle était non seulement son favori, maiscelui de toute la maison.

Elle avait eu grand soin de me tenir cachée,de crainte qu’il n’eût pas la patience d’attendre l’arrivée du lordà qui mes prémices étaient destinées, car on ne se serait pointavisé de lui disputer son droit d’aubaine.

Aussitôt qu’ils furent descendus, je volai àma chambre, où, m’étant enfermée, je me livrai intérieurement auxdouces émotions qu’avait fait naître en mon cœur le spectacle dontje venais d’être témoin. Je me jetai sur mon lit dans une agitationinsupportable, et ne pouvant résister au feu qui me dévorait, j’eusrecours à la triste ressource du manuel des solitaires&|160;; maismalgré mon impatience, la douleur causée par l’attouchementintérieur m’empêcha de poursuivre jusqu’à ce que Phœbe m’eût donnélà-dessus de plus amples instructions.

Quand nous fûmes ensemble, je la mis sur cettevoie en faisant un récit fidèle de ce que j’avais vu.

Elle me demanda quel effet cela avait produitsur moi. Je lui avouai naïvement que j’avais ressenti les désirsles plus violents, mais qu’une chose m’embarrassait beaucoup.

«&|160;Et qu’est-ce que c’est, dit-elle, quecette chose&|160;?

«&|160;Eh&|160;! mais, répondis-je, cetteterrible machine. Comment est-il possible qu’elle puisse entrersans me faire mourir de douleur, puisque vous savez bien que je nesaurais y souffrir que le petit doigt&|160;?… À l’égard du bijou dema maîtresse et du vôtre, je conçois aisément, par leursdimensions, que vous ne risquez rien. Enfin, quelque délectablequ’en soit le plaisir, je crains d’en faire l’essai.&|160;»

Phœbe me dit en riant qu’elle n’avait pasencore ouï personne se plaindre qu’un semblable instrument eûtjamais fait de blessures mortelles en ces endroits-là et qu’elle enconnaissait d’aussi jeunes et d’aussi délicates que moi qui n’enétaient pas mortes… qu’à la vérité nos bijoux n’étaient pas tous dela même mesure&|160;; mais qu’à un certain âge, après un certaintemps d’exercice, cela prêtait comme un gant&|160;; qu’au reste, sicelui-là me faisait peur, elle m’en procurerait un d’une taillemoins monstrueuse.

«&|160;Vous connaissez, poursuivit-elle, PollyPhilips&|160;; un jeune marchand génois l’entretient ici.L’oncle&|160;du jeune homme est immensément riche et très bon pourlui. Il l’a envoyé ici en compagnie d’un marchand anglais, son ami,sous le prétexte de régler des comptes, mais en réalité pourcomplaire au désir qu’il avait de voyager et de voir le monde. Il arencontré Polly par hasard dans une société, en est devenuamoureux, et il la traite assez bien pour mériter qu’elle s’attacheà lui. Il vient la voir deux ou trois fois par semaine. Elle lereçoit dans le cabinet clair du premier étage&|160;; on l’attenddemain. Je veux vous faire voir ce qui se passe entre eux, d’uneplace qui n’est connue que de Mistress Brown et de moi.&|160;».

Le jour suivant, Phœbe, ponctuelle à remplirsa promesse, me conduisit par l’escalier dérobé dans un réduitobscur où l’on mettait en réserve de vieux meubles et quelquescaisses de liqueurs et d’où nous pouvions voir sans être vues. Lesacteurs parurent bientôt, et après de mutuelles embrassades de partet d’autre, il la conduisit jusqu’au lit de repos, en face denous&|160;; tous deux s’y assirent, et le jeune Génois servit duvin avec des biscuits de Naples sur un plateau&|160;; puis, aprèsquelques questions qu’il fit en mauvais anglais, il la déshabillajusqu’à la chemise&|160;; Polly, à son exemple, en fit autant avectoute la diligence possible. Alors, comme s’il eût été jaloux dulinge qui la couvrait encore, il la mit en un clin d’œil toute nueet exposa à nos regards les membres les mieux proportionnés et lesplus beaux qu’il fût possible de voir. La jeune fille, qui était,je le suppose, très habituée à ce procédé, rougit, il est vrai,mais pas autant que moi-même lorsque je pus la contempler debout ettoute nue, avec sa chevelure noire dénouée et flottante sur un couet des épaules d’une blancheur éblouissante, tandis que lacarnation plus foncée de ses joues prenait graduellement un ton deneige glacée&|160;; car telles étaient les teintes variées et lepoli de sa peau.

Polly n’avait pas plus de dix-huit ans. Lestraits de son visage étaient réguliers, délicats et doux, sa gorgeétait blanche comme la neige, parfaitement ronde et assez fermepour se soutenir d’elle-même sans aucun secours artificiel&|160;;deux charmants boutons de corail, distants l’un de l’autre, pointésen sens divers, en faisaient remarquer la séparation.

Au-dessous se profilait la délicieuse régiondu ventre, terminée par une section à peine perceptible quisemblait fuir par modestie et se cachait entre deux cuissespotelées et charnues&|160;; une riche fourrure de zibeline larecouvrait&|160;; en un mot, Polly était un vrai modèle de peintreet le triomphe des nudités. Le jeune Italien (encore en chemise) nepouvait se lasser de la contempler&|160;; ses mains, aussi avidesque ses yeux, la parcouraient en tous sens. En même temps, legonflement de sa chemise faisait juger de la condition des chosesqu’on ne voyait pas&|160;: mais il les montra bientôt dans toutleur brillant, en se dépouillant à son tour du linge qui lescachait. Ce jeune étranger pouvait avoir alors environ vingt-deuxans&|160;; il était grand, bien fait, taillé en hercule, et, sansêtre beau, d’une figure fort avenante. Son nez inclinait du Romain,ses grands yeux étaient noirs et brillants et sur ses joues unincarnat paraissait qui avait bien sa grâce&|160;; car il était decomplexion très brune, non de cette couleur foncée et sombre quiexclut l’idée de fraîcheur, mais de ce teint clair d’un luisantolivâtre qui dénote la vie dans toute sa puissance et qui, s’iléblouit moins que la blancheur, plaît cependant davantage,lorsqu’il lui arrive de plaire. Ses cheveux, trop courts pour êtrenoués, tombaient sur son cou en boucles petites et légères&|160;;aux environs des seins apparaissaient quelques brindilles d’unevégétation qui ornait sa poitrine, indice de force et de virilité.Son compagnon sortait avec pompe d’un taillis frisé&|160;; sesdimensions me firent frissonner de crainte pour la tendre petitepartie qui allait souffrir ses brusques assauts&|160;; car il avaitdéjà jeté la victime sur le lit et l’avait placée de façon que jevoyais tout à mon aise le centre délectable, dont le pinceau duGuide[12] n’aurait pu imiter le colorisvermeil.

Alors Phœbe me poussa doucement et me demandasi je croyais l’avoir plus petit. Mais j’étais trop attentive à ceque je voyais pour être capable de lui répondre. Le jeunegentleman, en ce moment, s’approchait du but, ne menaçait pas moinsque de fendre la charmante enfant, qui lui souriait et semblaitdéfier sa vigueur. Il se guida lui-même et après quelques saccadesl’aimable Polly laissa échapper un profond soupir, qui n’était rienmoins qu’occasionné par la douleur.

Le héros pousse, elle répond en cadence à sesmouvements&|160;; mais bientôt leurs transports réciproquesaugmentent à un tel degré de violence qu’ils n’observent plusaucune mesure. Leurs secousses étaient trop rapides et trop vives,leurs baisers trop ardents pour que la nature y pût suffire&|160;;ils étaient confondus, anéantis l’un dans l’autre&|160;;

«&|160;Ah&|160;! ah&|160;! je n’y sauraistenir… c’en est trop… je m’évanouis… j’expire… je meurs…&|160;»C’étaient les expressions entrecoupées qu’ils lâchaientmutuellement dans cette agonie de délices. Le champion, en un mot,faisant ses derniers efforts, annonça, par une langueur subiterépandue dans tous ses membres, qu’il touchait au plus délicieuxmoment. La tendre Polly ajouta qu’elle y touchait aussi en jetantses bras avec fureur de côté et d’autre, les yeux fermés avec unesorte de soupir sangloté à faire croire qu’elle expirait.

Quand il se fut retiré, elle resta quelquesinstants encore sans mouvements… Elle sortit à la fin de sonévanouissement et, sautant au cou de son ami, il parut, par lesnouvelles caresses que la friponne lui prodigua, que l’essaiqu’elle venait de faire de sa vigueur ne lui avait point déplu.

Je n’entreprendrai pas de décrire ce que jesentis pendant cette scène, mais de cet instant adieu mes craintes,et j’étais si pressée de mes désirs que j’aurais tiré par la manchele premier homme qui se serait présenté, pour le supplier de medébarrasser d’un brimborion qui m’était désormaisinsupportable.

Phœbe, quoique plus accoutumée que moi à desemblables fêtes, ne put être témoin de celle-ci sans être émue.Elle me tira doucement de ma place d’observation et me conduisit ducôté de la porte. Là, faute de chaise et de lit, elle m’adossacontre le mur et alla reconnaître cette partie où je sentais de sivives irritations. Elle fit un effet aussi prompt que celui, dufeu&|160;; sur la poudre. Alors, nous revînmes à notre poste.

Le jeune étranger était assis sur le lit,vis-à-vis de nous&|160;; Polly, assise sur un de ses genoux, letenait embrassé&|160;; l’extrême blancheur de sa peau, contrastaitdélicieusement avec le brun doux et lustré de son amant, leurslangues enflammées, collées l’une contre l’autre, semblaientvouloir pomper le plaisir dans sa source la plus pure. Pendant cetendre badinage, le champion avait repris une nouvelle vie. Tantôtla folâtre Polly le flattait, tantôt elle le pressait et leserrait.

Le jeune homme, de son côté, après avoirépuisé, en la caressant, toutes les ressources de la luxure, sejeta tout à coup à la renverse et la tira sur lui. Elle demeuraainsi quelques instants, jouissant de son attitude. Mais bientôtl’aiguillon du plaisir les embrasant de nouveau, ce ne fut plusqu’une confusion de soupirs et de mots mal articulés.

Il la serre étroitement dans ses bras, elle lepresse dans les siens, la respiration leur manque et ils restenttous deux sans donner aucun signe de vie, plongés et absorbés dansune extase mutuelle.

J’avoue qu’il ne me fut pas possible d’en voirdavantage&|160;: cette dernière scène m’avait tellement mise horsde moi-même, que&|160;; j’en étais devenue furieuse. Je saisisPhœbe comme si elle avait eu de quoi me satisfaire. Elle eut pitiéde moi et, me faisant signe de la suivre, nous nous retirâmes dansnotre chambre.

La première chose que je fis fut de me jetersur le lit&|160;; ma compagne s’y étant mise aussi me demanda si jeme sentais maintenant l’humeur guerrière, ayant eu le temps dereconnaître l’ennemi. Je ne lui répondis qu’en soupirant. Elle meprit alors la main et la conduisit à l’endroit où j’aurais voulurencontrer le véritable objet de mes désirs&|160;; mais, netrouvant qu’un terrain plat et creux, je me serais retiréebrusquement si je n’avais pas craint de la désobliger. Je me prêtaidonc à son caprice et lui laissai faire de ma main ce qu’il luiplut. Quant à moi je languissais désormais pour quelque chose deplus solide et n’étais pas d’humeur à me contenter de cesamusements insipides, si Mistress Brown n’y pourvoyait bientôt. Jesentais même qu’il me serait difficile de différer jusqu’àl’arrivée de mylord B…, quoiqu’on l’attendît incessamment. Parbonheur, je n’eus pas besoin ni de lui ni de ses dépens&|160;;l’Amour en personne, lorsque je l’espérais le moins, disposa de monsort.

Deux jours après l’aventure du cabinet,m’étant levée, par hasard, plus matin qu’à l’ordinaire et tout lemonde dormant encore, je descendis pour prendre le frais dans unpetit jardin dont l’entrée m’était interdite quand il y avait deschalands au logis. Je fus extrêmement surprise, en voulanttraverser un salon, de voir un jeune gentleman qui dormaitprofondément dans un fauteuil. Ses insouciants compagnons l’avaientlaissé là après l’avoir enivré et s’étaient retirés chacun encompagnie d’une maîtresse. Sur la table restaient encore le bol depunch et les verres, dans tout le désordre imaginable après uneorgie nocturne. Je m’approchai, par un mouvement naturel auxfemmes, pour voir sa physionomie. Mais, ô ciel&|160;! quelspectacle&|160;! il n’est pas possible d’exprimer l’impressionsubite que fit sur moi cette charmante vue. Non, cher et doux objetde mes tendres inclinations, je n’oublierai jamais cet instantfortuné où mes yeux émerveillés t’adorèrent pour la première fois…Il me semble que je te revois encore dans la même attitude.

Figurez-vous, madame, un blond adolescent dedix-huit à dix-neuf ans, la tête inclinée sur un coin du fauteuil,les cheveux épais en boucles légères ombrageant à demi un visage oùla jeunesse dans toute sa fleur et les grâces viriles seréunissaient pour fixer mes yeux et mon cœur&|160;: la langueurmême et la pâleur de ce visage, où, par suite des excès de la nuit,le lys triomphait momentanément sur la rose, imprimaient uneindicible douceur aux plus beaux traits qu’on pût imaginer&|160;;ses yeux clos de sommeil ne laissaient voir que les tranches deleurs paupières réunies, délicieusement bordées de longscils&|160;; au-dessus deux arcs, tels que le crayon n’en sauraitdessiner de plus réguliers, ornaient son front, haut, blanc etlisse&|160;; enfin, une paire de lèvres vermillonnées, saillanteset gonflées comme si une abeille venait de les piquer, semblaientme porter, au nom de ce charmant dormeur, un défi que j’allaisaccepter, si la modestie et le respect inséparables dans les deuxsexes d’une véritable passion n’avaient arrêté ce premiermouvement.

Mais, en voyant son col de chemise déboutonnéet sa poitrine découverte, plus blanche qu’une nappe de neige, leplaisir de la contempler ne fut pas assez puissant pour me le faireprolonger, aux risques d’une santé qui devenait tout d’un coup lesouci de ma vie. L’amour qui me rendait timide me rendit tendreaussi. Je lui pris doucement la main et l’éveillai. Il parutd’abord étonné et tressaillit en me regardant d’un air égaré&|160;;mais, après m’avoir considérée, il me demanda quelle heure ilétait. Je le lui dis et j’ajoutai que je craignais qu’il nes’enrhumât en restant ainsi exposé à l’air. Il me remercia avec unedouceur qui répondait admirablement à celle de ses yeux. Il nedoutait pas que je ne fusse une des pensionnaires du bercail et queje ne vinsse pour lui offrir mes services. Néanmoins, soit qu’ilcraignît de m’offenser, soit que sa politesse naturelle le retîntdans les bornes de l’honnêteté, il me parla le plus civilement dumonde et me donnant un baiser, il me dit que si je voulais passerune heure avec lui je n’aurais pas lieu de m’en repentir. Quoiquemon amour naissant m’y invitât, la crainte d’être surprise par lesgens de la maison me retenait.

Je lui dis que, pour des motifs que je n’avaispas le loisir de lui expliquer, je ne pouvais rester plus longtempsen sa compagnie et que peut-être je ne le reverrais de mesjours&|160;; ce que je ne pus proférer sans laisser échapper unsoupir du fond du cœur. Mon conquérant, qui, à ce qu’il m’a avouédepuis, n’avait pas moins été frappé de ma figure que moi de lasienne, me demanda précipitamment si je voulais qu’il m’entretînt,ajoutant qu’il me mettrait en chambre sur-le-champ et payerait ceque je devais dans la maison. Quelque folie qu’il y eût à accepterune pareille offre de la part d’un inconnu, qui était trop jeunepour qu’on pût avec prudence se lier à ses promesses, le violentamour dont je me sentais éprise pour lui ne me laissa pas le tempsde délibérer. Je lui répondis, toute tremblante, que je me jetaisentre ses bras et m’abandonnais aveuglément à lui, soit qu’il fûtsincère ou non. Il y avait déjà quelque temps que, pour ne pascourir les mauvais hasards de la ville, il cherchait une fille quilui convint&|160;; ma bonne fortune voulut qu’il me trouvât à songré et que nous fissions immédiatement le marché qui fut scellé parun échange de baisers, dont il se contenta dans l’espoir dejouissances plus continues. Jamais, du reste, garçon n’eut plus quelui, dans sa figure, de quoi tourner la tête à une fille et luifaire passer par-dessus toutes les considérations pour le plaisirde suivre un amant.

En effet, à toutes les perfections de beautémasculine qui se trouvaient réunies dans sa personne, il ajoutaitun air de bon ton et de noblesse, une certaine élégance dans lamanière de porter sa tête, qui le distinguait encoredavantage&|160;; ses yeux étaient vifs et pleinsd’intelligence&|160;; ses regards avaient en eux quelque chose dedoux à la fois et d’imposant&|160;; sa complexion brillait desaimables couleurs de la rose, tandis que sur ses joues un rosetendre et vif, indéfinissable, le prémunissait victorieusementcontre le reproche de manquer de vie, d’être lymphatique et mou,qu’on adresse ordinairement aux jeunes gens d’un blond aussiprononcé qu’était le sien.

Notre petit plan fut que je m’échapperais lejour suivant, vers les sept heures du matin (chose que je pouvaispromettre, car je savais où trouver la clef de la porte donnant surla rue), et lui m’attendrait dans un carrosse au bout de la rue. Jelui recommandai ne pas donner à connaître qu’il m’eût vue, pour desraisons que je lui dirais à loisir. Ensuite, de peur de faireéchouer notre projet par indiscrétion, je m’arrachai de sa présenceet remontai sans bruit à ma chambre. Phœbe dormait encore&|160;; jeme déshabillai promptement et me remis au lit, le cœur rempli dejoie et d’inquiétude.

Cependant le seul espoir de satisfaire maflamme dissipa petit à petit toutes mes craintes, Mon âme étaittellement occupée de cet adorable objet que j’aurais versé tout monsang pour le voir et jouir de lui un instant. Il pouvait faire demoi ce qu’il voulait&|160;: ma vie était à lui, je me serais, cruetrop heureuse de mourir d’une main si chère.

Je passai dans de semblables réflexions cejour-là, qui me parut une éternité. Combien de fois ne me prit-ilpas envie d’avancer la pendule, comme si ma main eût pu en hâter letemps&|160;? Je suis surprise que les gens de la maison neremarquèrent pas alors quelque chose d’extraordinaire en moi,surtout lorsqu’à dîner on vint à parler de cet adorable mortel quiavait déjeuné au logis&|160;:

«&|160;Ah&|160;! s’écriaient mes compagnes,qu’il est beau, complaisant, doux et poli&|160;!»

Elles se seraient arrachées le bonnet pourlui. Je laisse à penser si de pareils discours diminuaient le feuqui me consumait. Néanmoins l’agitation où je fus toute la journéeproduisit un bon effet. Je dormis assez bien jusqu’à cinq heures dumatin&|160;; je me glissai incontinent hors du lit, et m’étanthabillée en un clin d’œil, j’attendis avec autant d’impatience quede crainte le moment heureux de ma délivrance. Il arriva enfin, cedélicieux moment. Alors, encouragée par l’amour, je descendis surla pointe des pieds et gagnai la porte, dont j’avais escamoté laclef à Phœbe.

Dès que je fus dans la rue, je découvris monange tutélaire, qui m’attendait. Voler comme un trait à lui, sauterdans le carrosse, me jeter au cou de mon ravisseur, et fouettecocher, tout cela ne fit qu’un.

Un torrent de larmes, les plus douces quej’aie versées de ma vie, coula immédiatement de mes yeux. Mon cœurétait à peine capable de contenir la joie que je ressentais de mevoir entre les bras, d’un si beau jeune homme. Il me jurait, cheminfaisant, dans les termes les plus passionnés, qu’il ne me donneraitjamais sujet de regretter la démarche où il m’avait embarquée.Mais, hélas&|160;! quel mérite y avait-il dans cettedémarche&|160;? N’était-ce pas mon penchant qui me l’avait faitfaire&|160;?

En quelques minutes (car les heures n’étaientplus rien pour moi), nous descendîmes à Chelsea, dans une fameusetaverne réputée pour les parties fines. Nous y déjeunâmes avec lemaître de la maison, qui était un réjoui du vieux temps etparfaitement au fait du négoce. Il nous dit d’un ton gai et en meregardant malicieusement qu’il nous souhaitait une satisfactionentière&|160;; que, sur sa foi, nous étions bien appariés&|160;;que grand nombre de gentlemen et de ladiesfréquentaient sa maison, mais qu’il n’avait jamais vu un plus beaucouple&|160;; qu’il jurerait que j’étais du fruit nouveau&|160;;que je paraissais si fraîche, si innocente, et qu’en un mot moncompagnon était un heureux mortel. Ces éloges, quoique grossiers,me plurent infiniment et contribuèrent à dissiper la crainte quej’avais de me trouver seule à la discrétion de mon nouveausouverain&|160;; crainte où l’amour avait plus de part que lapudeur. Je souhaitais, je brûlais d’impatience de me trouver seuleavec lui, je serais morte pour lui plaire, et pourtant je ne saiscomment ni pourquoi je craignais le point capital de mes plusardents désirs. Ce conflit de passions différentes, ce combat entrel’amour et la modestie me firent pleurer de nouveau. Dieu&|160;!que de pareilles situations sont intéressantes pour de vraisamants&|160;!

Après le déjeuner, Charles (c’était le nom duprécieux objet de mes adorations), avec un sourire mystérieux, meprit par la main et me dit qu’il me voulait montrer une chambred’où l’on découvrait la plus belle vue du monde. Je me laissaiconduire dans un appartement, dont le premier meuble qui me frappafut un lit qui semblait garni pour une reine.

Charles, ayant fermé la porte au verrou, meprit entre ses bras et, la bouche collée sur la mienne, m’étendit,toute tremblante de plaisir et d’effroi, sur cette pompeuse couche.Son ardeur impatiente ne lui permit pas de me déshabiller&|160;! ilse contenta de me délacer et de m’ôter mon mouchoir.

Alors ma gorge nue, qu’une respirationembarrassée et mes soupirs brûlants faisaient lever, offrit à sesyeux deux seins fermes et durs tels qu’on se les peut figurer chezune fille de moins de seize ans, nouvellement arrivée de lacampagne et qui n’avait jamais connu d’hommes. Leur rondeurparfaite, leur blancheur, leur fermeté, n’étant pas capables defixer ses mains, elles eurent bientôt raison de mes jupes, et ildécouvrit le centre d’attraction. Cependant, après une petiterésistance tout instinctive, je le laissai maître du champ debataille.

Comme je n’avais pas fait, en cetteconjoncture, toutes les façons qu’exige la bienséance, il s’imaginaque je n’étais rien moins qu’une novice et que je ne possédais plusce frivole joyau que les hommes ont la folie de rechercher avectant d’ardeur.

Néanmoins cette idée désavantageuse neralentit point son empressement&|160;; il tira l’engin ordinaire deces sortes d’assauts et le poussa de toutes ses forces, croyant lelancer dans une voie déjà frayée. Mais quelle fut sa surprisequand, après maintes vigoureuses attaques, qui me causèrent unedouleur des plus aiguës, il vit qu’il ne faisait pas le moindreprogrès.

«&|160;Ah&|160;! lui disais-je tendrement, jene puis le souffrir… Non, en vérité, je ne le puis… il me blesse…il me tue.&|160;»

Charles ne crut autre chose, sinon que ladifficulté venait de sa dimension (car peu d’hommes auraient pulutter avec lui sous ce rapport) et que peut-être n’avais-je pas euaffaire à personne aussi fortement outillé que lui&|160;: quant àse douter que ma fleur virginale était intacte, c’était chose quine pouvait entrer dans sa tête, et il eût cru perdre son temps etses paroles s’il m’avait questionnée là-dessus&|160;; car il nepouvait pas se persuader que je fusse encore pucelle.

Il fît inutilement une seconde tentative quime causa plus d’angoisses qu’auparavant&|160;; mais, de peur de luidéplaire, j’étouffais mes plaintes de mon mieux. Enfin, ayantessuyé plusieurs semblables assauts sans succès, il s’étendit àcôté de moi hors d’haleine, et séchant mes larmes par mille baisersbrûlants, il me demanda avec tendresse si je ne l’avais pas mieuxsouffert des autres que de lui. Je lui répondis d’un ton desimplicité persuasive qu’il était le premier homme que j’eussejamais connu. Charles, déjà disposé à me croire par ce qu’il venaitd’éprouver, me mangea de caresses, me supplia, au nom de l’amour,d’avoir un peu de patience, et m’assura qu’il ferait tout sonpossible pour ne point me faire de mal.

Hélas&|160;! c’était assez que je susse luifaire plaisir pour consentir atout avec joie, quelque douleur queje prévisse qu’il me fît souffrir.

Il revint donc à la charge&|160;; mais il mitauparavant une couple d’oreillers sous mes reins pour donner plusd’élévation au but où il voulait frapper. Ensuite, il marque dudoigt sa visée, et s’élançant tout à coup avec furie, saprodigieuse raideur brise l’union de cette tendre partie et pénètrejustement à l’entrée. Alors, s’apercevant du petit progrès, ilforce le détroit, ce qui me causa une douleur si cuisante quej’aurais crié au meurtre si je n’avais appréhendé de le fâcher. Jeretins mon haleine, et serrant mes jupes entre mes dents, je lesmordais pour faire diversion au mal que je souffrais. À la fin, lesbarrières délicates ayant cédé à de violents efforts, il pénétraplus avant. Le cruel, en cet instant, ne se possédant plus, seprécipite avec ivresse&|160;; il déchire, il brise tout ce qu’ilrencontre et, couvert et fumant de sang virginal, il parvient aubout de sa carrière… J’avoue qu’alors la force me manqua&|160;: jecriai comme si l’on m’eût égorgée et perdis entièrementconnaissance.

Quelques moments après, quand j’eus repris messens, je me trouvai au lit toute nue entre les bras de mon adorablemeurtrier. Je le regardai languissamment et lui demandai, parmanière de reproche, si c’était là la récompense de mon amour.Charles, à qui j’étais devenue plus chère par le triomphe qu’ilvenait de remporter, me dit des choses si touchantes que le plaisirde voir et de penser que je lui appartenais effaça, dans la minute,jusqu’au moindre souvenir de mes souffrances.

L’accablement où je me trouvais ne mepermettant pas de me lever, nous dînâmes au lit. Néanmoins, uneaile de poulet, que je mangeai d’assez bon appétit, et deux outrois verres de vin me remirent en état de supporter une nouvelleépreuve. Mon ami ne tarda pas à s’en apercevoir, par les transportset la tendre fureur avec lesquels je me livrai à ses embrassements.Mon bel adolescent étant collé à moi dans tous les plis et replisoù nos corps pouvaient s’enlacer, incapable de refréner la fureurde ses nouveaux désirs, lâche la bride de son coursier et couvrantma bouche de baisers humides et brûlants, il me livra un nouvelassaut&|160;; poussant, perçant, déchirant, il se fraye sa route àtravers ces tendres défilés déjà ravagés, non sans me faire encorebeaucoup souffrir&|160;; mais j’étouffai mes cris et supportail’opération en véritable héroïne. Cependant, quelques soupirslanguissants qui lui échappèrent, ses joues d’un rouge plus foncé,ses yeux convulsés comme dans l’ivresse, un doux frisson qui leprit, m’annoncèrent qu’il touchait au souverain plaisir, que ladouleur toujours trop cuisante m’empêchait de partager.

Ce ne fut qu’un peu plus tard que je ressentispleinement le bonheur d’amour qui me fit passer de l’excès desdouleurs au comble de la félicité. Je commençai alors à partagerces plaisirs suprêmes, à goûter ces transports délicieux, cessensations trop vives et trop ardentes pour qu’on puisse y résisterlongtemps. Heureusement la nature a pourvu, par ces dissolutionsmomentanées, à ce délire et à ce tremblement universel quiprécèdent et accompagnent le plaisir et l’épanchement de la liqueurdivine.

C’est dans de pareils passe-temps que nousgagnâmes l’heure du souper. Nous mangeâmes à proportion du fatigantexercice que nous avions fait. Pour moi, j’étais si transportée dejoie, en comparant mon bonheur actuel avec l’insipide genre de vieque j’avais mené ci-devant, que je n’aurais pas cru l’avoir achetétrop cher quand sa durée n’eût été que d’un moment. La jouissanceprésente était tout ce qui remplissait ma petite cervelle. Enfin lanature, qui avait besoin de réparation, nous ayant invités aurepos, nous nous endormîmes. Mon sommeil fut d’autant plusdélectable que je le passai dans les bras de mon amant.

Quoique je ne m’éveillasse le lendemain quefort tard, Charles dormait encore profondément. Je me levai le plusdoucement que je pus et me rajustai de mon mieux. Ma toiletteachevée, je m’assis au bord du lit pour me repaître du plaisir decontempler mon Adonis. Il avait sa chemise roulée jusqu’aucou&|160;; mes deux yeux n’étaient de trop pour jouir pleinementd’une vue si ravissante. Oh&|160;! pourrai-je vous peindre safigure, telle que je la revois en ce moment, présente encore à monimagination enchantée&|160;! Le type parfait de la beauté masculineen pleine évidence&|160;! Imaginez-vous un visage sans défaut,brillant de toute l’efflorescence, de toute la verdoyante fraîcheurd’un âge où la beauté n’a pas de sexe&|160;: à peine le premierduvet sur la lèvre supérieure commençait-il à faire distinguer lesien.

