La suivante

de Pierre Corneille

Adresse

À Monsieur***

MONSIEUR,

Je vous présente une comédie qui n’a pas été également aimée de toutes sortes d’esprits ; beaucoup, et de fort bons, n’en ont pas fait grand état, et beaucoup d’autres l’ont mise au-dessus du reste des miennes. Pour moi, je laisse dire tout le monde, et fais mon profit des bons avis, de quelque part que je les reçoive. Je traite toujours mon sujet le moins mal qu’il m’est possible, et après y avoir corrigé ce qu’on m’y fait connaître d’inexcusable, je l’abandonne au public. Si je ne fais bien, qu’un autre fasse mieux ; je ferai des vers à sa louange, au lieu de le censurer. Chacun a sa méthode ; je ne blâme point celle des autres, et me tiens à la mienne : jusques à présent je m’en suis trouvé fort bien ; j’en chercherai une meilleure quand je commencerai à m’en trouver mal. Ceux qui se font presser à la représentation de mes ouvrages m’obligent infiniment ; ceux qui ne les approuvent pas peuvent se dispenser d’y venir gagner la migraine ; ils épargneront de l’argent, et me feront plaisir.Les jugements sont libres en ces matières, et les goûts divers.J’ai vu des personnes de fort bon sens admirer des endroits sur qui j’aurais passé l’éponge, et j’en connais dont les poèmes réussissent au théâtre avec éclat, et qui pour principaux ornements y emploient des choses que j’évite dans les miens. Ils pensent avoir raison, et moi aussi : qui d’eux ou de moi se trompe,c’est ce qui n’est pas aisé à juger. Chez les philosophes, tout ce qui n’est point de la foi ni des principes est disputable : et souvent ils soutiendront, à votre choix, le pour et le contre d’une même proposition : marques certaines de l’excellence de l’esprit humain, qui trouve des raisons à défendre tout ; ou plutôt de sa faiblesse, qui n’en peut trouver de convaincantes, ni qui ne puissent être combattues et détruites par de contraires.Ainsi ce n’est pas merveille si les critiques donnent de mauvaises interprétations à nos vers, et de mauvaises faces à nos personnages. « Qu’on me donne, dit M. de Montaigne, au chapitre XXXVI du premier livre, l’action la plus excellente et pure, je m’en vais y fournir vraisemblablement cinquante vicieuses intentions. » C’est au lecteur désintéressé à prendre la médaille par le beau revers. Comme il nous a quelque obligation d’avoir travaillé à le divertir, j’ose dire que pour reconnaissance il nous doit un peu de faveur, et qu’il commet une espèce d’ingratitude, s’il ne se montre plus ingénieux à nous défendre qu’à nous condamner, et s’il n’applique la subtilité de son esprit plutôt à colorer et justifier en quelque sorte nos véritables défauts, qu’à en trouver où il n’y en a point. Nous pardonnons beaucoup de choses aux anciens ; nous admirons quelquefois dans leurs écrits ce que nous ne souffririons pas dans les nôtres ; nous faisons des mystères de leurs imperfections, et couvrons leurs fautes du nom de licences poétiques. Le docte Scaliger a remarqué des taches dans tous les latins, et de moinssavants que lui en remarqueraient bien dans les grecs, et dans sonVirgile même, à qui il dresse des autels sur le mépris des autres.Je vous laisse donc à penser si notre présomption ne serait pasridicule, de prétendre qu’une exacte censure ne pût mordre sur nosouvrages, puisque ceux de ces grands génies de l’antiquité ne sepeuvent pas soutenir contre un rigoureux examen. Je ne me suisjamais imaginé avoir mis rien au jour de parfait, je n’espère pasmême y pouvoir jamais arriver ; je fais néanmoins mon possiblepour en approcher, et les plus beaux succès des autres neproduisent en moi qu’une vertueuse émulation, qui me fait redoublermes efforts afin d’en avoir de pareils :

Je vois d’un œil égal croître le nomd’autrui,

Et tâche à m’élever aussi haut comme lui,

Sans hasarder ma peine à le fairedescendre.

La gloire a des trésors qu’on ne peutépuiser :

Et plus elle en prodigue à nous favoriser,

Plus elle en garde encore où chacun peutprétendre.

Pour venir à cette Suivante que jevous dédie, elle est d’un genre qui demande plutôt un style naïfque pompeux. Les fourbes et les intrigues sont principalement dujeu de la comédie ; les passions n’y entrent que par accident.Les règles des anciens sont assez religieusement observées encelle-ci. Il n’y a qu’une action principale à qui toutes les autresaboutissent ; son lieu n’a point plus d’étendue que celle duthéâtre, et le temps n’en est point plus long que celui de lareprésentation, si vous en exceptez l’heure du dîner, qui se passeentre le premier et le second acte. La liaison même des scènes, quin’est qu’un embellissement, et non pas un précepte, y estgardée ; et si vous prenez la peine de compter les vers, vousn’en trouverez pas en un acte plus qu’en l’autre. Ce n’est pas queje me sois assujetti depuis aux mêmes rigueurs. J’aime à suivre lesrègles ; mais, loin de me rendre leur esclave, je les élargiset resserre selon le besoin qu’en a mon sujet, et je romps mêmesans scrupule celle qui regarde la durée de l’action, quand sasévérité me semble absolument incompatible avec les beautés desévénements que je décris. Savoir les règles, et entendre le secretde les apprivoiser adroitement avec notre théâtre, ce sont deuxsciences bien différentes ; et peut-être que pour fairemaintenant réussir une pièce, ce n’est pas assez d’avoir étudiédans les livres d’Aristote et d’Horace. J’espère un jour traiterces matières plus à fond, et montrer de quelle espèce est lavraisemblance qu’ont suivie ces grands maîtres des autres siècles,en faisant parler des bêtes et des choses qui n’ont point de corps.Cependant mon avis est celui de Térence : puisque nous faisonsdes poèmes pour être représentés, notre premier but doit être deplaire à la cour et au peuple, et d’attirer un grand monde à leursreprésentations. Il faut, s’il se peut, y ajouter les règles, afinde ne déplaire pas aux savants, et recevoir un applaudissementuniversel ; mais surtout gagnons la voix publique ;autrement, notre pièce aura beau être régulière, si elle estsifflée au théâtre, les savants n’oseront se déclarer en notrefaveur, et aimeront mieux dire que nous aurons mal entendu lesrègles, que de nous donner des louanges quand nous serons décriéspar le consentement général de ceux qui ne voient la comédie quepour se divertir.

Je suis, MONSIEUR, votre très humbleserviteur,

CORNEILLE.

Examen

 

Je ne dirai pas grand mal de celle-ci, que jetiens assez régulière, bien qu’elle ne soit pas sans taches. Lestyle en est plus faible que celui des autres. L’amour de Gérastepour Florise n’est point marqué dans le premier acte, et ainsi laprotase comprend la première scène du second, où il se présenteavec sa confidente Célie, sans qu’on les connaisse ni l’un nil’autre. Cela ne serait pas vicieux s’il ne s’y présentait quecomme père de Daphnis, et qu’il ne s’expliquât que sur les intérêtsde sa fille ; mais il en a de si notables pour lui, qu’ilsfont le nœud et le dénouement. Ainsi c’est un défaut, selon moi,qu’on ne le connaisse pas dès ce premier acte. Il pourrait êtreencore souffert, comme Célidan dans la Veuve, si Floramel’allait voir pour le faire consentir à son mariage avec sa fille,et que par occasion il lui proposât celui de sa sœur pourlui-même ; car alors ce serait Florame qui l’introduirait dansla pièce, et il y serait appelé par un acteur agissant dès lecommencement. Clarimond, qui ne paraît qu’au troisième, est insinuédès le premier, où Daphnis parle de l’amour qu’il a pour elle, etavoue qu’elle ne le dédaignerait pas s’il ressemblait à Florame. Cemême Clarimond fait venir son oncle Polémon au cinquième ; etces deux acteurs ainsi sont exempts du défaut que je remarque enGéraste. L’entretien de Daphnis, au troisième, avec cet amantdédaigné, a une affectation assez dangereuse, de ne dire que chacunun vers à la fois ; cela sort tout à fait du vraisemblable,puisque naturellement on ne peut être si mesuré en ce qu’ons’entredit. Les exemples d’Euripide et de Sénèque pourraientautoriser cette affectation, qu’ils pratiquent si souvent, et mêmepar discours généraux, qu’il semble que leurs acteurs ne viennentquelquefois sur la scène que pour s’y battre à coups desentences : mais c’est une beauté qu’il ne leur faut pasenvier. Elle est trop fardée pour donner un amour raisonnable àceux qui ont de bons yeux, et ne prend pas assez de soin de cacherl’artifice de ses parures, comme l’ordonne Aristote.

Géraste n’agit pas mal en vieillard amoureux,puisqu’il ne traite l’amour que par tierce personne, qu’il neprétend être considérable que par son bien, et qu’il ne se produitpoint aux yeux de sa maîtresse, de peur de lui donner du dégoût parsa présence. On peut douter s’il ne sort point du caractère desvieillards, en ce qu’étant naturellement avares, ils considèrent lebien plus que toute autre chose dans les mariages de leurs enfants,et que celui-ci donne assez libéralement sa fille à Florame, malgréson peu de fortune, pourvu qu’il en obtienne sa sœur. En cela, j’aisuivi la peinture que fait Quintilien d’un vieux mari qui a épouséune jeune femme, et n’ai point de scrupule de l’appliquer à unvieillard qui se veut marier. Les termes en sont si beaux, que jen’ose les gâter par ma traduction : Genus infirmissimaeservitutis est senex maritus, et flagrantius uxoriœcharitatis ardorem frigidis concipimus affectibus. C’est surces deux lignes que je me suis cru bien fondé à faire dire de cebonhomme que,

… s’il pouvait donner trois Daphnis pourFlorise,

Il la tiendrait encore heureusementacquise.

Il peut naître encore une autre difficulté surce que Théante et Amarante forment chacun un dessein pour traverserles amours de Florame et Daphnis, et qu’ainsi ce sont deuxintrigues qui rompent l’unité d’action. À quoi je réponds,premièrement, que ces deux desseins formés en même temps, etcontinués tous deux jusqu’au bout, font une concurrence quin’empêche pas cette unité ; ce qui ne serait pas si, aprèscelui de Théante avorté, Amarante en formait un nouveau de sapart ; en second lieu, que ces deux desseins ont une espèced’unité entre eux, en ce que tous deux sont fondés sur l’amour queClarimond a pour Daphnis, qui sert de prétexte à l’un et àl’autre ; et enfin, que de ces deux desseins il n’y en a qu’unqui fasse effet, l’autre se détruisant de soi-même, et qu’ainsi lafourbe d’Amarante est le seul véritable nœud de cette comédie, oùle dessein de Théante ne sert qu’à un agréable épisode de deuxhonnêtes gens qui jouent tour à tour un poltron et le tournent enridicule.

Il y avait ici un aussi beau jeu pour les aparte qu’en la Veuve : mais j’y en fais voir la même aversion,avec cet avantage, qu’une seule scène qui ouvre le théâtre donneici l’intelligence du sens caché de ce que disent mes acteurs, etqu’en l’autre j’en emploie quatre ou cinq pour l’éclaircir.

L’unité de lieu est assez exactement gardée encette comédie, avec ce passe-droit toutefois dont j’ai déjà parlé,que tout ce que dit Daphnis à sa porte ou en la rue serait mieuxdit dans sa chambre, où les scènes qui se font sans elle et sansAmarante ne peuvent se placer. C’est ce qui m’oblige à la fairesortir au-dehors, afin qu’il y puisse avoir et unité de lieuentière, et liaison de scène perpétuelle dans la pièce ; cequi ne pourrait être, si elle parlait dans sa chambre, et lesautres dans la rue.

J’ai déjà dit que je tiens impossible dechoisir une place publique pour le lieu de la scène que cetinconvénient n’arrive ; j’en parlerai encore plus au long,quand je m’expliquerai sur l’unité de lieu. J’ai dit que la liaisonde scènes est ici perpétuelle, et j’y en ai mis de deux sortes, deprésence et de vue. Quelques-uns ne veulent pas que quand un acteursort du théâtre pour n’être point vu de celui qui y vient, celafasse une liaison ; mais je ne puis être de leur avis sur cepoint, et tiens que c’en est une suffisante quand l’acteur quientre sur le théâtre voit celui qui en sort, ou que celui qui sortvoit celui qui entre, soit qu’il le cherche, soit qu’il le fuie,soit qu’il le voie simplement sans avoir intérêt à le chercher ni àle fuir. Aussi j’appelle en général une liaison de vue ce qu’ilsnomment une liaison de recherche. J’avoue que cette liaison estbeaucoup plus imparfaite que celle de présence et de discours, quise fait lorsqu’un acteur ne sort point du théâtre sans y laisser unautre à qui il ait parlé ; et dans mes derniers ouvrages je mesuis arrêté à celle-ci sans me servir de l’autre ; mais enfinje crois qu’on s’en peut contenter, et je la préférerais debeaucoup à celle qu’on appelle liaison de bruit, qui ne me semblepas supportable, s’il n’y a de très justes et de très importantesoccasions qui obligent un acteur à sortir du théâtre quand il enentend : car d’y venir simplement par curiosité, pour savoirce que veut dire ce bruit, c’est une si faible liaison, que je neconseillerais jamais personne de s’en servir.

La durée de l’action ne passerait point encette comédie celle de la représentation, si l’heure du dîner n’yséparait point les deux premiers actes. Le reste n’emporte que cetemps-là ; et je n’aurais pu lui en donner davantage, que mesacteurs n’eussent le loisir de s’éclaircir ; ce qui lesbrouille n’étant qu’un malentendu qui ne peut subsister qu’autantque Géraste, Florame et Daphnis ne se trouvent point tous troisensemble. Je n’ose dire que je m’y suis asservi à faire les actessi égaux, qu’aucun n’a pas un vers plus que l’autre : c’estune affectation qui ne fait aucune beauté. Il faut, à la vérité,les rendre les plus égaux qu’il se peut ; mais il n’est pasbesoin de cette exactitude ; il suffit qu’il n’y ait pointd’inégalité notable qui fatigue l’attention de l’auditeur enquelques-uns, et ne la remplisse pas dans les autres.

