Fables

d’ Isaac de Benserade

Le Loup et l’Agneau.

 

Le loup querellait un agneau

Qui ne savait pas troubler l’eau ;

À tous coups l’injuste puissance

Opprime la faible innocence.

 

L’agneau n’alléguait rien pour sa juste défense,

Qui ne mit le loup dans son tort ;

Mais il ne savait pas qu’opprimer l’innocence,

C’est le droit du méchant, quand il est le plus fort.

 

 

Le Renard et le Corbeau.

 

Le renard du corbeau loua tant le ramage,

Et trouva que sa voix avait un son si beau,

Qu’enfin il fit chanter le malheureux corbeau,

Qui de son bec ouvert laissa cheoir un fromage.

 

Ce corbeau qui transporte une vanité folle,

S’aveugle et ne s’aperçoit point

Que pour mieux le duper, un flatteur lecajole :

Hommes, qui d’entre vous n’est corbeau sur cepoint.

Le Loup et le Chien.

 

Que tu me parais beau, dit le loup aulimier,

Net, poli, gras, heureux et sansinquiétude !

Mais qui te pèle ainsi le col ? Moncollier.

Ton collier ? fi des biens avec laservitude.

 

Dépendre dans les fers du caprice d’unmaître,

Dure condition, disait le loup auchien ;

Il lui fit bien connaître

Que sans la liberté, tout le reste n’estrien.

La Grenouille et le Bœuf.

 

La grenouille superbe, en vain tâche des’enfler

Pour atteindre la taille d’un bœuf. Elle n’ypeut aller ;

Mais en simple grenouille au maraisélevée,

N’est dans son espèce qu’une grenouillecrevée.

 

Le marquis fait le duc, le duc fait leprince ;

Chacun s’enfle, et enfin chacun devient simince,

Qu’ainsi que la grenouille, il crève avecéclat.

On se perd à vouloir sortir de son état.

Le Rat de ville et le Rat deschamps.

 

Le rat de ville était dans ladélicatesse ;

Le rat des champs vivait dans lasimplicité ;

L’un avait plus de politesse ;

L’autre était en sûreté.

 

Il n’est point de plaisir où la crainte setrouve ;

Riches, c’est ce qu’ici ce rat sensé vousprouve :

Liberté, vous dit-il, repos et sûreté,

Sont des biens qu’on ne voit que chez lapauvreté.

Le Renard et la Cigogne.

 

Maître renard offrit un beau matin

À dame la cigogne un étrange festin ;

Un brouet fut par lui servi sur uneassiette,

Dont l’oison au bec ne put attrapermiette.

Aussi, pour se venger de cette tromperie,

À quelque temps de là la cigogne leprie :

Dans un vase à long col lui sert friandmorceau.

Le sot n’en put tâter ; et léchant sonmuseau,

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu’une poule auraitpris.

 

Vous me fîtes jeûner, je vous rends lapareille,

Disait la cigogne au renard baissantl’oreille ;

Tout est dans les règles, ami ;

Car à fourbe, fourbe et demi.

La Cigale et la Fourmi.

 

On connaît les amis dans les occasions.

Chère Fourmi, d’un grain soyez-moilibérale ;

J’ai chanté tout l’été : tant pis pourvous Cigale ;

Et moi j’ai tout l’été fait mesprovisions.

 

Vous qui chantez, riez, et toujours sanssouci,

Ne songez qu’au présent, profitez de ceci.

Pleurs, dit un vieux refrain, sont au bout dela danse.

J’ajoute : l’on périt faute deprévoyance.

Le Chêne et le Roseau.

 

Un arbre reprochait au roseau safaiblesse :

Il vient au prompt orage ; un ventsouffle sans cesse :

L’arbre tombe plutôt que de s’humilier,

Et le roseau subsiste à force de plier.

 

Le chêne par les vents tombe déraciné,

Quand le roseau soutient leur courrouxmutiné.

Hélas ! s’il est ainsi, que les grandssont à plaindre,

Plus on est élevé, plus on a lieu decraindre.

Les Rats tenant Conseil.

 

Le chat étant des rats l’adversaireimplacable,

Pour s’en donner de garde un d’entr’euxproposa

De lui mettre un grelot au col ; nul nel’osa.

De quoi sert un conseil qui n’est pointpraticable ?

 

C’est ainsi que sans fruit, plus d’un conseils’assemble.

Jamais en opinant, le conseiller netremble :

Lui parle-t-on d’agir, le cas n’est paségal ;

L’on conseille fort bien, I’on exécutemal.

Le Lièvre et les Grenouilles.

 

Saisis d’une frayeur qui leur causait lafièvre,

Les lièvres se jetant dans une mare tous,

Aux grenouilles font peur ; Courage, ditun lièvre,

Il est des animaux plus timides que nous.

 

Fiers de porter la peur aux bords dumarécage,

Les lièvres rassurés se crurent ducourage.

D’un plus poltron que soi, qu’un poltron soitvainqueur,

Le Thersite, en tremblant se croit homme decoeur.

