FONCTION LOGIQUE DE l’ENTENDEMENT
129
Quantité des jugements.
Généraux,
Particuliers,
Singuliers.
. 2
Qualité.
Affîrmatifs,
Négatifs,
Indéfinis \
Belation.
Catégoriques,
Hypothétiques,
Disjonctifs.
Modalité.
Problématiques,
Assertoriques,
Apodictiques.
Comme cette division semble s’écarter sur quelques
points, à la vérité non essentiels, de la technique ordi-
naire des logiciens, les observations suivantes ne seront
pas inutiles pour prévenir tout malentendu.
1 . Les logiciens disent avec raison que, si l’on regarde
l’usage des jugements dans les raisonnements, on peut
traiter les jugements singuliers comme des jugements
généraux. En effet , précisément parce qu’ils n’ont pas
d’extension , leur prédicat ne peut être rapporté simple-
ment à une partie de ce que contient le concept du sujet
et être exclu .du reste. Il s’applique donc à tout ce con-
cept sans exception, comme s’il s’agissait d’un concept
- Unendliche. — Je me sers, pour traduire cette expression, du mot
indéfini de préférence au mot infini, parce que ce dernier pourrait
donner une idée fausse des jugements dont il s’agit ici, tandis que le
premier conyient parfaitement à la définition que Eant en donne plus
loin. ‘ J. B.
I. 9
130 ANALYTIQUE TRANSCEN DENTALE
général, à toute Textension duquel conviendrait le prédi-
cat. Mais, si nous comparons un jugement singulier
avec un jugement général à titre de connaissance et
au point de vue de la quantité, nous voyons que le
premier est au second ce que l’unité est à l’infinité , et
que, par conséquent, il en est par lui-même essentielle-
ment distinct. Si donc j’estime un jugement singulier
(judicium singulare), non-seulement quant à sa valeur
intrinsèque, mais encore, comme connaissance en géné-
ral, au point de vue de la quantité qu’il a relativement à
d’autres connaissances, il est certainement distinct des
jugements généraux (Judicia communia), et mérite une
place particulière dans un tableau complet des moments
de la pensée en général (bien que, sans doute, il ne l’ait
pas dans une logique restreinte à l’usage des jugements
considérés dans leurs rapports réciproques).
- f
- De même, dans une logique transcendentale, il
faut encore distinguer les jugements indéfinis des juge-
ments affirmatifs, bien que, dans la logique générale, ils er
fassent justement partie et ne constituent pas une subdi-
vision particulière. Cette dernière, en effet, fait abstrac-
tion de tout contenu dans le prédicat (alors même qu’i
est négatif), et considère seulement s’il convient au sujes
ou s’il lui est opposé. La première, au contraire, envisag «
aussi le jugement quant à sa valeur ou au contenu di
cette affirmation logique qui se fait au moyen d’un prê
dicat purement négatif, et elle cherche ce que cette affifl
mation fait gagner à l’ensemble de la connaissance. Si 3;
disais de l’âme qu’elle n’est pas mortelle, j’écarterais c
moins une erreur par un jugement négatif. Or, en ava»
çant cette proposition , que l’âme n’est pas mortelle, j^-
bien réellement affirmé aiî pomt de vue de la forme Le
FONCTION LOGIQUE DE l’ENTENDEMENT 131
gique, puisque j’ai placé l’âme dans la catégorie indé-
terminée des êtres immortels. Mais, comme ce qui est
mortel forme une partie du cercle entier des êtres pos-
sibles, et que ce qui est immortel forme l’autre, je n’ai
rien dit autre chose par ma proposition, sinon que l’âme
fait partie du nombre indéfini des êtres qui restent, lors-
qu’on en a retranché tout ce qui est mortel. La sphère
indéfinie de tout le possible n’est Umitée par là qu’en ce
qu’on en a écarté tout ce qui est mortel et qu’on a placé
l’âme dane la circonscription restante. Cette circonscrip-
tion reste toujours indéfinie, malgré l’exclusion faite, et
l’on en pourrait retrancher encore un plus grand nombre
<Ie parties, sans que pour cela le concept de l’âme y ga-
gnât le moins du monde et fût déterminé affirmative-
ment. Ces jugements qui sont indéfinis par rapport à la
sphère logique sont donc en réalité purement limitatifs *
relativement ati contenu de la connaissance en général;
^t, à ce titre , le tableau transcendental de tous les mo-
ments de la pensée dans les jugements ne doit pas les
-omettre, car la fonction qu’y exerce ici l’entendement
pourrait bien avoir de l’importance dans le champ de sa
connaissance pure à piori
- Tous les rapports de la pensée dans les jugements
^ont ceux : A, du prédicat au sujet, B, du principe à la
<îonséquence, C, de la connaissance divisée à tous les
membres de la division. Dans la première espèce de ju-
gements, il n’y a en jeu que deux concepts, et, dans la
seconde, deux jugements; mais, dans la troisième, on
<îonsidère plusieurs jugements dans leur rapport entre
eux. Cette proposition hypothétique : s’il y a une justice
- BeschrànJcend.