Acteurs

 

Géraste, père deDaphnis.

Polémon, onclede Clarimond.

Clarimond,amoureux de Daphnis.

Florame, amantde Daphnis.

Théante, aussiamoureux de Daphnis.

Damon, ami deFlorame et de Théante.

Daphnis,maîtresse de Florame, aimée de Clarimond et de Théante.

Amarante,suivante de Daphnis.

Célie, voisinede Géraste et sa confidente.

Cléon,domestique de Damon.

La scène est àParis.

Acte premier

 

Scène première

Damon,Théante

 

Damon

Ami, j’ai beau rêver, toute ma rêverie

Ne me fait rien comprendre en tagalanterie.

Auprès de ta maîtresse engager un ami,

C’est, à mon jugement, ne l’aimer qu’àdemi.

Ton humeur qui s’en lasse au changementl’invite ;

Et n’osant la quitter, tu veux qu’elle tequitte.

Théante

Ami, n’y rêve plus ; c’est en juger tropbien

Pour t’oser plaindre encor de n’y comprendrerien.

Quelques puissants appas que possèdeAmarante,

Je trouve qu’après tout ce n’est qu’unesuivante ;

Et je ne puis songer à sa condition

Que mon amour ne cède à mon ambition.

Ainsi, malgré l’ardeur qui pour elle mepresse,

À la fin j’ai levé les yeux sur samaîtresse,

Où mon dessein, plus haut et pluslaborieux,

Se promet des succès beaucoup plusglorieux.

Mais lors, soit qu’Amarante eût pour moiquelque flamme,

Soit qu’elle pénétrât jusqu’au fond de monâme,

Et que malicieuse elle prît du plaisir

À rompre les effets de mon nouveau désir,

Elle savait toujours m’arrêter auprèsd’elle

À tenir des propos d’une suite éternelle.

L’ardeur qui me brûlait de parler àDaphnis

Me fournissait en vain des détoursinfinis ;

Elle usait de ses droits, et touteimpérieuse,

D’une voix demi-gaie etdemi-sérieuse :

« Quand j’ai des serviteurs, c’est pourm’entretenir,

Disait-elle ; autrement, je les sais bienpunir ;

Leurs devoirs près de moi n’ont rien qui lesexcuse. »

Damon

Maintenant je devine à peu près une ruse

Que tout autre en ta place à peineentreprendrait.

Théante

Écoute, et tu verras si je suis maladroit.

Tu sais comme Florame à tous les beauxvisages

Fait par civilité toujours de feintshommages,

Et sans avoir d’amour offrant partout desvœux,

Traite de peu d’esprit les véritablesfeux.

Un jour qu’il se vantait de cette humeurétrange,

À qui chaque objet plaît, et que pas un nerange,

Et reprochait à tous que leur peu debeauté

Lui laissait si longtemps garder saliberté :

« Florame, dis-je alors, ton âmeindifférente

Ne tiendrait que fort peu contre monAmarante. »

« Théante, me dit-il, il faudraitl’éprouver ;

Mais l’éprouvant, peut-être on te feraitrêver :

Mon feu, qui ne serait que purecourtoisie,

La remplirait d’amour, et toi dejalousie. »

Je réplique, il repart, et nous tombonsd’accord

Qu’au hasard du succès il y ferait effort.

Ainsi je l’introduis ; et par ce tourd’adresse,

Qui me fait pour un temps lui céder mamaîtresse,

Engageant Amarante et Florame au discours,

J’entretiens à loisir mes nouvellesamours.

Damon

Fut-elle, sur ce point, ou fâcheuse, oufacile ?

Théante

Plus que je n’espérais je l’y trouvaidocile ;

Soit que je lui donnasse une fort douceloi,

Et qu’il fût à ses yeux plus aimable quemoi ;

Soit qu’elle fît dessein sur ce fameuxrebelle,

Qu’une simple gageure attachait auprèsd’elle,

Elle perdit pour moi son importunité,

Et n’en demanda plus tant d’assiduité.

La douceur d’être seule à gouvernerFlorame

Ne souffrit plus chez elle aucun soin de maflamme,

Et ce qu’elle goûtait avec lui de plaisirs

Lui fit abandonner mon âme à mes désirs.

Damon

On t’abuse, Théante ; il faut que je tedie

Que Florame est atteint de même maladie,

Qu’il roule en son esprit mêmes desseins quetoi,

Et que c’est à Daphnis qu’il veut donner safoi.

À servir Amarante il met beaucoupd’étude ;

Mais ce n’est qu’un prétexte à faire unehabitude :

Il accoutume ainsi ta Daphnis à le voir,

Et ménage un accès qu’il ne pouvait avoir.

Sa richesse l’attire, et sa beauté leblesse ;

Elle le passe en biens, il l’égale ennoblesse,

Et cherche, ambitieux, par sa possession,

À relever l’éclat de son extraction.

Il a peu de fortune, et beaucoup decourage ;

Et hors cette espérance, il hait lemariage.

C’est ce que l’autre jour en secret ilm’apprit ;

Tu peux, sur cet avis, lire dans sonesprit.

Théante

Parmi ses hauts projets il manque deprudence,

Puisqu’il traite avec toi de telleconfidence.

Damon

Crois qu’il m’éprouvera fidèle au dernierpoint,

Lorsque ton intérêt ne s’y mêlera point.

Théante

Je dois l’attendre ici. Quitte-moi, je teprie,

De peur qu’il n’ait soupçon de tasupercherie.

Damon

Adieu. Je suis à toi.

Scène II

 

Théante

Par quel malheur fatal

Ai-je donné moi-même entrée à monrival ?

De quelque trait rusé que mon esprit sevante,

Je me trompe moi-même en trompantAmarante,

Et choisis un ami qui ne veut que m’ôter

Ce que par lui je tâche à me faciliter.

Qu’importe toutefois qu’il brûle et qu’ilsoupire ?

Je sais trop comme il faut l’empêcher d’enrien dire.

Amarante l’arrête, et j’arrêteDaphnis :

Ainsi tous entretiens d’entre eux deux sontbannis :

Et tant d’heur se rencontre en ma sageconduite,

Qu’au langage des yeux son amour estréduite.

Mais n’est-ce pas assez pour secommuniquer ?

Que faut-il aux amants de plus pours’expliquer ?

Même ceux de Daphnis à tous coups luirépondent :

L’un dans l’autre à tous coups leurs regardsse confondent ;

Et d’un commun aveu ces muets truchements

Ne se disent que trop leurs amoureuxtourments,

Quelles vaines frayeurs troublent mafantaisie !

Que l’amour aisément penche à lajalousie !

Qu’on croit tôt ce qu’on craint en cesperplexités,

Où les moindres soupçons passent pourvérités !

Daphnis est tout aimable ; et si Floramel’aime,

Dois-je m’imaginer qu’il soit aimé demême ?

Florame avec raison adore tant d’appas,

Et Daphnis sans raison s’abaisserait tropbas.

Ce feu, si juste en l’un, en l’autreinexcusable,

Rendrait l’un glorieux, et l’autreméprisable.

Simple ! l’amour peut-il écouter laraison ?

Et même ces raisons sont-elles desaison ?

Si Daphnis doit rougir en brûlant pourFlorame,

Qui l’en affranchirait en secondant maflamme ?

Étant tous deux égaux, il faut bien que nosfeux

Lui fassent même honte, ou même honneur tousdeux :

Ou tous deux nous formons un desseintéméraire,

Ou nous avons tous deux même droit de luiplaire.

Si l’espoir m’est permis, il y peutaspirer ;

Et s’il prétend trop haut, je doisdésespérer.

Mais le voici venir.

Scène III

Théante,Florame

 

Théante

Tu me fais bien attendre.

Florame

Encore est-ce à regret qu’ici je viens merendre,

Et comme un criminel qu’on traîne à saprison.

Théante

Tu ne fais qu’en raillant cettecomparaison.

Florame

Elle n’est que trop vraie.

Théante

Et ton indifférence ?

Florame

La conserver encor ! le moyen ?l’apparence ?

Je m’étais plu toujours d’aimer en millelieux :

Voyant une beauté, mon cœur suivait mesyeux ;

Mais de quelques attraits que le ciel l’eûtpourvue,

J’en perdais la mémoire aussitôt que lavue ;

Et bien que mes discours lui donnassent mafoi,

De retour au logis, je me trouvais à moi.

Cette façon d’aimer me semblait fortcommode,

Et maintenant encor je vivrais à mamode :

Mais l’objet d’Amarante est tropembarrassant ;

Ce n’est point un visage à ne voir qu’enpassant.

Un je ne sais quel charme auprès d’ellem’attache ;

Je ne la puis quitter que le jour ne secache ;

Même alors, malgré moi, son image me suit,

Et me vient au lieu d’elle entretenir lanuit.

Le sommeil n’oserait me peindre une autreidée ;

J’en ai l’esprit rempli, j’en ai l’âmeobsédée.

Théante, ou permets-moi de n’en plusapprocher,

Ou songe que mon cœur n’est pas fait d’unrocher ;

Tant de charmes enfin me rendraientinfidèle.

Théante

Deviens-le, si tu veux, je suis assuréd’elle ;

Et quand il te faudra tout de bonl’adorer,

Je prendrai du plaisir à te voir soupirer,

Tandis que pour tout fruit tu porteras lapeine

D’avoir tant persisté dans une humeur sivaine.

Quand tu ne pourras plus te priver de lavoir,

C’est alors que je veux t’en ôter lepouvoir ;

Et j’attends de pied ferme à reprendre maplace,

Qu’il ne soit plus en toi de retrouver taglace.

Tu te défends encore, et n’en tiens qu’àdemi.

Florame

Cruel, est-ce là donc me traiter enami ?

Garde, pour châtiment de cet injusteoutrage,

Qu’Amarante pour toi ne change de courage,

Et se rendant sensible à l’ardeur de mesvœux…

Théante

À cela près, poursuis ; gagne-la si tupeux.

Je ne m’en prendrai lors qu’à ma seuleimprudence,

Et demeurant ensemble en bonneintelligence,

En dépit du malheur que j’aurai mérité,

J’aimerai le rival qui m’aura supplanté.

Florame

Ami, qu’il vaut bien mieux ne tomber point enpeine

De faire à tes dépens cette épreuveincertaine !

Je me confesse pris, je quitte, j’aiperdu :

Que veux-tu plus de moi ? Reprends ce quit’est dû.

Séparer plus longtemps une amour siparfaite !

Continuer encor la faute que j’aifaite !

Elle n’est que trop grande, et pour laréparer,

J’empêcherai Daphnis de vous plus séparer.

Pour peu qu’à mes discours je la trouveaccessible,

Vous jouirez vous deux d’un entretienpaisible ;

Je saurai l’amuser, et vos feux redoublés

Par son fâcheux abord ne seront plustroublés.

Théante

Ce serait prendre un soin qui n’est pasnécessaire.

Daphnis sait d’elle-même assez bien sedistraire,

Et jamais son abord ne trouble nosplaisirs,

Tant elle est complaisante à nos chastesdésirs.

Scène IV

Florame,Théante,Amarante

 

Théante

Déploie, il en est temps, tes meilleursartifices

(Sans mettre toutefois en oubli messervices) :

Je t’amène un captif qui te veut échapper.

Amarante

J’en ai vu d’échappés que j’ai surattraper.

Théante

Vois qu’en sa liberté ta gloire sehasarde.

Amarante

Allez, laissez-le-moi, j’en ferai bonnegarde.

Daphnis est au jardin.

Florame

Sans plus vous désunir

Souffre qu’au lieu de toi je l’ailleentretenir.

Scène V

Amarante,Florame

 

Amarante

Laissez, mon cavalier, laissez allerThéante :

Il porte assez au cœur le portraitd’Amarante ;

Je n’appréhende point qu’on l’en puisseeffacer.

C’est au vôtre à présent que je le veuxtracer ;

Et la difficulté d’une telle victoire

M’en augmente l’ardeur comme elle en croît lagloire.

Florame

Aurez-vous quelque gloire à me fairesouffrir ?

Amarante

Plus que de tous les vœux qu’on me pourraitoffrir.

Florame

Vous plaisez-vous à ceux d’une âme sicontrainte,

Qu’une vieille amitié retient toujours encrainte ?

Amarante

Vous n’êtes pas encore au point où je vousveux :

Et toute amitié meurt où naissent de vraisfeux.

Florame

De vrai, contre ses droits mon esprit serebelle ;

Mais feriez-vous état d’un amantinfidèle ?

Amarante

Je ne prendrai jamais pour un manque defoi

D’oublier un ami pour se donner à moi.

Florame

Encor si je pouvais former quelqueespérance

De vous voir favorable à ma persévérance,

Que vous pussiez m’aimer après tant detourment,

Et d’un mauvais ami faire un heureuxamant !

Mais, hélas ! je vous sers, je vis sousvotre empire,

Et je ne puis prétendre où mon désiraspire.

Théante ! (ah, nom fatal pour me comblerd’ennui !)

Vous demandez mon cœur, et le vôtre est àlui !

Souffrez qu’en autre lieu j’adresse messervices,

Que du manque d’espoir j’évite lessupplices.

Qui ne peut rien prétendre a droitd’abandonner.

Amarante

S’il ne tient qu’à l’espoir, je vous en veuxdonner.

Apprenez que chez moi c’est un faibleavantage

De m’avoir de ses vœux le premier faithommage.

Le mérite y fait tout, et tel plaît à mesyeux,

Que je négligerais près de qui vaudraitmieux.

Lui seul de mes amants règle ladifférence,

Sans que le temps leur donne aucunepréférence.

Florame

Vous ne flattez mes sens que pourm’embarrasser.

Amarante

Peut-être ; mais enfin il faut leconfesser,

Vous vous trouveriez mieux auprès de mamaîtresse.

Florame

Ne pensez pas…

Amarante

Non, non, c’est là ce qui vous presse.

Allons dans le jardin ensemble lachercher.

(À part.)

Que j’ai su dextrement à ses yeux lacacher !

Scène VI

Daphnis,Théante

 

Daphnis

Voyez comme tous deux ont fui notrerencontre !

