La Chartreuse de Parme

Chapitre 9

 

Dans la journée Fabrice fut attaqué par quelques réflexionssérieuses et désagréables, mais à mesure qu’il entendait sonner lesheures qui le rapprochaient du moment de l’action, il se sentaitallègre et dispos. La duchesse lui avait écrit qu’il serait surprispar le grand air, et qu’à peine hors de sa prison il se trouveraitdans l’impossibilité de marcher; dans ce cas il valait mieuxpourtant s’exposer à être repris que se précipiter du haut d’un murde cent quatre-vingts pieds. »Si ce malheur m’arrive, disaitFabrice, je me coucherai contre le parapet, je dormirai une heure,puis je recommencerai; puisque je l’ai juré à Clélia, j’aime mieuxtomber du haut d’un rempart, si élevé qu’il soit que d’êtretoujours à faire des réflexions sur lé goût du pain que je mange.Quelles horribles douleurs ne doit-on pas éprouver avant la fin,quand on meurt empoisonné! Fabio Conti n’y cherchera pas de façons,il me fera donner de l’arsenic avec lequel il tue les rats de sacitadelle. »

Vers le minuit un de ces brouillards épais et blancs que le Pôjette quelquefois sur ses rives s’étendit d’abord sur la ville, eten sui te gagna l’esplanade et les bastions au milieu desquelss’élève la grosse tour de la citadelle. Fabrice crut voir que duparapet de la plate-forme, on n’apercevait plus les petits acaciasqui environnaient les jardins établis par les soldats au pied dumur de cent quatre-vingts pieds. »Voilà qui est excellent »,pensat-il.

Un peu après que minuit et demi eut sonné, le signal de lapetite lampe parut à la fenêtre de la volière. Fabrice était prêt àagir; il fit un signe de croix, puis attacha à son lit la petitecorde destinée à lui faire descendre les trente-cinq pieds qui leséparaient de la plate-forme où était le palais. Il arriva sansencombre sur le toit du corps de garde occupé depuis la veille parles deux cents hommes de renfort dont nous avons parlé. Par malheurles soldats, à minuit trois quarts qu’il était alors, n’étaient pasencore endormis; pendant qu’il marchait à pas de loup sur le toitde grosses tuiles creuses, Fabrice les entendait qui disaient quele diable était sur le toit, et qu’il fallait essayer de le tuerd’un coup de fusil. Quelques voix prétendaient que ce souhait étaitd’une grande impiété, d’autres disaient que si l’on tirait un coupde fusil sans tuer quelque chose, le gouverneur les mettrait tousen prison pour avoir alarmé la garnison inutilement. Toute cettebelle discussion faisait que Fabrice se hâtait le plus possible enmarchant sur le toit et qu’il faisait beaucoup plus de bruit. Lefait est qu’au moment où, pendu à sa corde, il passa devant lesfenêtres, par bonheur à quatre ou cinq pieds de distance à cause del’avance du toit elles étaient hérissées de baïonnettes.Quelques-uns ont prétendu que Fabrice toujours fou eut l’idée dejouer le rôle du diable, et qu’il jeta à ces soldats une poignée desequins. Ce qui est sûr, c’est qu’il avait semé des sequins sur leplancher de sa chambre, et il en sema aussi sur la plate-forme dansson trajet de la tour Farnèse au parapet, afin de se donner lachance de distraire les soldats qui auraient pu se mettre à lepoursuivre.

Arrivé sur la plate-forme et entouré de sentinelles quiordinairement criaient tous les quarts d’heure une phrase entière:Tout est bien autour de mon poste, il dirigea ses pas vers leparapet du couchant et chercha la pierre neuve.

Ce qui paraît incroyable et pourrait faire douter du fait si lerésultat n’avait pas eu pour témoin une ville entière, c’est queles sentinelles placées le long du parapet n’aient pas vu et arrêtéFabrice, à la vérité, le brouillard dont nous avons parlécommençait à monter, et Fabrice a dit que lorsqu’il était sur laplate-forme, le brouillard lui semblait arrivé déjà jusqu’à lamoitié de la tour Farnèse. Mais ce brouillard n’était point épais,et il apercevait fort bien les sentinelles dont quelques-unes sepromenaient. Il ajoutait que, poussé comme par une forcesurnaturelle, il alla se placer hardiment entre deux sentinellesassez voisines. Il défit tranquillement la grande corde qu’il avaitautour du corps et qui s’embrouilla deux fois il lui fallutbeaucoup de temps pour la débrouiller et l’étendre sur le parapet.Il entendait les soldats parler de tous les côtés, bien résolu àpoignarder le premier qui s’avancerait vers lui. »Je n’étaisnullement troublé, ajoutait-il, il me semblait que j’accomplissaisune cérémonie. »

