Francis PONGE
BERGES DE LA LOIRE
Roanne, le 24 mai 1941.
Que rien désormais ne me fasse revenir de ma détermination :
ne sacrifier
jamais l’objet de mon étude à la mise en
valeur de quelque trouvaille verbale
que j’aurai faite à son propos, ni à
l’arrangement en poème de plusieurs
de ces trouvailles.
En revenir toujours à l’objet lui-
même, à ce qu’il a de brut, de diffé-
rent : différent en particulier de ce que
j’ai déjà (à ce moment) écrit de lui.
Que mon travail soit celui d’une recti-
fication continuelle de mon expression
(sans souci a priori de la forme de
cette expression) en faveur de l’objet
brut.
Ainsi, écrivant sur la Loire d’un
endroit des berges de ce fleuve, devrai-
je y replonger sans cesse mon regard,
mon esprit. Chaque fois qu’il aura séché
sur une expression, le replonger dans
l’eau du fleuve.
Reconnaître le plus grand droit de
l’objet, son droit imprescriptible, oppo-
sable à tout poème… Aucun poème
n’étant jamais sans appel a minima de
la part de l’objet du poème, ni sans
plainte en contrefaçon,.
L’objet est toujours plus important,
plus intéressant, plus capaple (plein de
droits) :
il n’a aucun devoir vis-à-vis de moi, c’est moi qui ai tous les devoirs
à son égard.
Ce que les lignes précédentes ne disentpas assez :
en conséquence, ne jamais m’arrêter à la forme poétique celle-ci
deyant pourtant être utilisée à un
moment de mon étude parce qu’elle
dispose un jeu de miroirs qui peut faire
apparaître certains aspects demeurés
obscurs de l’objet. L’entrechoc des
mots, les analogies verbales sont un
des moyens de scruter l’objet.
Ne jamais essayer d’arranger les cho-
ses. Les choses et les poèmes sont
inconciliables.
Il s’agit de saVOIr si l’on veut faire
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un poème ou rendre compte d’une chose
(dans l’espoir que l’esprit y gagne,
fasse à son propos quelque pas nou-
veau ).
C’est le second terme de l’alternative
que mon goût (un goût violent des
choses, et des progrès de l’esprit) sans
hésitation me fait choisir.
Ma détermination est donc prise…
Peu m’importe après cela que l’on
veuille nommer poème ce qui va en résul-
ter. Quant à moi, le moindre soupçon
de ronron poétique m’avertit seulement
que je rentre dans le manège, et provo-
que mon coup de reins pour en sortir.
LA GUÊPE
A Jean-Paul Sartre
et Simone de Beaupoir.
LA GUÊPE
Hyménoptère au vol félin, souple,
d’ailleurs d’apparence tigrée -, dont
le corps est beaucoup plus lourd que
celui du moustique et les ailes pourtant
relativement plus petites mais vibrantes
et sans doute très démultipliées, la
guêpe vibre à chaque instant des vibra-
tions nécessaires à la mouche dans une
position ultra critique (pour se défaire
du miel ou du papier tue-mouches, par
exemple).
Elle semble vivre dans un état de
crise continue qui la rend dangereuse.
Une sorte de frénésie ou de forcènerie –
qui la rend aussi brillante, bourdon-
nante, musicale qu’une corde fort ten-
fort vibrante et dès lors brûlante
ou piquante, ce qui rend son oontact
dangereux.
Elle pompe avec ferveur et coups de
reins. Dans la prune violette ou kaki,
c’est riche à voir : vraiment un petit
appareil extirpeur particulièrement per-
fectionné, au point. Aussi n’est-ce pas
le point formateur du rayon d’or qui
mûrit, mais le pqint formateur du rayon
(d’or et d’ombre) qui emporte le résul-
ta t du mûrissement.
Miellée, soleilleuse ; transporteuse de
miel, de sucre, de sirop ; hypocrite et
hydromélique. La guêpe sur le bord de
l’assiette ou de la tasse mal rincée (ou
du pot de confiture) : une attirance
irrésistible. Quelle ténacité dans le désir !
Comme elles sont faites l’une pour l’au-
tre! Une véritable aimantation au sucre.
*
Analogie de la guêpe et du tramway
électrique. Quelque chose de muet au
repos et de chanteur en action. Quel-
que chose aussi d’un train court, avec
premières et secondes, ou plutôt motrice
et baladeuse. Et trolley grésilleur. Gré-
sillante comme une friture, une chimie
(effervescente).
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Et si ça touche, ça pique. Autre
chose qu’un choc mécanique : un con-
tact électrique, une vibration venimeuse.
Mais son corps est plus mou – c’est-
à-dire en somme plus finement arti-
culé – son vol plus capricieux, imprévu,
dangereux que la marche rectiligne des
tramways déterminée par les rails.
*
Un petit siphon ambulant, un petit
alambic à roues et à ailes comme celui
qui se déplace de ferme en ferme dans
les campagnes en certaines saisons, une
petite cuisine volante, une petite voi-
ture de l’assainissement public : la
guêpe ressemble en somme à ces véhi-
cules qui se nourrissent eux-mêmes et
fabriquent en route quelque chose, si
bien que leur apparition comporte un
élément certain de merveilleux, parce
que leur raison d’être n’est pas seule-
ment de se déplacer, ou de transporter,
mais qu’ils ont une activité intime, géné-
ralement assez mystérieuse. Assez sa-
vante. Ce qu’on appelle avoir une vie
intérieure.
. .. Un chaudron à confitures volant,
hermétiquement clos mais mou, le train
arrière lourd basculant en vol.
*
Il fallait bien, pour classer les espèces,
les prendre par quelque endroit, partie
ou membre, et encore un endroit assez
solidement attaché à elles pour qu’il
ne s’en sépare pas lorsqu’on le saisit,
ou que, s’en séparant, il permette du
moins à lui seul de les reconnaître.
Ainsi a-t-on choisi l’aile, des insectes.
Peut-être avec raison: je n’en sais rien,
n’en jurerais nullement.
Hyménoptère, quoi qu’il en soit, à
propos des guêpes, n’est pas tellement
mauvais. Non qu’à l’hymen des jeunes
filles ressemble à vrai dire beaucoup
l’aile des guêpes. Apparemment pour
d’autres raisons: voilà un mot abstrait,
qui tient ses concrets d’une langue
morte. Eh bien, dans la mesure où
l’abstrait est du concret naturalisé, dia-
phanéisé – à la fois mièvre et tendu,
prétentieux, doctoral – voilà qui con-
vient assez à l’aile des guêpes…
. . . Mais je ne m’avancerai pas beau-
coup plus loin en ce sens.
*
Qu’est-ce qu’on me dit? Qu’elle laisse
son dard dans sa victime et qu’elle en
meurt? Ce serait assez bonne image
pour la guerre qui ne paye pas.
Il lui faut donc plutôt éviter tout
contact. Pourtant, lorsque le contact a
lieu, la justice immanente est alors
satisfaite : par la punition des deux
parties. Mais la punition paraît plus
sévère pour la guêpe, qui meurt à coup
sûr. Pourquoi? Parce qu’elle a eu le
tort de considérer le contact comme hos-
tile, et s’est aussitôt mise en colère
défensive, qu’elle a frappé. Faisant preu-
ve d’une susceptibilité exagérée (par
suite de peur, de sensibilité excessive
sans doute… mais pour les circonstances
atténuantes, hélas ! – il est déjà trop
tard). Il est donc évident, répétons-le,
que la guêpe n’a aucun intérêt à ren-
contrer un adversaire, qu’elle doit plu-
tôt éviter tout contact, faire détours et
ZIgzags nécessaires pour cela.
« Je me connais, se dit-elle : si je me
laisse aller, la moindre dispute tour-
nera au tragique : je ne me connaîtrai
plus. J’entrerai en frénésie : vous me
dégoûtez trop, m’êtes trop étran-
gers.
« Je ne connais que les arguments
extrêmes, les injures, les coups – le
ooup d’épée fatal.
t( J’aime mieux ne pas discuter.
« Nous sommes trop loin de compte.
e< Si jamais j’acceptais le moindre contact avec le monde, si j’étais un jour astreinte à la sincérité, s’il me fallait dire ce que je pense!… J’y lais- serais ma vie en même temps que ma réponse – mon dard. « Qu’on me laisse donc tranquille; je vous en supplie : ne discutons pas. Laissez-moi à mon train-train, vous au vôtre. A mon activité somnambu- lique, à ma vie intérieure. Retardons autant que possible toute explica- tion… » Là-dessus, elle reçoit une petite tape – et tombe aussitôt: il n’y a plus qu’à l’écraser.
Susceptible aussi peut-être à cause
du caractère si précieux, trop précieux
de la cargaison qu’elle emporte : qui
mérite sa frénésie.
De la conscience de sa valeur.
*
Mais cette stupeur qui peut la perdre
(un coup de main, et elle tombe à terre)
peut aussi sinon la sauver, du moins
prolonger curieusement sa vie.
La guêpe est tellement stupide je
le dis en bonne part – que si on la
coupe en deux, elle continue à vivre,
elle met deux jours à comprendre qu’elle
est morte. Elle continue à s’agiter.
Elle s’agite même plus qu’avant.
Voilà le comble de la stupéfaction
préyentiye. Un comble aussi dans le défi.
*
Essaim : de exagmen, de ex ag re
pousser hors.
*
Frénétique peut-être à cause de l’exi-
guïté de son diaphragme.
(On sait que chez les Grecs la pensée
siégeait dans le diaphragme… et que le
même mot désignait les deux choses :
W ‘ » justement.)
Pourquoi, de tous les insectes, le plus
actif est-il celui aux couleurs du soleil?
Pourquoi aussi les animaux tigrés
sont-ils les plus méchants?
*
La guêpe et le fruit.
Transport de pulpe baisée, meurtrie,
endommagée, contaminée, mortifiée par
la trop brillante dorée-noire, gipsy, don-
Juane.
Intégrité perdue par le contact d’un
visiteur trop brillant. Et non seulement
l’intégrité mais la qualité même de
ce qui demeure.
Entre les oiseaux et les fruits il n’y a
pas cet amour-haine, cette passion. La
chair des fruits conserve une belle indif-
férence, entamée par l’oiseau. Entre
eux il y a l’indifférence. L’oiseau n’est
qu’un agent physique.
Mais des insectes aux fruits, quels
effets profonds, quelle chimie, quelles
réactions! La guêpe est un agent phy-
sico-chimique. Elle précipite la postma-
turation, la décomposition de la pulpe
végétale, qUI emprisonnait la grame.
*
La pru ne dit: « Si le soleil me d arde
ses rayons, ils dorent ma peau. Si la
guêpe me darde son aiguillon, il navre
ma chair. »
*
Toujours fourrée dans la nectarothè-
que : tête vibrante, pompant avec fer-
veur, et coups de reins.
Sorte de seringue à ingurgiter le nec-
tar.
*
D’abord le brasier.
Que la guêpe sorte de terre, et si fré-
missante, si dangereuse, cela n’est pas in-
différent à l’homme, parce qu’il reconnaît
là la perfection de ce qu’il tente ailleurs
par ses grands garages, ses aérodromes.
Il y a là comme un brasier dont les
étincelles jaillissent loin, avec des tra-
jectoires imprévues.
Elles s’envolent de leurs aéroports
souterrains… Offensives, ofTensantes …
Le mot dynamo.
Elles bondissent parfois comme si
elles ne pouvaient maîtriser leur moteur.
D’abord le brasier pétillant, cré-
pitant, puis les vols s’accomplissent,
vols de durée, avec offensives brusquées
de temps à autre, plongées silencieuses
dans les pulpes, où la guêpe accomplit
son devoir c’est-à-dire son crime.
*
L’essaim de mots justes, ou guêpier.
Halte!… Ce fâcheux pétillement du
sillon, n’est-ce la sédition d’une secte
de graines, passionnées contre le se-
meur? Oui, leur forcènerie d’abord
les ramène à son tablier.
Non! Arrière ! Il Y a là comme un bra-
sier, dont les étincelles j ailliss e nt loin,
avec des trajectoires imprévues… J’y
vois la perfection de ce qu’on tente
ailleurs par ces grands garages, ces aéro-
dromes. Mais voyons mieux.
Aïe! 0 naturelle ferveur ailée! C’est
ton peuple assemblé qui crépite, en la
préparation d’une émeute offensive. Oui,
dardez-moi… Mais voilà leur animosité
déjà qui se dissipe en randonnées fu-
rIeuses…
*
Un barbare essaim parcourt la cam-
pagne. Le jardin en est parcouru.
*
Balle de fusil.
C’est aussi comme une balle de fusil,
mais en liberté, mais molle, qui muse-
rait. D’apparence nonchalante, elle re-
trouve par instants sa vertu et sa déci-
sion – et se précipite de tout près sur
son but.
C’est comme si, au sortir du trom-
blon, les projectiles éprouvaient un brus-
que ravissement qui leur fasse oublier
leur intention première, leur mobile,
leur rancune.
Comme une armée qui aurait été
commandée pour occuper rapidement
les points stratégiques d’une ville, et
qui dès la porte s’intéresserait aux vi-
trines, visiterait les musées, boirait aux
pailles des consommateurs à toutes les
terrasses des cafés.
*
Comme de balles aussi, à petits coups
pensifs, elle crible les parois verticales
de bois vermoulu.
*
Forme musicale du miel.
La guêpe peut encore être dite la
forme musicale du miel. C’est-à-dire une
note majeure, diésée, insistante, com-
mençant faiblement mais difficile à lâ-
cher, poissante, claire, avec des alter-
nances de force et de faiblesse,’ etc.
*
Et caetera. ..
Et enfin, pour le reste, pour un cer-
tain nombre de qualités que j’aurais
omis d’expliciter, eh bien, cher lecteur,
patience! 11 se trouvera bien quelque
critique un j our ou l’autre assez péné-
trant pour me RE PRO CIl E H cette irrup-
tion dans la littérature de ma guêpe
de façon importune, agaçante, fou-
gueuse et musarde à la fois, pour D É-
NON C E R l’allure saccadée de ces notes,
leur présentation désordonnée, en zig-
zags, pour S’INQUIÉTER du goût du
brillant discontinu, du piquant sans pro-
fondeur mais non sans danger, non sans
yenin dans la queue qu’elles révèlent –
enfin pour TRAITER superbement mon
œuvre DE TOUS LES NOMS qu’elle
mérite.
Paris, août 1939-Fronpille, août 1943.
NOTE S PRISES
POUR U N OISEAU
POUl’ Ébiche.
NOTES PRISES POUR UN OISEAU
L’oiseau. Les oiseaux. Il est probable
que nous comprenons mieux les oiseaux
depuis que nous fabriquons des aéro-
planes.
Le mot O I SEAU : il contient toutes les
yoyeUes. Très bien, j’approuve. Mais,
à la place de l’s, comme seule con-
sonne, j’aurais préféré l’L de l’aile :
OILEAU, ou le v du bréchet, le v des
ailes déployées, le v d’apis : 01V EAU.
Le populaire dit zozio. L’s je vois bien
qu’il ressemble au profil de l’oiseau au
repos. Et oi et eau de chaque côté de l’s,
ce sont les deux gras filets de viande qui
entourent le bréchet.
*
Leur déploiement nécessite leur dé-
placement en l’air, et réciproquement.
C’est alors que s’aperçoit l’envergure
d ont ils sont capables (non pour la
montrer). Ils étonnent à la fois par leur
v ol (commençant brusquement, souvent
capricieux, imprévu) et par le dévelop-
pement de leurs ailes.
A peine a-t-on le temps de revenir de
sa surprise que les voilà reposés, recom-
p osés (recomposés dans la forme sim-
ple, plus simple, de leur repos). Il y a
d’ailleurs une perfection de formes dans
l’oiseau replié (comme un canif à plu-
sieurs lames et outils) qui contribue à
prolonger notre surprise. Les membres
sont escamotés, les plumes par là-dessus
s’arrangent de façon que rien de l’arti-
culation ne reste visible. Il faut fouiller
pour trouver les jointures. Sous cet
aÜlaS de plumes il y a certains endroits
Où le corps existe, d’autres où il fait
défaut.
*
Certains oiseaux vivent seuls, ou avec
leur seule famille immédiate, d’autres en
petites bandes, d’autres e n grandes ban-
des. Certains en compagnies serrées,
d’autres en bandes éparses, qui semblent
indisciplinées. Certains volent en ligne
droite, d’autres tracent volontiers de
grands cercles, certains selon leur gré,
capricieusement. Il en est qui plus que
d’autres paraissent déterminés par un ins-
tinct fatal, ou des manies rédhibitoires.
Il en est peu qu’ on puisse approcher
de plus près que quelques mètres, cer-
tains s’enfuient de trente ou cinquante
mètres. Quelque s espèces citadines s’ha-
bituent au proche voisinage de l’homme
et parfois sollicitent de lui, de quelques
centimètres, en certaines circonstances,
leur nourriture.
Mais ce sont les caractères communs à
toute cette classe d’animaux que je veux
seulement reconnaître. Bêtes à plumes.
Faculté de voler. Caractères spéciaux
du squelette. Attitudes ou expressions
caractéristiques.
Je n ‘ ai pas encore dit grand-chose de
leur squelette. C’est quelque chose qui
donne l’impression d’une grande légè-
reté et d’une extrême fragilité, avec
une prédominance de l’abdomen et une
disproportion marquée de ce squelette
par rapport au volume de l’animal
vivant. Ce n’est vraiment presque rien
qu’une cage, qu’un très léger, très
aérien châssis : le crâne rond, extrême-
ment petit avec une énorme cavité
oculaire et un gros bec, le cou générale-
ment long et ténu, les membres infé-
rieurs insignifiants, le tout très facile à
broyer, sans aucune résistance à une
pression mécanique, protégé par très peu,
et au maximum assez peu de chair, de
chair d’ailleurs peu élastique ou amor-
tissante. Le squelette des poissons est
sans doute plus mince et plus fragile
encore, mais incomparablement mieux
protégé par la chair.
L’oiseau trouve son confort dans ses
plumes. Il est comme un homme qui ne
se séparerait pas de son édredon et de
ses oreillers de plume, qui les emporte-
rait sur son dos et pourrait à chaque
instant s’y blottir. Tout cela d’ailleurs
souvent fort pouilleux. A la réflexion,
rien ne ressemble à un moineau comme
un clochard , à une volière comme un
camp de romanichels.
*
Tout cela est trop grossier. L’état
d’esprit de l’oiseau doit être bien diffé-
rent. Mettez- ous à la place de ce man-
chot aux jambes grêles et entravées,
obligé de sautiller pour marcher, ou de
traîner un énorme ventre. Heureuse-
ment, un cou très mobile, autant pour
diriger le bec à l’appréhension des proies
que l’oreille aux monitions funestes, car
il ne peut en tout cas devoir son salut
qu’à la fuite – et l’œil rond, aux aguets
à la fois d e la proie et du prédateur,
constamment écarquillé le cœur et
les ailes battantes.
La grâce des orbes tracés en vol, la
gentillesse des mines , et des petits cris
ou des roulades, font généralement que
les oiseaux sont pris en bonne part.
Ce sont pourtant pour la plupart des
mignons crasseux et pouilleux, aux frai-
ses sales, aux crevés, aux bouillons fri-
pés et déchirés, aux collerettes et ai-
guillettes poussiéreuses, et qui plus est,
crottant en vol, crottant au pas, par-
tout. Très « Grand Siècle
*
Comment apparaît l’ oiseau dans la
vie d’un homme? Comme une surprise
dans le champ de sa vision. Éclairs
viandeux, plu s ou moins rapides. Zé-
brures dans la troisième dimension. A
Paris deux sortes : moineaux et pi-
geons. Toutes les autres, en cage: sur-
tout les petits oiseaux jaunes : perru-
ches ou serins .
L’oiseau parfait évoluerait avec une
grâce . . . il descendrait nous apporter du
ciel, par l’opération du Saint-Esprit
hien ëntendu, en des orhes gracieux
comme certains paraphes, la signature
du Dieu bon et satisfait de son œuvre
et de ses créatures. Demander à Clau-
del quelle est la signification de la
colombe du Saint-Esprit. Y a-t-il d’au-
tres oiseaux dans la religion chrétienne,
en général dans les religions? J’aperçois
les vautours de Prométhée qui me font
signe, le cygne de Léda… En voilà plu-
sieurs prêts à s’ébrouer et à renaître,
hors de la compilation. Merci bien, je
n’en ai que faire!
Somme toute, ce que je décris est
surtout le moineau, le perdreau, l’hi-
rondelle, le pigeon. (L’oiseau parfait :
je crois que je me réfère au pigeon quand
j’y songe, ou à la colombe. D’ailleurs
le Saint- Esprit était bien une c olombe ,
si je ne m’abuse (Buse)
*
Je croyais pouvoir écrire mille pages
sur n’importe quel objet, et voici qu’à
moins de cinq je suis essouffié, et me
tourne vers la compilation! Non, je sens
bien que de moi (et de l’oiseau) je peux
naïvement tirer autre chose. Mais au
fond ce qui importe, n’est-ce pas de
saisir le nœud? Lorsque j’aurai écrit
plusieurs pages, en les relisant j’aper-
cevrai l’endroit où se trouve ce nœud,
où est l’essentiel, la qualité de l’oiseau.
