ALCIBIADE mineur ou De la Prière de Platon
(aussi appelé Second Alcibiade car jugé inférieur au « Premier Alcibiade« ; les 2 parties sont souvent appelées Alcibiade majeur et Alcibiade mineur)
PERSONNAGES DU DIALOGUE: SOCRATE, ALCIBIADE
SOCRATE.
Alcibiade, vas-tu dans ce temple pour y prier?
ALCIBIADE.
Oui Socrate, c’est mon dessein.
SOCRATE.
Aussi tu me parais bien rêveur, et je te vois les yeux
attachés à terre, comme un homme qui réfléchit
profondément.
ALCIBIADE.
Et a-t-on donc besoin de réflexions si profondes,
Socrate?
SOCRATE.
Les plus profondes, Alcibiade, ce me semble. Car,
au nom de Jupiter, ne penses-tu pas que lorsque nous
adressons nos prières aux dieux, soit en public, soit en
particulier, les dieux nous accordent certaines choses et
nous en refusent d’autres? que tantôt ils exaucent, et
tantôt ils rejettent nos vœux?
ALCIBIADE.
Certainement.
SOCRATE.
Eh bien! alors ne te semble-t-il pas que la prière exige
beaucoup d’attention, de peur que, sans qu’on s’en
aperçoive, on ne demande aux dieux de grands maux,
en croyant leur demander de grands biens, et que les
dieux ne se trouvent dans la disposition d’accorder ce
qu’on leur demande; comme Œdipe qui, dans un
accès de colère, demanda aux dieux, à ce qu’on dit, que
ses enfants décidassent leurs droits par l’épée. Et tandis
qu’il pouvait prier les dieux d’éloigner de lui les maux
dont il était accablé, il s’en attira de nouveaux; car ses
vœux furent exaucés, et de là cette longue suite de
malheurs épouvantables, qu’il n’est pas nécessaire de te
conter ici en détail .
ALCIBIADE.
Mais, Socrate, tu me parles-là d’un homme en délire: car
peux-tu croire qu’un homme dans son bon sens eût pu
faire de telles prières?
SOCRATE.
Être en délire te paraît opposé à être dans son bon sens?
ALCIBIADE.
Assurément.
SOCRATE.
Ne trouves-tu pas qu’il y a des hommes sensés et
d’autres qui ne le sont pas?
ALCIBIADE.
Et bien?
SOCRATE.
Voyons, tâchons de les bien reconnaître. Il est convenu
qu’il y a des hommes sensés et d’autres qui ne le sont
pas, et d’autres encore qui sont en délire?
ALCIBIADE.
Oui, cela est convenu.
SOCRATE.
N’y a-t-il pas des gens sains?
ALCIBIADE.
Oui.
SOCRATE.
Et d’autres, malades?
ALCIBIADE.
Sans doute.
SOCRATE.
Ce ne sont pas les mêmes?
ALCIBIADE.
Non, certes.
SOCRATE.
Y en a-t-il qui ne soient ni malades ni sains?
ALCIBIADE.
Non pas, que je sache.
SOCRATE.
Car il faut qu’un homme soit sain ou malade.
ALCIBIADE.
A ce qu’il me semble.
SOCRATE.
Mais quoi! du bon sens et de son contraire, en est-il de
même, à ton avis?
ALCIBIADE.
Comment dis-tu?
SOCRATE.
Je te demande s’il te paraît nécessaire qu’un homme soit
sensé ou insensé, ou s’il y a un certain milieu qui
permette de n’être ni l’un ni l’autre?
ALCIBIADE.
Non, il n’y a point de milieu.
SOCRATE.
Il faut donc nécessairement qu’on soit l’un ou l’autre?
ALCIBIADE.
Je le trouve ainsi.
SOCRATE.
Ne te souvient-il pas que tu es convenu que le délire est
opposé au bon sens?
ALCIBIADE.
Je m’en souviens très bien.
SOCRATE.
Et aussi qu’il n’y a pas de milieu qui permette de n’être ni
sensé ni insensé?
ALCIBIADE.
Oui, j’en suis convenu.
SOCRATE.
Mais se peut-il qu’une même chose ait deux contraires
qui lui soient opposés?
ALCIBIADE.
Nullement.
SOCRATE.
Ne pas être dans son bon sens, et être en délire, ont
donc bien l’air d’être une seule et même chose?
ALCIBIADE.
Il paraît bien.
SOCRATE.
Quand donc nous dirons que tous ceux qui ne sont pas
dans leur bon sens sont en délire, nous dirons bien. Sans
aller plus loin, nous le dirons des hommes de ton âge,
s’il y en a qui ne soient pas dans leur bon sens, comme il
y en a sans doute, et dans un âge plus avancé; car, je te
prie, ne trouves-tu pas que dans cette ville les hommes
sensés sont fort rares, et que le grand nombre n’a pas
de sens, c’est-à-dire, selon toi, qu’il est en délire?
