Critique de la raison pure – Emmanuel Kant

LOGIQUE TRANSCENDENTALE

l’exige l’exposition scolastique d’une théorie élémentaire
de l’entendement. Dans cette science, les logiciens doivent
donc toujours avoir en vue les deux règles suivantes :

l »* Comme logique générale, elle fait abstraction de
tout le contenu de la connaissance de l’entendement et
de la diversité de. ses objets, et elle n’a à s’occuper que
de la forme de la pensée.

2″ » Comme logique pure, elle n’a point de principes
empiriques ; par conséquent (bien qu’on se persuade par-
fois le contraire) elle ne tire rien de la psychologie, qui ne
saurait avoir aucune influence sur le canon de l’entende-
ment. Elle est une doctrine démontrée, et tout y doit
être parfaitement certain à priori.

Quant à la logique que j’appelle appliquée (contraire-
ment au sens ordinaire de cette expression, qui désigne
certains exercices dont la logique pure fournit la règle),,
elle représente l’entendement et les règles de son usage
nécessaire considéré in concretOj c’est-à-dire en tant qu’il
est soumis aux conditions contingentes du sujet, lesquelles
peuvent lui être contraires ou favorables et ne sont jamais
données qu’empiriquement. Elle traite de l’attention, de
ses obstacles et de ses effets, de l’origine de l’erreur, de
l’état de doute, de scrupule, de persuasion, etc. Entre la
logique générale et pure et elle il y a le même rapport
qu’entre la morale pure, qui contient uniquement les lois
morales nécessaires d’une volonté hbre en général, et
l’éthique ^ proprement dite qui examine ces lois par rap-
port aux obstacles qu’elles rencontrent dans les senti-
ments, les inclinations et les passions auxquelles les
hommes sont plus ou moins soumis. Celle-ci ne saurait

  • TugendUhre.

[

INTRODUCTION 115

jamais former une véritable science, une science démon-
trée, parce que, comme la logique appliquée, elle a besoin
de principes empiriques et psychologiques.

II

De la logique Iranscendeniale

La logique générale fait abstraction, comme nous Pa-
vons indiqué , de tout contenu de la connaissance , c’est-
à-dire de tout rapport de la connaissance à l’objet, et
elle n’envisage que la forme logique des connaissances
dans leurs rapports entre elles, c’est-à-dire la forme de
la pensée en général. Mais , comme il y a des intuitions
pures aussi bien que des intuitions empiriques (ainsi que
le prouve l’esthétique transcendentale), on pourrait bien
trouver aussi une différence entre une pensée pure et une
pensée empirique des objets. Dans ce cas, il y aurait une
logique où l’on ne ferait pas abstraction de tout contenu
de la connaissance ; car celle qui contiendrait uniquement
les règles de la pensée pure d’un objet exclurait toutes
ces connaissances dont le contenu serait empirique. Cette
logique rechercherait aussi l’origine de nos connais-
sances des objets, en tant qu elle ne peut être attribuée
à ces objets mêmes, tandis que la logique générale n’a
point ,à s’octuper de cette origine de la connaissance, et
qu’elle se borne à examiner nos représentations au point
de vue des lois suivant lesquelles l’entendement les em-
ploie et les relie entre elles , lorsqu’il pense. Que ces re-
présentations aient leur origine à priori en nous-mêmes,
ou qu’elles nous soient données empiriquement, peu lui

116 LOGIQUE TRANSCENDENTALE

importe; elle s’occupe uniquement de la forme que l’en-
tendement peut leur donner, de quelque source d’ailleurs
qu’elles puissent dériver.

Je dois faire ici une remarque qui a son importance
pour toutes les considérations suivantes, et qu’il ne faut
pas perdre de vue : c’est que le mot transcendental ne
convient pas à toute connaissance à priori, mais seule-
ment à celle par laquelle nous connaissons que certaines
représentations (intuitions ou concepts) ne sont appliquées
ou ne sont possibles qu’à priori, et comment elles le sont
(car cette expression désigne la possibilité de la connais-
sance ou de son usage à priori). Ainsi, ni l’espace, ni au-
cune détermination géométrique à priori de l’espace ne
sont des représentations transcendentales ; la connaissance
de l’origine non empirique de ces représentations et de
la manière dont elles peuvent se rapporter à pnori à des
objets d’expérience mérite seule d’être appelée transcen-
dentale. De même, l’application de l’espace à des objets
en général serait transcendentale ; mais bornée simple-
ment aux objets des sens, elle est empirique. La diffé-
rence du transcendental et de l’empirique n’appartient
donc qu’à la critique des connaissances et ne concerne
point le rapport de ces connaissances à leur objet.

