À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme
L’Européen le plus moderne c’est vous Pape PieX
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues lesaffiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il ya les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleinesd’aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titresdivers
J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’aioublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était leclairon
Les directeurs les ouvriers et les bellessténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois parjour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et desmurailles
Les plaques les avis à la façon des perroquetscriaillent
J’aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiévilleet l’avenue des Ternes
Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’unpetit enfant
Ta mère ne t’habille que de bleu et deblanc
Tu es très pieux et avec le plus ancien de tescamarades René Dalize
Vous n’aimez rien tant que les pompes del’Église
Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleuvous sortez du dortoir en cachette
Vous priez toute la nuit dans la chapelle ducollège
Tandis qu’éternelle et adorable profondeuraméthyste
Tourne à jamais la flamboyante gloire duChrist
C’est le beau lys que tous nous cultivons
C’est la torche aux cheveux roux que n’éteintpas le vent
C’est le fils pâle et vermeil de ladouloureuse mère
C’est l’arbre toujours touffu de toutes lesprières
C’est la double potence de l’honneur et del’éternité
C’est l’étoile à six branches
C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscitele dimanche
C’est le Christ qui monte au ciel mieux queles aviateurs
Il détient le record du monde pour lahauteur
Pupille Christ de l’œil
Vingtième pupille des siècles il sait yfaire
Et changé en oiseau ce siècle comme Jésusmonte dans l’air
Les diables dans les abîmes lèvent la têtepour le regarder
Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée
Ils crient s’il sait voler qu’on l’appellevoleur
Les anges voltigent autour du jolivoltigeur
Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane
Flottent autour du premier aéroplane
Ils s’écartent parfois pour laisser passerceux que transporte la Sainte-Eucharistie
Ces prêtres qui montent éternellement élevantl’hostie
L’avion se pose enfin sans refermer lesailes
Le ciel s’emplit alors de millionsd’hirondelles
À tire-d’aile viennent les corbeaux lesfaucons les hiboux
D’Afrique arrivent les ibis les flamants lesmarabouts
L’oiseau Roc célébré par les conteurs et lespoètes
Plane tenant dans les serres le crâne d’Adamla première tête
L’aigle fond de l’horizon en poussant un grandcri
Et d’Amérique vient le petit colibri
De Chine sont venus les pihis longs etsouples
Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent parcouples
Puis voici la colombe esprit immaculé
Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paonocellé
Le phénix ce bûcher qui soi-mêmes’engendre
Un instant voile tout de son ardentecendre
Les sirènes laissant les périlleuxdétroits
Arrivent en chantant bellement toutestrois
Et tous aigle phénix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seulparmi la foule
Des troupeaux d’autobus mugissants près de toiroulent
L’angoisse de l’amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus êtreaimé
Si tu vivais dans l’ancien temps tu entreraisdans un monastère
Vous avez honte quand vous vous surprenez àdire une prière
Tu te moques de toi et comme le feu de l’Enferton rire pétille
Les étincelles de ton rire dorent le fond deta vie
C’est un tableau pendu dans un sombremusée
Et quelquefois tu vas le regarder de près
Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmessont ensanglantées
C’était et je voudrais ne pas m’en souvenirc’était au déclin de la beauté
Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’aregardé à Chartres
Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé àMontmartre
Je suis malade d’ouïr les parolesbienheureuses
L’amour dont je souffre est une maladiehonteuse
Et l’image qui te possède te fait survivredans l’insomnie et dans l’angoisse
C’est toujours près de toi cette image quipasse
Maintenant tu es au bord de laMéditerranée
Sous les citronniers qui sont en fleur toutel’année
Avec tes amis tu te promènes en barque
L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deuxTurbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes desprofondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons imagesdu Sauveur
Tu es dans le jardin d’une auberge auxenvirons de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur latable
Et tu observes au lieu d’écrire ton conte enprose
La cétoine qui dort dans le cœur de larose
Épouvanté tu te vois dessiné dans les agatesde Saint-Vit
Tu étais triste à mourir le jour où tu t’yvis
Tu ressembles au Lazare affolé par le jour
Les aiguilles de l’horloge du quartier juifvont à rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir enécoutant
Dans les tavernes chanter des chansonstchèques
Te voici à Marseille au milieu despastèques
Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant
Te voici à Rome assis sous un néflier duJapon
Te voici à Amsterdam avec une jeune fille quetu trouves belle et qui est laide
Elle doit se marier avec un étudiant deLeyde
On y loue des chambres en latin Cubiculalocanda
Je m’en souviens j’y ai passé trois jours etautant à Gouda
Tu es à Paris chez le juge d’instruction
Comme un criminel on te met en étatd’arrestation
Tu as fait de douloureux et de joyeuxvoyages
Avant de t’apercevoir du mensonge et del’âge
Tu as souffert de l’amour à vingt et à trenteans
J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu montemps
Tu n’oses plus regarder tes mains et à tousmoments je voudrais sangloter
Sur toi sur celle que j’aime sur tout ce quit’a épouvanté
Tu regardes les yeux pleins de larmes cespauvres émigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmesallaitent des enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de lagare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur étoile comme lesrois-mages
Ils espèrent gagner de l’argent dansl’Argentine
Et revenir dans leur pays après avoir faitfortune
Une famille transporte un édredon rouge commevous transportez votre cœur
Cet édredon et nos rêves sont aussiirréels
Quelques-uns de ces émigrants restent ici etse logent
Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans desbouges
Je les ai vus souvent le soir ils prennentl’air dans la rue
Et se déplacent rarement comme les pièces auxéchecs
Il y a surtout des Juifs leurs femmes portentperruque
Elles restent assises exsangues au fond desboutiques
Tu es debout devant le zinc d’un barcrapuleux
Tu prends un café à deux sous parmi lesmalheureux
Tu es la nuit dans un grand restaurant
Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont dessoucis cependant
Toutes même la plus laide a fait souffrir sonamant
Elle est la fille d’un sergent de ville deJersey
Ses mains que je n’avais pas vues sont dureset gercées
J’ai une pitié immense pour les coutures deson ventre
J’humilie maintenant à une pauvre fille aurire horrible ma bouche
Tu es seul le matin va venir
Les laitiers font tinter leurs bidons dans lesrues
La nuit s’éloigne ainsi qu’une belleMétive
C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive
Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toià pied
Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et deGuinée
Ils sont des Christ d’une autre forme et d’uneautre croyance
Ce sont les Christ inférieurs des obscuresespérances
Adieu Adieu
Soleil cou coupé
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine.
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face àface
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
A Paul Léautaud
Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance
Du beau Phénix s’il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.
Un soir de demi-brume à Londres
Un voyou qui ressemblait à
Mon amour vint à ma rencontre
Et le regard qu’il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte
Je suivis ce mauvais garçon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hébreux moi Pharaon
Oue tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimée
Je suis le souverain d’Égypte
Sa sœur-épouse son armée
Si tu n’es pas l’amour unique
Au tournant d’une rue brûlant
De tous les feux de ses façades
Plaies du brouillard sanguinolent
Où se lamentaient les façades
Une femme lui ressemblant
C’était son regard d’inhumaine
La cicatrice à son cou nu
Sortit saoule d’une taverne
Au moment où je reconnus
La fausseté de l’amour même
Lorsqu’il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Près d’un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu’il revînt
L’époux royal de Sacontale
Las de vaincre se réjouit
Quand il la retrouva plus pâle
D’attente et d’amour yeux pâlis
Caressant sa gazelle mâle
J’ai pensé à ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux
Heurtant leurs ombres infidèles
Me rendirent si malheureux
Regrets sur quoi l’enfer se fonde
Qu’un ciel d’oubli s’ouvre à mes vœux
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre
J’ai hiverné dans mon passé
Revienne le soleil de Pâques
Pour chauffer un cœur plus glacé
Que les quarante de Sébaste
Moins que ma vie martyrisés
Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir
Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s’éloigne
Avec celle que j’ai perdue
L’année dernière en Allemagne
Et que je ne reverrai plus
Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses
Je me souviens d’une autre année
C’était l’aube d’un jour d’avril
J’ai chanté ma joie bien-aimée
Chanté l’amour à voix virile
Au moment d’amour de l’année
C’est le printemps viens-t’en Pâquette
Te promener au bois joli
Les poules dans la cour caquètent
L’aube au ciel fait de roses plis
L’amour chemine à ta conquête
Mars et Vénus sont revenus
Ils s’embrassent à bouches folles
Devant des sites ingénus
Où sous les roses qui feuillolent
De beaux dieux roses dansent nus
Viens ma tendresse est la régente
De la floraison qui paraît
La nature est belle et touchante
Pan sifflote dans la forêt
Les grenouilles humides chantent
Beaucoup de ces dieux ont péri
C’est sur eux que pleurent les saules
Le grand Pan l’amour Jésus-Christ
Sont bien morts et les chats miaulent
Dans la cour je pleure à Paris
Moi qui sais des lais pour les reines
Les complaintes de mes années
Des hymnes d’esclave aux murènes
La romance du mal aimé
Et des chansons pour les sirènes
L’amour est mort j’en suis tremblant
J’adore de belles idoles
Les souvenirs lui ressemblant
Comme la femme de Mausole
Je reste fidèle et dolent
Je suis fidèle comme un dogue