L’interstice de ses lèvres (une double bordurede rubis) semblait exhaler un air plus pur que celui qu’ilrespirait&|160;: ah&|160;! quelle violence ne dus-je pas me fairepour m’abstenir d’un baiser si tentant&|160;!

Son cou exquisement modelé, qu’ornait parderrière et sur les côtés une chevelure flottante en bouclesnaturelles, attachait sa tête à un corps de la forme la plusparfaite et de la plus vigoureuse contexture&|160;; toute la forcede la virilité s’y trouvait cachée, adoucie en apparence par ladélicatesse de sa complexion, le velouté de sa peau et l’embonpointde sa chair.

La plate-forme de sa poitrine blanche comme laneige, déployée dans de viriles proportions, présentait, au sommetvermillonné de chaque mamelon, l’idée d’une rose prête àfleurir.

La chemise ne m’empêchait pas non plusd’observer cette symétrie de ses membres, cette régularité de sataille dans sa chute vers les reins, là où finit la ceinture et oùcommence le renflement arrondi des hanches&|160;; où sa peauluisante, soyeuse et d’une éblouissante blancheur s’étendait sur lachair abondante, ferme, dodue et mûre, qui frissonnait et seplissait à la moindre pression et sur laquelle le doigt, incapablede se poser, glissait sur la surface de l’ivoire le plus poli.

Ses jambes, finement dessinées, d’une rondeurflorissante et lustrée, s’amoindrissaient par degrés vers lesgenoux et semblaient deux piliers dignes de supporter un si belédifice. Ce ne fut pas sans émotion, sans quelque reste de terreurqu’à leur sommet je fixai mes yeux sur l’effrayant engin qui, peude temps auparavant, m’avait causé tant de douleur. Mai qu’il étaitméconnaissable alors&|160;! il reposait languissamment retiré dansson béguin et paraissant incapable des cruautés qu’il avaitcommises. Cela complétait la perspective et formait sans contestele plus intéressant tableau qui fût au monde, infiniment supérieur,à coup sûr, à ces nudités que la peinture, la sculpture ou d’autresarts nous font payer des prix fabuleux. Mais la vue de ces objets,dans la vie réelle, n’est guère bien goûtée que par les raresconnaisseurs doués d’une imagination de feu, qu’un jugement sainporte à l’admiration des sources, des originaux de beauté,incomparables créations de la nature que nul art ne saurait imiter,que nulle richesse ne saurait payer à leur prix.

Je ne pus m’abstenir de considérer surmoi-même la différence qu’il y a entre une vierge et une femme.

Tandis que j’étais occupée à cet intéressantexamen, Charles s’éveilla et, se tournant vers moi, me demanda avecdouceur comment je m’étais reposée&|160;; et, sans attendre laréponse, il m’imprima sur la bouche un baiser tout de feu.Incontinent après, il me troussa jusqu’à la ceinture, pour serécréer à son tour du spectacle de mes charmes et se donner lasatisfaction d’examiner les dégâts qu’il avait faits. Ses yeux etses mains se délectaient à l’envi. La délicieuse crudité et ladureté de mes seins naissants et non encore mûrs, la blancheur etla fermeté de ma chair, la fraîcheur et la régularité de mestraits, l’harmonie de mes membres, tout paraissait le confirmerdans la bonne idée qu’il avait de son acquisition. Mais, bientôt,curieux de connaître le ravage qu’il avait fait la veille, il ne secontente pas d’explorer de ses mains le centre de sonattaque&|160;: il glisse sous moi un oreiller et me place dans uneposition favorable à ce singulier examen. Oh&|160;! alors, quipourrait exprimer le feu dont brillaient ses yeux et dont brûlaientses mains&|160;! Des soupirs de volupté, de tendres exclamations,c’était en fait de compliments tout ce qu’il pouvait proférer.Cependant son athlète, levant fièrement la tête, reparut dans toutson éclat.

Il le considère un instant avec complaisance,ensuite il veut me le mettre en main&|160;; d’abord un reste dehonte me fit faire quelque difficulté de le prendre&|160;; niaismon inclination était plus forte… Je rougissais et ma hardiesseaugmentait à proportion du plaisir que je ressentais à ce contact.La corne ne pouvait être plus dure ni plus raide et le velourscependant plus doux ni plus moelleux au toucher. Il me guidaensuite à cet endroit où la nature et le plaisir prennent deconcert leurs magasins, si convenablement attachés à la fortune deleur premier ministre.

La douce chaleur de ma main rendit bientôt monamant intraitable&|160;; et prenant avantage de ma commodeposition, il fit tomber l’orage à l’endroit où je l’attendaispresque impatiemment et où il était sûr de toucher le but. Je nesentis presque plus de douleur. Bien chez lui désormais, il merassasia d’un plaisir tel, que j’en étais réellement suffoquée,presque à bout d’haleine. Oh&|160;! les énervantes saccades&|160;!Oh&|160;! les innombrables baisers. Chacun d’eux était une joieinexprimable et cette joie se perdait dans une mer de délices plusenivrantes encore. Ces folâtreries, cependant, ces joyeux ébatsavaient si bien pris la matinée, que force nous fut de ne fairequ’un du déjeuner et du dîner.

L’excès de la jouissance ayant à la fin calménos transports, nous nous mîmes à parler d’affaires. Charlesm’avoua naïvement qu’il était né d’un père qui, occupant un modesteemploi dans l’administration, dépensait quelque peu au delà de sonrevenu. Le jeune homme n’avait eu qu’une bien médiocre éducation,il n’avait été préparé à aucune profession et son père se proposaitseulement de lui acheter une commission d’enseigne dans l’armée, àcette condition toutefois qu’il pût en réaliser l’argent ou trouverà l’emprunter&|160;; ce qui, d’une façon ou de l’autre, était plusà souhaiter qu’à espérer pour lui. Voilà, néanmoins, le beau plansur lequel comptait ce jeune homme de haute promesse parvenujusqu’à l’âge d’homme dans une si parfaite oisiveté qu’il n’avaitjamais eu la pensée de prendre aucun parti. De plus, il n’avaitjamais eu la pensée de le prémunir par les plus simples avis contreles vices de la ville et les dangers qui y attendent les jeunesétourdis sans expérience. Il vivait à la maison et à discrétionavec son père, qui lui-même entretenait une maîtresse&|160;; quantau surplus, pourvu que Charles ne lui demandât pas d’argent, ilavait pour lui une grande indulgence. Il pouvait découcher quand illui plaisait&|160;; la moindre excuse était suffisante et sesréprimandes même étaient si légères qu’elles faisaient supposer unesorte de connivence dans la faute, plutôt qu’une volonté sérieusede contrôle ou de répression.

Mais Charles, dont la mère était morte, avaitsa grand-mère du côté maternel qui l’entretenait dans cette vieoisive, par une complaisance aveugle pour ses fantaisies. La bonnefemme jouissait d’un revenu considérable et économisait schelling àschelling pour ce cher enfant, fournissait amplement à sesbesoins&|160;; moyennant quoi il se trouvait en état de supporterles dépenses d’une maîtresse. Le père, qui avait des passions quela médiocrité de sa fortune l’empêchait de satisfaire, était sijaloux du bien que cette tendre parente faisait à son fils, qu’ilrésolut de s’en venger et n’y réussit que trop, comme vous leverrez bientôt.

Cependant Charles, qui voulait sérieusementvivre avec moi sans trouble, me quitta l’après-dîner pour allerconcerter, avec un avocat de sa connaissance, des moyens d’empêcherMistress Brown de nous inquiéter. Sur le récit qu’il lui fit de lamanière dont elle m’avait séduite, le jurisconsulte trouva que loinde chercher à s’accommoder, il fallait en exiger satisfaction. Lachose arrêtée, ils se transportèrent chez cette mère Abbesse. Lesfilles de la maison, qui connaissaient Charles et croyaient qu’illeur amenait quelqu’un à plumer, le reçurent avec toutes lesdémonstrations de civilité requises en pareil cas&|160;; mais elleschangèrent bientôt de ton lorsque l’avocat, d’un air austère,déclara qu’il voulait parler à la vieille, avec laquelle il disaitavoir une affaire à régler.

Suivant sa requête, Madame parut et lesdemoiselles se retirèrent. Aussitôt l’homme de loi lui demanda sielle n’avait pas connu, ou, pour mieux dire, trompé une jeunefille, nommé Fanny Hill, sous prétexte de la louer en qualité deservante. La Brown, dont la conscience n’était pas des plus nettes,fut effrayée à cette question inattendue et surtout quand lestermes de justice de paix newgate, de old Bayley[13] de pilori, de fouet, de poursuite pourtenue d’une maison mal famée, de promenade en tombereau, etc.,frappèrent son oreille. Enfin, pour abréger l’histoire, elle cruten être quitte à bon marché en leur remettant en main ma boîte etmes petits effets, non sans leur offrir gratuitement un bol depunch avec le choix de ce qu’il y avait de plus attrayant dans lelogis. Mais ils refusèrent ces gracieusetés.

Charles, enchanté d’avoir terminé siheureusement ce procès, revint entre mes bras recevoir larécompense des peines qu’il s’était données.

Nous passâmes encore une dizaine de jours àChelsea et ensuite il me loua un appartement garni, composé de deuxchambres et d’un cabinet moyennant une demi-guinée par semaine etsitué dans D…-Street, quartier de Saint-James[14]. Lamaîtresse du logis, Mistress Jones, nous y reçut, et, avec unegrande volubilité de langue étonnante, nous en expliqua toutes lescommodités. Elle nous dit «&|160;que la servante nous serviraitavec zèle…, que des gens de la première qualité avaient logé chezelle…, qu’un secrétaire d’ambassade et sa femme occupaient lepremier…, que je paraissais une lady bien aimable…&|160;»

Charles avait eu la précaution de dire à cettebabillarde que nous étions mariés secrètement&|160;; ce qui, jecrois, ne l’inquiétait guère, pourvu qu’elle louât ses chambres,mais ce mot de lady me fit rougir de vanité.

Pour vous donner une légère esquisse de sonportrait, c’était une femme d’environ quarante-six ans, grande,maigre, rousse, de ces figures triviales que l’on rencontrepartout. Elle avait été entretenue dans sa jeunesse par ungentleman qui, à sa mort, lui avait laissé quarante livres sterlingde rente en faveur d’une fille qu’il en avait eue et qu’elle avaitvendue à l’âge de dix-sept ans. Indifférente naturellement à touteautre plaisir qu’à celui de grossir son fonds à quelque prix que cefût, elle s’était jetée dans les affaires privées&|160;; en quoi, ,grâce à son extérieur modeste et décent, elle avait fait souventd’excellents hasards&|160;; il lui était même arrivé de faire desmariages. En un mot, pour de l’argent, elle était ce qu’on voulait,prêteuse sur ses gages, receleuse, entremetteuse. Quoiqu’elle eûtdans les fonds une grosse somme, elle se refusait le nécessaire etne subsistait que de ce qu’elle écorniflait à ses logeurs.

Pendant que nous fûmes sous les griffes decette harpie, elle ne laissa pas échapper une seule petite occasionde nous tondre&|160;; ce que Charles, par son indolence naturelle,aima mieux souffrir que de prendre la peine de déloger.

Quoi qu’il en soit, je passai dans cettemaison les plus délicieux moments de ma vie&|160;; j’étais avec monbien-aimé&|160;; je trouvais en sa compagnie tout ce que mon cœurpouvait souhaiter. Il me menait à la comédie, au bal, à l’opéra,aux mascarades&|160;; mais dans ces brillantes et tumultueusesassemblées, je ne voyais que lui. Il était mon univers et tout cequi n’était pas lui n’était rien pour moi.

Mon amour enfin était si excessif qu’il envenait à annihiler tout sentiment, toute étincelle de jalousie. Unepremière idée de ce genre me fit, en effet, si cruellement souffrirque, par amour-propre et de peur d’un accident pire que la mort, jerenonçai pour toujours à m’en préoccuper. L’occasion, du reste, nes’en présenta pas&|160;; car si je vous racontais plusieurscirconstances dans lesquelles Charles me sacrifia des femmesbeaucoup trop haut placées pour que j’ose faire la moindre allusion(ce qui, vu sa beauté, n’était pas si surprenant), je pourrais, envérité, vous donner une preuve convaincante de sa constance&|160;;mais, alors, ne m’accuseriez-vous pas de caresser de nouveau unevanité qui devrait être depuis longtemps satisfaite&|160;?

Lorsque nous donnions quelque relâche à lavivacité de nos plaisirs, Charles s’en faisait un de m’instruireselon l’étendue de ses connaissances. Je recevais comme des oraclestoutes les paroles qui sortaient de son adorable bouche et j’engravais dans mon cœur jusqu’aux moindres syllabes&|160;; la seuleinterruption que je ne pouvais pas me refuser, c’étaient sesbaisers de ses lèvres, d’où s’exhalait un souffle plus agréable queles parfums de l’Arabie.

Je peux dire sans vanité que ses soins nefurent pas infructueux. Je perdis en moins de rien mon aircampagnard et mon mauvais accent, tant il est vrai qu’il n’est pasde meilleur maître que l’amour et le désir de plaire.

Quant à l’argent, quoiqu’il m’apportâtrégulièrement tout ce qu’il recevait, ce n’était pas sans peinequ’il me le faisait mettre dans mon bureau&|160;; s’il me donnaitde la toilette, je l’acceptais uniquement pour lui plaire, pourêtre plus à son goût, et telle était ma seule ambition. Je meserais fait un plaisir du plus rude travail&|160;; j’aurais usé mesdoigts jusqu’aux os, avec joie, pour le faire vivre. Jugez alors sije pouvais admettre l’idée de lui être à charge. Et cedésintéressement de ma part était si peu affecté, il partait sidirectement de mon cœur, que Charles ne pouvait manquer de s’enapercevoir&|160;; s’il ne m’aimait pas autant que je l’aimais (cequi était le constant et unique sujet de nos tendres discussions),il s’arrangeait, tout au moins, pour me donner la satisfaction decroire que nul homme au monde ne pouvait être plus aimant, plussincère, plus fidèle qu’il ne l’était.

Comme je ne sortais jamais sans mon amant etque je restais le plus souvent au logis, la Jones me faisait defréquentes visites. La pénétrante commère ne fut pas longtemps àdécouvrir que nous avions frustré l’Église de ses droits, ce qui nelui déplut pas, eu égard aux desseins qu’elle ne trouva que tropl’occasion d’exécuter, car elle avait une commission de l’un de sesclients et qui était, soit de me débaucher, soit de me séparer demon amant à tout prix.

Je vivais depuis huit mois avec cette chèreidole de mon âme et j’étais grosse de trois, lorsque le coupfuneste et inattendu de notre séparation arriva. Je passerairapidement sur ces particularités, dont le seul souvenir me faitfrissonner et me glace le sang.

J’avais déjà langui deux jours, ou plutôt uneéternité, sans entendre de ses nouvelles, moi, qui ne respirais,qui n’existais qu’en lui et qui n’avais jamais passé vingt-quatreheures sans le voir. Le troisième jour, mon impatience et mesalarmes augmentèrent à un tel degré que je n’y pus tenir pluslongtemps. Je me jetai aux genoux de Mme&|160;Jones, la suppliantd’avoir pitié de moi et de me sauver la vie, en tâchant au plus tôtde découvrir ce qu’était devenu celui qui pouvait seul me laconserver. Elle alla, pour cet effet, dans un Public-Housedu voisinage, où il demeurait, et envoya chercher la servante dulogis dont je lui avais donné le nom et qui était à proximité dansune des rues qui rayonnent sur Covent-Garden. Cette fille vintimmédiatement et Mme&|160;Jones lui ayant demandé si Charles étaiten ville, elle répondit que son père, pour le punir d’être avec sagrand-mère en meilleurs termes qu’il n’était lui-même, l’avaitenvoyé dans un comptoir des mers du Sud, héritage (un richemarchand, son propre frère, venait de mourir) dont il venait derecevoir l’avis.

Le barbare, d’intelligence avec un capitainede vaisseau, avait si bien concerté ses mesures, que le pauvremalheureux, étant allé à bord du navire, y avait été arrêté commeun criminel, sans pouvoir écrire à personne.

La servante ajouta que, bien sûr, cetéloignement de son jeune et gentil maître causerait la mort de sagrand’mère, ce qui se vérifia en effet, car la vieille dame nesurvécut pas d’un mois à la fatale nouvelle, et, comme sa fortuneétait en viager, elle ne laissa rien d’appréciable à son petit-filschéri, mais elle refusa absolument de voir son père avant demourir.

L’artificieuse Jones revint incontinent aprèsme plonger le poignard dans le sein, en me disant qu’il était partipour un voyage de quatre ans et que je ne devais pas m’attendre àle revoir jamais. Avant qu’elle eût proféré ces dernières paroles,je tombai dans une faiblesse, suivie de convulsions si terriblesque je perdis avant terme, en me débattant, l’innocent etdéplorable gage de mon amour. Je ne conçois pas, quand je me lerappelle, que j’aie pu résister à tant de calamités et de douleurs.Quoi qu’il en soit&|160;; à force de soins, on me conserva uneodieuse vie, qui, à la place de cette félicité inexprimable dontj’avais joui jusqu’alors, ne m’offrit tout à coup que des horreurset de la misère.

Je restai pendant six semaines appelant envain la mort à mon secours. Ma grande jeunesse et mon tempéramentrobuste prirent insensiblement le dessus&|160;; mais je tombai dansun état de stupidité et de désespoir qui faisait croire que jedevinsse folle. Néanmoins le temps adoucit petit à petit laviolence de mes peines et en émoussa le sentiment.

Mon obligeante hôtesse avait eu soin, pendanttout cet intervalle, que je ne manquasse de rien&|160;; et quandelle me crut dans une condition à pouvoir répondre à ses vues, elleme félicita sur mon heureux rétablissement en ces termes&|160;:

«&|160;Grâce à Dieu, Miss Fanny, votre santén’est pas mauvaise à présent. Vous êtes la maîtresse de rester chezmoi tant qu’il vous plaira. Vous savez que je ne vous ai riendemandé depuis longtemps&|160;; mais, franchement, j’ai une dette àlaquelle il faut que je satisfasse sans différer.&|160;»

Et après ce bref exorde, elle me présenta unarrêté de compte pour logement, nourriture, apothicaire, etc.,somme totale&|160;: vingt-trois livres sterling dix-sept schellingset six pence&|160;; ce que la perfide, qui connaissait le fond dema bourse, savait bien que je ne pouvais pas payer&|160;; en mêmetemps elle me demanda quels arrangements je voulais prendre. Je luirépondis, fondant en larmes, que j’allais vendre le peu de hardesque j’avais et que si je ne pouvais faire toute la somme,j’espérais qu’elle aurait la bonté de me donner du temps. Mais monmalheur favorisant ses lâches intentions, elle me réponditfroidement que, quoi qu’elle fût touchée jusqu’au fond de l’âme demon infortune, l’état actuel de ses affaires la mettrait dans lacruelle nécessité de m’envoyer en prison. À ce mot de prison, toutmon sang se glaça, et je fus tellement épouvantée que je devinsaussi pâle qu’un criminel à la vue du lieu de son exécution.

Cette méchante femme, qui craignait que mafrayeur ne ruinât ses desseins, en me faisant retomber malade,commença à se radoucir et me dit que ce serait ma propre faute sielle en venait à de semblables extrémités, mais que l’on pouvaittrouver un honnête homme dans le monde, assez généreux pourterminer cette affaire à notre satisfaction mutuelle, et qu’ilviendrait un très honorable gentleman cette après-dîner prendre lethé avec nous, qui sûrement serait fort aise de me rendre ceservice.

À ces mots, je restai muette, confondue.Cependant, Mme&|160;Jones ayant ainsi arrangé son plan, jugea àpropos de ma laisser quelques moments à mes réflexions. Je demeuraiprès d’une heure abîmée dans les idées les plus horribles que lacrainte, la tristesse et le désespoir puissent causer. La scélératerevint à la charge, et feignant d’être touchée de mes malheurs,elle me dit qu’elle voulait me présenter au gentleman, qui, par sessages avis, me fournirait les moyens de me tirer d’embarras. Aprèsquoi, sans se mettre en peine que je l’approuvasse ou non, ellesort et rentre immédiatement, suivie du gentleman, dont elle avaitété en mainte occurrence, comme en celle-ci, l’empresséepourvoyeuse.

Il me fit une profonde révérence, à laquelleje répondis aussi froidement qu’il est naturel de répondre auxcivilités de quelqu’un qu’on ne connaît point. Mme&|160;Jones,prenant sur elle de faire les honneurs de cette première entrevue,lui présenta une chaise et en prit une pour elle-même&|160;;cependant pas un mot ni de part ni d’autre. Un regard stupide eteffaré était l’interprète de la surprise où m’avait jetée cetteétrange visite. On servit le thé. Ma digne hôtesse, enfin, nevoulant pas perdre son temps, rompit le silence&|160;:

«&|160;Allons, Miss Fanny, dit-elle dans unstyle aussi rude que familier et d’un ton d’autorité, levez latête, mon enfant, ne laissez point détruire un si joli minois parle chagrin. Au bout du compte, le chagrin ne doit pas êtreéternel&|160;; allons, un peu de gaîté. Voici un honorablegentleman qui a entendu parler de vos malheurs et veut vous faireplaisir. Croyez-moi, ne refusez pas sa connaissance, et, sans vouspiquer d’une délicatesse hors de saison, faites un bon marchétandis que vous le pouvez.&|160;»

Mon inconnu, qui vit aisément qu’une aussiimpertinente harangue était moins propre à me persuader qu’àm’irriter, lui fit signe de se taire. Alors, prenant la parole, ilme dit qu’il partageait bien sincèrement mon affliction&|160;; quema jeunesse et ma beauté méritaient un meilleur sort&|160;; qu’ilressentait depuis longtemps une violente passion pour moi&|160;;mais que, connaissant mes engagements secrets avec un autre, il lesavait respectés aux dépens de son repos, jusqu’à ce que la nouvellede mon désastre, en réveillant son respectueux amour, l’avaitenhardi à venir m’offrir ses services, à peine arrivé de La Haye,où il avait dû se rendre pour affaire urgente au début de mamaladie, et que la seule faveur qu’il exigeât de moi était que jedaignasse les agréer. Tandis qu’il me parlait ainsi, j’eus le tempsde l’examiner. Il me parut un homme d’environ quarante ans, vêtud’un costume simple et uni, avec un gros diamant à l’un de sesdoigts, dont l’éclat frappait mes yeux lorsqu’il agitait sa main enparlant et me donnait une plus haute idée de son importance&|160;;bref, il pouvait passer pour ce qu’on appelle communément un belhomme brun, avec un air de distinction naturel à sa naissance et àsa condition. Je ne lui répondis qu’en versant un torrent delarmes, et ce fut un bonheur pour moi que mes sanglots étouffassentma voix, car je ne savais que lui dire.

Quoi qu’il en soit, la situationattendrissante où il me vit le frappa jusqu’au fond du cœur. Iltira précipitamment sa bourse et paya, sans différer, jusqu’audernier farthing, tout ce que je devais à Mme&|160;Jones. Il enprit une quittance en bonne forme, qu’il me força de garder. Cetteinfâme racoleuse n’eut pas plus tôt touché son argent qu’elle nouslaissa seuls.

Cependant le gentleman, qui n’était rien moinsque neuf dans de pareilles affaires, s’approcha d’un air officieuxet du coin de son mouchoir m’essuya les pleurs qui me baignaient levisage&|160;; après quoi il s’aventura à me donner un baiser. Jen’eus pas le courage de faire la moindre résistance, me regardantdès lors comme une marchandise qui lui était dévolue par ledéboursé qu’il venait de faire. Insensiblement il me mania lagorge. Enfin, me trouvant docile au delà de ses espérances, il fitde moi tout ce qu’il voulut. Quand il eut assouvi sa brutalité sansnul respect pour ma déplorable condition, mes yeux se dessillèrentet je gémis (trop tard à la vérité) de la honteuse faiblesse àlaquelle je venais de succomber. Je m’arrachais les cheveux, je metordais les mains, je me frappais la poitrine comme une folle. Siquelqu’un m’eût dit quelques instants auparavant que je seraisinfidèle à Charles, j’aurais été capable de lui cracher au visage.Mais, hélas&|160;! notre vertu et notre fragilité ne dépendent quetrop souvent des circonstances où nous nous trouvons. Séduite commeje le fus à l’improviste, trahie par un esprit accablé sous lepoids de ses afflictions, saisie des plus grandes frayeurs à l’idéeseule de prison, ce sont des conjonctures bien délicates&|160;; etsans chercher à m’excuser, il n’en est guère qui pût répondre de nepas commettre la même faute dans un cas pareil. Au reste, comme iln’y a que le premier pas qui coûte, je crus que je n’étais plus endroit de refuser ses caresses après ce qui s’était passé. Suivantcette réflexion, je me regardai comme lui appartenant.

Néanmoins, il eut la complaisance de ne pastenter si tôt la répétition d’une scène à laquelle je ne m’étaisprêtée que machinalement et par un sentiment de gratitude. Contentde s’être assuré ma jouissance, il voulut désormais s’en rendredigne par ses bons procédés et ne devoir rien à la violence.

La soirée étant déjà avancée, on vint mettrele couvert et j’appris avec joie que la Jones, dont l’aspectm’était devenu insupportable, ne serait pas des nôtres.

Pendant le souper, qui était fin et soigné,avec une bouteille de bourgogne et les accessoires sur un plateau,le gentleman, après avoir employé les discours les plus persuasifsque la tendresse puisse suggérer pour adoucir mes ennuis, me ditqu’il s’appelait H…, frère du comte de L…, que mon hôtesse l’avaitengagé à me voir et que, m’ayant trouvée extrêmement aimable, ill’avait priée de lui procurer ma connaissance&|160;; qu’en un motil s’estimait trop heureux que la chose eût réussi selon sesdésirs, et qu’il me protestait que je n’aurais jamais sujet de merepentir des complaisances que j’aurais pour lui.

Pendant qu’il me parlait ainsi, j’avais mangédeux ailes de perdrix et bu trois ou quatre verres de vin. Mais,soit qu’on y eût mêlé quelque drogue ou que sa vertu restaurativeeût naturellement opéré sur mes sens, je me trouvai plus à mon aiseet je commençai à ne plus regarder M.&|160;H… avec tant defroideur, quoique tout autre à sa place, dans de semblablescirconstances, eût été le même pour moi.

Les afflictions ici-bas ont leurs bornes et nesauraient être éternelles. Mon cœur, accablé jusqu’alors sous lepoids des chagrins, se dilata par degrés et s’ouvrit à un faiblerayon de contentement. Je répandis quelques larmes, elles mesoulagèrent&|160;; je soupirai, mes soupirs me rendirent larespiration plus libre&|160;; je pris, sans être gaie, un airserein, une contenance plus aisée et moins sérieuse. M.&|160;H…était trop expert pour ne pas profiter de cet heureux changement.Il recula adroitement la table, et approchant sa chaise de lamienne, il m’imprima vingt baisers sur la bouche et sur la gorge.Je fis si peu de résistance qu’il crut pouvoir tenter davantage. Letéméraire, en effet, glissant avec dextérité une de ses mains sousmes jupes jusqu’au-dessus de la jarretière, essaya de regagner leposte qu’il avait surpris peu de temps auparavant. Alors je lui disd’un ton languissant que je ne me trouvais pas bien, que je lesuppliais de me laisser. Comme il vit à merveille qu’il y avaitdans ma prière plus de grimace et de cérémonie que de sincérité, ilconsentit à en rester là, mais à la condition que je me mettrais aulit sur-le-champ, ajoutant qu’il sortait pour une demi-heure etqu’il osait espérer qu’à son retour je serais plus traitable.Quoique je ne répondisse rien, l’air dont je reçus sa propositionlui fit connaître que je ne me croyais plus assez ma maîtresse pourrefuser de lui obéir.

Un instant après qu’il m’eut quittée, laservante m’apporta un bol en argent plein de ce qu’elle appelaitune «&|160;potion nuptiale&|160;». Je l’eus à peine avalée qu’unfeu subtil se glissa dans mes veines&|160;; je brûlais, peu s’enfallait que je ne demandasse un homme quel qu’il fût.

La fille n’était pas encore au bas del’escalier que M.&|160;H… rentra en robe de chambre et en bonnet denuit, armé de deux bougies allumées. Il ferma la porte au verrou.Quoique je m’attendisse bien à le revoir, sa rentrée me causaquelque frayeur. Il s’avance sur la pointe du pied, tâche de merassurer par de douces paroles, et quittant en hâte sa robe, ils’approche du lit, m’enlève en un clin d’œil et me renverse nue surun tapis placé près du feu. Là, à genoux, il s’occupe quelque tempsà parcourir, avec un regard avide, une gorge ferme, élastique etque la jouissance n’avait pas encore altérée&|160;; de là, passantà une taille élégante, à une chute de reins merveilleuse&|160;;chaque contour était baisé tour à tour, puis il me fit sentir toutà coup son pouvoir qui, ressuscitant mes esprits animaux, mecontraignit à goûter des plaisirs que mon cœur désavouait.