Dans la présomption qu’il y a peut-être des concepts
qui se rapportent à priori à des objets, non comme intui-
tions pures ou sensibles, mais seulement comme actes de
la pensée pure, et qui par conséquent sont bien des con-
cepts, mais des concepts dont l’origine n’est ni empirique,
ni esthétique, nous nous faisons d’avance l’idée d’une
science de l’entendement pur et de la connaissance ra-
tionnelle par laquelle nous pensons des objets tout à fait
à priori. Une telle science , qui déterminerait l’origine,

INTRODUCTION 147

l’étendue et la valeur objective de ces connaissances de-
vrait porter le nom de logique transcendentale ; car, en
même temps qu’elle n’aurait affaire qu’aux lois de l’en-
tendement et de la raison, elle ne se rapporterait qu’à
des objets à priori^ et non, comme la logique générale, à
des connaissances empiriques ou pures sans distinction.

m

de la division de la logique gàiérale en Analytique

et Dialectique

Q^ est-ce que la vérité? C’est avec cette vieille et fa-
meuse question que l’on pensait pousser à bout les logi-
ciens, et que l’on cherchait à les prendre en flagrant délit
de verbiage ^ ou à leur faire avouer leur ignorance, et
par conséquent la vanité de tout leur art. La définition
de nom qui consiste à dire que la vérité est l’accord de
la connaissance avec son objet, est ici admise et suppo-
sée ; mais on veut savoir quel est le critérium général et
<îertain de la vérité de toute connaissance.

C’est déjà une grande et infaillible preuve de sagesse
^t de lumières que de savoir ce que l’on peut raisonna-
blement demander. En effet , si la question est absurde
en soi et si elle appelle des réponses oiseuses, non-seu-
lemeut elle couvre de honte celui qui la fait, mais elle a
aussi parfois l’inconvénient de jeter dans l’absurdité ce-

  • Auf einer eîenden THalexe, — Ce dernier mot vient du grec (ftoAc^^ç,
    qui signifie entretien, conversation. La première édition (cf. celle de
    Eosenkranz, p. 61) donnait, au lieu de dialexe, le mot dialele (c’est-à-
    dire pétition de principe), mais en laissant les adjectifs au féminin, ce
    •qui indiquait ici un erratum, ce mot ne comportant pas le féminin. J. B.

118 LOGIQUE TRANSCENDENTALE

lui qui y répond sans y prendre garde, et de présenter
ainsi le ridicule spectacle de deux personnes, dont l’une
trait le bouc (comme disaient les anciens), tandis que
l’autre tient le baquet.

Si la vérité consiste dans l’accord d’une connaissance
avec son objet, cet objet doit être par-là même distingué
de tout autre; car une connaissance contînt-elle d’ailleurs
des idées applicables à un autre objet, elle est fausse quand
elle ne s’accorde pas avec celui auquel elle se rapporte.
D’un autre côté, un critérium universel de la vérité de-
vrait être bon pour toutes les connaissances, sans distinc-
tion de leurs objets. Mais, puisqu’on y ferait abstraction
de tout contenu de la connaissance (de son rapport à son
objet), et que la vérité porte justement sur ce contenu,,
il est clair qu’il est tout à fait impossible et absurde de
demander une marque distinctive de la vérité de ce con-
tenu des connaissances, et qu’on ne saurait trouver un
signe suffisant à la fois et universel de la vérité. Et,
comme le contenu d’une connaissance a été nommé plus
haut la matière de cette connaissance, il est juste de
dire qu’il n’y a point de critérium universel à chercher
pour la vérité de la connaissance de la matière, puisque
cela est contradictoire en soi.