Au maître le lierre au tronc
Et les Cosaques Zaporogues
Ivrognes pieux et larrons
Aux steppes et au décalogue
Portez comme un joug le Croissant
Qu’interrogent les astrologues
Je suis le Sultan tout-puissant
O mes Cosaques Zaporogues
Votre Seigneur éblouissant
Devenez mes sujets fidèles
Leur avait écrit le Sultan
Ils rirent à cette nouvelle
Et répondirent à l’instant
A la lueur d’une chandelle
Plus criminel que Barrabas
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzébuth es-tu là-bas
Nourri d’immondice et de fange
Nous n’irons pas à tes sabbats
Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D’yeux arrachés à coup de pique
Ta mère fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant
Des plaies des ulcères des croûtes
Groin de cochon cul de jument
Tes richesses garde-les toutes
Pour payer tes médicaments
Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses
Regret des yeux de la putain
Et belle comme une panthère
Amour vos baisers florentins
Avaient une saveur amère
Qui a rebuté nos destins
Ses regards laissaient une traîne
D’étoiles dans les soirs tremblants
Dans ses yeux nageaient les sirènes
Et nos baisers mordus sanglants
Faisaient pleurer nos fées marraines
Mais en vérité je l’attends
Avec mon cœur avec mon âme
Et sur le pont des Reviens-t’en
Si jamais reviens cette femme
Je lui dirai Je suis content
Mon cœur et ma tête se vident
Tout le ciel s’écoule par eux
O mes tonneaux des Danaïdes
Comment faire pour être heureux
Comme un petit enfant candide
Je ne veux jamais l’oublier
Ma colombe ma blanche rade
O marguerite exfoliée
Mon île au loin ma Désirade
Ma rose mon giroflier
Les satyres et les pyraustes
Les égypans les feux follets
Et les destins damnés ou faustes
La corde au cou comme à Calais
Sur ma douleur quel holocauste
Douleur qui doubles les destins
La licorne et le capricorne
Mon âme et mon corps incertains
Te fuient ô bûcher divin qu’ornent
Des astres des fleurs du matin
Malheur dieu pâle aux yeux d’ivoire
Tes prêtres fous t’ont-ils paré
Tes victimes en robe noire
Ont-elles vainement pleuré
Malheur dieu qu’il ne faut pas croire
Et toi qui me suis en rampant
Dieu de mes dieux morts en automne
Tu mesures combien d’empans
J’ai droit que la terre me donne
O mon ombre ô mon vieux serpent
Au soleil parce que tu l’aimes
Je t’ai menée souviens-t’en bien
Ténébreuse épouse que j’aime
Tu es à moi en n’étant rien
O mon ombre en deuil de moi-même
L’hiver est mort tout enneigé
On a brûlé les ruches blanches
Dans les jardins et les vergers
Les oiseaux chantent sur les branches
Le printemps clair l’Avril léger
Mort d’immortels argyraspides
La neige aux boucliers d’argent
Fuit les dendrophores livides
Du printemps cher aux pauvres gens
Qui resourient les yeux humides
Et moi j’ai le cœur aussi gros
Qu’un cul de dame damascène
O mon amour je t’aimais trop
Et maintenant j’ai trop de peine
Les sept épées hors du fourreau
Sept épées de mélancolie
Sans morfil ô claires douleurs
Sont dans mon cœur et la folie
Veut raisonner pour mon malheur
Comment voulez-vous que j’oublie
La première est toute d’argent
Et son nom tremblant c’est Pâline
Sa lame un ciel d’hiver neigeant
Son destin sanglant gibeline
Vulcain mourut en la forgeant
La seconde nommée Noubosse
Est un bel arc-en-ciel joyeux
Les dieux s’en servent à leurs noces
Elle a tué trente Bé-Rieux
Et fut douée par Carabosse
La troisième bleu féminin
N’en est pas moins un chibriape
Appelé Lul de Faltenin
Et que porte sur une nappe
L’Hermès Ernest devenu nain
La quatrième Malourène
Est un fleuve vert et doré
C’est le soir quand les riveraines
Y baignent leurs corps adorés
Et des chants de rameurs s’y trainent
La cinquième Sainte-Fabeau
C’est la plus belle des quenouilles
C’est un cyprès sur un tombeau
Où les quatre vents s’agenouillent
Et chaque nuit c’est un flambeau
La Sixième métal de gloire
C’est l’ami aux si douces mains
Dont chaque matin nous sépare
Adieu voilà votre chemin
Les coqs s’épuisaient en fanfares
Et la septième s’exténue
Une femme une rose morte
Merci que le dernier venu
Sur mon amour ferme la porte
Je ne vous ai jamais connue
Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses
Les démons du hasard selon
Le chant du firmament nous mènent
A sons perdus leurs violons
Font danser notre race humaine
Sur la descente à reculons
Destins destins impénétrables
Rois secoués par la folie
Et ces grelottantes étoiles
De fausses femmes dans vos lits
Aux déserts que l’histoire accable
Luitpold le vieux prince régent
Tuteur de deux royautés folles
Sanglote-t-il en y songeant
Quand vacillent les lucioles
Mouches dorées de la Saint-Jean
Près d’un château sans châtelaine
La barque aux barcarols chantants
Sur un lac blanc et sous l’haleine
Des vents qui tremblent au printemps
Voguait cygne mourant sirène
Un jour le roi dans l’eau d’argent
Se noya puis la bouche ouverte
Il s’en revint en surnageant
Sur la rive dormir inerte
Face tournée au ciel changeant
Juin ton soleil ardente lyre
Brûle mes doigts endoloris
Triste et mélodieux délire
J’erre à travers mon beau Paris
Sans avoir le cœur d’y mourir
Les dimanches s’y éternisent
Et les orgues de Barbarie
Y sanglotent dans les cours grises
Les fleurs aux balcons de Paris
Penchent comme la tour de Pise
Soirs de Paris ivres du gin
Flambant de l’électricité
Les tramways feux verts sur l’échine
Musiquent au long des portées
De rails leur folie de machines
Les cafés gonflés de fumée
Crient tout l’amour de leurs tziganes
De tous leurs siphons enrhumés
De leurs garçons vêtus d’un pagne
Vers toi toi que j’ai tant aimée
Moi qui sais des lais pour les reines
Les complaintes de mes années
Des hymnes d’esclave aux murènes
La romance du mal aimé
Et des chansons pour les sirènes
Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cettefleur-la
Violatres comme leur cerne et comme cetautomne
Et ma vie pour tes yeux lentements’empoisonne
Les enfants de l’école viennent avecfracas
Vêtus de hoquetons et jouant del’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont commedes mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tespaupières
Qui battent comme les fleurs battent au ventdément
Le gardien du troupeau chante toutdoucement
Tandis que lentes et meuglant les vachesabandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri parl’automne
A Max Jacob
Vers le palais de Rosemonde au fond duRêve
Mes rêveuses pensées pieds nus vont ensoirée
Le palais don du roi comme un roi nus’élève
Des chairs fouettées des roses de laroseraie
On voit venir au fond du jardin mespensées
Qui sourient du concert joué par lesgrenouilles
Elles ont envie des cyprès grandesquenouilles
Et le soleil miroir des roses s’est brisé
Le stigmate sanglant des mains contre lesvitres
Quel archet mal blessé du couchant letroua
La résine qui rend amer le vin de Chypre
Ma bouche aux agapes d’agneau blancl’éprouva
Sur les genoux pointus du monarqueadultère
Sur le mai de son âge et sur son trente etun
Madame Rosemonde roule avec mystère
Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeuxdes Huns
Dame de mes pensées au cul de perle fine
Dont ni perle ni cul n’égale l’orient
Qui donc attendez-vous
De rêveuses pensées en marche à l’Orient
Mes plus belles voisines
Toc toc Entrez dans l’antichambre le jourbaisse
La veilleuse dans l’ombre est un bijou d’orcuit
Pendez vos têtes aux patères par lestresses
Le ciel presque nocturne a des lueursd’aiguilles
On entra dans la salle à manger lesnarines
Reniflaient une odeur de graisse et degraillon
On eut vingt potages dont trois couleursd’urine
Et le roi prit deux œufs pochés dans dubouillon
Puis les marmitons apportèrent les viandes
Des rôtis de pensées mortes dans moncerveau
Mes beaux rêves mort-nés en tranches biensaignantes
Et mes souvenirs faisandés en godiveaux
Or ces pensées mortes depuis desmillénaires
Avaient le fade goût des grands mammouthsgelés
Les os ou songe-creux venaient desossuaires
En danse macabre aux plis de mon cervelet
Et tous ces mets criaient des chosesnonpareilles
Mais nom de Dieu!
Ventre affamé n’a pas d’oreilles
Et les convives mastiquaient à qui mieuxmieux
Ah! nom de Dieu! qu’ont donc crié cesentrecôtes
Ces grands pâtés ces os à moelle etmirotons
Langues de feu où sont-elles mespentecôtes
Pour mes pensées de tous pays de tous lestemps
Et l’unique cordeau des trompettes marines
A Mademoiselle Marie Laurencin
Frôlée par les ombres des morts
Sur l’herbe où le jour s’exténue
L’arlequine s’est mise nue
Et dans l’étang mire son corps
Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l’on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D’astres pâles comme du lait
Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salue d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs
Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales
L’aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d’un air triste
Grandir l’arlequin trismégiste
Sur la côte du Texas
Entre Mobile et Galveston il y a
Un grand jardin tout plein de roses
Il contient aussi une villa
Qui est une grande rose
Une femme se promène souvent
Dans le jardin toute seule
Et quand je passe sur la route bordée detilleuls
Nous nous regardons
Comme cette femme est mennonite
Ses rosiers et ses vêtements n’ont pas deboutons
Il en manque deux à mon veston
La dame et moi suivons presque le mêmerite
A Maurice Raynal
S’étendant sur les côtés du cimetière
La maison des morts l’encadrait comme uncloître
A l’intérieur de ses vitrines
Pareilles à celles des boutiques de modes
Au lieu de sourire debout
Les mannequins grimaçaient pour l’éternité
Arrivé à Munich depuis quinze ou vingtjours
J’étais entré pour la première fois et parhasard
Dans ce cimetière presque désert
Et je claquais des dents
Devant toute cette bourgeoisie
Exposée et vêtue le mieux possible
En attendant la sépulture
Soudain
Rapide comme ma mémoire
Les yeux ses rallumèrent
De cellule vitrée en cellule vitrée
Le ciel se peupla d’une apocalypse
Vivace
Et la terra plate à l’infini
Comme avant Galilée
Se couvrit de mille mythologies immobiles
Un ange en diamant brisa toutes lesvitrines
Et les morts m’accostèrent
Avec des mines de l’autre monde
Mais leur visage et leurs attitudes
Devinrent bientôt moins funèbres
Le ciel et la terre perdirent
Leur aspect fantasmagorique
Les morts se réjouissaient
De voir leurs corps trépassés entre eux et lalumière
Ils riaient de voir leur ombre etl’observaient
Comme si véritablement
C’eût été leur vie passée
Alors je les dénombrai
Ils étaient quarante-neuf hommes
Femmes et enfants
Qui embellissaient à vue d’œil
Et me regardaient maintenant
Avec tant de cordialité
Tant de tendresse même
Que les prenant en amitié
Tout à coup
Je les invitai à une promenade Loin desarcades de leur maison
Et tous bras dessus bras dessous
Fredonnant des airs militaires