Quelle différence, hélas&|160;! de cesplaisirs purement mécaniques à ceux que produit la jouissance d’unamour mutuel où l’âme, confondue avec les sens, se noie pour ainsidire dans une mer de volupté&|160;!

Cependant M.&|160;H… ne cessa de me donner despreuves de sa vigueur qu’à la pointe du jour, où nous nousendormîmes d’un profond sommeil.

Vers les onze heures, Mme&|160;Jones nousapporta deux excellents potages, que son expérience en ces sortesd’affaires lui avaient appris à préparer en perfection. M.&|160;H…,qui s’était aperçu que j’avais changé de couleur à son arrivée, medit, lorsqu’elle nous eût quittés, que pour me donner une premièrepreuve de son tendre attachement, il voulait me changer de maisonet que je n’avais pas à m’impatienter jusqu’à son retour. Ils’habilla et sortit, après m’avoir remis une bourse contenantvingt-deux guinées, en attendant mieux.

Dès qu’il fut dehors, je réfléchis sur macondition actuelle et sentis la conséquence du premier pas que l’onfait dans le chemin du vice&|160;; car mon amour pour Charles nem’avait jamais paru criminel. Je me regardai comme quelqu’un quiest entraîné par un torrent sans pouvoir regagner le rivage. Lesentiment effroyable de la misère, la gratitude, le profit réel queje trouvais dans cette connaissance avaient en quelque manièreinterrompu mes chagrins, et si mon cœur n’eût point été engagé,M.&|160;H… l’aurait vraisemblablement possédé tout entier&|160;;mais la place étant occupée, il ne devait la jouissance de mescharmes qu’aux tristes conjectures où le sort m’avait réduite.

Il revint à six heures me prendre pour meconduire dans un nouveau logis, chez un boutiquier, lequel, parintérêt, était entièrement à la dévotion de M.&|160;H… Il luilouait le premier étage, très galamment meublé, pour deux guinéespar semaine, et j’y fus aussitôt installée avec une fille pour meservir.

M.&|160;H… resta encore toute la soirée avecmoi&|160;; on nous apporta d’une taverne voisine un soupersucculent, et quand nous eûmes mangé, la fille me mit au lit, où jefus bientôt suivie par mon champion, qui, malgré les fatigues de laveille, se piqua, comme il me dit, de faire les honneurs de monnouvel appartement. Insensiblement je m’habituai aux bonnes façonsde M.&|160;H… et j’avoue que si ses attentions et ses libéralités(soieries, dentelles, boucles d’oreilles, colliers de perles,montre en or, etc.) ne m’inspirèrent point d’amour, au moins meforcèrent-elles à lui vouer une véritable estime et l’amitié laplus reconnaissante.

Je me vis alors dans la catégorie des fillesentretenues, bien logée, de bons appointements, et nippée comme uneprincesse.

Néanmoins, le souvenir de Charles me causantquelquefois des accès de mélancolie, mon bienfaiteur, pourm’amuser, donnait fréquemment de petits soupers chez moi à ses amiset à leurs maîtresses. Je fus ainsi lancée dans un cercle deconnaissances, qui me débarrassa bientôt de ce que mon éducation devillageoise m’avait laissé de pudeur et de modestie.

Nous nous rendions les unes chez les autres etsingions dans ces visites de cérémonie les femmes de qualité qui nesavent comment gaspiller leur temps, quoique parmi ces femmesentretenues (et j’en connaissais un bon nombre, sans compterquelques estimables matrones qui vivaient de leurs relations avecelles), j’en connusse à peine une seule qui ne détestâtparfaitement son entreteneur et, naturellement, eût le moindrescrupule de lui être infidèle si elle le pouvait sans risques. Jen’avais encore, quant à moi, aucune idée de faire du tort aumien.

Il y avait déjà six mois que nous vivions tousdeux du meilleur accord du monde, lorsqu’un jour, revenant de faireune visite, j’entendis quelque rumeur dans ma chambre. J’eus lacuriosité de regarder à travers le trou de la serrure. Le premierobjet qui me frappa fut M.&|160;H… chiffonnant ma servante Hannah,qui se défendait d’une manière aussi gauche que faible, et criaitsi bas qu’à peine pouvais-je l’entendre&|160;:

«&|160;Fi donc, monsieur, celaconvient-il&|160;? De grâce, ne me tourmentez point. Une pauvrefille comme moi n’est point faite pour vous. Seigneur&|160;! si mamaîtresse allait venir&|160;!… Non, en vérité, je ne le souffriraipas&|160;; au moins je vous avertis, je m’en vais crier.&|160;»

Ce qui pourtant n’empêcha point qu’elle selaissât tomber sur le lit de repos, et mon homme ayant levé sescotillons, elle crut inutile de faire une plus longue résistance.Il monta dessus, et je jugeai à ses mouvements nonchalants qu’il setrouvait logé plus à l’aise qu’il ne s’en était flatté. Cette belleopération finie, M.&|160;H… lui donna quelque monnaie et lacongédia.

Si j’avais été amoureuse, j’auraiscertainement interrompu la scène et tapage&|160;; mais mon cœur n’yprenant aucun intérêt, quoique ma vanité en souffrît, j’eus assezde sang-froid pour me contenir et tout voir jusqu’à la conclusion.Je descendis cinq ou six degrés sur la pointe du pied et remontai àgrand bruit, comme si j’arrivais à l’instant même. J’entrai dans lasalle, où je trouvai mon fidèle berger se promenant en sifflant,d’un air aussi flegmatique que s’il ne s’était rien passé.J’affectai d’abord un air si serein et si gai que l’hypocrite futma dupe en croyant que j’étais la sienne. La grosse récréationqu’il venait de prendre l’avait sans doute fatigué, car il prétextaquelques affaires pour n’être pas obligé de coucher avec moi cettenuit-là, et sortit incontinent après.

À l’égard de ma servante, mon intentionn’étant pas de l’associer à mes travaux, au premier sujet demécontentement qu’elle me donna, je la mis à la porte.

Cependant mon amour-propre ne pouvant digérerl’affront que M.&|160;H… m’avait fait, je résolus de m’en venger dela même façon. Je ne tardai pas longtemps. Il avait pris, depuisenviron quinze jours, à son service, le fils d’un de ses fermiers.C’était un jeune garçon de dix-huit à dix-neuf ans, d’unephysionomie fraîche et appétissante, vigoureux et bien fait. Sonmaître l’avait créé le messager de nos correspondances. Je m’étaisaperçue qu’à travers son respect et sa timide innocence, letempérament perçait. Ses yeux, naturellement lascifs, enflammés parune passion dont il ignorait le principe, parlaient en sa faveur leplus éloquemment du monde, sans qu’il s’en doutât.

Pour exécuter mon dessein, je le faisaisentrer lorsque j’étais encore au lit ou lorsque j’en sortais, luilaissant voir, comme par mégarde, tantôt ma gorge nue, tantôt latournure de la jambe, quelquefois un peu de ma jambe, en mettantmes jarretières. En un mot, je l’apprivoisais petit à petit par desfamiliarités.

«&|160;Eh bien, mon garçon, lui demandai-je,as-tu une maîtresse&|160;?… est-elle plus jolie que moi&|160;?…Sentirais-tu de l’amour pour une femme qui meressemblerait&|160;?&|160;». Et ainsi du reste. Le pauvre enfantrépondait d’un ton niais et honnête, selon mes désirs.

Quand je crus l’avoir assez bien préparé, unjour qu’il venait, à son ordinaire, je lui dis de fermer la porteen dedans. J’étais alors couchée sur le théâtre des plaisirs deM.&|160;H… et de ma servante, dans un déshabillé fait pour inspirerdes tentations à un anachorète, pas de corset, pas de cerceaux.J’appelai le jeune gars, et le tirant près de moi par sa manche, jele contemplai. Il était d’une santé brillante, sa chevelure, d’unnoir brillant, se jouait sur ses tempes en boucles naturelles et seresserrait par derrière dans un nœud élégant&|160;; sa culotte depeau de bouc, parfaitement collante, laissait voir le galbe d’unecuisse dodue et bien tournée, des bas blancs, une livrée garnie dedentelles, des nœuds d’épaule, tout cela complétait le coquetpersonnage… Je lui donnai, pour le rassurer, deux ou trois petitscoups sous le menton et lui demandai s’il avait peur des dames. Enmême temps je me saisis d’une de ses mains, que je serrai contremes seins, qui tressaillaient et s’élevaient comme s’ils eussentrecherché ses attouchements. Ils étaient maintenant bien remplis etferme en chair. Bientôt, tous les feux de la nature étincelèrentdans ses yeux&|160;; ses joues s’enluminèrent du plus beauvermillon. La joie, le ravissement et la pudeur le rendirentmuet&|160;; mais la vivacité de ses regards, son émotion parlèrentassez pour m’apprendre que je n’avais pas perdu mon étalage&|160;;mes lèvres, que je lui présentai de façon qu’il ne pût éviter deles baiser, le fascinèrent, l’enflammèrent et l’enhardirent. Alors,portant mes yeux sur la partie essentielle de son costume, j’yremarquai très distinctement de la turgescence et de l’émoi&|160;;et comme j’étais trop avancée pour m’arrêter en si beau chemin,comme d’ailleurs il m’était impossible de me contenir davantage oud’attendre qu’il eût surmonté sa modestie de jeune fille (c’étaitréellement le mot), je fis semblant de jouer avec ses boutons, quela force active de l’intérieur était sur le point de faire sauter.Ceux de la ceinture et du pont lâchèrent facilement prise et levoici à l’air… non pas une babiole d’enfant, ni le membre commund’un homme, mais un engin d’une si énorme taille qu’on l’auraitpris pour celui d’un jeune géant. Ce prodigieux meuble me fitfrissonner à la fois de frayeur et de plaisir. Ce qu’il y avait desurprenant, c’est que le propriétaire d’un si noble joyau ne savaitpas la manière de s’en servir, tellement que c’était mon affaire dele guider au cas que j’eusse assez de courage pour en risquerl’épreuve&|160;; mais il n’y avait plus à reculer.

Le jeune gars, transporté, hors de lui-même,s’aventura, par instinct naturel, à me caresser, et lisant dans mesyeux le pardon de son audace, il gagna au hasard le centre inconnude ses désirs. Je ne l’eus pas plus tôt senti que ma craintes’évanouit et je lui laissai le champ libre. Alors la châsse futdécouverte. Il se mit sur moi&|160;; je me plaçai le plusavantageusement qu’il me fut possible pour le recevoir, maisborgne, son cyclope se dirigeait seul, frappant toujours à faux. Jele conduisis dextrement et lui donnai la première leçon de plaisir.Cependant, quoiqu’un tel monstre ne fût pas fait pour un logisaussi modeste, je parvins à en loger la tête, et mon écolier, ens’efforçant à propos, eu fit entrer quelques pouces de plus&|160;;je sentis aussitôt un mélange de plaisir et de douleurindéfinissable. Je tremblais à la fois qu’il ne me tuât en allantplus avant ou en se retirant, ne pouvant le souffrir ni dedans nidehors. Quoi qu’il en soit, il poursuivit avec tant de raideur etde rapidité que je poussai un cri. Ce fut assez pour arrêter cetimide et respectueux enfant. Il se retira, également pénétré duregret de m’avoir fait mal et d’être contraint de déloger d’uneplace dont la douce chaleur lui avait donné l’avant-goût d’unplaisir qu’il mourait d’envie de satisfaire.

Je n’étais pourtant pas trop contente qu’ilm’eût tant ménagée et que mon indiscrétion l’eût fait quitterprise. Je le caressai pour l’encourager à la charge et me mis enposture de le recevoir encore à tout événement. Il l’insinua denouveau, ayant l’intention de modérer ses coups. Petit à petit,l’entrée s’élargit, se prêta et le reçut à moitié. Mais tandisqu’il tâchait de passer outre, la crise le surprit, et,malheureusement pour moi, la douleur aiguë que je souffraism’empêcha de l’attendre.

Je craignis, avec raison, qu’il ne se retirât.Grâce à ma bonne fortune, cela n’arriva point. L’aimable jeunehomme, plein de santé et regorgeant de suc, fit une courte pause,après quoi il se mit à piquer derechef. Alors, favorisé par mesmouvements adroits, il gagna peu à peu le terrain et nos deux corpsn’en firent qu’un. Les délicieuses, les ravissantes agitationsqu’il me causa intérieurement me devinrent insupportables. Jem’aperçus, à sa respiration embarrassée, à ses yeux à demi clos,qu’il approchait du suprême instant. Je me dépêchai d’y arriveravec lui. Nous nous rencontrâmes enfin, et, plongés tous deux dansun abîme de joie, nous demeurâmes quelques instants anéantis, sansaucun sentiment, excepté dans ces parties favorites de la nature oùnos âmes, notre vie et toutes nos sensations étaient alorsentièrement concentrées.

La crise étant à peu près passée, le jeunehomme retira ce délicieux instrument de sa vengeance à laquelle jene songeais plus d’ailleurs, l’idée en ayant été noyée dans leplaisir. Il avait fait autant de ravages que s’il avait triomphéd’une seconde virginité.

C’était une scène bien douce pour moi de voiravec quels transports il me remerciait de l’avoir initié à de siagréables mystères. Il n’avait jamais eu la moindre idée de lamarque distinctive de notre sexe. Je devinai bientôt, parl’inquiétude de ses mains qui s’égaraient, qu’il brûlait deconnaître comment j’étais faite. Je lui permis tout ce qu’ilvoulut, ne pouvant rien refuser à ses désirs. Il me leva les jupeset la chemise. Je me plaçai moi-même dans l’attitude la plusfavorable pour exposer à ses regards le centre des voluptés et lecoup d’œil luxuriant du voisinage. Extasié à la vue d’un spectaclesi nouveau pour lui, il n’abusa cependant pas longtemps de macomplaisance. Son phénix étant ressuscité se percha au centre de laforêt enchantée qui décore de ses ombrages la région desbéatitudes. Je sentis derechef une émotion si vive qu’il n’y avaitque la pluie salutaire dont la nature bienfaisante arrose cesclimats favorisés qui pût me sauver de l’embrasement.

J’étais tellement abattue, fatiguée, énervée,après une semblable séance, que je n’avais pas la force deremuer.

Néanmoins, mon jeune champion, ne faisant pourainsi dire qu’entrer en goût, n’aurait pas sitôt quitté le champde. bataille si je ne l’eusse averti qu’il fallait battre enretraite. Je l’embrassai tendrement, et, lui ayant glissé uneguinée dans la main, je le renvoyai avec promesse de le revoir dèsque je pourrais, pourvu qu’il fût discret.

Étourdie et enivrée de ce plaisir bu à silongs traits, j’étais encore couchée, étendue sur le dos, dans unedélicieuse langueur répandue par tous mes membres, m’applaudissantde m’être ainsi vengée sans réserve, d’une façon si absolumentconforme à celle dont la prétendue injure m’avait été faite, et surle lieu même. Je n’avais pas la moindre préoccupation desconséquences et je ne me faisais pas le moindre reproche d’avoirainsi débuté dans une profession plus décriée que délaissée.J’aurais cru être ingrate envers le plaisir que j’avais reçu si jem’en étais repentie, et, puisque j’avais enjambé la barrière, il mesemblait, en plongeant tête baissée dans le torrent, y noyer toutsentiment de honte ou de réflexion.

À peine était-il sorti que M.&|160;H… arriva.La manière agréable dont je venais d’employer le temps depuis monlever avait répandu tant d’éclat et de feu sur ma physionomie qu’ilme trouva plus belle que jamais&|160;; aussi me fit-il des caressessi pressantes que je tremblai qu’il ne découvrît le mauvais étatactuel des choses. Heureusement j’en fus quitte pour prétexter unemigraine. Il donna dans le panneau, et, refrénant malgré lui sesdésirs, il sortit en me recommandant de me tranquilliser.

Vers le soir, j’eus le soin de me procurer unbain chaud, composé, de fines herbes aromatiques, dans lequel je melavai, et m’égayai si bien que j’en sortis voluptueusementrafraîchie de corps et d’esprit. Je me couchai d’abord etm’endormis jusqu’au lendemain, quoique très en peine du dégât quele furieux champion de mon cher Will pouvait avoir causé. Jem’éveillai avec cette inquiétude et mon premier soin fut un examensérieux de la partie offensée. Mais quelle fut ma joie lorsquej’eus reconnu que ni le duvet, ni l’intérieur même n’offraientaucun vestige des assauts qui s’y étaient donnés la veille, quoiquela chaleur naturelle du bain en eût dû élargir les parois.Pleinement convaincue de l’inanité de mes craintes, je n’en fis querire&|160;; charmée de savoir que je pouvais désormais jouir del’homme le mieux fourni, je triomphai doublement par la revancheque j’avais prise et par les délices que j’avais éprouvées.

L’esprit agréablement occupé par de nouveauxprojets de jouissance, je m’étendais mollement sur mon lit&|160;;Will, mon cher Will, entra avec un message de la part de sonmaître, ferma la porte à mon invitation, s’approcha de mon lit oùj’étais dans la situation la plus voluptueuse, et, les yeux remplisde l’ardeur la plus tendre, il baisa mille fois une main que je luiavais abandonnée.

Une chose me frappa tout d’abord&|160;: c’estque mon jeune mignon s’était paré avec autant de recherche que lepermettait sa condition. Ce désir de plaire ne pouvait m’êtreindifférent, puisque c’était une preuve que je lui plaisais, et cedernier point, je vous l’assure, n’était pas au-dessous de monambition.

Sa chevelure élégamment arrangée, du lingepropre et surtout une bonne figure de campagnard robuste, frais etbien portant, en faisaient pour une femme le plus joli morceau dumonde à croquer, et j’aurais tenu pour tout à fait sans goût cellequi aurait dédaigné un pareil régal offert par la nature à unegourmande de plaisir.

Et pourquoi déguiserais-je ici les délices queme faisait éprouver cet être charmant avec ses regards si purs, sesmouvements si naturels, d’une sincérité qui se lisait dans sesyeux&|160;; avec cette fraîcheur et cette transparence de peau quilaissait voir, au travers, courir un sang coloré&|160;; avec mêmecet air rustique et vigoureux qui ne manquait pas d’un charmeparticulier&|160;? Oh&|160;! me direz-vous, ce garçon était decondition trop basse pour mériter tant d’attentions&|160;!D’accord, mais ma propre condition, à bien considérer, était-elledonc d’un cran plus élevée, ou bien, en supposant que je fusseréellement au-dessus de lui, la faculté qu’il avait de procurer unplaisir si exquis ne suffisait-elle pas à l’élever et à l’ennoblir,pour moi tout au moins&|160;? À d’autres d’aimer, d’honorer, derécompenser l’art du peintre, du statuaire, du musicien, enproportion de l’agrément qu’ils y trouvent&|160;; mais à mon âge,avec mon goût pour le plaisir, l’art de plaire dont la nature avaitdoué une jolie personne était pour moi le plus grand des mérites.M.&|160;H…, avec ses qualités d’éducation de fortune, me tenaitsous une sorte de sujétion et de contrainte fort peu capables deproduire de l’harmonie dans le concert d’amour, tandis qu’avec cegarçon je me trouvais à l’aise sur le pied d’égalité, et c’est ceque l’amour préfère. Je pouvais sans peur ni contrainte folâtrer àmon aise et réaliser telle fantaisie qui me viendrait dans latête.

Will, à genoux à côté de mon lit, m’accablaitde caresses&|160;; ce n’était pas assez&|160;; après quelquesquestions et réponses souvent interrompues par de tendres baisers,je lui demandai&|160;; s’il voulait passer avec moi et entre mesdraps le peu de temps qu’il avait à rester&|160;? C’était demanderà un hydropique s’il voulait boire. Aussi, sans plus de façon, ilquitta ses habits et sauta sur le lit que je tenais ouvert pour lerecevoir.

Will commença par les préliminairesaccoutumés, préludes intéressants, qui sont autant de gradationsdélicieuses, dont peu de personnes savent jouir, par leurprécipitation à courir à cet instant précieux qui équivaut à uneéternité.

Lorsqu’il eut suffisamment préparé les voies àla jouissance en me baisant, en me provoquant, mon jeune sportsman,maniant mes seins à présent ronds et potelés, s’enhardit à memettre dans la main sa vigueur elle-même&|160;; sa tension, saroideur étaient étonnantes&|160;; c’était un inestimable coffret dejoyaux chéris des femmes, un merveilleux étalage de riches etbelles choses, en vérité&|160;! Mais le drôle, que je maniai,augmentait de superbe et d’insolence et se mutinait.

Je me hâtai donc, pour être de moitié dans lebonheur de mon jeune homme, de placer sous moi un coussin quiservit à élever mes reins, et dans la position la plus avantageuse,j’offris à Will le séjour des béatitudes où il s’insinua. Notreardeur croissant, je lui passai alors mes deux jambes autour desreins et le serrai de mes bras de façon que nos deux corpsconfondus ne semblaient respirer que l’un par l’autre et qu’il nepût se bouger sans m’entraîner avec lui. Dans cette luxurieuseposition, Will eut bientôt atteint le moment suprême&|160;; je meranimai donc pour parvenir au même but et me servis de tous lesexpédients que la nature put me fournir pour qu’il m’aidât àcombler mes désirs. Je m’avisai enfin de caresser et presser lestendres globules de ce réservoir du nectar radical. Ce magiqueattouchement eut son effet instantané&|160;: je sentis aussitôt lessymptômes de cette douce agonie, de cette crise de dissolution oùle plaisir meurt par le plaisir, et je me noyai dans des flots dedélices. Nous passâmes quelques moments dans une langueurvoluptueuse et comme anéantis par le plaisir. À la fin je medébarrassai de ce cher enfant et lui dis que l’heure de sa retraiteétait venue&|160;; il reprit en conséquence ses habits, non sans medonner de temps en temps les baisers les plus tendres et sans meparcourir encore des yeux et des mains avec une ardeur aussi viveque s’il ne m’avait vue que pour la première fois. Avant de lecongédier, je le forçai (car il avait assez de tact pour refuser) àprendre de quoi s’acheter une montre en argent, ce grand article deluxe pour le petit monde&|160;; il l’accepta enfin, comme unsouvenir qu’il aurait soin de garder de mon affection, Ensuite ilpartit, quoique à regret, et me laissa en proie à cettetranquillité qui suit les plaisirs sacrés de la nature.

Et ici, madame, je devrais m’excuser de cemenu détail de choses qui firent sur ma mémoire une si forteimpression&|160;; mais, outre que cette intrigue occasionna dans mavie une révolution que la vérité historique m’interdit de vouscacher, ne suis-je pas en droit de prétendre qu’il serait injusted’oublier un tel plaisir, par la raison que je l’ai trouvé dans unêtre de condition inférieure&|160;? C’est pourtant là, soit dit enpassant, qu’on le rencontre plus pur, moins sophistiqué, qu’aumilieu de ces faux et ridicules raffinements dont les grandslaissent nourrir et tromper leur orgueil. Les grands&|160;! Ya-t-il, dans ce qu’ils appellent le vulgaire, beaucoup de gens plusignorants de l’art de vivre qu’ils en sont eux-mêmes&|160;? Laplupart, au contraire, laissent de côté ce qui ne tient pas à lanature même du plaisir et leur objet capital est de jouir de labeauté partout où ils trouvent ce don inestimable, sans distinctionde naissance ou de position.

L’amour n’avait jamais eu de part dans moncommerce avec cet aimable garçon et la vengeance avait cessé d’enavoir une. Le seul attrait de la jouissance était maintenant lelien qui m’attachait à lui&|160;: car, bien que la nature l’eût sifavorablement doté d’avantages extérieurs, il lui manquaitnéanmoins quelque chose pour m’inspirer de l’amour. Will avaitassurément d’excellentes qualités&|160;: gentil, traitable etpar-dessus tout reconnaissant&|160;; silencieux, même à l’excès,parlant très peu, mais avec chaleur, et, pour lui rendre justice,jamais il ne me donna la moindre raison de me plaindre, soitd’aucune tendance à abuser des libertés que je lui accordais, soitde son indiscrétion à les divulguer. Il y a donc une fatalité dansl’amour, ou je l’aurais aimé, car c’était réellement un trésor, unmorceau pour la bonne bouche [15]d’uneduchesse, et à dire le vrai, mon goût pour lui était si extrêmequ’il fallait y regarder de fort près pour décider que je nel’aimais pas.

Quoi qu’il en soit, mon bonheur avec lui nefut pas de longue durée. Une imprudence interrompit bientôt un sitendre commerce et nous sépara pour toujours lorsque nous ypensions le moins. Un matin, étant à folâtrer avec lui dans moncabinet, il me vint en tête d’éprouver une nouvelle posture. Jem’assis et me mis jambe de-çà, jambe de-là sur les bras dufauteuil, lui présentant à découvert la marque où il devait viser.J’avais oublié de fermer la porte de ma chambre et celle du cabinetne l’était qu’à demi.

M.&|160;H…, que nous n’attendions pas, noussurprit précisément au plus intéressant de la scène.

Je jetai un cri terrible en abattant mesjupes. Le pauvre Will, comme frappé d’un coup de foudre, demeurainterdit et aussi pâle qu’un mort. M.&|160;H… nous regarda quelquetemps l’un et l’autre, avec un visage où la colère, le mépris etl’indignation paraissaient dans leur plus haut degré, et, reculanten arrière, se retira sans dire un mot. Toute troublée que j’étais,je l’entendis fermer la porte à double tour.

Pendant ce temps-là, le malheureux complice demon infidélité agonisait de frayeur, et j’étais obligée d’employerle peu de courage qui me restait pour le rassurer. La disgrâce queje venais de lui causer me le rendait plus cher. Je lui baignais levisage de mes pleurs, je le baisais, je le serrais dans mesbras&|160;; mais le pauvre garçon, devenu insensible à mescaresses, ne remuait pas plus qu’une statue.

M.&|160;H… rentra un moment après, et nousayant fait venir devant lui, il me demanda d’un ton flegmatique àme désespérer ce que je pouvais dire pour justifier l’affronthumiliant que je venais de lui faire. Je lui répondis en pleurant,sans aggraver mon crime par le style audacieux d’une courtisaneeffrontée, que je n’aurais jamais eu la pensée de lui manquer à cepoint s’il ne m’en avait, en quelque manière, donné l’exemple, ens’abaissant jusqu’aux dernières privautés avec ma servante&|160;;que toutefois je ne prétendais pas excuser ma faute par lasienne&|160;; qu’au contraire, j’avouais que mon offense était denature à ne pas mériter de pardon, mais que je le suppliaisd’observer que c’était moi qui avais séduit son valet dans unesprit de vengeance. Enfin, j’ajoutai que je me soumettaisvolontiers à tout ce qu’il voudrait ordonner de moi, à conditionqu’il ne confondît point l’innocent et le coupable.

Il sembla un peu déconcerté quand je luirappelai l’aventure de ma servante&|160;; mais, s’étant remisbientôt, il me répondit à peu près en ces termes&|160;:

«&|160;Madame, j’avoue à ma honte que vous mel’avez bien rendu et que je n’ai que ce que je mérite. Nous noussommes cependant trop offensés tous deux pour continuer à vivredésormais ensemble. Je vous accorde huit jours pour chercher unautre logement. Ce que je vous ai donné est à vous. Votre hôte vouspaiera de ma part cinquante guinées et vous délivrera une quittancegénérale de tout ce que vous lui devez. Je me flatte que vousconviendrez que je ne vous laisse pas dans un état pire que celuioù je vous ai prise, ni au-dessous de ce que vous méritez. Ne vousen prenez point à moi si je ne fais pas mieux leschoses.&|160;»

Alors, sans attendre ma réponse, il s’adressaà Will&|160;:

«&|160;Quant à vous, beau freluquet, jeprendrai soin de votre personne pour l’amour de votre père. Laville n’est pas un séjour qui convient à un pauvre idiot tel quevous&|160;; demain vous retournerez à la campagne.&|160;»

À ces mots, il sortit. Je me prosternai à sespieds pour tâcher de le retenir. Ma situation parutl’émouvoir&|160;; néanmoins il suivit son chemin, emmenant avec luison jeune valet, qui sûrement s’estimait fort heureux d’en êtrequitte à si bon marché.

Je me trouvai encore une fois abandonnée à monsort par un homme dont je n’étais pas digne&|160;; et toutes lessollicitations que j’employai pendant la semaine qu’il m’avaitaccordée pour chercher un logis ne purent l’engager à me revoir uneseule fois.

Will fut renvoyé immédiatement à son village,où, quelques mois après, une grosse veuve, qui tenait une bonnehôtellerie, l’épousa&|160;: il y avait tout au moins, je puis lejurer, une excellente raison pour qu’ils vécussent heureuxensemble.