ALCIBIADE.
Sans difficulté.
SOCRATE.
Mais penses-tu que nous fussions bien en sûreté au
milieu de tant de furieux, et que nous n’eussions
pas déjà porté la peine de ce voisinage, reçu des coups,
et essuyé toutes les insultes qu’on doit attendre de
pareils hommes? Prends donc garde, mon cher, que la
chose ne soit autrement que tu ne dis.
ALCIBIADE.
Comment est-elle donc? car je pourrais bien m’être
trompé.
SOCRATE.
Il me le semble aussi, et c’est ce qu’il faut examiner de
cette manière.
ALCIBIADE.
De quelle manière?
SOCRATE.
Je vais te le dire: il y a des malades, n’est-ce pas?
ALCIBIADE.
Qui en doute?
SOCRATE.
Être malade, est-ce avoir ou la goutte, ou la fièvre, ou
mal aux yeux? Et ne crois-tu pas qu’on peut n’avoir
aucun de ces maux-là, et être pourtant malade d’une
autre maladie? car il y en a plusieurs espèces, et ce ne
sont pas là les seules.
ALCIBIADE.
J’en suis très persuadé.
SOCRATE.
Tout mal d’yeux te paraît une maladie?
ALCIBIADE.
Oui.
SOCRATE.
Et toute maladie te paraît-elle un mal d’yeux?
ALCIBIADE.
Non, assurément; mais je ne vois pas ce que cela
prouve.
SOCRATE.
Si tu veux me suivre, peut-être le trouverons-nous, en
le cherchant à deux .
ALCIBIADE.
Je te suis de toutes mes forces.
SOCRATE.
Ne sommes-nous pas convenus que tout mal d’yeux est
une maladie, et que toute maladie n’est pas un mal
d’yeux?
ALCIBIADE.
Nous en sommes convenus.
SOCRATE.
Et avec raison; car tous ceux qui ont la fièvre sont
malades; mais tous ceux qui sont malades n’ont pas la
fièvre, ou la goutte, ou mal aux yeux, je pense. Ce
sont bien là des maladies; mais, à ce que disent les
médecins, on les guérit par des moyens très différents:
car elles ne sont pas toutes les mêmes, et on ne les
traite pas toutes de la même façon, mais chacune selon
sa nature. Cependant ce sont toutes des maladies. Dis-
moi encore: il y a plusieurs sortes d’artisans, n’est-ce
pas?
ALCIBIADE.
Oui.
SOCRATE.
Il y a des cordonniers, des architectes, des sculpteurs, et
une infinité d’autres qu’il n’est pas nécessaire de
nommer: ils remplissent les différentes divisions des arts;
ils sont tous artisans; et cependant ils ne sont pas
tous architectes, cordonniers, sculpteurs, bien qu’ils
soient tous artisans en général.
ALCIBIADE.
Cela est vrai.
SOCRATE.
La folie est divisée de la même manière entre les
hommes: le plus haut degré de folie nous l’appelons
délire; un moindre degré, bêtise et stupidité; mais ceux
qui veulent se servir de termes honnêtes, appellent le
délire de l’exaltation, et la bêtise, de la simplicité. Ou
bien on dit encore que ce sont des gens qui n’ont
pas de méchanceté, qui ont peu d’expérience, des
enfants. En cherchant, tu trouveras encore beaucoup
d’autres noms; mais enfin c’est toujours de la folie: et
toutes ces espèces de folie ne diffèrent que comme un
art diffère d’un autre art, et une maladie d’une autre
maladie. Ne le trouves-tu pas comme moi?
ALCIBIADE.
Tout comme toi.
SOCRATE.
Revenons donc au point d’où nous sommes partis. Notre
premier dessein était de reconnaître les fous et les
hommes sensés; car nous sommes tombés d’accord qu’il
y a des hommes sensés et d’autres qui ne le sont pas,
n’est-ce point?
ALCIBIADE.
Oui, nous en sommes tombés d’accord.
SOCRATE.
N’appelles-tu pas sensé celui qui sait ce qu’il faut faire
et dire?
ALCIBIADE.
Oui.
SOCRATE.
Et qu’appelles-tu insensé? N’est-ce pas celui qui ne sait
ni l’un ni l’autre?
ALCIBIADE.
Assurément.
SOCRATE.
Ceux qui ne savent ni ce qu’il faut dire, ni ce qu’il faut
faire, ne disent-ils point et ne font-ils point, sans s’en
douter, ce qu’il ne faut pas?
ALCIBIADE.
Il me semble.
SOCRATE.