Je vous l’ai déjà dit, et l’effet vous lemontre :

Vous perdez Amarante, et cet ami fardé

Se saisit finement d’un bien si malgardé :

Vous devez vous lasser de tant depatience,

Et votre sûreté n’est qu’en la défiance.

Théante

Je connais Amarante, et ma facilité

Établit mon repos sur sa fidélité :

Elle rit de Florame et de ses flatteries,

Qui ne sont après tout que desgalanteries.

Daphnis

Amarante, de vrai, n’aime pas àchanger ;

Mais votre peu de soin l’y pourraitengager.

On néglige aisément un homme qui néglige.

Son naturel est vain ; et qui la sertl’oblige :

D’ailleurs les nouveautés ont de puissantsappas.

Théante, croyez-moi, ne vous y fiez pas.

J’ai su me faire jour jusqu’au fond de sonâme,

Où j’ai peu remarqué de sa premièreflamme ;

Et s’il tournait la feinte en véritableamour,

Elle serait bien fille à vous jouer d’untour.

Mais afin que l’issue en soit pour vousmeilleure,

Laissez-moi ce causeur à gouverner uneheure ;

J’ai tant de passion pour tous vosintérêts,

Que j’en saurai bientôt pénétrer lessecrets.

Théante

C’est un trop bas emploi pour de si hautsmérites ;

Et quand elle aimerait à souffrir sesvisites,

Quand elle aurait pour lui quelqueinclination,

Vous m’en verriez toujours sansappréhension.

Qu’il se mette à loisir, s’il peut, dans soncourage ;

Un moment de ma vue en efface l’image.

Nous nous ressemblons mal, et pour cechangement,

Elle a de trop bons yeux, et trop dejugement.

Daphnis

Vous le méprisez trop : je trouve en luides charmes

Qui vous devraient du moins donner quelquesalarmes.

Clarimond n’a de moi que haine et querigueur ;

Mais s’il lui ressemblait, il gagnerait moncœur.

Théante

Vous en parlez ainsi, faute de leconnaître.

Daphnis

J’en parle et juge ainsi sur ce qu’on voitparaître.

Théante

Quoi qu’il en soit, l’honneur de vousentretenir…

Daphnis

Brisons là ce discours ; je l’aperçoisvenir.

Amarante, ce semble, en est fortsatisfaite.

Scène VII

Daphnis,Florame,Théante,Amarante

 

Théante

Je t’attendais, ami, pour faire laretraite.

L’heure du dîner presse, et nousincommodons

Celles qu’en nos discours ici nousretardons.

Daphnis

Il n’est pas encor tard.

Théante

Nous ferions conscience

D’abuser plus longtemps de votre patience.

Florame

Madame, excusez donc cette incivilité,

Dont l’heure nous impose une nécessité.

Daphnis

Sa force vous excuse, et je lis dans votreâme

Qu’à regret vous quittez l’objet de votreflamme.

Scène VIII

Daphnis,Amarante

 

Daphnis

Cette assiduité de Florame avec vous

À la fin a rendu Théante un peu jaloux.

Aussi de vous y voir tous les joursattachée,

Quelle puissante amour n’en serait pointtouchée ?

Je viens d’examiner son esprit enpassant ;

Mais vous ne croiriez pas l’ennui qu’il enressent.

Vous y devez pourvoir, et si vous êtessage,

Il faut à cet ami faire mauvais visage,

Lui fausser compagnie, éviter sesdiscours :

Ce sont pour l’apaiser les chemins les pluscourts ;

Sinon, faites état qu’il va courir auchange.

Amarante

Il serait en ce cas d’une humeur bienétrange.

À sa prière seule, et pour le contenter,

J’écoute cet ami quand il m’en vientconter ;

Et pour vous dire tout, cet amant infidèle

Ne m’aime pas assez pour en être encervelle.

Il forme des desseins beaucoup plusrelevés,

Et de plus beaux portraits en son cœur sontgravés.

Mes yeux pour l’asservir ont de trop faiblesarmes ;

Il voudrait pour m’aimer que j’eusse d’autrescharmes,

Que l’éclat de mon sang, mieux soutenu debiens,

Ne fût point ravalé par le rang que jetiens ;

Enfin (que servirait aussi bien de letaire ?)

Sa vanité le porte au souci de vousplaire.

Daphnis

En ce cas, il verra que je sais comme ilfaut

Punir des insolents qui prétendent trophaut.

Amarante

Je lui veux quelque bien, puisque, changeantde flamme,

Vous voyez, par pitié, qu’il me laisseFlorame,

Qui n’étant pas si vain a plus de fermeté.

Daphnis

Amarante, après tout, disons lavérité :

Théante n’est si vain qu’en votrefantaisie ;

Et sa froideur pour vous naît de sajalousie ;

Mais soit qu’il change, ou non, il nem’importe en rien ;

Et ce que je vous dis n’est que pour votrebien.

Scène IX

 

Amarante

Pour peu savant qu’on soit aux mouvements del’âme,

On devine aisément qu’elle en veut àFlorame.

Sa fermeté pour moi, que je vantais àfaux,

Lui portait dans l’esprit de terriblesassauts.

Sa surprise à ce mot a paru manifeste,

Son teint en a changé, sa parole, songeste :

L’entretien que j’en ai lui semblerait biendoux ;

Et je crois que Théante en est le moinsjaloux.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’en suisdoutée.

Être toujours des yeux sur un hommearrêtée,

Dans son manque de biens déplorer sonmalheur,

Juger à sa façon qu’il a de la valeur,

Demander si l’esprit en répond à la mine,

Tout cela de ses feux eût instruit la moinsfine.

Florame en est de même, il meurt de luiparler ;

Et s’il peut d’avec moi jamais se démêler,

C’en est fait, je le perds. L’impertinentecrainte !

Que m’importe de perdre une amitié sifeinte ?

Et que me peut servir un ridicule feu,

Où jamais de son cœur sa bouche n’al’aveu ?

Je m’en veux mal en vain ; l’amour a tantde force

Qu’il attache mes sens à cette fausseamorce,

Et fera son possible à toujours conserver

Ce doux extérieur dont on me veut priver.

Acte II

 

Scène première

Géraste,Célie

 

Célie

Eh bien, j’en parlerai ; mais songez qu’àvotre âge

Mille accidents fâcheux suivent lemariage.

On aime rarement de si sages époux,

Et leur moindre malheur, c’est d’être un peujaloux.

Convaincus au dedans de leur proprefaiblesse,

Une ombre leur fait peur, une mouche lesblesse ;

Et cet heureux hymen, qui les charmait sifort,

Devient souvent pour eux un fourrier de lamort.

Géraste

Excuse, ou pour le moins pardonne à mafolie ;

Le sort en est jeté : va, ma chèreCélie,

Va trouver la beauté qui me tient sous saloi,

Flatte-la de ma part, promets-lui tout demoi :

Dis-lui que si l’amour d’un vieillardl’importune,

Elle fait une planche à sa bonnefortune ;

Que l’excès de mes biens, à force deprésents,

Répare la vigueur qui manque à mes vieuxans ;

Qu’il ne lui peut échoir de meilleureaventure.

Célie

Ne m’importunez point de votretablature :

Sans vos instructions, je sais bien monmétier ;

Et je n’en laisserai pas un trait àquartier.

Géraste

Je ne suis point ingrat quand on me rendoffice.

Peins-lui bien mon amour, offre bien monservice,

Dis bien que mes beaux jours ne sont pas sipassés

Qu’il ne me reste encor…

Célie

Que vous m’étourdissez !

N’est-ce point assez dit que votre âme estéprise ?

Que vous allez mourir si vous n’avezFlorise ?

Reposez-vous sur moi.

Géraste

Que voilà froidement

Me promettre ton aide à finir montourment !

Célie

S’il faut aller plus vite, allons, je vois sonfrère,

Et vais tout devant vous lui proposerl’affaire.

Géraste

Ce serait tout gâter ; arrête, et pardouceur,

Essaie auparavant d’y résoudre la sœur.

Scène II

 

Florame

Jamais ne verrai-je finie

Cette incommode affection,

Dont l’impitoyable manie

Tyrannise ma passion ?

Je feins, et je fais naître un feu sivéritable,

Qu’à force d’être aimé je deviensmisérable.

Toi qui m’assièges tout le jour,

Fâcheuse cause de ma peine,

Amarante, de qui l’amour

Commence à mériter ma haine,

Cesse de te donner tant de soinssuperflus ;

Je te voudrai du bien de ne m’en vouloirplus.

Dans une ardeur si violente,

Près de l’objet de mes désirs,

Penses-tu que je me contente

D’un regard et de deux soupirs ?

Et que je souffre encor cet injustepartage

Où tu tiens mes discours, et Daphnis moncourage ?

Si j’ai feint pour toi quelques feux,

C’est à quoi plus rien ne m’oblige :

Quand on a l’effet de ses vœux,

Ce qu’on adorait se néglige.

Je ne voulais de toi qu’un accès chezDaphnis :

Amarante, je l’ai ; mes amours sontfinis.

Théante, reprends ta maîtresse ;

N’ôte plus à mes entretiens

L’unique sujet qui me blesse,

Et qui peut-être est las des tiens.

Et toi, puissant Amour, fais enfin quej’obtienne

Un peu de liberté pour lui donner lamienne !

Scène III

Amarante,Florame

 

Amarante

Que vous voilà soudain de retour en ceslieux !

Florame

Vous jugerez par là du pouvoir de vosyeux.

Amarante

Autre objet que mes yeux devers nous vousattire.

Florame

Autre objet que vos yeux ne cause monmartyre.

Amarante

Votre martyre donc est de perdre avec moi

Un temps dont vous voulez faire un meilleuremploi.

Scène IV

Daphnis,Amarante,Florame

 

Daphnis

Amarante, allez voir si dans la galerie

Ils ont bientôt tendu cettetapisserie :

Ces gens-là ne font rien, si l’on n’a l’œilsur eux.

(Amarante rentre, et Daphniscontinue.)

Je romps pour quelque temps le discours de vosfeux.

Florame

N’appelez point des feux un peu decomplaisance

Que détruit votre abord, qu’éteint votreprésence.

Daphnis

Votre amour est trop forte, et vos cœurs tropunis,

Pour l’oublier soudain à l’abord deDaphnis ;

Et vos civilités, étant dans l’impossible,

Vous rendent bien flatteur, mais non pasinsensible.

Florame

Quoi que vous estimiez de ma civilité,

Je ne me pique point d’insensibilité.

J’aime, il n’est que trop vrai ; jebrûle, je soupire :

Mais un plus haut sujet me tient sous sonempire.

Daphnis

Le nom ne s’en dit point ?

Florame

Je ris de ces amants

Dont le trop de respect redouble lestourments,

Et qui, pour les cacher se faisantviolence,

Se promettent beaucoup d’un timidesilence.

Pour moi, j’ai toujours cru qu’un amourvertueux

N’avait point à rougir d’êtreprésomptueux.

Je veux bien vous nommer le bel œil qui medompte,

Et ma témérité ne me fait point de honte.

Ce rare et haut sujet…

Amarante, revenantbrusquement.

Tout est presque tendu.

Daphnis

Vous n’avez auprès d’eux guère de tempsperdu.

Amarante

J’ai vu qu’ils l’employaient, et je suisrevenue.

Daphnis

J’ai peur de m’enrhumer au froid quicontinue.

Allez au cabinet me quérir unmouchoir :

J’en ai laissé les clefs autour de monmiroir,

Vous les trouverez là.

(Amarante rentre, et Daphniscontinue.)

J’ai cru que cette belle

Ne pouvait à propos se nommer devant elle,

Qui recevant par là quelque espèced’affront,

En aurait eu soudain la rougeur sur lefront.

Florame

Sans affront je la quitte, et lui préfère uneautre

Dont le mérite égal, le rang pareil auvôtre,

L’esprit et les attraits égalementpuissants,

Ne devraient de ma part avoir que del’encens :

Oui, sa perfection, comme la vôtreextrême,

N’a que vous de pareille ; en un mot,c’est…

Daphnis

Moi-même.

Je vois bien que c’est là que vous voulezvenir,

Non tant pour m’obliger, comme pour mepunir.

Ma curiosité, devenue indiscrète,

A voulu trop savoir d’une flammesecrète :

Mais bien qu’elle en reçoive un justechâtiment,

Vous pouviez me traiter un peu plusdoucement.

Sans me faire rougir, il vous devaitsuffire

De me taire l’objet dont vous aimezl’empire :

Mettre en sa place un nom qui ne vous touchepas,

C’est un cruel reproche au peu que j’aid’appas.

Florame

Vu le peu que je suis, vous dédaignez decroire

Une si malheureuse et si basse victoire.

Mon cœur est un captif si peu digne devous,

Que vos yeux en voudraient désavouer leurscoups ;

Ou peut-être mon sort me rend siméprisable,

Que ma témérité vous devient incroyable.

Mais quoi que désormais il m’en puissearriver,

Je fais serment…

Amarante

Vos clefs ne sauraient se trouver.

Daphnis

Faute d’un plus exquis, et comme parbravade,

Ceci servira donc de mouchoir de parade.

Enfin, ce cavalier que nous vîmes au bal,

Vous trouvez comme moi qu’il ne danse pasmal ?

Florame

Je ne le vis jamais mieux sur sa bonnemine.

Daphnis

Il s’était si bien mis pour l’amour deClarine.

(À Amarante.)

À propos de Clarine, il m’était échappé

Qu’elle en a deux à moi d’un nouveaupoint-coupé.

Allez, et dites-lui qu’elle me lesrenvoie.

Amarante

Il est hors d’apparence aujourd’hui qu’on lavoie ;

Dès une heure au plus tard elle devaitsortir.

Daphnis

Son cocher n’est jamais si tôt prêt àpartir ;

Et d’ailleurs son logis n’est pas au bout dumonde ;

Vous perdrez peu de pas. Quoi qu’elle vousréponde,

Dites-lui nettement que je les veux avoir.

Amarante

À vous les rapporter je ferai mon pouvoir.

Scène V

Florame,Daphnis

 

Florame

C’est à vous maintenant d’ordonner monsupplice,

Sûre que sa rigueur n’aura pointd’injustice.

Daphnis

Vous voyez qu’Amarante a pour vous del’amour,

Et ne manquera pas d’être tôt de retour.