J’aurais été charmée de le voir avant sondépart, mais M.&|160;H… avait prescrit certaines mesures quirendaient la chose impossible. Autrement, j’aurais sans aucun douteessayé de le retenir en ville, et je n’aurais épargné ni offres nidépenses pour me procurer la satisfaction de le garder avec moi.J’avais pour lui une inclination qui ne pouvait être aisémentdétruite ni remplacée&|160;; quant à mon cœur, il était hors dequestion&|160;; toutefois, j’étais contente que rien de pis ne luifût arrivé, et, en fait, d’après la tournure que prirent leschoses, il ne pouvait lui arriver rien de meilleur.

Quant à M.&|160;H…, quoique par certainesconsidérations de convenance j’eusse d’abord cherché à regagner sonaffection, j’étais assez légère, assez insouciante pour me consolerde mon accident un peu plus vite que je ne l’aurais dû. Mais, commeje ne l’avais jamais aimé et que sa rupture me donnait une sorte deliberté qui avait fait souvent l’objet de mes vœux, je fuspromptement réconfortée&|160;; et me flattant qu’avec le fonds dejeunesse et de beauté que j’apportais dans les affaires je nepouvais guère manquer de réussir, ce fut plutôt avec plaisirqu’avec la moindre idée de découragement que je me vis contrainte àcompter là-dessus pour tenter fortune.

Sur ces entrefaites, plusieurs des femmesentretenues que je connaissais, ayant bien vite eu vent de madéconvenue, accoururent me prodiguer l’insulte de leurs malicieusesconsolations. La plupart enviaient depuis longtemps le luxe et lasplendeur qui m’environnaient&|160;; et quoique, parmi elles, il yen eût à peine une seule qui méritât le même sort et qui, tôt outard, ne dût le partager, il était facile pourtant de remarquer, àtravers leur feinte compassion, leur secret plaisir de me voirainsi congédiée, et leur chagrin secret de ce qu’il ne m’arrivâtrien de pire. Incompréhensible malice du cœur humain et qui n’estpas confinée à la classe dont ces femmes faisaient partie.

Mais le temps approchait où il me fallaitprendre une résolution. Tandis que je cherchais autour de moi où jepourrais bien fixer ma résidence, Mme&|160;Cole, une sorte de femmediscrète et de moyen âge que j’avais connue par une des demoisellesen question, apprenant l’état où je me trouvais, vint m’offrir sesavis loyaux et ses services&|160;; et comme je l’avais toujourspréférée à toutes mes autres connaissances féminines, je n’en fusque mieux disposée à écouter ses propositions. D’après ce qui enrésulta, je ne pouvais tomber, dans tout Londres, en pires ou enmeilleures mains&|160;; en pires, car, tenant une maison galante,il n’y eut pas de raffinements de luxure qu’elle ne me suggérâtpour accommoder ses clients, pas de façon lascive, ni mêmed’effrénée débauche qu’elle ne prît plaisir à m’enseigner&|160;; enmeilleures, car personne n’ayant plus qu’elle l’expérience dulibertinage de la ville n’était mieux placé pour me conseiller etme préserver des dangers inhérents à notre profession. Et, choserare parmi ses pareilles, elle se contentait, pour son industrieuseassistance et ses bons offices, d’un profit modéré, sans rienpartager de leurs habitudes rapaces. C’était réellement une femmebien née et bien élevée, mais que des revers de fortune avaientlancée dans cette industrie, qu’elle continuait, moitié parnécessité, moitié par goût&|160;; car jamais femme ne se montra siactive dans son commerce et n’en comprit mieux tous les mystères ettoutes les finesses. Elle était, sans contredit, à la tête de saprofession et n’avait affaire qu’à des clients de qualité. Poursatisfaire à leurs demandes, elle entretenait constamment un bonstock de ses filles&|160;: ainsi appelait-elle les jeunespersonnes que leur jeunesse et leurs charmes recommandaient à sonadoption, et dont plusieurs, grâce à son appui et à ses conseils,réussirent très bien dans le monde.

Cette utile matrone, à la protection de qui jem’abandonnais, avait ses raisons, relativement à M.&|160;H…, pourne point paraître s’occuper trop de mes affaires&|160;; aussienvoya-t-elle une de ses amies, le jour fixé pour mon déménagement,me prendre et me conduire à mon nouveau logement, chez un brossierde R…-Street, Covent-Garden, juste à côté de sa propremaison, où elle n’avait pas de quoi me recevoir elle-même. Celogement s’étant trouvé occupé depuis longtemps par des femmesgalantes, le propriétaire était familiarisé avec leursallures&|160;; et pourvu qu’on payât le loyer, on avait pour lereste toutes les aises et toutes les commodités qu’on pouvaitdésirer.

Les cinquante guinées que m’avait promisesM.&|160;H…, lors de notre rupture, m’ayant été dûment payées, meseffets d’habillement et tout ce qui m’appartenait emballés etchargés sur une voiture de louage, je les y suivis bientôt, aprèsavoir pris congé du propriétaire et de sa famille. Je n’avais pasvécu avec eux dans un degré de familiarité suffisant pour regretterde m’en séparer, et cependant le fait seul que c’était uneséparation me fit verser des pleurs. Je laissai aussi une lettre deremerciements pour M.&|160;H…, que je croyais à tout jamais perdupour moi, comme il l’était en effet.

J’avais congédié ma servante la veille, nonseulement parce que je la tenais de M.&|160;H…, mais parce que jela soupçonnais d’avoir été pour quelque chose dans sadécouverte&|160;; elle s’était peut-être vengée de ce que je ne luiavais pas confié mon intrigue.

Nous fûmes vite arrivées à mon logement, qui,sans être aussi richement meublé ni aussi beau que le précédent,était, en somme, aussi confortable et à moitié prix, quoique aupremier étage. Mes malles, descendues en bon état, furent déposéesdans mon appartement, où m’attendaient Mme&|160;Cole et monpropriétaire, auquel elle me présenta sous les couleurs les plusavantageuses, c’est-à-dire comme une locataire sur qui l’on pouvaitcompter pour le payement régulier de son loyer&|160;: elle m’auraitattribué toutes les vertus cardinales, que cela n’eût pas eu lamoitié du poids de cette recommandation toute seule.

J’étais donc installée dans un logement à moi,laissée à ma seule conduite dans cette grande ville, pour m’y noyerou surnager, suivant que je saurais manœuvrer avec le courant.Quelles en furent les conséquences, et quelles aventuresm’arrivèrent dans l’exercice de ma nouvelle profession, c’est cequi fera l’objet d’une autre lettre, car il est bien temps, je lecrois, de mettre un point à celle-ci.

Je suis, Madame,

Votre, etc., etc., XXX.

LETTRE DEUXIÈME

&|160;

MADAME,

Si j’ai différé la suite de mon histoire, ç’aété simplement pour me permettre de respirer un peu&|160;:j’espérais aussi, je l’avoue, qu’au lieu de me presser, vousm’auriez plutôt dispensée de poursuivre une confession au cours delaquelle mon amour-propre a tant de blessures à souffrir.

Je m’imaginais, en vérité, que vous auriez étérassasiée et fatiguée de l’uniformité d’aventures et d’expressionsinséparable d’un sujet de cette sorte, dont le fond, dans la naturedes choses est éternellement le même&|160;: quelle que puisse être,en effet, la variété de formes et de modes dont les situations sontsusceptibles, il est impossible d’éviter entièrement la répétitiondes mêmes images, des mêmes figures, des mêmes expressions. Audégoût qui en résulte s’ajoute encore cet inconvénient, que lesmots de jouissance, ardeur, transport, extase et le reste de cestermes pathétiques si utilisés dans la pratique du plaisir,s’affadissent et perdent beaucoup de leur saveur et de leur énergiepar leur emploi fréquent, indispensable dans un récit dont cettepratique forma à elle seule la base tout entière. Je dois, enconséquence, m’en rapporter à votre indulgence, pour le désavantageque j’ai forcément sous ce rapport, et à votre imagination, à votresensibilité, pour l’agréable tâche d’y porter remède là où mesdescriptions faiblissent ou manquent de coloris&|160;: l’une vousmettra instantanément sous les yeux les tableaux que je vousprésente, l’autre donnera de la vie aux couleurs ternes ouaffaiblies par un trop fréquent usage.

Ce que. vous me dites, par manièred’encouragement, de l’extrême difficulté d’écrire un si long récitdans un style tempéré avec goût, aussi éloigné du cynismed’expressions grossières et vulgaires que du ridicule de métaphoresaffectées et de circonlocutions alambiquées est non moinsraisonnable que bienveillant&|160;: vous justifiez ainsi, dans unegrande mesure, ma complaisance pour une curiosité qui ne sauraitêtre satisfaite qu’à mes dépens.

Je reviens maintenant au point où j’en étaisen terminant ma précédente lettre. La soirée était assez avancéelorsque j’arrivai à mon nouveau logement, et Mme&|160;Cole, aprèsm’avoir aidée à ranger mes affaires, passa tout le reste du tempsavec moi dans mon appartement où nous soupâmes ensemble. Elle medonna alors d’excellents avis et instructions concernant cettenouvelle phase de ma profession où j’entrais maintenant&|160;: deprêtresse privée de Vénus, j’allais devenir publique&|160;; ilfallait me perfectionner en conséquence et m’entourer de tout cequi pouvait faire valoir ma personne, soit pour l’intérêt soit pourle plaisir, soit pour les deux ensemble. «&|160;Mais alors,&|160;»ajouta-t-elle, «&|160;comme j’étais une nouvelle figure dans laville, c’était une règle établie, un secret du commerce, de mefaire passer pour une pucelle et de me présenter comme telle à lapremière bonne occasion, sans préjudice, bien entendu, desdistractions que je pourrais rencontrer dans l’intérim, car il n’yavait personne qui détestât plus qu’elle de perdre du temps. Elleferait de son mieux pour me trouver le client et se chargerait dediriger cette délicate entreprise, si je voulais bien accepter sonaide et ses avis&|160;; et je n’aurais qu’à m’en féliciter puisque,en perdant un pucelage fictif, j’en recueillerais autantd’avantages que s’il s’agissait d’un véritable.&|160;»

Une excessive délicatesse de sentimentsn’étant pas, à cette époque, le trait distinctif de mon caractère,j’avoue à ma honte que j’acceptai un peu trop vite cetteproposition&|160;; elle répugnait sans doute à ma candeur et moningénuité&|160;; mais pas assez pour me faire contrarier lesintentions d’une personne à qui j’avais entièrement laissé le soinde ma conduite. Mme&|160;Cole, en effet, je ne sais comment,peut-être par une de ces inexplicables et invincibles sympathiesqui n’en forment pas moins les liens les plus solides, surtoutentre femmes, avait pris de moi pleine et entière possession. Deson côté, elle affectait de trouver dans mes traits uneressemblance frappante avec une fille unique qu’elle avait perdue àmon âge et c’était, disait-elle, son premier motif pour me porterune si vive affection. C’était possible&|160;: il existe ainsi defrivoles motifs d’attachement qui, se fortifiant par l’habitude,font souvent des amitiés plus solides et plus durables que si ellesétaient fondées sur de sérieuses raisons. Mais je sais unechose&|160;: c’est que, sans avoir eu avec elle d’autres relationsque lors de ses visites, quand je vivais avec M.&|160;H…, à proposde menus objets de toilette qu’elle voulait me vendre, elle avaitsi bien gagné ma confiance que je m’étais aveuglément mise dans sesmains et en étais venue à la respecter, à l’aimer, à lui obéir entout&|160;; et, pour lui rendre justice, je ne trouvai jamais chezelle qu’une sincère tendresse et un soin de mes intérêtsextraordinairement rares chez les personnes de sa profession. Nousnous séparâmes ce soir-là parfaitement d’accord sur tous les pointset, le lendemain matin, Mme&|160;Cole vint me prendre et m’emmenachez elle pour la première fois.

Ici, à première vue, je trouvai partout un airde décence, de modestie et d’ordre.

Dans le salon de devant où, pour mieux dire,dans la boutique étaient assises trois jeunes femmes,tranquillement occupées à des ouvrages de mode qui couvraient untrafic de choses plus précieuses. Mais il était difficile de voirtrois plus belles créatures&|160;: deux d’entre elles étaientextrêmement blondes, la plus âgée ayant à peine dix-neuf ans&|160;;la troisième, à peu près de cet âge, était une brune piquante dontles yeux noirs et brillants, les traits et la taille en parfaiteharmonie ne lui laissaient rien à envier à ses blondescompagnes&|160;; leurs toilettes étaient d’autant plus recherchéesqu’elles paraissaient moins l’être, grâce à leur cachet de propretécorrecte et d’élégante simplicité. Telles étaient les fillescomposant le petit troupeau domestique que Mme&|160;Cole régissaitavec un ordre et une habileté surprenants, étant donnée la légèreténaturelle de jeunes personnes qui ont jeté leurs bonnets par-dessusles moulins. Mais aussi elle n’en gardait dans sa maison aucunequi, après un certain noviciat, se montrât intraitable, et refusâtd’en observer les règles. Elle avait ainsi formé peu à peu unepetite famille d’amour dont les membres trouvaient si bien leurcompte dans une rare alliance déplaisir et d’intérêt d’une part etde décence extérieure de l’autre, avec une liberté secrèteillimitée que Mme&|160;Cole, qui les avaient choisies autant pourleur caractère que pour leur beauté, les gouvernait sans peine àson propre contentement et au leur.

Elle me présenta donc à ces élèves de choix,qu’elle avait d’ailleurs prévenues, comme une nouvelle pensionnairequi allait être immédiatement admise dans toutes les intimités dela maison&|160;; sur quoi ces charmantes filles m’accueillirent àbras ouverts, laissant voir que mon extérieur leur plaisaitparfaitement. Ceci devait m’étonner et je ne m’y serais guèreattendue de personnes de mon sexe, mais elles étaient réellementdressées à sacrifier toute jalousie, toute compétition de charmes,dans l’intérêt commun&|160;; elles me considéraient comme uneassociée qui apportait un bon stock de marchandises dans lecommerce de la maison. Elles s’empressèrent autour de moi,m’examinèrent de toutes parts, et, comme mon admission dans cettejoyeuse troupe était l’occasion d’une petite fête, on laissa decôté l’ouvrage de parade. Mme&|160;Cole, après quelquesrecommandations spéciales, m’abandonna à leurs caresses et sortitpour ses affaires.

La parité de sexe, d’âge, de profession et devues créa bientôt entre nous une familiarité et une intimité aussigrandes que si nous nous connaissions depuis des années. Elles mefirent voir la maison, leurs appartements respectifs remplis demeubles confortables et luxueux et, surtout, un spacieux salon oùune société joyeuse et choisie se réunissait d’ordinaire en partiesde plaisir&|160;: les filles y soupaient avec leurs galants,laissant libre carrière à leur licence&|160;; la crainte, lamodestie, la jalousie leur étaient formellement interdites&|160;;c’était, en effet, un des principes de la société que ce quipouvait manquer en fait de plaisir de sentiment fût compensé, dansune large mesure, pour les sens, par une variété piquante et partous les charmes de la volupté. Les auteurs et les soutiens decette secrète institution pouvaient à bon droit, dans leurenthousiasme, se proclamer les restaurateurs de l’âge d’or et de sasimplicité de plaisir, plutôt que de voir leur innocence siinjustement flétrie des mots de crime et de honte.

Le soir venu et les volets de la boutiquefermés, l’académie fit son ouverture. Toutes les filles, jetantleur masque de fausse modestie, se livrèrent à leurs galantsrespectifs pour le plaisir ou l’intérêt, et il convient d’observerque tout représentant du sexe mâle n’était pas indistinctementadmis, mais seulement ceux dont Mme&|160;Cole avait éprouvéd’avance le caractère et la discrétion. Bref, c’était la maisongalante de la ville la plus sûre, la mieux tenue et, en même temps,la plus confortable&|160;; tout y était conduit de telle sorte quela décence ne gênât en rien les plaisirs les plus libertins, et,dans la pratique de ces plaisirs, les familiers de la maisond’élite avaient trouvé le secret si rare et si difficile deconcilier les raffinements du goût et de la délicatesse avec lesexercices de la sensualité la plus franche et la plusprononcée.

Le lendemain, après une matinée consacrée auxcaresses et aux leçons de mes compagnes, nous nous mîmes à tablepour dîner, et alors Mme&|160;Cole, qui présidait, me donna lapremière idée de son adresse à diriger ces filles et à leurinspirer pour elle-même de si vifs sentiments d’amour et derespect. Il n’y avait, dans ce petit monde, ni raideur, ni réserve,ni airs de pique, ni jalousies&|160;: tout y était gai sansaffectation, joyeux et libre.

Après le dîner, Mme&|160;Cole, avecl’assistance des jeunes demoiselles, me prévint qu’il y aurait cesoir même un chapitre à tenir en forme, pour la cérémonie de maréception dans la confrérie&|160;: sous réserve de mon pucelage quidevait, à la première occasion, être servi tout chaud à un amateur,il me fallait subir un cérémonial d’initiation qui, elles enétaient sûres, ne me déplairait pas.

Lancée comme je l’étais et, de plus, captivéepar la séduction de mes compagnes, j’étais trop bien disposée enfaveur d’une proposition quelconque qu’elles me pouvaient faire,pour hésiter à accueillir celle-ci. Je leur donnai, en conséquence,carte blanche[16], et je reçus d’elles toutesforce baisers et compliments pour ma docilité et mon boncaractère&|160;: «&|160;J’étais une aimable fille… je prenais leschoses de bonne grâce… je n’étais pas bégueule… je serais la perlede la maison…&|160;», etc.

Ce point arrêté, les jeunes femmes laissèrentMme&|160;Cole me parler et m’expliquer les choses. Elle m’appritalors que «&|160;je serais présentée, ce soir même, à quatre de sesmeilleurs amis, l’un desquels, suivant les coutumes de la maison,aurait le privilège de m’engager dans la première partie deplaisir&|160;»&|160;; elle m’assurait, en même temps, que«&|160;c’étaient tous de jeunes gentlemen, agréables de leurpersonne et irréprochables sous tous les rapports&|160;; qu’unisd’amitié et liés ensemble par la communauté des plaisirs, ilsformaient le principal soutien de sa maison et se montraient fortlibéraux envers les filles qui leur plaisaient et lesamusaient&|160;: de sorte qu’à vrai dire, ils étaient lesfondateurs et les patrons de ce petit sérail. Elle avait sansdoute, en certaines occasions, d’autres clients avec lesquels ellemettait moins de formes&|160;; mais avec ceux-là, par exemple, iln’y avait pas moyen de me faire passer pour pucelle&|160;: ilsétaient d’abord trop connaisseurs, trop au fait de la ville pourmordre à un tel hameçon&|160;; puis ils étaient si généreux pourelle qu’elle eût été impardonnable de vouloir lestromper&|160;».

Malgré la joie et l’émotion que cette promessede plaisir, car c’est ainsi que je la prenais, excitait en moi, jerestai assez femme pour affecter un peu de répugnance, de façon àme donner le mérite de céder à la pression de ma patronne. Enoutre, je crus devoir observer que je ferais peut-être bien d’allerchez moi m’habiller, pour produire au début une meilleureimpression.

Mais Mme&|160;Cole, s’y opposant, m’assura«&|160;que les gentlemen auxquels je devais être présentée étaient,par leur éducation et leur goût, fort loin d’être sensibles à cetapparat de toilettes et de parures dont certaines femmes peusensées écrasent leur beauté, croyant la faire ressortir&|160;; queces voluptueux expérimentés les tenaient dans le plus profondmépris, eux pour qui les charmes naturels avaient seuls du prix etqui seraient toujours prêts à planter là une duchesse pâle,mollasse et fardée, pour une paysanne colorée, saine et ferme enchair&|160;; que, pour ma part, la nature avait assez fait en mafaveur pour me dispenser de ne rien demander à l’art&|160;». Enfinelle concluait que, dans la présente occasion, la meilleuretoilette était de n’en pas avoir.

Ma gouvernante me semblait trop bon juge ences matières pour ne pas m’imposer son opinion. Elle me prêchaensuite, en termes très énergiques, la doctrine de l’obéissancepassive et de la complaisance pour tous ces goûts arbitraires deplaisir, que les uns appellent des raffinements et les autres desdépravations&|160;; en décider n’était pas l’affaire d’une simplefille, intéressée à plaire&|160;: elle n’avait qu’à s’yconformer.

Tandis que je m’édifiais à écouter cesexcellentes leçons, on servait le thé, et les jeunes personnesrevinrent nous tenir compagnie.

Après une conversation pleine d’entrain et degaîté, l’une d’elles, observant que l’heure de l’assemblée étaitencore assez éloignée, proposa que chacune de nous fît à lacompagnie l’historique de cette période critique de sa vie où elleétait, pour la première fois, de fille devenue femme.

Mme&|160;Cole approuva l’idée, à conditionqu’on m’en dispensât à cause de ma prétendue virginité et aussiqu’on l’excusât elle-même à cause de son âge. La chose ainsiréglée, on pria Emily de commencer. C’était une fille blonde àl’excès et dont les membres étaient, si c’est possible, trop bienfaits, car leur plénitude charnue préjudiciait plutôt à cettedélicatesse de forme requise par les meilleurs juges de labeauté&|160;; ses yeux étaient bleus, d’une inexprimable douceur,et il n’y avait rien de plus joli que sa bouche et ses lèvres quise fermaient sur des dents parfaitement blanches et égales.«&|160;Ma naissance et mes aventures, dit-elle, ne sont point assezconsidérables pour que vous imputiez à la vanité, de ma part,l’envie de vous faire mon histoire. Mon père et ma mère étaient etsont encore, je crois, fermiers à quarante milles de Londres. Leuraveugle tendresse pour un frère et leur barbarie à mon égard mefirent prendre le parti de déserter la maison à l’âge de quinzeans. Tout mon fonds était de deux guinées, que je tenais de magrand’mère, de quelques schellings, d’une paire de boucles desouliers en argent et d’un dé de même métal. Les hardes que j’avaissur le corps composaient mon équipage. Je rencontrai, cheminfaisant, un jeune blond, vigoureux, sain et rougeaud de carnation,d’environ seize ou dix-sept ans, qui allait aussi chercher fortuneà la ville. Il trottait en sifflant derrière moi, avec un paquet aubout d’un bâton. Nous marchâmes quelque temps à la queue l’un del’autre sans nous rien dire. Enfin nous nous joignîmes et convînmesde faire la route ensemble. Quand la nuit approcha, il fallutsonger à nous mettre à couvert quelque part. L’embarras fut desavoir ce que nous répondrions en cas qu’on vînt nous questionner.Le jeune homme leva la difficulté, en me proposant de passer poursa femme. Ce prudent accord fait, nous nous arrêtâmes à une aubergeborgne où l’on logeait à pied. Mon compagnon de voyage fit apprêterce qui se trouva et nous soupâmes en tête à tête. Mais quand ce futl’heure de nous retirer, nous n’eûmes ni l’un ni l’autre le couragede détromper les gens de la maison, et ce qu’il y avait de comique,c’est que le gars paraissait plus intrigué que moi pour trouver lemoyen de coucher seul.

«&|160;Cependant l’hôtesse, une chandelle à lamain, nous conduisit au bout d’une longue cour, à un appartementséparé du corps de logis. Nous la suivîmes sans souffler mot, etelle nous laissa dans un misérable bouge, où il n’y avait pour toutmeuble qu’un grand vilain grabat et une chaise de bois toutedémantibulée. J’étais alors si innocente que je ne pensais pasfaire plus de mal en couchant avec un garçon qu’avec une de nosservantes, et peut-être n’avait-il pas eu lui-même d’autres idées,jusqu’à ce que l’occasion lui en inspirât de différentes. Quoiqu’il en soit, il éteignit la lumière avant que nous fussionsentièrement déshabillés. Lorsque j’entrai dans le lit, mon acolytey était déjà et la chaleur de son corps me fit d’autant plus deplaisir que la saison commençait à être froide. Mais que l’instinctde la nature est admirable&|160;! Le jeune homme me passant un brassous les reins se serra contre moi, comme si c’eût été seulement àdessein d’avoir plus chaud. Je sentis fermenter, pour la premièrefois, dans mes veines un feu que je n’avais jamais connu.Encouragé, je le pense, par ma docilité, il se hasarda de me donnerun baiser, que je lui rendis innocemment, sans penser que celatirât à conséquence. Bientôt ses doigts agirent et il me fittoucher ce que je ne connaissais point. Je lui demandai, avecsurprise, ce que c’était&|160;: il me dit que je le saurais si jevoulais&|160;; et n’attendant point ma réponse, il montaimmédiatement sur moi. Je me trouvai alors tellement entraînée parun pouvoir dont j’ignorais la cause que je le laissai faire en paixjusqu’à ce qu’il m’arrachât les hauts cris&|160;; mais il n’y avaitplus à reculer, le maquignon était trop bien en selle pour ledésarçonner&|160;; au contraire, les efforts que je fis ne luiservirent que mieux. Le chemin une fois frayé, nous veillâmes leplus agréablement du monde jusqu’au jour. Il serait inutile de vousennuyer par un plus long récit&|160;; c’est assez que vous sachiezque nous vécûmes ensemble tant que la misère nous sépara et me fitembrasser la profession.&|160;»

Suivant l’ordre de la situation, c’était àHarriett à nous faire son histoire. Parmi les beautés de son sexeque j’avais vues avant et depuis elle, il en est bien peu quipuissent se flatter d’égaler les siennes&|160;: elles n’étaient pasdélicates, mais la délicatesse même incarnée, tant avaient desymétrie ses membres petits, mais exactement proportionnés. Sacomplexion, blonde comme elle l’était, paraissait encore plusblonde grâce à deux yeux noirs dont l’éclat donnait à son visageplus de vivacité que n’en comportait sa couleur&|160;; un légercoloris animait ses joues pâles et diminuait insensiblement pour sefondre dans la blancheur générale. Ses traits d’une finesse deminiature achevaient de lui donner un air de douceur que nedémentait pas son caractère, porté à l’indolence, à la langueur etaux plaisirs de l’amour. Pressée de parler, Harriett sourit, rougitet commença en ces termes&|160;:

«&|160;Mon père, qui fut meunier près de laville de York, ayant perdu ma mère peu de temps après ma naissance,confia mon éducation à une de mes tantes, vieille veuve sansenfants et qui était alors gouvernante ou ménagère chez mylord N…,à sa campagne de …, où elle m’éleva avec toute la tendressepossible.

«&|160;Ayant déjà passé de deux années cet âgeque trois lustres accomplissent, plusieurs bons partiss’empressaient de me prouver leur amour, en me procurant desplaisirs frivoles. J’ignorais encore ceux qui tiennent à l’uniondes cœurs, quand la nature et la liberté, d’accord avec lepenchant, les voient éclore. Si le tempérament me laissaméconnaître ses vives impressions jusqu’à ce terme, bientôt il medédommagea avec profusion de ce que j’avais ignoré. Heureuxmoments&|160;!

«&|160;Deux ans se sont écoulés depuis que,endoctrinée par l’amour, je perdis, plus tôt qu’on ne devait s’yattendre, ce joyau si difficile à garder, et voici comment&|160;:j’étais accoutumée, lorsque ma bonne tante faisait sa méridienne,de m’aller récréer en travaillant sous un berceau que côtoyait unepetite rivière, qui rendait ce lieu fort agréable pendant leschaleurs de l’été. Une après-midi que, suivant mon habitude, jem’étais placée sur une couche de roseau, que j’avais fait mettre àce dessein dans le cabinet, la tranquillité de l’air, l’ardeurassoupissante du soleil, et, plus que tout cela peut-être, ledanger qui m’attendait, me livrèrent aux douceurs du sommeil&|160;;un panier sous ma tête me servait d’oreiller&|160;; la jeunesse etle besoin méprisent les commodités du luxe.

Il y avait au plus un quart d’heure que jedormais, quand un bruit assez fort, qui se faisait dans la rivièredont j’ai parlé plus haut, dérangea mon sommeil et m’éveilla ensursaut. Imaginez-vous ma surprise lorsque j’aperçus un beau jeunehomme, nu comme la main, qui se baignait dans l’onde qui coulait àmes pieds. Ce jeune Adonis était, comme je l’ai su depuis, le filsd’un gentleman du voisinage, qui m’était inconnu jusqu’alors.

«&|160;Les premières émotions que me causa lavue de ce jeune homme tout nu furent la crainte et lasurprise&|160;; et je vous assure que je me serais esquivée, si unemodestie fatale n’eût retenu mes pas&|160;; car je ne pouvaisgagner la maison sans être vue du jeune drôle. Je demeurai doncagitée par la crainte et la modestie, quoique la porte du cabinetoù je me trouvais étant fermée, je n’avais nulle insulte àappréhender. La curiosité anima cependant à la fin mesregards&|160;; je me mis à contempler par un trou de la cloisonle&|160;; beau garçon qui s’ébattait dans l’onde. La blancheur desa peau frappa d’abord mes yeux, et parcourant insensiblement toutson corps, je parvins à discerner une certaine place couverte d’unemousse noire et luisante au milieu de laquelle je voyais un objetrond et souple, qui m’était inconnu et se jouait en tous sens aumoindre mouvement de l’eau&|160;; mais malgré ma modestie je ne pusdétourner mes regards. Enfin toutes mes craintes firent place à desdésirs et à des transports, qui semblaient me ravir. Le feu de lanature, qui avait été caché si longtemps, commença à développer songerme&|160;; et je connus pour la première fois que j’étaisfille.