Je te disais qu’Œdipe était de ce nombre; mais
encore aujourd’hui, tu en trouveras beaucoup qui, sans
être comme lui transportés par la colère, demandent aux
dieux de véritables maux, pensant lui demander de
véritables biens. Car pour Œdipe, s’il ne demandait pas
des biens, il ne croyait pas non plus en demander, au
lieu que les autres font tous les jours le contraire; et,
sans aller plus loin, Alcibiade, si le dieu que tu vas prier
paraissait tout d’un coup , et qu’avant que tu eusses
ouvert la bouche, il te demandât si tu serais content
d’être roi d’Athènes; ou, si cela te paraissait trop peu de
chose, de toute la Grèce; ou, si tu n’étais pas
encore satisfait, qu’il te promît l’Europe entière, et qu’il
ajoutât, pour remplir ton ambition, que, le même jour,
tout l’univers saurait qu’Alcibiade, fils de Clinias, est roi;
je suis persuadé que tu sortirais du temple au comble de
la joie, comme venant de recevoir le plus grand de tous
les biens.
ALCIBIADE.
Et je suis convaincu, Socrate, qu’il en serait ainsi de tout
autre que moi, si la même fortune lui arrivait.
SOCRATE.
Mais tu ne voudrais pas donner ta vie pour le plaisir de
commander aux Grecs et aux Barbares?
ALCIBIADE.
Non, sans doute; car a quoi bon? Je ne pourrais en jouir.
SOCRATE.
Mais si tu devais en jouir, et que cette jouissance dût
t’être funeste, n’en voudrais-tu pas encore?
ALCIBIADE.
Non, certes.
SOCRATE.
Tu vois donc bien qu’il n’est pas sûr d’accepter au hasard
ce qui se présente, ni de faire soi-même des vœux, si
l’on doit par là attirer sur sa tête des calamités, ou
perdre même la vie: et on pourrait citer beaucoup
d’ambitieux qui, ayant désiré avec passion la tyrannie, et
n’ayant rien épargné pour y parvenir comme au plus
grand de tous les biens, n’ont dû à cette élévation que
de périr sous les embûches de leurs ennemis. Il n’est pas
possible que tu n’aies entendu parler de ce qui vient
d’arriver hier, ce matin même . Archélaüs, roi de
Macédoine, avait un favori qu’il aimait avec une passion
démesurée; ce favori, encore plus amoureux du trône
d’Archélaüs, qù’Archélaüs ne l’était de lui, vient de le tuer
pour se mettre à sa place, se flattant qu’il ne serait pas
plus tôt roi qu’il serait l’homme du monde le plus
heureux; mais à peine a-t-il joui trois ou quatre jours de
la tyrannie, que le voilà égorgé, a son tour, par d’autres
ambitieux.
Et parmi nos Athéniens (et quant à ceci nous ne l’avons
pas ouï dire, nous l’avons vu de nos propres yeux),
combien y en a-t-il qui, après avoir souhaité avec ardeur
d’être généraux d’armée et avoir obtenu ce qu’ils
désiraient, errent encore aujourd’hui dans l’exil, ou ont
péri; ou bien, et c’est encore là le sort le plus beau, ont
passé leur vie dans des dangers innombrables et des
frayeurs continuelles, non-seulement pendant leur
généralat, mais encore après leur retour dans leur patrie,
où ils ont eu à soutenir contre les délateurs une guerre
plus cruelle que toutes les guerres contre l’ennemi; au
point que la plupart ont fini par maudire leur élévation.
Encore si tous ces dangers et toutes ces fatigues
conduisaient à quelque chose d’utile, il y aurait quelque
raison à s’y exposer; mais c’est tout le contraire.
Ce que je dis des honneurs, je le dis aussi des enfants.
Combien avons-nous vu de gens qui, après en avoir
demandé aux dieux et en avoir obtenu, se sont attiré par
là de grands chagrins! les uns ont passé toute leur vie
dans la douleur et l’amertume, pour en avoir eu de
méchants; et les autres, qui en ont eu de bons,
venant à les perdre, ont été aussi malheureux que les
premiers, et auraient beaucoup mieux aimé n’avoir
jamais été pères. Néanmoins, malgré l’éclat de ces dures
leçons, à peine trouverait-on un homme qui refusât ces
faux biens si les dieux les lui envoyaient, ou qui cessât
de les demander s’il croyait les obtenir par ses prières.
La plupart ne refuseraient ni la tyrannie, ni le
commandement des armées, ni tous les autres
biens, qui sont réellement beaucoup plus pernicieux
qu’utiles; et ils les solliciteraient, s’ils ne se présentaient
pas d’eux-mêmes. Mais attends un moment, bientôt tu
les entendras chanter la palinodie, et faire des vœux tout
contraires aux premiers. Pour moi, je crains que ce ne
soit véritablement à tort que les hommes se plaignent
des dieux, et les accusent d’être la cause de leurs maux;
tandis que ce sont eux-mêmes qui, par leurs vices ou
leurs folies,
Se rendent misérables malgré le sort .