Je crois bien que j e l’ai déjà saisi. Deux
choses : le petit sac de plumes, et le
foudroyant départ capricieux en vol
(l’étonnant départ en vol). A côté de
ça, aussi la petite tête, le crâne broyable,
les pattes allumettes, le truc du déploie-
ment-déplacement, la bizarrerie des cour-
bes de vol. Quoi encore? Allons, cela
ne va pas être facile. Je va is retomber
peut-être dans mes erreurs de la cre-
vette. Il vaudrait mieux alors en rester
à ces notes, qui me dégoûtent moins
qu’un opus raté.
J’ai eu aussi l’idée à plusieurs repri-
ses – il faut que je la note – de faire
parler l’oiseau, de le décrire à la pre-
mière personne. Il faudra que j’essaie
cette issue, que je tftte de ce procédé.
*
Que dit Littré de l’oiseau? Encore la
compilation qui me tarabuste. Tant pis.
Allons-y voir. Un eHort. Je me lève
de mon fauteuil:
OISEAU (impossible à recopier, il y
en a trois colonnes, toute la page 8 d
du tome 1-1> et plusieurs lignes encore à
la page thLl. Je copie seulement les
têtes de chapitres) : « 1. Animal ovipare
à deux pieds, ayant des plumes et des
ailes. 2. Terme de zoologie : classe du
règne animal comprenant les animaux
vertébrés dont le corps est couvert de
plumes, et dont les membres antérieurs
ont en général la forme d’ailes, la
tête terminée en avant par un bec corné
qui recouvre des mâchoires allongées,
dépourvues de dents. 3. Le roi des
oiseaux, l’ aigle . L’oiseau de Jupiter,
l’aigle. L’oiseau de Junon, le paon.
L’oiseau de Minerve, la chouette, le
hibou. L’oiseau de Vénus, la colombe, le
pigeon. 4. Terme de fauconnerie. Abso-
lument, l’oiseau : l’oiseau de proie dressé
à la chasse. (Et tous les termes d e fau-
connerie.) 5. Oiseau mouche. 6. Oiseau
moqueur. 7. Oiseau d’Afrique, la pin-
tade. Oiseau de cerises, le loriot, etc.
10. L’oiseau de saint Luc, le bœuf.
II. Oiseau désigne quelquefois l’avicule
commune (coquille) . 12. Terme de blason.
13. Terme de chimie.
14. A vue d’oiseau.
15. A vol d’oiseau.
16. Populairement : aux oiseaux, très bien. Divers
proverbes. ÉTYMOLOGIE: ital.: uccello,
augello. Bas latin: aucellus (dans la loi salique) : d’un diminutif non latin,
avicellus, de avis, oiseau.
Y a un autre mot OISEAU, S. m.
Terme de maçon. Sorte de petite auge
qui se met sur les épaules pour porter
du mortier. Porter l’oiseau, être manœu-
vre auprès de maçons. ÉTYMOLOGIE:
Ainsi dit par comparaison avec un
oiseau, ou peut-être corruption d’au-
geau, dérivé d’auge. »
Dans le chapitre oiseau de Littré les
plus belles expressions citées, que je
veux retenir, sont les suivantes : « Tous
les oiseaux de proie sont remarquables
par une singularité dont il est di1licile
de donner la raison : c’est que les mâles
sont d’environ un tiers moins grands et
moins forts que les femelles. » (Buf-
fon, Oiseaux, t. l, p. 89.) « L’acteur tra-
gique Esopus se fit servir un plat dans
lèquel étaient toutes les espèces d’oi-
seaux qui chantent ou imitent la parole
humaine, oiseaux qui lui coûtaient dix
mille sesterces la pièce : aussi estime-
t-on le plat à cent mille sesterces
(22 500 francs) (Pastoret). » Aux ter-
mes de fauconnerie : « Oiseau branchier,
celui qui n’a encore que la force d’aller
de branche en branche. Oiseaux igno-
bles, oiseaux de bas vol. Oiseaux nobles,
oiseaux de haut vol. Oiseaux malS, oi-
seaux pris au nid et qui n’ont pas encore
volé. » Etc. A propo s de l’oiseau-mou-
che : « Légèreté, rapidité, prestesse,
grûce et riche parure, tout appa rtie nt à
ce petit favori. » (Buffon, Oiseaux, t. XI,
p. 2.) I( Oiseau de cerises, le loriot. Oi-
seau-chameau, l’autruche. Oiseau-mon-
père, à Cayenne , le choucas chauve. »
A l’historique: (( De put oef put oisel. »
(Ler oux de Linay, Proverbes, t. 1, p. 188.)
Et voilà. 11 y a de bonnes choses à
prendre, apprendre. Satisfaction pour-
tant de constater que rien n’est là de
ce que je veux dire et qui est tout l’oi-
seau (ce sac de plumes qui s’envole
étonnamment). Je n’arriverai donc pas
trop tard. Tout est à dire. On s’en dou-
tait.
Il faut aussi que je recopie un petit
morceau assez récent que j’avais bien
prétentieusement intitulé L’Oiseau après
l’avoir écrit. Le voici : L’oiseau…
grince et crisse, vrille et trille, comme
ces robinets de bois qu’on adapte aux
douves (douves?). 11 pépie, piaille. Là
sont grains et pépins. De grains à distil-
lation il n’y a pas loin. A quoi est
destiné ce petit alambic? Que distille-
t-il? Toute la vie ce sont ces vocalises,
ce kirsch de tête de moineau. Puis, aux
jours de la mort, ces rares gouttes de
sang noir à l’étalage du giboyeur
(giboyer?). »
*
Où l’oiseau apparaît-il? Dans un pay-
sage non citadin, sur fond bistre de
labours, là où l’air est brodé de nombreux
•
fils verts jusqu’à une certaine hauteur.
*
Relisant ce que j’ai écrit jusqu’ici
je trouve plusieurs mots à chercher dans
Littré :
BRÉCHET : Nom donné à la crête
saillante et longitudinale qui se trouve
à la face externe du sternum des oi-
seaux.
(Sternum: Os ImpaIr situé chez
l’homII)e au devant et au milieu du
thorax. Partie analogue chez les ani-
maux. La forme du sternum des oiseaux,
en quille de naVIre, qui est in dispen-
sable pour l’équilibre de leur vol, leur
rendrait l’attitude accroupie très pé-
nible. Dupont de Nemours.)
B 0 M BER : I. V. actif. Rendre con-
vexe à la façon d’une bombe, c’est-à-
dire de manière à présenter un segment
sphérique ou à peu près. 2. V. n. bom-
ber ; être convexe. Ce mur bombe.
Rebomber ou rebombir n’existent pas ,
mais rebondir, rebondi (arrondi par
embonpoint).
DOU V ES : Nom de planches dispo-
sées en rond qui forment le corps du
tonneau et qu’on fait tenir ensemble
avec des cercles.
ORBES : Employé faussement par
moi. Orbite serait mieux – qui est à
l’orbe ce que la circonférence est au
cercle. Courbes serait mieux pour ce
que je veux décrire (ou paramètres).
A propos de n’importe quoi, même
d’un objet familier depuis des millé-
naires à l’homme, il reste beaucoup de
choses à dire. Et il y a intérêt à ce
qu’elles soient dites. Non seulement
pour le progrès de la science, mais pour
celui (moral) de l’homme par la science.
Il y a un autre point : pour que l’homme
Proche de Ul_oi aux classifications.
Niais d’abord, branchier ensuite, je m’en-
vole
De la tapisserie à trois dimensions.
J’en tombe comme un fruit mais décou-
vrant mes ailes
Je les déploie et je me sauve aux cieux…
Cercles charmants, zigzags précaution-
neux,
Bonds successifs quoique à peu de dis-
tance,
Mines gentilles, petits cris, roulades
Font qu’on nous traite en petits favoris.
L’on ne nous voit ce que souvent nous
sommes :
Mignons pouilleux aux collerettes sales,
Jabots crasseux, sphincters impéni-
tents …
Hors de nos nids faits plutôt pour nos
œufs,
Ovoïdes paniers d’où le duvet floconne,
Notre confort réside dans nos plumes,
Édredons et coussins emportés sur le
dos,
Où nous pouvons à peine nous blottir,
Capot sous l’aile et parfois une patte,
Comme un clochard couché sur ses bal-
lots,
Un voyageur tête sur sa valise
Sur la dure banquette au milieu des
cahots…
Vous-mêmes, au panier rond, couveuses
héroïques,
Les plumes hérissées dominant votre
effroi,
Comprend-on seulement votre peine phy-
sique? ..
Cageot léger facilement broyable,
Dont le bréchet seul est flanqué de chair,
Manchot bossu monté sur allumettes,
L’allure déhanchée ou le pas sautillant,
Épaule faible et constamment démise
Mais que je peux en aile déployer,
Sternum de rachitique en quille de na-
VIre
Très nécessaire à l’équilibre en vol
Mais qui fait mal dans la pose accrou-
pIe,
Tête inquiète, œil rond parfois catalep-
tique,
Long cou mobile, enfin bec corné re-
couvrant
Des mâchoires fort longues et dépour-
vues de dents.
Aucune graIsse en aucun de ses mem-
bres.
prenne vraiment possession de la nature,
pour qu’il la dïrige, la soumette, il faut
qu’il cumule en lui les qualités de cha-
que chose (rien de mieux à cet effet que
de les dégager par la parole, de les nomi-
ner).
C’est là me semble-t-il un point de vue
bolchevique.
‘ » Mais (autre développement) la
dictature de l’homme sur la nature, les
éléments, ne sera qu’une période vers
l’état d’harmonie parfaite (que l’on peut
bien imaginer) entre l’homme et la
nature, où celle-ci recevra de l’homme
autant qu’il lui prendra.
Le poète (est un moraliste qui) disso-
cie les qualités de l’objet puis les recom-
pose, comme le peintre dissocie les cou-
leurs, la lumière et les recompose dans
sa toile.
*
(Merveilleux couple d’oiseaux d’ Ébi-
che vu avant le départ de son œuvre
en Pologne le 2 septembre 1938.)
Sagement assis côte à côte dans un
panier rond comme un nid, dans la pose
des couveuses dominant leur effroi, leurs
plumes multicolores légèrement héris-
sées et bouffantes, cataleptiques (ou
vraiment héroïques?), tête immobile et
l’œil écarquillé.
*
Fines fléchettes ou courts et gras jave-
lots,
Au lieu de contourner les arêtes des
toits,
Nous sommes rats du ciel, éclairs vian-
deux, torpilles,
Poires de plumes, poux de la végétation.
Souvent, posté sur une haute branche,
Je guette là, stupide et tassé comme un
grief.
*
NOT ES P R ISES POUR UN OISEA U
Mon nom unit les voyelles françaises
A commencer par celle en forme d’ œuf
En deux diphtongues autour de la cou-
leuvre
Dans ma carène j’ai tout entreposé,
Mon gésier est plein des graines de sep-
tembre.
D’acides moucherons assurent mes diar-
rhées.
D’un poids certain je reconnais mon
ventre,
Ventre qu’aux nues mes ailerons empor-
tent,
Mieux innervés que les feuilles d’au-,
tomne,
Articulés mieux que voiles de j onques…
Et j’ai mes serres, j ‘ai mon bec féroce
Lorsque à sévir je me sens disposé.
Que j’empiète la branche ou pique dans
l’écorce,
La corne de m es bec ou se rres vaut
l’acier.
*
NO UV ELL E S N O TES
P O U R M O N O I S EAU
Lorsque je me déploie il faut qu’en l’air
je vole,
Sur fond de ciel, de moissons, de la-
bours,
Au prIX de mon repos montrant mon
envergure
Qu’on ne peut donc jamais contempler
à loisir;
Et je me recompose aussitôt reposé
Membres escamotés en lames de canif –
Les plumes là-dessus s’arrangeant de
manière
A ne plus laisser voir les articulations.
D’autres bêtes s’enfuient à l’approche
de l’homme
Mais c’est pour s’enfoncer au plus pro-
che fourré;
Moi sur l’album des cieux la ligne que je
trace
Tient longtemps attentif avant qu’elle
s’efface
L’œil inquiet de me perdre au guillochis
des nues…
Cependant, dans les bois, mystérieux
échanges,
Activité diplomatique intense aux cin-
tres,
Retraits précipités, tentatives peureu-
ses,
Courts trajets d’ambassadeurs, démar-
ches polies
Et nobles pénétrant profondément les
feuilles…
Nous somm’ aUSSI planeurs à moteur
musculé,
Élastiques tordus d’une façon spéciale
Et sommes à nous-mêmes nos propres
catapultes.
*
Somme toute il reste encore :
1. Les bandes éparses indisciplinées.
2. L’oiseau comme robinet de bois qui
grince et crisse, pépie, piaille…
Reprenant la première phrase de ce
cahier d’obseryations, celle où je disais
(instinctivement) : « il est probable que
nous comprenons mieux les oiseaux de-
puis que nous fabriquons des aéro-
planes », voici comment je veux con-
clure :
Si j e me suis appliqué à l’oiseau , avec
toute l’attention, toute l’ardeur d’ex-
pression dont je suis capable, et don-
nant même parfois le pas (par modestie
raisonnée de la raison) à l’expression
intUItive sur la simple description ou
observation – c’est pour que nous fa-
briquions des aéroplanes perfectionnés,
que nous ayons une meilleure prise sur
le monde.
Nous ferons des pas merveilleux,
l’homme fera des pas merveilleux s’il
redescend aux choses (comme il faut
redescendre aux mots pour exprimer les
choses convenablement) et s’applique
à les étudier et à les exprimer en faisant
confiance à la fois à son œil, à sa raison
et à son intuition, sans prévention qui
l’empêche de suivre les nou eautés
qu’elles contiennent – et sachant les
considérer dans leur essence comme dans
leurs détails. Mais il faut en même temps
qu’il les refasse dans le logos à partir
des matériaux du logos, c’est-à-dire de
la parole.
Alors seulement sa connaissance, ses
découvertes seront solides, non fugiti es,
non fugaces.
Exprimées en termes logiques, qui
sont les seuls termes humains, elles lui
seront alors acquises, il pourra en pro-
fiter.
Il aura accru non seulement ses
lumières, malS son pOUVOIr sur le
monde.
Il aura progressé vers la joie et le
bonheur non seulement pour lui, mais
pour tous.
Paris, mars-septembre 1938.
L’ŒILLET
A Georges Limbour.
L’ŒILLET
Relever le défi des choses au langage.
Par exemple ces œillets défient le
langage. Je n’aurai de cessa. avant
d’avoir assemblé quelques mots à la
lecture ou l’audition desquels l’on doive
s’écrier nécessairement : a’est de quel-
que chose comme un œillet qu’il s’agit.
Est-ce là poésie? Je n’en sais rien,
et peu importe. Pour moi c’est un besoin,
un engagement, une colère, une affaire
d’amour-propre et voilà tout.
Je ne me prétends pas poète. Je crois
ma vision fort commune.
Étant donnée une chose – la plus
ordinaire soit-elle – il me semble qu’elle
présente toujours quelques qualités vrai-
ment particulières sur lesquelles, si elles
étaient c1airement et simplement expri-
mées, il y aurait opinion unanime et
constante : ce sont celles que je cherche
à dégager.
Quel intérêt à les dégager? Faire ga-
gner à l’esprit humain ces qualités,
dont il est capable et que seule sa rou-
tine l’empêche de s’approprier.
Quelles disciplines sont nécessaires au
succès de cette entreprise? Celles de
l’esprit scientifique sans doute, mais
surtout beaucoup d’art. Et c’est pour-
quoi je pense qu’un jour une telle re-
cherche pourra aussi légitimement être
appelée poésie.
*
L’on apercevra par les exemples qui
suivent 1 quels importants déblais cela
suppose (ou implique), à quels outils,
à quels procédés, à quelles rubriques
l’on doit ou l’on peut faire appel. Au
dictionnaire, à l’encyclopédie, à l’ima-
gination, au rêve, au télescope, au mi-
1. L’Œillet n’est qu’un de ces exemples.
croscope, aux deux bouts de la lorgnette,
aux verres de presbyte et de myope, au
calembour, à la rime, à la contempla-
tion, à l’oubli, à la volubilité, au silence,
au sommeil, etc.
L’on apercevra aussi quels écueils il
faut éviter, quels autres il faut affron-
ter, quelles navigations (quelles bor-
dées) et quels naufrages – quels chan-
gements de points de vue.
*
Il est fort possible que je ne possède
pas les qualités requises pour mener à
bien une telle entreprise – en aucun
cas.
D’autres viendront qui utiliseront
mieux que moi les procédés que j’in-
dique. Ce seront les héros de l’esprit de
demain.
(Un autre j our.)
Quoi de particulier, en somme, dans
le naïf programme (valable pour toute
expression authentique) exposé solen-
nellement ci-dessus?
Sans doute seulement ceci, le point
suivant : … où je choisis comme sujets
non des sentiments ou des aventures
humaines mais des objets les plus indif-
férents possible… où il m’apparaît
(instinctivement) que la garantie de la
nécessité d’expression se trouve dans le
mutisme habituel de l’objet.
. . . A la fois garantie de la nécessité
d’expression et garantie d’opposition à
la langue, aux expressions communes.
Évidence muette opposable.
1
Opiniâtre : fortement attaché à son
opmlOn.
Papillotes, papillons, papilles : même
mot que vaciller.
Déchiré : d’un mot allemand sker-
ran. Déchiqueter.
Dents et dentelles.
Chiffons. Crème, crémeux.
Œillet : Linné l’appelle bouquet par-
fait, bouquet tout fait.
Satin.
Festons : « Ces belles forêts qui décou-
paient d’un long feston mobile le som-
met de ces coteaux. »
Fouetté : crème fouettée, qui à force
d’être battue devient tout en écume.
Éternuer.
Jacasse et Jocaste?
Jabot : appendice de mousseline ou de
dentelle.
Froisser : chiffonner, faire prendre des
plis irréguliers. (L’origine est un bruit.)
Friser (une serviette) : l a plier de fa-
çon qu’elle forme de petites ondes.
Friper, au sens de chiffonner, se con-
fond avec fespe, de fespa, qui veut dire
chiffon et aussi frange, sorte de pelu-
che.
Franges : étymologie inconnue. 2° Ter-
me d’anatomie : repli des synoviales.
Déchiqueter : découper en chiquettes,
en faisant diverses taillades. Se déchi-
queter, se faire des entailles.
2
L’opposer aux fleurs calmes, rondes :
arums, lis, camélias, tubéreuses.
Non qu’elle soit folle, mais elle est
violente (quoique bien tassée, assemblée
dans des limites raisonnables).
A bout de tige, hors d’une olive, d’un
gland souple de feuilles, se déboutonne
le luxe merveilleux du linge.
Œillets, ces merveilleux chiffons.
Comme ils sont propres.
A les respirer on éprouve le plaisir
dont le revers serait l’éternuement.
A les voir, celui qu’on éprouve à voir
la culotte, déchirée à belles dents, d’une
fille jeune qui soigne son linge.
Pour « se déboutonner », voir bouton.
Voir aussi cicatrice.
Bouton: vu, il ne faut pas rapprocher
bout et bouton ni déboutonner dans la
phrase, car c’est le même mot (de bou-
ter, pousser).
Et naturellement, tout n’est que mou-
vement et passage, sinon la vie, la
mort, seraient incompréhensibles.
Si bien qu’inventerait-on la pilule à
dissoudre dans l’eau du vase pour ren-
dre l’œillet éternel en nourrissant de
sucs ininéraux ses cellules – cependant
il ne survivrait pas longtemps en tant
que fleur, la fleur n’étant qu’un moment
de l’individu, lequel joue son rôle
comme l’espèce le lui enjoint.
(Ces six premiers morceaux, la nuit
du 1 2 au 13 juin 194 1 , en présence des
œillets blancs du jardin de Mme Du-
gourd.)
A bout d e tige se déboutonne hors
d’une olive souple de feuilles un jabot
merveilleux de satin froid avec des
creux d’ombre de neige viride où siège
encore un peu de chlorophylle, et dont
le parfum provoque à l’intérieur du nez
un plaisir juste au bord de l’éternue-
ment.
Papillote chiffon frisé
Torchon de luxe satin froid
Chiffon de luxe à belles dents
Torchon frisé de satin froid
Mouchoir de luxe à belles dents
Fripes de luxe en satin froid
De lustre
Jabot papillote ou mouchoir
Torchon de luxe à belles dents
Chiffon
Du satin froid à belles dents
Odorant hors de lui fouetté
A b out de tige bambou vert
A renflement d’ongle poli
Se gonfle un gland souple de feuilles
Sachets multiples odorants
D’où jaillit la robe fouettée
Ij juin.