Il attacha sa corde enfin débrouillée à une ouverture pratiquéedans le parapet pour l’écoulement des eaux, il monta sur ce mêmeparapet, et pria Dieu avec ferveur, puis, comme un héros des tempsde chevalerie, il pensa un instant à Clélia. »Combien je suisdifférent, se dit-il. du Fabrice léger et libertin qui entra ici ily a neuf mois! »Enfin il se mit à descendre cette étonnante hauteur.Il agissait mécaniquement, dit-il, et comme il eût fait en pleinjour, descendant devant des amis, pour gagner un pari. Vers lemilieu de la hauteur, il sentit tout à coup ses bras perdre leurforce; il croit même qu’il lâcha la corde un instant; mais bientôtil la reprit; peut-être, dit-il, il se retint aux broussailles surlesquelles il glissait et qui l’écorchaient. Il éprouvait de tempsà autre une douleur atroce entre les épaules, elle allait jusqu’àlui ôter la respiration. Il y avait un mouvement d’ondulation fortincommode; il était renvoyé sans cesse de la corde auxbroussailles. Il fut touché par plusieurs oiseaux assez gros qu’ilréveillait et qui se jetaient sur lui en s’envolant. Les premièresfois il crut être atteint par des gens descendant de la citadellepar la même voie que lui pour le poursuivre, et il s’apprêtait à sedéfendre. Enfin il arriva au bas de la grosse tour sans autreinconvénient que d’avoir les mains en sang. Il raconte que depuisle milieu de la tour, le talus qu’elle forme lui fut fort utile; ilfrottait le mur en descendant, et les plantes qui croissaient entreles pierres le retenaient beaucoup. En arrivant en bas dans lesjardins des soldats, il tomba sur un acacia qui, vu d’en haut, luisemblait avoir quatre ou cinq pieds de hauteur, et qui en avaitréellement quinze ou vingt. Un ivrogne qui se trouvait là endormile prit pour un voleur. En tombant de cet arbre, Fabrice se démitpresque le bras gauche. Il se mit à fuir vers le rempart, mais, àce qu’il dit, ses jambes lui semblaient comme du coton, il n’avaitplus aucune force. Malgré le péril, il s’assit et but un peud’eau-de-vie qui lui restait. Il s’endormit quelques minutes aupoint de ne plus savoir où il était; en se réveillant il ne pouvaitcomprendre comment, se trouvant dans sa chambre, il voyait desarbres. Enfin la terrible vérité revint à sa mémoire. Aussitôt ilmarcha vers le rempart; il y monta par un grand escalier. Lasentinelle, qui était placée tout près, ronflait dans sa guérite.Il trouva une pièce de canon gisant dans l’herbe; il y attacha satroisième corde; elle se trouva un peu trop courte, et il tombadans un fossé bourbeux où il pouvait y avoir un pied d’eau. Pendantqu’il se relevait et cherchait à se reconnaître, il se sentit saisipar deux hommes: il eut peur un instant; mais bientôt il entenditprononcer près de son oreille et à voix basse:

– Ah! monsignore! monsignore!

Il comprit vaguement que ces hommes appartenaient à la duchesse;aussitôt il s’évanouit profondément. Quelque temps après il sentitqu’il était porté par des hommes qui marchaient en silence et fortvite; puis on s’arrêta, ce qui lui donna beaucoup d’inquiétude.Mais il n’avait ni la force de parler ni celle d’ouvrir les yeux;il sentit qu’on le serrait; tout à coup il reconnut le parfum desvêtements de la duchesse. Ce parfum le ranima; il ouvrit les yeux;il put prononcer les mots:

– Ah! chère amie!

Puis il s’évanouit de nouveau profondément.

Le fidèle Bruno, avec une escouade de gens de police dévoués aucomte, était en réserve à deux cents pas; le comte lui-même étaitcaché dans une petite maison tout près du lieu où la duchesseattendait. Il n’eût pas hésité, s’il l’eût fallu, à mettre l’épée àla main avec quelques officiers à demi-solde, ses amis intimes; ilse regardait comme obligé de sauver la vie à Fabrice, qui luisemblait grandement exposé, et qui jadis eût sa grâce signée duprince, si lui Mosca n’eût eu la sottise de vouloir éviter unesottise écrite au souverain.

Depuis minuit la duchesse, entourée d’hommes armés jusqu’auxdents, errait dans un profond silence devant les remparts de lacitadelle; elle ne pouvait rester en place, elle pensait qu’elleaurait à combattre pour enlever Fabrice à des gens qui lepoursuivraient. Cette imagination ardente avait pris centprécautions, trop longues à détailler ici, et d’une imprudenceincroyable. On a calculé que plus de quatre-vingts agents étaientsur pied cette nuit-là, s’attendant à se battre pour quelque chosed’extraordinaire. Par bonheur Ferrante et Ludovic étaient à la têtede tout cela, et le ministre de la police n’était pas hostile; maisle comte lui-même remarqua que la duchesse ne fut trahie parpersonne, et qu’il ne sut rien comme ministre.