Et c’est pourquoi, Alcibiade, je trouve bien du sens à ce
poète qui, ayant, comme je pense, des amis fort
imprudents, et leur voyant faire tous les jours et
demander aux dieux des choses qui leur paraissaient
bonnes et qui étaient pourtant très mauvaises, composa
pour eux tous en commun une prière; la voici:
«Puissant Jupiter, donne-nous les vrais biens, que
nous les demandions, ou que nous ne les demandions
pas; et éloigne de nous les maux, quand même nous te
les demanderions.»
Cette prière me paraît très belle et très sûre. Si tu y
trouves quelque chose à redire, parle.
ALCIBIADE.
Il est malaisé de contredire ce qui est bien dit. Mais je
songe, Socrate, combien de maux l’ignorance cause aux
hommes. C’est elle qui, à notre insu, nous fait faire
tous les jours des choses qui nous sont funestes, et, ce
qu’il y a de plus déplorable, c’est elle qui nous porte à
demander aux dieux nos propres malheurs. Personne ne
s’en doute; et tout le monde se croit fort en état de
demander aux dieux du bonheur et non de la misère; car
ce ne serait pas là une prière, mais une véritable
imprécation.
SOCRATE.
Mais peut-être, mon cher Alcibiade, un homme plus sage
que toi et moi, nous dirait que nous avons grand tort
de blâmer ainsi l’ignorance indistinctement, sans
ajouter quelle sorte d’ignorance nous condamnons; et
que s’il y a des cas où elle est mauvaise, il y en a
d’autres où elle est bonne.
ALCIBIADE.
Comment dis-tu, Socrate, y a-t-il rien qu’il soit plus utile
d’ignorer que de savoir?
SOCRATE.
Oui, selon moi. Tu n’es pas de cet avis?
ALCIBIADE.
Non, certes, par Jupiter!
SOCRATE.
Assurément je ne t’accuserai pas de vouloir te porter
contre ta mère aux fureurs d’un Oreste, ou d’un
Alcméon, ou d’aucun autre parricide.
ALCIBIADE.
Comment! au nom des dieux, parle mieux, Socrate, je
t’en prie.
SOCRATE.
Tu as tort, Alcibiade, de me recommander cela, à moi
qui déclare que tu n’es pas capable de rien vouloir de
semblable; ce serait le cas, si l’on te disait le contraire,
puisque ces actions te paraissent si abominables qu’on
ne doit pas même les nommer légèrement. Mais, dis-
moi, crois-tu qu’Oreste, s’il avait été dans son bon sens,
et s’il eût su ce qu’il avait de mieux à faire, eût osé faire
ce qu’il fit?
ALCIBIADE.
Non, assurément.
SOCRATE.
Ni lui ni aucun autre?
ALCIBIADE.
Ni aucun autre.
SOCRATE.
L’ignorance de ce qui est bien, est donc un mal, à ce
qu’il paraît?
ALCIBIADE.
Du moins selon moi.
SOCRATE.
Et pour Oreste, et pour tout autre?
ALCIBIADE.
Oui.
SOCRATE.
Examinons encore un peu ceci. S’il t’était monté tout
d’un coup dans la tête, croyant bien faire, d’aller tuer
Périclès, ton tuteur et ton ami; et si, prenant un
poignard, tu fusses allé droit à sa porte demander
s’il était chez lui, dans l’intention de le tuer, lui et non
pas un autre, et que l’on t’eût dit qu’il y était. Je ne veux
pas dire par là que tu aies jamais songé à une action si
horrible, mais tu pourras bien penser, je crois, qu’il n’y a
pas de raison pour qu’un homme qui ne connaît pas ce
qui est bien, ne se laisse entraîner à prendre pour bon ce
qui est mauvais en soi. Ne le penses-tu pas?
ALCIBIADE.
Sans doute.
SOCRATE.
Continuons. Tu entres chez Périclès, tu le vois,
mais tu ne le reconnais pas, et tu crois que c’est un
autre; oserais-tu encore le tuer?
ALCIBIADE.
Non, par Jupiter!
SOCRATE.
Car ce n’était pas à celui-là, mais à Périclès seul que tu
en voulais. N’est-ce pas?
ALCIBIADE.
Oui.
SOCRATE.
Et toutes les fois que tu aurais été chez lui dans le même
dessein, et que tu ne l’aurais pas reconnu, tu ne lui
aurais fait aucun mal.
ALCIBIADE.
Aucun.
SOCRATE.
Quoi donc! crois-tu qu’Oreste eût porté ses mains sur sa
mère s’il ne l’avait pas reconnue?
ALCIBIADE.
Non, je ne le crois pas.
SOCRATE.
Car il ne cherchait pas à tuer la première venue, ni la
mère de celui-ci ou de celui-là; mais il voulait tuer sa
propre mère.
ALCIBIADE.
C’est cela.
SOCRATE.
Cette sorte d’ignorance est donc très bonne à ceux qui
sont dans la disposition d’Oreste et égarés par de
semblables opinions.
ALCIBIADE.
Il semble.
SOCRATE.
Tu vois donc qu’en certains cas, l’ignorance est un bien,
et non pas un mal, comme tu le pensais tout à l’heure.