Oui tous vos péchés sont absous
Nous quittâmes le cimetière
Nous traversâmes la ville
Et rencontrions souvent
Des parents des amis qui se joignaient
A la petite troupe des morts récents
Tous étaient si gais
Si charmants si bien portants
Que bien malin qui aurait pu
Distinguer les morts des vivants
Puis dans la campagne
On s’éparpilla
Deux chevau-légers nous joignirent
On leur fit fête
Ils coupèrent du bois de viorne
Et de sureau
Dont ils firent des sifflets
Qu’ils distribuèrent aux enfants
Plus tard dans un bal champêtre
Les couples mains sur les épaules
Dansèrent au son aigre des cithares
Ils n’avaient pas oublié la danse
Ces morts et ces mortes
On buvait aussi
Et de temps à autre une cloche
Annonçait qu’un autre tonneau
Allait être mis en perce
Une morte assise sur un banc
Près d’un buisson d’épine-vinette
Laissait un étudiant
Agenouillé à ses pieds
Lui parler de fiançailles
Je vous attendrai
Dix ans vingt ans s’il le faut
Votre volonté sera la mienne
Je vous attendrai
Toute votre vie
Répondait la morte
Des enfants
De ce monde ou bien de l’autre
Chantaient de ces rondes
Aux paroles absurdes et lyriques
Qui sans doute sont les restes
Des plus anciens monuments poétiques
De l’humanité
L’étudiant passa une bague
A l’annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiançailles
Ni le temps ni l’absence
Ne nous feront oublier nos promesses
Et un jour nous auront une belle noce
Des touffes de myrte
A nos vêtements et dans vos cheveux
Un beau sermon à l’église
De longs discours après le banquet
Et de la musique
De la musique
Nos enfants
Dit la fiancée
Seront plus beaux plus beaux encore
Hélas! la bague était brisée
Que s’ils étaient d’argent ou d’or
D’émeraude ou de diamant
Seront plus clairs plus clairs encore
Que les astres du firmament
Que la lumière de l’aurore
Que vos regards mon fiancé
Auront meilleure odeur encore
Hélas! la bague était brisée
Que le lilas qui vient d’éclore
Que le thym la rose ou qu’un brin
De lavande ou de romarin
Les musiciens s’en étant allés
Nous continuâmes la promenade
Au bord d’un lac
On s’amusa à faire des ricochets
Avec des cailloux plats
Sur l’eau qui dansait à peine
Des barques étaient amarrées
Dans un havre
On les détacha
Après que toute la troupe se fut embarquée
Et quelques morts ramaient
Avec autant de vigueur que les vivants
A l’avant du bateau que je gouvernais
Un mort parlait avec une jeune femme
Vêtue d’une robe jaune
D’un corsage noir
Avec des rubans bleus et d’un chapeau gris
Orné d’une seule petite plume défrisée
Je vous aime
Disait-il
Comme le pigeon aime la colombe
Comme l’insecte nocturne
Aime la lumière
Trop tard
Répondait la vivante
Repoussez repoussez cet amour défendu
Je suis mariée
Voyez l’anneau qui brille
Mes mains tremblent
Je pleure et je voudrais mourir
Les barques étaient arrivées
A un endroit où les chevau-légers
Savaient qu’un écho répondait de la rive
On ne se lassait point de l’interroger
Il y eut des questions si extravagantes
Et des réponses tellement pleinesd’à-propos
Que c’était à mourir de rire
Et le mort disait à la vivante
Nous serions si heureux ensemble
Sur nous l’eau se refermera
Mais vous pleurez et vos mains tremblent
Aucun de nous ne reviendra
On reprit terre et ce fut le retour
Les amoureux s’entr’aimaient
Et par couples aux belles bouches
Marchaient à distances inégales
Les morts avaient choisi les vivantes
Et les vivants
Des mortes
Un genévrier parfois
Faisait l’effet d’un fantôme
Les enfants déchiraient l’air
En soufflant les joues creuses
Dans leurs sifflets de viorne
Ou de sureau
Tandis que les militaires
Chantaient des tyroliennes
En se répondant comme on le fait
Dans la montagne
Dans la ville
Notre troupe diminua peu à peu
On se disait
Au revoir
A demain
A bientôt
Bientôt entraient dans les brasseries
Quelques-uns nous quittèrent
Devant une boucherie canine
Pour y acheter leur repas du soir
Bientôt je restai seul avec ces morts
Qui s’en allaient tout droit
Au cimetière
Où
Sous les Arcades
Je les reconnus
Couchés
Immobiles
Et bien vêtus
Attendant la sépulture derrière lesvitrines
Ils ne se doutaient pas
De ce qui s’était passé
Mais les vivants en gardaient le souvenir
C’était un bonheur inespéré
Et si certain
Qu’ils ne craignaient point de le perdre
Ils vivaient si noblement
Que ceux qui la veille encore
Les regardaient comme leurs égaux
Ou même quelque chose de moins
Admiraient maintenant
Leur puissance leur richesse et leur génie
Car y a-t-il rien qui vous élève
Comme d’avoir aimé un mort ou une morte
On devient si pur qu’on en arrive
Dans les glaciers de la mémoire
A se confondre avec le souvenir
On est fortifié pour la vie
Et l’on n’a plus besoin de personne
L’anémone et l’ancolie
Ont poussé dans le jardin
Où dort la mélancolie
Entre l’amour et le dédain
Il y vient aussi nos ombres
Que la nuit dissipera
Le soleil qui les rend sombres
Avec elles disparaîtra
Les déités des eaux vives
Laissent couler leurs cheveux
Passe il faut que tu poursuives
Cette belle ombre que tu veux
A M. Léon Bailby
Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l’air
A la limite où notre sol brille déjà
Baisse ta deuxième paupière la terret’éblouit
Quand tu lèves la tête
Et moi aussi de près je suis sombre etterne
Une brume qui vient d’obscurcir leslanternes
Une main qui tout à coup se pose devant lesyeux
Une voûte entre vous et toutes leslumières
Et je m’éloignerai m’illuminant au milieud’ombres
Et d’alignements d’yeux des astresbien-aimés
Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l’air
A la limite où brille déjà ma mémoire
Baisse ta deuxième paupière
Ni à cause du soleil ni à cause de laterre
Mais pour ce feu oblong dont l’intensité iras’augmentant
Au point qu’il deviendra un jour l’uniquelumière
Un jour
Un jour je m’attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tuviennes
Pour que je sache enfin celui-là que jesuis
Moi qui connais les autres
Je les connais par les cinq sens et quelquesautres
Il me suffit de voir leur pieds pour pouvoirrefaire ces gens à milliers
De voir leurs pieds paniques un seul de leurscheveux
De voir leur langue quand il me plaît de fairele médecin
Ou leurs enfants quand il me plaît de faire leprophète
Les vaisseaux des armateurs la plume de mesconfrères
La monnaie des aveugles les mains desmuets
Ou bien encore à cause du vocabulaire et nonde l’écriture
Une lettre écrite par ceux qui ont plus devingt ans
Il me suffit de sentir l’odeur de leurséglises
L’odeur des fleuves dans leurs villes
Le parfum des fleurs dans les jardinspublics
O Corneille Agrippa l’odeur d’un petit chienm’eût suffi
Pour décrire exactement tes concitoyens deCologne
Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline
Qui t’inspirait l’erreur touchant toutes lesfemmes
Il me suffit de goûter la saveur de laurierqu’on cultive pour que j’aime ou que je bafoue
Et de toucher les vêtements
Pour ne pas douter si l’on est frileux ounon
O gens que je connais
Il me suffit d’entendre le bruit de leurspas
Pour pouvoir indiquer à jamais la directionqu’ils ont prise
Il me suffit de tous ceux-là pour me croire ledroit
De ressusciter les autres
Un jour je m’attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tuviennes
Et d’un lyrique pas s’avançaient ceux quej’aime
Parmi lesquels je n’étais pas
Les géants couverts d’algues passaient dansleurs villes
Sous-marines où les tours seules étaient desîles
Et cette mer avec les clartés de sesprofondeurs
Coulait sang de mes veines et fait battre moncœur
Puis sur cette terre il venait mille peupladesblanches
Dont chaque homme tenait une rose à lamain
Et le langage qu’ils inventaient en chemin
Je l’appris de leur bouche et je le parleencore
Le cortège passait et j’y cherchais moncorps
Tous ceux qui survenaient et n’étaient pasmoi-même
Amenaient un à un les morceaux de moi-même
On me bâtit peu à peu comme on élève unetour
Les peuples s’entassaient et je parusmoi-même
Qu’ont formé tous les corps et les choseshumaines
Temps passés Trépassés Les dieux qui meformâtes
Je ne vis que passant ainsi que vouspassâtes
Et détournant mes yeux de ce vide avenir
En moi-même je vois tout le passé grandir
Rien n’est mort que ce qui n’existe pasencore
Près du passé luisant demain est incolore
Il est informe aussi près de ce quiparfait
Présente tout ensemble et l’effort etl’effet
Dans la Haute-Rue à Cologne
Elle allait et venait le soir
Offerte à tous en tout mignonne
Puis buvait lasse des trottoirs
Très tard dans les brasseries borgnes
Elle se mettait sur la paille
Pour un maquereau roux et rose
C’était un juif il sentait l’ail
Et l’avait venant de Formose
Tirée d’un bordel de Changaï
Je connais des gens de toutes sortes
Ils n’égalent pas leurs destins
Indécis comme feuilles mortes
Leurs yeux sont des feux mal éteints
Leurs cœurs bougent comme leurs portes
A Fernand Fleuret
Ouvrez-moi cette porte où je frappe enpleurant
La vie est variable aussi bien quel’Euripe
Tu regardais un banc de nuages descendre
Avec le paquebot orphelin vers les fièvresfutures
Et de tous ces regrets de tous cesrepentirs
Te souviens-tu
Vagues poissons arqués fleurs submarines
Une nuit c’était la mer
Et les fleuves s’y répandaient
Je m’en souviens je m’en souviens encore
Un soir je descendis dans une aubergetriste
Auprès de Luxembourg
Dans le fond de la salle il s’envolait unChrist
Quelqu’un avait un furet
Un autre un hérisson
L’on jouait aux cartes
Et toi tu m’avais oublié
Te souviens-tu du long orphelinat desgares
Nous traversâmes des villes qui tout le jourtournaient
Et vomissaient la nuit le soleil desjournées
O matelots ô femmes sombres et vous mescompagnons
Souvenez-vous-en
Deux matelots qui ne s’étaient jamaisquittés
Deux matelots qui ne s’étaient jamaisparlé
Le plus jeune en mourant tomba sur le côté
O vous chers compagnons
Sonneries électriques des gares chant desmoissonneuses
Traîneau d’un boucher régiment des rues sansnombre
Cavalerie des ponts nuits livides del’alcool
Les villes que j’ai vues vivaient comme desfolles
Te souviens-tu des banlieues et du troupeauplaintif des paysages
Les cyprès projetaient sous la lune leursombres
J’écoutais cette nuit au déclin de l’été
Un oiseau langoureux et toujours irrité
Et le bruit éternel d’un fleuve large etsombre
Mais tandis que mourants roulaient versl’estuaire
Tous les regards tous les regards de tous lesyeux
Les bords étaient déserts herbussilencieux
Et la montagne à l’autre rive était trèsclaire
Alors sans bruit sans qu’on pût voir rien devivant
Contre le mont passèrent des ombresvivaces
De profil ou soudain tournant leurs vaguesfaces
Et tenant l’ombre de leurs lances en avant
Les ombres contre le mont perpendiculaire
Grandissaient ou parfois s’abaissaientbrusquement
Et ces ombres barbues pleuraienthumainement
En glissant pas à pas sur la montagneclaire