La duchesse perdit la tête absolument en revoyant Fabrice; ellele serrait convulsivement dans ses bras, puis fut au désespoir ense voyant couverte de sang: c’était celui des mains de Fabrice;elle le crut dangereusement blessé. Aidée d’un de ses gens, ellelui ôtait son habit pour le panser, lorsque Ludovic qui, parbonheur, se trouvait là, mit d’autorité la duchesse et Fabrice dansune des petites voitures qui étaient cachées dans un jardin près dela porte de la ville et l’on partit ventre à terre pour allerpasser lé Pô près de Sacca. Ferrante, avec vingt hommes bien armésfaisait l’arrière-garde, et avait promis sur sa tête d’arrêter lapoursuite. Le comte seul et à pied, ne quitta les environs de lacitadelle que deux heures plus tard, quand il vit que rien nebougeait. »Me voici en haute trahison! »se disait-il ivre dejoie.

Ludovic eut l’idée excellente de placer dans une voiture unjeune chirurgien attaché à la maison de la duchesse, et qui avaitbeaucoup de la tournure de Fabrice.

– Prenez la fuite, lui dit-il, du côté de Bologne; soyez fortmaladroit, tâchez de vous faire arrêter alors coupez-vous dans vosréponses, et enfin avouez que vous êtes Fabrice del Dongo; surtoutgagnez du temps. Mettez de l’adresse à être maladroit, vous enserez quitte pour un mois de prison, et Madame vous donneracinquante sequins.

– Est-ce qu’on songe à l’argent quand on sert Madame?

Il partit et fut arrêté quelques heures plus tard, ce qui causaune joie bien plaisante au général Fabio Conti et à Rassi, qui,avec le danger de Fabrice, voyait s’envoler sa baronnie.

L’évasion ne fut connue à la citadelle que sur les six heures dumatin, et ce ne fut qu’à dix qu’on osa en instruire le prince. Laduchesse avait été si bien servie que, malgré le profond sommeil deFabrice, qu’elle prenait pour un évanouissement mortel, ce qui fitque trois fois elle fit arrêter la voiture, elle passait le Pô dansune barque comme quatre heures sonnaient. Il y avait des relais surla rive gauche; on fit encore deux lieues avec une extrêmerapidité, puis on fut arrêté plus d’une heure pour la vérificationdes passeports. La duchesse en avait de toutes les sortes pour elleet pour Fabrice; mais elle était folle ce jour-là, elle s’avisa dedonner dix napoléons au commis de la police autrichienne, et de luiprendre la main en fondant en larmes. Ce commis, fort effrayé,recommença l’examen. On prit la poste; la duchesse payait d’unefaçon si extravagante, que partout elle excitait les soupçons en cepays où tout étranger est suspect. Ludovic lui vint encore en aide;il dit que Mme la duchesse était folle de douleur, à cause de lafièvre continue du jeune comte Mosca, fils du premier ministre deParme qu’elle emmenait avec elle consulter les médecins dePavie.

Ce ne fut qu’à dix lieues par-delà le Pô que le prisonnier seréveilla tout à fait, il avait une épaule luxée et forceécorchures. La duchesse avait encore des façons si extraordinairesque le maître d’une auberge de village, où l’on dîna, crut avoiraffaire à une princesse du sang impérial, et allait lui fairerendre les honneurs qu’il croyait lui être dus, lorsque Ludovic dità cet homme que la princesse le ferait immanquablement mettre enprison s’il s’avisait de faire sonner les cloches.

Enfin, sur les six heures du soir, on arriva au territoirepiémontais. Là seulement Fabrice était en toute sûreté; on leconduisit dans un petit village écarté de la grande route, on pansases mains, et il dormit encore quelques heures.

Ce fut dans ce village que la duchesse se livra à une action nonseulement horrible aux yeux de la morale, mais qui fut encore bienfuneste à la tranquillité du reste de sa vie. Quelques semainesavant l’évasion de Fabrice, et un jour que tout Parme était à laporte de la citadelle pour tâcher de voir dans la cour l’échafaudqu’on dressait en son honneur, la duchesse avait montré à Ludovicdevenu le factotum de sa maison, le secret au moyen duquel onfaisait sortir d’un petit cadre de fer, fort bien caché, une despierres formant le fond du fameux réservoir d’eau du palaisSanseverina, ouvrage du XIIIe siècle, et dont nous avons parlé.Pendant que Fabrice dormait dans la trattoria de ce petit village,la duchesse fit appeler Ludovic; il la crut devenue folle, tant lesregards qu’elle lui lançait étaient singuliers.

– Vous devez vous attendre, lui dit-elle, que je vais vousdonner quelques milliers de francs: eh bien! non; je vous connais,vous êtes un poète, vous auriez bientôt mangé cet argent. Je vousdonne la petite terre de la Ricciarda à une lieue de CasalMaggiore.