Bien que je pusse encore user de mapuissance,

Il vaut mieux ménager le temps de sonabsence.

Donc, pour n’en perdre point en discourssuperflus,

Je crois que vous m’aimez ; n’attendezrien de plus :

Florame, je suis fille, et je dépends d’unpère.

Florame

Mais de votre côté que faut-il quej’espère ?

Daphnis

Si ma jalouse encor vous rencontrait ici,

Ce qu’elle a de soupçons serait tropéclairci.

Laissez-moi seule, allez.

Florame

Se peut-il que Florame

Souffre d’être sitôt séparé de sonâme ?

Oui, l’honneur d’obéir à vos commandements

Lui doit être plus cher que sescontentements.

Scène VI

 

Daphnis

Mon amour, par ses yeux plus fortedevenue,

L’eût bientôt emporté dessus maretenue ;

Et je sentais mon feu tellements’augmenter,

Qu’il n’était plus en moi de le pouvoirdompter.

J’avais peur d’en trop dire ; et cruelleà moi-même,

Parce que j’aime trop, j’ai banni ce quej’aime.

Je me trouve captive en de si beaux liens,

Que je meurs qu’il le sache, et j’en fuis lesmoyens.

Quelle importune loi que cette modestie

Par qui notre apparence en glace convertie

Étouffe dans la bouche, et nourrit dans lecœur,

Un feu dont la contrainte augmente lavigueur !

Que ce penser m’est doux ! que je t’aime,Florame !

Et que je songe peu, dans l’excès de maflamme,

À ce qu’en nos destins contre nous irrités

Le mérite et les biens fontd’inégalités !

Aussi par celle-là de bien loin tu mepasses,

Et l’autre seulement est pour les âmesbasses ;

Et ce penser flatteur me fait croireaisément

Que mon père sera de même sentiment.

Hélas ! c’est en effet bien flatter moncourage,

D’accommoder son sens aux désirs de monâge ;

Il voit par d’autres yeux, et veut d’autresappas.

Scène VII

Daphnis,Amarante

 

Amarante

Je vous l’avais bien dit qu’elle n’y seraitpas.

Daphnis

Que vous avez tardé pour ne trouverpersonne !

Amarante

Ce reproche vraiment ne peut qu’il nem’étonne,

Pour revenir plus vite, il eût falluvoler.

Daphnis

Florame cependant, qui vient de s’enaller,

À la fin, malgré moi, s’est ennuyéd’attendre.

Amarante

C’est chose toutefois que je ne puiscomprendre.

Des hommes de mérite et d’esprit comme lui

N’ont jamais avec vous aucun sujetd’ennui ;

Votre âme généreuse a trop de courtoisie.

Daphnis

Et la vôtre amoureuse un peu de jalousie.

Amarante

De vrai, je goûtais mal de faire tant detours,

Et perdais à regret ma part de sesdiscours.

Daphnis

Aussi je me trouvais si promptementservie,

Que je me doutais bien qu’on me portaitenvie.

En un mot, l’aimez-vous ?

Amarante

Je l’aime aucunement,

Non pas jusqu’à troubler votrecontentement ;

Mais si son entretien n’a point de quoi vousplaire,

Vous m’obligerez fort de ne m’en plusdistraire.

Daphnis

Mais au cas qu’il me plût ?

Amarante

Il faudrait vous céder.

C’est ainsi qu’avec vous je ne puis riengarder.

Au moindre feu pour moi qu’un amant faitparaître,

Par curiosité vous le voulez connaître,

Et quand il a goûté d’un si douxentretien,

Je puis dire dès lors que je ne tiens plusrien.

C’est ainsi que Théante a négligé maflamme.

Encor tout de nouveau vous m’enlevezFlorame.

Si vous continuez à rompre ainsi mescoups,

Je ne sais tantôt plus comment vivre avecvous.

Daphnis

Sans colère, Amarante ; il semble, à vousentendre,

Qu’en même lieu que vous je voulusseprétendre ?

Allez, assurez-vous que mes contentements

Ne vous déroberont aucun de vosamants ;

Et pour vous en donner la preuve plusexpresse,

Voilà votre Théante, avec qui je vouslaisse.

Scène VIII

Théante,Amarante

 

Théante

Tu me vois sans Florame : un amoureuxennui

Assez étroitement m’a dérobé de lui.

Las de céder ma place à son discoursfrivole,

Et n’osant toutefois lui manquer deparole,

Je pratique un quart d’heure à mesaffections.

Amarante

Ma maîtresse lisait dans tes intentions.

Tu vois à ton abord comme elle a faitretraite,

De peur d’incommoder une amour siparfaite.

Théante

Je ne la saurais croire obligeante à cepoint.

Ce qui la fait partir ne se dira-t-ilpoint ?

Amarante

Veux-tu que je t’en parle avec toutefranchise ?

C’est la mauvaise humeur où Florame l’amise.

Théante

Florame ?

Amarante

Oui. Ce causeur voulaitl’entretenir ;

Mais il aura perdu le goût d’yrevenir :

Elle n’a que fort peu souffert sacompagnie,

Et l’en a chassé presque avec ignominie.

De dépit cependant ses mouvements aigris

Ne veulent aujourd’hui traiter que demépris ;

Et l’unique raison qui fait qu’elle mequitte,

C’est l’estime où te met près d’elle tonmérite :

Elle ne voudrait pas te voir malsatisfait,

Ni rompre sur-le-champ le dessein qu’elle afait.

Théante

J’ai regret que Florame ait reçu cettehonte :

Mais enfin auprès d’elle il trouve mal sonconte ?

Amarante

Aussi c’est un discours ennuyeux que lesien :

Il parle incessamment sans dire jamaisrien ;

Et n’était que pour toi je me fais cescontraintes,

Je l’envoierais bientôt porter ailleurs sesfeintes.

Théante

Et je m’assure aussi tellement en ta foi,

Que bien que tout le jour il cajole avectoi,

Mon esprit te conserve une amitié si pure,

Que sans être jaloux je le vois etl’endure.

Amarante

Comment le serais-tu pour un si tristeobjet ?

Ses imperfections t’en ôtent tout sujet.

C’est à toi d’admirer qu’encor qu’un beauvisage

Dedans ses entretiens à toute heuret’engage,

J’ai pour toi tant d’amour et si peu desoupçon,

Que je n’en suis jalouse en aucune façon.

C’est aimer puissamment que d’aimer de lasorte ;

Mais mon affection est bien encor plusforte.

Tu sais (et je le dis sans te mésestimer)

Que quand notre Daphnis aurait su techarmer,

Ce qu’elle est plus que toi mettrait horsd’espérance

Les fruits qui seraient dus à tapersévérance.

Plût à Dieu que le ciel te donnât assezd’heur

Pour faire naître en elle autant que j’aid’ardeur !

Voyant ainsi la porte à ta fortuneouverte,

Je pourrais librement consentir à maperte.

Théante

Je te souhaite un change autantavantageux.

Plût à Dieu que le sort te fût moinsoutrageux,

Ou que jusqu’à ce point il t’eûtfavorisée,

Que Florame fût prince, et qu’il t’eûtépousée !

Je prise, auprès des tiens, si peu mesintérêts,

Que bien que j’en sentisse au cœur milleregrets,

Et que de déplaisir il m’en coûtât la vie,

Je me la tiendrais lors heureusementravie.

Amarante

Je ne voudrais point d’heur qui vînt avec tamort,

Et Damon que voilà n’en serait pasd’accord.

Théante

Il a mine d’avoir quelque chose à me dire.

Amarante

Ma présence y nuirait : adieu, je meretire.

Théante

Arrête ; nous pourrons nous voir tout àloisir :

Rien ne le presse.

Scène IX

Théante,Damon

 

Théante

Ami, que tu m’as fait plaisir !

J’étais fort à la gêne avec cettesuivante.

Damon

Celle qui te charmait te devient bienpesante.

Théante

Je l’aime encor pourtant ; mais monambition

Ne laisse point agir mon inclination.

Ma flamme sur mon cœur en vain est la plusforte,

Tous mes désirs ne vont qu’où mon dessein lesporte.

Au reste, j’ai sondé l’esprit de monrival.

Damon

Et connu…

Théante

Qu’il n’est pas pour me faire grand mal.

Amarante m’en vient d’apprendre unenouvelle

Qui ne me permet plus que j’en sois encervelle.

Il a vu…

Damon

Qui ?

Théante

Daphnis, et n’en a remporté

Que ce qu’elle devait à sa témérité.

Damon

Comme quoi ?

Théante

Des mépris, des rigueurs sans pareilles.

Damon

As-tu beaucoup de foi pour de tellesmerveilles ?

Théante

Celle dont je les tiens en parleassurément.

Damon

Pour un homme si fin, on te dupe aisément.

Amarante elle-même en est mal satisfaite,

Et ne t’a rien conté que ce qu’ellesouhaite :

Pour seconder Florame en ses intentions,

On l’avait écartée à des commissions.

Je viens de le trouver, tout ravi dans sonâme,

D’avoir eu les moyens de déclarer saflamme,

Et qui présume tant de ses prospérités,

Qu’il croit ses vœux reçus, puisqu’ils sontécoutés ;

Et certes son espoir n’est pas horsd’apparence ;

Après ce bon accueil et cette conférence,

Dont Daphnis elle-même a fait l’occasion,

J’en crains fort un succès à ta confusion.

Tâchons d’y donner ordre ; et, sans plusde langage

Avise en quoi tu veux employer moncourage.

Théante

Lui disputer un bien où j’ai si peu depart,

Ce serait m’exposer pour quelqu’autre auhasard.

Le duel est fâcheux, et quoi qu’il enarrive,

De sa possession l’un et l’autre il nousprive,

Puisque de deux rivaux, l’un mort, l’autres’enfuit,

Tandis que de sa peine un troisième a lefruit.

À croire son courage, en amour ons’abuse ;

La valeur d’ordinaire y sert moins que laruse.

Damon

Avant que passer outre, un peud’attention.

Théante

Te viens-tu d’aviser de quelqueinvention ?

Damon

Oui, ta seule maxime en fondel’entreprise.

Clarimond voit Daphnis, il l’aime, il lacourtise ;

Et quoiqu’il n’en reçoive encor que desmépris,

Un moment de bonheur lui peut gagner ceprix.

Théante

Ce rival est bien moins à redouter qu’àplaindre.

Damon

Je veux que de sa part tu ne doives riencraindre,

N’est-ce pas le plus sûr qu’un duelhasardeux

Entre Florame et lui les en prive tousdeux ?

Théante

Crois-tu qu’avec Florame aisément onl’engage ?

Damon

Je l’y résoudrai trop avec un peud’ombrage.

Un amant dédaigné ne voit pas de bon œil

Ceux qui du même objet ont un plus douxaccueil :

Des faveurs qu’on leur fait il forme sesoffenses,

Et pour peu qu’on le pousse, il court auxviolences.

Nous les verrions par là, l’un et l’autreécartés,

Laisser la place libre à tes félicités.

Théante

Oui, mais s’il t’obligeait d’en porter laparole ?

Damon

Tu te mets en l’esprit une craintefrivole.

Mon péril de ces lieux ne te bannirapas ;

Et moi, pour te servir je courrais autrépas.

Théante

En même occasion dispose de ma vie,

Et sois sûr que pour toi j’aurai la mêmeenvie.

Damon

Allons, ces compliments en retardentl’effet.

Théante

Le ciel ne vit jamais un ami si parfait.

Acte III

 

Scène première

Florame,Célie

 

Florame

Enfin, quelque froideur qui paraisse enFlorise,

Aux volontés d’un frère elle s’en estremise.

Célie

Quoiqu’elle s’en rapporte à vousentièrement,

Vous lui feriez plaisir d’en userautrement.

Les amours d’un vieillard sont d’une faibleamorce.

Florame

Que veux-tu ? son esprit se fait un peude force ;

Elle se sacrifie à mes contentements,

Et pour mes intérêts contraint sessentiments.

Assure donc Géraste, en me donnant safille,

Qu’il gagne en un moment toute notrefamille,

Et que, tout vieil qu’il est, cettecondition

Ne laisse aucun obstacle à son affection.

Mais aussi de Florise il ne doit rienprétendre,

À moins que se résoudre à m’accepter pourgendre.

Célie

Plaisez-vous à Daphnis ? c’est là leprincipal.

Florame

Elle a trop de bonté pour me vouloir dumal ;

D’ailleurs sa résistance obscurcirait sagloire ;

Je la mériterais si je la pouvais croire.

La voilà qu’un rival m’empêched’aborder ;

Le rang qu’il tient sur moi m’oblige à luicéder,

Et la pitié que j’ai d’un amant si fidèle

Lui veut donner loisir d’être dédaignéd’elle.

Scène II

Clarimond,Daphnis

 

Clarimond

Ces dédains rigoureux dureront-ilstoujours ?

Daphnis

Non, ils ne dureront qu’autant que vosamours.

Clarimond

C’est prescrire à mes feux des lois bieninhumaines.

Daphnis

Faites finir vos feux, je finirai leurspeines.

Clarimond

Le moyen de forcer mon inclination ?

Daphnis

Le moyen de souffrir votreobstination ?

Clarimond

Qui ne s’obstinerait en vous voyant sibelle ?

Daphnis

Qui vous pourrait aimer, vous voyant sirebelle ?

Clarimond

Est-ce rébellion que d’avoir trop defeu ?

Daphnis

C’est avoir trop d’amour, et m’obéir troppeu.

Clarimond

La puissance sur moi que je vous aidonnée…

Daphnis

D’aucune exception ne doit être bornée.

Clarimond

Essayez autrement ce pouvoir souverain.

Daphnis

Cet essai me fait voir que je commande envain.

Clarimond

C’est un injuste essai qui ferait maruine.

Daphnis

Ce n’est plus obéir depuis qu’on examine.

Clarimond

Mais l’amour vous défend un telcommandement.

Daphnis

Et moi, je me défends un plus douxtraitement.

Clarimond

Avec ce beau visage avoir le cœur deroche !

Daphnis

Si le mien s’endurcit, ce n’est qu’à votreapproche.

Clarimond

Que je sache du moins d’où naissent vosfroideurs.

Daphnis

Peut-être du sujet qui produit vosardeurs.