ALCIBIADE.
Je commence à le voir.
SOCRATE.
Bien plus, si tu veux prendre la peine d’examiner ce que
je vais te dire, tout absurde que cela soit en apparence,
peut-être conviendras-tu qu’il en est ainsi.
ALCIBIADE.
Qu’est-ce donc, Socrate?
SOCRATE.
C’est que, à vrai dire, il peut se faire que toutes les
sciences, sans la science de ce qui est bien, soient
rarement utiles à ceux qui les possèdent, et que le plus
souvent elles leur soient pernicieuses. Suis-moi, je te
prie: lorsque nous allons dire ou faire quelque chose, ne
faut-il pas, de toute nécessité, ou que nous sachions
véritablement ce que nous allons faire ou dire, ou
que nous croyions au moins le savoir?
ALCIBIADE.
Sans doute.
SOCRATE.
Selon ce principe, les orateurs qui tous les jours
conseillent le peuple, le conseillent sur les choses qu’ils
savent ou qu’ils croient savoir. Les uns lui donnent des
conseils sur la paix et sur la guerre; les autres, sur les
fortifications à élever, sur les ports à construire: en
un mot, la république ne prend aucune mesure intérieure
ou extérieure, que par le conseil des orateurs.
ALCIBIADE.
Cela est vrai.
SOCRATE.
Vois un peu si, pour ce qui suit, je viendrai à bout de ma
démonstration. Ne dis-tu pas qu’il y a des hommes
sensés et d’autres qui ne le sont pas?
ALCIBIADE.
Oui.
SOCRATE.
Les insensés ne sont-ils pas le grand nombre, et les
sensés une petite minorité?
ALCIBIADE.
Sans difficulté.
SOCRATE.
N’est-ce pas pour quelque motif que tu les appelles
sensés et insensés?
ALCIBIADE.
Assurément.
SOCRATE.
Appelles-tu donc sensé celui qui sait donner des
conseils, mais sans savoir ce qu’il y a à faire, ni dans
quel temps il faut le faire?
ALCIBIADE.
Non, certes.
SOCRATE.
Ni, je pense, celui qui sait faire la guerre, sans savoir ni
quand ni combien de temps elle est convenable?
ALCIBIADE.
Pas davantage.
SOCRATE.
Ni celui qui sait faire mourir, condamner à des amendes,
envoyer en exil, et qui ne sait ni quand ni envers qui de
telles mesures sont bonnes?
ALCIBIADE.
Je n’ai garde.
SOCRATE.
Mais celui qui sait faire toutes ces choses, pourvu qu’il
ait aussi la science de ce qui est bien, et cette science
est la même que la science de ce qui est utile, n’est-ce
pas?
ALCIBIADE.
Oui.
SOCRATE.
Celui-là, nous l’appellerons un homme sensé, capable de
se conseiller lui-même et de conseiller la république.
Autrement nous en dirons tout le contraire. Que t’en
semble?
ALCIBIADE.
Je suis tout-à-fait de ton avis.
SOCRATE.
Quand quelqu’un sait monter à cheval, tirer de l’arc,
quand il est habile à la lutte, au pugilat, dans quelque
autre exercice gymnastique, ou dans un art
quelconque, comment l’appelles-tu, lorsqu’il sait ce qui
est bien suivant cet art? N’appelles-tu pas écuyer celui
qui est habile dans l’art de mener un cheval?
ALCIBIADE.
Oui.
SOCRATE.
Lutteur celui qui est exercé à la lutte; musicien celui qui
sait la musique, et ainsi des autres? Ou en agis-tu
autrement?
ALCIBIADE.
Non; je fais comme tu dis.
SOCRATE.
Trouves-tu que ce soit une nécessité que celui qui est
habile dans un de ces arts soit un homme sensé, ou
dirons-nous qu’il s’en faut beaucoup?
ALCIBIADE.
Il s’en faut extrêmement, Socrate.
SOCRATE.
Que dirais-tu d’une république composée d’excellents
tireurs d’arc, de joueurs de flûtes, d’athlètes, et autres
gens de cette sorte, mêlés avec ceux dont nous avons
parlé tout-à-l ’heure, qui savent faire la guerre, et
condamner à mort, et avec ces orateurs enflés d’orgueil
politique; supposé qu’il leur manque à tous la science de
ce qui est bien, et que parmi eux il n’y ait pas un seul
homme qui sache, ni en quelle occasion, ni à quelle fin il
faut employer chacun de ces arts?
ALCIBIADE.
Je dirais, Socrate, que ce serait une assez mauvaise
république.
SOCRATE.
Tu le dirais bien plus lorsque tu verrais chacun d’eux,
plein d’ambition, employer tous les soins qu’il doit à la
chose publique, à tâcher d’y être le premier. c’est-
à-dire, le premier dans ce qui est bien suivant son art;
lorsque tu lui verrais faire la plupart du temps, contre ce
qui est réellement bien, des fautes graves et pour lui-
même et pour la république, s’abandonnant
inconsidérément au courant de l’opinion. Cela
étant, n’aurions-nous pas grande raison de dire qu’une
telle république ne peut qu’être pleine de désordre et
d’injustice?