Ludovic se jeta à ses pieds fou de joie, et protestant avecl’accent du coeur que ce n’était point pour gagner de l’argentqu’il avait contribué à sauver monsignore Fabrice; qu’il l’avaittoujours aimé d’une affection particulière depuis qu’il avait eul’honneur de le conduire une fois en sa qualité de troisième cocherde Madame. Quand cet homme, qui réellement avait du coeur, crutavoir assez occupé une aussi grande dame, il prit congé; mais elle,avec des yeux étincelants, lui dit:

– Restez.

Elle se promenait sans mot dire dans cette chambre de cabaret,regardant de temps à autre Ludovic avec des yeux incroyables. Enfincet homme, voyant que cette étrange promenade ne prenait point defin, crut devoir adresser la parole à sa maîtresse.

– Madame m’a fait un don tellement exagéré, tellement au-dessusde tout ce qu’un pauvre homme tel que moi pouvait s’imaginer,tellement supérieur surtout aux faibles services que j’ai eul’honneur de rendre, que je crois en conscience ne pas pouvoirgarder sa terre de la Ricciarda. J’ai l’honneur de rendre cetteterre à Madame, et de la prier de m’accorder une pension de quatrecents francs.

– Combien de fois en votre vie, lui dit-elle avec la hauteur laplus sombre, combien de fois avez-vous ouï dire que j’avais désertéun projet une fois énoncé par moi?

Après cette phrase, la duchesse se promena encore durantquelques minutes; puis s’arrêtant tout à coup, elle s’écria:

– C’est par hasard et parce qu’il a su plaire à cette petitefille, que la vie de Fabrice a été sauvée! S’il n’avait été aimableil mourait. Est-ce que vous pourrez me nier cela? dit-elle enmarchant sur Ludovic avec des yeux où éclatait la plus sombrefureur.

Ludovic recula de quelques pas et la crut folle, ce qui luidonna de vives inquiétudes pour la propriété de sa terre de laRicciarda.

– Eh bien? reprit la duchesse du ton le plus doux et le plusgai, et changée du tout au tout, je veux que mes bons habitants deSacca aient une journée folle et de laquelle ils se souviennentlongtemps. Vous allez retourner à Sacca, avez-vous quelqueobjection? Pensez-vous courir quelque danger?

– Peu de chose, Madame: aucun des habitants de Sacca ne dirajamais que j’étais de la suite de monsignore Fabrice. D’ailleurs,si j’ose le dire à Madame, je brûle de voir ma terre de laRicciarda: il me semble si drôle d’être propriétaire!

– Ta gaieté me plaît. Le fermier de la Ricciarda me doit, jepense, trois ou quatre années de son fermage: je lui fais cadeau dela moitié de ce qu’il me doit, et l’autre moitié de tous cesarrérages, je te la donne, mais à cette condition: tu vas aller àSacca, tu diras qu’après-demain est le jour de la fête d’une de mespatronnes, et, le soir qui suivra ton arrivée, tu feras illuminermon château de la façon la plus splendide. N’épargne ni argent nipeine: songe qu’il s’agit du plus grand bonheur de ma vie. Delongue main j’ai préparé cette illumination; depuis plus de troismois j’ai réuni dans les caves du château tout ce qui peut servir àcette noble fête; j’ai donné en dépôt au jardinier toutes lespièces d’artifice nécessaires pour un feu magnifique: tu le ferastirer sur la terrasse qui regarde le Pô. J’ai quatre-vingt-neuffontaines de vin dans mon parc. Si le lendemain il me reste unebouteille de vin qui ne soit pas bue, je dirai que tu n’aimes pasFabrice. Quand les fontaines de vin, l’illumination et le feud’artifice seront bien en train tu t’esquiveras prudemment, car ilest possible, et c’est mon espoir, qu’à Parme toutes ces belleschoses-là paraissent une insolence.

– C’est ce qui n’est pas possible seulement, c’est sûr; comme ilest certain aussi que le fiscal Rassi, qui a signé la sentence demonsignore, en crèvera de rage. Et même… ajouta Ludovic avectimidité, si Madame voulait faire plus de plaisir à son pauvreserviteur que de lui donner la moitié des arrérages de laRicciarda, elle me permettrait de faire une plaisanterie à ceRassi…

– Tu es un brave homme! s’écria la duchesse avec transport, maisje te défends absolument de rien faire à Rassi; j’ai le projet dele faire pendre en public, plus tard. Quant à toi, tâche de ne paste faire arrêter à Sacca, tout serait gâté si je te perdais. – Moi,Madame! Quand j’aurai dit que je fête une des patronnes de madame,si la police envoyait trente gendarmes pour déranger quelque chose,soyez sûre qu’avant d’être arrivés à la croix rouge qui est aumilieu du village, pas un d’eux ne serait à cheval. Ils ne semouchent pas du coude, non, les habitants de Sacca; touscontrebandiers finis et qui adorent Madame.

– Enfin, reprit la duchesse d’un air singulièrement dégagé, sije donne du vin à mes braves gens de Sacca, je veux inonder leshabitants de Parme le même soir où mon château sera illuminé,prends le meilleur cheval de mon écurie, cours à mon palais, àParme, et ouvre le réservoir.