Clarimond

Si je brûle, Daphnis, c’est de nous voirensemble.

Daphnis

Et c’est de nous y voir, Clarimond, que jetremble.

Clarimond

Votre contentement n’est qu’à memaltraiter.

Daphnis

Comme le vôtre n’est qu’à me persécuter.

Clarimond

Quoi ! l’on vous persécute à force deservices !

Daphnis

Non, mais de votre part ce me sont dessupplices.

Clarimond

Hélas ! et quand pourra venir maguérison ?

Daphnis

Lorsque le temps chez vous remettra laraison.

Clarimond

Ce n’est pas sans raison que mon âme estéprise.

Daphnis

Ce n’est pas sans raison aussi qu’on vousméprise.

Clarimond

Juste ciel ! et que dois-je espérerdésormais ?

Daphnis

Que je ne suis pas fille à vous aimerjamais.

Clarimond

C’est donc perdre mon temps que de plus yprétendre ?

Daphnis

Comme je perds ici le mien à vousentendre.

Clarimond

Me quittez-vous sitôt sans me vouloirguérir ?

Daphnis

Clarimond sans Daphnis peut et vivre etmourir.

Clarimond

Je mourrai toutefois, si je ne vouspossède.

Daphnis

Tenez-vous donc pour mort, s’il vous faut ceremède.

Scène III

 

Clarimond

Tout dédaigné, je l’aime, et malgré sarigueur,

Ses charmes plus puissants lui conservent moncœur.

Par un contraire effet dont mes mauxs’entretiennent,

Sa bouche le refuse, et ses yeux leretiennent.

Je ne puis, tant elle a de mépris etd’appas,

Ni le faire accepter, ni ne le donnerpas ;

Et comme si l’amour faisait naître sahaine,

Ou qu’elle mesurât ses plaisirs à mapeine,

On voit paraître ensemble, et croîtreégalement,

Ma flamme et ses froideurs, sa joie et montourment.

Je tâche à m’affranchir de ce malheurextrême,

Et je ne saurais plus disposer demoi-même.

Mon désespoir trop lâche obéit à mon sort,

Et mes ressentiments n’ont qu’un débileeffort.

Mais pour faibles qu’ils soient, aidons leurimpuissance ;

Donnons-leur le secours d’une éternelleabsence.

Adieu, cruelle ingrate, adieu : je fuisces lieux

Pour dérober mon âme au pouvoir de tesyeux.

Scène IV

Amarante,Clarimond

 

Amarante

Monsieur, monsieur, un mot. L’air de votrevisage

Témoigne un déplaisir caché dans lecourage.

Vous quittez ma maîtresse un peu malsatisfait.

Clarimond

Ce que voit Amarante en est le moindreeffet.

Je porte, malheureux, après de telsoutrages,

Des douleurs sur le front, et dans le cœur desrages.

Amarante

Pour un peu de froideur, c’est tropdésespérer.

Clarimond

Que ne dis-tu plutôt que c’est tropendurer ?

Je devrais être las d’un si cruel martyre,

Briser les fers honteux où me tient sonempire,

Sans irriter mes maux avec un vain regret.

Amarante

Si je vous croyais homme à garder unsecret,

Vous pourriez sur ce point apprendre quelquechose

Que je meurs de vous dire, et toutefois jen’ose.

L’erreur où je vous vois me faitcompassion ;

Mais pourriez-vous avoir de ladiscrétion ?

Clarimond

Prends-en ma foi de gage, avec… Laisse-moifaire.

(Il veut tirer un diamant de sondoigt pour le lui donner, et elle l’en empêche.)

Amarante

Vous voulez justement m’obliger à metaire ;

Aux filles de ma sorte il suffit de lafoi :

Réservez vos présents pour quelque autre quemoi.

Clarimond

Souffre…

Amarante

Gardez-les, dis-je, ou je vous abandonne.

Daphnis a des rigueurs dont l’excès vousétonne ;

Mais vous aurez bien plus de quoi vousétonner

Quand vous saurez comment il faut lagouverner.

À force de douceurs vous la rendezcruelle,

Et vos submissions vous perdent auprèsd’elle :

Épargnez désormais tous ces passuperflus ;

Parlez-en au bonhomme, et ne la voyezplus.

Toutes ces cruautés ne sont qu’enapparence.

Du côté du vieillard tournez votreespérance ;

Quand il aura pour elle accepté quelqueamant,

Un prompt amour naîtra de soncommandement.

Elle vous fait tandis cette galanterie,

Pour s’acquérir le bruit de fille biennourrie,

Et gagner d’autant plus de réputation

Qu’on la croira forcer son inclination.

Nommez cette maxime ou prudence ousottise,

C’est la seule raison qui fait qu’on vousméprise.

Clarimond

Hélas ! et le moyen de croire tesdiscours ?

Amarante

De grâce, n’usez point si mal de monsecours :

Croyez les bons avis d’une bouche fidèle,

Et songeant seulement que je viens d’avecelle,

Derechef épargnez tous ces passuperflus ;

Parlez-en au bonhomme, et ne la voyezplus.

Clarimond

Tu ne flattes mon cœur que d’un espoirfrivole.

Amarante

Hasardez seulement deux mots sur maparole,

Et n’appréhendez point la honte d’unrefus.

Clarimond

Mais si j’en recevais, je serais bienconfus.

Un oncle pourra mieux concerter cetteaffaire.

Amarante

Ou par vous, ou par lui, ménagez bien lepère.

Scène V

 

Amarante

Qu’aisément un esprit qui se laisseflatter

S’imagine un bonheur qu’il pensemériter !

Clarimond est bien vain ensemble et biencrédule

De se persuader que Daphnis dissimule,

Et que ce grand dédain déguise un grandamour,

Que le seul choix d’un père a droit de mettreau jour.

Il s’en pâme de joie, et dessus ma parole

De tant d’affronts reçus son âme seconsole ;

Il les chérit peut-être et les tient àfaveurs,

Tant ce trompeur espoir redouble sesferveurs !

S’il rencontrait le père, et que monentreprise…

Scène VI

Géraste,Amarante

 

Géraste

Amarante !

Amarante

Monsieur !

Géraste

Vous faites la surprise,

Encor que de si loin vous m’ayez vu venir,

Que Clarimond n’est plus à vousentretenir !

Je donne ainsi la chasse à ceux qui vous encontent !

Amarante

À moi ? mes vanités jusque-là ne semontent.

Géraste

Il semblait toutefois parler d’affection.

Amarante

Oui, mais qu’estimez-vous de sonintention ?

Géraste

Je crois que ses desseins tendent aumariage.

Amarante

Il est vrai.

Géraste

Quelque foi qu’il vous donne pour gage,

Il cherche à vous surprendre, et sous ce fauxappas

Il cache des projets que vous n’entendezpas.

Amarante

Votre âge soupçonneux a toujours deschimères

Qui le font mal juger des cœurs les plussincères.

Géraste

Où les conditions n’ont point d’égalité,

L’amour ne se fait guère avec sincérité.

Amarante

Posé que cela soit : Clarimond mecaresse ;

Mais si je vous disais que c’est pour mamaîtresse,

Et que le seul besoin qu’il a de monsecours,

Sortant d’avec Daphnis, l’arrête en mesdiscours ?

Géraste

S’il a besoin de toi pour avoir bonneissue,

C’est signe que sa flamme est assez malreçue.

Amarante

Pas tant qu’elle paraît, et que vousprésumez.

D’un mutuel amour leurs cœurs sontenflammés ;

Mais Daphnis se contraint, de peur de vousdéplaire,

Et sa bouche est toujours à ses désirscontraire,

Hormis lorsqu’avec moi s’ouvrantconfidemment,

Elle trouve à ses maux quelquesoulagement.

Clarimond cependant, pour fondre tant deglaces,

Tâche par tous moyens d’avoir mes bonnesgrâces ;

Et moi je l’entretiens toujours d’un peud’espoir.

Géraste

À ce compte, Daphnis est fort dans ledevoir :

Je n’en puis souhaiter un meilleurtémoignage,

Et ce respect m’oblige à l’aimerdavantage.

Je lui serai bon père, et puisque ce parti

À sa condition se rencontre assorti,

Bien qu’elle pût encore un peu plus hautatteindre,

Je la veux enhardir à ne se pluscontraindre.

Amarante

Vous n’en pourrez jamais tirer la vérité.

Honteuse de l’aimer sans votre autorité,

Elle s’en défendra de toute sapuissance ;

N’en cherchez point d’aveu que dansl’obéissance.

Quand vous aurez fait choix de cet heureuxamant,

Vos ordres produiront un promptconsentement.

Mais on ouvre la porte. Hélas ! je suisperdue,

Si j’ai tant de malheur qu’elle m’aitentendue.

(Elle rentre dans lejardin.)

Géraste

Lui procurant du bien, elle croit lafâcher,

Et cette vaine peur la fait ainsi cacher.

Que ces jeunes cerveaux ont de traits defolie !

Mais il faut aller voir ce qu’aura faitCélie.

Toutefois disons-lui quelque mot enpassant,

Qui la puisse guérir du mal qu’elleressent.

Scène VII

Géraste,Daphnis

 

Géraste

Ma fille, c’est en vain que tu fais ladiscrète,

J’ai découvert enfin ta passion secrète,

Je ne t’en parle point sur des avisdouteux.

N’en rougis point, Daphnis, ton choix n’estpas honteux ;

Moi-même je l’agrée, et veux bien que tonâme

À cet amant si cher ne cache plus saflamme.

Tu pouvais en effet prétendre un peu plushaut ;

Mais on ne peut assez estimer ce qu’ilvaut ;

Ses belles qualités, son crédit et sa race

Auprès des gens d’honneur sont trop dignes degrâce.

Adieu. Si tu le vois, tu peux luitémoigner

Que sans beaucoup de peine on me pourragagner.

Scène VIII

 

Daphnis

D’aise et d’étonnement je demeureimmobile.

D’où lui vient cette humeur de m’être sifacile ?

D’où me vient ce bonheur où je n’osaispenser ?

Florame, il m’est permis de terécompenser ;

Et sans plus déguiser ce qu’un pèreautorise,

Je puis me revancher du don de tafranchise ;

Ton mérite le rend, malgré ton peu debiens,

Indulgent à mes feux, et favorable auxtiens :

Il trouve en tes vertus des richesses plusbelles.

Mais est-il vrai, mes sens ? m’êtes-voussi fidèles ?

Mon heur me rend confuse, et ma confusion

Me fait tout soupçonner de quelqueillusion.

Je ne me trompe point, ton mérite et tarace

Auprès des gens d’honneur sont trop dignes degrâce.

Florame, il est tout vrai, dès lors que je tevis,

Un battement de cœur me fit de cetavis ;

Et mon père aujourd’hui souffre que dans sonâme

Les mêmes sentiments…

Scène IX

Florame,Daphnis

 

Daphnis

Quoi ! vous voilà, Florame ?

Je vous avais prié tantôt de me quitter.

Florame

Et je vous ai quittée aussi sanscontester.

Daphnis

Mais revenir sitôt, c’est me faire uneoffense.

Florame

Quand j’aurais sur ce point reçu quelquedéfense,

Si vous saviez quels feux ont pressé monretour,

Vous en pardonneriez le crime à mon amour.

Daphnis

Ne vous préparez point à dire desmerveilles,

Pour me persuader des flammes sanspareilles.

Je crois que vous m’aimez, et c’est en croireplus

Que n’en exprimeraient vos discourssuperflus.

Florame

Mes feux, qu’ont redoublés ces proposadorables,

À force d’être crus deviennentincroyables,

Et vous n’en croyez rien qui ne soitau-dessous.

Que ne m’est-il permis d’en croire autant devous !

Daphnis

Votre croyance est libre.

Florame

Il me la faudrait vraie.

Daphnis

Mon cœur par mes regards vous fait trop voirsa plaie.

Un homme si savant au langage des yeux

Ne doit pas demander que je m’expliquemieux.

Mais puisqu’il vous en faut un aveu de mabouche,

Allez, assurez-vous que votre amour metouche.

Depuis tantôt je parle un peu pluslibrement,

Ou, si vous le voulez, un peu plushardiment :

Aussi j’ai vu mon père, et s’il vous faut toutdire,

Avec tous nos désirs sa volonté conspire.

Florame

Surpris, ravi, confus, je n’ai querepartir.

Être aimé de Daphnis ! un père yconsentir !

Dans mon affection ne trouver plusd’obstacle !

Mon espoir n’eût osé concevoir ce miracle.

Daphnis

Miracles toutefois qu’Amarante aproduits ;

De sa jalouse humeur nous tirons ces douxfruits.

Au récit de nos feux, malgré son artifice,

La bonté de mon père a trompé samalice ;

Du moins je le présume, et ne puissoupçonner

Que mon père sans elle ait pu riendeviner.

Florame

Les avis d’Amarante, en trahissant maflamme,

N’ont point gagné Géraste en faveur deFlorame.

Les ressorts d’un miracle ont un plus hautmoteur,

Et tout autre qu’un dieu n’en peut êtrel’auteur.

Daphnis

C’en est un que l’Amour.

Florame

Et vous verrez peut-être

Que son pouvoir divin se fait iciparaître,

Dont quelques grands effets, avant qu’il soitlongtemps,

Vous rendront étonnée, et nos désirscontents.

Daphnis

Florame, après vos feux et l’aveu de monpère,

L’amour n’a point d’effets capables de meplaire.

Florame

Aimez-en le premier, et recevez la foi

D’un bienheureux amant qu’il met sous votreloi.

Daphnis

Vous, prisez le dernier qui vous donne lamienne.

Florame

Quoique dorénavant Amarante survienne

Je crois que nos discours iront d’un paségal,

Sans donner sur le rhume, ou gauchir sur lebal.

Daphnis

Si je puis tant soit peu dissimuler majoie,

Et que dessus mon front son excès ne sevoie,

Je me jouerai bien d’elle, et desempêchements

Que son adresse apporte à noscontentements.

Florame

J’en apprendrai de vous l’agréablenouvelle.

Un ordre nécessaire au logis me rappelle,

Et doit fort avancer le succès de nosvœux.

Daphnis

Nous n’avons plus qu’une âme et qu’un vouloirnous deux.

Bien que vous éloigner ce me soit unmartyre,

Puisque vous le voulez, je n’y puiscontredire.