132 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
parfaite, le méchant sera puni, implique proprement le rap-
port de deux propositions : il y a une justice parfaite, —
et — le méchant sera puni. Il n’est pas ici question de
savoir si ces deux propositions sont vraies en soi. La con-
séquence est la seule chose à laquelle on pense dans ce
jugement. Enfin, le jugement disjonctif implique un rap-
port entre deux ou plusieurs propositions , qui n’est pas
un rapport de conséquence, mais un rapport d’opposition
logique, en ce sens que la sphère de l’un exclut celle de
l’autre, et en même temps un rapport de communauté,
en ce sens que les diverses propositions réunies remplis-
sent la sphère de la vraie connaissance. Il implique donc
un l’apport entre les parties de la sphère d’une connais-
sance, puisque la sphère de chaque partie sert de com-
plément à la sphère d’une autre dans l’ensemble de cette
connaissance. Si je dis, par exemple, que le monde existe
soit par l’eflfet d’un aveugle hasard , soit en vertu d’une
nécessité intérieure , soit par une cause extérieure , cha-
cune de ces propositions forme une partie de la sphère
de la connaissance possible relativement à l’existence
d’un monde en général, et toutes ensemble forment la
sphère entière. Exclure la connaissance de l’une de ces
sphères, c’est la placer dans l’une des autres, et, au con-
traire, la placer dans une sphère, c’est l’exclure de toutes
les autres. Il y a donc dans un jugement disjonctif une
certaine communauté de connaissances, qui consiste en
ce qu’elles s’excluent réciproquement, mais en détermi-
nant par là même en somme la véritable connaissance,
puisque réunies elles cotistituent tout l’ensemble d’une uni-
que connaissance donnée. Et voilà tout ce que je crois né-
cessaire de faire remarquer pour l’intelUgence de la suite.
- La modalité des jugements est une fonction parti-
FONCTION LOGIQUE DE l’ENTENDEMENT 133
culière qui a ce caractère distinctif de n’entrer pour rien
dans le contenu des jugements (car, en dehors de la
quantité, de la qualité et de la relation, il n’y a plus rien
qui forme le contenu d’un jugement), mais de ne concer-
ner que la valeur de la copule relativement à la pensée
en général. Les jugements sont problématiques lorsque
l’on admet (arbitrairement)^ l’affirmation ou la négation
tomme purement possibles; assertoriques ^ lorsqu’elle est
considérée comme réelle (comme vraie) ; apodictiques,
quand on la regarde comme nécessaire *. Ainsi, les deux
jugements dont la relation constitue le jugement hypo-
thétique (antecedens et consequensj et ceux qui par leur
réciprocité (comme membres de la division) forment le
jugement disjonctif), sont tous purement problématiques.
Dans l’exemple cité plus haut, cette proposition, sHl y a
une justice parfaite^ n’est pas prononcée assert orique-
inent, mais conçue seulement comme un jugement arbi-
traire, qui peut être admis par quelqu’un, et il n’y a que
la conséquence qui soit assertorique. Aussi les jugements
de cette sorte peuvent-ils être manifestement faux, et
pourtant, pris problématiquement, servir de conditions à
la connaissance de la vérité. Ainsi, ce jugement : le monde
est Veffet d’un aveugle hasard^ n’a, dans le jugement dis-
jonctif, qu’une signification problématique, c’est-à-dire
que quelqu’un pourrait l’admettre pour un moment; et
pourtant (comme indication d’une fausse route dans le
nombre de toutes celles que l’on peut suivre), il sert à
trouver le vrai chemin. La proposition problématique est
‘ Béliehig.