Qui donc reconnais-tu sur ces vieillesphotographies
Te souviens-tu du jour où une vieille abeilletomba dans le feu
C’était tu t’en souviens à la fin de l’été
Deux matelots qui ne s’étaient jamaisquittés
L’aîné portait au cou une chaîne de fer
Le plus jeune mettait ses cheveux blonds entresse
Ouvrez-moi cette porte où je frappe enpleurant
La vie est variable aussi bien quel’Euripe
Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C’est la maclotte qui sautille
Toutes les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie
Les masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu’elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer àpeine
Et mon mal est délicieux
Les brebis s’en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux d’argent
Des soldats passent et que n’ai-je
Un cœur à moi ce cœur changeant
Changeant et puis encor que sais-je
Sais-je où s’en iront tes cheveux
Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s’en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l’automne
Que jonchent aussi nos aveux
Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s’écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine
Les anges les anges dans le ciel
L’un est vêtu en officier
L’un est vêtu en cuisinier
Et les autres chantent
Bel officier couleur du ciel
Le doux printemps longtemps après Noël
Te médaillera d’un beau soleil
D’un beau soleil
Le cuisinier plume les oies
Ah! tombe neige
Tombe et que n’ai-je
Ma bien-aimée entre mes bras
Le 13 juillet 1909
En voyant des drapeaux ce matin je ne me suispas dit
Voilà les riches vêtements des pauvres
Ni la pudeur démocratique veut me voiler sadouleur
Ni la liberté en honneur fait qu’on imitemaintenant
Les feuilles ô liberté végétale ô seuleliberté terrestre
Ni les maisons flambent parce qu’on partirapour ne plus revenir
Ni ces mains agitées travailleront demain pournous tous
Ni même on a pendu ceux qui ne savaient pasprofiter de la vie
Ni même on renouvelle le monde en reprenant laBastille
Je sais que seuls le renouvellent ceux quisont fondés en poésie
On a pavoisé Paris parce que mon ami AndréSalmon s’y marie
Nous nous sommes rencontrés dans un caveaumaudit
Au temps de notre jeunesse
Fumant tous deux et mal vêtus attendantl’aube
Epris épris des mêmes paroles dont il faudrachanger le sens
Trompés trompés pauvres petits et ne sachantpas encore rire
La table et les deux verres devinrent unmourant qui nous jeta le dernier regard d’Orphée
Les verres tombèrent se brisèrent
Et nous apprîmes à rire
Nous partîmes alors pèlerins de laperdition
A travers les rues à travers les contrées àtravers la raison
Je le revis au bord du fleuve sur lequelflottait Ophélie
Qui blanche flotte encore entre lesnénuphars
Il s’en allait au milieu des Hamletsblafards
Sur la flûte jouant les airs de la folie
Je le revis près d’un moujik mourant compterles béatitudes
En admirant la neige semblable aux femmesnues
Je le revis faisant ceci ou cela en l’honneurdes mêmes paroles
Qui changent la face des enfants et je distoutes ces choses
Souvenir et Avenir parce que mon ami AndréSalmon se marie
Réjouissons-nous non pas parce que notreamitié a été le fleuve qui nous a fertilisés
Terrains riverains dont l’abondance est lanourriture que tous espèrent
Ni parce que nos verres nous jettent encoreune fois le regard d’Orphée mourant
Ni parce que nous avons tant grandi quebeaucoup pourraient confondre nos yeux et les étoiles
Ni parce que les drapeaux claquent auxfenêtres des citoyens qui sont contents depuis cent ans d’avoir lavie et de menues choses à défendre
Ni parce que fondés en poésie nous avons desdroits sur les paroles qui forment et défont l’Univers
Ni parce que nous pouvons pleurer sansridicule et que nous savons rire
Ni parce que nous fumons et buvons commeautrefois
Réjouissons-nous parce que directeur du feu etdes poètes
L’amour qui emplit ainsi que la lumière
Tout le solide espace entre les étoiles et lesplanètes
L’amour veut qu’aujourd’hui mon ami AndréSalmon se marie
J’ai cueilli ce brin de bruyère
L’automne est morte souviens-t’en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t’attends
Pour que sourie encore une foisJean-Baptiste
Sire je danserais mieux que les séraphins
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtestriste
En robe de comtesse à côté du Dauphin
Mon cœur battait battait très fort à saparole
Quand je dansais dans le fenouil enécoutant
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton
Et pour qui voulez-vous qu’à présent je labrode
Son bâton refleurit sur les bors duJourdain
Et tous les lys quand vos soldats ô roiHérode
L’emmenèrent se sont flétris dans monjardin
Venez tous avec moi là-bas sous lesquinconces
Ne pleure pas ô joli fou du roi
Prends cette tête au lieu de ta marotte etdanse
N’y touchez pas son front ma mère est déjàfroid
Sire marchez devant trabants marchezderrière
Nous creuserons un trou et l’y enterrerons
Nous planterons des fleurs et danserons enrond
Jusqu’à l’heure où j’aurai perdu majarretière
Le roi sa tabatière
L’infante son rosaire
Le curé son bréviaire
La porte de l’hôtel sourit terriblement
Qu’est-ce que cela peut me faire ô mamaman
D’être cet employé pour qui seul rienn’existe
Pi-mus couples allant dans la profonde eautriste
Anges frais débarqués à Marseille hiermatin
J’entends mourir et remourir un chantlointain
Humble comme je suis qui ne suis rien quivaille
Enfant je t’ai donné ce que j’avaistravaille
Le soleil ce jour-là s’étalait comme unventre
Maternel qui saignait lentement sur leciel
La lumière est ma mère ô lumière sanglante
Les nuages coulaient comme un fluxmenstruel
Au carrefour où nulle fleur sinon la rose
Des vents mais sans épine n’a fleuril’hiver
Merlin guettait la vie et l’éternellecause
Qui fait mourir et puis renaître l’univers
Une vieille sur une mule à chape verte
S’en vint suivant la berge du fleuve enaval
Et l’antique Merlin dans la plaine déserte
Se frappait la poitrine en s’écriant Rival
O mon être glacé dont le destin m’accable
Dont ce soleil de chair grelotte veux-tuvoir
Ma Mémoire venir et m’aimer ma semblable
Et quel fils malheureux et beau je veuxavoir
Son geste fit crouler l’orgueil descataclysmes
Le soleil en dansant remuait son nombril
Et soudain le printemps d’amour etd’héroïsme
Amena par la main un jeune jour d’avril
Les voies qui viennent de l’ouest étaientcouvertes
D’ossements d’herbes drues de destins et defleurs
Des monuments tremblants près des charognesvertes
Quand les vents apportaient des poils et desmalheurs
Laissant sa mule à petits pas s’en vintl’amante
A petits coups le vent défripait sesatours
Puis les pâles amants joignant leurs mainsdémentes
L’entrelacs de leurs doigts fut leur seul lapsd’amour
Elle balla mimant un rythme d’existence
Criant Depuis cent ans j’espérais tonappel
Les astres de ta vie influaient sur madanse
Morgane regardait de haut du mont Gibel
Ah! qu’il fait doux danser quand pour vous sedéclare
Un mirage où tout chante et que les ventsd’horreur
Feignent d’être le rire de la lune hilare
Et d’effrayer les fantômes avants-coureurs
J’ai fait des gestes blancs parmi lessolitudes
Des lémures couraient peupler lescauchemars
Mes tournoiements exprimaient lesbéatitudes
Qui toutes ne sont rien qu’un pur effet del’Art
Je n’ai jamais cueilli que la fleurd’aubépine
Aux printemps finissants qui voulaientdéfleurir
Quand les oiseaux de proie proclamaient leursrapines
D’agneaux mort-nés et d’enfants-dieux qui vontmourir
Et j’ai vieilli vois-tu pendant ta vie jedanse
Mais j’eusse été tôt lasse et l’aubépine enfleurs
Cet avril aurait eu la pauvre confidence
D’un corps de vieille morte en mimant ladouleur
Et leurs mains s’élevaient comme un vol decolombes
Clarté sur qui la nuit fondit comme unvautour
Puis Merlin s’en alla vers l’est disant Qu’ilmonte
Le fils de ma Mémoire égale de l’Amour
Qu’il monte de la fange ou soit une ombred’homme
Il sera bien mon fils mon ouvrage immortel
Le front nimbé de feu sur le chemin deRome
Il marchera tout seul en regardant le ciel
La dame qui m’attend se nomme Viviane
Et vienne le printemps des nouvellesdouleurs
Couché parmi la marjolaine et lespas-d’âne
Je m’éterniserai sous l’aubépine en fleurs
A Louis Dumur
Dans la plaine les baladins
S’éloignent au long des jardins
Devant l’huis des auberges grises
Par les villages sans églises
Et les enfants s’en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe
Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours des cerceaux dorés
L’ours et le singe animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage
CHŒUR
Maraudeur étranger malheureux malhabile
Voleur voleur que ne demandais-tu cesfruits
Mais puisque tu as faim que tu es en exil
Il pleure il est barbare et bonpardonnez-lui
LARRON
Je confesse le vol des fruits doux des fruitsmûrs
Mais ce n’est pas l’exil que je vienssimuler
Et sachez que j’attends de moyennestortures
Injustes si je rends tout ce que j’ai volé
VIEILLARD
Issu de l’écume des mers comme Aphrodite
Sois docile puisque tu es beau Naufragé
Vois les sages te font des gestessocratiques
Vous parlerez d’amour quand il aura mangé
CHŒUR
Maraudeur étranger malhabile et malade
Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit
Qui charma de lueurs Zacinthe et lesCyclades
As-tu feint d’avoir faim quand tu volas lesfruits
LARRON
Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je auxinsultes
Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman
Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère etl’adulte
De prétexte sinon de s’aimer nuitamment
Il y avait des fruits tout ronds comme desâmes
Et des amandes de pomme de pin jonchaient
Votre jardin marin où j’ai laissé mesrames
Et mon couteau punique au pied de cepêcher
Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eaufroide
Pendaient parmi les fleurs des citronnierstordus
Les oiseaux de leur bec ont blessé vosgrenades
Et presque toutes les figues étaientfendues
L’ACTEUR
Il entra dans la salle aux fresques quifigurent
L’inceste solaire et nocturne dans lesnues
Assieds-toi là pour mieux ouïr les voixligures
Au son des cinyres des Lydiennes nues
Or les hommes ayant des masques de théâtre
Et les femmes ayant des colliers oùpendaient
La pierre prise au foie d’un vieux coq deTanagre
Parlaient entre eux le langage de laChaldée
Les autans langoureux dehors feignaientl’automne
Les convives c’étaient tant de couplesd’amants
Qui dirent tour à tour Voleur je tepardonne
Reçois d’abord le sel puis le pain defroment
Le brouet qui froidit sera fade à teslèvres
Mais l’outre en peau de bouc maintient fraisle vin blanc
Par ironie veux-tu qu’on serve un plat defèves
Ou des beignets de fleurs trempés dans du mielblond
Une femme lui dit Tu n’invoques personne
Crois-tu donc au hasard qui coule ausablier