«&|160;Cependant le jeune homme avait changéde position. Il nageait maintenant sur le ventre, fendant l’eau deses jambes et de ses bras, du modelé le plus parfait qui se pûtimaginer&|160;; ses cheveux noirs et flottants se jouaient sur soncou et ses. épaules, dont ils rehaussaient délicieusement lablancheur. Enfin le riche renflement de chair, qui, de la chute desreins, s’étendait en double coupole jusqu’à l’endroit où lescuisses prennent naissance, formait, sous la transparence de l’eauensoleillée, un tableau tout à fait éblouissant.

«&|160;Pendant que je résumais en moi-même lessentiments qui agitaient mon jeune cœur, la vue toujours fixée surl’aimable baigneur, je le vis se plonger au fond de l’eau aussirapidement qu’une pierre. Comme j’avais souvent entendu parler dela crampe et des autres accidents que les nageurs ont à craindre,je m’imaginai qu’une telle cause avait occasionné sa chute. Pleinede cette idée et l’âme remplie de l’amour le plus vif, je volai,sans faire la moindre réflexion sur ma démarche, vers le lieu où jecrus que mon secours pouvait être nécessaire. Mais ne voyant plusnulle trace du jeune homme, je tombai dans une faiblesse qui doitavoir duré longtemps, car je ne revins à moi que par une douleuraiguë qui ranima mes esprits vitaux et ne m’éveilla que pour mevoir, non seulement entre les bras de l’objet de mes craintes, maistellement prise, qu’il avait complètement pénétré au-dedans demoi-même, si bien que je n’eus ni la force de me dégager ni lecourage de crier au secours. Il acheva donc de triompher de mavirginité. Immobile, sans parler, couverte du sang que monséducteur venait de faire couler et prête à m’évanouir de nouveau,par l’idée de ce qui venait de m’arriver, le jeune gentleman voyantl’état pitoyable où il m’avait réduite, se jeta à mes genoux, lesyeux remplis de larmes, en me priant de lui pardonner et en mepromettant de me donner toute la réparation qu’il serait en sonpouvoir de me faire. Il est certain que si mes forces l’avaientpermis dans cet instant, je me serais portée à la vengeance la plussanglante, tant me parut affreuse la manière dont il avaitrécompensé mon ardeur à le sauver&|160;; quoique à la vérité ilignorât ma bonne volonté à cet égard. «&|160;Mais avec quellerapidité l’homme ne passe-t-il point d’un sentiment à unautre&|160;? Je ne pus voir sans émotion mon aimable criminel fixéà mes pieds et mouiller de larmes une main que je lui avaisabandonnée et qu’il couvrait de mille tendres baisers. Il étaittoujours nu, mais ma modestie avait reçu un outrage trop cruel pourredouter désormais la contemplation du plus beau corps qu’on puissevoir, et ma colère s’était tellement apaisée que je crus accélérermon bonheur en lui pardonnant. Cependant je ne pus m’empêcher delui faire des reproches&|160;; mais ils étaient si doux&|160;!J’avais tant de soin de lui épargner l’amertume et mes yeuxexprimaient si bien cette langueur délicieuse de l’amour qu’il neput douter longtemps de son pardon&|160;; cependant il ne voulutjamais se lever que je ne lui eus promis d’oublier sonforfait&|160;; il obtint facilement sa demande et scella son pardond’un baiser qu’il prit sur mes lèvres et que je n’eus pas la forcede lui refuser.

«&|160;Après nous être réconciliés de lasorte, il me conta le mystère de mon désastre. M’ayant trouvée,lorsqu’il ressortait de l’eau, couchée sur le gazon, il crut que jepouvais m’être endormie là, sans quelque dessein prémédité. S’étantdonc approché de moi et restant en suspens de ce qu’il devaitcroire, de cette aventure, il me prit à tout hasard entre ses braspour me porter sur le lit de joncs qui se trouvait dans le cabinet,dont la porte était entr’ouverte. Là, il essaya, selon qu’il me leprotesta, tous les moyens possibles pour me rappeler à moi-même,mais sans le moindre succès. Enfin, enflammé par la vue etl’attouchement de tous mes charmes, il ne put retenir l’ardeur dontil brûlait, et les tentations plus qu’humaines que la solitude etla sécurité ne faisaient qu’accroître l’animant de plus en plus, ilme plaça alors selon son gré et disposa de moi à sa fantaisiejusqu’à ce que, tirée de mon assoupissement par la douleur qu’il mecausait, je vis moi-même le reste de son triomphe. Mon vainqueur,ayant fini son discours et découvrant dans mes yeux les symptômesde la réconciliation la plus sincère, me pressa tendrement contresa poitrine en me donnant les consolations les plus flatteuses etl’espérance des plaisirs les plus sensibles. Pendant ce temps, mesyeux ne manquaient pas d’entrevoir l’instrument du forfait, et sonpossesseur employa tant de précautions tendres, il procéda d’unefaçon si séduisante que, succombant, les feux du désir seranimèrent dans mon cœur&|160;; une seconde fois, je goûtaipleinement les délices de cet instant fortuné. «&|160;Quoique,selon notre accord, je doive ici mettre fin à mon discours, je nepuis cependant m’empêcher d’ajouter que je jouis encore quelquetemps des transports de mon amant, jusqu’à ce que des raisons defamille l’éloignèrent de moi et que je me vis obligée de me jeterdans la vie publique. J’ai donc fini.&|160;»

Louise, la brunette piquante et dont je croisinutile de retracer ici les charmes, se mit alors en devoir desatisfaire la compagnie&|160;:

«&|160;Selon mes louables maximes, dit-elle,je ne vous, révélerai point la noblesse de ma famille, puisque jene dois la vie qu’à l’amour le plus tendre, sans que les liens dumariage eussent jamais joint les auteurs de mes jours. Je fus larare production du premier coup d’essai d’un garçon ébéniste avecla servante de son maître dont les suites furent un ventre entambour et la perte de sa condition. Mon père, quoique fort pauvre,me mit cependant en nourrice chez une campagnarde jusqu’à ce que mamère, qui s’était retirée à Londres, s’y mariât à un pâtissier etme fît venir comme l’enfant d’un premier époux qu’elle disait avoirperdu quelques mois après son mariage. Sur ce pied je fus admisedans la maison et n’eus pas atteint l’âge de six ans que je perdisce père adoptif, qui laissa ma mère dans un état honnête et sansenfant de sa façon. Pour ce qui regarde mon père naturel, il avaitpris le parti de s’embarquer pour les Indes, où il était mort fortpauvre, ne s’étant engagé que comme simple matelot. Je croissaisdonc sous les yeux de ma mère, qui semblait craindre pour moi lefaux pas qu’elle avait fait, tant elle avait soin de m’éloigner detout ce qui pouvait y donner lieu. Mais je crois qu’il est aussiimpossible de changer les passions de son cœur que les traits deson visage.

«&|160;Quant à moi, l’attrait du plaisirdéfendu agissait si fortement sur mes sens qu’il me fut impossiblede ne point suivre les lois de la nature. Je cherchai donc àtromper la vigilante précaution de ma mère. J’avais à peine douzeans que cette partie dont elle s’étudiait tant à me faire ignorerl’usage me fit sentir son impatience. Cette ouverture merveilleuseavait même déjà donné des signes de sa précocité par la pousse d’untendre duvet, qui, si j’ose le dire, avait pris sa croissance sousma main et sous mes yeux. Ces sensations délicates et leschatouillements que je sentais souvent m’avaient fait assezcomprendre que c’était là le centre du vrai bonheur, sentiment quime faisait languir avec impatience après un compagnon de plaisir etqui me faisait fuir toute société où je ne croyais pas rencontrerl’objet de mes vœux, pour m’enfermer dans ma chambre, afin d’ygoûter, du moins en idées, les délices après lesquelles jesoupirais.

«&|160;Mais toutes ces méditations ne,faisaient qu’accroître mon tourment et augmenter le feu qui meconsumait. C’était bien pis encore lorsque, cédant aux irritationsinsupportables qui me tourmentaient, je tentais de les guérir.Quelquefois, dans la furieuse véhémence du désir, je me jetais surle lit et semblais y attendre le soulagement désiré, jusqu’à ceque, convaincue de mon illusion, je me laissais aller auxconsolations misérables de la solitude. Enfin, la cause de mesdésirs, par ses impétueux trémoussements et ses chatouillementsinternes, ne me laissait nuit et jour aucun repos. Je croyaiscependant avoir beaucoup gagné lorsque, me figurant qu’un de mesdoigts ressemblait à mon souhait, je m’en servis avec une agitationdélicieuse entremêlée de douleur, car je me déflorais autant qu’ilétait en mon pouvoir, et j’y allais de si bon cœur que je metrouvais souvent étendue sur mon lit, dans une véritable pâmoisonamoureuse.

«&|160;Mais l’homme, comme je l’avais bienconçu, possédait seul ce qui pouvait me guérir de cettemaladie&|160;; cependant, gardée à vue de la manière que jel’étais, comment tromper la vigilance de ma mère et comment meprocurer, le plaisir de satisfaire ma curiosité et de goûter unevolupté délicieuse et inconnue jusqu’alors à mes sens&|160;?

«&|160;À la fin, un accident singulier meprocura ce que j’avais désiré si longtemps sans fruit. Un jour quenous dînions chez une voisine, avec une dame qui occupait notrepremier, ma mère fut obligée d’aller à Greenwich. La partie étantfaite, je feignis, je ne sais comment, un mal de tête que jen’avais pas&|160;; ce qui fit que ma mère me confia à une vieilleservante de boutique, car nous n’avions aucun homme dans lamaison.

«. Lorsque ma mère fut partie, je dis à laservante que j’allais me reposer sur le lit de la dame qui logeaitchez nous, le mien n’étant pas dressé, et que, n’ayant besoin qued’un peu de repos pour me remettre, je la priais de ne point venirm’interrompre. Lorsque je fus dans la chambre, je me délaçai et mejetai à moitié nue sur le lit. Là je me livrai de nouveau à mesvieilles et insipides coutumes&|160;; la force de mon tempéramentm’excitant, je cherchai partout des secours que je ne pouvaistrouver&|160;; j’aurais mordu mes doigts de rage, de ce qu’ilsreprésentaient si mal la seule chose qui pût me satisfaire, jusqu’àce que, assoupie par mes agitations, je m’endormis légèrement pourjouir d’un rêve qui, sans doute, devait m’avoir fait prendre lespositions les plus séduisantes.

«&|160;À mon réveil, je trouvai avec surprisema main dans celle d’un jeune homme qui se tenait à genoux devantmon lit et qui me demandait pardon de sa hardiesse. Il me dit qu’ilétait le fils de la dame qui occupait la chambre&|160;; qu’il étaitmonté sans avoir été aperçu par la servante, et que, m’ayanttrouvée endormie, sa première résolution avait été de retourner surses pas, mais qu’il avait été retenu par un pouvoirirrésistible.

«&|160;Que vous dirai-je&|160;? Les émotions,la surprise et la crainte furent d’abord chassées par les idées duplaisir que j’attendais de cette aventure. Il me sembla qu’un angeétait descendu du ciel à dessein&|160;; car il était jeune et bientourné, ce qui était plus que je n’en demandais&|160;; l’hommeétait ce que mon cœur désirait de connaître. Je crus ne devoirménager ni mes yeux, ni ma voix, ni aucune avance pour l’encouragerà répondre à mes désirs. Je levai donc la tête, pour lui dire quesa mère ne pouvant revenir que vers la nuit, nous ne devions riencraindre de sa part&|160;; mais je vis bientôt que je n’avais pasbesoin de l’encourager et qu’il n’était pas si novice que je lecroyais, car il me dit que si j’avais connu ses dispositions,j’aurais eu plus à espérer de sa violence qu’à craindre de sonrespect.

«&|160;Voyant que les baisers qu’il imprimaitsur ma main n’étaient pas dédaignés, il se leva, et collant sabouche sur mes lèvres brûlantes, il me remplit d’un feu si vif queje tombai doucement à la renverse et lui avec moi. Les momentsétaient trop précieux pour les perdre en vaines simagrées&|160;;mon jeune garçon procéda d’abord à l’affaire principale, pendantqu’étendue sur mon lit je désirais l’instant de l’attaque, avec uneardeur peu commune à mon âge. Il leva mes jupes et ma chemise.Cependant, mes désirs augmentant à mesure que je voyais lesobstacles s’évanouir, je n’écoutai ni pudeur, ni modestie, etchassant au loin la timide innocence, je ne respirai plus que lesfeux de la jouissance&|160;; une rougeur vive colorait mon visage,mais insensible à la honte, je ne connaissais que l’impatience devoir combler mes désirs.

«&|160;Jusqu’alors je m’étais servie de tousles moyens qui m’avaient paru propres à soulager mestourments&|160;; mais quelle différence de ces attouchements à moninsipide manuélisation&|160;!

«&|160;Enfin, après s’être amusé quelque tempsavec ma petite fente, qui palpitait d’impatience, il déboutonne songilet et son haut-de-chausse, et montre à mes regards avidesl’objet de tous mes soupirs, de tous mes rêves et de tout monamour. Je le parcours des yeux avec délices… mais bientôt jel’accueillis avec ravissement.

«&|160;Rien ne me paraissait préférable à lajouissance que j’allais goûter, de sorte que, craignant que ladouleur n’empêchât le plaisir, je joignis mes secousses à celles demon athlète. À peine poussai-je quelques tendres plaintes.

«&|160;Extasiée, je me livrai à ses transportscorps et âme, puis je restai quelque temps accablée par la fatigueet le plaisir.

«&|160;C’est ainsi que je vis s’accomplir mesplus violents désirs et que je perdis cette babiole dont la gardeest semée de tant d’épines&|160;; un accident heureux et inopiné meprocura cette occasion, car ce jeune gentleman arrivait à l’instantdu collège et venait familièrement dans la chambre de sa mère, dontil connaissait la situation pour y avoir été souvent autrefois,quoique je ne l’eusse jamais vu et que nous ne nous connussions qued’ouï-dire.

«&|160;Les précautions du jeune athlète, cettefois et plusieurs autres, que j’eus le plaisir de le voir,m’épargnèrent le désagrément d’être surprise dans mes fréquentsexercices. Mais la force d’un tempérament que je ne pouvaisréprimer, et qui me rendait les plaisirs de la jouissancepréférables à ceux d’exister, m’ayant souvent trahie par desindiscrétions fatales à ma fortune, je tombai à la fin dans lanécessité d’être le partage du public, ce qui, sans doute, eûtcausé ma perte, si la fortune ne m’eût fait rencontré ce tranquilleet agréable refuge.&|160;»

À peine Louisa avait-elle cessé de parlerqu’on nous avertit que la compagnie était réunie et nousattendait.

Là-dessus, Mme&|160;Cole, me prenant par lamain, avec un sourire d’encouragement, me conduisit en hautprécédée de Louisa qui nous éclairait avec deux bougies, une danschaque main.

Sur le palier du premier étage, nousrencontrâmes un jeune gentleman, extrêmement bien mis et d’unejolie figure&|160;: c’était lui qui devait le premier m’initier auxplaisirs de la maison. Il me salua avec beaucoup de courtoisie et,me prenant par la main, m’introduisit dans le salon, dont leparquet était couvert d’un tapis de Turquie et le mobiliervoluptueusement approprié à toutes les exigences de la luxure laplus raffinée&|160;; de nombreuses lumières l’emplissaient d’uneclarté à peine inférieure, mais peut-être plus favorable au plaisirque celle du grand jour.

À mon entrée dans la salle, j’eus le plaisird’entendre un murmure d’approbation courir dans toute la compagnie,qui se composait maintenant de quatre gentlemen, y compris monparticulier (c’était le terme usité dans la maison pourdésigner le galant temporaire de telle ou telle fille), les troisjeunes femmes, en simple déshabillé, la maîtresse de l’académie etmoi-même. Je fus accueillie et saluée par des baisers tout à laronde&|160;; mais je n’avais pas de peine à sentir, dans la chaleurplus intense de ceux des hommes, la distinction des sexes.

Émue et confuse comme je l’étais à me voirentourée, caressée et courtisée par. tant d’étrangers, je ne pussur-le-champ m’approprier cet air joyeux et de belle humeur quidictait leurs compliments et animait leurs caresses. Ilsm’assurèrent que j’étais parfaitement de leur goût, si ce n’est quej’avais un défaut, facile d’ailleurs à corriger&|160;: ma modestie.Cela pouvait passer pour un attrait de plus, si l’on avait besoinde ce piment&|160;; mais pour eux, c’était une impertinente mixturequi empoisonnait la coupe du plaisir. En conséquence, ilsconsidéraient la pudeur comme leur ennemie mortelle et ne luifaisaient aucun quartier lorsqu’ils la rencontraient. Ce prologuen’était pas indigne des débats qui suivirent.

Au milieu des badinages auxquels se livraitcette joyeuse bande, on servit un élégant souper&|160;; mon galantdu jour s’assit à côté de moi, et les autres couples se placèrentsans ordre ni cérémonie. La bonne chère et les vins généreux ayantbientôt banni toute réserve, la conversation devint aussi librequ’on pouvait le désirer, sans tomber toutefois dans lagrossièreté&|160;: ces professeurs de plaisir étaient trop aviséspour en compromettre l’impression et la laisser évaporer avec desmots, avant d’en venir à l’action. Des baisers toutefois, étaientpris de temps en temps et si un mouchoir autour du cou interposaitsa faible barrière, il n’était pas scrupuleusement respecté&|160;;les mains des hommes se mettaient à l’œuvre avec leur pétulanceordinaire. Enfin, les provocations des, deux côtés en vinrent à cepoint que mon particulier ayant proposé de commencer lesdansesvillageoises, l’assentiment fut immédiat etunanime&|160;: il présumait, ajouta-t-il en riant, que lesinstruments étaient bien au ton. C’était le signal de sepréparer&|160;: sur quoi la complaisante Mme&|160;Cole, quicomprenait la vie, prit sur elle de disparaître&|160;; n’étant plusapte au service personnel et satisfaite d’avoir réglé l’ordre debataille, elle nous laissait le champ libre pour y combattre àdiscrétion.

Aussitôt son départ, on transporta la table dumilieu de la salle sur l’un des côtés et l’on mit à sa place unsopha. Mon particulier, à qui j’en demandai le motif,m’expliqua que, «&|160;cette soirée étant spécialement donnée enmon honneur, les associés se proposaient à la fois de satisfaireleur goût pour les plaisirs variés et, en me rendant témoin deleurs exercices, de me voir dépouiller cet air de réserve et demodestie qui, à leur sens, empoisonnait la gaieté&|160;; bien qu’àl’occasion ils prêchassent le plaisir et vécussent conformément àleurs principes, ils ne voulaient pas se poser systématiquement enmissionnaires&|160;: et il leur suffisait d’entreprendrel’instruction pratique de toutes les jolies femmes qui leurplaisaient assez pour motiver leur genre et qui montraient du goûtpour cette instruction. Mais comme une telle ouverture pouvait êtreviolente, trop choquante pour une jeune novice, les anciensdevaient donner l’exemple, et il espérait que je le suivraisvolontiers, puisque c’était à lui que j’étais dévolue pour lapremière expérience. Toutefois, j’étais parfaitement libre derefuser&|160;: c’était, dans son essence, une partie de plaisir quisupposait l’exclusion de toute violence et de toutecontrainte&|160;».

Ma contenance exprimait sans doute masurprise, et mon silence mon acquiescement. J’étais embarquéedésormais et parfaitement décidée à suivre la compagnie dansn’importe quelle aventure&|160;:

Les premiers qui ouvrirent le balfurent un jeune guidon des gardes à cheval et cette perle desbeautés olivâtres, la voluptueuse Louisa. Notre cavalier la poussasur le sopha, où il la fit tomber à la renverse et s’y étendit avecun air de vigueur qui annonçait une amoureuse impatience. Louisas’était placée le plus avantageusement possible&|160;; sa tête,mollement appuyée sur un oreiller, était fixée vis-à-vis de sonamant et notre présence paraissait être le moindre de ses soucis.Ses jupes et sa chemise levées nous découvrirent les jambes lesmieux tournées qu’on pût voir et nous pouvions contempler à notreaise l’avenue la plus engageante bordée et surmontée d’une agréabletoison qui se séparait sur les côtés. Le galant était débarrassé deses habits de dentelles et nous montrait sa virilité à son maximumde puissance et prête à combattre&|160;; mais, sans nous donner letemps de jouir de cette agréable vue, il se jeta sur son aimableantagoniste, qui le reçut en véritable héroïne. Il est vrai quejamais fille n’eut comme elle une constitution plus heureuse pourl’amour et une vérité plus grande dans l’expression de ce qu’elleressentait. Nous remarquâmes alors le feu du plaisir briller dansses yeux, surtout lorsqu’elle fut aiguillonnée par l’instrumentplénipotentiaire. Enfin, les irritations redoublèrent avec tantd’effervescence qu’elle perdit toute autre connaissance que cellede la jouissance qu’elle éprouvait. Alors elle s’agita avec unefureur si étrange qu’elle remuait avec une violence extraordinaire,entremêlant des soupirs enflammés à la cadence de ses mouvements etaux baisers de tourterelles, aux pénétrantes et inoffensivesmorsures qu’elle échangeait avec son amant, dans une frénésie dedélices. Enfin, ils arrivèrent l’un et l’autre à la périodedélectable. Louisa, tremblante et hors d’haleine, criait par motsentrecoupés&|160;:

&|160;

«&|160;Ah&|160;! monsieur, mon cher monsieur…,je vous… je vous prie… ne m’épar… gnez… ne m’épargnez pas…ah&|160;!… ah&|160;!…»

Ses yeux se fermèrent langoureusement à lasuite de ce monologue et l’ivresse la fit mourir pour renaître plustôt sans doute qu’elle n’aurait voulu.

Lorsqu’il se trouva désarçonné, Louisa seleva, vint à moi, me donna un baiser et me tira près de la table,où l’on me fit boire un verre de vin, accompagné d’un toasthonnêtement facétieux de l’invention de Louisa.

Cependant, le second couple s’apprêtait àentrer en lice&|160;; c’étaient un jeune baronnet et la tendreHarriett. Mon gentil écuyer vint m’en avertir et me conduisit versle lieu de la scène.

Harriett fut donc menée sur la couche vacante.Rougissant lorsqu’elle me vit, elle semblait vouloir se justifierde l’action qu’elle allait commettre et qu’elle ne pouvait éviter…Son amant (car il l’était véritablement) la mit sur le pied dusopha et, passant ses bras autour de son cou, préluda par luidonner des baisers savoureusement appliqués sur ses belles lèvres,jusqu’à ce qu’il la fît tomber doucement sur un coussin disposépour la recevoir, et se coucha sur elle. Mais, comme s’il avait sunotre idée, il ôta son mouchoir et lui découvrit la poitrine. Quelsdélicieux manuels de dévotion amoureuse&|160;! Quel fin etinimitable modelé&|160;! petits, ronds, fermes et d’une éclatanteblancheur, le grain de la peau si doux, si agréable au toucher etleurs tétins, qui les couronnaient, de véritables boutons derose&|160;! Après avoir régalé ses yeux de ce charmant spectacle,régalé ses lèvres de baisers savoureux imprimés sur chacun de cesdélicieux jumeaux, il se mit en devoir de descendre plus bas.

Il leva peu à peu ses jupes et exposa à notrevue la plus belle parade que l’indulgente nature ait accordée ànotre sexe. Toute la compagnie qui, moi seule exceptée, avait eusouvent le spectacle de ces charmes, ne put s’empêcher d’applaudirà la ravissante symétrie de cette partie, de l’aimable Harriett,tant il est vrai que ces beautés admirables, étaient dignes dejouir d’une éternelle nouveauté. Ses jambes étaient sidélicieusement façonnées qu’avec un peu plus ou un peu moins dechair, elles eussent dévié de ce point de perfection qu’on leurvoyait. Et le gentil sillon central était chez cette fille en égalesymétrie de délicatesse et de miniature avec le reste de son corps.Non, la nature ne pouvait rien offrir de plus merveilleusementciselé. Enfin un ombrage épais répandait sur ce point du paysage unair de fini que les mots seraient impuissants à rendre et la penséemême à se figurer.

Son cher amant, qui était resté absorbé par lavue de ces beautés, s’adressa enfin au maître de ces ébats et nousle montra qui par sa taille méritait le titre de héros aux yeuxd’une femme. Il se plaça et nous aperçûmes toutes les gradations duplaisir&|160;; les yeux humides et perlés de la belle Harriett, lefeu de ses joues annoncèrent le bonheur auquel elle était prèsd’atteindre. Elle resta quelque temps immobile, jusqu’à ce que, lesaiguillons du plaisir se dirigeant vers le point central, elle nepût retenir davantage ses transports&|160;; ses mouvements,d’accord avec ceux de son vainqueur, ne faisaient ques’accroître&|160;; les clignotements de leurs yeux, l’ouvertureinvolontaire de leurs bouches et la molle extension de tous lesmembres firent enfin connaître à l’assemblée contemplative l’extasesuprême.

L’aimable couple garda dans le silence cettedernière situation, jusqu’à ce qu’enfin un baiser langoureux donnéet repris marqua le triomphe et la joie du héros qui venait devaincre.

Dès qu’Harriett fut délivrée, je volai verselle et me plaçai à son côté, lui soulevant la tête, ce qu’ellerefusa en reposant son visage sur mon sein, pour cacher la honteque lui donnait la scène passée, jusqu’à ce qu’elle eût repris peuà peu sa hardiesse et qu’elle se fût restaurée par un verre de vin,que mon galant lui présenta pendant que le sien rajustait sesaffaires.

Cependant le partenaire d’Emily l’avaitinvitée à prendre part à la danse&|160;; la toute blonde etaccommodante créature se leva aussitôt. Si une complexion à fairehonte aux lis et aux roses, des traits d’une extrême finesse etcette fleur de santé qui donne tant de charme aux villageoisespouvaient la faire passer pour une beauté, elle l’était assurémentet l’une des plus éclatantes parmi les blondes.

Son galant s’occupa d’abord, tandis qu’elleétait debout, de dégager ses seins et de leur rendre la liberté, cequi n’était pas difficile, car ils n’étaient retenus que par lecorsage. À peine se montrèrent-ils que la salle nous parut éclairéed’une nouvelle lumière, tant leur blancheur avait d’éclat. Leurrondeur était si parfaite, si bien remplie qu’on eût dit de lachair solidifiée en marbre&|160;; ils en avaient le poli et lelustré, mais le marbre le plus blanc n’eût pas égalé les teintesvives et claires de leur peau, nuancée dans sa blancheur de veinesbleuâtres. Comment se défendre de séductions aussipressantes&|160;? Il toucha légèrement ces deux globes, et la peaubrillante et lisse éluda sa main qui glissa sur la surface&|160;;il les comprima, et la chair élastique qui, les remplissait, ainsicreusée de force, rebondit sous sa main, effaçant aussitôt la tracede la pression. Telle était, du reste, la consistance de tout soncorps, dans ces parties principalement où la plénitude de la chairconstitue cette belle fermeté qui est si attrayante au toucher.

Après quelque temps employé à ces caresses, illui releva la jupe et la chemise, qu’il enroula sur la ceinture, desorte qu’ainsi troussée elle était nue de toute part. Son charmantvisage se couvrit alors de rougeur, et ses yeux, baissés vers lesol, semblaient demander grâce quand elle avait, au contraire, tantde raisons de s’enorgueillir de tous les trésors de jeunesse et debeauté qu’elle étalait si victorieusement. Ses jambes étaient bienfaites, et ses cuisses, qu’elle tenait serrées, si blanches, sirondes, si substantielles et si riches en chair, que rien n’étaitplus capable de provoquer l’attouchement. Aussi ne s’en priva-t-ilpoint. Ensuite, écartant doucement sa main, qui dans le premiermouvement d’une modestie naturelle s’était portée là, il nous fitentrevoir ce mignon défilé qui descendait et se perdait entre sescuisses. Mais ce que nous pouvions pleinement contempler, c’étaitau-dessus la luxuriante crépine de boucles d’un brun clair, dont lateinte soyeuse tranchait sur la blancheur des environs et s’entrouvait elle-même rehaussée. Il la conduisit au pied du sopha, etlà, approchant un oreiller, il lui inclina doucement la têtequ’elle y appuya sur ses mains croisées, si bien que, le corps ensaillie, elle présentait une pleine vue d’arrière de sa personnenue jusqu’à la ceinture. Son postérieur charnu, lisse et proéminentformait une double et luxuriante nappe de neige animée quiremplissait glorieusement l’œil et suivant la pente de ses blanchescollines, dans l’étroite vallée qui les séparait, s’arrêtait ets’absorbait dans la cavité inférieure&|160;; celle-ci, quiterminait ce délicieux tableau, s’entr’ouvrait légèrement, grâce àla posture penchée, de sorte que l’agréable vermillon del’intérieur se laissait apercevoir et, rapproché du blanc quiéclatait tout autour, donnait en quelque sorte l’idée d’un œilletrose découpé dans un satin blanc et lustré.