Pour ce qui est de la connaissance considérée simple-
ment dans la forme (abstraction faite de tout contenu),
il est clair qu’une logique, en exposant les règles univer-
selles et nécessaires de l’entendement, fournit dans ces
règles mêmes des critériums de la vérité. Tout ce qui
est contraire à ces règles est faux, puisque l’entendement
s’y met en contradiction avec les règles universelles de
sa pensée, c’est-à-dire avec lui-même. Mais ces crité-
riums ne concernent que la forme de la vérité, c’est-à-

INTRODUCTION 119

dire de la pensée en général ; et, s’ils sont à ce titre tout
à fait exacts, ils ne sont pas suffisants. En eflfet, une con-
naissance a beau être tout à fait conforme à la forme
logique, c’est-à-dire ne pas se contredire elle-même, il se
peut toujours qu’elle ne soit pas d’accord avec l’objet/Le
critérium purement logique de la vérité, à savoir l’accord
d’une connaissance avec les lois universelles et formelles
de l’entendement et de la raison est donc bien la condition
sine qua non et par conséquent négative de toute vérité;
mais la logique ne saurait aller plus loin, et aucune
pierre de touche ne pourrait lui faire découvrir l’erreur
qui n’atteint pas seulement la forme, mais le contenu.

Or la logique générale décompose toute l’œuvre for-
melle de l’entendement et de la raison dans ses éléments,
et elle les présente comme les principes de toute appré-
ciation logique de notre connaissance. Cette partie de la
logique peut donc être nommée analytique, et elle est la
pierre de touche, du moins négative, de la vérité, puis-
qu’il faut d’abord contrôler et juger d’après ses règles laT
forme de toute connaissance , avant d’en examiner le con-
tenu pour savoir si, par rapport à l’objet, elle contient
quelque vérité positive. Mais, comme la pure forme de la
connaissance, si bien d’accord qu’elle puisse être avec les
lois logiques , ne suffit nullement pour décider de la vé-
rité matérielle (objective) de la connaissance, personne
ne peut se hasarder à juger des objets sur la foi de la
logique. Avant d’en affirmer quelque chose, il faut en
avoir trouvé en dehors de la logique des révélations fon-
dées, sauf à en demander ensuite aux lois logiques l’usage
et l’enchaînement au sein d’un tout systématique, ou,
mieux, à Içs contrôler simplement d’après ces lois. Ce-
pendant, il y a quelque chose de si séduisant dans la

120 LOGIQUE TRANSCENDENTA.LE

possession de cet art précieux qui consiste à donner à
toutes nos connaissances la forme de l’entendement, si
vide ou si pauvre d’ailleurs qu’en puisse être le contenu,
que cette logique générale, qui n’est qu’un canon pour le
jugement, devient en quelque sorte un organum dont on
se sert pour en tirer réellement, du moins en apparence,
des assertions objectives; mais cet usage n’est dans le
fait qu’un abus. La logique générale, prise ainsi pour or-
ganum, prend le nom de dialectique.

Quelque différente que soit l’idée que les anciens se
faisaient de la science et de l’art qu’ils désignaient par
ce mot, on peut certainement conclure de l’usage qu’ils
faisaient réellement de la dialectique, qu’elle n’était autre
chose pour eux que la logique de Vapparence, C’était en
eflfet un art sophistique dont on se sen-ait pour donner à
son ignorance ou même à ses artifices calculés ^ la cou-
leur de la vérité, de manière à imiter cette méthode de
solidité ^ que prescrit la logique en général et à en mettre
la topique à contribution pour faire passer les plus vaines
allégations. Or c’est une remarque non moins utile que
certaine que la logique générale, considérée comme orga-
num^ est toujours une logique de l’apparence, c’est-à-dire
est toujours dialectique. En eflfet, comme elle ne nous
enseigne rien au sujet du contenu de la connaissance,
mais qu’elle se borne à exposer les conditions formelles
de l’accord de la connaissance avec l’entendement, et que
ces conditions sont d’ailleurs tout à fait indiflférentes re-
lativement aux objets, la prétention de se servir de cette
logique comme d’un instrument (d’un organum) pour

  • Seinen vorsetzUchen Blendwerken. — * Die Méthode der Grund-
    lichkeit

INTRODUCTION 121

élargir et étendre ses connaissances , ou , du moins , en
avoir l’air, cette prétention ne peut aboutir qu’à un pur
verbiage, par lequel on affirme avec quelque apparence
ou l’on nie à son choix tout ce qu’on veut.