Voleur connais-tu mieux les lois malgré leshommes
Veux-tu le talisman heureux de mon collier
Larron des fruits tourne vers moi tes yeuxlyriques
Emplissez de noix la besace du héros
Il est plus noble que le paon pythagorique
Le dauphin la vipère mâle ou le taureau
Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au ventscythe
Il en est tant venu par la route ou la mer
Conquérants égarés qui s’éloignaient tropvite
Colonnes de clins d’yeux qui fuyaient auxéclairs
CHŒUR
Un homme bègue ayant au front deux jets deflammes
Passa menant un peuple infime pourl’orgueil
De manger chaque jour les cailles et lamanne
Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil
Les puiseurs d’eau barbus coiffés debandelettes
Noires et blanches contre les maux et lessorts
Revenaient de l’Euphrate et les yeux deschouettes
Attiraient quelquefois les chercheurs detrésors
Cet insecte jaseur ô poète barbare
Regagnait chastement à l’heure d’y mourir
La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares
Aux crapauds que l’azur et les sourcesmûrirent
Un triomphe passait gémir sousl’arc-en-ciel
Avec de blêmes laurés debout dans leschars
Les statues suant les scurriles lesagnelles
Et l’angoisse rauque des paonnes et desjars
Les veuves précédaient en égrenant desgrappes
Les évêques noir révérant sans le savoir
Au triangle isocèle ouvert au mors deschapes
Pallas et chantaient l’hymne à la belle maisnoire
Les chevaucheurs nous jetèrent dansl’avenir
Les alcancies pleines de cendre ou bien defleurs
Nous aurons des baisers florentins sans ledire
Mais au jardin ce soir tu vins sage etvoleur
Ceux de ta secte adorent-ils un signeobscène
Belphégor le soleil le silence ou le chien
Cette furtive ardeur des serpents quis’entr’aiment
L’ACTEUR
Et le larron des fruits cria Je suischrétien
CHŒUR
Ah! Ah! les colliers tinteront cherront lesmasques
Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombreprévaut
Ah! Ah! le larron de gauche dans labourrasque
Rira de toi comme hennissent les chevaux
FEMME
Larron des fruits tourne vers moi tes yeuxlyriques
Emplissez de noix la besace du héros
Il est plus noble que le paon pythagorique
Le dauphin la vipère mâle ou le taureau
CHŒUR
Ah! Ah! nous secouerons toute la nuit lessistres
La voix ligure était-ce donc un talisman
Et si tu n’es pas de droite tu es sinistre
Comme une tache grise ou le pressentiment
Puisque l’absolu choit la chute est unepreuve
Qui double devient triple avant d’avoirété
Nous avouerons que les grossesses nousémeuvent
Les ventres pourront seuls nier l’aséité
Vois les vases sont pleins d’humides fleursmorales
Va-t’en mais dénudé puisque tout est ànous
Ouïs du chœur des vents les cadencesplagales
Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou legnou
L’ombre équivoque et tendre est le deuil de tachair
Et sombre elle est humaine et puis la nôtreaussi
Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères
Et puis aucun de nous ne croirait tesrécits
Il brillait et attirait comme la pantaure
Que n’avait-il la voix et les jupesd’Orphée
Et les femmes la nuit feignant d’être destaures
L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’eneffet
Il était pâle il était beau comme un roiladre
Que n’avait-il la voix et les jupesd’Orphée
La pierre prise au foie d’un vieux coq deTanagre
Au lieu du roseau triste et du funèbrefaix
Que n’alla-t-il vivre à la cour du roiD’Edesse
Maigre et magique il eût scruté lefirmament
Pâle et magique il eût aimé des poétesses
Juste et magique il eût épargné les démons
Va-t’en errer crédule et roux avec tonombre
Soit! la triade est mâle et tu es vierge etfroid
Le tact est relatif mais la vue estoblongue
Tu n’as de signe que le signe de la croix
Oh! les cimes des pins grincent en seheurtant
Et l’on entend aussi se lamenter l’autan
Et du fleuve prochain à grand’voixtriomphales
Les elfes rire au vent ou corner auxrafales
Attys Attys Attys charmant et débraillé
C’est ton nom qu’en la nuit les elfes ontraillé
Parce qu’un de tes pins s’abat au ventgothique
La forêt fuit au loin comme une arméeantique
Dont les lances ô pins s’agitent autournant
Les villages éteints méditent maintenant
Comme les vierges les vieillards et lespoètes
Et ne s’éveilleront au pas de nul venant
Ni quand sur leurs pigeons fondront lesgypaètes
A Louis de Gonzague Frick
Sirènes j’ai rampé vers vos
Grottes tiriez aux mers la langue
En dansant devant leurs chevaux
Puis battiez de vos ailes d’anges
Et j’écoutais ces chœurs rivaux
Une arme ô ma tête inquiète
J’agite un feuillage défleuri
Pour écarter l’haleine tiède
Qu’exhalent contre mes grands cris
Vos terribles bouches muettes
Il y a là-bas la merveille
Au prix d’elle que valez-vous
Le sang jaillit de mes otelles
A mon aspect et je l’avoue
Le meurtre de mon double orgueil
Si les bateliers ont ramé
Loin des lèvres à fleur de l’onde
Mille et mille animaux charmés
Flairent la route à la rencontre
De mes blessures bien-aimées
Leurs yeux étoiles bestiales
Eclairent ma compassion
Qu’importe sagesse égale
Celle des constellations
Car c’est moi seul nuit qui t’étoile
Sirènes enfin je descends
Dans une grotte avide J’aime
Vos yeux Les degrés sont glissants
Au loin que vous devenez naines
N’attirez plus aucun passant
Dans l’attentive et bien-apprise
J’ai vu feuilloler nos forêts
Mer le soleil se gargarise
Où les matelots désiraient
Que vergues et mâts reverdissent
Je descends et le firmament
S’est changé très vite en méduse
Puisque je flambe atrocement
Que mes bras seuls sont les excuses
Et les torches de mon tourment
Oiseaux tiriez aux mers la langue
Le soleil d’hier m’a rejoint
Les otelles nous ensanglantent
Dans le nid des Sirènes loin
Du troupeau d’étoiles oblongues
La tzigane savait d’avance
Nos deux vies barrées par les nuits
Nous lui dîmes adieu et puis
De ce puits sortit l’Espérance
L’amour lourd comme un ours privé
Dansa debout quand nous voulûmes
Et l’oiseau bleu perdit ses plumes
Et les mendiants leurs Ave
On sait très bien que l’on se damne
Mais l’espoir d’aimer en chemin
Nous fait penser main dans la main
A ce qu’a prédit la tzigane
A Félix Fénéon
Un ermite déchaux près d’un crâne blanchi
Cria Je vous maudis martyres et détresses
Trop de tentations malgré moi me caressent
Tentations de lune et de logomachies
Trop d’étoiles s’enfuient quand je dis mesprières
Ô chef de morte Ô vieil ivoire OrbitesTrous
Des narines rongées J’ai faim Mes criss’enrouent
Voici donc pour mon jeûne un morceau degruyère
Ô Seigneur flagellez les nuées du coucher
Qui vous tendent au ciel de si jolis culsroses
Et c’est le soir les fleurs de jour déjà seclosent
Et les souris dans l’ombre incantent leplancher
Les humains savent tant de jeux l’amour lamourre
L’amour jeu des nombrils ou jeu de la grandeoie
La mourre jeu du nombre illusoire desdoigts
Saigneur faites Seigneur qu’un jour jem’énamoure
J’attends celle qui me tendra ses doigtsmenus
Combien de signes blancs aux ongles lesparesses
Les mensonges pourtant j’attends qu’elle lesdresse
Ses mains énamourées devant moi l’Inconnue
Seigneur que t’ai-je fait Vois Je suisunicorne
Pourtant malgré son bel effroiconcupiscent
Comme un poupon chéri mon sexe estinnocent
D’être anxieux seul et debout comme uneborne
Seigneur le Christ est nu jetez jetez surlui
La robe sans couture éteignez les ardeurs
Au puits vont se noyer tant de tintementsd’heures
Quand isochrones choient des gouttes d’eau depluie
J’ai veillé trente nuits sous leslauriers-roses
As-tu sué du sang Christ dans Gethsémani
Crucifié réponds Dis non Moi je le nie
Car j’ai trop espéré en vain l’hématidrose
J’écoutais à genoux toquer les battements
Du cœur le sang roulait toujours en sesartères
Qui sont de vieux coraux ou qui sont desclavaines
Et mon aorte était avare éperdument
Une goutte tomba Sueur Et sa couleur
Lueur Le sang si rouge et j’ai ri desdamnés
Puis enfin j’ai compris que je saignais dunez
A cause des parfums violents de mes fleurs
Et j’ai ri du vieil ange qui n’est pointvenu
De vol très indolent me tendre un beaucalice
J’ai ri de l’aile grise et j’ôte moncilice
Tissé de crins soyeux par de cruels canuts
Vertuchou Riotant des vulves des papesses
De saintes sans tétons j’irai vers lescités
Et peut-être y mourir pour ma virginité
Parmi les mains les peaux les mots et lespromesses
Malgré les autans bleus je me dresse divin
Comme un rayon de lune adoré par la mer
En vain j’ai supplié tous les saintsaémères
Aucun n’a consacré mes doux pains sanslevain
Et je marche Je fuis ô nuit Lilith ulule
Et clame vainement et je vois de grandsyeux
S’ouvrir tragiquement Ô nuit je vois tescieux
S’étoiler calmement de splendides pilules
Un squelette de reine innocente est pendu
A un long fil d’étoile en désespoir sévère
La nuit les bois sont noirs et se meurtl’espoir vert
Quand meurt les jour avec un râleinattendu
Et je marche je fuis ô jour l’émoi del’aube
Ferma le regard fixe et doux de vieuxrubis
Des hiboux et voici le regard des brebis
Et des truies aux tétins roses comme deslobes
Des corbeaux éployés comme des tildes font
Une ombre vaine aux pauvres champs de seiglemûr
Non loin des bourgs où des chaumières sontimpures
D’avoir des hiboux morts cloués à leurplafond
Mes kilomètres longs Mes tristessesplénières
Les squelettes de doigts terminant lessapins
Ont égaré ma route et mes rêves poupins
Souvent et j’ai dormi au sol dessapinières
Enfin Ô soir pâmé Au bout de mes chemins
La ville m’apparut très grave au son descloches
Et ma luxure meurt à présent quej’approche
En entrant j’ai béni les foules des deuxmains
Cité j’ai ri de tes palais tels que destruffes
Blanches au sol fouillé de clairièresbleues
Or mes désirs s’en vont tous à la queue leuleu
Ma migraine pieuse a coiffé sa cucuphe
Car toutes sont venues m’avouer leurspéchés
Et Seigneur je suis saint par le vœu desamantes
Zélotide et Lorie Louise et Diamante
Ont dit Tu peux savoir ô toi l’effarouché
Ermite absous nos fautes jamais vénielles
Ô toi le pur et le contrit que nous aimons
Sache nos cœurs sache les jeux que nousaimons
Et nos baisers quintessenciés comme dumiel
Et j’absous les aveux pourpres comme leursang
Des poétesses nues des fées des formarines
Aucun pauvre désir ne gonfle ma poitrine
Lorsque je vois le soir les coupless’enlaçant
Car je ne veux plus rien sinon laisser seclore
Mes yeux couple lassé au verger pantelant
Plein du râle pompeux des groseillerssanglants
Et de la sainte cruauté des passiflores
Dans le brouillard s’en vont un paysancagneux
Et son bœuf lentement dans le brouillardd’automne
Qui cache les hameaux pauvres etvergogneux
Et s’en allant là-bas le paysan chantonne
Une chanson d’amour et d’infidélité
Qui parle d’une bague et d’un cœur que l’onbrise
Oh! l’automne l’automne a fait mourirl’été
Dans le brouillard s’en vont deux silhouettesgrises
A André Billy.
