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Les Amoureuses

Les Amoureuses

d’ Alphonse Daudet

À Mme Alphonse Daudet

Tu as pour te rendre amusée

Ma jeunesse en papier icy…

Clément Marot, à sa dame.

 

AUX PETITS ENFANTS.

Enfants d’un jour, ô nouveau-nés,

Petites bouches, petits nez,

Petites lèvres demi-closes,

Membres tremblants,

Si frais, si blancs,

Si roses !

Enfants d’un jour, ô nouveaux-nés,

Pour le bonheur que vous donnez,

À vous voir dormir dans vos langes,

Espoir des nids

Soyez bénis,

Chers anges !

Pour vos grands yeux effarouchés

Que sous vos draps blancs vous cachez.

Pour vos sourires, vos pleurs même,

Tout ce qu’en vous,

Êtres si doux,

On aime ;

Pour tout ce que vous gazouillez,

Soyez bénis, baisés, choyés,

Gais rossignols, blanches fauvettes ;

Que d’amoureux

Et que d’heureux

Vous faites !

Lorsque sur vos chauds oreillers,

En souriant vous sommeillez,

Près de vous, tout bas, ô merveille !

Une voix dit :

« Dors, beau petit ;

Je veille. »

C’est la voix de l’ange gardien ;

Dormez, dormez, ne craignez rien,

Rêvez, sous ses ailes de neige :

Le beau jaloux

Vous berce et vous

Protège.

Enfants d’un jour, ô nouveau-nés,

Au paradis, d’où vous venez,

Un léger fil d’or vous rattache.

À ce fil d’or

Tient l’âme encor

Sans tache.

Vous êtes à toute maison

Ce que la fleur est au gazon,

Ce qu’au ciel est l’étoile blanche,

Ce qu’un peu d’eau

Est au roseau

Qui penche.

Mais vous avez de plus encor

Ce que n’a pas l’étoile d’or,

Ce qui manque aux fleurs les plu sbelles :

Malheur à nous !

Vous avez tous

Des ailes.

LE CROUP.

Alors Hérode envoyatuer dans Bethléem

Et dans les paysd’alentour les enfants de

Deux ans etau-dessous.

Saint Matthieu,III.

I.

Dans son petit lit, sous le rayon pâle

D’un cierge qui tremble et qui va mourir,

L’enfant râle.

Quel est le bourreau qui le faitsouffrir ?

Quel boucher sinistre a pris à la gorge

Ce pauvre agnelet que rien nedéfend ?

Qui l’égorge ?

Qui sait égorger un petit enfant ?

Sombre nuit ! La chambre est froide. Onfrissonne.

Dans l’âtre glacé fume un noir tison.

L’heure sonne.

Le vent de la mort court dans la maison.

II.

Aux rideaux du lit la mère s’accroche.

Elle est nue. Elle est pâle. Elle défend

Qu’on l’approche :

Elle veut rester seule avec l’enfant.

Son fils ! Il faut voir comme elle luicause !

« Ami, ne meurs pas. Je te donnerai

« Quelque chose ;

« Ami, si tu meurs, moi jepleurerai. »

Et pour empêcher que l’oiseau s’envole,

Elle lui promet du mouron plus frais…

Pauvre folle !

Comme si l’oiseau s’envolait exprès.

Le père est debout dans l’ombre. Il secache,

Il pleure. On l’entend dire enétouffant :

« Ô le lâche

« Qui n’ose pas voir mourir sonenfant ! »

Dans un coin, l’aïeul accroupi par terre

Chante une gavotte, et quand on lui dit

De se taire,

Il répond : « Hé ! hé !j’endors le petit. »

III.

Le cierge s’éteint près du lit qui sombre…

Un râle de mort, un cri de douleur,

Et dans l’ombre

On entend quelqu’un fuir comme un voleur.

Qui va là ? Qui vient d’ouvrir cetteporte ?…

Courons ! C’est un spectre armé d’uncouteau,

Il emporte

Le petit enfant dans son grand manteau.