Un tel enseignement est tout à fait contraire à la di-
gnité de la philosophie. Aussi , en appliquant ce nom de
dialectique à la logique , a-t-on eu raison d’entendre par
là une critique de î apparence dialectique; c’est aussi en
ce sens que nous nous l’entendrons ici.

IV

De la division, de la logique traiiscendenlale en analytique

et dialectique transcetidentales

Dans la logique transceùdentale, nous isolons Fenten-
dement (comme dans l’esthétique transcendentale nous
avons isolé la sensibiUté), et nous ne prenons de notre
■connaissance que la partie de la pensée qui a unique-
ment son origine dans l’entendement. Mais l’usage de
cette connaissance pure suppose cette condition, que des
objets auxquels elle puisse s’appliquer nous soient don-
nés dans l’intuition. En effet, sans intuitions, toute notre
(îonnaissance manque d’objets, et elle est alors entière-
ment vide. La partie de la logique transcendentale qui
expose les éléments de la connaissance pure de l’enten-
dement et les principes sans lesquels, en général, aucun
objet ne peut être pensé, est l’analytique transcendentale;
«De est en même temps la logique de la vérité. En effet,
aucune connaissance ne peut être en contradiction avec
^Ue sans perdre aussitôt tout contenu, c’est-à-dire tout
rapport à quelque objet, par conséquent toute vérité.

illi LOGIQUE TRANSCÈNDENTALE

Mais , comme il est très-attrayant de se servir de cei
connaissances et de ces principes purs de l’entendemen
sans tenir compte de l’expérience, ou même en sortao
des limites de l’expérience, qui seule peut nous fournir 1
matière (les objets) où s’appliquent ces concepts pur
l’esprit court le risque de faire, à l’aide de vains raisoi
nements, un usage matériel des principes simplement foi
mels de l’entendement pur, et de prononcer indistinct
ment sur des objets qui ne nous sont pas donnés et q
peut-être ne peuvent l’être d’aucune manière. Si do:
la logique ne doit être qu’un canon servant à juger 1′
sage empirique des concepts de l’entendement, c’est
abuser que de vouloir la faire passer pour l’organi
d’un usage universel et illimité, et que de se hasarc
avec le seul entendement pur à porter des jugemei
synthétiques sur des objets en général et à prononc
ainsi ou à décider à leur égard. C’est alors que l’usa
de l’entendement pur serait dialectique. La seconde pj
tie de la logique transcendentale doit donc être une c
tique de cette apparence dialectique; et, si elle porte
titre de dialectique transcendentale, ce n’est pas com:
art de susciter dogmatiquement une apparence de
genre (cet art, malheureusement trop répandu, de la f;
tasmagorie philosophique), mais comme critique poi
suivant l’entendement et la raison dans leur usage hyp
physique, pour découvrir la fausse apparence qui cou^
leurs vaines prétentions et pour substituer à cette a
bition, qui se flatte de trouver et d’étendre la conm
sance à l’aide de lois transcendentales , un jugement <
se borne à contrôler l’entendement pur et à le prému
contre les illusions sophistiques.

LOGIQUE TRANSCENDENTALE

PREMIÈRE DIVISION

ANALYTIQUE TRANSCENDENT ALE

Cette analytique est la décomposition de toute notre
^«nnaissance à priori dans les éléments qu’y apporte
l’entendement pur. Il faut, dans ce travail, avoir en vue
les points suivants : V que les concepts soient purs et
non empiriques; 2″* qu’ils n’appartiennent pas à l’intuition
et à la sensibilité, mais à la pensée et à l’entendement;
3** que ce soient des concepts élémentaires , et non des
concepts dérivés ou formés des précédents; 4^ que la
table en soit complète et qu’elle embrasse tout le champ
de l’entendement pur. Or cette perfection d’une science
ne peut offrir aucune certitude si l’on n’y voit qu’un
agrégat formé au moyen d’essais réitérés; elle n’est
possible qu’au moyen d’une idée de T ensemble de la con-
naissance à priori due à l’entendement et par la division^
ainsi déterminée, des concepts qui la constituent, en lui
mot au moyen d’un système qui en fasse un tout bien