– Ah! l’excellente idée qu’a Madame! s’écria Ludovic, riantcomme un fou, du vin aux braves gens de Sacca, de l’eau auxbourgeois de Parme qui étaient si sûrs, les misérables, quemonsignore Fabrice allait être empoisonné comme le pauvre L…

La joie de Ludovic n’en finissait point; la duchesse regardaitavec complaisance ses rires fous; il répétait sans cesse:

– Du vin aux gens de Sacca et de l’eau à ceux de Parme! Madamesait sans doute mieux que moi que lorsqu’on vida imprudemment leréservoir, il y a une vingtaine d’années, il y eut jusqu’à un piedd’eau dans plusieurs des rues de Parme.

– Et de l’eau aux gens de Parme, répliqua la duchesse en riant.La promenade devant la citadelle eût été remplie de monde si l’oneût coupé le cou à Fabrice… Tout le monde l’appelle le grandcoupable… Mais, surtout, fais cela avec adresse, que jamaispersonne vivante ne sache que cette inondation a été faite par toi,ni ordonnée par moi. Fabrice, le comte lui-même, doivent ignorercette folle plaisanterie… Mais j’oubliais les pauvres de Sacca;va-t’en écrire une lettre à mon homme d’affaires, que je signerai;tu lui diras que pour la fête de ma sainte patronne il distribuecent sequins aux pauvres de Sacca et qu’il t’obéisse en tout pourl’illumination, le feu d’artifice et le vin; que le lendemainsurtout il ne reste pas une bouteille pleine dans mes caves.

– L’homme d’affaires de Madame ne se trouvera embarrassé qu’enun point: depuis cinq ans que Madame a le château, elle n’a paslaissé dix pauvres dans Sacca.

– Et de l’eau pour les gens de Parme! reprit la duchesse enchantant. Comment exécuteras-tu cette plaisanterie?

– Mon plan est tout fait: je pars de Sacca sur les neuf heures,à dix et demie mon cheval est à l’Auberge des Trois-Ganaches, surla route de Casal Maggiore et de ma terre de la Ricciarda, à onzeheures je suis dans ma chambre au palais, et à onze heures et unquart de l’eau pour les gens de Parme, et plus qu’ils n’envoudront, pour boire à la santé du grand coupable. Dix minutes plustard je sors de la ville par la route de Bologne. Je fais, enpassant, un profond salut à la citadelle, que le courage demonsignore et l’esprit de madame viennent de déshonorer; je prendsun sentier dans la campagne, de moi bien connu, et je fais monentrée à la Ricciarda.

Ludovic jeta les yeux sur la duchesse et fut effrayé: elleregardait fixement la muraille nue à six pas d’elle, et, il faut enconvenir, son regard était atroce. »Ah! ma pauvre terre! pensaLudovic; le fait est qu’elle est folle! »La duchesse le regarda etdevina sa pensée.

– Ah! monsieur Ludovic le grand poète, vous voulez une donationpar écrit: courez me chercher une feuille de papier.

Ludovic ne se fit pas répéter cet ordre, et la duchesse écrivitde sa main une longue reconnaissance antidatée d’un an, et parlaquelle elle déclarait avoir reçu, de Ludovic San Micheli, lasomme de 80000 francs, et lui avoir donné en gage la terre de laRicciarda. Si après douze mois révolus la duchesse n’avait pasrendu lesdits 80000 francs à Ludovic, la terre de la Ricciardaresterait sa propriété.

« Il est beau, se disait la duchesse, de donner à un serviteurfidèle le tiers à peu près de ce qui me reste pour moi-même. »

– Ah çà! dit la duchesse à Ludovic, après la plaisanterie duréservoir, je ne te donne que deux jours pour te réjouir à CasalMaggiore. Pour que la vente soit valable, dis que c’est une affairequi remonte à plus d’un an. Reviens me rejoindre à Belgirate, etcela sans le moindre délai, Fabrice ira peut-être en Angleterre oùtu le suivras.

Le lendemain de bonne heure la duchesse et Fabrice étaient àBelgirate.

On s’établit dans ce village enchanteur, mais un chagrin mortelattendait la duchesse sur ce beau lac. Fabrice était entièrementchangé; dès les premiers moments où il s’était réveillé de sonsommeil, la duchesse s’était aperçu qu’il se passait en lui quelquechose d’extraordinaire. Le sentiment profond par lui caché avecbeaucoup de soin était assez bizarre, ce n’était rien moins quececi: il était au désespoir d’être hors de prison. Il se gardaitbien d’avouer cette cause de sa tristesse, elle . eût amené desquestions auxquelles il ne voulait pas répondre.

– Mais quoi! lui disait la duchesse étonnée cette horriblesensation lorsque la faim te forçait à te nourrir, pour ne pastomber, d’un de ces mets détestables fournis par la cuisine de laprison, cette sensation, y a-t-il ici quelque goût singulier,est-ce que je m’empoisonne en cet instant, cette sensation ne tefait pas horreur?