Phare de boutonnière
Projecteur
Baladeuse
Magondo
Jabot chiffon papillote ou mouchoir
Hardes fripes haillons
Bouillons de linge ou ruches
De satin froid
Riche opulent assemblage
Compétition association
Manifeste réunion
De pétales d’un tissu humide
Froidement satiné
Foule sortant en delta de la commu-
nIon
Ou culotte à belles dents de fille soi-
gneuse de son linge
Répandant des parfums d’une sorte à
chaque instant
Qui risque quel plaisir de vous mettre
au bord de l’éternuement
Trompottes pleines gorgées bouchées
Par la redondance de leur propre ex-
preSSIOn
Gorges entièrement bouchées par des
langues
Leurs pavillons leurs lèvres déchirées
Par la violence de leurs cris de leurs
expreSSIOns
Froncés froissés frisés fripés
Frangés festonnés fouettés
Chiffonnés bouclés gondolés
Tuyautés gaufrés calamistrés
Tailladés déchirés pliés déchiquetés
Ruchés tordus ondés dentelés
Crémeux écumeux blanc neigeux
Homogène uni
Bouquet parfait Bouquet tout fait
Hors du gland souple de l’olive souple
et pointue
Qu’il fait s’entrouvrir qu’il fend
Au bout de sa tige fin bambou vert
Aux renflements espacés polis
Et langus aussi simplement que possible
Ains aux approches de juillet
Se déboutonne l’œillet
I4 juin.
I I
A l’ extrémité de s a tige fin b a mbou
vert aux espacés renflements polis d’où
se dégainent deux feuilles symétri-
ques très simples petits sabres gonfle à
succès un gland une olive souple et
pointue que force à s’entrouvrir que
fend en œillet d’où se déboutonne
un jabot de sàtin froid merveilleu-
sement chiffonné un ruché à foison de
languettes tordues et déchirées par la
violence de leur propos :
tout spécialement un parfum tel qu’il
produit sur la narine humaine un effet
de plaisir presque sternutatoire
I5 juin.
La tige
de ce magnifique héros – exemple à
SUIvre –
est un fin bambou vert
aux énergiques renflements espacés
polis comme l’ongle
Sous chacun d’eux se dégainent c’est
le mot
deux très simples petits sabres
symétriquement inoffensifs
A l’extrémité promise au su ccès
gonfle un gland une olive souple et
pointue
Qui soudain donnant lieu à une modifi-
cation
bouleversante
la force à s’entrouvrir qui la fend
et s’en déboutonne ?
Un merveilleux chiffon de satin froid
un jabot à foison de flammèches froides
de languettes du même tissu
tordues et déchirées
par la violence de leur propos
Une trompette gorgée
de la redondance de ses propres cris
au pavillon déchiré par leur violence
même
Tandis que pour confirmer l’importance
du phénomène
se répand continûment un padum tel
qu’il provoque dans la narine humaine
un effet de plaisir intense
presque sternutatoire.
A l’extrémité d’un chaume énergique
les trompettes du linge
déchirées par la violence de leur pro-
pos :
un parfum d’essence sternutatoire
*
L’herbe aux rotules immobiles.
*
Le bouton d’un chaume énergique
se fend en œillet
o fendu en Œ
O! Bouton d’un chaume énergique
fendu en ŒILLET !
L’herbe, aux rotules immobiles
ELLE Ô vigueur juvénile
L aux apostrophes symétriques
o l’olive souple et pointue
dépliée en Œ, l, deux L, E, T
Languettes déchirées
Par la violence de leur propos
Satin humide satin cru
etc.
(Mon œillet ne doit pas être trop
grand-chose : il faut qu’entre deux
doigts on le puisse tenir.)
Rhétorique résolue de l’œillet.
Parmi les jouissances comportant
leçons à tirer de la contemplation de
l’œillet il en est de plusieurs sortes et
j e veux, graduant notre plaisir, com-
mencer par les moins éclatantes, les plus
terre à terre, les plus basses, les plus
près du sol et les plus solides peut-être,
celles qui sortent de l’esprit en même
temps que sort de terre la petite plante
elle-même…
Cette plante d’abord ne diffère pas
beaucoup du chiendent. Elle s’agrippe
au sol qui paraît en cet endroit à la fois
tôlé et sensible comme une gencive que
percent des canines pointues. Si l’on
cherche à extraire la petite touffe l’on
n’y parvient pas sans difficulté, car
l’on s’aperçoit qu’il y avait là-dessous
une sorte de longue racine soulignant
horizontalement la surface du sol, une
longue volonté de résistance très tenace,
relativement très considérable. Il s’agit
d’une espèce de corde fort résistante et
qui déroute l’extracteur, le force à
changer la direction de son effort. C’est
quelque chose qui ressemble fort à la
phrase par laquelle j’essaie « actuel-
lement » de l’exprimer, quelque chose
qui se déroule moins qu’elle ne s’arra-
che, qui tient au sol par mille radicules
adventices – et dont il est probable
qu’elle cassera net (sous mon effort)
avant que raie pu en extraire le prin-
cipe. ConnaIssant ce danger je le risque
vicieusement, sans vergogne, à différen-
tes reprises.
Assez là-dessus, n’est-ce pas? Lâchons
la racine de notre œillet.
Nous la lâcherons, certes, mais,
revenus à un état d’âme plus tranquille,
nous nous demanderons pourtant, avant
de laisser nos regards monter vers la
tige – nous asseyant dans l’herbe par
exemple non loin de là, et la contem-
plant sans plus y toucher -, les raisons
de cette forme qu’elle a prise : pourquoi
une corde, et non un pivot ou une sim-
ple arborescence souterraine comme les
racines d’habitude?
Nous ne devons pas céder en effet à
la tentation de croire que ce soit seu-
lement pour nous causer les tracas que
je viens de décrire que l’œillet se
comporte ainsi.
Mais on peut déceler peut-être dans
le comportement du végétal une volonté
d’enlacer, de ficeler la terre, d’en être
la religion, les religieux – et par consé-
quent les maîtres.
Mais revenons à la forme de ces
racines. Pourquoi une corde plutôt qu’un
pivot ou qu’une arborescence comme
les racines ·d’habitude?
Il peut y avoir eu, au choix de cc
style, deux raisons, valables l’une ou
l’autre selon qu’on décidera qu’il s’agit
d’une racine aérienne ou d’une tige
rampante au contraire.
Peut-être, s’il s’agit d’un arbuste atro-
phié, d’un arbuste las et sans force et
sans assez de foi pour s’élever vertica-
lement du sol, peut-être quelque expé-
rience millénaire lui aura-t-elle appris
qu’il valait mieux réserver son altitude
à sa fleur.
Ou peut-être cette plante doit-elle
conduire à travers une vaste étendue de
terrain la quête des rares prmCIpes
convenables à la nourriture de l’exi-
gence particulière qui aboutit à sa fleur?
L’ampleur même de ces paragraphes
consacrés à la seule racine de notre
suj et répond à un souci analogue, sans
doute… mais voici la mesure atteinte.
Sortons de terre à cet endroit choisi…
*
Ainsi, voici le ton trouvé, où l’indif-
férence est atteinte.
C’était bien l’important. Tout à partir
de là coulera de source. . . une autre fois.
Et je puis aussi bien me taire.
Roanne, 1941-Paris, 1944.
LE MIMOSA
Le génie et la gaieté produisent assez sou-
pent ces petits enthousiasmes soudains.
Fontenelle.
LE MIMOSA
Sur fond d’azur le VOICI, comme un
personnage de la comédie italienne, avec
un rien d’histrionisme saugrenu, pou-
dré comme Pierrot, dans son costume à
pois jaunes, le mimosa.
Mais ce n’est pas un arbuste lunaire :
plutôt solaire, multisolaire…
Un caractère d’une naïve gloriole,
vite découragé.
Chaque grain n’est aucunement lisse,
mais, formé de poils soyeux, un astre
si l’on veut, étoilé au maximum.
Les feuilles ont l’air de grandes plu-
mes, très légères et cependant très
accablées d’elles-mêmes ; plus atten-
drissantes dès lors que d’autres palmes,
par là aussi très distinguées. Et pourtant,
il y a quelque chose actuellement de
vulgaire dans l’idée du mimosa ; c’est
une fleur qui vient d’être vulgarisée.
. . . Comme dans tamaris il y a tamis,
dans mimosa il y a mima.
*
Je ne choisis pas les sujets les plus
faciles :
voilà pourquoi je choisis le
mimosa.
Comme c’est un sujet très
difficile il faut donc que j’ouvre un
cahier.
Tout d’abord, il faut noter que le
mimosa ne m’inspire pas du tout. Seu-
lement, j’ai une idée de lui au fond de
moi qu’il faut que j’en sorte parce que
je veux en tirer profit. Comment se
fait-il que le mimosa ne m’inspire pas
du tout alors qu’il a été l’une de
mes adorations, de mes prédilections
enfantines? Beaucoup plus que n’im-
porte quelle autre fleur, il me donnait
de l’émotion. Seul de toutes il me pas-
sionnait. Je doute si ce ne serait pas
par le mimosa qu’a été éveillée ma sen-
sualité, si elle ne s’est pas éveillée aux
soleils du mimosa. Sur les ondes puis-
santes de son parfum je flottais, extasié.
Si bien qu’à présent le mimosa , chaque
fois qu’il apparaît dans mon intérieur,
à mon entour, me rappelle tout cela et
fane assitôt.
Il faut donc qu e j e remercie le mimosa.
Et p uisque j ‘ écris , il serait inadmissible
qu’il n’y ait pas de moi un écrit sur le
mImosa.
Mais vraiment, plus je tourne autour
de cet arbuste, plus il me paraît que j’ai
choisi un suj et difficile. C’est que j’ai
un· très grand respect pour lui, que je
ne voudrais pas l e traiter à la légère
(étant donné surtout son extrême sen-
sibilité) . Je ne veux l’approcher qu’avec
délicatesse
. . .Tout ce préambule, qui pourrait
être encore longuement pourSUIVI,
devrait être intitulé : « Le mimosa et
moi. » Mais c’est au mimosa lui-même
– douce illusion! qu’il faut main-
tenant en venir ; si l’on veut, au mimosa
sans mm…
*
Nous dirons plutôt qu’une fleur, une
branche, un rameau, peut-être même
une plume de mimosa.
Aucune palme ne ressemble plus à
une plume, à de la plume jeune, à ce
qui est entre le duvet et la plume.
Sessiles à ces branches, de nombreuses
petites boules, pompons d’or, houp-
pettes de duvet poussin.
Les minuscules poussins d’or du
mimosa, pourrions-nous dire, les grains
gallinacés, les poussins vus à deux kilo-
mètres du mimosa.
L’hypersensible palmeraie-plumeraie,
et se s poussins d’or à deux kilomètres.
Tout cela, vu à la lunette d’approche,
embaume.
*
Peut-être, ce qui rend si difficile mon
travail, est-ce que le nom du mimosa
est déjà parfait. Connaissant et l’arbuste
et le nom du mimosa, il devient difficile
de trouver mieux pour définir la chose
que ce nom même.
Il semble qu’il lui soit parfaitement
appliqué, que la chose ici ait déjà touché
des deux épaules…
Mais non! Quelle idée! Puis, s’agit-il
tellement de le définir?
*
N’est-il pas beaucoup plus urgent
d’insister, par exemple, sur le caractère
à la fois glorieux et doux, caressant,
sensible, tendre du mimosa? Il Y a de
la sollicitude dans son geste et son
exhalation. L’une et l’autre sont des
épanchements, au sens qu’en donne
Littré : communication de sentiments
et de pensées intimes.
Et de la déférence: condescendance
mêlée d’égards et dictée par un motif
de respect.
Tel est le tendre salut de sa palme.
Par là peut-être voulant faire excuser
sa gloriole.
*
Bosquet de plumes grises aux der-
rières d’autruches. Des poussins d’or
s’y dissimulent (mal), sans cachotterie.
*
Accessoire de cotillon, accessoire de la
comédie italienne. Pantomime, mimosa.
Un fervent de l a pantomime osa
Enfer! Vendre la pente aux mimosas.
(Ex-martyr du langage, on me per-
mettra de ne le prendre plus tous les
jours au sérieux. Ce sont tous les droits
qu’en ma qualité d’ancien combattant
– de la guerre sainte – je revendique.
– Non, vraiment! Il doit y avoir un
juste milieu entre le ton pénétré et ce
ton canaille.)
*
Embaume cette page, ombrage mon
lecteur, rameau léger aux plumes retom-
bantes, aux poussins d’or!
Rameau léger, gratuit, à floraison
nombreuse.
Plumets découragés, poussins d’or.
*
Épanouies, les boulettes du mimosa
dégagent un parfum prodigieux puis se
contractent, se taisent : elles ont vécu.
Je dirai que ce sont fleurs de tribune
(ou encore une fois : de tréteaux).
Qu’elles ont des qualités de poitrine,
d’ut de poitrine. Leur parfum porte
loin. Elles sont unanimement écoutées
et applaudies, par la foule narines bées.
Le mimosa parle à haute et intelli-
gible voix ; il parle d’or.
C’est une bonne action répandue, un
don gratuit et agréable à recevoir.
Le mimosa et sa bonne action spéci-
fique.
Mais ce n’est pas un discours qu’il
tient, c’est une note prestigieuse; tou-
jours la même, assez capable de persua-
SIOn.
*
Le mimosa (poème en prose). – D’hy-
persensibles plumes à poussins d’or l’ave-
nue a deux kilomètres dont un seul brin
vu à la lunette d’approche embaume la
maison.
Épanouies, les boulettes du
mimosa dégagent un parfum prodigieux
puis se contractent elles ont vécu.
Sont-ce ‘fleurs de tribune? Leur parole,
unanimement écoutée et applaudie par
la foule narmes bées, porte loin
(( M Iraculeuse
MOmentanée
SAtisfaction !
MInute
MOusseuse
SAfranée ! »
Peignes découragés par la beauté
des poux d’or qui naissent de leurs
dents ! Basse-cour haute-cour d’autru-
ches enracinées, jaillissantes de poussins
d’or! Brève fortune, jeune millionnaire
la robe épanouie, liée par le bas, agitée
en bouquets! Houppette neuve, faibles
poussins de cygne, douce au contact et
très fort parfumée ! Geyser de plumes
poussinantes ! Panaches, de soleils sou-
tenables constellés!… Et décorés à pois
de soleils soutenables! Orgueil souple
et retombant avec déférence pour lui-
même comme pour les spectateurs.
– La floraison est un paroxysme.
La fructification est déj à sur le chemin
du retour.
L’enthousiasme (qui est beau par
lui-même) porte ses fruits (qui sont bons
ou mauvais).
La floraison est une valeur esthé-
tique, la fructification une valeur
morale : l’une précède l’autre.
– Le bon est la conséquence du
beau. L’utile (graine) est la conséquence
du bon.
– Le bon peut être aussi beau que
le beau (oranges, citrons) . L’utile est
le plus souvent esthétiquement mo-
deste.
La fleur est le paroxysme de la
jouissance de l’individu.
– Le fruit n’est que l’enveloppe, le
protecteur, le frigidaire, l’humidaire de
la graine.
La graine est le joyau spécifique,
c’est la chose, le rien.
– La graine qui n’a l’air de rien est
– en effet – la chose. »
*
Au paroxysme de sa propre jouissance
spécifique et de la satisfaction visuelle
et olfactive qu’il cause, le panache du
mimosa retombe et les soleils qui le
constellent se contractent et jaunissent :
ils ont vécu.
Vision paradisiaque, bosquet de
nobles autruches empêchées, par quel
scrupule s’éteignent-elles, montrent-elles
tant de découragement?
– Par déférence pour elles-mêmes et
pour les spectateurs : oh! pardon, sem-
blent-elles dire, de nous être si ostensi-
blement réjouies ! D’avoir si ostensible-
ment joui…. Bosquet de fumées
végétales… Le mimosa ne se concevrait-
il pas lui-même comme une fumée, un
encens? Et ne serait-il pas découragé par
son poids et sa fixité?
*
Il Y a foule de poussins d’or
sur l’avenue bosquet d’hypersensibles
plumes
Il y a foule de poussins d’or
entre deux infinis d’azur
piaillant la note complémentaire.
*
Parvenu à ce point, j’allai à la bibliothèque consulter le Littré, la Grande
Encyclopédie, le Larousse :
Paroxysme, de ‘ltOCp&, indiquant l’ad-
jonction – et oçùve v, rendre aigre. La
plus forte intensité d’un accès, d’une
douleur.
Paroxyntique, les jours paroxyn-
tiques : les j ours où les paroxysmes
ont lieu.
Enthousiasme, de ÈV, en et 6eoc;, dieu.
Premier senS : fureur divine : état phy-
sique désordonné comme celui des sibyl-
les qui rendaient leurs oracles en pous-
sant des cris, écumant, roulant des
yeux.
Geyser : non, ne convient pas.
Mimosa, s. f. (mais d’après les bota-
nistes s. m.) : nom latin d’un genre de
légumineuses dont la plus connue est la
sensitive (mimosa pudica). Étymolo-
gle : VOIr mlmeux.
Mimeux : se dit des plantes qui, lors-
qu’on les touche, se contractent. Les
plantes mimeuses. Étym. : de mimus,
parce qu’en se contractant ces plantes
semblent représenter les grimaces d’un
mIme.
Eumimosa. Ce curIeux petit arbuste
aime la pleine lumière et des arrosages
fréquents en été. Fleurs petites, sessiles.
Inflorescences ressemblant à des houp-
pes soyeuses à cause du très grand nom-
bre de longues étamines qui les hérissent.
Floribonde.
Mimosées. Cette famille forme le pas-
sage des légumineuses aux rosacées.
*
1er al’ril l941•
Petits soleils déjà trop tolérables
jaunissant encore, ils ont vécu.
*
Le Brin de mimosa (poésie) .
A tue-tête, à décourage-feuilles,
Les poussins d’or du mimosa
Entre deux infinis d’azur
Piaillent la note complémentaire.
*
Non, hélas ! Ce n’est pas encore à
propos du mimosa que je ferai la
conquête de mon mode d’expression.
Je le sais trop déj à, je me suis trop
essayé sur de trop nombreux feuillets
blancs.
Mais si du moins j’ai gagné quelque
chose à ce propos, je ne veux pas le
perdre.
Il ne me reste q u’ un procédé. Il faut
que je prenne le lecteur par la main,
que je sollicite de sa part une assez
longue complaisance, le suppliant de se
laisser conduire au risque de s’ennuyer
par mes longs détours, en lui affirmant
qu’il goûtera sa récompense lorsqu’il ,se
trouvera enfin amené par mes soins au
cœur du bosquet de mimosas, entre
deux infinis d’azur.
*
Les Vmûtés complémentaires (poésie).
A tue-tête à foison à décourage-plumes
Les poussins du mimosa
Sur la côte d’azur piaillent d’or.
Variante.
Floribonds, à tue-tête, à décourage-
plumes
Entre deux blocs indéfinis d’azur
Pépiaillent d’or cent glorioleux pous-
SInS.
*
A utre.
o glorieux naïfs que nous fûmes
Éclos sous l’azur oméga
A tue-tête et à navre-plumes
Les poussins d’or du mimosa.
*
Autre.
D’autant qu’une fidèle assistance d’azur
Narine bée inspire leurs oracles
Floribonds à tue-tête à décourage-
plumes
Les poussins du mImosa piaillent d’or.
*
6 avril, 3 heures du niatin.
Quand on apporte du mimosa, c’est
presque comme si l’on apportait (une
surprise !) le soleil lui-même. Comme un
rameau bénit (le rameau bénit du culte
de Râ). Comme une petite torche allu-
mée. Les torchères du mimosa…
(Il est trois heures du matin et nous
voici, comme par hasard, au dimanche
des Rameaux 1941 .)
. . . Comme par exemple s’il avait plu,
qu’on ait l’idée d’apporter une branche
constellée de gouttelettes, eh bien ! le
mimosa c’est la même chose : i l y est
accroché du soleil, de l’or.
Je songe que Debussy avait là un
sujet tout à fait à sa mesure.
*
Dais,- ombrelles, chasse-mouches.
A ce point d e ma recherche je décidai
de retourner au Littré, d’où je retins ce
qui suit :
Autruche : le plus gros des oiseaux
connus, et à cause de sa grandeur inca-
pable de voler.
Floribond : ce mot ne figure pas au
Littré. Il figurera donc dans les éditions
futures.
Il y a un échassier (genre grue) du
nom de florican.
Faire florès, c’est fleurir.
Florilège : 10 Synonyme d’anthologie.
2° Titre de quelques ouvrages qui trai-
tent de plantes remarquables par la
beauté de leurs fleurs.