Le chapeau à la main il entra du pieddroit
Chez un tailleur très chic et fournisseur duroi
Ce commerçant venait de couper quelquestêtes
De mannequins vêtus comme il faut qu’on sevête
La foule en tous sens remuait en mêlant
Des ombres sans amour qui se traînaient parterre
Et des mains vers le ciel pleins de lacs delumière
S’envolaient quelquefois comme des oiseauxblancs
Mon bateau partira demain pour l’Amérique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l’argent gardé dans les prairieslyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues quej’aimais
Car revenir c’est bon pour un soldat desIndes
Les boursiers ont vendu tous mes crachats d’orfin
Mais habillé de neuf je veux dormir enfin
Sous des arbres pleins d’oiseaux muets et desinges
Les mannequins pour lui s’étantdéshabillés
Battirent leurs habits puis les luiessayèrent
Le vêtement d’un lord mort sans avoir payé
Au rabais l’habilla comme un millionnaire
Au dehors les années
Regardaient la vitrine
Les mannequins victimes
Et passaient enchaînées
Intercalées dans l’an c’étaient les journéesneuves
Les vendredis sanglants et lentsd’enterrements
De blancs et de tout noirs vaincus des cieuxqui pleuvent
Quand la femme du diable a battu son amant
Puis dans un port d’automne aux feuillesindécises
Quand les mains de la foule y feuillolaientaussi
Sur le pont du vaisseau il posa sa valise
Et s’assit
Les vents de l’Océan en soufflant leursmenaces
Laissaient dans ses cheveux de longs baisersmouillés
Des émigrants tendaient vers le port leursmains lasses
Et d’autres en pleurant s’étaientagenouillés
Il regarda longtemps les rives quimoururent
Seuls des bateaux d’enfants tremblaient àl’horizon
Un tout petit bouquet flottant àl’aventure
Couvrit l’Océan d’une immense floraison
Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire
Jouer dans d’autres mers parmi tous lesdauphins
Et l’on tissait dans sa mémoire
Une tapisserie sans fin
Qui figurait son histoire
Mais pour noyer changées en poux
Ces tisseuses têtues qui sans cesseinterrogent
Il se maria comme un doge
Aux cris d’une sirène moderne sans époux
Gonfle-toi vers la nuit O Mer Les yeux dessquales
Jusqu’à l’aube ont guetté de loinavidement
Des cadavres de jours rongés par lesétoiles
Parmi le bruit des flots et des derniersserments
A André Derain
Longtemps au pied du perron de
La maison où entra la dame
Que j’avais suivie pendant deux
Bonnes heures à Amsterdam
Mes doigts jetèrent des baisers
Mais le canal était désert
Le quai aussi et nul ne vit
Comment mes baisers retrouvèrent
Celle à qui j’ai donné ma vie
Un jour pendant plus de deux heures
Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m’en allai
Pour quêter la Rose du Monde
A Paul-Napoléon Roinard
J’ai jeté dans le noble feu
Que je transporte et que j’adore
De vives mains et même feu
Ce Passé ces têtes de morts
Flamme je fais ce que tu veux
Le galop soudain des étoiles
N’étant que ce qui deviendra
Se même au hennissement mâle
Des centaures dans leurs haras
Et des grand’plaintes végétales
Où sont ces têtes que j’avais
Où est le Dieu de ma jeunesse
L’amour est devenu mauvais
Qu’au brasier les flammes renaissent
Mon âme au soleil se dévêt
Dans la plaine ont poussé des flammes
Nos cœurs pendent aux citronniers
Les têtes coupées qui m’acclament
Et les astres qui ont saigné
Ne sont que des têtes de femmes
Le fleuve épinglé sur la ville
T’y fixe comme un vêtement
Partant à l’amphion docile
Tu subis tous les tons charmants
Qui rendent les pierres agiles
Je flambe dans le brasier à l’ardeuradorable
Et les mains des croyants m’y rejettentmultiple innombrablement
Les membres des intercis flambent auprès demoi
Éloignez du brasier les ossements
Je suffis pour l’éternité à entretenir le feude mes délices
Et des oiseaux protègent de leurs ailes maface et le soleil
Ô Mémoire Combien de races qui forlignent
Des Tyndarides aux vipères ardentes de monbonheur
Et les serpents ne sont-ils que les cous descygnes
Qui étaient immortels et n’étaient paschanteurs
Voici ma vie renouvelée
De grands vaisseaux passent et repassent
Je trempe une fois encore mes mains dansl’Océan
Voici le paquebot et ma vie renouvelée
Ses flammes sont immenses
Il n’y a plus rien de commun entre moi
Et ceux qui craignent les brûlures
Descendant des hauteurs où pense lalumière
Jardins rouant plus haut que tous les cielsmobiles
L’avenir masqué flambe en traversant lescieux
Nous attendons ton bon plaisir ô mon amie
J’ose à peine regarder la divine mascarade
Quand bleuira sur l’horizon la Désirade
Au-delà de notre atmosphère s’élève unthéâtre
Que construisit le ver Zamir sansinstrument
Puis le soleil revint ensoleiller lesplaces
D’une ville marine apparue contremont
Sur les toits se reposaient les colombesbasses
Et le troupeau de sphinx regagne lasphingerie
A petits pas Il orra le chant du pâtre toutela vie
Là-haut le théâtre est bâti avec le feusolide
Comme les astres dont se nourrit le vide
Et voici le spectacle
Et pour toujours je suis assis dans unfauteuil
Ma tête mes genoux mes coudes vainpentacle
Les flammes ont poussé sur moi comme desfeuilles
Des acteurs inhumains claires bêtesnouvelles
Donnent des ordres aux hommes apprivoisés
Terre
Ô Déchirée que les fleuves ont reprisée
J’aimerais mieux nuit et jour dans lessphingeries
Vouloir savoir pour qu’enfin on m’ydévorât
Mon verre est plein d’un vin trembleur commeune flamme
Écoutez la chanson lente d’un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune septfemmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’àleurs pieds
Debout chantez plus haut en dansant uneronde
Que je n’entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les fillesblondes
Au regard immobile aux nattes repliées
Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes semirent
Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’yrefléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantentl’été
Mon verre s’est brisé comme un éclat derire
Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de lamontagne
Vous êtes si jolies mais la barques’éloigne
Qui donc a fait pleurer les saulesriverains ?
Or des vergers fleuris se figeaient enarrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j’ai tantaimée
Les pétales flétris sont comme sespaupières
Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par destziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s’éloignait dans les vignesrhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment
Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord lesosiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues desvignes
Ottomar Scholem et Abraham Lœweren
Coiffés de feutres verts le matin dusabbat
Vont à la synagogue en longeant le Rhin
Et les coteaux où les vignes rougissentlà-bas
Ils se disputent et crient des choses qu’onose à peine traduire
Bâtard conçu pendant les règles ou Que lediable entre dans ton père
Le vieux Rhin soulève sa face ruisselante etse détourne pour sourire
Ottomar Scholem et Abraham Lœweren sont encolère
Parce que pendant le sabbat on ne doit pasfumer
Tandis que les chrétiens passent avec descigares allumés
Et parce qu’Ottomar et Abraham aiment tousdeux
Lia aux yeux de brebis et dont le ventreavance un peu
Pourtant tout à l’heure dans la synagogue l’unaprès l’autre
Ils baiseront la thora en soulevant leur beauchapeau
Parmi les feuillards de la fête descabanes
Ottomar en chantant sourira à Abraham
Ils déchanteront sans mesure et les voixgraves des hommes
Feront gémir un Léviathan au fond du Rhincomme une voix d’automne
Et dans la synagogue pleine de chapeaux onagitera les loulabim
Hanoten ne Kamoth bagoim tholahothbaleoumim
Mon beau tzigane mon amant
Écoute les cloches qui sonnent
Nous nous aimions éperdument
Croyant n’être vus de personne
Mais nous étions bien mal cachés
Toutes les cloches à la ronde
Nous ont vus du haut des clochers
Et le disent à tout le monde
Demain Cyprien et Henri
Marie Ursule et Catherine
La boulangère et son mari
Et puis Gertrude ma cousine
Souriront quand je passerai
Je ne saurai plus où me mettre
Tu seras loin Je pleurerai
J’en mourrai peut-être
A Jean Sève
A Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d’amour tous les hommes àla ronde
Devant son tribunal l’évêque la fit citer
D’avance il l’absolvit à cause de sabeauté
O belle Loreley aux yeux pleins depierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie
Je suis lasse de vivre et mes yeux sontmaudits
Ceux qui m’ont regardée évêque en ont péri
Mes yeux ce sont des flammes et non despierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie
Je flambe dans ces flammes Ô belle Loreley
Qu’un autre te condamne tu m’as ensorcelé
Evêque vous riez Priez plutôt pour moi laVierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vousprotège
Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n’aimerien
Mon cœur me fait si mal il faut bien que jemeure
Si je me regardais il faudrait que j’enmeure
Mon cœur me fait si mal depuis qu’il n’estplus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s’enalla
L’évêque fit venir trois chevaliers avec leurslances
Menez jusqu’au couvent cette femme endémence
Va t’en Lore en folie va Lore aux yeuxtremblants
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc
Puis ils s’en allèrent sur la route tous lesquatre
La Loreley les implorait et ses yeuxbrillaient comme des astres
Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher sihaut
Pour voir une fois encore mon beau château
Pour me mirer une fois encore dans lefleuve
Puis j’irai au couvent des vierges et desveuves
Là-haut le vent tordait ses cheveuxdéroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley
Tout là-bas sur le Rhin s’en vient unenacelle
Et mon amant s’y tient il m’a vue ilm’appelle
Mon cœur devient si doux c’est mon amant quivient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin
Pour avoir vu dans l’eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux desoleil
Dans la foret avec sa bande
Schinderhannes s’est désarmé
Le brigand près de sa brigande
Hennit d’amour au joli mai
Benzel accroupi lit la Bible
Sans voir que son chapeau pointu
A plume d’aigle sert de cible
A Jacob Born le mal foutu
Juliette Blaesius qui rote
Fait semblant d’avoir le hoquet
Hannes pousse une fausse note
Quand Schulz vient portant un baquet
Et s’écrie en versant des larmes
Baquet plein de vin parfumé
Viennent aujourd’hui les gendarmes
Nous aurons bu le vin de mai
Allons Julia la mam’zelle
Bois avec nous ce clair bouillon
D’herbes et de vin de Moselle
Prosit Bandit en cotillon
Cette brigande est bientôt soûle
Et veut Hannes qui n’en veut pas
Pas d’amour maintenant ma poule
Sers-nous un bon petit repas
Il faut ce soir que j’assassine
Ce riche juif au bord du Rhin
Au clair des torches de résine
La fleur de mai c’est le florin
On mange alors toute la bande
Pète et rit pendant le dîner
Puis s’attendrit à l’allemande
Avant d’aller assassiner
A Toussaint-Luca
Les enfants des morts vont jouer
Dans le cimetière
Martin Gertrude Hans et Henri
Nul coq n’a chanté aujourd’hui
Kikiriki
Les vieilles femmes
Tout en pleurant cheminent
Et les bons ânes
Braillent hi han et se mettent à brouter lesfleurs
Des couronnes mortuaires
C’est le jour des morts et de toutes leursâmes
Les enfants et les vieilles femmes
Allument des bougies et des cierges
Sur chaque tombe catholique
Les voiles des vieilles
Les nuages du ciel
Sont comme des barbes de biques
L’ait tremble de flammes et de prières
Le cimetière est un beau jardin
Plein de saules gris et de romarins
Il vous vient souvent des amis qu’onenterre
ah! que vous êtes bien dans le beaucimetière
Vous mendiants morts saouls de bière
Vous les aveugles comme le destin
Et vous petits enfants morts en prière
Ah! que vous êtes bien dans le beaucimetière
Vous bourgmestres vous bateliers
Et vous conseillers de régence