– Je pensais à la mort, répondait Fabrice, comme je suppose qu’ypensent les soldats: c’était une chose possible que je pensais bienéviter par mon adresse.

Ainsi quelle inquiétude, quelle douleur pour la duchesse! Cetêtre adoré, singulier, vif, original, était désormais sous ses yeuxen proie à une rêverie profonde; il préférait la solitude même auplaisir de parler de toutes choses, et à coeur ouvert, à lameilleure amie qu’il eût au monde. Toujours il était bon, empressé,reconnaissant auprès de la duchesse, il eût comme jadis donné centfois sa vie pour elle; mais son âme était ailleurs. On faisaitsouvent quatre ou cinq lieues sur ce lac sublime sans se dire uneparole. La conversation, l’échange de pensées froides désormaispossible entre eux, eût peut-être semblé agréable à d’autres; maiseux se souvenaient encore, la duchesse surtout, de ce qu’était leurconversation avant ce fatal combat avec Giletti qui les avaitséparés. Fabrice devait à la duchesse l’histoire des neuf moispassés dans une horrible prison, et il se trouvait que sur ceséjour il n’avait à dire que des paroles brèves et incomplètes.

« Voilà ce qui devait arriver tôt ou tard, se disait la duchesseavec une tristesse sombre. Le chagrin m’a vieillie, ou bien il aimeréellement, et je n’ai plus que la seconde place dans soncoeur. »Avilie, atterrée par ce plus grand des chagrins possibles,la duchesse se disait quelquefois: « Si le ciel voulait que Ferrantefût devenu tout à fait fou ou manquât de courage, il me semble queje serais moins malheureuse. »Dès ce moment ce demi-remordsempoisonna l’estime que la duchesse avait pour son proprecaractère. »Ainsi, se disait-elle avec amertume, je me repens d’unerésolution prise: Je ne suis donc plus une del Dongo!

« Le ciel l’a voulu, reprenait-elle: Fabrice est amoureux, et dequel droit voudrais-je qu’il ne fût pas amoureux? Une seule paroled’amour véritable a-t-elle jamais été échangée entre nous? »

Cette idée si raisonnable lui ôta le sommeil, et enfin ce quimontrait que la vieillesse et l’affaiblissement de l’âme étaientarrivés pour elle avec la perspective d’une illustre vengeance,elle était cent fois plus malheureuse à Belgirate qu’à Parme. Quantà la personne qui pouvait causer l’étrange rêverie de Fabrice, iln’était guère possible d’avoir des doutes raisonnables: CléliaConti, cette fille si pieuse, avait trahi son père puisqu’elleavait consenti à enivrer la garnison, et jamais Fabrice ne parlaitde Clélia! a Mais, ajoutait la duchesse se frappant la poitrineavec désespoir, si la garnison n’eût pas été enivrée, toutes mesinventions, tous mes soins devenaient inutiles; ainsi c’est ellequi l’a sauvé! »

C’était avec une extrême difficulté que la duchesse obtenait deFabrice des détails sur les événements de cette nuit, »qui, sedisait la duchesse, autrefois eût formé entre nous le sujet d’unentretien sans cesse renaissant! Dans ces temps fortunés, il eûtparlé tout un jour et avec une verve et une gaieté sans cesserenaissantes sur la moindre bagatelle que je m’avisais de mettre enavant. »

Comme il fallait tout prévoir, la duchesse avait établi Fabriceau port de Locarno, ville suisse à l’extrémité du lac Majeur. Tousles jours elle allait le prendre en bateau pour de longuespromenades sur le lac. Eh bien! une fois qu’elle s’avisa de monterchez lui, elle trouva sa chambre tapissée d’une quantité de vues dela ville de Parme qu’il avait fait venir de Milan ou de Parme même,pays qu’il aurait dû tenir en abomination. Son petit salon, changéen atelier, était encombré de tout l’appareil d’un peintre àl’aquarelle, et elle le trouva finissant une troisième vue de latour Farnèse et du palais du gouverneur.

– Il ne te manque plus, lui dit-elle d’un air piqué, que defaire de souvenir le portrait de cet aimable gouverneur qui voulaitseulement t’empoisonner. Mais j’y songe, continua la duchesse, tudevrais lui écrire une lettre d’excuses d’avoir pris la liberté dete sauver et de donner un ridicule à sa citadelle.