Le galant, qui était un gentleman d’environtrente ans et quelque peu affecté d’un embonpoint qui n’avait riende désagréable, choisit cette situation pour exécuter son projet.Il la plaça donc à son gré, et l’encourageant par des baisers etdes caresses, il choisit une direction convenable, et tenant sesmains autour du corps de la jeune fille, il en jouait avec sesseins enchanteurs. Lorsqu’elle le sentit chez elle, levant la têteet tournant un peu le cou, elle nous fit voir ses belles joues,teintes d’un écarlate foncé, et sa bouche, exprimant le sourire dubonheur, sur laquelle il appliqua un baiser de feu. Se retournantalors, elle s’enfonça de nouveau dans son coussin, et resta dansune situation passive, aussi favorable que son amant pouvait ledésirer. Puis ils se laissèrent aller sur la couche, et ils yrestèrent encore quelque temps, et dans la plus pure extase de lavolupté.

Aussitôt qu’Emily fut libre, nous l’entourâmespour la féliciter sur sa victoire&|160;; car il est à remarquerque, quoique toute modestie fût bannie de notre société, l’on yobservait néanmoins les bonnes manières et la politesse&|160;; iln’était pas permis ni de montrer de la hauteur, ni de faire aucunsreproches désobligeants sur la condescendance des filles pour lescaprices des. hommes, lesquels ignorent souvent le tort qu’ils sefont en ne respectant pas assez les personnes qui cherchent à leurplaire.

La compagnie s’approcha ensuite de moi, et montour étant venu de me soumettre à la discrétion de mon amant et àcelle de l’assemblée, le premier m’aborda et me dit, en me saluantavec tendresse, qu’il espérait que je voudrais bien favoriser sesvœux&|160;; mais que si les exemples que je venais de voirn’avaient pas encore disposé mon cœur en sa faveur, il aimeraitmieux se priver de ma possession que d’être en aucune façonl’instrument de mon chagrin.

Je lui répondis sans hésiter ou sans faire lamoindre grimace que si même je n’avais pas contracté un engagementformel avec lui, l’exemple d’aussi aimables compagnes suffiraitpour me déterminer&|160;; que la seule chose que je craignais étaitle désavantage que j’aurais après la vue des beautés que j’avaisadmirées, et qu’il pouvait compter que je le pensais comme jevenais de le dire.

La franchise de ma réponse plut beaucoup etmon galant reçut les compliments de félicitations de toute lacompagnie.

Mme&|160;Cole n’aurait pu me choisir uncavalier plus estimable que le jeune gentleman qu’elle m’avaitprocuré&|160;; car indépendamment de sa naissance et de ses grandsbiens, il était d’une figure des plus agréables et de la taille lamieux prise&|160;; enfin il était ce que les femmes nomment un fortjoli garçon.

Il me mena vers l’autel où devait se consommernotre mariage de conscience et, comme je n’avais qu’un petitnégligé blanc, je fus bientôt mise en jupon et en chemise qui,d’accord aux, vœux de toute la compagnie, me furent encore ôtés parmon amant&|160;; il défit de même ma coiffure et dénoua mescheveux, que j’avais, sans vanité, fort beaux. Je restai doncdevant mes juges&|160;; dans l’état de pure nature et je dois sansdoute leur avoir offert un spectacle assez agréable, n’ayant alorsqu’environ dix-huit ans. Mes seins, ce qui dans l’état de nuditéest une chose essentielle, n’avaient alors rien de plus qu’unegracieuse plénitude, ils conservaient une fermeté, une indépendancedu corset ou de tout autre support qui incitait à les palper.J’étais d’une taille grande et déliée, sans être dépourvue d’unechair nécessaire. Je n’avais point abandonné tellement la pudeurnaturelle, que je ne souffrisse une horrible confusion de me voirdans cet état&|160;; mais la bande joyeuse m’entoura et, mecomblant de mille politesses et de témoignages d’admiration, ne medonna pas le temps d’y réfléchir beaucoup&|160;; j’étais troporgueilleuse, d’ailleurs, d’avoir été honorée de l’approbation desconnaisseurs.

Après que mon galant eut satisfait sacuriosité et celle de la compagnie, en me plaçant de millemanières, la petitesse du point capital me faisant passer pour unevierge, mes précédentes aventures n’avaient fait là qu’une brècheinsignifiante. Les traces d’une trop grande distension étaient vitedisparues à mon âge et puis la nature m’avait faite étroite. Monantagoniste, animé d’une noble fureur, défit tout à coup seshabits, jeta bas sa chemise et resta nu, exposant au grand jour monennemi. Il était d’une grandeur médiocre, préférable à cette taillegigantesque qui dénote ordinairement une défaillance prématurée.Collé contre mon sein, il fit entrer son idole dans la niche.Alors, fixé sur le pivot je jetai mes bras autour de son cou etnous fîmes trois fois le tour du sopha sans nous quitter. M’y ayantdéposée, il commença à moudre du blé et nous atteignîmes bientôt lapériode délicieuse, mais comme mon feu n’était éteint qu’à demi, jetâchai de recommencer&|160;; mon antagoniste me seconda si bien quenous nous plongeâmes dans une mer de délices. Me rappelant alorsles scènes dont j’avais été spectatrice et celle que jereprésentais moi-même en ce moment, je ne pus retenir mesirritations et je fus prête à le désarçonner par les mouvementsviolents que je me donnai. Après être resté quelque temps dans unelangueur, délectable, jusqu’à ce que la force du plaisir fût un peumodérée, mon amant se dégagea doucement, non sans m’avoir témoignéauparavant sa satisfaction par mille baisers et mille protestationsd’un amour éternel.

La compagnie, qui pendant notre sacrificeavait gardé un profond silence, m’aida à remettre mes habits et mecomplimenta de l’hommage que mes charmes avaient reçu, comme ellele disait, par la double décharge que j’avais subie dans une seuleconjonction. Mon galant me témoigna tout son contentement et lesfilles me félicitèrent d’avoir été initiée dans les tendresmystères de leur société.

C’était une loi inviolable, dans cettesociété, de s’en tenir chacun à la sienne, surtout la nuit, à moinsque ce ne fût du consentement des parties, afin d’éviter le dégoûtque ce changement pouvait causer.

Il était nécessaire de se rafraîchir&|160;; onprit une collation de biscuits et de vin, de thé, dechocolat&|160;; ensuite la compagnie se sépara à une heure aprèsminuit et descendit deux à deux. Mme&|160;Cole avait fait préparerpour mon galant et pour moi un lit de campagne, où nous passâmes lanuit dans des plaisirs répétés de mille manières différentes. Lematin, après que mon cavalier fût parti, je me levai et comme jem’habillais, je trouvai dans une de mes poches une bonne bourse deguinées, que j’étais occupée à compter quand Mme&|160;Cole entra.Je lui fis part de cette aubaine et lui offris de la partager entrenous&|160;; mais elle me pressa de garder le tout, m’assurant quece gentleman l’avait payée fort généreusement. Après quoi elle merappela les scènes de la veille et me fit connaître qu’elle avaittout vu par une cloison, faite exprès, qu’elle me montra.

À peine Mme&|160;Cole eut-elle fini que latroupe folâtre des filles entra et renouvela ses caresses a monégard&|160;; j’observai avec plaisir que les fatigues de la nuitprécédente n’avaient en aucune façon altéré la fraîcheur de leurteint&|160;; ce qui venait, à ce qu’elles me dirent, des soins etdes conseils que notre bonne mère abbesse leur donnait. Ellesdescendirent dans la boutique, tandis que je restai dans ma chambreà me dorloter jusqu’à l’heure du dîner.

Le repas fini, il me prit un léger mal detête, qui me fit résoudre à me mettre quelques moments sur mon lit.M’étant couchée avec mes habits et ayant goûté environ une heureles douceurs du sommeil, mon galant vint, et me voyant seule, latête tournée du côté de la muraille et le derrière hors du lit, ildéfit incontinent ses habits, puis levant mes vêtements, il mit aujour l’arrière-avenue de l’agréable recoin des délices. Ilm’investit ainsi derrière et je sentis sa chaleur naturelle, quim’éveilla en sursaut&|160;; mais ayant vu qui c’était, je voulus metourner vers lui, lorsqu’il me pria de garder la posture que jetenais. Après que j’eus resté quelque temps dans cette position, jecommençai à m’impatienter et à me démener, à quoi mon ami m’aida desi bon cœur que nous finîmes bientôt.

Je fus assez heureuse pour conserver mon amantjusqu’à ce que des intérêts de famille et une riche héritière qu’ilépousa, en Irlande, l’obligèrent à me quitter. Nous avions vécu àpeu près quatre mois ensemble, pendant lesquels notre petitconclave s’était insensiblement séparé. Néanmoins Mme&|160;Coleavait un si grand nombre de bonnes pratiques que cette désertion nenuisit en nulle manière à son négoce. Pour me consoler de monveuvage, Mme&|160;Cole imagina de me faire passer pourvierge&|160;; mais je fus destinée, comme il le semble, à être mapropre pourvoyeuse sur ce point.

J’avais passé un mois dans l’inaction, aiméede mes compagnes et chérie de leurs galants, dont j’éludaistoujours les poursuites (je dois dire ici que ceci ne s’appliquepas au baronnet qui était bientôt parti emmenant Harriett),lorsque, passant un jour, à cinq heures du soir, chez une fruitièredans Covent-Garden, j’eus l’aventure suivante.

Tandis que je choisissais quelques fruits dontj’avais besoin, je remarquai que j’étais suivie par un jeunegentleman habillé très richement, mais qui, au reste, n’avait riende remarquable, étant d’une figure fort exténuée et fort pâle devisage. Après m’avoir contemplée quelque temps, il s’approcha dupanier où j’étais et fit semblant de marchander quelques fruits.Comme j’avais un air modeste et que je gardais le décorum le plushonnête, il ne put soupçonner la condition dont j’étais. Il meparla enfin, ce qui jeta&|160;un rouge apparent de pudeur sur mesjoues, et je répondis si sottement à ses demandes qu’il lui futplus que jamais impossible de juger de la vérité&|160;; ce qui faitbien voir qu’il y a une sorte de prévention dans l’homme, qui,lorsqu’il ne juge que par les premières idées, le mène souventd’erreur en erreur, sans que sa grande sagesse s’en aperçoive.Parmi les questions qu’il me fit, il me demanda si j’étais mariée.Je répondis que j’étais trop jeune pour y penser encore. Quant àmon âge, je jugeai ne devoir me donner que dix-sept ans. Pour cequi regardait ma condition, je lui dis que j’avais été à Preston,dans une boutique de modes, et que présentement j’exerçais le mêmemétier à Londres. Après qu’il eut satisfait avec adresse, comme ille pensait, à sa curiosité et qu’il eut appris mon nom et mademeure, il me chargea des fruits les plus rares qu’il put trouveret partit fort content, sans doute, de cette heureuserencontre.

Dès que je fus arrivée à la maison, je fispart à Mme&|160;Cole de l’aventure que j’avais eue&|160;; d’où elleconclut sagement que s’il ne venait point me trouver il n’y avaitaucun mal&|160;; mais que s’il passait chez elle, il faudraitexaminer si l’oiseau valait bien les filets.

Notre gentleman vint le lendemain matin danssa voiture et fut reçu par Mme&|160;Cole, qui s’aperçut bientôt quej’avais fait une trop vive impression sur ses sens pour craindre dele perdre, car, pour moi, j’affectais de tenir la tête baissée etsemblais redouter sa vue. Après qu’il eut donné son adresse àMme&|160;Cole et payé fort libéralement ce qu’il venait d’acheter,il retourna dans son carrosse.

J’appris bientôt que ce gentleman n’étaitautre chose que Mr. Norbert, d’une fortune considérable, mais d’uneconstitution très faible, et lequel, après avoir épuisé toutes lesdébauches possibles, s’était mis à courir les petites filles.Mme&|160;Cole conclut de ces prémisses qu’un tel caractère étaitune juste proie pour elle&|160;; que ce serait un péché de n’enpoint tirer la quintessence, et qu’une fille comme moi n’était quetrop bonne pour lui.

Elle fut donc chez lui à l’heure indiquée.C’était un hôtel du quartier de la Cour de justice. Après avoiradmiré l’ameublement riche et luxurieux de ses appartements ets’être plainte de l’ingratitude de son métier, elle fit que laconversation tomba insensiblement sur moi. Alors, s’armant detoutes les apparences d’une vertu rigide, louant surtout mescharmes et ma modestie, elle finit par lui donner l’espérance dequelques rendez-vous, qui ne devaient cependant pas, disait-elle,tirer à conséquence.

Comme elle craignait que de trop grandesdifficultés ne le dégoûtassent, ou que quelque accident imprévu nefît éventer notre mèche, elle fit semblant de se laisser gagner parses promesses, ses bonnes manières, mais surtout par la sommeconsidérable que cela lui vaudrait.

Ayant donc mené ce gentleman par lesdifférentes gradations des difficultés nécessaires pour l’enflammerdavantage, elle acquiesça enfin à sa demande, à condition qu’ellene parût entrer pour rien dans l’affaire qu’on tramait contre moi.Mr. Norbert était naturellement assez clairvoyant et connaissaitparfaitement les intrigues de la ville, mais sa passion, quil’aveuglait, nous aida à le tromper. Tout étant au point désiré,Mme&|160;Cole lui demanda trois cents guinées pour ma part et centpour récompenser ses peines et ses scrupules de conscience qu’elleavait dû vaincre avec bien de la répugnance. Cette somme devaitêtre comptée claire et nette à la réception qu’il ferait de mapersonne, qui lui avait paru plus modeste et plus charmante encorependant quelques moments que nous nous vîmes chez notreambassadrice, que lorsque nous parlâmes chez la fruitière, du moinsl’assurait-il. Je dois dire qu’il est singulier combien peu j’avaiseu à forcer mon air de modestie naturelle pour avoir l’air d’unevéritable vierge.

Lorsque tous les articles de notre traitéfurent pleinement conclus et ratifiés et que la somme eût étépayée, il ne resta plus qu’à livrer ma personne à sa disposition.Mais Mme&|160;Cole fit difficulté de me laisser sortir de la maisonet prétendit que la scène se passât chez nous, quoiqu’elle n’auraitpoint voulu, pour tout au monde, comme elle le disait, que ses gensen sussent quelque chose — sa bonne renommée serait perdue pourjamais et sa maison diffamée.

La nuit fixée, avec tout le respect dû àl’impatience de notre héros, Mme&|160;Cole ne négligea ni soins niconseils pour que je me tirasse avec honneur de ce pas, et que maprétendue virginité ne tombât point à faux. La nature m’avait formécette partie si étroite que je pouvais me passer de tous cesremèdes vulgaires, dont l’imposture se découvre si aisément par unbain chaud&|160;; et notre abbesse m’avait encore fourni pour lebesoin un spécifique qu’elle avait toujours trouvé infaillible.

Toutes choses préparées, Mr. Norbert entradans ma chambre à onze heures de la nuit, avec tout le secret ettout le mystère nécessaires. J’étais couchée sur le lit deMme&|160;Cole, dans un déshabillé moderne, et avec toute la crainteque mon rôle devait m’inspirer&|160;; ce qui me remplit d’uneconfusion si grande qu’elle n’aida pas peu à tromper mon galant. Jedis galant, car je crois que le mot dupe est trop cruel enversl’homme dont la faiblesse fait souvent notre gloire.

Aussitôt que Mme&|160;Cole, après lessingeries que cette scène demandait, eut quitté la chambre, quiétait bien éclairée à la réquisition de Mr. Norbert, il vintsautiller vers le lit, où je m’étais cachée sous les draps et où jeme défendis quelque temps avant qu’il pût parvenir à me donner unbaiser, tant il est vrai qu’une fausse vertu est plus capable derésistance qu’une modestie réelle&|160;; mais ce fut pis lorsqu’ilvoulut venir à mes seins&|160;; car j’employai pieds et poings pourle repousser&|160;; si bien que, fatigué du combat, il défit seshabits et se mit à mes côtés.

Au premier coup d’œil que je jetai sur sapersonne, je m’aperçus bientôt qu’il n’était point de la figure nide la vigueur que l’assaut d’un pucelage exige.

Quoiqu’il eût à peine trente ans, il étalaitcependant déjà sa précoce vieillesse et se voyait réduit à desstimulants que la nature secondait très peu. Son corps était usépar les excès répétés du plaisir charnel, excès qui avaient imprimésur son front les marques du temps et qui ne lui laissaient auprintemps de l’âge que le feu et l’imagination de la jeunesse, cequi le rendait malheureux et le précipitait vers une mortprématurée.

Lorsqu’il fut au lit, il jeta bas lescouvertures et je restai exposée à sa vue. Ma chemise lui cachantmon sein et l’antre secret des voluptés, il la déchira du haut enbas, mais en usa du reste avec toute la tendresse et tous leségards possibles, tandis que de mon côté je ne lui montrai que dela crainte et de la retenue, affectant toute l’appréhension et toutl’étonnement qu’on peut supposer à une fille parfaitement innocenteet qui se trouve pour la première fois au lit avec un homme nu.Vingt fois je repoussai ses mains de mes seins qu’il trouva aussipolis et aussi fermes qu’il pouvait le désirer, mais lorsqu’il sejeta sur moi et qu’il voulut me sonder avec son doigt, je meplaignis de sa façon d’agir&|160;:

«&|160;J’étais perdue. — J’avais ignoré ce quej’avais fait. — Je me lèverais, je crierais au secours.&|160;»

Au même moment, je serrai tellement les jambesqu’il lui fut impossible de les séparer. Trouvant ainsi mesavantages et maîtresse de sa passion comme de la mienne, je lemenai par gradations où je voulus. Voyant enfin qu’il ne pouvaitvaincre ma résistance, il commença par m’argumenter, à quoi jerépondis avec un ton de modestie «&|160;que j’avais peur qu’il neme tuât, — que je ne voulais pas cela, que de mes jours je n’avaisété traitée de la sorte, — que je m’étonnais de ce qu’il nerougissait pas pour lui et pour moi&|160;».

C’est ainsi que je l’amusai quelques moments,mais peu à peu je séparai enfin mes jambes. Cependant, comme il sefatiguait vainement pour faire entrer, je donnai un coup de reinset je jetai en même temps un cri, disant qu’il m’avait percéejusqu’au cœur, si bien qu’il se trouva désarçonné par lecontre-coup qu’il avait reçu de ma douleur simulée et avant d’êtreentré. Touché du mal qu’il crut m’avoir fait, il tâcha de me calmerpar de bonnes paroles et me pria d’avoir patience. Étant doncremonté en selle, il recommença ses manœuvres, mais il n’eut pasplus tôt touché l’orifice que mes feintes douleurs eurent denouveau lieu.

«&|160;— Il me blessait, — il me tuait, —j’endevais mourir.&|160;»

Telles étaient mes fréquentes interjections.Mais après plusieurs tentatives réitérées, qui ne l’avançaient enrien, le plaisir gagna tellement, le dessus qu’il fît un derniereffort qui lui donna assez d’entrée pour que je sentisse qu’ilavait connu le bonheur à la porte du paradis et j’eus la cruauté dene pas lui laisser achever en cet endroit, le jetant de nouveaubas, non sans pousser un grand cri, comme si j’étais transportéepar le mal qu’il me causait&|160;! C’est de la sorte que je luiprocurai un plaisir qu’il n’aurait certainement pas goûté sij’avais été réellement vierge. Calmé par cette première détente, ilm’encouragea à soutenir une seconde tentative et tâcha, pour ceteffet, de rassembler toutes ses forces en examinant avec sointoutes les parties de mon corps. Sa satisfaction fut complète, sesbaisers et ses caresses me l’annoncèrent. Sa vigueur ne revintnéanmoins pas sitôt, et je ne le sentis qu’une fois frapper au but,encore si faiblement que quand je l’aurais ouvert de mes doigts, iln’y serait pas entré&|160;; mais il me crut si peu instruite deschoses qu’il n’en eut aucune honte. Je le tins le reste de la nuitsi bien en haleine qu’il était déjà jour lorsqu’il se liquéfia pourla seconde fois à moitié chemin, tandis que je criais toujoursqu’il m’écorchait et que sa vigueur m’était insupportable. Harasséet fatigué, mon champion me donna un baiser, me recommanda le reposet s’endormit profondément. Alors je suivis le conseil de la bonneMme&|160;Cole et donnai aux draps les prétendus signes de mavirginité.

Dans chaque pilier du lit, il y avait un petittiroir, si artificieusement construit qu’il était impossible de lediscerner et qui s’ouvrait par un ressort caché. C’était là que setrouvaient des fioles remplies d’un sang liquide et des éponges,qui fournissaient plus de liquide coloré qu’il n’en fallait poursauver l’honneur d’une fille. J’usai donc avec dextérité de ceremède et je fus assez heureuse pour ne pas être surprise dans monopération, ce qui certainement m’aurait couverte de honte et deconfusion.

Étant à l’aise et hors de tout soupçon de cecôté-là, je tâchai de m’endormir, mais il me fut impossible d’yparvenir. Mon gentleman s’éveilla une demi-heure après, et, nerespectant pas longtemps le sommeil que j’affectais, il voulut mepréparer à l’entière consommation de notre affaire. Je lui répondisen soupirant «&|160;que j’étais certaine qu’il m’avait blessée etfendue, — qu’il était si méchant&|160;!&|160;»

En même temps je me découvris et, lui montrantle champ de bataille, il vit les draps, mon corps et ma chemiseteints de la prétendue marque de virginité ravie&|160;; il en futtransporté à un point que rien ne pouvait égaler sa joie.L’illusion était complète&|160;; il ne put se former d’autre idéeque celle d’avoir triomphé le premier de ma personne. Me baisantdonc avec transport, il me demanda pardon de la douleur qu’ilm’avait causée, me disant que le pire était passé, je n’aurais plusque des voluptés à goûter. Peu à peu je le souffris, ce qui luidonna l’aisance de pénétrer plus avant. De nouvelles contorsionsfurent mises en jeu et je ménageai si bien l’introduction qu’ellene se fit que pouce à pouce. Enfin, par un coup de reins à propos,je le fis entrer jusqu’à la garde, et donnant, comme il le disait,le coup de grâce[17] à mavirginité, je poussai un soupir douloureux, tandis que lui,triomphant comme un coq qui bat de l’aile sur la poule qu’il vientde fouler, poursuivit faiblement sa carrière, et j’affectai d’êtreplongée dans une langoureuse ivresse en me plaignant de ne plusêtre fille.

Vous me demanderez peut-être si je goûtaiquelque plaisir. Je vous assure que ce fut peu ou point, si cen’est dans les derniers moments où j’étais échauffée par unepassion mécanique que m’avait causée ma longue résistance, car aucommencement j’eus de l’aversion pour sa personne et ne consentis àses embrassements que dans la vue du gain qui y était attaché, cequi ne laissait pas de me faire de la peine et de m’humilier, mevoyant obligée à de telles charlataneries qui n’étaient point demon goût.

À la fin, je fis semblant de me calmer un peupar les caresses continuelles qu’il me prodiguait et je luireprochai alors sa cruauté, dans des termes qui flattaient sonorgueil, disant qu’il m’était impossible de souffrir une nouvelleattaque, qu’il m’avait accablée de douleur et déplaisir. Ilm’accorda donc généreusement une suspension d’armes et, comme lamatinée était fort avancée, il demanda. Mme&|160;Cole, à qui il fitconnaître son triomphe et conta les prouesses de la nuit, ajoutantqu’elle en verrait les marques sanglantes sur les draps du lit oùle combat s’était donné.

Vous pouvez aisément vous imaginer lessingeries qu’une femme de la trempe de notre vénérable abbesse miten jeu dans ce moment. Ses exclamations de honte, de regret, decompassion ne finirent point&|160;: elle me félicitait surtout dece que l’affaire se fût passée si heureusement&|160;; et c’est enquoi je m’imagine qu’elle fut bien sincère. Alors elle fit aussicomprendre que, comme ma première peur de me trouver seule avec unhomme était passée, il valait mieux que j’allasse chez notre amipour ne point causer de scandale à sa maison&|160;; mais ce n’étaitréellement que parce. qu’elle craignait que notre train de vieordinaire ne se découvrît aux yeux de Mr. Norbert&|160;; quiacquiesça volontiers. à sa proposition, puisqu’elle lui procuraitplus d’aisance et de liberté sur moi.

Me laissant alors à moi-même pour goûter unrepos dont j’avais besoin, Mr. Norbert sortit de la maison sansêtre aperçu. Après que je me fus éveillée, Mme&|160;Cole vint melouer de ma bonne manière d’agir, et refusa généreusement la partque je lui offris de mes trois cents guinées, qui, jointes à ce quej’avais déjà épargné, ne laissaient pas que de me faire une petitefortune honnête.

J’étais donc de nouveau sur le ton d’une filleentretenue et j’allais ponctuellement voir Mr. Norbert dans sachambre, toutes les fois qu’il me le faisait dire par son laquais,que nous eûmes toujours soin de recevoir à la porte pour qu’il nevît jamais ce qui pouvait se passer dans l’intérieur de lamaison.

Si j’ose juger de ma propre expérience, il n’ya point de filles mieux payées, ni mieux traitées que celles quisont entretenues par des hommes vieux ou par de jeunes énervés quisont le moins en état d’user de l’amour, assurés qu’une femme doitêtre satisfaite d’un côté ou de l’autre&|160;; ils ont mille petitssoins et n’épargnent ni caresses, ni présents pour remédier autantqu’il est possible au point capital. Mais le malheur de ces bonnesgens est qu’après avoir essayé les raffinements, les tracasseries,pour se mettre en train, sans pouvoir accomplir l’affaire, ils onttellement échauffé l’objet de leur passion qu’il se voit obligé dechercher dans des bras plus vigoureux un remède satisfaisant au feuqu’ils ont allumé dans ses veines et de planter sur ces chefs usésun ornement dont ils sont fort peu curieux&|160;; car, quoi quel’on en dise, nous avons en nous une passion contrariante, qui nenous permet pas de nous contenter de paroles et de prendre lavolonté pour le fait.

Mr. Norbert se trouvait dans ce casmalheureux&|160;; car quoiqu’il cherchât tous les moyens deréussir, il ne pouvait cependant parvenir à son but, sans avoirépuisé toutes les préparations nécessaires, qui m’étaient aussidésagréables qu’inflammatoires. Quelquefois il me plaçait sur untapis, près du feu, où il me contemplait des heures entières et mefaisait tenir toutes les postures imaginables. D’autres fois mêmeses attouchements étaient si particulièrement lascifs qu’ils meremplissaient souvent d’une rage, qu’il ne pouvait jamais calmer,car même quand sa pauvre machine avait atteint une certaineérection, elle s’anéantissait d’abord par lente distillation, ouune effusion prématurée qui ne faisaient qu’accroître montourment.

Un soir (je ne puis m’empêcher de le rappelerà ma mémoire), un soir que je retournais de chez lui, remplie dudésir de la chair, je rencontrai, en tournant la rue, un jeunematelot. J’étais mise de manière à ne point être accrochée par desgens de la sorte&|160;; il me parla néanmoins et me jetant les brasautour du cou, il me baisa avec transport. Je fus fâchée aucommencement de sa façon d’agir&|160;; mais l’ayant regardé etvoyant qu’il était d’une figure qui promettait quelque vigueur,d’ailleurs bien fait et fort proprement mis, je finis par luidemander avec douceur ce qu’il voulait. Il me répondit franchementqu’il voulait me régaler d’un verre de vin. Il est certain que sij’avais été dans une situation plus tranquille, je l’aurais refuséavec hauteur&|160;; mais la chair parlait, et la curiositéd’éprouver sa force et de me voir traitée comme une coureuse de rueme fit résoudre à le suivre. Il me prit donc sous le bras et meconduisit familièrement dans la première taverneoù l’onnous donna une petite chambre avec un bon feu. Là, sans attendrequ’on nous eût apporté le vin, il défit mon mouchoir et mit à l’airmes seins qu’il baisa et mania avec ardeur&|160;; puis, ne trouvantque les trois vieilles chaises, qui ne pouvaient supporter leschocs du combat, il me planta contre le mur et, levant mes jupes,agit avec toute l’impétuosité qu’un long jeûne de mer pouvait luifournir. Puis changeant d’attitude et me courbant sur la table, ilallait passer à côte de la bonne porte et frappait désespérément àla mauvaise, je me récrie&|160;:

«&|160;Peuh&|160;! dit-il, ma chère, tout portest bon dans la tempête.&|160;»

Cependant il changea de direction et pritcelle qu’il fallait avec un entrain et un feu que, dans la belledisposition où je me trouvais, j’appréciai au point de prendrel’avance sur lui.

Après que tout se fut passé et que je fusdevenue un peu plus calme, je commençai à craindre les suitesfunestes que cette connaissance pouvait me coûter, et je tâchai enconséquence de me retirer le plus tôt possible. Mais mon inconnun’en jugea pas ainsi&|160;; il me proposa d’un air si déterminé desouper avec lui, que je ne sus comment me tirer de ses mains. Jefis pourtant bonne contenance et promis de revenir dès que j’auraisfait une commission pressante chez moi. Le bon matelot, qui meprenait pour une fille publique, me crut sur ma parole etm’attendit sans doute au souper qu’il avait commandé pour nousdeux.