Mais quand dois-je espérer de vous revoirici ?

Florame

Dans une heure au plus tard.

Daphnis

Allez donc : la voici.

Scène X

Daphnis,Amarante

 

Daphnis

Amarante, vraiment vous êtes fortjolie ;

Vous n’égayez pas mal votremélancolie ;

Votre jaloux chagrin a de beaux agréments,

Et choisit assez bien sesdivertissements :

Votre esprit pour vous-même a forcecomplaisance

De me faire l’objet de votremédisance ;

Et, pour donner couleur à vos détractions,

Vous lisez fort avant dans mes intentions.

Amarante

Moi ! que de vous j’osasse aucunementmédire !

Daphnis

Voyez-vous, Amarante, il n’est plus temps derire.

Vous avez vu mon père, avec qui vosdiscours

M’ont fait à votre gré de frivoles amours.

Quoi ! souffrir un moment l’entretien deFlorame,

Vous le nommez bientôt une secrèteflamme ?

Cette jalouse humeur dont vous suivez laloi

Vous fait en mes secrets plus savante quemoi.

Mais passe pour le croire, il fallait que monpère

De votre confidence apprît cettechimère ?

Amarante

S’il croit que vous l’aimez, c’est sur quelquesoupçon

Où je ne contribue en aucune façon.

Je sais trop que le ciel, avec de tellesgrâces,

Vous donne trop de cœur pour des flammes sibasses ;

Et quand je vous croirais dans cet indignechoix,

Je sais ce que je suis et ce que je vousdois.

Daphnis

Ne tranchez point ainsi de larespectueuse :

Votre peine après tout vous est bienfructueuse ;

Vous la devez chérir, et son heureuxsuccès

Qui chez nous à Florame interdit toutaccès.

Mon père le bannit et de l’une et del’autre.

Pensant nuire à mon feu, vous ruinez levôtre.

Je lui viens de parler, mais c’étaitseulement

Pour lui dire l’arrêt de son bannissement.

Vous devez cependant être fort satisfaite

Qu’à votre occasion un père memaltraite ;

Pour fruit de vos labeurs si cela voussuffit,

C’est acquérir ma haine avec peu deprofit.

Amarante

Si touchant vos amours on sait rien de mabouche,

Que je puisse à vos yeux devenir unesouche !

Que le ciel…

Daphnis

Finissez vos imprécations.

J’aime votre malice et vos délations.

Ma mignonne, apprenez que vous êtesdéçue :

C’est par votre rapport que mon ardeur estsue ;

Mais mon père y consent, et vos avisjaloux

N’ont fait que me donner Florame pourépoux.

Scène XI

 

Amarante

Ai-je bien entendu ? Sa belle humeur sejoue,

Et par plaisir soi-même elle se désavoue.

Son père la maltraite, et consent à sesvœux !

Ai-je nommé Florame en parlant de sesfeux ?

Florame, Clarimond, ces deux noms, ce mesemble,

Pour être confondus, n’ont rien qui seressemble.

Le moyen que jamais on entendît si mal,

Que l’un de ces amants fût pris pour sonrival ?

Je ne sais où j’en suis, et toutefoisj’espère ;

Sous ces obscurités je soupçonne unmystère,

Et mon esprit confus, à force de douter,

Bien qu’il n’ose rien croire, ose encor seflatter.

Acte IV

 

Scène première

 

Daphnis

Qu’en l’attente de ce qu’on aime

Une heure est fâcheuse à passer !

Qu’elle ennuie un amour extrême

Dont la joie est réduite aux douceurs d’ypenser !

Le mien, qui fuit la défiance,

La trouve trop longue à venir,

Et s’accuse d’impatience,

Plutôt que mon amant de peu de souvenir.

Ainsi moi-même je m’abuse,

De crainte d’un plus grand ennui,

Et je ne cherche plus de ruse

Qu’à m’ôter tout sujet de me plaindre delui.

Aussi bien, malgré ma colère,

Je brûlerais de m’apaiser,

Et sa peine la plus sévère

Ne serait tout au plus qu’un mot pourl’excuser.

Je dois rougir de ma faiblesse ;

C’est être trop bonne en effet.

Daphnis, fais un peu la maîtresse,

Et souviens-toi du moins…

Scène II

Géraste,Célie,Daphnis

 

Géraste, àCélie.

Adieu, cela vaut fait,

Tu l’en peux assurer.

(Célie rentre, et Géraste continue àparler à Daphnis.)

Ma fille, je présume,

Quelques feux dans ton cœur que ton amantallume,

Que tu ne voudrais pas sortir de tondevoir.

Daphnis

C’est ce que le passé vous a pu fairevoir.

Géraste

Mais si pour en tirer une preuve plusclaire,

Je disais qu’il faut prendre un sentimentcontraire,

Qu’une autre occasion te donne un autreamant ?

Daphnis

Il serait un peu tard pour un telchangement.

Sous votre autorité j’ai dévoilé monâme ;

J’ai découvert mon cœur à l’objet de maflamme,

Et c’est sous votre aveu qu’il a reçu mafoi.

Géraste

Oui, mais je viens de faire un autre choixpour toi.

Daphnis

Ma foi ne permet plus une telleinconstance.

Géraste

Et moi, je ne saurais souffrir derésistance.

Si ce gage est donné par mon consentement,

Il faut le retirer par mon commandement.

Vous soupirez en vain : vos soupirs etvos larmes

Contre ma volonté sont d’impuissantesarmes.

Rentrez ; je ne puis voir qu’avec milledouleurs

Votre rébellion s’exprimer par vos pleurs.

(Daphnis rentre, et Gérastecontinue.)

La pitié me gagnait. Il m’était impossible

De voir encor ses pleurs, et n’être passensible :

Mon injuste rigueur ne pouvait plus tenir,

Et de peur de me rendre, il la fallaitbannir.

N’importe toutefois, la parole me lie,

Et mon amour ainsi l’a promis àCélie ;

Florise ne se peut acquérir qu’à ce prix,

Si Florame…

Scène III

Géraste,Amarante

 

Amarante

Monsieur, vous vous êtes mépris ;

C’est Clarimond qu’elle aime.

Géraste

Et ma plus grande peine

N’est que d’en avoir eu la preuve tropcertaine.

Dans sa rébellion à mon autorité,

L’amour qu’elle a pour lui n’a que tropéclaté.

Si pour ce cavalier elle avait moins deflamme,

Elle agréerait le choix que je fais deFlorame,

Et prenant désormais un mouvement plussain,

Ne s’obstinerait pas à rompre mon dessein.

Amarante

C’est ce choix inégal qui vous la faitrebelle ;

Mais pour tout autre amant n’appréhendez riend’elle.

Géraste

Florame a peu de bien, mais pour quelqueraison

C’est lui seul dont je fais l’appui de mamaison.

Examiner mon choix, c’est un traitd’imprudence.

Toi qu’à présent Daphnis traite deconfidence,

Et dont le seul avis gouverne ses secrets,

Je te prie, Amarante, adoucis ses regrets,

Résous-la, si tu peux, à contenter unpère ;

Fais qu’elle aime Florame, ou craigne macolère.

Amarante

Puisque vous le voulez, j’y ferai monpouvoir ;

C’est chose toutefois dont j’ai si peud’espoir,

Que je craindrais plutôt de l’aigrirdavantage.

Géraste

Il est tant de moyens de fléchir uncourage !

Trouve pour la gagner quelque subtilappas ;

La récompense après ne te manquera pas.

Scène IV

 

Amarante

Accorde qui pourra le père avec lafille !

L’égarement d’esprit règne sur la famille.

Daphnis aime Florame, et son père yconsent :

D’elle-même j’ai su l’aise qu’elle enressent ;

Et si j’en crois ce père, elle ne porte enl’âme

Que révolte, qu’orgueil, que mépris pourFlorame.

Peut-elle s’opposer à ses propres désirs,

Démentir tout son cœur, détruire sesplaisirs ?

S’ils sont sages tous deux, il faut que jesois folle.

Leur mécompte pourtant, quel qu’il soit, meconsole ;

Et bien qu’il me réduise au bout de monlatin,

Un peu plus en repos j’en attendrai lafin.

Scène V

Florame,Damon

 

Florame

Sans me voir elle rentre, et quelque bongénie

Me sauve de ses yeux et de sa tyrannie.

Je ne me croyais pas quitte de sesdiscours,

À moins que sa maîtresse en vînt rompre lecours.

Damon

Je voudrais t’avoir vu dedans cettecontrainte.

Florame

Peut-être voudrais-tu qu’elle empêchât maplainte ?

Damon

Si Théante sait tout, sans raison tu t’enplains.

Je t’ai dit ses secrets, comme à lui tesdesseins,

Il voit dedans ton cœur, tu lis dans soncourage,

Et je vous fais combattre ainsi sansavantage.

Florame

Toutefois au combat tu n’as pul’engager ?

Damon

Sa générosité n’en craint pas ledanger ;

Mais cela choque un peu sa prudenceamoureuse,

Vu que la fuite en est la fin la plusheureuse,

Et qu’il faut que, l’un mort, l’autre tirepays.

Florame

Malgré le déplaisir de mes secrets trahis,

Je ne puis, cher ami, qu’avec toi je nerie

Des subtiles raisons de sa poltronnerie.

Nous faire ce duel sans s’exposer auxcoups,

C’est véritablement en savoir plus quenous,

Et te mettre en sa place avec assezd’adresse,

Damon

Qu’importe à quels périls il gagne unemaîtresse ?

Que ses rivaux entre eux fassent millecombats,

Que j’en porte parole, ou ne la porte pas,

Tout lui semblera bon, pourvu que sans enêtre

Il puisse de ces lieux les fairedisparaître.

Florame

Mais ton service offert hasardait bien tafoi,

Et s’il eût eu du cœur, t’engageait contremoi.

Damon

Je savais trop que l’offre en seraitrejetée.

Depuis plus de dix ans je connais saportée ;

Il ne devient mutin que fort malaisément,

Et préfère la ruse à l’éclaircissement.

Florame

Les maximes qu’il tient pour conserver savie

T’ont donné des plaisirs où je te porteenvie.

Damon

Tu peux incontinent les goûter si tu veux.

Lui, qui doute fort peu du succès de sesvœux,

Et qui croit que déjà Clarimond et Florame

Disputent loin d’ici le sujet de leurflamme,

Serait-il homme à perdre un temps siprécieux,

Sans aller chez Daphnis faire le gracieux,

Et seul, à la faveur de quelque mot pourrire,

Prendre l’occasion de conter sonmartyre ?

Florame

Mais s’il nous trouve ensemble, il pourrasoupçonner

Que nous prenons plaisir tous deux à leberner.

Damon

De peur que nous voyant il conçût quelqueombrage,

J’avais mis tout exprès Cléon sur lepassage.

Théante approche-t-il ?

Cléon

Il est en ce carfour.

Damon

Adieu donc, nous pourrons le jouer tour àtour.

Florame,seul.

Je m’étonne comment tant de belles parties

En cet illustre amant sont si malassorties,

Qu’il a si mauvais cœur avec de si bonsyeux,

Et fait un si beau choix sans le défendremieux.

Pour tant d’ambition, c’est bien peu decourage.

Scène VI

Florame,Théante

 

Florame

Quelle surprise, ami, paraît sur tonvisage ?

Théante

T’ayant cherché longtemps, je demeureconfus

De t’avoir rencontré quand je n’y pensaisplus.

Florame

Parle plus franchement : fâché de tapromesse,

Tu veux et n’oserais reprendre tamaîtresse !

Ta passion, qui souffre une trop dure loi,

Pour la gouverner seul te dérobait demoi ?

Théante

De peur que ton esprit formât cettecroyance,

De l’aborder sans toi je faisaisconscience.

Florame

C’est ce qui t’obligeait sans doute à mechercher ?

Mais ne te prive plus d’un entretien sicher.

Je te cède Amarante, et te rends taparole :

J’aime ailleurs ; et lassé d’uncompliment frivole,

Et de feindre une ardeur qui blesse mesamis,

Ma flamme est véritable, et son effetpermis :

J’adore une beauté qui peut disposerd’elle,

Et seconder mes feux sans me rendreinfidèle.

Théante

Tu veux dire Daphnis ?

Florame

Je ne puis te celer

Qu’elle est l’unique objet pour qui je veuxbrûler.

Théante

Le bruit vole déjà qu’elle est pour toi sansglace,

Et déjà d’un cartel Clarimond te menace.

Florame

Qu’il vienne, ce rival, apprendre, à sonmalheur,

Que s’il me passe en biens, il me cède envaleur,

Que sa vaine arrogance, en ce dueltrompée,

Me fasse mériter Daphnis à coupsd’épée :

Par là je gagne tout ; ma générosité

Suppléera ce qui fait notreinégalité ;

Et son père, amoureux du bruit de mavaillance,

La fera sur ses biens emporter la balance.

Théante

Tu n’en peux espérer un moindreévénement :

L’heur suit dans les duels le plus heureuxamant ;

Le glorieux succès d’une action si belle,

Ton sang mis au hasard, ou répandu pourelle,

Ne peut laisser au père aucun lieu derefus.

Tiens ta maîtresse acquise, et ton rivalconfus ;

Et sans t’épouvanter d’une vaine fortune

Qu’il soutient lâchement d’une valeurcommune,

Ne fais de son orgueil qu’un sujet demépris,

Et pense que Daphnis ne s’acquiert qu’à ceprix.

Adieu : puisse le ciel à ton amourparfaite

Accorder un succès tel que je lesouhaite !

Florame

Ce cartel, ce me semble, est trop long àvenir :

Mon courage bouillant ne se peutcontenir ;

Enflé par tes discours, il ne sauraitattendre

Qu’un insolent défi l’oblige à sedéfendre.

Va donc, et de ma part appelleClarimond ;

Dis-lui que pour demain il choisisse unsecond,

Et que nous l’attendrons au château deBicêtre.

Théante

J’adore ce grand cœur qu’ici tu faisparaître,

Et demeure ravi du trop d’affection

Que tu m’as témoigné par cette élection.

Prends-y garde pourtant ; pense à quoi tut’engages.