ALCIBIADE.
Oui, par Jupiter, assurément!
SOCRATE.
Ne sommes-nous pas convenus qu’il fallait, de toute
nécessité, ou que nous crussions savoir, ou que nous
sussions effectivement ce que nous voulons faire ou dire
avec facilité?
ALCIBIADE.
Nous en sommes convenus.
SOCRATE.
Si donc quelqu’un fait ce qu’il sait, ou croit savoir, il en
résulte un grand avantage et pour l’État et pour lui-
même?
ALCIBIADE.
En peut-on douter?
SOCRATE.
Et quand il en est autrement, il en résulte tout le
contraire?
ALCIBIADE.
Nul doute.
SOCRATE.
Penses-y; persistes-tu dans ce sentiment?
ALCIBIADE.
J’y persiste.
SOCRATE.
N’as-tu pas dit que le grand nombre est composé de
fous, et que les hommes sensés sont le petit nombre?
ALCIBIADE.
Oui, et je le dis encore.
SOCRATE.
Dans ce cas, ne faut-il pas dire que le grand nombre fait
des fautes contre ce qui est bien, s’abandonnant
inconsidérément la plupart du temps au courant de
l’opinion?
ALCIBIADE.
Eh bien! il faut le dire.
SOCRATE.
Il est donc avantageux à ce grand nombre de ne rien
savoir et de ne pas croire savoir, parce que ce qu’ils
sauront ou croiront savoir, ils voudront l’exécuter, et
qu’en l’exécutant, au lieu d’en tirer de l’utilité, ils n’en
recevront que du préjudice.
ALCIBIADE.
Tu dis vrai.
SOCRATE.
Tu vois donc que je n’avais pas tort quand je disais
tantôt qu’il pouvait se faire que toutes les sciences, sans
la science de ce qui est bien, sont rarement utiles à ceux
qui les possèdent, et qu’elles leur sont le plus souvent
très pernicieuses. Tu ne sentais pas alors cette vérité?
ALCIBIADE.
Non, pas alors, mais je la sens présentement, Socrate.
SOCRATE.
Il faut donc qu’une ville ou qu’une âme, qui veut se bien
conduire, s’attache à cette science, comme un malade à
son médecin, et comme celui qui veut arriver à bon port
s’abandonne à un pilote. Car, sans elle et moins
l’âme a reçu préalablement de salutaires instructions
relativement aux richesses, à la santé, et aux autres
avantages de ce genre, plus elle est en péril de voire de
grandes fautes. Celui qui possédera toutes les sciences
et tous les arts, et qui sera dénué de cette science,
poussé par chacune d’elles, connue par autant de vents
impétueux, ne sera-t-il pas avec raison battu par la
tempête? Et comme il n’a point de pilote, n’est-il pas
impossible qu’il reste longtemps sur cette mer,
sans périr? Il me semble que c’est ici que s’applique ce
que le poète dit d’un homme qu’il veut blâmer: Il savait
beaucoup de choses mais il les savait toutes mal.
ALCIBIADE.
Comment le vers du poète s’applique-t-il ici, Socrate?
car, pour moi, il ne me paraît guère aller avec notre
sujet.
SOCRATE.
Il y va très bien, au contraire. Mais, mon cher Alcibiade,
c’est une espèce d’énigme. Telle est sa manière et celle
de presque tous les autres poètes. Toute poésie est
naturellement énigmatique, et il n’est pas donné à
tous les hommes d’en saisir le sens; et, outre sa nature
énigmatique, si le poète est un homme avare et jaloux
de la sagesse, et qui, au lieu de nous la découvrir, ne
cherche qu’à la cacher, alors il est presque impossible de
pénétrer sa pensée. Tu n’accuseras jamais Homère, ce
poète si sage et tout divin, d’avoir ignoré qu’il n’est pas
possible de mal savoir ce que l’on sait. C’est lui qui dit de
Margitès, qu’il savait beaucoup de choses, mais
qu’il les savait toutes mal ; mais il parle par
énigme, et met, je pense, il savait pour son savoir, et
mal pour malheureux; cela ne pouvait pas entrer dans la
composition de son vers, mais ce qu’il a voulu dire
certainement, c’est que Margitès savait beaucoup de
choses, et que c’était pour lui un malheureux savoir. Si
beaucoup savoir était un malheur pour lui, il fallait
nécessairement que ce fût un méchant homme, s’il faut
s’arrêter à ce que nous avons dit plus haut.
ALCIBIADE.
Et il le faut, à ce qu’il me semble, Socrate; je ne sais
plus à quoi je croirais, si je ne me rendais à ce que tu as
dit.
SOCRATE.
Ainsi véritablement tu es de mon avis?