124 LOGIQUE TRAI^SGENDEKTALE

lié *. L’entendement pur ne se distingue pas seulement
de tout élément empirique, mais encore de toute sensi-
bilité, n forme donc une unité qui existe par elle-même,
qui se suffit à elle-même, et qui ne peut être augmentée
par aucune addition étrangère. Aussi l’ensemble de sa
connaissance constitue-t-il un système qui se ramène à
une idée et peut être déterminé par cette idée, et dont la
perfection et l’organisation peuvent servir d’épreuve à la
légitimité et à la valeur de tous les éléments de connais-
sance qui y entrent. Toute celte première partie de la
logique transcendentale se divise en deux livres, dont le
premier contient les concepts, et le second les principes
de l’entendement pur.

LIVRE PREMIER
Analytique des concepts

Sous le nom d’analytique des concepts, je n’entends
pas l’analyse de ces concepts ou cette méthode usitée
dans les recherches philosophiques, qui consiste à décom-
poser dans les éléments qu’ils contiennent les concepts
^ui se présentent et à les éclaircir ainsi; j’entends l’ana-
lyse, jusqu’ici peu tentée, de la faculté même de l’entende-
ment, c’est-à-dire une analyse qui a pour but d’expliquer
la possibilité des concepts à priori en les cherchant uni-
quement dans l’entendement, comme dans leur vraie
source, et en. étudiant en général l’usage pur de cette

‘ Durch ihren Zusammenhang in einem System,

ANALYTIQUE DES CONCEPTS 125

faculté. En effet, c’est là l’œuvre propre de la philoso-
phie transcendentale ; le reste est l’étude logique des
concepts telle qu’elle a lieu dans la philosophie en géné-
ral. Nous poursuivrons donc les concepts purs jusque
dans leurs premiers germes ou leurs premiers rudiments,
lesquels résident originairement au sein de l’entendement
humain, jusqu’à ce qu’enfin l’expérience leur donne l’oc-
casion de se développer, et qu’affranchis par ce même
entendement des conditions qui leur sont inhérentes , ils
soient exposés dans toute leur pureté.

CHAPITRE PREMIER

Du fil conducteur servant à découvrir tous les
concepts purs de l’entendement

Lorsque l’on met en jeu une faculté de connaître, alors^
suivant les différentes circonstances, se produisent divers
concepts qui révèlent cette faculté et dont on peut faire
une Uste plus ou moins étendue suivant qu’on y a mis
plus ou moins de temps et plus ou moins de pénétration.
Mais quand cette recherche est-elle achevée? c’est ce
qu’il est impossible de déterminer avec certitude en sui-
vant cette méthode en quelque sorte mécanique. D’ail-
leurs, les concepts que l’on ne découvre ainsi qu’à l’occa-
sion, se présentent sans aucun ordre et sans aucune
unité systématique. On finit bien par les grouper suivant
certaines analogies et par les disposer en séries suivant

426 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE

la grandeur de leur contenu , en allant des simples aux
composés ; mais ces séries , bien que formées en quelque
sorte méthodiquement, n’ont pourtant rien de systéma-
tique.

La philosophie transcendentale a l’avantage, mais
aussi l’obligation de rechercher ses concepts suivant un
principe, parce qu’ils sortent purs et sans mélange de
l’entendement comme d’une unité absolue, et que, par
conséquent, on peut les lier entre eux suivant un cou-
cept ou une idée. Un tel lien nous fournit une règle d’a-
près laquelle nous pouvons déterminer à priori la plao^
de chaque concept pur de l’entendement et l’intégrité d^
tout le système en général, deux choses qui, autrement^
dépendraient du caprice ou du hasard.