La pauvre femme ne croyait pas dire si vrai: à peine arrivé enlieu de sûreté, le premier soin de Fabrice avait été d’écrire augénéral Fabio Conti une lettre parfaitement polie et dans uncertain sens bien ridicule; il lui demandait pardon de s’êtresauvé, alléguant pour excuse qu’il avait pu croire que certainsubalterne de la prison avait été chargé de lui administrer dupoison. Peu lui importait ce qu’il écrivait, Fabrice espérait queles yeux de Clélia verraient cette lettre, et sa figure étaitcouverte de larmes en l’écrivant. Il la termina par une phrase bienplaisante: il osait dire que, se trouvant en liberté, souvent illui arrivait de regretter sa petite chambre de la tour Farnèse.C’était là la pensée capitale de sa lettre, il espérait que Cléliala comprendrait. Dans son humeur écrivante, et toujours dansl’espoir d’être lu par quelqu’un, Fabrice adressa des remerciementsà don Cesare, ce bon aumônier qui lui avait prêté des livres dethéologie. Quelques jours plus tard, Fabrice engagea le petitlibraire de Locarno à faire le voyage de Milan, où ce libraire, amidu célèbre bibliomane Reina, acheta les plus magnifiques éditionsqu’il put trouver des ouvrages prêtés par don Cesare. Le bonaumônier reçut ces livres et une belle lettre qui lui disait que,dans des moments d’impatience, peut-être pardonnables à un pauvreprisonnier, on avait chargé les marges de ses livres de notesridicules. On le suppliait en conséquence de les remplacer dans sabibliothèque par les volumes que la plus vive reconnaissance sepermettait de lui présenter.

Fabrice était bien bon de donner le simple nom de notes auxgriffonnages infinis dont il avait chargé les marges d’unexemplaire in-folio des ouvres de saint Jérôme. Dans l’espoir qu’ilpourrait renvoyer ce livre au bon aumônier, et l’échanger contre unautre, il avait écrit jour par jour sur les marges un journal fortexact de tout ce qui lui arrivait en prison; les grands événementsn’étaient autre chose que des extases d’amour divin (ce mot divinen remplaçait un autre qu’on n’osait écrire). Tantôt cet amourdivin conduisait le prisonnier à un profond désespoir, d’autresfois une voix entendue à travers les airs rendait quelque espéranceet causait des transports de bonheur. Tout cela, heureusement,était écrit avec une encre de prison, formée de vin, de chocolat etde suie, et don Cesare n’avait fait qu’y jeter un coup d’oeil enreplaçant dans sa bibliothèque le volume de saint Jérôme. S’il enavait suivi les marges, il aurait vu qu’un jour le prisonnier, secroyant empoisonné, se félicitait de mourir à moins de quarante pasde distance de ce qu’il avait aimé le mieux dans ce monde. Mais unautre oeil que celui du bon aumônier avait lu cette page depuis lafuite. Cette belle idée: Mourir près de ce qu’on aime! exprimée decent façons différentes, était suivie d’un sonnet où l’on voyaitque l’âme séparée, après des tourments atroces, de ce corps fragilequ’elle avait habité pendant vingt-trois ans, poussée par cetinstinct de bonheur naturel à tout ce qui exista une fois, neremonterait pas au ciel se mêler aux choeurs des anges aussitôtqu’elle serait libre et dans le cas où le jugement terrible luiaccorderait le pardon de ses péchés; mais que, plus heureuse aprèsla mort qu’elle n’avait été durant la vie, elle irait à quelquespas de la prison, où si longtemps elle avait gémi, se réunir à toutce qu’elle avait aimé au monde. Et ainsi, disait le dernier vers dusonnet, j’aurai trouvé mon paradis sur la terre.

Quoiqu’on ne parlât de Fabrice à la citadelle de Parme que commed’un traître infâme qui avait violé les devoirs les plus sacrés,toutefois le bon prêtre don Cesare fut ravi par la vue des beauxlivres qu’un inconnu lui faisait parvenir; car Fabrice avait eul’attention de n’écrire que quelques jours après l’envoi, de peurque son nom ne fît renvoyer tout le paquet avec indignation. DonCesare ne parla point de cette attention à son frère, qui entraiten fureur au seul nom de Fabrice; mais depuis la fuite de cedernier, il avait repris toute son ancienne intimité avec sonaimable nièce; et comme il lui avait enseigné jadis quelques motsde latin, il lui fit voir les beaux ouvrages qu’il recevait. Telavait été l’espoir du voyageur. Tout à coup Clélia rougitextrêmement, elle venait de reconnaître l’écriture de Fabrice. Degrands morceaux fort étroits de papier jaune étaient placés enguise de signets en divers endroits du volume. Et comme il est vraide dire qu’au milieu des plats intérêts d’argent, et de la froideurdécolorée des pensées vulgaires qui remplissent notre vie, lesdémarches inspirées par une vraie passion manquent rarement deproduire leur effet, comme si une divinité propice prenait le soinde les conduire par la main, Clélia, guidée par cet instinct et parla pensée d’une seule chose au monde, demanda à son oncle decomparer l’ancien exemplaire de saint Jérôme avec celui qu’ilvenait de recevoir. Comment dire son ravissement au milieu de lasombre tristesse où l’absence de Fabrice l’avait plongée,lorsqu’elle trouva sur les marges de l’ancien Saint-Jérôme lesonnet dont nous avons parlé, et les mémoires, jour par jour, del’amour qu’on avait senti pour elle!