Si Clarimond, lassé de souffrir tantd’outrages,

Éteignant son amour, te cédait ce bonheur,

Quel besoin serait-il de le piquerd’honneur ?

Peut-être qu’un faux bruit nous apprend samenace :

C’est à toi seulement de défendre taplace.

Ces coups du désespoir des amants méprisés

N’ont rien d’avantageux pour lesfavorisés.

Qu’il recoure, s’il veut, à ces fâcheuxremèdes ;

Ne lui querelle point un bien que tupossèdes :

Ton amour, que Daphnis ne sauraitdédaigner,

Court risque d’y tout perdre, et n’y peut riengagner.

Avise encore un coup ; ta valeurinquiète

En d’extrêmes périls un peu trop tôt tejette.

Florame

Quels périls ? L’heur y suit le plusheureux amant.

Théante

Quelquefois le hasard en disposeautrement.

Florame

Clarimond n’eut jamais qu’une valeurcommune.

Théante

La valeur aux duels fait moins que lafortune.

Florame

C’est par là seulement qu’on mériteDaphnis.

Théante

Mais plutôt de ses yeux par là tu tebannis.

Florame

Cette belle action pourra gagner son père.

Théante

Je le souhaite ainsi plus que je nel’espère.

Florame

Acceptant un cartel, suis-je plusassuré ?

Théante

Où l’honneur souffrirait rien n’estconsidéré.

Florame

Je ne puis résister à des raisons sifortes :

Sur ma bouillante ardeur malgré moi tul’emportes.

J’attendrai qu’on m’attaque.

Théante

Adieu donc.

Florame

En ce cas,

Souviens-t’en, cher ami, tu me promets tonbras ?

Théante

Dispose de ma vie.

Florame,seul.

Elle est fort assurée,

Si rien que ce duel n’empêche sa durée.

Il en parle des mieux ; c’est un jeu quilui plaît ;

Mais il devient fort sage aussitôt qu’il enest,

Et montre cependant des grâces peuvulgaires

À battre ses raisons par des raisonscontraires.

Scène VII

Daphnis,Florame

 

Daphnis

Je n’osais t’aborder les yeux baignés depleurs,

Et devant ce rival t’apprendre nosmalheurs.

Florame

Vous me jetez, madame, en d’étrangesalarmes.

Dieux ! et d’où peut venir ce déluge delarmes ?

Le bonhomme est-il mort ?

Daphnis

Non, mais il se dédit,

Tout amour désormais pour toi m’estinterdit :

Si bien qu’il me faut être ou rebelle ouparjure,

Forcer les droits d’amour ou ceux de lanature,

Mettre un autre en ta place ou luidésobéir,

L’irriter, ou moi-même avec toi me trahir.

À moins que de changer, sa haineinévitable

Me rend de tous côtés ma perteindubitable ;

Je ne puis conserver mon devoir et ma foi,

Ni sans crime brûler pour d’autres ni pourtoi.

Florame

Le nom de cet amant, dont l’indiscrèteenvie

À mes ressentiments vient apporter savie ?

Le nom de cet amant, qui, par sa promptemort

Doit, au lieu du vieillard, me réparer cetort,

Et qui, sur quelque orgueil que son amour sefonde,

N’a que jusqu’à ma vue à demeurer aumonde ?

Daphnis

Je n’aime pas si mal que de m’eninformer ;

Je t’aurais fait trop voir que j’eusse pul’aimer.

Si j’en savais le nom, ta juste défiance

Pourrait à ses défauts imputer maconstance,

À son peu de mérite attacher mon dédain,

Et croire qu’un plus digne aurait reçu mamain.

J’atteste ici le bras qui lance letonnerre,

Que tout ce que le ciel a fait paraître enterre

De mérites, de biens, de grandeurs etd’appas,

En même objet uni, ne m’ébranleraitpas :

Florame a droit lui seul de captiver monâme ;

Florame vaut lui seul à ma pudique flamme

Tout ce que peut le monde offrir à mesardeurs

De mérites, d’appas, de biens et degrandeurs.

Florame

Qu’avec des mots si doux vous m’êtesinhumaine !

Vous me comblez de joie, et redoublez mapeine.

L’effet d’un tel amour, hors de votrepouvoir,

Irrite d’autant plus mon sanglantdésespoir.

L’excès de votre ardeur ne sert qu’à monsupplice.

Devenez-moi cruelle, afin que je guérisse.

Guérir ! ah ! qu’ai-je dit ? cemot me fait horreur.

Pardonnez aux transports d’une aveuglefureur ;

Aimez toujours Florame ; et quoi qu’ilait pu dire,

Croissez de jour en jour vos feux et sonmartyre.

Peut-il rendre sa vie à de plus heureuxcoups,

Ou mourir plus content, que pour vous, et parvous ?

Daphnis

Puisque de nos destins la rigueur tropsévère

Oppose à nos désirs l’autorité d’un père,

Que veux-tu que je fasse ? En l’état oùje suis,

Être à toi malgré lui, c’est ce que je nepuis ;

Mais je puis empêcher qu’un autre mepossède,

Et qu’un indigne amant à Florame succède.

Le cœur me manque. Adieu. Je sens faillir mavoix.

Florame, souviens-toi de ce que tu medois.

Si nos feux sont égaux, mon exemplet’ordonne

Ou d’être à ta Daphnis, ou de n’être àpersonne.

Scène VIII

 

Florame

Dépourvu de conseil comme de sentiment,

L’excès de ma douleur m’ôte le jugement.

De tant de biens promis je n’ai plus que savue,

Et mes bras impuissants ne l’ont pasretenue ;

Et même je lui laisse abandonner ce lieu,

Sans trouver de parole à lui dire unadieu.

Ma fureur pour Daphnis a de lacomplaisance ;

Mon désespoir n’osait agir en sa présence,

De peur que mon tourment aigrît sesdéplaisirs ;

Une pitié secrète étouffait messoupirs :

Sa douleur, par respect, faisait taire lamienne ;

Mais ma rage à présent n’a rien qui laretienne.

Sors, infâme vieillard, dont leconsentement

Nous a vendu si cher le bonheur d’unmoment ;

Sors, que tu sois puni de cette humeurbrutale

Qui rend ta volonté pour nos feux inégale.

À nos chastes amours qui t’a faitconsentir,

Barbare ? mais plutôt qui t’en faitrepentir ?

Crois-tu qu’aimant Daphnis, le titre de sonpère

Débilite ma force ou rompe macolère ?

Un nom si glorieux, lâche, ne t’est plusdû ;

En lui manquant de foi, ton crime l’aperdu.

Plus j’ai d’amour pour elle, et plus pour toide haine

Enhardit ma vengeance et redouble tapeine :

Tu mourras ; et je veux, pour finir mesennuis,

Mériter par ta mort celle où tu me réduis.

Daphnis, à ma fureur ma bouche abandonnée

Parle d’ôter la vie à qui te l’adonnée !

Je t’aime, et je t’oblige à m’avoir enhorreur,

Et ne connais encor qu’à peine monerreur !

Si je suis sans respect pour ce que turespectes,

Que mes affections ne t’en soient passuspectes ;

De plus réglés transports me feraienttrahison ;

Si j’avais moins d’amour, j’aurais de laraison :

C’est peu que de la perdre, après t’avoirperdue ;

Rien ne sert plus de guide à mon âmeéperdue :

Je condamne à l’instant ce que j’airésolu ;

Je veux, et ne veux plus sitôt que j’aivoulu.

Je menace Géraste, et pardonne à tonpère ;

Ainsi rien ne me venge, et tout medésespère.

Scène IX

Florame,Célie

 

Florame, ensoupirant.

Célie…

Célie

Eh bien, Célie ? enfin elle a tantfait

Qu’à vos désirs Géraste accorde leureffet.

Quel visage avez-vous ? votre aise voustransporte.

Florame

Cesse d’aigrir ma flamme en raillant de lasorte,

Organe d’un vieillard qui croit faire un bontour

De se jouer de moi par une feinte amour.

Si tu te veux du bien, fais-lui tenirpromesse :

Vous me rendrez tous deux la vie ou mamaîtresse ;

Et ce jour expiré, je vous ferai sentir

Que rien de ma fureur ne vous peutgarantir.

Célie

Florame !

Florame

Je ne puis parler à des perfides.

Célie

Il veut donner l’alarme à mes espritstimides,

Et prend plaisir lui-même à se jouer demoi.

Géraste a trop d’amour pour n’avoir point defoi,

Et s’il pouvait donner trois Daphnis pourFlorise,

Il la tiendrait encore heureusementacquise.

D’ailleurs ce grand courroux pourrait-il êtrefeint ?

Aurait-il pu sitôt falsifier son teint,

Et si bien ajuster ses yeux et son langage

À ce que sa fureur marquait sur sonvisage ?

Quelqu’un des deux me joue ; épions tousles deux,

Et nous éclaircissons sur un point sidouteux.

Acte V

 

Scène première

Théante,Damon

 

Théante

Croirais-tu qu’un moment m’ait pu changer desorte

Que je passe à regret par-devant cetteporte ?

Damon

Que ton humeur n’a-t-elle un peu plus tôtchangé !

Nous aurions vu l’effet où tu m’as engagé.

Tantôt quelque démon, ennemi de ta flamme,

Te faisait en ces lieux accompagnerFlorame :

Sans la crainte qu’alors il te prît poursecond,

Je l’allais appeler au nom deClarimond ;

Et comme si depuis il était invisible,

Sa rencontre pour moi s’est rendueimpossible.

Théante

Ne le cherche donc plus. À bienconsidérer,

Qu’ils se battent, ou non je n’en puisqu’espérer.

Daphnis, que son adresse a malgré moiséduite,

Ne pourrait l’oublier, quand il serait enfuite.

Leur amour est trop forte ; et d’ailleursson trépas,

Le privant d’un tel bien, ne me le donnepas.

Inégal en fortune à ce qu’est cette belle,

Et déjà par malheur assez mal voulud’elle,

Que pourrais-je, après tout, prétendre de sespleurs ?

Et quel espoir pour moi naîtrait de sesdouleurs ?

Deviendrais-je par là plus riche ou plusaimable ?

Que si de l’obtenir je me trouveincapable,

Mon amitié pour lui, qui ne peut expirer,

À tout autre qu’à moi me le faitpréférer ;

Et j’aurais peine à voir un troisième en saplace.

Damon

Tu t’avises trop tard ; que veux-tu queje fasse ?

J’ai poussé Clarimond à lui faire unappel ;

J’ai charge de sa part de lui rendre uncartel.

Le puis-je supprimer ?

Théante

Non, mais tu pourrais faire…

Damon

Quoi ?

Théante

Que Clarimond prît un sentiment contraire.

Damon

Le détourner d’un coup où seul je l’aiporté !

Mon courage est mal propre à cettelâcheté.

Théante

À de telles raisons je n’ai de répartie,

Sinon que c’est à moi de rompre la partie.

J’en vais semer le bruit.

Damon

Et sur ce bruit tu veux…

Théante

Qu’on leur donne dans peu des gardes à tousdeux,

Et qu’une main puissante arrête leurquerelle.

Qu’en dis-tu, cher ami ?

Damon

L’invention est belle,

Et le chemin bien court à les mettred’accord ;

Mais souffre auparavant que j’y fasse uneffort.

Peut-être mon esprit trouvera quelque ruse

Par où, sans en rougir, du cartel jem’excuse.

Ne donnons point sujet de tant parler denous,

Et sachons seulement à quoi tu te résous.

Théante

À les laisser en paix, et courir l’Italie

Pour divertir le cours de ma mélancolie,

Et ne voir point Florame emporter à mesyeux

Le prix où prétendait mon cœur ambitieux.

Damon

Amarante, à ce compte, est hors de tapensée ?

Théante

Son image du tout n’en est pas effacée.

Mais…

Damon

Tu crains que pour elle on te fasse unduel.

Théante

Railler un malheureux, c’est être tropcruel.

Bien que ses yeux encor règnent sur moncourage,

Le bonheur de Florame à la quitterm’engage ;

Le ciel ne nous fit point, et pareils, etrivaux,

Pour avoir des succès tellement inégaux.

C’est me perdre d’honneur, et par cettepoursuite,

D’égal que je lui suis, me ranger à sasuite.

Je donne désormais des règles à mesfeux ;

De moindres que Daphnis sont incapablesd’eux ;

Et rien dorénavant n’asservira mon âme

Qui ne me puisse mettre au-dessus deFlorame.

Allons, je ne puis voir sans milledéplaisirs

Ce possesseur du bien où tendaient mesdésirs.

Damon

Arrête. Cette fuite est hors debienséance,

Et je n’ai point d’appel à faire en taprésence.

(Théante le retire du théâtre commepar force.)

Scène II

 

Florame

Jetterai-je toujours des menaces en l’air,

Sans que je sache enfin à qui je doisparler ?

Aurait-on jamais cru qu’elle me fût ravie,

Et qu’on me pût ôter Daphnis avant lavie ?

Le possesseur du prix de ma fidélité,

Bien que je sois vivant, demeure ensûreté :

Tout inconnu qu’il m’est, il produit mamisère ;

Tout mon rival qu’il est, il rit de macolère.

Rival ! ah, quel malheur ! j’en aipour me bannir,

Et cesse d’en avoir quand je le veuxpunir.

Grands dieux, qui m’enviez cette justeallégeance,

Qu’un amant supplanté tire de lavengeance,

Et me cachez le bras dont je reçois lescoups,

Est-ce votre dessein que je m’en prenne àvous ?

Est-ce votre dessein d’attirer mesblasphèmes,

Et qu’ainsi que mes maux mes crimes soientextrêmes,

Qu’à mille impiétés osant me dispenser,

À votre foudre oisif je donne où selancer ?

Ah ! souffrez qu’en l’état de mon sortdéplorable

Je demeure innocent, encor quemisérable :

Destinez à vos feux d’autres objets quemoi ;

Vous n’en sauriez manquer, quand on manque defoi.

Employez le tonnerre à punir les parjures,

Et prenez intérêt vous-même à mesinjures :

Montrez, en me vengeant, que vous êtes desdieux,

Ou conduisez mon bras, puisque je n’ai pointd’yeux,

Et qu’on sait dérober d’un rival qui metue

Le nom à mon oreille, et l’objet à ma vue.