Houppe : Assemblage de fils de
laine, de soie, formant un bouquet, une
touffe. 2° Terme de zoologie : flocon de
plumes que certains oiseaux… Petite
touffe étalée de poils … 50 Anatomie :
houppes nerveuses, papilles. – Graine
houppée : qui est disposée en façon de
houppes.
La houppée, terme de marine : écume
légère du choc de deux vagues.
Panache : faisceau de plumes qui,
goliées par le bas, voltigent par le haut,
forment une espèce de bouquet (de
penna, plume).
« Qu and le paon met au vent son
panache pompeux. »
(D’Aubigné.)
Paradis; grands parcs, jardins déli-
cieux. Les parcs des rois achéménides
(Renan). Mot persan.
Oiseau de paradis : à longues plumes
effilées (tiens !)
Paradis des jardiniers : saule pleureur
(tiens, tiens !).
Pompe, pompons, Pompadour, rococo.
Poussin : de pullicenus, diminutif de
pullus : poule (poulet nouvellement
éclos).
Le mot poussinée existe : troupe de
pOUSSInS.
Poussinières : nom vulgaire de la cons-
tellation des Pléiades.
Inutile de dire que j’ai considéré ces
trouvailles comme, en faveur de ce que
j’avais écrit, un bouquet de preuves
a posteriori.
*
Ainsi, après avoir beaucoup tourné
autour de cet arbuste, m’être égaré sou-
vent, avoir plus souvent désespéré que
joui, l’avoir plus dénaturé qu’obéi en
reviens-j e (me trompé-je encore?) à
considérer la qualité caractéristique du
mimosa comme celle-ci : « glorioleux,
vite découragé ».
Mais voulant y mettre plus de nuan-
ces, j’ajouterai encore ceci:
1 . Chaque branche de mimosa est un
perchoir à petits soleils tolérables, à
petits enthousiasmes soudains, à joyeu-
ses petites embolies terminales. (Oh!
qu’il est difficile d’approcher de la carac-
téristique des choses !) Il est réjouissant
de voir un être en développement abou-
tir par un si grand nombre de ses extré-
mités à de pareils et éclatants succès.
Comme dans un feu d’artifice réussi les
fusées se terminent en éclatements de
soleils.
Cela est plus vrai du mimosa que des
autres plantes ou arbustes à fleurs,
parce que vraiment aucune autre fleur
n’est aussi simplement une éclosion
comme telle, purement et simplement
un déploiement d’étamines au soleil.
2. Toutes ces papilles turgescentes,
toutes ces petites gloires ne sont pas
encore éteintes, contractées, jaunissan-
tes, mortes que le rameau entier pré-
sente des signes de découragement, de
désespoir.
Disons mieux : au moment même de
la gloire, dans le paroxysme de la florai-
son, le feuillage présente déjà des signes
de désespoir, au moins des indices de
nonchaloir aristocratique. On dirait que
l’expression des feuilles dément celles
des fleurs – et réciproquement.
L’on dit que ces feuillages ressem-
blent à des plumes, mais à quelles
plumes? Seulement à celles des autru-
ches, à celles qui s ervent pour les chasse-
mouches orientaux, à c elles qui ont des
retombées, qui semblent incapables de
se soutenir, à plus forte raison de sou-
tenir en l’air leur oiseau.
3. Mais en même temps ce violent
parfum, qui porte loin ; cet oracle, les
yeux exorbités ; ce violent parfum, pres-
que animal, par quoi il semble que la
fleur s’extravase
Et donc, puisqu’elle s’extravase,
jusqu’au prochain printemps disons-lui
au revoir!
*
Floribonds à tue-tête à décourage-
plumes
D’un bosquet jusqu’au cœur remué par
la simple
Approche sous l’azur d’une mémoire
d’homme
Narine bée inspirant leurs oracles,
Piaillent, pépiaillent d’or un milliard de
pOUSSInS
*
Le Mimosa (variantes incorporées).
Odorants à tue-tête à décourage-plumes
Piaillent, ils piaillent d’or les glorieu,x
pOUSSInS
L’azur narines bées inspire leurs oracles
Par la muette autorité de sa splendeur
Floribonds à tue-tête à démentir leurs
plumes
Déplorant le bosquet offusqué jusqu’au
cœur
Par la violette austérité de ta splen-
deur
Azur narines bées inspirant leurs oracles
Floribonds odorants à décourage-plumes
Piaillent, ils piaillent d’or les glorieux
poussms
*
Le Mimosa.
Floribonds, à tue-tête, à démentir leurs
plumes
Déplorant leur bosquet offensé jusqu’au
cœur
Par la violente austérité de ta splen-
deur,
Azur ! narines bées inspirant leurs oracles,
Piaillent, ils piaillent d’or les glorieux
poussins !
*
__ L E M I M O S A .
FLORIBONDS A TUE-TÊTE A DÉMENTIR
VOS PLUMES
D ÉFAITES D’ U N BOSQUET OFFENS É J US-
,
Q U A U C Œ U R
PAR UNE AUTORITÉ TERRIBLE D E
NOIRCEUR
L’AZU R NAR IN E S BÉES INSPIRANT VOS
ORACLES
PIAILLEZ VOUS PIAILLEZ D’OR GLORIO-
LEUX POUSSINS
Roanne, 191:1.
LE CARNET
DU BOIS DE PINS
A m on ami disparu Michel Pontremoli.
LEUR ASSEMBLÉE
Leurassemblée R E CTIFIA ces arbres
De leur vivant X à fournir du bois mort
L E P L A I S I R D E S BOIS D E P I N S
7 août I940•
Le plaisir des bois de pins :
L’on y évolue à l’aise (parmi ces grands
fûts dont l’apparence est entre le bronze
et le caoutchouc). Ils sont bien débar-
rassés. De toutes les basses branches.
Il n’y a point d’anarchie, de fouillis de
1t d’ b L’ , anes, encom re. on s y aSSIed, s’ y
étend à l’aise. Il règne un tapis partout.
De rares rochers les meublent, quelques
fleurs très basses. Il y règne une
atmosphère réputée saine, un parfum
discret et de bon goût, une musicalité
vibrante mais douce et agréable.
99
Ces grands mâts violets, encore dans
leur gangue de lichens et d’écorces ravi-
nées, feuilletées.
Leurs branches se dépoilent et leurs
troncs se décortiquent.
Ces grands fûts, tous d’une espèce
parfaitement définie. Ces grands mâts
nègres ou tout au moins créoles.
7 août 1940 – Après midi.
Évolutions à pied faciles entre ces
grands mâts nègres ou tout au moins
créoles, encortiqués encore et lichéneux
jusques à mi-hauteur, graves comme le
bronze, souples comme le caoutchouc.
*
(Je ne dirai pas robuste car cet adjectif
revient plutôt à une autre espèce d’ar-
bres.)
*
Point de fouillis de cordes ni de lianes,
point de planches mais des tapis épais
au sol.
100
*
Robuste revient à une autre sorte
d’arbres, mais le pin l’est pourtant, bien
que plus qu’aucun autre il plie et ne
rompe pas…
*
U ne hampe et un cône et des pommes
comques.
8 août 1940.
Parmi la profusion… Au pied de ces
grands mâts nègres ou tout au moins
créoles, aucun imbroglio, nulle gêne de
lianes ni de cordes, nulles planches
lavées au sol, mais un tapis épais.
Du pied à mi-hauteur frisés et liché-
neux…
*
Aucun serpentement de lianes ou de
cordes qui gêne le promeneur parmi la
profusion de ces grands mâts nègres ou
101
créoles, du pied jusqu’à mi-hauteur
encore tout lichéneux.
*
Débarrassés (jusqu’à mi-hauteur) de
leurs branches, à la fois par leur propre
souci exclusivement du faîte vert (du
cône vert à leur faîte) et par la sérieuse
obscurité concertée dans leur foule…
C’est ainsi que les oiseaux eux-mêmes
sont relégués dans les hauteurs.
*
C’est merveilleux, ces tapis de jade,
dans ces régions d’où il eût semblé que
tout intérêt végétal se désaffectât, où
toutes les branches basses s’abattirent
mortes en masse.
*
Le pin n’est-il pas l’arbre qui fait le
plus de bois mort? Qui désaffecte le
plus grand nombre de ses membres, la
plus grande partie de lui-même, qui
‘
s en désintéresse le plus totalement, lui
retirant toute sève au seul profit du
faîte (cône vert) ? D’où cette odeur de
sainteté qui règne aux parages des
troncs . . .
Il ne flambe que par son faîte extrême :
un peu comme une chandelle.
C’est un arbre fort odoriférant, et non
pas seulement par sa fleur.
9 août 1940.
Cela relègue très haut et très doux les
effets du vent, les oiseaux et les ‘papillons
eux-mêmes. Et le concert vibrant de
myriades d’insectes.
*
D’aspect sénile, chenu comme la barbe
des vieillards nègres.
*
On est très bien là-dessous, tandis
qu’aux faîtes il se passe quelque chose
de très doucement balancé et musical,
de très doucement vibrant.
103
*
Il faut qu’à travers tous ces dévelop-
pements (au fur et à mesure caducs,
qu’importe) la hampe du pin persiste et
,
s aperçOIve.
*
Tels mâts du pied jusques à mi-hauteur
Tout frisés, lichéneux comme un vieil-
lard créole,
Sans nulle gêne entre eux de lianes ou de
cordes,
! (Sans planche lisse au sol)
Sans :pla ch s lavées au sol mais des
! (coiffures)
Et :portant au
chapeaux coniques et
l d CIe es
verts
Que traverse le vent, qui tamisent la
lumière …
Non des voiles tendues, mais quelques
fruits serrés
Comme des ananas…
9 août 1940 – Le soir.
Non!
Décidément, il faut que je reVIenne
au plaisir du bois de pins.
De quoi est-il fait, ce plaisir? -Prin-
cipalement de ceci : le bois de pins est
une pièce de la nature, ‘faite d’arbres
tous d’une espèce nettement définie;
pièce bien délimitée, généralement assez
déserte, où l’on trouve abri contre le
soleil, contre le vent, contre la visibi-
lité ; mais abri non absolu, non par iso-
lement. Non ! C’est un abri relatif. Un
abri non cachottier, un abri non mes-
quin, un abri noble.
C’est un endroit aussi (ceci est parti-
culier aux bois de pins) où l’on évolue
à l’aise, sans taillis, sans branchages à
hauteur d’homme, où l’on peut s’éten-
dre à sec, et sans mollesse, mais assez
confortablement.
Chaque bois de pins est comme un
sanatorium naturel, aussi ün salon de
musique… une chambre, une vaste cathé-
drale de méditation (une cathédrale
sans chaire, par bonheur) ouverte à tous
105
les vents, mais par tant de portes que
c’est comme si elles étaient fermées. Car
ils y hésitent.
*
o respectables colonnes, mâts séniles !
Colonnes âgées, temple de la caducité.
*
Rien de riant, mais quel confort salu-
bre, quelle températion des éléments,
quel salon de musique sobrement par-
fumé, sobrement adorné, bien fait pour
la promenade sérieuse et la méditation.
*
Tout y est fait, sans excès, pour
laisser l’homme à lui seul. La végétation,
l’animation y sont reléguées dans les
hauteurs. Rien pour distraire le regard.
Tout pour l’endormir, par cette multipli-
cation de colonnes semblables. Point
d’anecdotes. Tout y décourage la curio-
sité. Mais tout cela presque sans le vou-
loir, et au milieu de la nature, sans
séparation tranchée, sans volonté d’iso-
lation, sans grands gestes, sans heurts.
Par-ci, par-là, un locher solitaire
aggrave encore le caractère de cette
solitude, force au sérieux.
*
o sanatorium naturel, cathédrale heu-
reusement sans chaire, salon de musique
où elle est si
1 discrète
douce et reléguée
dans les hauteurs (à la fois si sauvage et
si délicate), salon de musique ou de
méditation – lieu fait pour laisser
l’homme seul au milieu de la nature, à
ses pensées, à poursuivre une pensée
Pour te rendre ta politesse, pour
imiter ta délicatesse, ton tact (instinc-
tivement j e suis ainsi) – j e ne dévelop-
perai à ton intérieur aucune pensée qui
te soit étrangère, c’est sur toi que je
méditerai :
« Temple de la caducité, etc. »
*
« Je crOIS que J e commence à me
rendre compte du plaisir propre aux
bois de pins. »
12 août 1940.
Une infinité de cloisonnements et de
chicanes fait du bois de pins l’une des
pièces de la nature les mieux combinées
pour l’aise et la méditation des hommes.
Point de feuilles s’agitant. Mais au
vent comme à la lumière tant de fines
aiguilles sont opposées qu’il en résulte
une températion et comme une défaite
presque complète, un évanouissement
des qualités offensives de ces éléments et
une émanation de parfums puissants.
La lumière, le vent lui-même y sont
tamisés, filtrés, freinés, rendus bénins et
à proprement parler inoffensifs. Alors
que les bases des troncs sont parfaite-
ment immobiles, les faîtes sont seule-
ment balancés …
12 août 1940 – Le soir.
Le bois de pins est aussi une sorte de
hangar, il est bâti comme un hangar,
un préau, ou une halle (hall).
108
Mâts séniles coiffés de toupets coni-
ques verdoyants. A propos de toupets,
les sapins sont des toupies vert foncé
(mais c’est une autre histoire).
*
Halle aux aiguilles o d o riférantes, aux
épingles à cheveux végétales, audito-
rium de myriades d’insectes, ô temple de
la caducité (caducité des branches et
des poils) dont les cintres audito-
rium solarium de myriades d’insectes
sont supportés par une forêt de mâts
séniles tout frisés, lichéneux comme des
vieillards créoles. . .
Lente fabrique de bois, de mâts, de
poteaux, de perches, de poutres.
Forêt sans feuilles, odoriférante
comme le peigne d’une rousse.
*
Vis je, insecte, au milieu de la brosse
o u du p eigne odoriférant d ‘ une géante. . . ?
Forêt dont les houppes se dépoi-
lent.
lOg
*
Si les feuilles ressemblent à des plu-
mes, les aiguilles de pins ressemblent
plutôt à des poils.
*
Poils durs comme des dents de peigne.
Poils de brosse mais durs comme des
dents de peigne.
Vis-je au milieu de la brosserie
(brosse, peigne et cheveux) d’une odo-
riférante géante rousse… Et musique,
vibrante aux cintres, de myriades d’in-
sectes, million d’étincelles animales
(pétillement) … ?
. . . Tandis qu’un de ses fins mouchoirs
flotte au ciel bleu par-dessus.
13 août 194i – Matin.
Tâchons de nous résumer. Il y a :
L’aisance
a) de la promenade:
pas de basses branches
pas de hautes plantes
pas de lianes.
Tapis épais. Quelques rochers les meu-
blent.
b) et de la méditation:
températion de la lumière,
du vent.
Parfum discret.
Bruits, musique discrète.
Atmosphère saine.
Vie à la cantonade.
Doux accompagnement musical en
sourdine.
Évolutions aisées, parmi tant de
colonnes, d’un pas presque élastique,
sur ces tapis épais faits d’épingles à
cheveux végétales. Labyrinthe aisé.
Qu’on se promène à l’aise au milieu
de ces colonnes, de ces arbres si bien
débarrassés de leurs branches caduques !
13 aO llt 1940 – Après midi.
Il se forme, grandit et épaissit inces-
samment sur le même type, en de nom-
breux endroits du monde, des bâtiments
I I I
plus ou moins vastes dont j e valS
essayer de décrire un modèle :
Ils comportent un rez-de-chaussée très
haut de plafond (quoique ce dernier
terme soit impropre) , et au-dessus une
infinité d’étages, ou plutôt une char-
pente compliquée à l’extrême qui cons-
titue étages supérieurs, plafond et toi-
ture.
Pas plus de murs que de toit à pro-
prement parler : ils tienne n t plutôt de
la halle ou du préau.
Une infinité de colonnes supportent
cette absence de toiture.
I7 ao ût I940.
J’ai relu les noms d’Apollinaire, Léon-
Paul Fargue. . . et j ‘ai honte de l’acadé-
misme de ma vision : manque de ravis-
sement, manque d’originalité. Ne rien
porter au jour que ce que je suis seul à
dire. – En ce qui concerne le bois de
pins, je viens de relire mes notes. Peu
de choses méritent d’être retenues. Ce
qui importe chez moi, c’est le sérieux
avec lequel j’approche de l’objet, et
112
d’autre part la très grande justesse de
l’expression. Mais il faut que je me
débarrasse d’une tendance à dire des
choses plates et conventionnelles. Ce
n’est vraiment pas la peine d’écrire si
c’est pour cela.
Bois de pins, sortez de la mort, de
la non-remarque, de la non-conscience !
Profusion à perte de ! colonnes,
vue, préau de mâts séniles,
coiffés en étages supérieurs et toit d’un
million d’épingles vertes entrecroisées.
Et par terre une épaisseur élastique
d’épingles à cheveux, soulevée parfois
par la curiosité maladive et prudente des
champignons. –
*
Fabrique de bo s mort. (J’entre dans
cette importante fabrique de bois mort.)
Ce qui est agréable Pl-dedans c’est la
parfaite sécheresse. Qui assure vibrations
et musicalité. Quelque chose de métal-
lique. Présence d’insectes. Parfums.
Surgissez, bois de pins, surgissez dans
I I3
la parole. L’on ne vous connaît pas.
– Donnez votre formule. Ce n’est
pas pour rien que vous avez été remar-
qués par F. Ponge…
I 8août I940.
Au mois d’août 1940 je suis entré
dans la familiarité des bois de pins. A
cette époque, ces sortes particulières de
hangars, de préaux, de halles naturelles
ont acquis leur chance de sortir du
monde muet, de la mort, de la non-
remarque, pour entrer dans celui de la
parole, de l’utilisation par l’homme à
ses fins morales, enfin dans le Logos,
ou, si l’on préfère et pour parler par
analogie, dans le Royaume de Dieu.
20 août I940.
Ici, où se dresse une profusion rela-
tivement ordonnée de mâts séniles,- coif-
fés de cônes verdoyants, ici, où le soleil
et le vent sont tamisés par un infini
entrecroisement d’aiguilles vertes, ici où
le sol est couvert d’un épais tapis d’épin-
gles à cheveux végétales : ici se fabrique
114
lentement le bois. En série, industriel-
lement, mais avec une lenteur majes-
tueuse ici se fabrique le bois. Il se
parfait en silence et avec une majes-
tueuse lenteur et prudence. Avec une
assurance et un succès certains aussi. Il
y a des sous-produits : obscurité, médi-
tation, parfum, etc., fagots de moindre
qualité, pommes de pins (fruits serrés
comme des ananas): aiguilles à cheveux
végétales, mousses, fougères, myrtilles,
champignons. Mais, à travers toutes
sortes de développements l’un après
l’autre caducs (et qu’importe), l’idée
générale se poursuit et s’entrevoit la
hampe, le mât : – la poutre, la plan-
che.
Le pin (je ne serais pas éloigné de
dire que) est ridée élémentaire de l’ar-
bre. C’est un l, une tige, et le reste
importe peu. C’est pourquoi il fournit
– de ses développements obligatoires
selon l’horizontale – tant de bois mort.
C’est que seule importe la tige, toute
droite, élancée, naïve et ne divergeant
pas de cet élan naïf et sans remords ni
retouches ni repentirs. (Dans un élan
sans repentir, tout simple et droit.)
Tout évolue aUSSI vers une parfaite
sécheresse…
*
Pénétré-je dans la brosserie (brosses,
peignes aux manches fins ciselés de
lichens , épingles à cheveux) d’une gigan-
tesque rousse, créole, parmi ces enchevê-
trements, ces lourds parfums? Ces gros-
ses pierres par-ci par-là, quittées sur la
tablette de la coiffeuse ? Oui certes , j’y
suis et voilà quine manque pas de charme
ni de sensualité. C’est une grande idée
qu’un poète mineur se fût contenté de
développer.
Mais pourquoi tant de branches mor-
tes cherraient-elles, pourquoi ce massif
dépouillement des troncs, et pourquoi
en conséquence cette aisance de la pro-
menade parmi eux, sans lianes, ni cor-
des, ni plancher lisse, ce tapis épais,
cette obscurité méditative, ce silence?
Parce que le pin n’est-il pas l’arbre qui
fournit le plus de bois mort, qui se désin-
téresse le plus totalement de ses déve-
loppements latéraux passés, etc. ? Ainsi
viens-je à une idée peut-être moins sédui-
I I6
sante d’abord (moins reluisante, moins
cosmétique), mais plus sérieuse et plus
proche de la réalité de mon objet. . . , etc.
21 août 1940.
