Germinal d’Emile Zola


Alors, en arrivant devant le débit de la Tête-Coupée,
Chaval eut l’idée d’y faire entrer son amoureuse, pour
assister à un concours de pinsons, affiché sur la porte
depuis huit jours. Quinze cloutiers, des clouteries de
Marchiennes, s’étaient rendus à l’appel, chacun avec une
douzaine de cages; et les petites cages obscures, où les
pinsons aveuglés restaient immobiles, se trouvaient déjà
accrochées à une palissade, dans la cour du cabaret. Il
s’agissait de compter celui qui, pendant une heure,
répéterait le plus de fois la phrase de son chant. Chaque
cloutier, avec une ardoise, se tenait près de ses cages,
marquant, surveillant ses voisins, surveillé lui-même. Et les
pinsons étaient partis, les «chichouïeux» au chant plus
gras, les «batisecouics» d’une sonorité aiguë, tout d’abord
timides, ne risquant que de rares phrases, puis s’excitant

les uns les autres, pressant le rythme, puis emportés enfin
d’une telle rage d’émulation, qu’on en voyait tomber et
mourir. Violemment, les cloutiers les fouettaient de la voix,
leur criaient en wallon de chanter encore, encore, encore
un petit coup; tandis que les spectateurs, une centaine de
personnes, demeuraient muets, passionnés, au milieu de
cette musique infernale de cent quatre-vingts pinsons
répétant tous la même cadence, à contretemps. Ce fut un
«batisecouic» qui gagna le premier prix, une cafetière en
fer battu.
Catherine et Chaval étaient là, lorsque Zacharie et
Philomène entrèrent. On se serra la main, on resta
ensemble. Mais, brusquement, Zacharie se fâcha, en
surprenant un cloutier, venu par curiosité avec les
camarades, qui pinçait les cuisses de sa soeur; et elle, très
rouge, le faisait taire, tremblante à l’idée d’une tuerie, de
tous ces cloutiers se jetant sur Chaval, s’il ne voulait pas
qu’on la pinçât. Elle avait bien senti l’homme, elle ne disait
rien, par prudence. Du reste, son galant se contentait de
ricaner, tous les quatre sortirent, l’affaire sembla finie. Et, à
peine étaient-ils entrés chez Piquette boire une chope,
voilà que le cloutier avait reparu, se fichant d’eux, leur
soufflant sous le nez, d’un air de provocation. Zacharie,
outré dans ses bons sentiments de famille, s’était rué sur
l’insolent.
—C’est ma soeur, cochon!… Attends, nom de Dieu! je vas
te la faire respecter!

On se précipita entre les deux hommes, tandis que Chaval,
très calme, répétait:
—Laisse donc, ça me regarde… Je te dis que je me fous
de lui!
Maheu arrivait avec sa société, et il calma Catherine et
Philomène, déjà en larmes. On riait maintenant dans la
foule, le cloutier avait disparu. Pour achever de noyer ça,
Chaval, qui était chez lui à l’estaminet Piquette, offrit des
chopes. Étienne dut trinquer avec Catherine, tous burent
ensemble, le père, la fille et son galant, le fils et sa
maîtresse, en disant poliment: «A la santé de la
compagnie!» Pierron ensuite s’obstina à payer sa tournée.
Et l’on était très d’accord, lorsque Zacharie fut repris d’une
rage, à la vue de son camarade Mouquet. Il l’appela, pour
aller faire, disait-il, son affaire au cloutier.
—Faut que je le crève!… Tiens! Chaval, garde Philomène
avec
Catherine. Je vais revenir.

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