Lorsque j’eus conté mon aventure àMme&|160;Cole, elle me gronda de mon indiscrétion et me remontra lesouvenir douloureux qu’elle pourrait me valoir, me conseillant dene pas ouvrir ainsi les cuisses au premier venu. Je goûtai fort samorale et fus même inquiète pendant quelques jours sur ma santé.Heureusement mes craintes se trouvèrent mal fondées&|160;; jesuspectais à tort mon joli matelot&|160;: c’est pourquoi je suisheureuse de lui faire ici réparation.

J’avais vécu quatre mois avec Mr. Norbert,passant mes jours dans des plaisirs variés chez Mme&|160;Cole etdans des soins assidus pour mon entreteneur, qui me payaitgrassement les complaisances que j’avais pour lui et qui fut sisatisfait de moi qu’il ne voulut jamais chercher d’autre amusement.J’avais su lui inspirer une telle économie dans ses plaisirs etmodérer ses passions, de façon qu’il commençait à devenir plusdélicat dans la jouissance et à reprendre une vigueur et une santéqu’il semblait avoir perdues pour jamais&|160;; ce qui lui avaitrempli le cœur d’une si vive reconnaissance, qu’il était près defaire ma fortune, lorsque le sort écarta le bonheur quim’attendait.

La sœur de Mr. Norbert, Lady…, pour laquelleil avait une grande affection, le pria de l’accompagner à Bath, oùelle comptait passer quelque temps pour sa santé. Il ne put refusercette faveur et prit congé de moi, le cœur fort gros de me quitter,en me donnant une bourse considérable, quoiqu’il crût ne rester quehuit jours hors de ville. Mais il me quitta pour jamais et fit unvoyage dont personne ne revient. Ayant fait une débauche de vinavec quelques-uns de ses amis, il but si copieusement qu’il enmourut au bout de quatre jours. J’éprouvai donc de nouveau lesrévolutions qui sont attachées à la condition de femme de plaisiret je retournai en quelque manière dans le sein de la communauté deMme&|160;Cole.

Je restai vacante quelque temps et mecontentai d’être la confidente de ma chère Harriett, qui venaitsouvent me voir et me contait le bonheur suivi qu’elle goûtait avecson baronnet, qui l’aimait tendrement, lorsqu’un jour Mme&|160;Coleme dit qu’elle attendait dans peu, en ville, un de ses clients,nommé Mr. Barville, et qu’elle craignait ne pouvoir lui procurerune compagne convenable, parce que ce gentleman avait contracté ungoût fort bizarre, qui consistait à se faire fouetter et à fouetterles autres jusqu’au sang&|160;; ce qui faisait qu’il y avait trèspeu de filles qui voulussent soumettre leur postérieur à sesfantaisies et acheter, aux dépens de leur peau, les présentsconsidérables qu’il faisait. Mais le plus étrange de l’affaire,c’est que le gentleman était jeune&|160;; car passe encore pour cesvieux pécheurs, qui ne peuvent se mettre en train que par les durestitillations que le manège, excite.

Quoique je n’eusse en aucune façon besoin degagner à tel prix de quoi subsister et que ce procédé me parûtaussi déplacé que déplorable dans ce jeune homme, je consentis etproposai même de me soumettre à l’expérience, soit par caprice,soit par une vaine ostentation de courage. Mme&|160;Cole, surprisede ma résolution, accepta avec plaisir une proposition qui ladélivrait de la peine de chercher ailleurs.

Le jour fixé, Mr. Barville vint, et je lui fusprésentée par Mme&|160;Cole, dans un simple déshabillé convenable àla scène que j’allais jouer&|160;: tout en linge fin et d’uneblancheur éblouissante, robe, jupon, bas et pantoufles de satin,comme une victime qu’on mène au sacrifice. Ma chevelure, d’un blondcendré tirant au châtain, tombait en boucles flottantes sur mon couet contrastait agréablement par sa couleur avec celle du reste dela toilette.

Dès que Mr. Barville m’eut vue, il me saluaavec respect et étonnement, et demanda à mon interlocutrice si unecréature aussi belle et aussi délicate que moi voudrait bien sesoumettre aux rigueurs et aux souffrances qu’il était, accoutuméd’exercer. Elle lui répondit ce qu’il fallait, et lisant dans sesyeux qu’elle ne pouvait se retirer assez tôt, elle sortit, aprèslui avoir recommandé d’en user modérément avec une jeunenovice.

Tandis que Mr. Barville m’examinait, jeparcourus avec curiosité la figure d’un homme qui, au printemps del’âge, s’amusait d’un exercice qu’on ne connaît que dans lesécoles.

C’était un garçon joufflu et frais,excessivement blond, taille courte et replète, avec un aird’austérité. Il avait vingt-trois ans, quoiqu’on ne lui en eûtdonné que vingt, à cause de la blancheur de sa peau et del’incarnat de son teint qui, joints à sa rondeur, l’auraient faitprendre pour un Bacchus, si un air d’austérité ou de rudesse ne sefût opposé à la parfaite ressemblance. Son habillement étaitpropre, mais fort au-dessous de sa fortune&|160;; ce qui venaitplutôt d’un goût bizarre que d’une sordide avarice.

Dès que Mme&|160;Cole fut sortie, il se plaçaprès de moi et son visage commença à se dérider. J’appris par lasuite, lorsque je connus mieux son caractère, qu’il était réduit,par sa constitution naturelle, à ne pouvoir goûter les plaisirs del’amour avant que de s’être préparé par des moyens extraordinaireset douloureux.

Après m’avoir disposée à la constance par desapologies et des promesses, il se leva et se mit près du feu,tandis que j’allais prendre dans une armoire voisine lesinstruments de discipline, composés de petites verges de bouleauliées ensemble, qu’il mania avec autant de plaisir qu’elles mecausaient de terreur.

Il approcha alors un banc destiné pour lacérémonie, ôta ses habits, et me pria de déboutonner sa culotte etde rouler sa chemise par-dessus ses hanches&|160;; ce que je fis enjetant un regard sur l’instrument pour lequel cette préparation sefaisait. Je vis le pauvre diable qui s’était, pour ainsi dire,retiré dans son ermitage, montrant à peine le bout de sa tête, telque vous aurez vu au printemps un roitelet qui élève le bec hors del’herbe.

Il s’arrêta ici pour défaire ses jarretières,qu’il me donna, afin que je le liasse par ses jambes sur lebanc&|160;; circonstance qui n’était nécessaire, comme je lesuppose, que pour augmenter la farce qu’il s’était prescrite. Je leplaçai alors sur son ventre, le long du banc avec un oreiller souslui, je lui liai pieds et poings et j’abattis sa culotte jusque surses talons&|160;; ce qui exposa à ma vue deux fesses dodues et fortblanches qui se terminaient insensiblement vers les hanches.

Prenant alors les verges, je me mis à côté demon patient et lui donnai, suivant ses ordres, dix coups appliquésde toute la force que mon bras put fournir&|160;; ce qui ne fit pasplus d’effet sur lui que la piqûre d’une mouche n’en fait sur lesécailles d’une écrevisse. Je vis avec étonnement sa dureté, car lesverges avaient déchiré sa peau, dont le sang était prêt à couler,et je retirai plusieurs esquilles de bois sans qu’il se plaignît dumal qu’il devait souffrir.

Je fus tellement émue à cet aspect pitoyableque je me repentais déjà de mon entreprise et que je me seraisvolontiers dispensée de faire le reste&|160;; mais il me pria decontinuer mon office, ce que je fis jusqu’à ce que, le voyant sedémener contre le coussin, d’une manière qui ne dénotait aucunedouleur, curieuse de savoir ce qui en était, je glissai doucementla main sous le jeune homme, et je trouvai les choses bien changéesà mon grand étonnement&|160;; ce que je croyais impalpable avaitpris une consistance surprenante et des dimensions démesurées quantà la grosseur, car pour la taille, elle était fort courte. Mais ilme pria de continuer vivement ma correction, si je voulais qu’ilatteignît le dernier stage du plaisir.

Reprenant donc les verges, je commençai d’enjouer de plus belle, quand après quelques violentes émotions etdeux ou trois soupirs, je vis qu’il restait sans mouvement. Il mepria alors de le délier, ce que je fis au plus vite, surprise de laforce passive dont il venait de jouir et de la manière cruelle dontil se la procurait&|160;; car lorsqu’il se leva, à peine pouvait-ilmarcher, tant j’y avais été de bon cœur.

J’aperçus alors sur le banc les traces de sonplaisir et je vis que son paresseux s’était déjà de nouveau caché,comme s’il avait été honteux de montrer sa tête, ne voulant céderqu’à la fustigation de ses voisines postérieures, qui ainsisouffraient seules de son caprice.

Mon gentleman ayant repris ses habits se plaçadoucement près de moi, en tenant hors du coussin une de ses fessestrop meurtrie pour qu’il pût s’y appuyer même légèrement.

Il me remercia alors de l’extrême plaisir queje venais de lui donner, et voyant quelques marques de terreur surmon visage, il me dit que si je craignais de me soumettre à sadiscipline, il se passerait de cette satisfaction&|160;; mais quesi j’étais assez complaisante pour cela, il ne manquerait pas deconsidérer la différence du sexe et la délicatesse de ma peau.Encouragée ou plutôt piquée d’honneur de tenir la promesse quej’avais faite à Mme&|160;Cole, qui, comme je ne l’ignorais point,voyait tout par le trou pratiqué pour cet effet, je ne pus medéfendre de subir la fustigation.

J’acceptai donc sa demande avec un courage quipartait de mon imagination plutôt que de mon cœur&|160;; je lepriai même de ne point tarder, craignant que la réflexion ne me fîtchanger d’idée.

Il n’eut qu’à défaire mes jupes et lever machemise, ce qu’il fit&|160;; lorsqu’il me vit à nu, il me contemplaavec ravissement, puis me coucha sur la banquette, posa ma tête surle coussin. J’attendais qu’il me liât, et j’étendais même déjà entremblant les mains pour cet effet&|160;; il me dit qu’il nevoulait pas pousser ma constance jusqu’à ce point, mais me laisserlibre de me lever quand le jeu me déplairait.

Toutes mes parties postérieures étaientmaintenant à sa merci&|160;; il se plaça au commencement à unepetite distance de ma personne et se délecta à parcourir des yeuxles secrètes richesses que je lui avais abandonnées&|160;; puis,s’élançant vers moi, il les couvrit de mille tendres baisers&|160;;prenant alors les verges, il commença à badiner légèrement sur cesmasses de chair frissonnante, mais bientôt il me fustigea sidurement que le sang perla en plus d’un endroit. À cette vue, seprécipitant sur moi, il baisa les plaies saignantes, en les suçant,ce qui soulagea un peu ma douleur. Il me fit poser ensuite sur mesgenoux, de façon à montrer cette tendre partie, région du plaisiret de la souffrance, sur laquelle il dirigea ses coups, qui mefaisaient faire mille contorsions variées, dont la vue leravissait.

Toutefois je supportai tout sans crier et nedonnai aucune marque de mécontentement, bien résolue néanmoins à neplus m’exposer à des caprices aussi étranges.

Vous pouvez bien penser dans quel pitoyableétat mes pauvres coussins de chair furent réduits&|160;: écorchés,meurtris et sanglants, sans d’ailleurs que je sentisse la moindreidée de plaisir, quoique l’auteur de mes peines me fît millecompliments et mille caresses.

Dès que j’eus repris mes habits, Mme&|160;Coleapporta elle-même un souper qui aurait satisfait la sensualité d’uncardinal, sans compter les vins généreux qui l’accompagnèrent.Après nous avoir servi, notre discrète abbesse sortit sans dire unmot ni sans avoir souri, précaution nécessaire pour ne point meremplir d’une confusion qui aurait nui à la bonne chère.

Je me mis à côté de mon boucher, car il me futimpossible de regarder d’un autre œil un homme qui venait de metraiter si rudement, et mangeai quelque temps en silence, fortpiquée des sourires qu’il me lançait de temps en temps.

Mais à peine le souper fut-il fini que je mesentis possédée d’une si terrible démangeaison et de titillationssi fortes qu’il me fut pour ainsi dire impossible de mecontenir&|160;; la douleur des coups de verges s’était changée enun feu qui me dévorait et qui me remuait et me tortillait sur machaise, sans pouvoir, dissiper l’ardeur de l’endroit où s’étaientconcentrés, je crois, tous les esprits vitaux de mon corps.

Mr. Barville, qui lisait dans mes yeux lacrise où j’étais et qui, par expérience, en connaissait la cause,eut pitié de moi. Il tira la table, essaya de ranimer ses espritset de les provoquer, mais ils ne voulurent pas céder à sesinstances&|160;: sa machine était comme ces toupies qui ne tiennentdebout qu’à coups de fouet. Il fallut donc en venir aux verges,dont j’usai de bon cœur et dont je vis bientôt les effets. Il sehâta de m’en donner les bénéfices.

Mes pauvres fesses ne pouvant souffrir ladureté du banc sur lequel Mr. Barville me clouait, je dus me leverpour me placer la tête sur une chaise&|160;; cette posture nouvellefut encore infructueuse, car je ne pouvais supporter de contactavec la partie meurtrie. Que faire alors&|160;? Nous haletions tousdeux, tous deux nous étions en furie, mais le plaisir estinventif&|160;: il me prit tout d’un coup, me mit nue, plaça uncoussin près du feu et, me tournant sens dessus dessous, ilentrelaça mes jambes autour de son cou, si bien que je ne touchaisà terre que par la tête et les mains. Quoique cette posture ne fûtpoint du tout agréable, notre imagination était si échauffée et ily allait de si bon cœur qu’il me fit oublier ma douleur et maposition forcée. Je fus ainsi délivrée de ces insupportablesaiguillons qui m’avaient presque rendue folle, et la fermentationde mes sens se calma instantanément.

J’avais donc achevé cette scène plusagréablement que je n’avais osé l’espérer et je fus surtout fortcontente des louanges que Mr. Barville donna à ma constance et duprésent magnifique qu’il me fit, sans compter la généreuserécompense que Mme&|160;Cole en obtint.

Je ne fus cependant pas tentée de recommenceraussitôt ces expédients pour surexciter la nature&|160;; leuraction, je le conçois, se rapproche de celle des mouchescantharides&|160;; mais j’avais plutôt besoin d’une bride pourretenir mon tempérament que d’un éperon pour lui donner plus defeu.

Mme&|160;Cole, à qui cette aventure m’avaitrendue plus chère que jamais, redoubla d’attention à mon égard etse fit un plaisir de me procurer bientôt une bonne pratique.

C’était un gentleman d’un certain âge, fortgrave et très solennel, dont le plaisir consistait à peigner debelles tresses de cheveux. Comme j’avais une tête bien garnie de cecôté-là, il venait régulièrement tous les matins à ma toilette,pour satisfaire son goût. Il passait souvent plus d’une heure à cetexercice, sans se permettre jamais d’autres droits sur ma personne.Il avait encore une autre manie&|160;: c’était de me faire cadeaud’une douzaine de paire de gants de chevreau blanc, à lafois&|160;; il s’amusait à les tirer de mes mains et à en mordreles bouts des doigts. Cela dura jusqu’à ce qu’un rhume, le forçantà garder la chambre, m’enleva cet insipide baguenaudier, et jen’entendis plus parler de lui.

Je vécus depuis dans la retraite, et j’avaistoujours si bien su me tirer d’affaire que ma santé ni mon teintn’avaient encore souffert aucune altération. Louisa et Emily n’enusaient pas si modérément&|160;; et quoiqu’elles fussent loin de sedonner pour rien, elles poussaient néanmoins souvent la débauche àun excès qui prouve que quand une fille s’est une fois écartée dela modestie, il n’y a point de licence où elle ne se plonge alorsvolontairement. Je crois devoir rapporter ici deux aventurespleines de singularité, et je commencerai par l’une dont Emily futl’héroïne.

Louisa et elle étaient allées un soir au bal,la première en costume de bergère, Emily en berger&|160;; je lesvis ainsi costumées avant leur départ, et l’on ne pouvait imaginerun plus joli garçon qu’Emily, blonde et bien faite comme elleétait.

Elles étaient restées ensemble quelque temps,lorsque Louisa, rencontrant une vieille connaissance, donna trèscordialement congé à sa compagne, en la laissant sous la protectionde son habit de garçon, ce qui n’était guère, et de sa proprediscrétion, ce qui était ce semble encore moins. Emily, se trouvantseule, erra quelques minutes sans idée précise, puis, pour sedonner de l’air et de la fraîcheur, ou pour tout autre motif, elledétacha son masque et alla au buffet. Elle y fut remarquée par ungentleman, en très élégant domino, qui l’accosta et se mit à causeravec elle. Le domino, après une courte conversation où Emily fitmontre de bonne humeur et de facilité plus que d’esprit, parut toutenflammé pour elle&|160;; il la tira peu à peu vers des banquettesà l’extrémité de la salle, la fit asseoir près de lui, et là il luiserra les mains, lui pinça les joues, lui fit compliment et s’amusade sa belle chevelure, admira sa complexion&|160;: le tout avec uncertain air d’étrangeté que la pauvre Emily, n’en comprenant pas lemystère, attribuait au plaisir que lui causait son déguisement.Comme elle n’était pas des plus cruelles de sa profession, elle semontra bientôt disposée à parlementer sur l’essentiel&|160;; maisc’est ici que le jeu devint piquant&|160;: il la prenait en réalitépour ce qu’elle paraissait être, un garçon quelque peu efféminé.Elle, de son côté, oubliant son costume et fort loin de deviner lesidées du galant, s’imaginait que tous ces hommages s’adressaient àelle en sa qualité de femme&|160;; tandis qu’elle les devaitprécisément à ce qu’il ne la croyait pas telle. Enfin, cette doubleerreur fut poussée à un tel point qu’Emily, ne voyant en lui autrechose qu’un gentleman de distinction, d’après les parties de soncostume que le déguisement ne couvrait pas, échauffée aussi par levin qu’il lui avait fait boire et par les caresses qu’il lui avaitprodiguées, se laissa persuader d’aller au bain avec lui&|160;; etainsi, oubliant les recommandations de Mme&|160;Cole, elle se remitentre ses mains avec une aveugle confiance, décidée à le suivren’importe où. Pour lui, également aveuglé par ses désirs et mieuxtrompé par l’excessive, simplicité d’Emily qu’il ne l’eût été parles ruses les plus adroites, il supposait sans doute qu’il avaitfait la conquête d’un petit innocent comme il le lui fallait, oubien de quelque mignon entretenu, rompu au métier, qui lecomprenait parfaitement bien et entrait dans ses vues. Quoi qu’ilen soit, il la mit dans une voiture, y monta avec elle et la menadans un très joli appartement, où il y avait un lit&|160;; mais quece fût une maison de bains ou non, elle ne pouvait le dire, n’ayantparlé à personne qu’à lui-même. Lorsqu’ils furent seuls et que sonamoureux en vint à ces extrémités qui ont pour effet immédiat dedécouvrir le sexe, elle remarqua ce qu’aucune description nepourrait peindre au vif, le mélange de pique, de confusion et dedésappointement dans sa contenance, accompagné de cette douloureuseexclamation&|160;: «&|160;Ciel&|160;! une femme&|160;!&|160;» Iln’en fallut pas plus pour lui ouvrir les yeux, si stupidementfermés jusque-là. Cependant, comme s’il voulait revenir sur sonpremier mouvement, il continua à badiner avec elle et à lacaresser&|160;; mais la différence était si grande, son extrêmechaleur avait si bien fait place à une civilité froide et forcéequ’Emily elle-même dut s’en apercevoir. Elle commençait maintenantà regretter son oubli des prescriptions de Mme&|160;Cole de nejamais se livrer à un étranger&|160;; un excès de timiditésuccédait à un excès de confiance et elle se croyait tellement à samerci et à sa discrétion qu’elle resta passive tout le temps de sonprélude. Car à présent, soit que l’impression d’une si grandebeauté lui fit pardonner son sexe, soit que le costume où elleétait entretînt encore sa première illusion, il reprit par degrésune bonne part de sa chaleur&|160;; s’emparant des chaussesd’Emily, qui n’étaient pas encore déboutonnées, il les lui abaissajusqu’aux genoux, et la faisant doucement courber, le visage contrele bord du lit, il la plaça de telle sorte que la double voie entreles deux collines postérieures lui offrait l’embarras du choix, ils’engageait même dans la mauvaise direction pour faire craindre àla jeune fille de perdre un pucelage auquel elle n’avait pas songé.Cependant, ses plaintes et une résistance douce, mais ferme,l’arrêtèrent et le ramenèrent au sentiment de la réalité&|160;: ilfit baisser la tête à son coursier et le lança enfin dans la bonneroute, où, tout en laissant son imagination tirer parti, sansdoute, des ressemblances qui flattaient son goût, il arriva, nonsans grand vacarme, au terme de son voyage. La chose faite, il lareconduisit lui-même, et après avoir marché avec elle l’espace dedeux ou trois rues, il la mit dans une chaise&|160;; puis, luifaisant un cadeau nullement inférieur à ce qu’elle avait puespérer, il la laissa, bien recommandée aux porteurs, qui, sur sesindications, la ramenèrent chez elle.

Dès le matin, elle raconta son aventure àMme&|160;Cole et à moi, non sans montrer quelques restes, encoreempreints dans sa contenance, de la crainte et de la confusionqu’elle avait ressenties. Mme&|160;Cole fit remarquer que cetteindiscrétion procédant d’une facilité constitutionnelle, il y avaitpeu d’espoir qu’elle s’en guérît, si ce n’est par des épreuvessévères et répétées. Quant à moi, j’étais en peine de concevoircomment un homme pouvait se livrer à un goût non seulementuniversellement odieux, mais absurde et impossible à satisfaire,puisque, suivant les notions et l’expérience que j’avais deschoses, il n’était pas dans la nature de concilier de si énormesdisproportions. Mme&|160;Cole se contenta de sourire de monignorance et ne dit rien pour me détromper&|160;: il me fallut pourcela une, démonstration oculaire qu’un très singulier accident mefournit quelques mois après. Je vais en parler ici, afin de ne plusrevenir sur un si désagréable sujet.

Projetant de rendre une visite à Harriett, quiétait allée demeurer à Hampton-Court, j’avais loué un cabriolet, etMme&|160;Cole avait promis de m’accompagner&|160;; mais une affaireurgente l’ayant retenue, je fus obligée de partir seule. J’étais àpeine au tiers de ma route que l’essieu se rompit et je fus biencontente de me réfugier, saine et sauve, dans une auberge d’assezbelle apparence, sur la route. Là, on me dit que la diligencepasserait dans une couple d’heures&|160;; sur quoi, décidée àl’attendre plutôt que de perdre la course que j’avais déjà faite,je me fis conduire dans une chambre très propre et très convenable,au premier étage, dont je pris possession pour le temps que j’avaisà rester, avec toute facilité de me faire servir, soit dit pourrendre justice à la maison.

Une fois là, comme je m’amusais à regarder parla fenêtre, un tilbury s’arrêta devant la porte et j’en visdescendre deux jeunes gentlemen, à ce qu’il me parut, qui entrèrentsous couleur de se restaurer et de se rafraîchir un peu, car ilsrecommandèrent de tenir leur cheval tout prêt pour leur départ.Bientôt, j’entendis ouvrir la porte de la chambre voisine où ilsfurent introduits et promptement servis&|160;; aussitôt après,j’entendis qu’ils fermaient la porte et la verrouillaient àl’intérieur.

Un esprit de curiosité, fort loin de me venirà l’improviste, car je ne sais s’il me fit jamais défaut, mepoussa, sans que j’eusse aucun soupçon ni aucune espèce de but oudessein particulier, à voir ce qu’ils étaient et à examiner leurspersonnes et leur conduite. Nos chambres étaient séparées par unede ces cloisons mobiles qui s’enlèvent à l’occasion pour, de deuxpièces, n’en faire qu’une seule et accommoder ainsi une nombreusesociété&|160;; et, si attentives que fussent mes recherches, je netrouvais pas l’ombre d’un trou par où je puisse regarder,circonstance qui n’avait sans doute pas échappé à mes voisins, caril leur importait fort d’être en sûreté. À la fin, pourtant, jedécouvris une bande de papier de même couleur que la boiserie etque je soupçonnais devoir cacher quelque fissure&|160;; mais alorselle était si haut que je fus obligée, pour y atteindre, de montersur une chaise, ce que je fis aussi doucement que possible. Avec lapointe d’une épingle de tête je perçai le papier d’un trousuffisant pour bien voir&|160;; alors, y collant un œil,j’embrassai parfaitement toute la chambre et pus voir mes deuxjeunes gens qui folâtraient et se poussaient l’un l’autre en desébats joyeux et, je le croyais, entièrement innocents.

Le plus âgé pouvait avoir, autant que j’en pusjuger, environ dix-neuf ans&|160;; c’était un grand et élégantjeune homme, en frac de futaine blanche, avec un collet de veloursvert et une perruque à nœuds.

Le plus jeune n’avait guère que dix-septans&|160;; il était blond, coloré, parfaitement bien fait, et, pourtout dire, un délicieux adolescent&|160;; à sa mise aussi on voyaitqu’il était de la campagne&|160;: c’était un frac de peluche verte,des chaussures de même étoffe, un gilet et des bas blancs, unecasquette de jockey, avec des cheveux blonds, longs et flottants enboucles naturelles.

Le plus âgé promena d’abord tout autour de lachambre un regard de circonspection, mais avec trop de hâte sansdoute pour qu’il pût apercevoir la petite ouverture où j’étaispostée, d’autant plus qu’elle était haute et que mon œil, en s’ycollant, interceptait le jour qui aurait pu la trahir&|160;; puisil dit quelques mots à son compagnon, et la face des choses changeaaussitôt.

En effet, le plus âgé se mit à embrasser leplus jeune, à l’étreindre et à le baiser, à glisser ses mains danssa poitrine et à lui donner enfin des signes si manifestesd’amoureux désirs, que celui-ci ne pouvait être, – selon moi,qu’une fille déguisée. Je me trompais, mais la nature aussi avaitcertainement fait erreur en lui imprimant le cachet masculin.

Avec la témérité de leur, âge et impatientscomme ils étaient d’accomplir leur projet de plaisir antiphysique,au risque des pires conséquences, car il n’y avait riend’improbable à ce qu’ils fussent découverts, ils en vinrentmaintenant à un tel point que je fus bientôt fixée sur ce qu’ilsétaient[18].

La scène criminelle qu’ils exécutèrent, j’eusla patience de l’observer jusqu’au bout, simplement pour recueillircontre eux plus de faits et plus de certitude en vue de les traitercomme ils le méritaient. En conséquence, lorsqu’ils se furentrajustés et qu’ils se préparaient à partir, enflammée comme jel’étais de colère et d’indignation, je sautai à bas de la chaisepour ameuter contre eux toute la maison&|160;; mais, dans maprécipitation, j’eus le malheur de heurter du pied un clou ouquelque autre rugosité du plancher qui me fit tomber la face enavant, de sorte que je restai là quelques minutes sans connaissanceavant qu’on ne vînt à mon secours&|160;; et les deux jeunes gens,alarmés, je le suppose, du bruit de ma chute, eurent tout le tempsnécessaire pour opérer leur sortie. Ils le firent, comme jel’appris ensuite, avec une hâte que personne ne pouvaits’expliquer&|160;; mais, revenue à moi et retrouvant la parole, jefis connaître aux gens de, l’auberge toute la scène dont j’avaisété témoin.

De retour au logis, je racontai cette aventureà Mme&|160;Cole. Elle me dit, avec beaucoup de sens, «&|160;que cesmécréants seraient un jour ou l’autre, sans aucun doute, châtiés deleur forfait, encore qu’ils échappassent pour le moment&|160;; quesi j’avais été l’instrument temporel de cette punition, j’aurais euà souffrir beaucoup plus d’ennuis et de confusion que jem’imaginais&|160;; quant à la chose elle-même, le mieux était den’en rien dire. Mais au risque d’être suspecte de partialité,attendu que cette cause était celle de tout le sexe féminin, auquella pratique en question tendait à enlever plus que le pain de labouche, elle protestait néanmoins contre la colère dont je faisaismontre et voici la déclaration que lui inspirait la simplevérité&|160;: «&|160;Quelque effet qu’eût pu avoir cette infâmepassion en d’autres âges et dans d’autres contrées, c’était, cesemblait-il, une bénédiction particulière pour notre atmosphère etnotre climat, qu’il y avait une tache, une flétrissure imprimée surtous ceux qui en étaient affectés, dans notre nation tout au moins.En effet, sur un grand nombre de gens de cette espèce, ou du moinsuniversellement soupçonnés de ce vice, qu’elle avait connus, àpeine en pouvait-elle nommer un seul dont le caractère ne fût, soustous les rapports, absolument vil et méprisable&|160;; privés detoutes les vertus de leur sexe, ils avaient tous les vices ettoutes les folies du nôtre&|160;; enfin, ils étaient aussiexécrables que ridicules dans leur monstrueuse inconscience, euxqui haïssaient et méprisaient les femmes, et qui, en même temps,singeaient toutes leurs manières, leurs airs, leurs afféteries,choses qui tout au moins siéent mieux aux femmes qu’à cesdemoiselles mâles ou plutôt sans sexe.&|160;»

Mais ici je m’en lave les mains et je reprendsle cours de mon récit, où je puis, non sans à-propos, introduireune terrible équipée de Louisa, car j’y eus moi-même quelque partet je me suis engagée d’ailleurs à la relater comme pendant à cellede la pauvre Emily. Ce sera une preuve de plus, ajoutée à milleautres, de la vérité de cette maxime&|160;: que lorsqu’une femmes’émancipe, il n’y a point de degrés dans la licence qu’elle nesoit capable de franchir.