Le Renard et le Bouc.

 

Tous deux au fond d’un puits taciturnes etmornes,

De s’assister l’un l’autre avaient pris leparti ;

Pour sortir le renard se haussant sur sescornes,

Fit les cornes au bouc après qu’il futsorti.

 

Il ne le paya pas même d’un grand merci.

Qui s’est servi de toi souvent en useainsi :

Dans le puits beaux discours tant qu’on estnécessaire ;

Mais mon traité signé, le tien c’est tonaffaire.

Le Renard et les Raisins.

 

Les plaisirs coûtent cher ! et qui les atous purs ?

De gros raisins pendaient ; ils étaientbeaux à peindre,

Et le renard n’y pouvant pas atteindre,

Ils ne sont pas, dit-il, encore mûrs.

 

Ce renard, dans le fond, était audésespoir.

On croit qu’il dit après, avec plus defranchise :

Les raisins étaient mûrs ; mais toujoursl’on méprise

Ce qu’on ne peut avoir.

Les Deux Amis qui vendent la peau del’Ours.

 

Deux amis voyageaient, et rencontrent unours,

L’un gagne un arbre haut, l’autre tout plat secouche ;

Ainsi, sans les blesser, va l’animalfarouche :

On se sauve souvent par différentsdétours.

 

Ennemi dans son camp jamais ne vousétonne ;

On le cherche. Vient-il, on s’assemble, onraisonne :

Il n’est pas temps, dit-on, de risquer lecombat.

Si l’on était battu, que deviendraitl’État.

Le Souriceau et sa Mère.

 

À la vieille souris, disait sa jeunefille,

Je hais le petit coq, j’aime le petitchat :

Le Chat ! répond sa mère : ah !c’est un scélérat ;

Mais le coq n’a point fait de mal à tafamille.

 

Ne vous fiez point trop à mine radoucie,

Et ne jugez des gens sur la physionomie.

Plus d’un tartuffe ici l’a bonne, etcependant

Sot qui lui confierait sa femme ou sonargent.

Jupiter et les Besaces.

 

On dit que Jupiter, comme un joug assezdoux,

A posé de sa main deux besaces sur nous.

Devant est celle où sont tous les défauts desautres ;

Et derrière il a mis celle où sont tous lesnôtres.

 

C’est ainsi qu’ici-bas le sot encor laporte ;

Le sage agit d’une autre sorte :

Il la retourne et met ses défauts devantlui,

Tandis que sur son dos il jette ceuxd’autrui.

L’Astrologue.

 

Un jour une personne, aux astres bieninstruite,

Regardait vers le ciel, et tombalourdement.

Tel donne des leçons sur la bonneconduite,

Qui s’égare lui-même, et bronche à toutmoment.

 

Avis à vous, savants en inutilités,

Mais sur le nécessaire, esprits fortshébétés.

Tel voit ce qui se passe autour d’uneplanète,

Qui chez lui ne voit rien, même avec salunette.

Les Grenouilles demandent un Roi.

 

Une poutre, pour roi, faisait peu debesogne ;

Les grenouilles tout haut en murmuraientdéjà ;

Jupiter à la place y mit une cigogne.

Ce fut encore pis, car elle les mangea.

 

S’en tenir à son roi, tel que le ciel ledonne,

C’est ce qu’Ésope ici sagement nousordonne :

Tel peuple las du sien le changeafollement,

Qui bientôt regretta l’anciengouvernement.

Le Pot de Fer et le Pot de Terre.

 

Le pot de fer nageait auprès du pot deterre ;

L’un en vaisseau marchand, l’autre en vaisseaude guerre.

L’un n’appréhendait rien, l’autre avait del’effroi,

Et tous deux savaient bien pourquoi.

 

Ainsi mal-à-propos petit prince se brise

Aux côtés d’un grand roi.

Ceci vous dit : malheur à qui s’avise

D’approcher de trop près d’un plus puissantque soi.

La Jeune Veuve.

 

Un jeune homme bien fait, par moi t’estpréparé,

Dit un père à sa fille, au deuil qui laconsomme,

Pleurant son époux mort : quand elle eutbien pleuré,

À la fin elle dit : mon père, et le jeunehomme ?

 

Qu’au nom d’un autre époux, la belle ouvrantl’oreille,

Perde le souvenir de son premier mari,

Et cesse de pleurer, ce n’est grandemerveille :

Il n’est veuve en ces lieux, qui dans tel casn’eût ri.

Le Corroyeur et le Financier.

 

Le délicat voisin d’un puant corroyeur

Plaida pour l’éloigner, et gagna sonaffaire :

Pendant qu’à déloger le corroyeur diffère,

Le voisin s’accoutume à la mauvaise odeur.

 

Bientôt le délicat plaideur

Des peaux de son voisin ne sentit plusl’odeur :

Que conclure de là ? Que ce qui semblerude

Devient avec le temps, plus doux parl’habitude.

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