- Comme si la pensée était une fonction, dans le premier cas, de Ven-
imdement; dans le second, au jugement; dans le troisième, de la raison.
Cette remarque se trouvera éclaircio par la suite.
iSA ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
donc celle qui n’exprime qu’une possibilité logique (qui
n’est point objective), c’est-à-dire le libre choix qu’on
pourrait en faire, ou un acte purement arbitraire en vertu
duquel on l’admettrait dans l’entendement. La proposi-
tion assertorique énonce une réalité ou une vérité logi-
que ; c’est ainsi que dans un raisonnement hypothétique
l’antécédent est problématique dans la majeure, et asser-
torique dans la mineure : on montre ici que la proposi-
tion est déjà liée à l’entendement en vertu de ses lois. La
proposition apodictique conçoit l’assertorique comme
étant déterminée par ces lois mêmes de l’entendement,,
et par conséquent comme étant affirmative à prirm;
elle exprime de cette manière (me nécessité logique. Or,
comme tout ici s’incorpore successivement à l’entende-
ment, de telle manière que Ton juge d’abord une certaine
chose problématiquement , qu’on l’accepte ensuite asser-
toriquement comme vraie, et qu’on l’affirme enfin comme
inséparablement liée à l’entendement, c’est-à-dire comme
nécessaire et apodictique, on peut regarder les trois fonc-
tions de la modalité comme autant de moments de la
pensée en général.
TROISIÈME SECTION
§ 10
Des œncepts purs de V entendement ou des catégories,
La logique générale, comme il a été déjà dit plusieurs
fois, fait abstraction de tout contenu de la connaissance,
DES CATÉGORIES 135
et elle attend que des représentations lui viennent d’ail-
leurs, d’où que ce soit, pour les convertir d’abord en con-
cepts, ce qu’elle fait au moyen de l’analyse. La logique
transcendentale, au contraire, trouve devant elle une di-
Tersité d’éléments sensibles à priori^ que l’esthétique
transcendentale lui fournit et qui donnent une matière
aux concepts purs de l’entendement; sans cette matière,
elle n’aurait point de contenu, et par conséquent elle se-
rait tout à fait vide. Or l’espace et le temps contiennent
sans doute une diversité d’éléments qui viennent de l’in-
tuition pure à priori^ mais ils n’en font pas moins partie
des conditions de la réceptivité de notre esprit, c’est-à-
dire des conditions sans lesquelles il ne peut recevoir de
représentations des objets, et qui par conséquent en doi-
vent nécessairement aussi affecter le concept. Mais la
spontanéité de notre pensée exige pour faire de cette
diversité une connaissance, qu’elle soit d’abord parcourue,
recueillie et liée de quelque façon. J’appelle cet acte
^nthèse.
J’entends donc par synthèse^ dans le sens le plus géné-
ral de ce mot, l’acte qui consiste à ajouter diverses re-
présentations les unes aux autres et à en réuYiir la di-
versité en une connaissance. Cette synthèse est pure,
quand la diversité n’est pas donnée empiriquement, mais
il priori (comme celle qui est donnée dans l’espace et
dans le temps). Nos représentations doivent être données
antérieurement à l’analyse qu’on eh peut faire , et il n’y
a point de concepts dont on puisse expliquer le contenu
analytiquement. Sans doute, la synthèse d’une diversité
(qu’elle soit donnée empiriquement ou à priori) produit
‘ Ein Mannigfaîtiges der Sinhlichkeit à priori.
436 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
d’abord une connaissance qui peut être au début gros-
sière, et confuse et qui par conséquent a besoin d’analyse;
mais elle n’en est pas moins l’acte propre qui rasseml)le
les éléments de manière à en constituer des connaissances
et qui les réunit pour en former un certain contenu. Elle
est donc la première chose sur laquelle nous devions
porter notre attention, lorsque nous voulons juger de l’o-
rigine de notre connaissance.
La synthèse en général, comme nous le verrons plus
tard, est le simple effet de l’imagination, c’est-à-dire
d’une fonction de l’âme, aveugle mais indispensable, sans
laquelle nous n’aurions aucune espèce de connaissance,
mais dont nous n’avons que très-rarement conscience.