PREMIÈRE SECTION
De l’usage logique de l’enteiMleiiieiit en g^énéi*al

L’entendement a été défini plus haut d’une manière
purement négative : une faculté de connaître non sen-
sible. Or nous ne pouvons avoir aucune intuition en de-
hors de la sensibilité. L’entendement n’est donc pas une
faculté d’intuition. Mais, l’intuition mise à part, il n’y a
pas d’autre moyen de connaître que les concepts. La con-
naissance de tout entendement, du moins de l’entende-
ment humain, est donc une connaissance par concepts, une
connaissance non intuitive, mais discursive. Toutes les in-
tuitions, en tant que sensibles, reposent sur des affec-
tions, mais les concepts supposent des fonctions. J’en-

DE l’usaôe logique DE l’entendement 127

*ends par fonction l’unité de l’acte qui consiste à réunir di-
verses représentations sous une représentation commune.
Les concepts reposent donc sur la spontanéité de la pen-
sée, de même que les intuitions sensibles sur la réceptivité
des impressions. L’entendement ne peut faire de ces con-
cepts d’autre usage que âi^ juger par leur moyen. Or
comme, excepté l’intuition , aucune représentation ne se
rapporte immédiatement à l’objet, un concept n’est jamais
immédiatement rapporté à un objet, mais à quelque autre
représentation de cet objet (qu’elle soit une intuition, ou
déjà même un concept)), he jugement est donc la connais-
sance médiate d’un objet, par conséquent la représenta-
tion d’une représentation de cet objet. Dans tout jugement,
il y a un concept qui en embrasse plusieurs, et qui, parmi
^ux, comprend aussi une représentation donnée, laquelle
^nfin se rapporte immédiatement à l’objet. Ainsi, dans ce
jugement : tous les corps sont divisibles (1), le concept du
divisible se rapporte à divers autres concepts; mais, entre
autres, il se rapporte particulièrement à celui de corps,
lequel, à son tour, se rapporte à certains phénomènes qui
^e présentent à nous. Ainsi ces objets sont médiatement
représentés par le concept de la divisibilité. Tous les
jugements sont donc des fonctions qui consistent à ra-
inener nos représentations à l’unité, en substituant à
xuie représentation immédiate une représentation plus
élevée qui comprend la première avec beaucoup d’autres
«t qui sert à la connaissance de l’objet, et, en réunissant
ainsi beaucoup de connaissances possibles sous une seule.
€omme nous pouvons ramener tous les actes de l’enten-

(1) Il y a ici dans le texte de la première et de la seconde édition, au
lieu de theilhar (divisible) verànderlich (changeant) ; mais, comme le
fait remarquer Rosenkranz, c’est évidemment là un erratum. J. B.

deiDeiit â des jugements. TeM^nidfmeKt en sésaèni peut
être représenté comme iriKe /afiwr^ -if jî»?cr. Ei eSeL
d’après ce qai â été dit préeédemment. reciâââenjeiii tst
nne faculté de penser. C»r p«eïi5€r. c’est occuaôire an
moven de cooeepts. et ks crxiCEpts. comme préôicES ae
jugements po^ïbks. se râH>ortent à quelque repr^ema-
tion d’un objet encore indétémimé. Ainsi îe «:4DC:cîir da
cr^^ signifie quelque chose, par exemple, un iDêuJ. gui
peut être connu au moyen de ce concept. H n’esi âoiDC
un concept qu’à la condition de contenir d’autres repré-
sentations au moyen desquelles il peut se rapî::rTer à
des objets. D est donc le prédicat d’un jugement possMe.
de celui-ci, par exemple : tout métal est un cio^p^ ^I^
trouvera donc toutes les fonctions de rentenderoeoi . si
lV>n parvient à déterminer d’une manière complètie les
fonctions de l’unité daiK les jugements. Or la section
suivante va montrer que cela est très-exécutable.

DEUXIEME SECTIOX
s 9

De la fonction logique de F entendement dans les jugemehU

Si l’on fait abstraction de tout contenu d’un jugement
en général et que Ton n’envisage que la pure forme de
l’entendement, on trouve que la fonction de la pensée
dans le jugement peut être ramenée à quatre titres, dont
chacun contient trois moments. Ils sont parfaitement re-
présentés dans le tableau suivant.

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