Un matin que Mme&|160;Cole et Emily étaientsorties, Louisa et moi nous fîmes entrer dans la boutique un gueuxqui vendait des bouquets. Le pauvre garçon était insensé et sibègue qu’à peine pouvait-on l’entendre. On l’appelait dans lequartier «&|160;Dick le Bon&|160;», parce qu’il n’avaitpas l’esprit d’être méchant et que les voisins, abusant de sasimplicité, en faisaient ce qu’ils voulaient. Au reste, il étaitbien fait de sa personne, jeune, fort comme un cheval et d’unefigure assez avenante pour tenter quiconque n’aurait point eu dedégoût pour la malpropreté et les guenilles.

Nous lui avions souvent acheté des fleurs parpure compassion&|160;; mais Louisa, qu’un autre motif excitaitalors, ayant pris deux de ses bouquets, lui présenta malicieusementune demi-couronne à changer. Dick, qui n’avait pas le premier sou,se grattait l’oreille et donnait à entendre, par son embarras,qu’il ne pouvait fournir la monnaie d’une si grosse pièce.«&|160;Eh bien&|160;! mon enfant, lui dit Louisa, monte avec moi,je te paierai.&|160;» En même temps elle me fit signe de la suivreet m’avoua, chemin faisant, qu’elle se sentait une étrangecuriosité de savoir si la nature ne l’avait pas dédommagé, parquelque don particulier du corps, de la privation de la parole etdes facultés intellectuelles. La scrupuleuse modestie n’ayantjamais été mon vice, loin de m’opposer à une pareille lubie, jetrouvai cette idée si plaisante que je ne fus pas moins empresséequ’elle à m’éclaircir sur ce point. J’eus même la vanité de vouloirêtre la première à faire la vérification des pièces. Suivant cetaccord, dès que nous eûmes fermé la porte, je commençai l’attaqueen lui faisant des petites niches et employant les moyens les pluscapables de l’émouvoir. Il parut d’abord, à sa mine honteuse etinterdite, à ses regards sauvages et effarés, que le badinage nelui plaisait pas&|160;; mais je fis tant par mes caresses que jel’apprivoisai et le mis insensiblement en humeur. Un rire innocentet niais annonçait le plaisir que la nouveauté de cette scène luifaisait. Le ravissement stupide où il était, l’avait rendu sidocile et si traitable qu’il me laissa faire tout ce que je voulus.J’avais déjà senti la douceur de sa peau à travers maintesdéchirures de sa culotte et m’étais, par gradation, saisie duvéritable et glorieux étendard en si bel état, que je vis le momentoù tout allait se rompre sous ses efforts. Je détortillai uneespèce de ceinture déchiquetée de vieillesse, et rangeant une loquede chemise qui le cachait en partie je le découvris dans toute sonétendue et toute sa pompe. J’avoue qu’il n’était guère possible derien voir de plus superbe. Le pauvre garçon possédait manifestementà un très haut degré la prérogative royale, qui distingue cettecondition d’ailleurs malheureuse de l’idiot et qui a donné lieu audicton populaire&|160;: «&|160;Marotte de fou, amusement defemme.&|160;» Aussi ma lascive compagne, ravie en admirationet domptée par le démon de la concupiscence, me l’ôtabrusquement&|160;; puis tirant, comme on fait à un âne par lelicou, Dick vers le lit, elle s’y laissa tomber à la renverse, etsans lâcher prise le guida où elle voulait. L’innocent y fut àpeine introduit que l’instinct lui apprit le reste. L’homme-machineenfonça, déchira, pourfendit la pauvre Louisa, mais elle eut beaucrier, il était trop tard. Le fier agent, animé par le puissantaiguillon du plaisir, devint si furieux qu’il me fit trembler pourla patiente. Son visage était tout en feu, ses yeux étincelaient,il grinçait des dents&|160;; tout son corps, agité par uneimpétueuse rage, faisait voir avec quel excès de force la natureopérait en lui. Tel on voit un jeune taureau sauvage que l’on apoussé à bout renverser, fouler aux pieds, frapper des cornes toutce qu’il rencontre, tel le forcené Dick brise, rompt tout ce quis’oppose à son passage. Louisa se débat, m’appelle à son secours etfait mille efforts pour, se dérober de dessous ce cruel meurtrier,mais inutilement&|160;; son haleine aurait aussitôt calmé unouragan, qu’elle aurait pu l’arrêter dans sa course. Au contraire,plus elle s’agite et se démène, plus elle accélère et précipite sadéfaite. Dick, machinalement gouverné par la partie animale, lapince, la mord et la secoue avec une ardeur moitié féroce et moitiétendre. Cependant Louisa à la fin supporta plus patiemment le choc,et bientôt gorgée du plus précieux morceau qu’il y ait surterre[19], le sentiment de la douleur faisantplace à celui du plaisir, elle entra dans les transports les plusvifs de la passion et seconda de tout son pouvoir la brusqueactivité de son chevaucheur. Tout tremblait sous la violence deleurs mouvements mutuels. Agités l’un et l’autre d’une fureurégale, ils semblaient possédés du démon de la luxure. Sans douteils auraient succombé à tant d’efforts si la crise délicieuse de lasuprême joie ne les eût arrêtés subitement et n’eût arrêté lecombat.

C’était une chose pitoyable et burlesque ouplutôt tragi-comique à la fois de voir la contenance du pauvreinsensé après cet exploit. Il paraissait plus imbécile et plushébété de moitié qu’auparavant. Tantôt, d’un air stupéfait, illaissait tomber un regard morne et languissant sur sa flasquevirilité&|160;; tantôt il fixait d’un œil triste et hagard Louisaet semblait lui demander l’explication d’un pareil phénomène.Enfin, l’idiot ayant petit à petit repris ses sens, son premiersoin fut de courir à son panier et de compter ses bouquets. Nousles lui prîmes tous et les lui payâmes le prix ordinaire, n’osantpas le récompenser de sa peine, de peur qu’on ne vînt à découvrirles motifs de notre générosité.

Louisa s’esquiva quelques jours après de chezMme&|160;Cole avec un jeune homme qu’elle aimait beaucoup, etdepuis ce temps je n’ai plus reçu de ses nouvelles.

Peu après qu’elle nous eut quittées, deuxjeunes seigneurs de la connaissance de Mme&|160;Cole et qui avaientautrefois fréquenté son académie obtinrent la permission de faire,avec Emily et moi, une partie de plaisir dans une maison decampagne située au bord de la Tamise, dans le comté deSurrey[20] et qui leur appartenait.

Toutes choses arrangées, nous partîmes uneaprès-midi pour le rendez-vous et nous arrivâmes sur les quatreheures. Nous mîmes pied à terre près d’un pavillon propre etgalant, où nous fûmes introduites par nos cavaliers et rafraîchiesd’une collation délicate, dont la joie, la fraîcheur de l’onde etla politesse marquée de nos galants rehaussaient le prix.

Après le thé, nous fîmes un tour au jardin, etl’air étant fort chaud mon cavalier proposa, avec sa franchiseordinaire, de prendre ensemble un bain, dans une petite baie de larivière, auprès du pavillon, où personne ne pouvait nous voir ninous distraire.

Emily, qui ne refusait jamais rien, et moi,qui aimais le bain à la folie, acceptâmes la proposition avecplaisir. Nous retournâmes donc d’abord au pavillon qui, par uneporte, répondait à une tente dressée sur l’eau, de façon qu’ellenous garantissait de l’ardeur du soleil et des regards desindiscrets. La tenture, en toile brochée, figurait un fourré debois sauvage, depuis le haut jusqu’aux bas côtés, lesquels, de lamême étoffe, représentaient des pilastres cannelés avec leursespaces remplis de vases de fleurs, le tout faisant à l’œil uncharmant effet de quelque côté qu’on se tournât.

Il y avait autant d’eau qu’il en fallait pourse baigner à l’aise&|160;; mais autour, de la tente on avaitpratiqué des endroits secs pour s’habiller ou enfin pour d’autresusages que le bain n’exige pas. Là se trouvait une table chargée deconfitures, de rafraîchissements et de bouteilles de vins et descordiaux nécessaires contre la maligne influence de l’eau. Enfinmon galant, qui aurait mérité d’être l’intendant des menus plaisirsd’un empereur romain, n’avait rien oublié de tout ce qui peutservir au goût et au besoin.

Dès que nous eûmes assurés les portes et quetous les préliminaires de la liberté eurent été réglés de part etd’autre, l’on cria&|160;: «&|160;Bas les habits&|160;!&|160;»Aussitôt nos deux amants sautèrent sur nous et nous mirent dansl’état de pure nature. Nos mains se portèrent d’abord versl’ombrage de la pudeur, mais ils ne nous laissèrent pas longtempsdans&|160;: cette posture, nous priant de leur rendre le serviceque nous venions de recevoir d’eux, ce que nous fîmes de boncœur.

Mon «&|160;particulier&|160;» fut bientôt nuet il voulut sur-le-champ me faire éprouver sa force&|160;; mais,plutôt pressée du désir de me baigner, je le priai de suspendrel’affaire et donnant ainsi à nos amis l’exemple d’une continencequ’ils étaient sur le point de perdre, nous entrâmes main à maindans l’onde, dont la bénigne influence calma la chaleur de l’air etme remplit d’une volupté amoureuse.

Je m’occupai quelque temps à me laver et àfaire mille niches à mon compagnon, laissant à Emily le soin d’enagir avec le sien à sa discrétion. Mon cavalier, peu content à lafin de me plonger dans l’eau jusqu’aux oreilles et de me mettre endifférentes postures, commença à jouer des doigts sur ma gorge, surmes fesses et sur tous les et cœtera si chers àl’imagination, sous prétexte de les laver. Comme nous n’avions del’eau que jusqu’à l’estomac, il put manier à son aise cette, partiesi prodigieusement étanche qui distingue notre sexe. Il ne tardapas à vouloir que je me prêtasse à sa volonté, mais je ne vouluspas, parce que nous étions dans une posture trop gênante pour quej’y goûtasse du plaisir&|160;; aussi je le priai de différer uninstant afin de voir à notre commodité les débats d’Emily et de songalant, qui en étaient au plus fort de l’opération. Ce jeune homme,ennuyé de jouer à l’épinette, avait couché sa patiente sur un bancoù il lui faisait sentir la différence qu’il y a du badinage ausérieux.

Il l’avait premièrement mise sur ses genoux etla caressait, lui montrant une belle pièce de mécanique prête à semettre en mouvement, afin de rendre les plaisirs plus vifs et pluspiquants.

Comme l’eau avait jeté un incarnat animé surleur corps, dont la peau était à peu près d’une même blancheur, onpouvait à peine distinguer leurs membres, qui se trouvaient dansune aimable confusion. Le champion s’était pourtant, à la fin, misà l’ouvrage. Alors, plus de tous ces raffinements et de ces tendresménagements. Emily se trouva incapable d’user d’aucun art, et dequel art en effet aurait-elle usé tandis qu’emportée par lessecousses qu’elle éprouvait elle devait céder à son fierconquérant, qui avait fait pleinement son entrée triomphale&|160;?Bientôt, cependant, il fut soumis à son tour, car l’engagementétant devenu plus vif, elle le força de payer le tribut de lanature, qu’elle n’eût pas plus tôt recueilli que, semblable à unduelliste qui meurt en tuant son ennemi, la belle Emily, de soncôté, nous donna à connaître, par un profond soupir, parl’extension de ses membres et par le trouble de ses yeux&|160;;qu’elle avait atteint la volupté suprême.

Pour ma part, je n’avais point vu toute cettescène avec une patience bien calme&|160;; je me reposais aveclangueur sur mon galant, à qui mes yeux annonçaient la situation demon cœur. Il m’entendit et me montra son membre de telle raideurque, quand même je n’aurais pas désiré de le recevoir, c’eût été unpéché de laisser crever le pauvre garçon dans son jus, tandis quele remède était si près.

Nous prîmes donc un banc, pendant qu’Emily etson ami buvaient à notre bon voyage, car, comme ils l’observaient,nous étions favorisés d’un vent admirable. À la vérité, nous eûmesbientôt atteint le port de Cythère. Mais comme l’opération necomporte pas beaucoup de variétés, je vous en épargnerai ladescription.

Je vous prie aussi de vouloir excuser le stylefiguré dont je me suis servie, quoiqu’il ne puisse être, mieuxemployé que pour un sujet qui est si propre à la poésie qu’ilsemble être la poésie même, tant par les imaginations pittoresquesqu’il enfante que par les plaisirs divins qu’il procure.

Nous passâmes le reste de la journée et unepartie de la nuit dans mille plaisirs variés et nous fûmesreconduites en bonne santé chez Mme&|160;Cole par nos deuxcavaliers, qui ne cessèrent de nous remercier de l’agréablecompagnie que nous leur avions faite.

Ce fut ici la dernière aventure que j’eus avecEmily, qui, huit jours après, fut découverte par ses parents,lesquels, ayant perdu leur fils unique, furent si heureux deretrouver une fille qui leur restait qu’ils n’examinèrent seulementpas la conduite qu’elle avait tenue pendant une si longueabsence.

Il ne fut pas aisé de remplacer cette perte,car, pour ne rien dire de sa beauté, elle était d’un caractère siliant et si aimable que si on ne l’estimait pas on ne pouvait sepasser de l’aimer. Elle ne devait sa faiblesse qu’à une bonté tropgrande et à une indolente facilité, qui la rendait l’esclave despremières impressions. Enfin elle avait assez de bon sens pourdéférer à de sages conseils lorsqu’elle avait le bonheur d’enrecevoir, comme elle le montra dans l’état de mariage qu’ellecontracta peu de temps après avec un jeune homme de sa qualité,vivant avec lui aussi sagement et en si bonne intelligence que sielle n’eût jamais mené une vie si contraire à cet étatuniforme.

Cette désertion avait néanmoins tellementdiminué la société de Mme&|160;Cole qu’elle se trouvait seule avecmoi, telle qu’une poule à qui il ne reste plus qu’unepoulette&|160;; mais quoiqu’on la priât sérieusement de recruterson corps, ses infirmités et son âge l’engagèrent à se retirer àtemps à la campagne pour y vivre du bien qu’elle avaitamassé&|160;; résolue de mon côté d’aller la joindre dès quej’aurais goûté un peu plus du monde et de la chair et que je meserais acquis une fortune plus honnête.

Je perdis donc ma douce préceptrice avec unregret infini&|160;; car, outre qu’elle ne rançonnait jamais seschalands, elle ne pillait non plus en aucune façon ses écolières etne débauchait jamais de jeunes personnes, se contentant de prendrecelles que le sort avait réduites au métier, dont, à la vérité,elle ne choisissait que celles qui pouvaient lui convenir etqu’elle préservait soigneusement de la misère et des maladies où lavie publique mène pour l’ordinaire.

À la séparation de Mme&|160;Cole, je louai unepetite maison à Marylebone[21], que jemeublai modestement, mais avec propreté, où je vivotais à mon aisedes huit cents livres que j’avais épargnées.

Là, je vécus sous le nom d’une jeune femmedont le mari était en mer. Je m’étais d’ailleurs mise sur un ton dedécence et de discrétion qui me permettait de jouir ou d’épargnerselon que mes idées en disposeraient, manière de vivre à laquellevous reconnaîtrez aisément la pupille de Mme&|160;Cole.

À peine fus-je cependant établie dans manouvelle demeure que, me promenant un matin à la campagne,accompagnée de ma servante, et me divertissant sous les arbres, jefus alarmée par le bruit d’une toux violente. Tournant la tête, jevis un gentleman d’un certain âge, très bien mis, qui semblaitsuffoquer par une oppression de poitrine, ayant le visage aussinoir qu’un nègre. Suivant les observations que j’avais faites surcette maladie, je défis sa cravate et le frappai dans le dos, cequi le rendit à lui-même. Il me remercia avec, emphase du serviceque je venais de lui rendre, disant que je lui avais sauvé lavie.&|160;Ceci fit naturellement naître une conversation, danslaquelle il m’apprit sa demeure, qui se trouvait fort éloignée dela mienne.

Quoiqu’il semblait n’avoir que quarante-cinqans, il en avait néanmoins plus de soixante, ce qui venait d’unecouleur fraîche et d’une excellente complexion. Quant à sanaissance et à sa condition, son père, qui était mécanicien, mourutfort pauvre et le laissa aux soins delà paroisse, d’où il s’étaitmis dans un comptoir à Cadix, où, par son active intelligence, ilavait non seulement fait sa fortune, mais acquis des biensimmenses, avec lesquels il retourna dans sa patrie, où il ne putjamais découvrir aucun de ses parents, tant son extraction avaitété obscure. Il prit donc le parti de la retraite et vivait dansune opulence honnête et sans faste, regardant avec dédain un mondedont il connaissait parfaitement les détours.

Comme je veux vous écrire une lettreparticulière touchant la connaissance que je fis avec cet amiestimable, je ne vous en dirai ici qu’autant qu’il en faut pourservir de connexion à mon histoire et pour obvier à la surprise quecette aventure vous causera.

Notre commerce fut fort innocent aucommencement, mais il se familiarisa peu à peu et changea enfin denature. Mon ami possédait non seulement un air de fraîcheur, maisil avait aussi tout l’enjouement et toute la complaisance de lajeunesse. Il était outre cela excellent connaisseur du vrai plaisiret m’aimait avec dignité&|160;; ce qui faisait oublier toutes cesidées dégoûtantes que la vue d’un vieux galant fait naîtreordinairement.

Pour couper court, ce gentleman me prit chezlui, et je vécus pendant huit mois fort contente, lui donnant demon côté toutes les marques d’amour et de respect qu’il pouvaitprétendre&|160;; ce qui me l’attacha de telle sorte que, mourantpeu de temps après d’un froid qu’il gagna en courant de nuit à unincendie du voisinage, il me nomma son héritière et exécutrice deses dernières volontés.

Après lui avoir rendu les derniers devoirs dela sépulture, je regrettai sincèrement mon bienfaiteur, dont letendre souvenir ne sortira jamais de ma mémoire et dont je loueraitoujours le bon cœur.

Je n’avais pas encore dix-neuf ans, j’étaisbelle, j’étais riche. De tels avantages devraient être plus quesuffisants pour satisfaire quiconque les possède&|160;; néanmoins,semblable au malheureux Tantale, je voyais mon bonheur sanspouvoir, y goûter. Tandis que je vivais chez Mme&|160;Cole, ledélire de la débauche avait en quelque sorte suspendu mes regretset banni de mon cœur le souvenir de ma première passion. Mais dèsque je me vis rendue à moi-même, affranchie de la nécessité de meprostituer pour vivre, Charles reprit son empire sur mon âme&|160;;son image adorable me suivit partout, et je sentis que s’il n’étaittémoin de ma félicité, s’il ne la partageait pas, je ne pourraisjamais être heureuse. J’avais appris, pendant mon séjour, àMarylebone, que son père était mort et que ce précieux objet de ma.tendre affection devait revenir incessamment en Angleterre. Je vouslaisse à penser, ma chère amie, vous qui connaissez ce que c’estque le véritable amour, avec quel excès de joie, je reçus cettenouvelle, et avec quelle impatience j’attendis le fortuné moment oùnous devions nous revoir. Agitée comme je l’étais, il n’était paspossible que je demeurasse tranquille&|160;; aussi, pour medistraire et charmer mes inquiétudes, je résolus de faire un voyagedans mon pays natal, où je me proposais de démentir Esther Davis,qui avait fait courir le bruit qu’on m’avait envoyée aux colonies.Je partis, accompagnée d’une femme convenable et discrète, avectout l’attirail d’une dame de distinction. Un orage affreux m’ayantsurprise à douze milles de Londres, je jugeai à propos de m’arrêterdans l’hôtellerie la plus voisine que je trouvai sur ma route.J’étais à peine descendue de carrosse qu’un cavalier, contraintcomme moi de chercher un abri, arriva au galop. Il était mouilléjusqu’à la peau. En mettant pied à terre, il pria le maître de lamaison de lui prêter de quoi changer, pendant qu’on ferait sécherses habits. Mais, ô&|160;! destin trop heureux, quel son enchanteurfrappa tout à coup mon oreille, et de quel ravissement ne fus-jepoint saisie lorsque je l’envisageai&|160;! Une large redingotedont le capuchon lui enveloppait la tête, un grand chapeaupar-dessus, dont les bords étaient baissés, en un mot, plusieursannées d’absence ne m’empêchèrent pas de le reconnaître. Eh&|160;!comment aurais-je pu m’y méprendre&|160;? Est-il rien qui puisseéchapper aux regards pénétrants de l’amour&|160;? L’émotion oùj’étais me faisant oublier toute retenue, je m’élançai comme untrait entre ses bras, lui passant les miens au cou, et l’excès dela joie m’ôtant la liberté de la parole, je m’évanouis enprononçant confusément deux ou trois mots, tels que&|160;:«&|160;Mon âme… ma vie… mon Charles…&|160;» Quand je fus revenue àmoi-même, je me trouvai dans une chambre, entourée de tout le mondedu logis, que cet événement avait rassemblé, et mon adorable à mespieds, qui, me tenant les mains serrées dans les siennes, meregardait avec des yeux où régnaient à la fois la surprise, latendresse et la crainte. Il resta quelques moments sans pouvoirproférer une syllabe. Enfin, ces douces expressions sortirent de sadivine bouche&|160;: «&|160;Est-ce bien vous, mon aimable, ma chèreFanny&|160;? après un si long espace de temps&|160;!… après une silongue absence&|160;! M’est-il permis de vous revoir encore&|160;?…N’est-ce point une illusion&|160;?…&|160;» Et dans la vivacité deses transports, il me dévorait de caresses et m’empêchait de luirépondre par les baisers qu’il imprimait sur mes lèvres. Je metrouvais de mon côté dans un état si ravissant, que j’étaiseffrayée de mon bonheur, et je tremblais que ce ne fût un songe.Cependant, je l’embrassais avec une fureur extrême, je le serraisde toutes mes forces, comme pour l’empêcher de m’échapper denouveau. «&|160;Où avez-vous été&|160;? m’écriai-je… Comment…comment pûtes-vous m’abandonner&|160;? Êtes-vous toujours monamant&|160;?… M’aimez-vous toujours&|160;?… Oui, cruel, je vouspardonne toutes les peines que j’ai souffertes en faveur de votreretour.&|160;» Le désordre de nos questions et de nos réponses, letrouble, la confusion de nos discours étaient d’autant pluséloquents qu’ils parlaient du cœur et que le seul sentiment nousles dictait.

Tandis que nous étions plongés dans cettedélicieuse ivresse, que nos âmes étaient absorbées dans la joie,l’hôtesse apporta des hardes à Charles&|160;; je voulus avoir lasatisfaction de le servir et de l’aider de mes mains, et je pusobserver la vigueur et la complexion toujours vivace de soncorps.

Après avoir calmé nos transports, mon amantm’apprit qu’il avait fait naufrage sur les côtes d’Irlande et quece qui causait son désespoir c’était l’impossibilité où ce désastrele mettait de pouvoir désormais me faire aucun bien. L’aveu naïf deson infortune m’attendrit et m’arracha des larmes. Néanmoins je nepus m’empêcher de m’applaudir secrètement de me trouver dans lasituation de réparer ses malheurs.

Il serait inutile de vous retracer ce qui sepassa entre nous cette nuit-là, vous le devinez aisément. Le voyageque j’avais projeté dans la province était désormais hors dequestion. Le lendemain nous revînmes à Londres.

Pendant la route, le tumulte de mes sens étantsuffisamment calmé, je me sentis la tête assez froide pour luiraconter avec mesure le genre de vie où j’avais été engagée aprèsnotre séparation. Si tendrement peiné qu’il en fût comme moi-même,il n’en était que peu surpris, eu égard aux circonstances danslesquelles il m’avait laissée.

Je lui fis ensuite connaître l’état de mafortune, avec cette sincérité qui, dans mes rapports avec lui,m’était si naturelle et en le priant de l’accepter aux conditionsqu’il fixerait lui-même. Je vous semblerais peut-être trop partialeenvers ma passion si j’essayais de vous vanter sa délicatesse. Jeme contenterai donc de vous assurer qu’il refusa catégoriquement ladonation sans réserve, sans conditions que je lui offrais avecinstance&|160;; enfin, je dus céder à sa volonté, et il ne fallutpour cela rien de moins que l’absolue autorité dont l’amourl’investissait sur moi. Je cessai donc d’insister sur laremontrance que je lui avais très sérieusement faite&|160;: àsavoir qu’il se dégraderait et encourrait le reproche, si injustefût-il, d’avoir, pour un intérêt d’argent, sali son honneur dansl’infamie et la prostitution, en faisant sa femme légitime d’unecréature qui devait se trouver trop honorée d’être simplement samaîtresse.

L’amour triomphait ainsi de toute objection etCharles, entièrement gagné par la tendresse de mes sentiments dontil pouvait lire la sincérité dans mon cœur toujours ouvert pourlui, m’obligea à recevoir sa main. J’avais, de la sorte, parmi tantd’autres, bonheurs, celui d’assurer une filiation légitime à cesbeaux enfants que vous avez vus, fruits de la plus heureuse desunions.

C’est ainsi qu’enfin j’étais arrivée au port.Là, dans le sein de la vertu, je savourais les seulesincorruptibles délices&|160;; regardant derrière moi la carrière duvice que j’avais parcourue, je comparais ses infâmes plaisirs avecles joies infiniment supérieures de l’innocence&|160;; et je nepouvais me retenir d’un sentiment de pitié, même au point de vue dugoût, pour ces esclaves d’une sensualité grossière, insensibles auxcharmes si délicats de la VERTU, cette grande ennemie du VICE, maisqui n’en est pas moins la plus grande amie du PLAISIR. Latempérance élève les hommes au-dessus des passions, l’intempéranceles y asservit&|160;; l’une produit santé, vigueur, fécondité,gaieté, tous les biens de la vie&|160;; l’autre n’enfante quemaladies, débilité, stérilité, dégoût de soi-même, tous les mauxqui peuvent affliger l’humaine nature.

&|160;

Vous riez, peut être, de cet épilogue moralque me dicte la vérité, après des expériences comparées&|160;; vousle trouvez sans doute en désaccord avec mon caractère&|160;;peut-être aussi le considérez-vous comme une misérable finasseriedestinée à masquer la dévotion au vice sous un lambeau de voileimpunément arraché de l’autel de la Vertu&|160;; je ressembleraisalors à une femme qui, dans une mascarade, se croirait complètementdéguisée, parce qu’elle aurait, sans plus changer de costume,simplement transformé ses souliers en pantoufles ou à un écrivainqui prétendrait excuser un libelle du crime de lèse-majesté, parcequ’il y aurait inséré, en terminant, une prière pour le roi. Mais,outre que vous avez, je m’en flatte, une meilleure opinion de monbon sens et de ma sincérité, permettez-moi de vous faire observerqu’une telle supposition serait plus injurieuse pour la vertu quepour moi-même&|160;; en effet, en toute candeur et bonne foi, ellene peut reposer que sur la plus fausse des craintes, à savoir queles plaisirs de la vertu ne sauraient soutenir la comparaison avecceux du vice. Eh bien&|160;! qu’on ose montrer le vice sous sonjour le plus attrayant, et vous verrez alors combien sesjouissances sont vaines, combien grossières, combien inférieures àcelles que la vertu sanctionne. Et celle-ci non seulement nedédaigne pas d’assaisonner le plaisir des sens, mais ellel’assaisonne délicieusement, tandis que les vices sont des harpiesqui infectent et souillent le festin. Les sentiers du vice sontparfois semés de roses, mais toujours aussi infestés d’épines et devers rongeurs&|160;; ceux de la vertu sont uniquement semés deroses, et ces roses ne se fanent jamais.

Donc, si vous me rendez justice, vous metrouverez parfaitement en droit de brûler de l’encens pour lavertu. Si j’ai peint le vice sous ses couleurs les plus gaies, sije l’ai enguirlandé de fleurs, ce n’a été que pour en faire unsacrifice plus digne et plus solennel à la vertu.

Vous connaissez Mr. C… O…, vous connaissez safortune, son mérite, son bon sens&|160;: pouvez-vous, oserez-vousprononcer que lui, du moins, avait tort lorsque, préoccupé del’éducation morale de son fils et voulant le former à la vertu, luiinspirer un mépris durable et raisonné du vice, il consentait à sefaire son maître de cérémonies et à le conduire par la main dansles maisons les plus mal famées de la ville, pour le familiariseravec toutes ces scènes de débauche si propres à révolter le bongoût&|160;? L’expérience, direz-vous, est dangereuse. Oui, sur unfou&|160;; mais les fous sont-ils dignes de tantd’attention&|160;?

Je vous verrai bientôt&|160;; en attendant,veuillez-moi du bien et croyez-moi pour toujours,

Madame,

Votre, etc., etc. XXX.

FIN

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