Dès le premier jour, elle sut le sonnet par coeur; elle lechantait, appuyée sur sa fenêtre, devant la fenêtre désormaissolitaire, où elle avait vu si souvent une petite ouverture sedémasquer dans l’abat-jour. Cet abat-jour avait été démonté pourêtre placé sur le bureau du tribunal et servir de pièce àconviction dans un procès ridicule que Rassi instruisait contreFabrice, accusé du crime de s’être sauvé, ou, comme disait lefiscal en en riant lui-même, de s’être dérobé à la démence d’unprince magnanime!

Chacune des démarches de Clélia était pour elle l’objet d’un vifremords, et depuis qu’elle était malheureuse les remords étaientplus vifs. Elle cherchait à apaiser un peu les reproches qu’elles’adressait, en se rappelant le voeu de ne jamais revoir Fabrice,fait par elle à la Madone lors du demi-empoisonnement du général,et depuis chaque jour renouvelé.

Son père avait été malade de l’évasion de Fabrice, et, de plus,il avait été sur le point de perdre sa place, lorsque le prince,dans sa colère, destitua tous les geôliers de la tour Farnèse, etles fit passer comme prisonniers dans la prison de la ville. Legénéral avait été sauvé en partie par l’intercession du comteMosca, qui aimait mieux le voir enfermé au sommet de sa citadelle,que rival actif et intrigant dans les cercles de la cour.

Ce fut pendant les quinze jours que dura l’incertituderelativement à la disgrâce du général Fabio Conti, réellementmalade, que Clélia eut le courage d’exécuter le sacrifice qu’elleavait annoncé à Fabrice. Elle avait eu l’esprit d’être malade lejour des réjouissances générales, qui fut aussi celui de la fuitedu prisonnier, comme le lecteur s’en souvient peut-être, elle futmalade aussi le lendemain, et, en un mot, sut si bien se conduire,qu’à l’exception du geôlier Grillo, chargé spécialement de la gardede Fabrice, personne n’eut de soupçons sur sa complicité, et Grillose tut.

Mais aussitôt que Clélia n’eut plus d’inquiétudes de ce côté ,elle fut plus cruellement agitée encore par ses justes remords: »Quelle raison au monde, se disait-elle, peut diminuer le crimed’une fille qui trahit son père? »

Un soir, après une journée passée presque tout entière à lachapelle et dans les larmes, elle pria son oncle, don Cesare, del’accompagner chez le général, dont les accès de fureurl’effrayaient d’autant plus, qu’à tout propos il y mêlait desimprécations contre Fabrice, cet abominable traître.

Arrivé en présence de son père, elle eut le courage de lui direque si toujours elle avait refusé de donner la main au marquisCrescenzi, c’est qu’elle ne sentait aucune inclination pour lui, etqu’elle était assurée de ne point trouver le bonheur dans cetteunion. A ces mots, le général entra en fureur; et Clélia eut assezde peine à reprendre la parole. Elle ajouta que si son père, séduitpar la grande fortune du marquis, croyait devoir lui donner l’ordreprécis de l’épouser, elle était prête à obéir. Le général fut toutétonné de cette conclusion, à laquelle il était loin de s’attendre,il finit pourtant par s’en réjouir. »Ainsi, dit-il à son frère, jene serai pas réduit à loger dans un second étage, si ce polisson deFabrice me fait perdre ma place par son mauvais procédé. »

Le comte Mosca ne manquait pas de se montrer profondémentscandalisé de l’évasion de ce mauvais sujet de Fabrice, et répétaitdans l’occasion la phrase inventée par Rassi sur le plat procédé dece jeune homme, fort vulgaire d’ailleurs, qui s’était soustrait àla clémence du prince. Cette phrase spirituelle, consacrée par labonne compagnie, ne prit point dans le peuple. Laissé à son bonsens, et tout en croyant Fabrice fort coupable, il admirait larésolution qu’il avait fallu pour se lancer d’un mur si haut. Pasun être de la cour n’admira ce courage. Quant à la police, forthumiliée de cet échec, elle avait découvert officiellement qu’unetroupe de vingt soldats gagnés par les distributions d’argent de laduchesse, cette femme si atrocement ingrate, et dont on neprononçait plus le nom qu’avec un soupir, avaient tendu à Fabricequatre échelles liées ensemble et de quarante-cinq pieds delongueur chacune: Fabrice ayant tendu une corde qu’on avait liéeaux échelles, n’avait eu que le mérite fort vulgaire d’attirer ceséchelles à lui. Quelques libéraux connus par leur imprudence, etentre autres le médecin C***, agent payé directement par le prince,ajoutaient, mais en se compromettant, que cette police atroce avaiteu la barbarie de faire fusiller huit des malheureux soldats quiavaient facilité la fuite de cet ingrat de Fabrice. Alors il futblâmé même des libéraux véritables, comme ayant causé par sonimprudence la mort de huit pauvres soldats. C’est ainsi que lespetits despotismes réduisent à rien la valeur de l’opinion.

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