Vous aussi tziganes sans papiers
La vie vous pourrit dans la panse
La croix vous pousse entre les pieds
Le vent du Rhin ulule avec tous les hiboux
Il éteint les cierges que toujours les enfantsrallument
Et les feuilles mortes
Viennent couvrir les morts
Des enfants morts parlent parfois avec leurmère
Et des mortes parfois voudraient bienrevenir
Oh! je ne veux pas que tu sortes
L’automne est plein de mains coupées
Non non ce sont des feuilles mortes
Ce sont les mains des chères mortes
Ce sont tes mains coupées
Nous avons tant pleuré aujourd’hui
Avec ces morts leurs enfants et les vieillesfemmes
Sous le ciel sans soleil
Au cimetière plein de flammes
Puis dans le vent nous nous en retournâmes
A nos pieds roulaient des châtaignes
Dont les bogues étaient
Comme le cœur blessé de la madone
Dont on doute si elle eut la peau
Couleur des châtaignes d’automne
Les sapins en bonnets pointus
De longues robes revêtu
Comme des astrologues
Saluent leurs frères abattus
Les bateaux qui sur le Rhin voguent
Dans les sept arts endoctrinés
Par les vieux sapins leurs aînés
Qui sont de grands poètes
Ils se savent prédestinés
A briller plus que des planètes
A briller doucement changés
En étoiles et enneigés
Aux Noëls bienheureuses
Fêtes des sapins ensongés
Aux longues branches langoureuses
Les sapins beaux musiciens
Chantent des noëls anciens
Au vent des soirs d’automne
Ou bien graves magiciens
Incantent le ciel quand il tonne
Des rangées de blancs chérubins
Remplacent l’hiver les sapins
Et balancent leurs ailes
L’été ce sont de grands rabbins
Ou bien de vieilles demoiselles
Sapins médecins divagants
Ils vont offrant leurs bons onguents
Quand la montagne accouche
De temps en temps sous l’ouragan
Un vieux sapin geint et se couche
Dans la maison du vigneron les femmescousent
Lenchen remplis le poêle et mets l’eau ducafé
Dessus – Le chat s’étire après s’êtrechauffé
– Gertrude et son voisin Martin enfins’épousent
Le rossignol aveugle essaya de chanter
Mais l’effraie ululant il trembla dans sacage
Ce cyprès là-bas a l’air du pape en voyage
Sous la neige – Le facteur vient des’arrêter
Pour causer avec le nouveau maître d’école
– Cet hiver est très froid le vin sera trèsbon
– Le sacristain sourd et boiteux estmoribond
– La fille du vieux bourgmestre brode uneétole
Pour la fête du curé La forêt là-bas
Grâce au vent chantait à voix grave de grandorgue
Le songe Herr Traum survint avec sa sœur FrauSorge
Kaethi tu n’as bien raccommodé ces bas
– Apporte le café le beurre et lestartines
La marmelade le saindoux un pot de lait
– Encore un peu de café Lenchen s’il teplaît
– On dirait que le vent dit des phraseslatines
– Encore un peu de café Lenchen s’il teplaît
– Lotte es-tu triste O petit cœur – Je croisqu’elle aime
– Dieu garde – Pour ma part je n’aime quemoi-même
– Chut A présent grand-mère dit sonchapelet
– Il me faut du sucre candi Leni je tousse
– Pierre mène son furet chasser les lapins
Le vent faisait danser en rond tous lessapins
Lotte l’amour rend triste – Ilse la vie estdouce
La nuit tombait Les vignobles aux cepstordus
Devenaient dans l’obscurité des ossuaires
En neige et repliés gisaient là dessuaires
Et des chiens aboyaient aux passantsmorfondus
Il est mort écoutez La cloche de l’église
Sonnait tout doucement la mort dusacristain
Lise il faut attiser le poêle qui s’éteint
Les femmes se signaient dans la nuitindécise
Septembre 1901 – mai 1902
Je suis soumis au Chef du Signe del’Automne
Partant j’aime les fruits je déteste lesfleurs
Je regrette chacun des baisers que jedonne
Tel un noyer gaulé dit au vent sesdouleurs
Mon Automne éternelle ô ma saison mentale
Les mains des amantes d’antan jonchent tonsol
Une épouse me suit c’est mon ombre fatale
Les colombes ce soir prennent leur derniervol
Un aigle descendit de ce ciel blancd’archanges
Et vous soutenez-moi
Laisserez-vous trembler longtemps toutes ceslampes
Priez priez pour moi
La ville est métallique et c’est la seuleétoile
Noyée dans tes yeux bleus
Quand les tramways roulaient jaillissaient desfeux pâles
Sur des oiseaux galeux
Et tout ce qui tremblait dans tes yeux de messonges
Qu’un seul homme buvait
Sous les feux de gaz roux comme la fausseoronge
O vêtue ton bras se lovait
Vois l’histrion tire la langue auxattentives
Un fantôme s’est suicidé
L’apôtre au figuier pend et lentementsalive
Jouons donc cet amour aux dés
Des cloches aux sons clairs annonçaient tanaissance
Vois
Les chemins sont fleuris et les palmess’avancent
Vers toi
Toc toc Il a fermé sa porte
Les lys du jardin sont flétris
Quel est donc ce mort qu’on emporte
Tu viens de toquer à sa porte
Et trotte trotte
Trotte la petite souris
A Picasso
Le printemps laisse errer les fiancésparjures
Et laisse feuilloler longtemps les plumesbleues
Que secoue le cyprès où niche l’oiseaubleu
Une Madone à l’aube a pris les églantines
Elle viendra demain cueillir les giroflées
Pour mettre aux nids des colombes qu’elledestine
Au pigeon qui ce soir semblait le Paraclet
Au petit bois de citronnierss’énamourèrent
D’amour que nous aimons les dernièresvenues
Les villages lointains sont comme lespaupières
Et parmi les citrons leurs cœurs sontsuspendus
Mes amis m’ont enfin avoué leur mépris
Je buvais à pleins verres les étoiles
Un ange a exterminé pendant que je dormais
Les agneaux les pasteurs des tristesbergeries
De faux centurions emportaient le vinaigre
Et les gueux mal blessés par l’épurgedansaient
Étoiles de l’éveil je n’en connais aucune
Les becs de gaz pissaient leur flamme au clairde lune
Des croque-morts avec des bocks tintaient desglas
A la clarté des bougies tombaient vaille quevaille
Des faux cols sur les flots de jupes malbrossées
Des accouchées masquées fêtaient leursrelevailles
La ville cette nuit semblait un archipel
Des femmes demandaient l’amour et la dulie
Et sombre sombre fleuve je me rappelle
Les ombres qui passaient n’étaient jamaisjolies
Je n’ai plus même pitié de moi
Et ne puis exprimer mon tourment desilence
Tous les mots que j’avais à dire se sontchangés en étoiles
Un Icare tente de s’élever jusqu’à chacun demes yeux
Et porteur de soleils je brûle au centre dedeux nébuleuses
Qu’ai-je fait aux bêtes théologales del’intelligence
Jadis les morts sont revenus pour m’adorer
Et j’espérais la fin du monde
Mais la mienne arrive en sifflant comme unouragan
J’ai eu le courage de regarder en arrière
Les cadavres de mes jours
Marquent ma route et je les pleure
Les uns pourrissent dans les églisesitaliennes
Ou bien dans de petits bois de citronniers
Qui fleurissent et fructifient
En même temps et en toute saison
D’autres jours ont pleuré avant de mourir dansdes tavernes
Où d’ardents bouquets rouaient
Aux yeux d’une mulâtresse qui inventait lapoésie
Et les roses de l’électricité s’ouvrentencore
Dans le jardin de ma mémoire
Pardonnez-moi mon ignorance
Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancienjeu des vers
Je ne sais plus rien et j’aime uniquement
Les fleurs à mes yeux redeviennent desflammes
Je médite divinement
Et je souris des êtres que je n’ai pascréés
Mais si le temps venait où l’ombre enfinsolide
Se multipliait en réalisant la diversitéformelle de mon amour
J’admirerais mon ouvrage
J’observe le repos du dimanche
Et je loue la paresse
Comment comment réduire
L’infiniment petite science
Que m’imposent mes sens
L’un est pareil aux montagnes au ciel
Aux villes à mon amour
Il ressemble aux saisons
Il vit décapité sa tête est le soleil
Et la lune son cou tranché
Je voudrais éprouver une ardeur infinie
Monstre de mon ouïe tu rugis et tu pleures
Le tonnerre te sert de chevelure
Et tes griffes répètent le chant desoiseaux
Le toucher monstrueux m’a pénétrém’empoisonne
Mes yeux nagent loin de moi
Et les astres intacts sont mes maîtres sansépreuve
La bête des fumées a la tête fleurie
Et le monstre le plus beau
Ayant la saveur du laurier se désole
A la fin les mensonges ne me font pluspeur
C’est la lune qui cuit comme un œuf sur leplat
Ce collier de gouttes d’eau va parer lanoyée
Voici mon bouquet de fleurs de la Passion
Qui offrent tendrement deux couronnesd’épines
Les rues sont mouillées de la pluie denaguère
Des anges diligents travaillent pour moi à lamaison
La lune et la tristesse disparaîtrontpendant
Toute la sainte journée
Toute la sainte journée j’ai marché enchantant
Une dame penchée à sa fenêtre m’a regardélongtemps
M’éloigner en chantant
Au tournant d’une rue je vis des matelots
Qui dansaient le cou nu au son d’unaccordéon
J’ai tout donné au soleil
Tout sauf mon ombre
Les dragues les ballots les sirènesmi-mortes
A l’horizon brumeux s’enfonçaient lestrois-mâts
Les vents ont expiré couronnés d’anémones
O Vierge signe pur du troisième mois
Templiers flamboyants je brûle parmi vous
Prophétisons ensemble ô grand maître jesuis
Le désirable feu qui pour vous se dévoue
Et la girande tourne ô belle ô belle nuit
Liens déliés par une libre flamme Ardeur
Que mon souffle éteindra O Morts àquarantaine
Je mire de ma mort la gloire et le malheur
Comme si je visais l’oiseau de laquintaine
Incertitude oiseau feint peint quand voustombiez
Le soleil et l’amour dansaient dans levillage
Et tes enfants galants bien ou malhabillés
Ont bâti ce bûcher le nid de mon courage
Lune mellifluente aux lèvres des déments
Les vergers et les bourgs cette nuit sontgourmands
Les astres assez bien figurent lesabeilles
De ce miel lumineux qui dégoutte destreilles
Car voici que tout doux et leur tombant duciel
Chaque rayon de lune est un rayon de miel
Or caché je conçois la très douce aventure
J’ai peur du dard de feu de cette abeilleArcture
Qui posa dans mes mains des rayonsdécevants
Et prit son miel lunaire à la rose desvents
La dame avait une robe
En ottoman violine
Et sa tunique brodée d’or
Était composée de deux panneaux
S’attachant sur l’épaule
Les yeux dansants comme des anges
Elle riait elle riait
Elle avait un visage aux couleurs deFrance
Les yeux bleus les dents blanches et leslèvres très rouges
Elle avait un visage aux couleurs deFrance
Elle était décolletée en rond
Et coiffée à la Récamier
Avec de beaux bras nus
N’entendra-t-on jamais sonner minuit
La dame en robe d’ottoman violine
Et en tunique brodée d’or
Décolletée en rond
Promenait ses boucles
Son bandeau d’or
Et traînait ses petits souliers à boucles
Elle était si belle
Que tu n’aurais pas osé l’aimer
J’aimais les femmes atroces dans les quartiersénormes
Où naissaient chaque jour quelques êtresnouveaux
Le fer était leur sang la flamme leurcerveau
J’aimais j’aimais le peuple habile desmachines
Le luxe et la beauté ne sont que son écume
Cette femme était si belle
Qu’elle me faisait peur
I
Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles
II
Non je ne me sens plus là
Moi-même
Je suis le quinze de la
Onzième
Le soleil filtre à travers
Les vitres
Ses rayons font sur mes vers
Les pitres
Et dansent sur le papier
J’écoute
Quelqu’un qui frappe du pied
La voûte
III
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
Avec les clefs qu’il fait tinter
Que le geôlier aille et revienne
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
IV
Que je m’ennuie entre ces murs tout nus
Et peints de couleurs pâles
Une mouche sur le papier à pas menus
Parcourt mes lignes inégales
Que deviendrai-je ô Dieu qui connais madouleur
Toi qui me l’as donnée
Prends en pitié mes yeux sans larmes mapâleur
Le bruit de ma chaise enchaînée
Et tous ces pauvres cœurs battant dans laprison
L’Amour qui m’accompagne
Prends en pitié surtout ma débile raison
Et ce désespoir qui me gagne
V
Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement
Tu pleureras l’heure où tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures
VI
J’écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu’un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison
Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison
Septembre 1911.
Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans lesroseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers
Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts etnaines
Qui n’ont jamais aimé
Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé
Et que j’aime ô saison que j’aime tesrumeurs
Les fruits tombant sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille àfeuille
Les feuilles
Qu’on foule
Un train
Qui roule
La vie
S’écoule
La chambre est veuve
Chacun pour soi
Présence neuve
On paye au mois
Le patron doute
Payera-t-on
Je tourne en route
Comme un toton
Le bruit des fiacres
Mon voisin laid
Qui fume un âcre
Tabac anglais
Ô La Vallière
Qui boite et rit
De mes prières
Table de nuit
Et tous ensemble
Dans cet hôtel
Savons la langue
Comme à Babel
Fermons nos Portes
À double tour
Chacun apporte
Son seul amour
Notre histoire est noble et tragique
Comme le masque d’un tyran
Nul drame hasardeux ou magique
Aucun détail indifférent
Ne rend notre amour pathétique
Et Thomas de Quincey buvant
L’opium poison doux et chaste
À sa pauvre Anne allait rêvant
Passons passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent
Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent
Hommes de l’avenir souvenez-vous de moi
Je vivais à l’époque où finissaient lesrois
Tour à tour ils mouraient silencieux ettristes
Et trois fois courageux devenaienttrismégistes
Que Paris était beau à la fin de septembre
Chaque nuit devenait une vigne où lespampres
Répandaient leur clarté sur la ville etlà-haut
Astres mûrs becquetés par les ivresoiseaux
De ma gloire attendaient la vendange del’aube
Un soir passant le long des quais déserts etsombres
En rentrant à Auteuil j’entendis une voix
Qui chantait gravement se taisantquelquefois
Pour que parvînt aussi sur les bords de laSeine
La plainte d’autres voix limpides etlointaines
Et j’écoutai longtemps tous ces chants et cescris
Qu’éveillait dans la nuit la chanson deParis
J’ai soif villes de France et d’Europe et dumonde
Venez toutes couler dans ma gorge profonde
Je vis alors que déjà ivre dans la vigneParis
Vendangeait le raisin le plus doux de laterre
Ces grains miraculeux qui aux treilleschantèrent
Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes
Nous voici ô Paris Nos maisons noshabitants
Ces grappes de nos sens qu’enfanta lesoleil
Se sacrifient pour te désaltérer trop avidemerveille
Nous t’apportons tous les cerveaux lescimetières les murailles
Ces berceaux pleins de cris que tu n’entendraspas
Et d’amont en aval nos pensées ô rivières
Les oreilles des écoles et nos mainsrapprochées
Aux doigts allongés nos mains les clochers
Et nous t’apportons aussi cette soupleraison
Que le mystère clôt comme une porte lamaison
Ce mystère courtois de la galanterie
Ce mystère fatal fatal d’une autre vie
Double raison qui est au-delà de la beauté
Et que la Grèce n’a pas connue ni l’Orient
Double raison de la Bretagne où lame àlame
L’océan châtre peu à peu l’anciencontinent
Et les villes du Nord répondirent gaiement
Ô Paris nous voici boissons vivantes
Les viriles cités où dégoisent et chantent
Les métalliques saints de nos saintesusines
Nos cheminées à ciel ouvert engrossent lesnuées
Comme fit autrefois l’Ixion mécanique
Et nos mains innombrables
Usines manufactures fabriques mains
Où les ouvriers nus semblables à nosdoigts
Fabriquent du réel à tant par heure
Nous te donnons tout cela
Et Lyon répondit tandis que les anges deFourvières
Tissaient un ciel nouveau avec la soie desprières
Désaltère-toi Paris avec les divinesparoles
Que mes lèvres le Rhône et la Saônemurmurent
Toujours le même culte de sa mortrenaissant
Divise ici les saints et fait pleuvoir lesang
Heureuse pluie ô gouttes tièdes ô douleur
Un enfant regarde les fenêtres s’ouvrir
Et des grappes de têtes à d’ivres oiseauxs’offrit
Les villes du Midi répondirent alors
Noble Paris seule raison qui vis encore
Qui fixes notre humeur selon ta destinée
Et toi qui te retires Méditerranée
Partagez-vous nos corps comme on rompt deshosties
Ces très hautes amours et leur danseorpheline
Deviendront ô Paris le vin pur que tuaimes
Et un râle infini qui venait de Sicile
Signifiait en battement d’ailes cesparoles
Les raisins de nos vignes on les avendangés
Et ces grappes de morts dont les grainsallongés
Ont la saveur du sang de la terre et dusel
Les voici pour ta soif ô Paris sous leciel
Obscurci de nuées faméliques
Que caresse Ixion le créateur oblique
Et où naissent sur la mer tous les corbeauxd’Afrique
Ô raisins Et ces yeux ternes et en famille
L’avenir et la vie dans ces treilless’ennuyent
Mais où est le regard lumineux des sirènes
Il trompa les marins qu’aimaient cesoiseaux-là
Il ne tournera plus sur l’écueil de Scylla
Où chantaient les trois voix suaves etsereines
Le détroit tout à coup avait changé deface
Visages de la chair de l’onde de tout
Ce que l’on peut imaginer
Vous n’êtes que des masques sur des facesmasquées
Il souriait jeune nageur entre les rives
Et les noyés flottant sur son ondenouvelle
Fuyaient en le suivant les chanteusesplaintives
Elles dirent adieu au gouffre et àl’écueil
A leurs pâles époux couchés sur lesterrasses
Puis ayant pris leur vol vers le brûlantsoleil
Les suivirent dans l’onde où s’enfoncent lesastres
Lorsque la nuit revint couverte d’yeuxouverts
Errer au site où l’hydre a sifflé cethiver
Et j’entendis soudain ta voix impérieuse
Ô Rome
Maudire d’un seul coup mes anciennespensées
Et le ciel où l’amour guide les destinées
Les feuillards repoussés sur l’arbre de lacroix
Et même la fleur de lys qui meurt auVatican
Macèrent dans le vin que je t’offre et quia
La saveur du sang pur de celui qui connaît
Une autre liberté végétale dont tu
Ne sais pas que c’est elle la suprêmevertu
Une couronne du trirègne est tombée sur lesdalles
Les hiérarques la foulent sous leurssandales
Ô splendeur démocratique qui pâlit
Vienne le nuit royale où l’on tuera lesbêtes
La louve avec l’agneau l’aigle avec lacolombe
Une foule de rois ennemis et cruels
Ayant soif comme toi dans la vigneéternelle
Sortiront de la terre et viendront dans lesairs
Pour boire de mon vin par deux foismillénaire
La Moselle et le Rhin se joignent ensilence
C’est l’Europe qui prie nuit et jour àCoblence
Et moi qui m’attardais sur le quai àAuteuil
Quand les heures tombaient parfois comme lesfeuilles
Du cep lorsqu’il est temps j’entendis laprière
Qui joignait la limpidité de ces rivières
O Paris le vin de ton pays est meilleur quecelui
Qui pousse sur nos bords mais aux pampres dunord
Tous les grains ont mûri pour cette soifterrible
Mes grappes d’hommes forts saignent dans lepressoir
Tu boiras à longs traits tout le sang del’Europe
Parce que tu es beau et que seul tu esnoble
Parce que c’est dans toi que Dieu peutdevenir
Et tous mes vignerons dans ces bellesmaisons
Qui reflètent le soir leurs feux dans nos deuxeaux
Dans ces belles maisons nettement blanches etnoires
Sans savoir que tu es la réalité chantent tagloire
Mais nous liquides mains jointes pour laprière
Nous menons vers le sel les eauxaventurières
Et la ville entre nous comme entre desciseaux
Ne reflète en dormant nul feu dans ses deuxeaux
Dont quelque sifflement lointain parfoiss’élance
Troublant dans leur sommeil les filles deCoblence
Les villes répondaient maintenant parcentaines
Je ne distinguais plus leurs paroleslointaines
Et Trèves la ville ancienne
A leur voix mêlait la sienne
L’univers tout entier concentré dans cevin
Qui contenait les mers les animaux lesplantes
Les cités les destins et les astres quichantent
Les hommes à genoux sur la rive du ciel
Et le docile fer notre bon compagnon
Le feu qu’il faut aimer comme on s’aimesoi-même
Tous les fiers trépassés qui sont un sous monfront
L’éclair qui luit ainsi qu’une penséenaissante
Tous les noms six par six les nombres un àun
Des kilos de papier tordus comme desflammes
Et ceux-là qui sauront blanchir nosossements
Les bons vers immortels qui s’ennuientpatiemment
Des armées rangées en bataille
Des forêts de crucifix et mes demeureslacustres
Au bord des yeux de celle que j’aime tant
Les fleurs qui s’écrient hors de bouches
Et tout ce que je ne sais pas dire
Tout ce que je ne connaîtrai jamais
Tout cela tout cela changé en ce vin pur
Dont Paris avait soif
Me fut alors présenté
Actions belles journées sommeils terribles
Végétation Accouplements musiqueséternelles
Mouvements Adorations douleur divine
Mondes qui vous rassemblez et qui nousressemblez
Je vous ai bus et ne fut pas désaltéré
Mais je connus dès lors quelle saveur al’univers
Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers
Sur le quai d’où je voyais l’onde couler etdormir les bélandres
Écoutez-moi je suis le gosier de Paris
Et je boirai encore s’il me plaîtl’univers
Écoutez mes chants d’universelleivrognerie
Et la nuit de septembre s’achevaitlentement
Les feux rouges des ponts s’éteignaient dansla Seine
Les étoiles mouraient le jour naissait àpeine