La Voix de Guernesey de Victor Hugo

Retrouvez La Voix de Guernesey du célèbre auteur Victor Hugo

À GARIBALDI

Un français c’est la France, un romain contient Rome Et ce qui brise un peuple avorte au pieds d’un homme.

I. ”Ces jeunes gens, ces fils”
Ces jeunes gens, ces fils de Brutus, de Camille, De Thraséas combien étaient-ils ? quatre mille. Combien sont morts ? six cents. Six cents ! comptez, voyez. Une dis- persion de membres foudroyés, Des bras rompus, des yeux troués et noirs, des ventres Où fouillent en hurlant les loups sortis des antres, De la chair mitraillée au milieu des buissons, C’est là tout ce qui reste, après les trahisons, Après le piège, après les guet-apens infâmes, Hélas, de ces grands cœurs et de ces grandes âmes ! Voyez. On les a tous fauchés d’un coup de faulx. Leur crime ? ils voulaient Rome et ses arcs triomphaux ; Ils défendaient l’honneur et le droit, ces chimères. Venez, reconnaissez vos enfants, venez, mères ! Car pour qui l’allaita, l’homme est tou- jours l’enfant. Tenez ; ce front hagard, qu’une balle ouvre et fend, C’est humble tête blonde où jadis, pauvre femme, Tu voyais rayonner l’aurore et poindre l’âme ; Ces lèvres, dont l’écume a souillé le gazon, O nourrice, après toi bégayaient ta chanson ; Cette main froide, auprès de ces paupières closes, A fait jaillir ton lait sous ses petits doigts roses ; Voici le premier-né ; voici le dernier-né. O d’espé- rance éteinte amas infortuné ! Pleurs profonds ! ils vivaient ; ils réclamaient leur Tibre ; Etre jeune n’est pas complet sans être libre ; Ils voulaient voir leur aigle immense s’envoler ; Ils voulaient affranchir, réparer, consoler ; Chacun portait en soi, pieuse idolâtrie, Le total des affronts soufferts par la patrie ; Ils savaient tout compter, tout, hors les ennemis ; Beaux, vaillants, jeunes, morts ! Adieux, nos doux amis, Les heures de lumière et d’amour sont passées, Vous n’effeuillerez plus avec vos fiancées L’humble étoile des prés qui rayonne et fleurit… Que de sang sur ce prêtre, ô pâle Jésus-Christ !

Pontife élu que l’ange a touché de sa palme, A qui Dieu commanda de tenir, doux et calme, Son évangile ouvert sur le monde orphelin, O frère universel à la robe de lin, A demi dans la chaire, à demi dans la tombe, Serviteur de l’agneau, gardien de la colombe, Qui des cieux dans ta main portes le lys tremblant, Homme près de ta fin, car ton front est tout blanc Et le vent du sépulcre en tes cheveux se joue, Vicaire de celui qui tendait l’autre joue, A cette heure, ô semeur des pardons infinis, Ce qui plaît à ton cœur et ce que tu bénis Sur notre sombre terre où l’âme humaine lutte, C’est un fusil tuant douze hommes par minute !

Jules deux reparaît sous ma mitre de fer. La papauté féroce avoue enfin l’enfer.

Certes, l’outil du meurtre a bien rempli sa tâche ; Ces rois ! leur foudre est traitre et leur tonnerre est lâche. Avoir été trop grands, Français, c’est importun : Jadis un contre dix, aujourd’hui dix contre un. France, on te déshonore, on te traîne, on te lie, Et l’on te force à mettre au bagne l’Italie. Voilà ce qu’on te fait, colosse en proie aux mains ! Un ruisseau fumant coule au flanc des Apennins.

II. ”O sinistre vieillard”
O sinistre vieillard, te voilà responsable Du vautour déterrant un crâne dans le sable, Et du croassement lugubre des corbeaux ! Emplissez désormais ses visions, tombeaux, Paysages hideux où rôdent les belettes, Silhouettes d’oiseaux perchés sur des squelettes ! S’il dort, apparais-lui, champ de bataille noir !

Les canons sont tout chauds ; ils ont fait leur devoir ; La mitraille invoquée a tenu sa promesse ; C’est fait. Les morts sont morts. Maintenant dis ta messe. Prends dans tes doigts l’hostie en t’essuyant un peu, Car il ne faudrait pas mettre du sang à Dieu !