Parlons simplement : lorsqu’on pénè-
tre dans un bois de pins, en été par
grande chaleur, le plaisir qu’on éprouve
ressemble beaucoup à celui que procure-
rait le petit salon de coiffure attenant à
la salle de bains d’ u ne sauvage mais
noble créature. Brosserie odoriférante
dans une atmosphère surchauffée et
dans les vapeurs qui montent de la bai-
gnoire lacustre ou marine. Cieux comme
des morceaux de miroirs à travers les
brosses à longs manches fins tout ciselés
de lichens. Odeur sui generis des che-
veux, de leurs peignes et de leurs épin-
gles. Transpiration naturelle et parfums
hygiéniques mélangés. Laissées sur la
tablette de la coiffeuse, de grosses pierres
ornementales par-ci par-là, et dans les
cintres ce pétillement animal, ce million
d’étincelles animales, cette vibration
musicale et chanteuse.
A la fois brosses et peignes. Bro ss es
dont chaque poil a la forme et le bril-
lant d’une dent de peigne.
Pourquoi a-t-elle choisi des brosses à
poils verts et à manches de bois violets
tout ciselés de lichens vert-de-gris?
Parce que cette noble sauvage est rousse
peut-être, qui se trempera ensuite dans
la baignoire lacustre ou marine voisine.
e’est ici le salon de coiffure de Vénus,
avec l’ampoule Phébus insérée dans la
paroi de miroirs.
Voilà un tableau dont je ne suis pas
mécontent, parce qu’il rend bien compte
d’un plaisir que chaque homme éprouve
lorsqu’il pénètre en août dans un bois
de pins. Un poète mineur, voire un
poète épique s’en contenterait peut-être.
Mais nous sommes autre chose qu’un
poète et nous avons autre chose à dire.
Si nous sommes entrés dans la fami-
liarité de ces cabinets particuliers de la
nature, s’ils en ont acquis la chance de
naître à la parole, ce n’est pas seulement
pour que nous rendions anthropomor-
phiquement compte de ce plaisir sen-
suel, c’est pour qu’il en résulte une
co-naissance plus sérieuse.
Allons donc plus au fond.
F O R M ATIO N
D’ UN ABCÈS POÉTIQUE
22 août 1940.
L’hiyer : Temple de la caducité.
Rongées de lichens les basses bran-
ches sont déchues. Et point d’encombre
à mi-hauteur. Point de serpentement
de lianes ni de cordes. L’on évolue à
l’aise entre ces mâts séniles (tout fri-
sés, lichéneux tels des vieillards créoles),
dont les tignasses sont emmêlées dans
les hauteurs.
En août : C’ cst, tout entourée de
miroirs, une halle aux épingles à che-
veux odoriférantes, soulevées parfois
par la curiosité maladive et prudente
des champignons ; une brosserie aux
longs manches de bois pourpre ciselés,
aux poils verts, choisie par la noble et
sauvage rousse qui sort de la baignoire
I Ig
lacustre ou marine fumante au bas-côté.
Variante.
Temple de la caducité ! L’hifJer, ron-
gées de lichen;s, les basses branches
sont déchues. Et point d’encombre à
mi-hauteur, point de serpentements de
lianes, ni de cordes. L’on évolue à
l’aise entre ces mâts séniles dont les
tignasses ne s’entremêlent qu’aux cieux.
En août, c’est, tout entourée de mi-
roirs, une halle aux épingles à cheveux
odoriférantes (soulevées parfois après
quelque pluie par la curiosité maladive
et prudente des champignons) une
brosserie aux longs manches ciselés,
aux poils verts, pour la flamboyante
créature qui sort de la baignoire marine
ou lacustre fumante au bas-côté.
24 août 1940.
Expressions simples et justes à retenir
du bois de pins:
Lente fabrique de bois.
120
*
Le pin n’est-il pas l’ arbre qui fournit
le plus de bois mort?
*
Une épaisseur élastique au sol d’é-
pingles à cheveux odoriférantes dont la
sécheresse est soulevée parfois après
quelque pluie par la curiosité maladive
des champignons.
*
. . . Et point de feuilles s’agitant entre
ces mâts séniles dont les toupets coni-
ques s’entremêlent aux cieux.
*
Mots à chercher dans Littré :
(j’en suis à ce point) 1
Caduc : qui est sur le point de tomber.
J. J’étais, à La Suchère, sans moyen de me
procurer un Littré. Je notai donc seulement
les mots à chercher. Ce que j’ai retenu des
Caducité : défaut de persistance d’une
partie.
Fournaise : 1 0 grand feu ; 20 feu très ar-
dent; 3° par exagération, lieu très
échauffé.
Cosmétique : même origine que cosmos :
monde, ordre, parure.
Encombre : accident qui empêche, mais
vient de inco m brum : amas de bois
abattu (voilà une confirmation magni-
fique) .
Serpentement : vu.
Lichen : végétaux agames dont la vie
est interrompue par la sécheresse.
Halle, halliers : vu .
Élastique : qui revient à sa première
forme.
Champignon : qm vient dans les lieux
champêtres (étym.).
Brosserie : non. Brossailles. Broussailles.
Négligentes : de nec legere, ne .pas pren-
dre, ne pas cueillir. Convient mal.
définitions du Littré n’a été inscrit en face de ces
mots que plusieurs semaines plus tard, vers la
fin septembre.
122
*
C’est avant tout une lente fabrique
de bois.
*
Il faut qu’à travers tous les dévelop-
pements latéraux successifs – au fur
et à mesure lichéneux et caducs qu’im-
porte (par superposition exagérée de
lichens) la hampe s’aperçoive, qui
persiste à la faveur du seul et de plus
en plus excelsior toupet conique qui
dresse plusieurs fois sept candélabres
aux cieux.
*
Hangar surchauffé
Antre cosmétique en été
Halle aux épingles à cheveux odorifé-
rantes, où parmi toute sa brosserie à
poils verts, à longs manches ciselés,
sèche aussitôt la noble et sauvage
rousse qui sort de la baignoire marine
ou lacustre fumante au bas-côté.
*
Halle surchauffée en été, tout entou-
rée de miroirs où sur une épais-
seur élastique au sol d’épingles à che-
veux odoriférantes, parmi toute une
brosserie aux longs manches de bois
pourpre ciselés, aux poils verts, vient
sécher aussitôt la noble et sauvage
rousse qui sort de la baignoire marine
ou lacustre fumante au bas-côté.
25-26 août 1940.
Halle surchauffée en été. Halliers
élémentaires tout entourés de miroirs.
A la pénombre surchauffée d’une bros-
serie nombreuse aux poils verts, aux
longs manches de bois pourpre ciselés,
sèche aussitôt sur l’épaisseur élastique
au sol d’épingles à cheveux odorifé-
rantes toute forme qui sort de la bai-
gnoire marine ou lacustre fumante au
bas-côté.
*
Le bois de pins.
Alpestre brosserie entourée de mIrOIrs
Aux manches de bois pourpre haut
touffus de poils verts
Dans ta pénombre chaude entaohée de
soleil
Vint se coiffer Vénus sortant de la bai-
gnOIre
Ou marine ou lacustre au bas-côté
fumante…
D’où l’épaisseur au sol élastique et ver-
meille
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
gentes
– Et mon plaisir aussi d’y goûter
mon sommeil
Et cette écharpe oblique au tissu sans
sommeil
Flotte une oblique écharpe au
tissu sans sommeil.
*
Variante.
L’alpestre brosserie – entourée de mi-
rOIrS –
Aux manches de bois pourpre haut
touffus de poils verts…
Sur l’épaisseur au sol élastique et ver-
meille
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
gentes,
Dans la pénombre chaude entachée de
soleil
Sèche aussitôt la nue sortant de la bai-
gnOIre
Ou marine ou lacustre au bas-côté
fumante
Sous ces rubans tendus au tissu sans
sommeil.
*
Autre.
La haute brosserie entourée de miroirs
Aux manches de bois pourpre aux touf-
fes de poils verts.
Dans son peignoir, pénombre entachée
de soleil,
Sèche aussitôt Vénus sortant de la bai-
gnOIre
Ou marine ou lacustre au bas-côté
fumante
Sur l’épaisseur au sol élastique et ver-
meille
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de têtes négli-
gentes…
Flotte l’écharpe oblique au tissu san!)
sommeil.
*
Un aspect du bois de pins.
L’alpestre brosserie haut touffue de
poils verts
Aux manches de bois pourpre entourés
de miroirs.. .
Dans sa pénombre chaude entachée de
soleil
Vint se coiffer Vénus sortant de la bai-
gnOIre
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante.
D’où l’épaisseur au sol élastique et
vermeille
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
l Et ces rubans tendus au tissu
sans sommeiL
ar.
Vet ces tIS S U S de b l a I S par mou-
ches sans sommeil.
*
Variante.
La haute brosserie, entourée de mI-
rOIrs,
Aux manches de bois pourpre haut
touffus de poils verts. . .
Dans ces peignoirs faits d’ombre enta-
chée de soleil,
Séchez, corps vaporeux issus de la bai-
gnoIre
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante,
Sur l’épaisseur au sol élastique et ver-
meille
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
gentes
ces rubans au tissu sans
sommeil.
Et parmi ces rubans obliques sans
Var. sommeil.
ces tissus obliques sans som-
meil.
28 aQût 1940.
La haute brosserie entourée de miroirs
Aux manches de bois pourpre haut
touffus de poils verts…
Dans un peignoir fait d’ombre entachée
de soleil
Vénus vint s’y coiffer sortant de la bai-
gnOIre
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante…
D’où l’épaisseur au sol élastique et ver-
m eille
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
gentes,
de biais au tissu sans
Et ces rubans som m eil.
Var. tissus d’atomes sans
sommeil.
Et ces flots de rubans au tissu sans
sommeil.
*
Variante.
La haute brosserie haut touffue de poils
verts
Aux manches ciselés entourés de mi-
rOIrs…
Vénus s’y coiffa-t-elle issue de la bai-
gnOIre
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante?
Reste, sur r épaisseur élastique et ver-
meille
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de CImes négli-
gentes,
Un peignoir de pénombre entaché de
soleil,
Obliquement tissu d’atomes sans som-
meil.
*
Autre.
L’antique brosserie, haut touffue de
poils verts,
Aux manches ciselés en.tourés de mi-
rOIrs …
Dans un peignoir fait d’ombre entaché
de soleil,
Vénus s’y escamote, issue de la baignoire
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante.
II ne reste, au tapis élastique et vermeil
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négligentes,
Que des rubans tissus d’atomes sans
sommeil.
*
Autre.
Toute une brosserie haut touffue de poils
verts
Aux manches de bois pourpre entourés
de miroirs
Escamote une forme issue de la bai-
gnOIre
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante
Qui ne laisse au tapis élastique et ver-
meil
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
gentes
Qu’un peignoir de pénombre entachée
de soleil
Obliquement tissu d’atomes sans som-
meil.
*
Autre.
L’alpestre brosserie haut touffue de
poils verts
Aux manches de bois pourpre entourés
de miroirs :
Vénus s’y coiffa-t-elle, issue de la bai-
gnOIre
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante?
Il reste un peignoir d’ombre enta-
chée de soleil
Sur l’ épaisseur au sol élastique et ver-
meille
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
gentes,
Et des .rubans tissus d’atomes sans
sommeil.
*
Autre.
L’alpestre brosserie haut touffue de
poils verts
Aux manches de bois pourpre entourés
de miroirs.
Du corps étincelant sorti de la baignoire
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante,
Sur l’épaisseur au sol élastique et ver-
meille
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
gentes,
Il reste un peignoir d’ombre entachée
de soleil
Obliquement tissu d’atomes sans som-
meil.
*
Autre.
Dans cette brosserie haut touffue de
poils verts
Aux manches de bois pourpre entourés
de miroirs,
De vous, corps radieux issu de la bai-
gnOIre
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante,
Il ne reste au tapis élastique et vermeil
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
gentes,
Qu’un peignoir de pénombre entachée
de soleil
Obliquement tissu d’atomes sans som-
meil.
31 août 1940.
Le soleil dans le bois de pins.
L’alpestre brosserie aux touffes de poils
verts,
Aux manches de bois pourpre entourés
de miroirs…
Que Phœbus s’y présente, issu de la
baignoire
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante,
Il n’ en reste – au tapis élastique et ver-
meil
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
gentes –
Qu’un peignoir de pénombre entachée
de soleil
l Obliquement tissu d’atomes sans
sommeil
V ar.
C onstamIIlent traverse ‘ d e mou-
ches sans sommeil.
*
(Var.)
Que pénombre habitée d’atomes de so-
leil –
Fréquemment traversée de mouches sans
sommeil.
*
Variante.
Par cette brosserie aux touffes de poils
verts,
Aux manches ciselés entourés de mi-
rOIrS,
! De tout corps radieux
Var. Du flamboiement divin issu de
la baignoire
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante
Sur l’épaisseur au sol élastique et ver-
meille
Des épingles à cheveux odoriférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
gentes
Ne reste que pénombre entachée de soleil
Et des rubans tissus d’atomes sans som-
meil.
*
Du soleil dans un bois de pms.
Dans une brosserie haut touffue de poils
verts
Aux manches de bois pourpre entourés
de miroirs
Qu’un corps radieux pénètre issu de la
baignoire
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante
Il n’en reste tissu de mouches sans som-
meil
Sur l’épaisseur au sol élastique et ver-
meille
Des épingles à cheveux odo:riférantes
Secouées là par tant de cimes négli-
gentes
Qu’un peignoir de pénombre entachée
de soleil.
*
Les mouches plaintipes
ou le soleil dans les bois de pins.
Par cette brosserie haut tauffue de poils
verts
Aux manches de bois pourpre entourés
de miroirs
Qu’un corps radieux pénètre issu de la
baignoire
Ou marine ou lacustre au bas-côté fu-
mante
Rien n’en reste au rapport de mouches
sans sommeil
Sur l’épaisseur au sol élastique et ver-
meille
Des épingles à cheveux odoriférantes
138
Secouées là par tant de CImes négli-
gentes
Qu’un peignoir de pénombre entachée
de soleil.
Francis Ponge,
La Suchère, août I940.
*
Variante.
Vers 3e : Du corps étincelant sorti de la
baignoire
Vers 5e : Rien ne reste…
2 septembre 1940.
NOTA BENE
Si l’on adopte cette variante, et te-
nant compte que les distiques PA et
DO et le triolet SDS sont indéforma-
bles, leur ordre et celui des vers R et Q
deviennent à volonté interchangeables,
Q devant toutefois être toujours placé
après R.
139
*
Vo ici les éléments indéformables :
1 Par cette brosserie haut touffue de
poils verts
1
Aux manches de bois pourpre entou-
rés de miroirs
1 Du corps étincelant sorti de la bai-
gnOIre
2 0 u marIne o u lacustre au b as-cote
fumante
1 Rien ne reste au rapport de mou-
3 ches sans sommeil
Sur l’épaisseur au sol élastique et
vermeille
Des épingles à cheveux odorifé-
rantes
4 Secouées là par tant de cimes négli-
gentes
I
5 Qu’un peignoir de pénombre enta-
chée de soleil.
On pourra dès lors disposer ces élé-
ments ad libitum comme suit :
1 2 3 4 5
1 2 4 3 5
1 2 3 5 4
1 3 2 4 5
1 3 5 4 2
1 3 4 2 5
1 3 2 5 4
1 3 5 2 4
1 3 4 5 2 etc.
Toutefois la suite 4-1 est à déconseil-
ler (par tant de cimes négligentes par
cette brosserie…)
TOUT C E LA N’EST PAS SÉRIEUX
Tout cela n’est pas sérieux. Qu’ai-je
gagné pendant ces quinze pages (pp. 119
à 141 ) et ces dix jours? – Pas grand-
chose pour la peine que je me suis don-
née.
Seulement ceci :
1° que le bois de pins est COmme entou-
ré de miroirs, de glaces (mais cela est
noté déjà page 1 I7);
2° l’expression haut touffue qui est
juste ;
3 ° que les épingles à cheveux sont
« secouées là par tant de cimes négli-
gentes », ce qui est assez joli, rend
assez bien compte du balancement pa-
resseux des sommets des pins mais
il me va falloir chercher négligent dans
le Littré… ;
4° l’image du peIgnOIr, le mot de
peignoir qui est juste en parlant de
Vénus, car c’est le vêtement qu’on
met sur ses épaules avant de se peigner;
5 ° entaché, qui est très juste parlant
d’une ombre entachée de soleil, car cela
contient un sens péjoratif, une indica-
tion d’ imperfection du sujet qui est
précieuse ;
6° E T S U RT O U T, l’idée, la prise de
conscience de la réalité suivante : du soleil
à travers le bois de pins il ne reste que
de la pénombre, des rubans obliques
tendus et des mouches sans sommeil.
Si je n’ai gagné que cela en dix jours
de travail ininterrompu et acharné (je
puis bien le dire), c’est donc que j’ai
perdu mon temps. Je serais même tenté
de dire, le temps du bois de pins. Car
après une éternité d’inexpression dans
le monde muet, il est pressé d’être expri-
mé maintenant que je llii en ai donné
l’espoir, ou l’avant-goût.
Pourquoi ce dérèglement, ce déraille-
ment, cet égarement? Je me suis, une
fois de plus après être parvenu au
petit poème en prose des pages 119-
1 20 – souvenu du mot de Paulhan :
143
« Désormais le poème en prose n’est plus
pour toi » et j’ai voulu de ce poème
en prose faire un poème en vers. Alors
que j’aurais dû défaire ce poème en prose
pour intégrer les éléments intéressants
qu’il contenait dans mon rapport objec-
tif (sic) sur le bois de pins.
Paulhan certes avait raison. Mais ici
mon dessein n’est pas de faire un poème,
mais d’avancer dans la connaissance et
l’expression du bois de pins, d’y gagner
moi-même quelque chose au lieu de
m’y casser la tête et d’y perdre mon
temps comme j’ai fait.
N O T E
Il faut en passant que je note un pro-
blème à repenser quand j’en aurai le
loisir : celui de la différence entre
connaissance et expression (rapport et
différence). C’est un grand problème, je
m’en aperçois à l’instant. Petitement,
voici ce que je veux dire : différence
entre l’expression du concret, du visi-
ble, et la connaissance, ou l’expression
de l’idée, de la qualité propre, diffé-
rentielle, comparée du sujet. Pour me
faire mieux comprendre : dans certains
poèmes (tous ratés) : la grenouille, la
danseuse, surtout l’ oisea u, le guêpier,
et ce dernier (le soleil dans le . bois de
pins), je fais de l’expressionnisme (?),
c’est-à-dire que j’emploie après les avoir
retrouvés les mots les plus justes pour
décrire le suj et. Mais mon dessein est
autre : c’est la connaissance du bois de
pins, c’est-à-dire le dégagement de la
qualité propre de ce bois, et sa leçon
comme je disais. Cela me paraît être
deux choses assez différentes, bien qu’or-
dinairement à la limite de perfection de
l’une et de l’autre elles doivent se
rejoindre…
Revenons donc au plus vite à notre
recherche de tout ce que l’on peut dire
à propos du bois de pins et seulement à
son propos.
Ici il Y a encore des distinguo :
Primo, il est évident que le bois ou la
forêt ont une qualité propre et que je
risque souvent de m’égarer en ce sens.
Mais là je ne m’égarerai pas grave-
nient, car le bois de pins possède évidem-
ment toutes les qualités du bois ou de
la forêt en général, plus des qualité
particulières en tant que bois de pins.
Il suffit d’avoir pris conscience de cela
pour ne point trop errer ensuite.
(Si j’erre d’ailleurs dans mon bois de
pins, cela ne sera que demi-mal, cela
sera même bien, car les bois sont évi-
demment des lieux propices à l’errement,
ou à l’errance, il y a du labyrinthe dans
tout bois.)
Secundo, il y a des qualités propres
au pin, et des qualités particulières du
pin en tant que partie d’un bois de pins.
Le pin est différent selon qu’il vit isolé
ou en société. Il est différent aussi selon
qu’il est situé dans l’intérieur ou à la
lisière du bois dont il fait partie. Et
j’aime assez ces pins de l’orée, tenus à
certains sacrifices dans leur partie tour-
née vers le bois, mais libres de ]eur déve-
loppement dans leur partie’ face aux
champs, au vide, au monde non boisé.
Il leur revient la fonction de border
leur société, d’en cacher les arcanes,
d’en cacher le dénuement intérieur (l’aus-
térité, les sacrifices, les manques) par le
développement de leurs parties basses :
il faut qu’ils soient moins sévères pour
1 ! expansions successives
eurs ,
developpements successIfs que
le pin social (entièrement social). Il leur
est permis de conserver la mémoire et
l’exhibition de leurs anciens dévelop-
pements. Ils vivent même par ces bouts-
là autant que par leurs sommets (oh que
je m’exprime mal).
3 septembre I940•
Si les individus de l’orée (orée ou li-
sière : termes à vérifier dans Littré)
cachent assez bien l’intérieur aux re-
gards de l’extérieur, ils ne cachent que
très mal l’extérieur aux regards de l’in-
térieur. Ils se comportent à la façon de
vitraux, ou mieux (car ils ne sont pas
translucides) à la façon d’un vitrage
d’étoffe, ou de pierre, ou de bois sculpté.
