Je n ‘ ai pas encore dit grand-chose de
leur squelette. C’est quelque chose qui
donne l’impression d’une grande légè-
reté et d’une extrême fragilité, avec
une prédominance de l’abdomen et une
disproportion marquée de ce squelette
par rapport au volume de l’animal
vivant. Ce n’est vraiment presque rien
qu’une cage, qu’un très léger, très
aérien châssis : le crâne rond, extrême-
ment petit avec une énorme cavité
oculaire et un gros bec, le cou générale-
ment long et ténu, les membres infé-
rieurs insignifiants, le tout très facile à
broyer, sans aucune résistance à une
pression mécanique, protégé par très peu,
et au maximum assez peu de chair, de
chair d’ailleurs peu élastique ou amor-
tissante. Le squelette des poissons est
sans doute plus mince et plus fragile
encore, mais incomparablement mieux
protégé par la chair.
L’oiseau trouve son confort dans ses
plumes. Il est comme un homme qui ne
se séparerait pas de son édredon et de
ses oreillers de plume, qui les emporte-
rait sur son dos et pourrait à chaque
instant s’y blottir. Tout cela d’ailleurs
souvent fort pouilleux. A la réflexion,
rien ne ressemble à un moineau comme
un clochard , à une volière comme un
camp de romanichels.
*
Tout cela est trop grossier. L’état
d’esprit de l’oiseau doit être bien diffé-
rent. Mettez- ous à la place de ce man-
chot aux jambes grêles et entravées,
obligé de sautiller pour marcher, ou de
traîner un énorme ventre. Heureuse-
ment, un cou très mobile, autant pour
diriger le bec à l’appréhension des proies
que l’oreille aux monitions funestes, car
il ne peut en tout cas devoir son salut
qu’à la fuite – et l’œil rond, aux aguets
à la fois d e la proie et du prédateur,
constamment écarquillé le cœur et
les ailes battantes.
La grâce des orbes tracés en vol, la
gentillesse des mines , et des petits cris
ou des roulades, font généralement que
les oiseaux sont pris en bonne part.
Ce sont pourtant pour la plupart des
mignons crasseux et pouilleux, aux frai-
ses sales, aux crevés, aux bouillons fri-
pés et déchirés, aux collerettes et ai-
guillettes poussiéreuses, et qui plus est,
crottant en vol, crottant au pas, par-
tout. Très « Grand Siècle
*
Comment apparaît l’ oiseau dans la
vie d’un homme? Comme une surprise
dans le champ de sa vision. Éclairs
viandeux, plu s ou moins rapides. Zé-
brures dans la troisième dimension. A
Paris deux sortes : moineaux et pi-
geons. Toutes les autres, en cage: sur-
tout les petits oiseaux jaunes : perru-
ches ou serins .
L’oiseau parfait évoluerait avec une
grâce . . . il descendrait nous apporter du
ciel, par l’opération du Saint-Esprit
hien ëntendu, en des orhes gracieux
comme certains paraphes, la signature
du Dieu bon et satisfait de son œuvre
et de ses créatures. Demander à Clau-
del quelle est la signification de la
colombe du Saint-Esprit. Y a-t-il d’au-
tres oiseaux dans la religion chrétienne,
en général dans les religions? J’aperçois
les vautours de Prométhée qui me font
signe, le cygne de Léda… En voilà plu-
sieurs prêts à s’ébrouer et à renaître,
hors de la compilation. Merci bien, je
n’en ai que faire!
Somme toute, ce que je décris est
surtout le moineau, le perdreau, l’hi-
rondelle, le pigeon. (L’oiseau parfait :
je crois que je me réfère au pigeon quand
j’y songe, ou à la colombe. D’ailleurs
le Saint- Esprit était bien une c olombe ,
si je ne m’abuse (Buse)
*
Je croyais pouvoir écrire mille pages
sur n’importe quel objet, et voici qu’à
moins de cinq je suis essouffié, et me
tourne vers la compilation! Non, je sens
bien que de moi (et de l’oiseau) je peux
naïvement tirer autre chose. Mais au
fond ce qui importe, n’est-ce pas de
saisir le nœud? Lorsque j’aurai écrit
plusieurs pages, en les relisant j’aper-
cevrai l’endroit où se trouve ce nœud,
où est l’essentiel, la qualité de l’oiseau.
Je crois bien que j e l’ai déjà saisi. Deux
choses : le petit sac de plumes, et le
foudroyant départ capricieux en vol
(l’étonnant départ en vol). A côté de
ça, aussi la petite tête, le crâne broyable,
les pattes allumettes, le truc du déploie-
ment-déplacement, la bizarrerie des cour-
bes de vol. Quoi encore? Allons, cela
ne va pas être facile. Je va is retomber
peut-être dans mes erreurs de la cre-
vette. Il vaudrait mieux alors en rester
à ces notes, qui me dégoûtent moins
qu’un opus raté.
J’ai eu aussi l’idée à plusieurs repri-
ses – il faut que je la note – de faire
parler l’oiseau, de le décrire à la pre-
mière personne. Il faudra que j’essaie
cette issue, que je tftte de ce procédé.
*
Que dit Littré de l’oiseau? Encore la
compilation qui me tarabuste. Tant pis.
Allons-y voir. Un eHort. Je me lève
de mon fauteuil:
OISEAU (impossible à recopier, il y
en a trois colonnes, toute la page 8 d
du tome 1-1> et plusieurs lignes encore à
la page thLl. Je copie seulement les
têtes de chapitres) : « 1. Animal ovipare
à deux pieds, ayant des plumes et des
ailes. 2. Terme de zoologie : classe du
règne animal comprenant les animaux
vertébrés dont le corps est couvert de
plumes, et dont les membres antérieurs
ont en général la forme d’ailes, la
tête terminée en avant par un bec corné
qui recouvre des mâchoires allongées,
dépourvues de dents. 3. Le roi des
oiseaux, l’ aigle . L’oiseau de Jupiter,
l’aigle. L’oiseau de Junon, le paon.
L’oiseau de Minerve, la chouette, le
hibou. L’oiseau de Vénus, la colombe, le
pigeon. 4. Terme de fauconnerie. Abso-
lument, l’oiseau : l’oiseau de proie dressé
à la chasse. (Et tous les termes d e fau-
connerie.) 5. Oiseau mouche. 6. Oiseau
moqueur. 7. Oiseau d’Afrique, la pin-
tade. Oiseau de cerises, le loriot, etc.
10. L’oiseau de saint Luc, le bœuf.