Du reste tout est bien. La France n’est pas fière ; Le roi de Prusse a ri ; le denier de Saint-Pierre Prospère, et l’Irlandais donne son dernier sou ; Le peuple cède et met en terre le genou ; De peur qu’on ne le fauche ; il plie, étant de l’herbe ; On reprend Frosinone et l’on rentre à Viterbe ; Le czar a commandé son service divin ; Partout où quelque mort blêmit dans un ravin, Le rat joyeux le ronge en tremblant qu’il ne bouge ; Ici la terre est noire ; ici la plaine est rouge ; Garibaldi n’est plus qu’un vain nom immortel ; Comme Léonidas, comme Guillaume Tell ; Le pape, à la Sixtine, au Gésu, chez les Carmes, Met tous ses diamants ; tendre ; il répand des larmes De joie ; il est très doux ; il parle du succès De ses armes ; du sang versé, des bons Français, Des quantités de plomb que la bombarde jette, Modestement, les yeux baissés, comme un poète Se fait un peu prier pour réciter ses vers. De convois de blessés les chemins sont couverts.

Partout rit la victoire. Utilité des traîtres.
Dans les perles, la soie et l’or, parmi tes reîtres Qu’hier, du doigts, aux champs de meurtre, tu guidais, Pape, assis, sur ton trône et siégeant, sous ton dais, Coiffé de ta tiare aux trois couronnes, prêtre, Tu verras quelque jour au Vatican peut-être Entrer un homme triste et de haillons vêtu, Un pauvre, un inconnu. Tu lui diras : ? Qu’es-tu, Passant ? que me veux-tu ? sors-tu de quelque geôle ? Pourquoi voit-on ces brins de laine à ton épaule ? ? Une brebis était tout à l’heure dessus, Répondra- t-il. Je viens de loin. Je suis Jésus.

III. ”Une chaîne au héros !”
Une chaîne au héros ! une corde à l’apôtre ! John Brown, Garibaldi, passez l’un après l’autre. Quel est ce prisonnier ? c’est le libérateur. Sur la terre, en tous lieux, du pôle à l’équateur ; L’iniquité prévaut, règne, triomphe, et mène De force aux lâchetés la conscience humaine. O prodiges de honte ! étranges impudeurs ! On accepte un soufflet par des ambassadeurs. On jette aux fers celui qui nous a fait l’aumône. ? Tu sais, je t’ai blâmé de lui donner ce trône ! ?

On était gentilhomme, on devient alguazil. Débiteur d’un royaume, on paie avec l’exil. Pourquoi pas ? on est vil. C’est qu’on en reçoit l’ordre. Rampons. Lécher le maître est plus sûr que le mordre. D’ailleurs tout est logique. Où sont les contre- sens ? La gloire a le cachot, mais le crime a l’encens ; De quoi vous plaignez-vous ? l’infâme étant l’auguste, Le vrai doit être faux, et la balance est juste. On dit au sol- dat : frappe ! il doit frapper. La mort Est la servante sombre aux ordres du plus fort. Et puis, l’aigle peut bien venir en aide au cygne ! Mitrailler est le dogme et croire est la consigne. Qu’est pour nous le soldat ? du fer sur un valet. Le pape veut avoir son Sadowa ; qu’il l’ait. Quoi donc ? en viendra-t-on dans le siècle où nous sommes, A mettre en question le vieux droit qu’ont les hommes D’obéir à leur prince et de s’entretuer ? Au prétendu progrès pourquoi s’évertuer Quand l’humble populace est surtout coutumière ? La masse a plus de calme ayant moins de lumière. Tous les grands intérêts des peuples, l’échafaud, La guerre, le budget, l’ignorance qu’il faut, Courent moins de dangers et sont en équilibre Sur l’homme garrotté mieux que sur l’homme libre. L’homme libre se meut et cause un tremblement. Un Gari- baldi peut tout rompre à tout moment ; Il entraîne après lui la foule, qui déserte Et passe à l’idéal. C’est grave. On comprend, certe, Que la société, sur qui veillent les cours, Doit trembler et frémir et crier au secours, Tant qu’un héros n’est pas mis hors d’état de nuire.

Le phare aux yeux de l’ombre est coupable de luire.

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