Lorsque le bois est suffisamment vaste
ou épais, du cœur l’on n’aperçoit pas le
ciel latéral, il faut avancer vers l’orée,
jusqu’au point où le cloisonnement n’ap-
paraît plus étanche à la vue. Voilà ce
qui serait sublime réalisé dans une ca-
thédrale : une forêt de colonnes telle
que l’on arriverait progressivement à
l’obscurité totale (crypte).
Et c’est pourtant bien à peu près cela
qui est réalisé dans le bois, bien qu’il
n’y ait à la limite aucun mur, que le
monument par tous ses pores respire
en pleine nature, mieux qu’un poumon,
comme des branchies.
L’on pourrait même dire que ce de-
vrait être là le critérium de l’achève-
ment, la borne de ce genre d’architec-
ture : le point où l’obscurité totale
serait réalisée, compte tenu par exem-
ple qu’entre chaque colonne doit être
ménagé un espace de tant, qui permette
une promenade aisée, etc.
En somme, qu’est-ce qu’une forêt? –
A la fois un monument et une société.
(Comme un arbre est à la fois un être
et une statue.) Un monument vivant,
une société architecturale. Mais les ar-
bres sont-ils des êtres sociaux? A remar-
quer que certains arbres sont plus que
d’autres prédisposés à vivre en société.
Par la lourdeur de leurs graines, ainsi
peu transportables par le vent et des-
tinées à tomber au pied du père ou à
très peu de distance. Ainsi notamment
la pomme de pin, le gland du chêne,
tous les arbres à gros fruits : pommiers,
orangers, poiriers, citronniers, abrico-
tiers, amandiers, oliviers, dattiers.
D’autres y sont disposés par l’énorme
quantité de fleurs, donc de graines, si
bien qu’il en reste fatalement un cer-
tain nombre à leurs pieds : je pense aux
acaCIas.
Les arbres à petites baies sont moins
disposés à cela parce qu’évidemment ce
sont les oiseaux qui sont chargés de leur
dissémination : cerisie s, sorbiers, etc.
D’autres sont visiblement prédispo-
sés à la vie plus ou moins solitaire par
le caractère indubitablement éolien de
leurs graines : notamment les érables (en
couples).
En ce qui concerne notre pin, il est
ùonc probablement par nature un arbre
social. A quelle distance est projetée la
graine au moment où la pomme de
pin s’ouvre (le fait-elle brusquement
comme le haricot des genêts voisins) ?
Cette distance, l’a-t-on seulement mesu-
rée? Que résulte-t-il pour le pin de sa
qualité d’arbre social? Dirons-nous des
droits et des devoirs? Pourquoi pas?
Devoirs : celui de restreindre sa ‘ liberté
de développement à celle de ses voisins;
il Y est d’ ailleurs bien forcé par e,ux et
il ne semble pas que la force de l’indi-
vidu compte ici pour beaucoup, mais
son âge évidemment beaucoup : i l y a
une priorité de l’âge, etc.
4 septembre 1940.
Chez le pin, il y a une abolition de ses
expansions successives (chez le pin des
bois spécialement), qui corrige heureu-
sement, qui annule la malédiction habi-
tuelle aux végétaux : devoir vivre éter-
nellement avec le poids de tous ses
gestes depuis l’enfance. A cet arbre
plus qu’à d’autres il est permis de se
séparer de ses développements anciens.
Il a une permission d’oubli. Il est vrai
que les développements suivants res-
semblent beaucoup aux anciens caducs.
Mais qu’à cela ne tienne. La joie est
d’abolir et de recommencer. Et puis
c’est toujours plus haut que cela se
passe. Il semble qu’on ait gagné quel-
que chose.
150
9 septembre 1940.
, rectifia
Leur assemblee mod1fi la ces etres
qui, seuls, se seraient bellement tordus
de désespoir ou d’ennui (ou d’extase),
qui auraient supporté tout le poids de
leurs gestes, ce qui aurait finalement
constitué de très belles statues de héros
douloureux. Mais leur assemblée les
a délivrés de la malédiction végétale.
Ils ont faculté d’abolir leurs ex-
pressions premières, permission d’ou-
blier.
(La sujétion des parties au tout. Oui,
mais quand chaque partie est un être,
un individu : arbre, animal [homme],
ou mot, ou phrase ou chapitre – alors
cela devient dramatique !)
Leur assemblée aussi les protège du
vent, du froid.
Seuls, c’eût été tout ou rien, ou
peut-être successivement l’un puis l’au-
tre : développement parfait jusqu’à
un certain point ou atrophie, empê-
chement de grandir du fait des élé-
ments contraires.
En société le développement est nor-
malisé, de plus cela crée quelque chose
d’autre : le bois.
Quelques-uns ont pu penser que la
solution opti m a serait d’élever les j eunes
pins en pépinières, puis sans d’aii-
leurs en sacrifier aucun – les repiquer
de place en place pour que chacun
prenne alors sa chance complète de
développement.
Il faudrait cependant- les avoir con-
servés en assemblée assez longte m p s
pour qu’ils aient acquis déjà la force et
la rectitude du tronc.
Mais là une question du premier inté-
rêt se pose.
Alors qu’en l’air les branches des pins
se respectent mutuellement, se tien-
nent isolées, ne s’entremêlent pas vi-
cieusement (voilà d’ailleurs qui est assez
curieux, remarquable), en est-il de
même dans la terre de leurs racines?
Serait-il possible de dissocier par la
base une forêt sans amputer dangereu-
sement chaque individu? Qui le sait?
Qui veut me répondre? Cela est néces-
saire à la suite de ma recherche…
*
Mots cherchés après coup dans Littré
Branches : bras (celtique).
Mère branche.
Ne pas s’attacher aux branches (à ce
qui n’est pas l’essentiel)
Branche gourmande : celle qui prend
trop de place.
Branches de charpente : celles qui cons-
tituent la forme de l’arbre et portent
les petites branches et les fruitières.
Proverbe : « Il vaut mieux se tenir au
gros de l’arbre qu’aux branches.
Branchu : qui a beaucoup de branches.
Une idée branchue est qui offre deux
branches, deux alternatives.
« Croyez-vous que cette idée bran-
chue et affreuse de l’une ou l’autre de
ses branches… » (Saint-Simon.)
Halle : 1 0 place publique généralement
couverte ; 20 bâtiment ouvert à tous
les vents. Étym. : Ralla, temple (aIl.).
Il paraît y avoir eu confusion dans
l’ancien français entre halle et le
latin aula (cour).
153
Hallier : réunion de buissons fort épais
(Buffon dit : lieux anciennement dé-
frichés et qui ne sont couverts que de
petites broussailles). Bas latin : hasla :
branche.
Hangar : remise ouverte de différents
côtés et destinée à recevoir les outils.
De angaros : courrier (ange, mot per-
san). Lieux où s’arrêtaient les cour-
riers (ou les anges !).
Fournilles : ramilles et branchages
provenant de la coupe des taillis ou
gaulis et propres à chauffer les
fours.
Gaulis : branches d’un taillis qu’on a
laissé croître. Branches qui arrêtent
les chasseurs courant dans l’épais-
seur des bois.
Touffe, touffu : vu.
Cimes : de cuma, tendron, de x?joo : être
gonflé par ce qui est engendré (la
jeune pousse).
Peignoir : oui, manteau qu’on met pour
se peIgner.
Taché : vu.
Entaché : peut se prendre dans un sens
favorable, vu que tache se dit de qua-
lités.
154
Pénombre : 1 ° terme d’astronomie ;
2° demi-jour en général.
Bois : 10 ce qui est placé sous l’aubier j
2° réunion d’arbres.
Forêt : de foresta, terrain prohibé (étran-
ger) à la culture.
Futaie : forêt de grands arbres (voir ci-
après). Futaie s’oppose à taillis.
Terme courant en vieux français :
clères futaies.
Taillis : vu.
Pin : rien de spécial. La pIgne, ou PIS-
tache. Pignon.
Conifère : oui, vu qui a des fruits en
forme de cônes.
Lisière : de liste, bordure.
Orée : de ora, bords (cela vieillit).
Expansion : épanchement, d e expandere :
déploiement.
Vitrage : vu.
Vitrail : vu.
Rideaux : vu.
Chicane : vu.
Branchie : non, n’a pas la même éty-
mologie que branches.
Rectifier : vu.
Conidie : poussière qUl recouvre les li-
chens, de x6vr.ç.
155
Préau : tout à fait impropre, vient de
pré. Serait juste pour la clairière et
non pour le bois.
Thalle : vu.
Orseille : s orte de lichen, du nom de
qui l’a classé.
*
Un bois de 40 ans se nomme futaie sur
taillis.
Un bois de 40 à 60 ans se nomme demi-
futaie.
Un bois de 60 à 1 20 ans se nomme j eune
haute futaie.
Un bois de 120 à 200 ans se nomme
haute futaie.
Un bois de plus de 200 ans se nomme
haute futaie sur le retour.
Et donc, tout ce petit opuscule n’est
qu'(à peine) une « futaie sur taillis ».
FIN D U BOIS D E PINS
A P A R T I R D ‘ I C I L’ O N S O R T
D ANS LA CAMPAGNE
APPEND ICE
AU CARNET DU BO IS DE PINS »)
I . P A G E S B I S
Le texte qui précède fut écrit, à
partir du 7 août 1 94o, dans un bois
près de La Suchère, hameau de la
Haute-Loire où l’auteur, après un
mois et demi d’exode sur les routes
de France, venait de retrouver sa
famille. L’auteur demeura près de
deux mois à La Suchère, mais sur ce
même carnet de poche qui consti-
tuait alors tout son stock de papier,
rien ne se trouva écrit que ce texte
et les quelques notes qu’on va lire,
paginées bis aux dates indiquées.
6 août I940.
« Ce que j ‘aurais envie de lire » : tel
pourrait être le titre, telle la définition
de ce que j’écrirai.
Privé de lecture depuis plusieurs se-
maines et mois, Je commence à aVOIr
envie de lire.
Eh bien! C’est ce que j’aurais envie
de lire qu’il me faut écrire (justement,
pas trop ceci…)
Mais, si je m’ausculte un peu plus
attentivement : ce n’est pas seulement
de lecture que je me trouve avoir envie
ou besoin ; aussi de peinture, aussi de
musique (moins). Il me faut donc écrire
de façon à satisfaire ce complexe de be-
SOIns.
Il me faut garder cette image cons-
tamment présente à mon esprit : mon
livre, seul (par force), sur une table :
que j’aie envie de l’ouvrir et d’y lire
(quelques pages seulement) et de
m’y remettre le lendemain.
20 août I940.
Que de choses j’aurais à écrire, si j’é-
tais un simple écrivain.. . , et peut-être
le devrais-je.
Le récit de ce long mois d’aventures
depuis mon départ de Rouen jusqu’à
la fin de l’exode et mon arrivée au Cham-
158
bon ; aujourd’hui (par exemple), la rela-
tion de ma conversation avec Jacques
Babut; chaque jour, celle de mes prome-
nades et méditations, ou d’autres con-
versations semblables ou différentes ; la
peinture des gens qui m’entourent, qui
traversent ma vie et à qui j’ai prêté
attention à quelque titre; ‘ mes ré-
flexion s sur la situation politique de la
France et du monde en un moment
historique si important ; celles sur notre
propre situation, notre incertitude du
lendemain. . .
Mais quelque défaut m’en empêche,
qui n’est pas seulement paresse ou peur
de la difficulté : il me semble que j e ne
pourrais m’intéresser exclusivement,
comme il le faudrait pourtant, et suc-
cessivement à aucun de ces sujets. Il
me semble qu’ à entreprendre l’un d’eux
j’aurais au,Ssitôt le sentiment qu’il n’est
pas essentiel, que j’y perds mon temps.
Et c’est au « bois de pins » que je re-
viens d’instinct, au sujet qui m’inté-
resse entièrement, qui accapare ma per-
sonnalité, qui me fait jouer tout entier.
Voilà un de ces seuls sujets où j e me
donne (ou perde) tout entier : un peu
159
comme un savant à sa recherche parti-
culière.
Ce n’est pas de la relation , du récit,
de la description, mais de la con-
quête.
Plus tard, le même jour.
Quelque chose d’important (à rete-
nir) dans ma conversation d’aujour-
d’hui avec Jacques Babut, le pasteur.
Nous étions déjà parvenus au-delà
du point où nos doctrines se séparent :
la mienne fais ant confiance à l’ homme ,
la sienne lui refusant à j amais t o ute
confiance.
Nous parlions de ce qu’il appelle le
Royaume de Dieu, et moi, d’un autre
nom. Et il me disait que la Rédemption,
d’après les Écritures, ne serait . par-
faite pour chaque homme que lorsque
ce Royaume serait advenu (cela cadre
assez bien avec notre propre théorie). . .
« Mais encore, me disait-il , faut-il q ue ce
Royaume vienne universellement, non
seulement chez le-s hommes, mais chez
les choses… » et il me citait, je crois
bien, saint Paul.
160
Oui, les choses dans l’esprit de
l’homme, répliquai-je en incidente.
Et plus tard , décrivant l’ homme nou
veau de mes propres rêves, je lui disais
que sans doute cet homme aurait la
faculté de se poser beaucoup plus libre-
ment les problèmes essentiels, celui du
mystère ambiant, celui de la parole
aussi, qui m’intéressé particulièrement
(ajoutai-je).
De ces instants de notre conversa-
tion date un pas nouveau dans ma
« pensée ».
Je commence à percevOIr un peu
clairement comment se rejoignent en
moi les deux éléments premiers de ma
personnalité (?) : le poétique ct le poli-
tique.
Certainement, la rédemption des cho-
ses (dans l’esprit de l’homme) ne sera
pleinement possible que lorsque la ré-
demption de l’homme sera un faitaccom-
pli. Et il m’est compréhensible mainte-
nant pourquoi je travaille en même
temps à préparer l’une et l’autre.
La n aissance au monde humain
des choses les plus simples, leur prise
de possession par l’esprit de l’homme,
161
l’acquisition des qualités correspon-
dantes un monde nouveau où les
hommes, à la fois, et les choses c mnaî-
tront des rapports harmonieux : voilà
m on but poétique ct politique. « Cela
vous paraîtrait-il encore fumeux… »
(Il faudra que j’y revienne.)
I I . C O R R E S P O N D A N C E
Le manuscrit du Carnet du Bois
de Pins, abandonné le 9 septembre
1940, fut, vers le début de l’année
suivante, confié par l’auteur à l’un
de ses amis, M. P., habitant alors
Marseille, qui voulut le taper à la
machine à écrire. Une copie en fut
bientôt remise à un autre ami, G. A.,
lequel, en relations avec les milieux
littéraires de la zone « libre Il, s’était
enquis de la production récente de
l’auteur. G. A. ayant lu ce texte, il
s’en ensuivit la correspondance ci-
après.
DE G. A. A L’AUTEUR.
Marseille, le 7 m ars 1941.
Mes articles du Figaro ont excité
une bande de jeunes poètes qui me
regardent de travers… Mais je n’ai
pas fini : j’ai donné au Jour un article
sur le « métier de poète » qui fera grin-
cer les dents des inspirés. Je te l’enver-
rai.. . Et j ‘en ai préparé un autre sur
l’inspiration mise à poil.
Tout cela m’amène naturellement (y
compris le poil) à ton bois de pins. Inu-
tile – si, utile de te dire que je trouve
cela profondément passionnant… Je ne
peux m’empêcher cependant de déplo-
rer que ton « héroïsme » devant le pro-
blème de l’expression ait pour résultat
de t’amerier malgré tout devant une
espèce d’impasse. Car l’aboutissement
de tes efforts risque trop d’être une
perfection quasi scientifique qui, à force
d’avoir été purifiée, tend à l’assemblage
de matériaux interchangeables. Chaque
chose en soi, rigoureusement spécifique
et aboutie, est excellente. Le total
devient une marqueterie. Tu vois ce
que je veux dire, même mal dit.
La chimère, c’est de vouloir restituer
intégralement l’obj et. Tu n’arriveras
jamais qu’à donner une idée, un
moment, d’un objet. (Et peut-être même
si tu choisis, au lieu d’un bois de pins ,
frémissant, évolutif, un objet en appa-
rence aussi fixe que le galet, qui est
quand même un organisme infiniment
changeant.) .
As-tu refait « l’expérience » du bois
de pins en hiver, au printemps? As-tu
songé que tes pins sont pins des régions
où tu as vécu? Le pin rigide à long fût
vertical (pareil à celui que l’on nomme
pariccio dans les forêts des montagnes
corses, et dont on fait les mâts de
navires), mais qu’il n’a rien de com-
mun avec le bois de pins mariiimes de
mes rivages tordus, tourmentés-
ni avec les pins parasols maj estueux et
volontiers solitaires ni ‘avec les pins
légers, dessinés au crayon, des régions ter-
riennes de la Provence ou de l’Attique?
Au lieu de « momentanéiser » l’éter-
nité de la chose en soi (Dieu lui-même
le pourrait-il, ô orgueilleux Francis qui
as ce cri sublime sur ce que les pins te
doivent pour avoir été remarqués par
toi?), je crois que l’artiste ne peut pas
prétendre à mieux que d’éterniser le
moment conjoint de la chose et de lui.
Humilité? Sans doute. Mais non sans
grandeur, et qui recouvre déjà une
assez forte ambition.
Tout ceci sur le fond de ta recherche.
Mais l’exposé, la révélation de la
méthode, encore un coup me passionne
Nous nous retrouvons ici! Te
rappelles-tu la plaquette Poèmes en com-
mun que je publiai jadis avec C.S.?
C’était déjà un essai de ce genre (muta-
t is mutandis). J’y faisais allusion à un
travail que je n’ai jamais publié,. que
j’ai toujours,. inédit , Genèse d’un Poème.
Ce que tu as fait, avant et pendant,
pas à pas, mot à mot, pour Le Bois de
Pins (à la manière un peu du Journal
des Faux Monnayeurs pour le roman),
je l’ai fait, après, rétrospectivement,
pour la Ballade du Dee-Why (qui est
dans Antée) – à la manière des com-
mentaires de Dante pour les sonnets de
la Vita No a, ou de Poe pour Le Cor-
beau, etc.
Je crois qu’il y a là deux tentatives
parentes; chacune à sa manière jette
des lumières étonnantes sur les voies de
l’imagination créatrice. Si l’on pouvait
décider quelque revue à les réunir dans
une espèce de numéro spécial qui pour-
rait s’appeler Naissance du Poème, par
exemple, avec une introduction, un
166
chapeau (et précisément, ô mysté-
rieuse corrélation, mon article sur l’ins-
piration mise à poil a pour objet de pré-
coniser les examens de ce genre), je
crois que ce pourrait être extrêmement
intéressant.
Qu’en penses-tu?
G. A.
D E L ‘ A U T E UR A M. P.
Roanne, le 16 mars 1941.
Sans doute ai-je l’esprit dérangé
par le printemps : la proposition que
j’ai reçue de G. A. concernant Le Bois
de Pins m’a comme affolé. Je t’envoie
sa lettre. Je ne m’attendais vraiment
pas à une telle utilisation de ce pauvre
texte. Il est des moments où je me sens
tout à fait hérissé (défensivement) à
l’idée d’être expliqué; d’autres où ça
retombe, et où je me sens découragé,
capable de laisser faire…
Non! G. A. n’a pas compris (évidem-
ment) qu’il s’agit, au coin de ce bois,
bien moins de la naissance d’un poème
que d’une tentative (bien loin d’être
réussie) d’assassinat d’un poème par son
o bjet.
Puis-je me prêter à un tel contresens?
Honnêtement, je ne le crois pas.
Note qu’à part cela, je suis d’accord
sur la marqueterie (s’agissant d’une salle
de bains, j’aurais peut-être préféré
mosaïque) .
Au cas où tu ne l’aurais pas lu, trouve
ci-joint l’article de G. A. dans Le Jour
de jeudi dernier.
F. P.
P.-S. (Deux heures après.) Ci-
joint projet de réponse. Si tu l’approu-
ves, j ette-Je à la boîte. Merci. Sans
omettre d’y joindre l’article du Mémo-
rial aboutissant à Louis Le Cardonnel et
Pierre de Nolhac.
DE L’AUTEUR A G. A.
Roanne, le 16 m ars 1941.
J’ai lu ton article du Jour (ainsi
nommé par antiphrase). Je te suis jus
qu’au moment où ça devient (un peu
vaguement à mon avis) positif.
Primo : Personnellement, quoi que tu
en penses (peut-être) et quoi qu’en
pensent la plupart des gens, je ne crois
pas relever de ta critique car je ne me
eux pas poète.
Secundo : Je tiens en tout cas que
chaque écrivain « digne de ce nom »
doit écrire contre tout ce qui a été écrit
jusqu’à lui (doit dans le sens de est
forcé de, est o bligé à) – contre toutes
les règles existantes notamment. C’est
toujours comme cela, d’ailleurs, que se
sont passées les choses; je parle des
gens à tempérament.