Mais l’acte qui consiste à ramener cette synthèse à des
concepts est une fonction qui appartient à l’entendement,
et par laquelle il nous procure la connaissance dans le
sens propre de ce mot.
La synthèse pure ^ représentée d’une manière générale^
donne le concept pur de l’entendement. J’entends par là
cette synthèse qui repose sur un principe d’unité syn-
thétique à priori; ainsi sous les nombres (cela est sur-
tout remarquable quand il s’agit de nombres élevés) il y
a une synthèse qui se fait suivant des concepts^ puisqu’elle
a heu d’après un principe commun d’unité (par exemple
celui de la décade). L’unité dans la synthèse de la diver-
sité est donc nécessaire sous ce concept.
n y a une opération qui consiste à ramener par voie
d’analyse diverses représentations à un concept (c’est
celle dont s’occupe la logique générale) ; mais ce ne sont
pas les représentations, c’est la synthèse pure des repré-
sentations que la logique transcendentale enseigne à ra-
mener à des concepts. La première chose qui doit être
DES CATÉGORIES 137
donnée à prion pour que la connaissance d’un objet quel-
conque devienne possible, c’est la diversité de l’intuition
pure; la seconde est la synthèse que l’imagination opère
dans cette diversité, mais qui ne donne encore aucune
connaissance. Les concepts qui donnent de V unité à cette
synthèse pure et qui consistent uniquement dans la re-
présentation de cette unité synthétique nécessaire for-
ment la troisième chose nécessaire à la connaissance d’un
objet, et reposent sur l’entendement.
La même fonction qui donne de l’unité aux diverses
représentations dans un jugement^ donne aussi de l’unité
à la simple synthèse des représentations diverses dans
une intuition^ et c’est cette unité qui, prise d’une manière
générale, s’appelle un concept pur de l’entendement.
Ainsi le même entendement qui, au moyen de l’unité
analytique , a produit dans les concepts la forme logique
du jugement, introduit en même temps et par la même
opération, au moyen de l’unité synthétique des éléments
divers dé l’intuition en général, un contenu transcenden-
tal dans ses représentations, et c’est pourquoi elles s’ap-
pellent des concepts purs de l’entendement, qui s’appli-
quent à priori à des objets, ce que ne peut faire la logi-
que générale.
D’après cela, il y aura autant de concepts purs de
l’entendement, s’appliquant à priori à des objets d’intui-
tion, qu’il y avait, d’après la table précédente, de fonc-
tions logiques dans tous les jugements possibles; car ces
fonctions épuisent entièrement l’entendement et en me-
surent exactement la puissance. Nous donnerons à ces
concepts , suivant le langage d’ Aristote , le nom de caté-
gories, puisque notre dessein est identique au sien dans son
origine, bien qu’il s’en éloigne beaucoup dans l’exécution.
138 ANALYTIQUE TRA5SCK5DEyTALE
TABLE DES CATÉGORIES
QuamtUl.
Unité.
Pluralité.
Totalité.
2 3
QualUé. Bdatûm.
Réalité. Substance et accident (substamtia d
Négation. accidens).
Limitation. Causalité et dépendance (cause et effet).
Communauté (action réciproque entre
l’agent et le patient).
4
Modalité.
Possibilité, — Impossibilité.
Existence, — Non-existence.
Nécessité, — Contingence.
Telle est la liste de tous les concepts originairement
purs de la synthèse, qui sont contenus à priori dans l’en-
tendement et qui lui valent le nom d’entendement pur.