ALCIBIADE.
Oui, je te le répète.
SOCRATE.
Mais, Alcibiade, au nom de Jupiter, penses-y; car tu vois
combien il y a ici d’incertitude, et il me semble que tu en
as ta bonne part; poussé tantôt à droite, tantôt à
gauche, tu ne sais où te fixer; ce que tu approuvais le
plus, tu le condamnes, et ne peux rester dans le
même sentiment. Encore une fois, si le Dieu que tu vas
prier, l’apparaissant tout d’un coup, te demandait, avant
que tu eusses commencé ta prière, si tu te contenterais
de quelqu’une des choses dont nous avons parlé au
début de cet entretien, ou plutôt supposons qu’il te
permît de lui demander ce que tu voudrais, lequel
croirais-tu le plus sûr, ou de recevoir ce qu’il te donnerait
lui-même, ou d’obtenir ce que tu lui aurais demandé?
ALCIBIADE.
Je te jure, Socrate, par tous les dieux, que je ne sais que
te répondre; car il me paraît qu’il n’y a rien de plus fou,
ni qu’il faille éviter avec plus de soin, que de
hasarder de demander aux dieux de véritables maux, en
pensant leur demander de véritables biens, pour chanter
la palinodie un moment après, comme tu disais, et faire
des vœux tout contraires aux premiers.
SOCRATE.
N’est-ce pas par cette raison que le poète dont il a été
question au commencement, et qui en savait plus que
nous, a voulu qu’on demandât aux dieux d’éloigner les
maux, quand même on les demanderait?
ALCIBIADE.
Il me semble.
SOCRATE.
Aussi, les Lacédémoniens, soit qu’ils aient imité ce
poète, ou que d’eux-mêmes ils aient trouvé cette vérité,
font tous les jours en public et en particulier une prière
semblable; ils prient les dieux de leur donner l’honnête
avec l’utile. Jamais personne ne leur entendra demander
davantage. Cependant jusqu’ici ils ont été aussi heureux
qu’aucun peuple, et s’ils ont vu interrompre quelquefois
le cours de leurs prospérités, on n’en saurait
accuser leur prière. Car les dieux sont libres, et il dépend
d’eux d’accorder ce qu’on leur demande, ou d’imposer le
contraire. Je veux, à ce propos, te dire une autre histoire
que j’ai entendu raconter une fois à quelques vieillards.
Les Athéniens étant entrés en guerre avec les
Lacédémoniens, il arriva qu’ils furent toujours battus
dans tous les combats qui se donnèrent sur mer et sur
terre; affligés de ce malheur, et cherchant les
moyens d’en prévenir le retour, après bien des
délibérations, ils crurent que le meilleur expédient était
d’envoyer consulter l’oracle d’Ammon, et le prier de leur
dire pourquoi les dieux accordaient la victoire aux
Lacédémoniens plutôt qu’aux Athéniens, qui leur
offraient les plus fréquents et les plus beaux sacrifices de
toute la Grèce; ornaient leurs temples de plus riches
offrandes qu’aucun autre peuple; faisaient tous les ans
en leur honneur les processions les plus somptueuses et
les plus imposantes; en un mot, dépensaient plus
pour leur culte, à eux seuls, que tous les autres Grecs
ensemble. Les Lacédémoniens, au contraire, ajoutaient-
ils, n’ont pas tous ces soins; ils sont si avares pour les
dieux, qu’ils leur offrent souvent des victimes mutilées,
et font beaucoup moins de dépense, dans tout ce qui
regarde la religion, que les Athéniens, quoiqu’ils ne
soient pas moins riches. Quand ils eurent ainsi parlé, et
demandé comment ils pourraient détourner les maux qui
affligeaient leur ville, le prophète ne leur fit pas
une longue réponse; sans doute le Dieu ne le permettait
pas; mais, s’adressant à l’envoyé, il lui dit: «Voici ce
qu’Ammon répond aux Athéniens: Il aime beaucoup
mieux les bénédictions des Lacédémoniens que tous «les
sacrifices des Grecs.» Il n’en dit pas davantage. Par ces
bénédictions des Lacédémoniens, il n’entendait parler, à
mon avis, que de leur manière de prier, qui, en effet,
diffère beaucoup de celle des autres peuples. Car
tous les autres Grecs, soit en offrant aux dieux des
taureaux aux cornes dorées, soit en leur consacrant de
riches offrandes, demandent dans leurs prières tout ce
que leur suggèrent leurs passions, sans s’informer si ce
sont des biens ou des maux. Mais les dieux, qui
entendent leurs blasphèmes, n’agréent point leurs
processions magnifiques, leurs sacrifices somptueux.
C’est pourquoi il faut, selon moi, beaucoup de
précaution et d’attention pour savoir ce qu’on doit dire
ou ne pas dire. Vous trouverez dans Homère des
exemples semblables aux précédents;
Les Troyens, dit-il, en bâtissant un fort,
Offraient aux immortels des hécatombes parfaites.