Bien entendu, comme tu l’as bien
saisi, je suis farouchement imbu de
technique. Mais je suis partisan d’une
technique par poète, et même, à la
limite, d.’une technique par poème – que
déterminerait son objet.
Ainsi, pour Le Bois de Pins, si je me
permets de le présenter ainsi, c’est que
le pin n’est-il pas l’arbre qui fournit
(de son vivant) le plus de bois mort?…
Comble de la préciosité? – Sans
doute. Mais qu’y puis-je? Une fois qu’on
a imaginé ce genre de difficultés, l’hon-
ne ur veut qu’on ne s’y dérobe. . . (et
pUIS, c’est très amusant).
*
Autre chose, à propos de ta série
d’articles (mais ici je ne puis insister) :
il me semble que proposer actuellement
ce que j’appellerais des « mesures d’or-
dre » en poésie, c’est faire le jeu de
ceux qui proclament : primo: « Jusqu’à
présent il y a eu désordre », et secundo :
« Nous sommes ceux qui mettent de
l’ordre » : ce qui représente l’imposture
fondamentale de ce temps… Non, vois-
tu, en art (du moins) c’est, ce doit être
la révolution, la terreur permanentes,
et, en critique, c’est le moment de se
taire, à défaut de pouvoir dénoncer les
fausses valeurs qu’on prétend nous impo-
ser. A ce propos, et pour te montrer
le danger, je joins un article. paru dans
le Mémorial de Saint- Etienne le même
jour que dans Le Jour le tien.
Ceci posé, tu feras pour le Bois de
Pins exactement ce qui te paraîtra le
meilleur. Tu saisis maintenant que, dans
mon esprit, il ne s’y agit pas du tout
de la naissance d’un poème mais plutôt
d’un effort contre. la « poésie Il. Et non
pas, bien entendu, en faveur du bois
de pins (je ne suis pas tout à fait fou);
mais en faveur de l’esprit, qui peut y
gagner quelque leçon, y saisir quelque
secret moral et logique (selon la {( carac-
téristique » universelle, si tu veux}.
F. P.
Le Bois de Pins resta inédit. Mais
otc encore un extrait d’une seconde
lettre adressée par l’auteur à G. A . , à
propos du « métier poétique Il :
Roanne, le 22 juillet 1941.
Qu’entends-tu donc par « métier
poétique »? Pour moi, je suis de plus
en plus convaincu que mon affaire est
plus scientifique que poétique. Il s’agit
d’aboutir à des formules claires, du
genre : Une maille rongée emporta tout
l’ou rage. Patience et longueur de temps,
etc.
J’ai besoin du magma poétique, mais
c’est pour m’en débarrasser.
Je désire violemment (et patiemment)
en débarrasser l’esprit. Cest en ce sens
que je me prétends combattant dans les
rangs du parti des lumières, comme on
disait au grand siècle (le XVIIIe). Il
s’agit, une fois de plus, de cueillir le
fruit défendu, n’en déplaise aux puis-
sances d’ombre, à Dieu l’ignoble en
particulier.
Beaucoup à dire sur l’obscurantisme
dont nous sommes menacés, de Kierke-
gaard à Bergson et à Rosenberg…
Ce n’est pas pour rien que la bour-
geoisie dans SON COMBAT au Xxe siècle
nous prône le retour au moyen âge.
Je n’ai pas assez de religioses Gemüt
pour accepter passivement cela. Toi non
plus? Bon…
Fidèlement à toi,
F. P.
‘
F I N D E L AP P E N D I C E
A U
« C A R N E T D U B O I S D E
LA MOUN INE
o u
NOTE APRÈS COUP
S U R UN CIEL D E PROVENCE
Po ur Gabriel Audisio.
Cahier ouvert à Roanne le 3 mai 1941.
LA M O U N I N E
Il n’a fait jour résolument qu’aux
Martigues.
A Port-de-Bouc aucune odeur.
L’homme de Saint-Dié assis en face
de moi était agacé par le panache de
la locomotive. Je le fus donc aussi.
Énormes graffiti à Marseille et dans
a banlieue.
*
Vers neuf heures du matin dans la
campagne d’Aix, autorité terrible des
ciels. Valeurs très foncées. Moins d’azur
que de pétales de violettes bleues. Azur
cendré. Impression tragique, quasi funè-
bre. Des urnes, des statues de bambini
dans certains jardins; des fontaines à
masques et volutes à certains carrefours
aggravent cette impression, la rendent
plus pathétique encore. Il y a de muettes
implorations au ciel de se montrer moins
fermé, de lâcher quelques gouttes de
pluie, dans les urnes par exemple.
Aucune réponse. C’est magnifique.
*
A Aix, trois fontaines moussues scin-
tillent. La mousse est roussie. L’eau n’en
jaillit que faiblement. Y brille en tresses
molles et mobiles.
Il y a des rues entières d’hôtels de
robe. Décor pour Les Plaideurs. Res-
semblance d’Aix et de Caen. On se
croirait dans une dépendance de la
Bibliothèque Mazarine. L’absence totale
d’automobiles favorise naturellement
cette illusion.
*
Nuit du 10 au Il mai.
Décidément, la chose la plus impor-
tante dans ce voyage fut la vision fugi-
tive de la campagne de Provence au
lieu dit « Les Trois Pigeons » ou « La
176
Mounine » pendant la montée en auto-
car de Marseille à Aix, entre huit heures
trente et neuf heures du matin (sept
heures trente à huit heures au soleil).
Campagne à végéta ion grise, avec du
vert jaune d’émail perç »ant malgré tout,
sous un ciel d’un bleu plombé (entre la
pervenche et la mine de crayon), d’une
immobilité, d’une autorité terribles, et
ces urnes, cas statues de bambini, ces
fontaines à volutes des carrefours cons-
tituant œuvres, signes, traces, preuves,
indices, testaments, legs, héritages, mar-
ques de l’homme et supplications au
ciel.
Au fond, les lointains de Berre et
des Martigues, sans vue de mer malS
avec vue d’un grand viaduc.
De ce paysage il faut que je fasse
conserve, que je le mette dans l’eau de
chaux (c’est-à-dire que je l’isole, non
de l’air ici, mais du temps).
Il ne me faut pas l’abîmer. Il faut
que je le maintienne au jour. Pour que
je le maintienne il faut d’abord que je
le saisisse, que j’en lie en bouquet pou-
vant être tenu à la main et emporté avec
moi les éléments sains (imputrescibles)
177
et vraiment essentiels – que J e le
corn-prenne.
*
(Le peintre Chabaud). Ce qui m’a
frappé, c’est le bleu de lavande, l’at-
mosphère si « pesante (ce n’est pas:
le mot), si fermée sur le paysage, gris
et vert-jaune naissant. (Plus d’azote que
d’H ou d’O?) Si cendrée, plombée : si
bon repoussoir aux couleurs délicates,
comme le miroir noir des peintres.
Cela était déjà impressionnant. Mais
à la première apparition de statue selon
la marche de l’autobus (urne, bambino
ou fontaine), c’est devenu saisissant,
beau à pleurer, tragique. Donc deux
temps : Io le paysage, 20 les statues.
*
Rien ne ressemble plus à la nuit que
ce jour bleu cendres-là. C’est le jour de
la mort, le jour de l’éternité. (Rappro-
cher mon émotion à Biot en 1924.) Il
y a silence, mais moins silence qu’oreil-
les bouchées (tympan tout à coup
178
convexe? par changement de pression?).
Tambour voilé, trompettes bouchées,
tout cela naturellement comme dans les
marches funèbres. Quelque chose d’écla-
tant voilé, de splendide voilé, d’étin-
celant voilé, de radieux voilé.
Ce qui est curieux, c’est que la chose
éclatante en question soit voilée par
l’excès même de son éclat.
*
Rien ne ressemble plus à la nuit…
C’est trop dire. Disons seulement : i l a
quelque chose de la ‘nuit, il évoque la
nuit, il n’est pas si différent de la nuit,
il a une valeur de nuit, il a les valeurs
de la nuit, il a la même valeur, les mêmes
valeurs que la nuit, il vaut la nuit. Ce
jour vaut la nuit, ce jour bleu cendres-
là.
Comme un son éclatant vous assour-
dit, vous voile le tympan et dès lors
vous ne l’entendez plus que comme
à travers des épaisseurs de voiles,
de liège, de coton – ne se peut-il
qu’un soleil trop splendide dans une
atmosphère trop sèche vous voile les
179
yeux, d’où interposition de voiles funè-
bres? Non. (Je me rappelle un petit
matin avec mon père à Villeneuve-lès-
Avignon près du château du roi René,
un jour que d’abord nous avions été à
la gare accompagner ma mère. Yavais
moins de dix ans. Ce jour vaut nuit,
ce j our du roi René. Peut-être était-ce
la première fois que je voyais le petit
jour. Non ce n’était plus le petit jour,
mais le grand matin. Mais ce n’avait
pas ce caractère accablant accablant
est trop dire.)
(Je me rappelle aussi : « Le volet bleu
fermé d’un coup, il fait jour à l’inté-
rieur. »)
*
Le ciel n’est qu’un Immense pétale
de violette bleue.
Et tout, là-dessous, les maisons, les
routes, les oliviers, les arbres verts, les
champs d’émail, tout est comme braise
de couleurs variées, sur le point de
s’éteindre, surle point de renaître comme
la braise cendreuse si l’on souffie dessus :
des lueurs comme phosphorescentes,
180
comme d’un feu intérieur (secret) qUI
n’irradie pas
A certains endroits la cendre, à d ‘ a u –
tres la braise (ce n’est pas tout à fait
cela). Il ne faut à ces choses du paysage
donner trop d’éclat, prêter trop d’éclat.
Non » ce qui était sur-tout, presque uni-
quement remarquable, c’était l’appe-
santissement de lavande sur tout cela,
à travers les branches en p articulier,
etc.
D’ailleurs le paysage est gris, généra-
lement quelconque, noblement nota-
rié (?). C’est le lieu, c’est la campagne
du droit romain, abstrait, individuel et
social (??). (La lavande est le parfum
qui convient à la toile propre.)
*
II au I2 mai.
Sur la campagne de Provence
règne un pétale de pervenche
Ce jour bleu de cendres vaut nuit
Qui pèse sur la Provence.
Aux environs d’Aix-en-Provence
Pétale de violettes bleues
Pervenche ou mine de crayon
Il y a du rose sous ce bleu
Toutes choses égales d’ailleurs
Parfaitement Monsieur Chabaud
L’a vu mieux que Monsieur Cézanne
Rose pervenche à mine de crayon
Il tient son ombre estompée dans son
éclat même·
Son ombre est estompée dans son éclat
même
L’ombre est estompée à l’intérieur des
corps
Ainsi la mort dans la plus pure joie
Pétales de violettes bleues
Un azur à mine de plomb
ameure aux jardins de Provence
Ce jour de cendres-là vaut nuit
Le peintre Chabaud l’a bien vu
Son ombre dans son éclat
tient estompée
Le jour qui luit sur la Provence
est un azur à mine de plomb
Ce jour bleu de cendres-là vaut nuit
Le peintre Chabaud l’a bien vu
Son ombre dans son éclat
tient estompée
Toute disséminée.
Tambours voilés, trompettes bouchées
Ce jour bleu de cendres-là vaut nuit
Son ombre à son éclat tient toute
estompée
Il luit de jour sur la Provence
un azur à mine de plomb
Des cendres au lieu de gouttes y sont
disséminées
Au lieu d’une vapeur imperceptible une
imperceptible fumée
(mais stable, sans mouvement)
Des réseaux très fins de ténèbres y sont
tendus
Un beau jour est aussi un météore
Il tient toute la nature sous le charme
(la terreur) de son autorité.
Il tient toute la nature muette sous son
autorité.
Tout cœur s’arrête de battre. (Seuls
les stupides hannetons et les autobus
continuent à ronfler et à se cogner.)
Qui ne voit ici que le ciel est fermé ;
l’immensité intersidérale est vue ici par
183
transparence et c’est grandiose (aperçu
sur l’infini). Ce ne sont que des gaz
irrespirables.. Comme à travers une eau
claire les poissons au-dessus d’eux peu-
vent apercevoir l’atmosphère (ou l’ima-
giner), nous apercevons le milieu éthéré.
Certes, nous n’avions pas besoin de
cela (de voir si évidemment le ciel
fermé) pour juger que Dieu est une
invention ignoble, une insinuation détes-
table, une proposition malhonnête, une
tentative hélas trop réussie d’effondre-
ment des consciences humaines et que
les hommes qui nous y inclinent sont
des traîtres ou des imposteurs.
Ailleurs, la nature respire vers des
cieux qui s’occupent d’autre chose, par
exemple de voiturer les nuages. Ici, les
cieux s’occupent décidément d’étouffer
la nature. Il est clair, ici, que la nature
étouffe.
Elle reste coite sous le ciel fermé,
essaie pathétiquement de vivre. Les
urnes, les statues se font ses interprètes,
pour une supplication. Mais aucune
réponse : c’est splendide.
*
12 au 13 mai.
Je n’arriverais pas à conquérir ce
paysage, ce ciel de Provence? Ce serait
trop fort ! Que de mal il me donne ! Par
moments, il me semble que je ne l’ai
pas assez vu, et je me dis qu’il faudrait
que j’y retourne, comme un paysa-
giste revient à son motif à plusieurs
reprIses.
Pourtant, il s’agit de quelque chose
de simple! Au lieu dit « La Mounine »,
entre Marseille et Aix, un matin d’avril
vers huit heures, à travers les vitres de
l’autobus. . . eh bien qu’ai-je? Je ne par-
viens pas à continuer… Le ciel au-dessus
des jardins (comme je levais les yeux
vers la cime des arbres, et quoiqu’il
fût pur de tout nuage) m’ a pparut tout
mélangé d’ombre. Comme blâmé.. . Ciel
blâmé. . . Tout mélangé d’ombre et de
blâme (voir aussi blême) … Comme frappé
de congestion …
Ce jour vaut nuit, ce Jour bleu
cendres-là
Il tient son ombre dans les serres de
son éclat
185
Son ombre à son éclat tient toute
estompée
Il tient son omble dans son éclat
estompée
Il pèse sur la Provence (pèse n’est pas
le mot)
Il a sur elle l’autorité d’un miroir noir.
Paysage généralement quelconque
. ! incandescent
malS
embr a ‘se,
Son ombre à son éclat mêlée comme par
une estompe.
*
La plu s fluide des en cres à style
est-elle vraiment la bleue noire?
*
Azur à mine de plomb
ce gaz lourd résulte en vase clos
d’une explosion de pétales de violettes
bleues.
Ce jour vaut nuit, ce jour bleu,cendres-Ià
Son ombre tient tt » :te .. ans les griffes
de son éclat
Une estompe les a mêlées.
186
Il a sur la Provence
paysage généralement quelconque
mais incandescent
l’autorité du miroir noir des peintres.
Et puisque nous parlons des peintres
disons que Monsieur Chabaud, toutes
choses égales d’ailleurs,
l’a mieux vu que le grand Cézanne.
A mieux rendu cette tragique perma-
nence,
ce tragique encrage de la situation.
Quel poulpe a soupiré son enVIe aux
cieux?
Gros cœur, s’est épanché?
Quel compte-gouttes a vidé son cœur
gros ?
Un poulpe a-t-il reculé
dans les cieux de Provence?
Ou l’air ici résulte-t-il
de l’explosion en vase clos
d’un pétale de violette bleue?
*
Ce jour vaut nuit ce jour bleu cendres-là
Il tient son ombre dans (les serres de)
son éclat
Les tempes des maisons sont serrées
aUSSI
Congestion de l’azur
Quel gros cœur de poulpe reculant dans
le ciel
s’est vidé, provoquant ce tragique
encrage de la situation?
Occlusion, congestion, syncope.
*
Le temps est celui que les couleurs ont
mIS pour passer ».
Sous l’effort de la lumière
Le cœur est serré par l’angoisse de
l’éternité
et de la mort
Il s’arrête de battre (non, mauvais)
Paralysie, syncope?
Immobilité
Silence.
188
Phosphorescence printanière
Contraction du paysage généralement
quelconque.
*
Blême : très pâle, plus que pâle (?).
Étym. : de l’ancien scandinave blâmi,
couleur bleue, de blâ, bleu (voy.
Bleu).
Blâme : 10 Expression de l’opinion, du
jugement par lequel on trouve quel-
que chose de mauvais dans les per-
sonnes ou les choses. 20 Reproche,
tache (de blasphemare).
Congestion : de congerere : amasser.
Estompé : de stumpf, émoussé.
Incandescence : devenir blanc. Lumi-
nescence : n’existe pas au Littré.
*
10 juin.
Je me suis demandé ce soiI’, quand je
ne dormais encore qu’à demi (mainte-
nant c’est aux trois quarts) :
10 S’il ne serait pas plus « fidèle Il
189
d’écrire à partir de l’autobus où je me
trouvais quand j e ressentis ce paysage
(plus fidèle et plus réussissable…).
20 Plus tard. . . mais était-ce en songe ?
cela m’ échappe ! . . . je ressentis très for-
tement la difficulté du s ujet, mon mérite,
et le peu de chances que j e possède de
réussir à le traiter.
*
10 au 30 jui.n 1941.
Cette étude devrait-elle être très lon-
gue encore (elle peut aus’si bien durer
des années…), ne jamais me laisser
entraîner à oublier ce de quoi il s’agit
pour moi, simplement – de rendre
compte :
10 L’autobus avançait (cinématique):
2, 0 L’autorité du ciel sur le paysage
a) le ciel
b) le paysage
m’avait fortement surprIS, ému, intri-
gué.
30 Quand apparurent les statues, les
urnes, mon émotion tout à coup fut
décuplée : il y eut sanglot.
*
L’autobus (autocar) – (autocar de
Marseille à Aix) – (au lieu dit « La
Mounine », ou à celui des « Trois
Pigeons », ou à ceiui des « Frères Gris »)
avançait (assez lentement il est vrai,
cela montait).
J’étais contre la vitre (fermée) tassé,
passant inaperçu (inaperçu de moi-
même (?). L’heure importe : huit heures
du matin fin avril.
Mais (à vrai dir;e) l’avance de
l’autohu.s ne m’a été sensible qu’au
moment où les statues, les urnes appa-
rurent.
Peut-être devrais-je donc interver-
tir 1 0 et 20? – Oui, il le faut.
Indispensable aussi de rapprocher cela
de mon émotion à Biot et de celle à
Craponne-sur-Arzon (sanglots). Peut-
être de celle au Vieux-Colombier (ou à
la lecture) quand le staretz Zossima
s’agenouille devant Dimitri Karamazov;
et encore dans Les Misérables quand
Mgr Machin s’agenouille devant le vieux
conventionnel (peut-être mais pas sûr).
191
– Ces deux derniers sanglots-là, ce fut
devant le coup de théâtre noble de la
justice rendue, réparation donnée. –
Les autres, ce fut devant le tragique
des paysages, la fatalité naturelle
(météorologique) (à noter que toujours
les ciels) (et aussi toujours la cinéma-
tique ; à Biot l’express : changement de
décor tout à coup ; à Craponne ce fut
en me retournant à moto).
A Craponne il y avait de l’humain,
comme à La Mounine (ici statues et
urnes, là clochers et tours de châteaux,
et toits de villages). A Biot, non, c’était
tout « naturel » : la mer seule.
La vue d’un Cézanne un j our (Les
Joueurs de Cartes?) : noblesse de l’effort
suppléant au manque de moyens (?);
et modestie certaine.
La modestie des statues (de bambini)
et des urnes y fut, dans le même sens,
pour grand-chose.
1er au 12 juillet 1941.
A quelle heure très matinale – le
grand coup de gong a-t-il été donné?
Dont toute l’atmosphère vibre encore
(sans déjà qu’aucun son ne se fasse
plus entendre) et vibrera toute la jour-
née?
Le soleil trône – sur lequel il est
impossible de maintenir le regard et
ses tambourinaires l’entourent, les bras
levés au- dessus de leurs têtes.
Mais non ! Tout cela est effacé par
l’ardeur même. L’on jurerait de
mémoire qu’il n’y avait que le ciel
bleu, plus vide assurément que le ciel
nocturne.
Quelle autorité, quel poing irrésistible
s’est abattu sur la tôle nocturne pour
éveiller les vibrations du jour, qui du-
rera jusqu’à ce qu’cles se rassoupis-
sent?
Notes après coup sur un ciel de Pro »ence.
Quel poulpe reculant dans le ciel de
Provence a provoqué ce tragique encrage
de la situation? Mais non! Il s’agit d’un
gaz lourd et non d’un liquide. Quelque
chose comme le résultat de l’explosion
en vase clos d’un million de pétales de
violettes bleues.