C’est uniquement grâce à eux qu’il peut comprendre
quelque chose à la diversité de l’intuition, c’est-à-dire en
penser l’objet. Cette division est systématiquement déri-
vée d’un principe commun, à savoir de la faculté de juger
(qui est la même chose que la faculté de penser) ; ce n’est
point une rapsodie résultant d’une recherche des concepts
purs faite à tout hasard, mais dont la perfection ne sau-
rait jamais être certaine, parce qu’on la conclut par in-
duction sans jamais songer à se demander pourquoi ce
DES CATÉGORIES 139
sont précisément ces concepts et non point d’autres qui
sont inhérents à l’entendement. C’était un dessein digne
d’un esprit aussi pénétrant (^^Aristote que celui de re-
chercher ces concepts fondamentaux. Mais, comme il ne
suivait aucun principe, il les recueillit comme ils se pré-
sentaient à lui, et en rassembla d’abord dix qu’il appela
catégmes (prédicaments). Dans la suite il crut en avoir
trouvé encore cinq, qu’il ajouta aux précédents sous le
nom de post-prédicanients. Mais sa liste n’en resta pas
moins défectueuse. En outre on y trouve quelques modes^
(modi) de la sensibilité pure (quandoj ub% situs, ainsi que
priuSj simul) et même un concept empirique (motus), qui
ne devraient pas figurer dans ce registre généalogique
de lentendement ; on y trouve aussi des concepts dérivés
[ddio, passio) mêlés aux concepts primitifs, et d’un autre
côté quelques-uns de ceux-ci manquent complètement.
Au sujet de ces derniers concepts, il faut encore re-
marquer que les catégories, étant les vrais concepts pri-
mitifs de l’entendement humain, sont par là même la
souche de concepts dérivés qui ne sont pas moins purs et
dont il est impossible de ne pas tenir un compte détaillé
dans un Système complet de philosophie transcendentale,.
mais que, dans- cet essai purement critique, je puis me
contenter de mentionner.
Qu’il me soit permis de nommer ces concepts purs,.
mais dérivés, de l’entendement les prédicables de l’enten-
dement pur (par opposition aux prédicaments). Dès qu’on
a les concepts originaires et primitifs, il est facile d’y
ajouter les concepts dérivés et secondaires, et de dessiner
entièrement l’arbre généalogique de l’entendement pur,^
Comme je n’ai point à m’occuper ici de la complète exé-
cution du système, mais seulement des principes de ce:
MO ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
système, je réserve ce complément pour un autre travail-
Mais on peut assez aisément atteindre ce but en prenant
les manuels d’ontologie, et en ajoutant, par exemple, à
la catégorie de la causalité les prédicables de la force,
de l’action, de la passion; à la catégorie de la commii.-
nauté, ceux de la présence, de la résistance; aux prédi—
caments de la modalité les prédicables de la naissance ,
de la fin, du changement, etc. Les catégories combinées
avec les modes de la sensibilité pure ou même entre elles
fournissent une grande quantité de concepts dérivés à
priori, qu’il ne serait pas sans utilité et sans intérêt de
signaler et d’exposer aussi complètement que possible;
mais c’est là une peine dont on peut s’exempter ici.
Je me dispense aussi à dessein dans ce traité de
donner les définitions des catégories, quoique je sois en
mesure de le faire. J’analyserai plus tard ces concepts
dans la mesure nécessaire à la méthodologie qui m’oc-
cupe. Dans un système de la raison pure on serait sans
doute en droit de les exiger de moi; mais ici elles ne
feraient que détourner l’attention du but principal de
notre recherche en soulevant des doutes et des objections
que nous pouvons ajourner à une autre occasion, sans
nuire en rien à notre objet essentiel. En attendant, il’
résulte clairement du peu que je viens de dire qu’un
vocabulaire complet de ces concepts, avec tous les éclair-
<iissements nécessaires, n est pas seulement possible, mais
<juil est facile à exécuter. Les cases sont toutes prêtes;
il ne reste plus qu’à les remplir, et dans une topique
systématique telle que celle dont il s’agit ici, il n’est pas
difficile de reconnaître la place qui convient proprement
à chaque concept et de remarquer en même temps celles
qui sont encore vides.
DES CATÉGORIES 141
8 » («)
On peut faire sur cette table des catégories des ob-
servations curieuses, qui pourraient bien conduire à des
conséquencçs importantes relativement à la forme scien-
tifique de toutes les connaissances rationnelles. En effet,^
que dans la partie théorétique de la philosophie cette
table soit singulièrement utile et même indispensable
pour tracer en entier le plan de Y ensemble dune science^
en tant que cette science repose sur des principes à
priori^ et pour la dimer mathématiquement suivant des^
frincipes déterminés^’ c’est ce que l’on aperçoit tout de
suite en songeant que, la table dont il s’agit ici contient
absolument tous les concepts élémentaires de l’entende-
ment et même la forme du système qui les réunit dans
Fintelligence humaine, et que par conséquent elle nous
indique tous les moments de la science spéculative que
l’on a en vue et même leur ordre, comme j’en ai donné
une preuve ailleurs (1). Voici quelques-unes de ces re-
marques.