Rival, qui que tu sois, dont l’insolentamour

Idolâtre un soleil et n’ose voir le jour,

N’oppose plus ta crainte à l’ardeur qui tepresse ;

Fais-toi, fais-toi connaître allant voir tamaîtresse.

Scène III

Florame,Amarante

 

Florame

Amarante (aussi bien te faut-il confesser

Que la seule Daphnis avait su me blesser),

Dis-moi qui me l’enlève ; apprends-moiquel mystère

Me cache le rival qui possède sonpère ;

À quel heureux amant Géraste a destiné

Ce beau prix que l’amour m’avait si biendonné.

Amarante

Ce dût vous être assez de m’avoir abusée,

Sans faire encor de moi vos sujets derisée.

Je sais que le vieillard favorise vosfeux,

Et que rien que Daphnis n’est contraire à vosvœux.

Florame

Que me dis-tu ? Lui seul, et sa rigueurnouvelle

Empêchent les effets d’une ardeurmutuelle ?

Amarante

Pensez-vous me duper avec ce feintcourroux ?

Lui-même il m’a prié de lui parler pourvous.

Florame

Vois-tu, ne t’en ris plus ; ta seulejalousie

A mis à ce vieillard ce change enfantaisie.

Ce n’est pas avec moi que tu te doisjouer,

Et ton crime redouble à ledésavouer ;

Mais sache qu’aujourd’hui, si tu ne fais ensorte

Que mon fidèle amour sur ce rivall’emporte,

J’aurai trop de moyens à te faire sentir

Qu’on ne m’offense point sans un promptrepentir.

Scène IV

 

Amarante

Voilà de quoi tomber en un nouveau dédale.

Ô ciel ! qui vit jamais confusionégale ?

Si j’écoute Daphnis, j’apprends qu’un feupuissant

La brûle pour Florame, et qu’un père yconsent ;

Si j’écoute Géraste, il lui donne Florame,

Et se plaint que Daphnis en rejette laflamme ;

Et si Florame est cru, ce vieillardaujourd’hui

Dispose de Daphnis pour un autre que lui.

Sous un tel embarras je me trouveaccablée ;

Eux ou moi, nous avons la cervelletroublée,

Si ce n’est qu’à dessein ils se soientconcertés

Pour me faire enrager par ces diversités.

Mon faible esprit s’y perd et n’y peut riencomprendre ;

Pour en venir à bout, il me les fautsurprendre,

Et quand ils se verront, écouter leursdiscours,

Pour apprendre par là le fond de cesdétours.

Voici mon vieux rêveur ; fuyons de saprésence,

Qu’il ne m’embrouille encor de quelqueconfidence :

De crainte que j’en ai, d’ici je mebannis,

Tant qu’avec lui je voie ou Florame, ouDaphnis.

Scène V

Géraste,Polémon

 

Polémon

J’ai grand regret, monsieur, que la foi quivous lie

Empêche que chez vous mon neveu nes’allie,

Et que son feu m’emploie aux offres qu’il vousfait,

Lorsqu’il n’est plus en vous d’en accepterl’effet.

Géraste

C’est un rare trésor que mon malheur mevole ;

Et si l’honneur souffrait un manque deparole,

L’avantageux parti que vous me présentez

Me verrait aussitôt prêt à ses volontés.

Polémon

Mais si quelque hasard rompait cettealliance ?

Géraste

N’ayez lors, je vous prie, aucunedéfiance ;

Je m’en tiendrais heureux, et ma foi vousrépond

Que Daphnis, sans tarder, épouseClarimond.

Polémon

Adieu. Faites état de mon humble service.

Géraste

Et vous pareillement, d’un cœur sansartifice.

Scène VI

Célie,Géraste

 

Célie

De sorte qu’à mes yeux votre foi luirépond

Que Daphnis, sans tarder, épouseClarimond ?

Géraste

Cette vaine promesse en un cas impossible

Adoucit un refus et le rend moinssensible ;

C’est ainsi qu’on oblige un homme à peu defrais.

Célie

Ajouter l’impudence à vos perfidestraits !

Il vous faudrait du charme au lieu de cetteruse,

Pour me persuader que qui promet refuse.

Géraste

J’ai promis, et tiendrais ce que j’aiprotesté,

Si Florame rompait le concert arrêté.

Pour Daphnis, c’est en vain qu’elle fait larebelle

J’en viendrai trop à bout.

Célie

Impudence nouvelle !

Florame, que Daphnis fait maître de soncœur,

De votre seul caprice accuse larigueur ;

Et je sais que sans vous leur mutuelleflamme

Unirait deux amants qui n’ont déjà qu’uneâme.

Vous m’osez cependant effrontément conter

Que Daphnis sur ce point aime à vousrésister !

Vous m’en aviez promis une tout autreissue :

J’en ai porté parole après l’avoir reçue.

Qu’avais-je, contre vous, ou fait, ouprojeté,

Pour me faire tremper en votrelâcheté ?

Ne pouviez-vous trahir que par monentremise ?

Avisez : il y va de plus que deFlorise.

Ne vous estimez pas quitte pour laquitter,

Ni que de cette sorte on se laisseaffronter.

Géraste

Me prends-tu donc pour homme à manquer deparole

En faveur d’un caprice où s’obstine unefolle ?

Va, fais venir Florame ; à ses yeux tuverras

Que pour lui mon pouvoir ne s’épargnerapas,

Que je maltraiterai Daphnis en sa présence

D’avoir pour son amour si peu decomplaisance.

Qu’il vienne seulement voir un pèreirrité,

Et joindre sa prière à mon autorité ;

Et lors, soit que Daphnis y résiste ouconsente,

Crois que ma volonté sera la pluspuissante.

Célie

Croyez que nous tromper ce n’est pas votremieux.

Géraste

Me foudroie en ce cas la colère descieux !

Scène VII

Géraste,Daphnis

 

Géraste,seul.

Géraste, sur-le-champ il te fallaitcontraindre

Celle que ta pitié ne pouvait ouïrplaindre.

Tu n’as pu refuser du temps à ses douleurs

Ton cœur s’attendrissait de voir couler sespleurs ;

Et pour avoir usé trop peu de tapuissance,

On t’impute à forfait sa désobéissance.

(Daphnis vient.)

Un traitement trop doux te fait croire sansfoi.

Faudra-t-il que de vous je reçoive la loi,

Et que l’aveuglement d’une amour obstinée

Contre ma volonté règle votrehyménée ?

Mon extrême indulgence a donné, parmalheur,

À vos rébellions quelque faiblecouleur ;

Et pour quelque moment que vos feux m’ont suplaire,

Vous pensez avoir droit de braver macolère :

Mais sachez qu’il fallait, ingrate, en vosamours,

Ou ne m’obéir point, ou m’obéir toujours.

Daphnis

Si dans mes premiers feux je vous sembleobstinée,

C’est l’effet de ma foi sous votre aveudonnée.

Quoi que mette en avant votre injustecourroux,

Je ne veux opposer à vous-même que vous.

Votre permission doit êtreirrévocable :

Devenez seulement à vous-même semblable.

Il vous fallait, monsieur, vous-même à mesamours,

Ou ne consentir point, ou consentirtoujours.

Je choisirai la mort plutôt que leparjure ;

M’y voulant obliger, vous vous faitesinjure.

Ne veuillez point combattre ainsi hors desaison

Votre vouloir, ma foi, mes pleurs, et laraison.

Que vous a fait Daphnis ? que vous a faitFlorame,

Que pour lui vous vouliez que j’éteigne maflamme ?

Géraste

Mais que vous a-t-il fait, que pour luiseulement

Vous vous rendiez rebelle à moncommandement ?

Ma foi n’est-elle rien au-dessus de lavôtre ?

Vous vous donnez à l’un ; ma foi vousdonne à l’autre.

Qui le doit emporter ou de vous ou demoi ?

Et qui doit de nous deux plutôt manquer defoi ?

Quand vous en manquerez, mon vouloir vousexcuse.

Mais à trop raisonner moi-même jem’abuse :

Il n’est point de raison valable entre nousdeux,

Et pour toute raison, il suffit que jeveux.

Daphnis

Un parjure jamais ne devientlégitime ;

Une excuse ne peut justifier un crime.

Malgré vos changements, mon esprit résolu

Croit suffire à mes feux que vous ayezvoulu.

Scène VIII

Géraste,Daphnis,Florame,Célie,Amarante

 

Daphnis

Voici ce cher amant qui me tient engagée,

À qui sous votre aveu ma foi s’estobligée.

Changez de volonté pour un objetnouveau :

Daphnis épousera Florame, ou le tombeau.

Géraste

Que vois-je ici, bons dieux ?

Daphnis

Mon amour, ma constance.

Géraste

Et sur quoi donc fonder tadésobéissance ?

Quel envieux démon, et quel charme assezfort,

Faisait entrechoquer deux volontésd’accord ?

C’est lui que tu chéris, et que je tedestine ;

Et ta rébellion dans un refuss’obstine !

Florame

Appelez-vous refus de me donner sa foi,

Quand votre volonté se déclara pourmoi ?

Et cette volonté, pour une autre tournée,

Vous peut-elle obéir après la foidonnée ?

Géraste

C’est pour vous que je change, et pour vousseulement

Je veux qu’elle renonce à son premieramant.

Lorsque je consentis à sa secrète flamme,

C’était pour Clarimond qui possédait sonâme ;

Amarante du moins me l’avait dit ainsi.

Daphnis

Amarante, approchez ; que tout soitéclairci.

Une telle imposture est-ellepardonnable ?

Amarante

Mon amour pour Florame en est le seulcoupable :

Mon esprit l’adorait : et vousétonnez-vous

S’il devint inventif, puisqu’il étaitjaloux ?

Géraste

Et par là tu voulais…

Amarante

Que votre âme déçue

Donnât à Clarimond une si bonne issue,

Que Florame, frustré de l’objet de sesvœux,

Fût réduit désormais à seconder mes feux.

Florame

Pardonnez-lui, monsieur ; et vous,daignez, madame,

Justifier son feu par votre propre flamme.

Si vous m’aimez encor, vous devez estimer

Qu’on ne peut faire un crime à force dem’aimer.

Daphnis

Si je t’aime, Florame ? Ah ! cedoute m’offense.

D’Amarante avec toi je prendrai ladéfense.

Géraste

Et moi, dans ce pardon je vous veuxprévenir ;

Votre hymen aussi bien saura trop lapunir.

Daphnis

Qu’un nom tu par hasard nous a donné depeine !

Célie

Mais que, su maintenant, il rend sa rusevaine,

Et donne un prompt succès à voscontentements.

Florame, àGéraste.

Vous, de qui je les tiens…

Géraste

Trêve de compliments :

Ils nous empêcheraient de parler deFlorise.

Florame

Il n’en faut point parler, elle vous estacquise.

Géraste

Allons donc la trouver : que cet échangeheureux

Comble d’aise à son tour un vieillardamoureux.

Daphnis

Quoi ! je ne savais rien d’une tellepartie !

Florame

Je pense toutefois vous avoir avertie

Qu’un grand effet d’amour, avant qu’il fûtlongtemps,

Vous rendrait étonnée, et nos désirscontents.

Mais différez, monsieur, une tellevisite ;

Mon feu ne souffre point que sitôt je laquitte ;

Et d’ailleurs je sais trop que la foi dudevoir

Veut que je sois chez nous pour vous yrecevoir.

Géraste, àCélie.

Va donc lui témoigner le désir qui mepresse.

Florame

Plutôt fais-la venir saluer mamaîtresse :

Ainsi tout à la fois nous verronssatisfaits

Vos feux et mon devoir, ma flamme et vossouhaits.

Géraste

Je dois être honteux d’attendre qu’ellevienne.

Célie

Attendez-la, monsieur, et qu’à cela netienne :

Je cours exécuter cette commission.

Géraste

Le temps en sera long à mon affection.

Florame

Toujours l’impatience à l’amour est mêlée.

Géraste

Allons dans le jardin faire deux toursd’allée,

Afin que cet ennui que j’en pourrai sentir

Parmi votre entretien trouve à sedivertir.

Scène IX

 

Amarante

Je le perds donc, l’ingrat, sans que monartifice

Ait tiré de ses maux aucun soulagement,

Sans que pas un effet ait suivi ma malice,

Où ma confusion n’égalât son tourment.

Pour agréer ailleurs il tâchait à meplaire,

Un amour dans la bouche, un autre dans lesein :

J’ai servi de prétexte à son feutéméraire,

Et je n’ai pu servir d’obstacle à sondessein.

Daphnis me le ravit, non par son beauvisage,

Non par son bel esprit ou ses douxentretiens,

Non que sur moi sa race ait aucunavantage,

Mais par le seul éclat qui sort d’un peu debiens.

Filles que la nature a si bien partagées,

Vous devez présumer fort peu de vosattraits ;

Quelque charmants qu’ils soient, vous êtesnégligées,

À moins que la fortune en rehausse lestraits.

Mais encor que Daphnis eût captivéFlorame,

Le moyen qu’inégal il en fûtpossesseur ?

Destins, pour rendre aisé le succès de saflamme,

Fallait-il qu’un vieux fou fût épris de sasœur ?

Pour tromper mon attente, et me faire unsupplice,

Deux fois l’ordre commun se renverse en unjour ;

Un jeune amant s’attache aux lois del’avarice,

Et ce vieillard pour lui suit celles del’amour.

Un discours amoureux n’est qu’une fausseamorce,

Et Théante et Florame ont feint pour moi desfeux ;

L’un m’échappe de gré, comme l’autre deforce ;

J’ai quitté l’un pour l’autre, et je les perdstous deux.

Mon cœur n’a point d’espoir dont je ne soisséduite,

Si je prends quelque peine, une autre en a lesfruits ;

Et dans le triste état où le ciel m’aréduite,

Je ne sens que douleurs, et ne prévoisqu’ennuis.

Vieillard, qui de ta fille achètes unefemme

Dont peut-être aussitôt tu serasmécontent,

Puisse le ciel, aux soins qui te vont rongerl’âme,

Dénier le repos du tombeau quit’attend !

Puisse le noir chagrin de ton humeurjalouse

Me contraindre moi-même à déplorer tonsort,

Te faire un long trépas, et cette jeuneépouse

User toute sa vie à souhaiter ta mort !

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