Les vents portaient de la terre au ciel une odeur
Agréable; et cependant les dieux refusèrent de la goûter,
Parce qu’ils avaient de l’aversion pour la ville sacrée de
Troie,
Pour Priam, et pour son peuple .
C’était donc inutilement qu’ils offraient des sacrifices, et
qu’ils faisaient des dons aux dieux qui les haïssaient. Car
la divinité n’est pas capable de se laisser corrompre par
des présents, comme un usurier: et nous serions
insensés de prétendre nous rendre par là plus agréables
aux dieux que les Lacédémoniens. En effet il serait
étrange que les dieux eussent plus d’égard à nos dons et
à nos sacrifices qu’à notre âme, pour distinguer celui qui
est véritablement saint et juste. Non, c’est à l’âme,
selon moi, bien plus qu’aux processions et aux sacrifices;
car, ce dernier hommage, les particuliers et les états les
plus coupables envers les dieux et envers les hommes
peuvent très bien l’offrir chaque année régulièrement.
Aussi les dieux, que la vénalité n’atteint pas, méprisent
toutes ces choses, comme le dieu même et son prophète
l’ont déclaré. Il y a donc bien de l’apparence que devant
les dieux et devant les hommes sensés la sagesse et
la justice passent avant tout. Or, il n’y a de vrais
justes et de vrais sages que ceux qui dans leurs paroles
et dans leurs actions savent s’acquitter de ce qu’ils
doivent aux dieux et aux hommes. Je voudrais bien
savoir ce que tu penses sur tout cela.
ALCIBIADE.
Pour moi, Socrate, je ne puis que conformer mes
sentiments aux tiens et à ceux du Dieu. Serait-il
raisonnable que j’allasse me mettre en opposition avec le
Dieu?
SOCRATE.
Ne te souvient-il pas que tu m’as dit que tu avais grand
’peur de demander aux dieux des maux sans t’en
apercevoir, en voulant leur demander des biens?
ALCIBIADE.
Je m’en souviens.
SOCRATE.
Tu vois donc qu’il n’y a pas de sûreté pour toi d’aller
prier le Dieu; car il pourrait arriver que le Dieu,
t’entendant blasphémer, rejetât tes sacrifices, et que, par
malheur, il t’envoyât toute autre chose que ce que tu lui
demandais. Je trouve donc qu’il vaut beaucoup mieux te
tenir en repos, car je ne pense pas que l’exaltation
actuelle de tes sentiments, c’est le nom le plus honnête
qu’on puisse donner à la folie, te permette de te servir
de la prière des Lacédémoniens. C’est pourquoi il
te faut attendre nécessairement que quelqu’un t’enseigne
quelle conduite tu dois tenir envers les dieux et envers
les hommes.
ALCIBIADE.
Et quand viendra ce temps, Socrate? Et qui sera celui qui
m’instruira? que je le verrai avec plaisir!
SOCRATE.
Ce sera celui qui t’aime. Mais il me semble que, comme
dans Homère Minerve dissipe le nuage qui couvrait les
yeux de Diomède, afin qu’il put voir si c’était une divinité
ou un homme . de même il faut, avant toutes
choses, qu’il dissipe les ténèbres qui couvrent ton âme,
pour te mettre en état de discerner ce qui est bien et ce
qui est mal; car présentement tu ne me parais guère
capable de le faire.
ALCIBIADE.
Qu’il dissipe, s’il veut, mes ténèbres et tout ce qu’il
voudra. Quel qu’il soit je suis prêt à lui obéir sans
réserve, pourvu qu’il me rende meilleur.
SOCRATE.
Oui, car il a pour toi une affection merveilleuse.
ALCIBIADE.
Il me paraît qu’il faut remettre jusque-là mon sacrifice.
SOCRATE.
Tu as raison, cela est plus sûr que d’aller courir un si
grand danger.
ALCIBIADE.
A la bonne heure, Socrate. Cependant pour te remercier
du salutaire conseil que tu m’as donné, permets-moi de
mettre sur ta tête cette couronne; nous donnerons
d’autres couronnes aux dieux quand je verrai arriver
l’heureux jour que tu m’as promis; il dépend d’eux qu’il
ne se fasse pas longtemps attendre.
SOCRATE.
Je reçois cette couronne; et je recevrai toujours avec
plaisir tout ce qui me viendra de toi. Créon dans
Euripide, voyant Tirésias avec une couronne, et
apprenant qu’elle lui a été donnée par les soldats, à
cause de son art, lui dit:
Je prends pour un bon augure cette couronne
triomphale:
Car nous sommes dans une grande tempête, comme tu
le sais .
Et moi aussi, je prends pour un heureux présage cette
couronne que je reçois de ta main, car je ne me
trouve pas dans une moindre tempête que Créon,
puisqu’il s’agit, pour moi, de triompher de tous ceux qui
t’aiment.