193
Il Y a comme des cendres éparses dans
l’azur, et aussi une odeur comparable à
celle de la poudre.
C’est comme si le jour était voilé par
l’excès même de son éclat. Ce jour vaut
nuit ce jour bleu cendres-là. Il tient
son ombre estompée dans son éclat. Il
tient son ombre dans les griffes de son
éclat.
Un coup de poing irrésistible a été
donné sur la tôle de la nuit, jusqu’à ce
qu’elle ibre au blanc. De très bonne
heure ce matin. Et les vibrations vont
s’amplifiant jusqu’à midi.
Sauf ces vibrations il règne une immo-
bilité, une stupéfaction pareille à celle
qui suit les coups de feu, les actes irré-
parables, les crimes. Voilà comment
je rejoins les expressions habituelles sur
la malédiction de l’azur : « Je suis
hanté ! L’azur, l’azur, l’azur! Que
s’est-il passé? Pourquoi cette autorité
terrible des ciels sur ce paysage si sim-
ple, ce paysage notarié, ce paysage de
droit romain?
Pourquoi cette sévérité, cette punition
par l’intensité de la lumière, infligeant
ombre nette au moindre débris, aux
194
moindres « roses » de la poussière ?
Pourquoi cet étouffement, cette bru-
talité, ces valeurs foncées? N’est-ce que
la rançon da beau temps?
Toutes les bêtes sous les sunlights
sont rentrées dans leur trou. Les pierres
et les végétaux seuls supportent, restent
en proie à la terrible lumière.
Et soudain à quelques statues se
révèle la préoccupation de l’homme.’ Il
expose ces statues au soleil, il les lui
présente, les lui offre, en un sens aussi
il les lui oppose. Il vient de les poser
devant lui, en artisan, comme sur la
plaque d’un four le boulanger offre,
présente son pain au feu…
De tels météores ne sont pas parmi Jes
plus faciles à décrire.
Chaque chose est comme au bord d’un
précipice. Elle est au hord d’une omhre,
si nette et si noire qu’elle semble creuser
le sol. Chaque chose est au bord de
sim précipice – comme une bille au
bord de son trou.
195
Notes après coup sur un ciel de Prol,Jence.
12 juilt 1941.
La plus fluide des encres à style est-
elle vraiment la bleue noire? Azur à
mine de plomb : quel poulpe reculant
au fond du ciel de Provence a provoqué
ce tragique encrage de la situation?
Ou s’agit-il goutte à goutte d’une
infusion du poison qui commence comme
ciel, et qui finit comme azure?
Il s’agit d’une congestion. (Tant
d’azur s’est amassé.)
Les maisons, les tuiles serrées, laissent
closes leurs paupières. Les arbres ont
mal à la. tête : i ls évitent de bouger la
plus petite feuille. Non ! Il s’agit de
l’explosion en vase clos d’un milliard
de pétales de violettes bleues.
Roanne, I3juillet 1941.
Au lieu dit « La Mounine » entre
Marseille et Aix un matin d’avril vers
huit heures par la vitre de l’autocar le
196
ci l quoique limpide au-dessus des jar-
dins m’apparut tout mélangé d’ombre.
Quel poulpe reculant hors du ciel de
Provence avait-il provoqué ce tragique
encrage de la situation?
Ou n’ était ce plutôt quelque chose
comme le résultat de l’explosion en vase
clos d’un milliard de pétales de violettes
bleues?
Il y avait comme une dissémination
de cendres dans l’azur, et je ne suis pas
sûr que l’odeur n’en fût pas comparable
à celle de la poudre.
L’on éprouvait comme une congestion
de l’azur. Les maisons les tempes serrées
tenaient closes leurs paupières. Les
arbres avaient l’air atteints de maux de
tête : ils évitaient de bouger la moindre
feuille.
C’était comme si le jour était voilé par
l’excès même de son éclat. Ce jour vaut
nuit, pensais-je, ce jour bleu de cendres-
là. Il tient son ombre dans les griffes
de son éclat. Son ombre à son éclat
tient toute estompée.
D’où vient cette autorité terrible des
ciels? Quel coup de poing a été donné
sur la tôle de la nuit pour la faire vibrer
197
ainsi, devenir si radieuse, de vibrations
qui s’amplifieront jusqu’à midi?
Et comment se fait-il que règne une
telle immobilité, semblable à l’attente
qui succède si curieusement aux actes
décisifs, aux coups de feu, aux viols,
aux meurtres?
Pourquoi cette sévérité sur ce paysage
si généralement quelconque, ce paysage
notarié, ce paysage de droit romain?
Pourquoi cet accablement pathéti-
que? Est-ce la rançon du beau jour? Un
beau jour est aussi un météore, le
moins facile à décrire sans doute …
Roanne, 1 4 juillet 1941.
Au lieu dit La Mounine » auprès
d’Aix-en-Provence un petit matin de
printemps le ciel pourtant limpide au
travers des feuillages m’apparut tout
mélangé d’ombre.
Je ne crois pas que la nuit rancunière,
pour venger son recul d’au-dessus ces
régions, ait vidé de son encre à style
la bleue noire son gros cœur de poulpe
à notre détriment.
Ig8
Je ne crois pas la nuit poulpe si ran-
cunier pour son recul derrière l’horizon
avoir voulu d’encre à style bleue noire
vider son cœur à cette occasion.
Je ne crois pas la nuit si rancunière
D’avoir voulu poulpe à cette occasion
Vider son cœur d’un flot d’encre bleue
nOIre.
Je ne crois pas la nuit si rancunière
que reculant derrière l’horizon
elle ait voulu vider d’encre à style bleue
nOIre
son cœur de poulpe à cette occasion.
Note (motion) d’ordre
à propos du ciel de ProfJence.
19juillet 1941.
Il s’agit de bien décrire ce ciel tel
qu’il m’apparut et m’impressionna si
profondément.
De cette description, ou à la suite
d’elle, surgira en termes simples l’expli-
cation de ma profonde émotion.
199
Si j’ai été si touché, c’est qu’il s’agis-
sait sans doute de la révélation sous
cette forme d’une loi esthétique et
morale importante.
A l’intensité de mon émotion, à la
ténacité de mon effort pour en rendre
compte et aux scrupules qui m’inter-
disent d’en bâcler la description, je juge
de l’intérêt de cette loi.
J’ai à dégager cette loi, cette leçon
(La Fontaine eût dit cette morale). Ce
peut être au’ssi bien une loi scientifique,
un théorème.
Donc, à l’origine, un sanglot, une
émotion sans cause apparente (le sen-
timent du beau ne suffit pas à l’expli-
quer. Pourquoi ce sentiment? Beau est
un mot qui en remplace un autre).
Il s’agit d’éclaircir cela, d’y mettre
la lumière, de dégager les raisons (de
mon émotion) et la loi (de ce paysage),
de faire serfJir ce paysage à quelque
chose d’autre qu’au sanglot esthétique,
de le faire devenir un outil moral, logi-
que, de faire, à son propos, faire un pas
à l’esprit.
Toute ma position philosophique et
poétique est dans ce problème.
A noter que j’éprouve les plus grosses
difficultés du fait du nombre énorme
d’images qui viennent se mettre à ma
disposition (et masquer, mettre des mas-
ques, à la réalité), du fait de l’originalité
de mon point de vue (étrangeté vaudrait
mieux) – de mes scrupules excessifs
(protestants) – de mon ambition déme-
surée, etc.
Bien insister que tout le secret de la
victoire est dans l’exactitude scrupu-
leuse de la description : « J’ai été impres-
sionné par ceci et cela » : il ne faut pas
en démordre, ne rien arranger, agir vrai-
ment scientifiquement.
Il s’agit une fois de plus de cueillir
(à l’arbre de science) le fruit défendu,
n’en déplaise aux puissances d’ombre
qui nous dominent, à M. Dieu en parti-
culier.
Il s’agit de militer activement (modes-
tement mais efficacement) pour les
« lumières )) et contre l’obscurantisme
cet obscurantisme qui risqua à nou-
veau de nous submerger au xxe siècle
du fait du retour à la barbarie voulu
par la bourgeoisie comme le seul moyen
de sauver ses privilèges.
201
*
(On peut, pour saisir la qualité d’une
chose, si l’on ne peut l’appréhender
d’emblée, la faire apparaître par compa-
raison, par éliminations successives :
,
Cen’ ( 1 est pas ceCl, ce n est pas ce a, etc. »
question métatechnique, ou techni-
que simplement.)
Lorsque G. A. à propos du Carnet du
Bois de Pins m’écrivait :técemment :
« L’aboutissement de tes efforts risqu e
trop d’être une perfection quasi scienti-
fique qui, à force d’avoir été purifiée,
tend à l’assemblage de matériaux inter-
changeables. Chaque chose en soi, rigou-
reusement spécifique et aboutie, est
excellente. Le total devient une mar-
queterie », il était au fond du débat.
Oui, je me veux moins poète que
cc savant » . Je désire moins aboutir à
un poème qu’à une formule, qu’à un
éclaircissement d’impressions. S’il est
possible de fonder une science dont la
202
matière serait les impressions esthéti-
ques, je veux être rhomme de cette
SCIence.
« S’ allonger par terre, écrivais-j e il y
a quinze ans, et tout reprendre du
début. » – Ni un traité scientifique, ni
rencyclopédie, ni Littré : quelque chose
de plus et de moins. . . et le moyen
d’éviter la marqueterie sera de ne pas
publier seulement la formule à laquelle
on a pu croire avoir abouti, mais de
publier rhistoire complète de sa recher-
che, le journal de son exploration …
Et plus loin Audisio me disait encore :
« Je crois que r artiste ne peut pas
prétendre à mieux que d’éterniser le
moment conjoint de la chose et de lui. »
Voyons, cher Audisio, lorsque à propos
d’un lion dans les rets et d’un rat qui
l’en délivre, La Fontaine parvient à
ceCI :
Une maille rongée emporta tout
rouvrage.
Patience et longueur de temps
Font mieux que force ni que rage
203
où est en cela La Fontaine, où est le
moment conjoint du lion ou du rat avec
lui? N’y a-t-il pas là plutôt une perfec-
tion quasi scientifique, une naissance de
formule? Il y a la vérité d’un acte du
lion : force et rage empêtrées, et d’un
acte du rat : une maille rongée… On a
souvent besoin d’un plus petit que soi.
– C’est à de pareils proverbes que
j’aimerais aboutir. Ma chimère serait
plutôt de n’avoir pas d’autre sujet
que le lion lui-même. Comme si La
Fontaine au lieu de faire successive-
ment : Le Lion et le Rat, Le Lion rieilli,
Les Animaux malades de la Peste, etc.,
n’avait fait qu’une fable sur Le Lion.
Ç’aurait été bien plus difficile. Une
fable qui donnât la qualité du lion.
Ainsi Théophraste et ses Caractères.
*
Trois lectures importantes depuis quel-
ques jours m’ont paru répondre d’une
façon étonnante à mes préoccupations :
a) L’ O bscurantisme du XXe siècle, arti-
cle anonyme d’une revue sous le man-
teau à propos du discours de Rosen-
berg au Palais-Bourbon ; b) La Leçon
de Ribérac par Aragon dans Fontaine,
nO 14; c) Vigilantes narrare somnia de
Caillois dans les Cahiers du Sud,
numéro de juin 1941.
Le premier texte, tout à fait convain-
cant, me confirme dans ma volonté de
lutter pour les lumières, m’assure de
l’urgence de ma mission (?), et m’oblige
à repenser le problème du rapport entre
mes positions esthétique et politique.
Le second m’apporte aussi plusieurs
confirmations : le langage fermé pré-
parant }’ acquiescement vulgaire (ce n’est
pas tout à fait cela). Le troisième, assez
faux dans son éloquence, assez conven-
tionnel malgré sa prétention, me mon-
tre avec quels scrupules et en même
temps avec quelles audaces constam-
ment réacidifiées il faudrait toucher à
cette sorte de problèmes. Et lorsque
(quatrième texte important, cinquième
en comptant celui d’Audisio) Pia m’é-
crit : « le café, le marc, le filtre, l’eau
qui bout, etc. » je vois bien que : 0 U 1 ,
il est intéressant de montrer le proces-
sus de « ma pensée ». Mais cela ne veut
pas dire qu’il faille sous ce prétexte
me lâcher, car cela irait à l’encontre de
mon propos. – Mais il est très légi-
time au savant de décrire sa décou-
verte par ]e menu, de raconter ses
expériences, etc.
*
Roanne, I9 au 28 juillet.
(Il est temps d’y revenir !)
Au lieu dit « La Mounine » auprès d’Aix-
en-Provence
Un matin d’avril vers huit heures
Le ciel pourtant limpide au tTavers des
feuillages
M’apparut tout mélangé d’ombre
Un beau jour est aussi un météore,
pensai-je, et je n’eus de cesse que j’eusse
inventé quelque expression pour le
fixer :
Je crus d’abord (ce n’était point) que
la nuit rancunière
Pour venger son recul d’au-dessus ces
régions
Avait voulu vider d’encre à style bleue
noue
206
Son cœur de poulpe à cette occasion.
Ou peut-être me dis-je (ce n’était
point) infusé goutte à goutte
S’agit-il du poison dont le nom qu’on
redoute
Étrangement proche de sa couleur
Commence comme ciel et finit comme
azure
*
Si j e dis « voilée par son éclat même
j e ne serai pas beaucoup plus avancé.
Peut-être le ciel n’est-il si noir qu’en
comparaison avec les choses : arbres,
maisons, etc., lesquelles sont tellement
éclairées, des magasins de clarté !
Comme lorsqu’on sort d’une salle
brillante, dehors il fait noir…
Comparaison avec les ciels du Nord.
25 juillet 1941, 1 h 30 du matin.
Un pas nouveau.
Comme un buvard, une serpillière im-
prégnés d’eau sont plus foncés (pour-
quoi? est-ce que la science optique
donne la réponse?) que secs (secs, ils
sont 10 plus cassants, 20 plus pâles),
ainsi le ciel bleu est-il un buvard im-
prégné de la nuit interstellaire.
Plus ou moins imprégné, il est plus
ou moins foncé : à Aix-en-Provence il
est très imprégné (parce qu’il n’y a pas
grand-chose entre les espaces interstel-
laires et lui).
Dans le Midi il Y a beaucoup de s01eil,
c’est entendu, mais il y a beaucoup aussi
la (concomitante) nuit interstellaire.
Ils luttent l’un contre l’autre (au sens
où Verlaine dit : « les hauts talons lut-
taient avec les longues jupes »).
L’on peut dire que dans le Midi le
soleil triomphe moins que dans le Nord :
certes il triomphe davantage des nuages,
brouillards, etc., mais il triomphe moins
de son adversaire principal : la nuit
interstellaire.
Pourquoi? parce qu’il sèche la vapeur
d’eau, laquelle constituait dans l’atmo-
sphère le meilleur paravent de triom-
phe pour lui. Écran dont le défaut va
se faire sentir : il en résulte une plus
grande transparence et faculté d’im-
prégnation par l’éther intersidéral.
208
C’est la nuit intersidérale que, les
beaux jours, l’on voit par transparence,
et qui rend si foncé l’azur des cieux
méridionaux.
Expliquer cela par analogie avec le
milieu marin (ou plutôt aquatique) .
29 juillet au 5 août.
Au lieu dit « La Mounine » auprès
d’Aix-en-Provence
Un matin d’avril vers huit heures
Le ciel pourtant limpide au travers des
feuillages
M’apparut tout mélangé d’ombre
Je formai tout d’abord que la nuit ran-
cunière…
*
La Mounine.
a) La strophe 1
b) pUIS :
Sur le moment Je restai tout stu-
pide
Un beau jour est aussi un météore,
pensaI-Je,
2.09
Aucune expression ne me vint à l’es-
prit
Je subissais l’effet de ce météore
Comme un accablement, comme une
damnation
J’éprouvais le sentiment du tragique
De l’implacabilité.
En même temps – sans doute par
esprit conventionnel _
je trouvais cela beau.
Accablé par l’intensité du phéno-
mène
Chaque fois que je relevais les yeux
je constatais à nouveau cette ombre
mélangée au jour
ce blâme
c) pUIS :
c’est à ce moment que les statues
apparurent et que je fus saisi d’un
sanglot,
l’élément humain introduit par les
statues
me semblant d’un caractère déchi-
rant.
d) Je restai accablé puis fus distrait par
d’autres impressions : l’arrivée à
Aix, les événements qui suivirent,
etc.
210
e) Mais j e devais évidemment me sou-
venir de mon émotion. Voilà bien
le suj et de poème, ce qui me
pousse à écrire : soit le désir de
reformer le tableau pour en con-
server à jamais la jouissance pré-
somptive, soit le désir de com-
prendre la cause de mon émotion,
de l’analyser.
f) M’étant mis au travail j’éprouvai de
grandes difficultés et formai plu-
sieurs images cohérentes : celle
du poulpe, celle du cyanure, celle
de l’explosion de pétale,
g) sachant bien qu’il fallait que je les
dépasse, m’en débarrasse pour par-
venir à l’explication vraie (?), celle
de la clairière donnant sur la nuit
intersidérale.
*
L’abîme supérieur (zénithal). Le so-
leil est fait pour nous aveugler, il trans-
forme le ciel en un verre dépoli à tra-
vers quoi l’on ne voit plus la réalité :
celle qui apparaît de nuit, celle de la
« considération » .
Mais dans certaines régions la trans-
parence, la tranquillité (sérénité) de
l’atmosphère est telle que la présence
de cet abîme est sensible même en plein
jour. C’est le cas de la Provence. Le
ciel au-dessus de la Provence présente
constamment une clairière, comme une
fenêtre de vitre claire dans un plafon-
nier dépoli.
Certes le soleil empêche qu’on voie
les étoiles en plein jour, mais l’on devine
la nuit intersidérale, qui fonce le ciel,
qui lui donne cette apparence plombée.
Si l’on aime tant venir dans la région
méditerranéenne c’est à cause de cela,
pour jouir de la nuit en plein jour et
sous le soleil, pour jouir de ce mariage
du jour et de la nuit, de cette présence
constante de l’infini intersidéral qui
donne sa gravité à l’existence humaine.
Alliance plutôt que mariage. Ici point
d’illusions comme dans le Nord, point
de distraction par la fantasmagorie des
nuages. Ici tout se passe sous le regard
de l’éternité temporelle et de l’infini
spatial.
Tout prend donc son caractère éter-
nel, sa gravité.
212
Des événements comme un ciel nua-
geux, un orage, une tempête, me sem-
blent d’un ordre sordide : ce sont
là travaux d’office, lessive terrestre.
J’aime les régions où cette fastidieuse
hydrothérapie a lieu le moins souvent
possible, se produit brièvement.
L’orage, comme douche, le soleil en-
suite comme séchoir, vraiment cher
Beethoven cela valait-il la peine d’en
faire des représentations grandioses?
Voir plutôt l’orage de Léonard de Vinci,
où l’importance d’un tel météore est
bien remise à sa place.
*
C’est dans le sens de ce qui précède
que devrait être continué et achevé le
poème dont le début serait à peu près
comme ci-après :
La Mounine.
Au lieu dit « La Mounine » auprès
d’Aix-en-Provence
Un matin d’avril vers huit heures
Le ciel pourtant limpide à travers les
feuillages
M’apparut tout mélangé d’ombre.
L’on eût dit que la nuit rancunière
Pour venger son recul d’au-dessus ces
régions
Avait voulu vider d’encre à style bleue
nOIre
Son cœur de poulpe à cette occasion
Ou peut-être me dis-je infusé goutte à
goutte
S’agit-il du poison dont le nom qu’on
redoute
Étrangement proche de sa couleur
Commence comme ciel et finit comme
azure
Mais non ! L’atmosphère était telle
Que je ne puis avec quelque raison
M’espérer voir fournir par l’élément li-
quide
Un terme de comparaison
Il s’agit d’un gaz lourd ou d » une con-
gestion
Ou bien du résultat comme de l’explosion
En vase clos d’un milliard ou d’un seul
Pétale de violettes bleues. ..
Etc
Mais il importe à présent de laisser
reposer notre esprit, qu’il oublie cela,
s’occupe d’autres choses, et cependant
se nourrisse longuement, à petites bou-
chées – dans l’épaisseur muqueuse,
dans la pulpe de cette vérité dont
nous venons à peine d’entailler l’écorce.
Un jour, dans quelques mois ou quel-
ques années, cette vérité aux profon-
deurs de notre eS.prit étant devenue
habituelle, évidente – peut-être, à l’oc-
casion de la relecture des pages malha-
biles et efforcées qui précèdent ou bien
à l’occasion d’une nouvelle contempla-
tion d’un ciel de Provence – écrirai-je
d’un trait simple et aisé ce Poème après
Coup sur un Ciel de Propence que pro-
mettait le titre de ce cahier, mais que-
passion trop vive, infirmité, scrupules –
nous n avons pu encore nous offrir.
Roanne, mai-a ût 1941.