Première remarque. Cette table, qui contient quatre
classes de concepts de l’entendement, se divise d’abord
en deux parties dont la première se rapporte aux objets
de l’intuition (pure ou empirique), et la seconde à l’exis-
tence de ces objets (soit par rapport les uns aux autres,
soit par rapport à l’entendement).
(a) Les § 11 et 12 sont des additions de la seconde édition.
(1) Éléments métaphysiques de la science de la nature, — Cet ouvrage
ayait paru en 1786, c’est-à-dire un an ayant la seconde édition de la
Critique de la raison pure, J. 6.
142 ANALYTIQUE TRANSGENDENTALE
On pourrait appeler mathématiques les catégories de
la première classe, et dynamiqties celles de la seconde.
La première n’a point, comme on le voit, de corrélatife;
on n’en trouve que dans la seconde. Cette diflFérence doit
avoir sa raison dans la nature de l’entendement.
Deuxième remarque. Chaque classe comprend d’ail-
leurs un nombre égal de catégories, c’est-à-dire trois, ce
qui mérite réflexion, puisque toute autre division àprim
fondée sur des concepts doit être une dichotomie (1).
Ajoutez à cela que la troisième catégorie dans chaque
classe résulte toujours de l’union de la seconde avec la
première.
Ainsi la totalité n’est autre chose que la pluralité con-
sidérée comme unité ; la limitation ^ que la réalité jointe
à la négation; la communauté^ que la causalité d’une
substance déterminée par une autre qu’elle détermine à
son tour; la nécessité enfin, que l’existence donnée parla
possibilité même. Mais que Ton ne pense pas pour cela
que la troisième catégorie soit un concept purement dé-
rivé et non un concept primitif de l’entendement pur.
En efiFet, cette union de la première avec la seconde ca-
tégorie qui produit le troisième concept, suppose un acte
particulier de l’entendement, qui n’est p2^s identique à
celui qui a lieu dans le premier et dans le second. Ainsi
le concept d’un nombre (qui appartient à la catégorie de
la totalité) n’est pas toujours possible là où se trouvent
les concepts de la pluralité et de l’unité (par exemple
dans la représentation de l’infini). De, même, de ce que
j’unis ensemble le concept d’une cause et celui d’une subs-
iance^ je ne conçois pas par cela seul Vinfluence^ c’est-à-
(1) C’est le mot même dont Eant se sert. J. B.
DES CATÉGORIES 143
dire comment une substance peut être cause de quelque
chose dans une autre substance. D’où il résulte qu’un
acte particulier de l’entendement est nécessaire pour
cela. Il en est de même des autres cas.
Troisième remarque. Il y a une seule catégorie, celle
de la communauté^ comprise sous le troisième titre, dont
l’accord avec la forme de jugement disjonctif qui lui cor-
respond dans le tableau des fonctions logiques, n’est pas
aussi évident que l’est le rapport analogue dans les autres
catégories.
Pour s’assurer de cet accord , il faut remarquer que
dans tous les jugements disjonctifs la sphère (l’ensemble
de tout ce qui est contenu dans nos jugements) est re-
présentée comme un tout divisé en parties (les concepts
subordonnés), et que, comme de ces parties, l’une ne peut
être renfermée dans l’autre, elles sont conçues comme
coordonnées entre elles, et non comme subordonnées, de
telle sorte qu’elles se déterminent les unes les autres, non
pas dans un sens unilatéral \ comme en une série, mais
réciproquement, comme dans un agrégat (si bien ^’ad-
mettre un membre de la division, c’est exclure tous les
autres, et réciproquement).
Or, dès que l’on conçoit une liaison de ce genre dans
un ensemble de choses^ alors une de ces choses n’est plus
subordonnée, comme effet, à une autre qui serait simple-
ment la cause de son existence, mais elles sont en même
temps et réciproquement coordonnées comme causes se
déterminant l’une l’autre (comme dans un corps, par
exemple, les parties s’attirent ou se repoussent récipro-
quement). C’est là une tout autre espèce de liaison que
- Nicht einseitig.