Oh ! je te connais, – ne cours pas sivite,

Massacreur d’enfants ! Je t’aireconnu

Tout de suite

À ton manteau rouge, à ton couteau nu.

Hérode t’a fait ce legs effroyable.

Tu portes sa pourpre et son yatagan.

Vas au diable

Comme Hérode, spectre, assassin,forban !

LA VIERGE À LA CRÈCHE.

Dans ses langes blancs, fraîchementcousus,

La vierge berçait son enfant-Jésus.

Lui, gazouillait comme un nid de mésanges.

Elle le berçait, et chantait tout bas

Ce que nous chantons à nos petits anges…

Mais l’enfant-Jésus ne s’endormait pas.

Étonné, ravi de ce qu’il entend,

Il rit dans sa crèche, et s’en va chantant

Comme un saint lévite et comme unchoriste ;

Il bat la mesure avec ses deux bras,

Et la sainte vierge est triste, bientriste,

De voir son Jésus qui ne s’endort pas.

« Doux Jésus, lui dit la mère entremblant,

« Dormez, mon agneau, mon bel agneaublanc.

« Dormez ; il est tard, la lampe estéteinte.

« Votre front est rouge et vos membreslas ;

« Dormez, mon amour, et dormez sanscrainte. »

Mais l’enfant-Jésus ne s’endormait pas.

« Il fait froid, le vent souffle, pointde feu…

« Dormez ; c’est la nuit, la nuit dubon dieu.

« C’est la nuit d’amour des chastesépouses ;

« Vite, ami, cachons ces yeux sous nosdraps,

« Les étoiles d’or en seraientjalouses. »

Mais l’enfant-Jésus ne s’endormait pas.

« Si quelques instants vous vousendormiez,

« Les songes viendraient, en vol deramiers,

« Et feraient leurs nids sur vos deuxpaupières,

« Ils viendront ; dormez, douxJésus. » Hélas !

Inutiles chants et vaines prières,

Le petit Jésus ne s’endormait pas.

Et marie alors, le regard voilé,

Pencha sur son fils un front désolé :

« Vous ne dormez pas, votre mèrepleure,

« Votre mère pleure, ô mon belami… »

Des larmes coulaient de ses yeux ; surl’heure,

Le petit Jésus s’était endormi.

TROIS JOURS DE VENDANGES.

Je l’ai rencontrée un jour de vendange,

La jupe troussée et le pied mignon ;

Point de guimpe jaune et point dechignon :

L’air d’une bacchante et les yeux d’unange.

Suspendue au bras d’un doux compagnon,

Je l’ai rencontrée aux champs d’Avignon,

Un jour de vendange.

* * *

Je l’ai rencontrée un jour de vendange.

La plaine était morne et le cielbrûlant ;

Elle marchait seule et d’un pas tremblant,

Son regard brillait d’une flamme étrange.

Je frisonne encore en me rappelant

Comme je te vis, cher fantôme blanc,

Un jour de vendange.

* * *

Je l’ai rencontrée un jour de vendange,

Et j’en rêve encore presque tous lesjours.

………

Le cercueil était couvert en velours,

Le drap noir avait une double frange.

Les sœurs d’Avignon pleuraient toutautour…

La vigne avait trop de raisins ;l’amour

A fait la vendange.

À CÉLIMÈNE.

Je ne vous aime pas, ô blonde célimène,

Et si vous l’avez cru quelque temps,apprenez

Que nous ne sommes point de ces gens que l’onmène

Avec une lisière et par le bout dunez ;

Je ne vous aime pas…depuis une semaine,

Et je ne sais pourquoi vous vous enétonnez.

Je ne vous aime pas ; vous êtes tropcoquette,

Et vos moindres faveurs sont de mauvaisaloi ;

Par le droit des yeux noirs, par le droit deconquête,

Il vous faut des amants. (On ne sait troppourquoi.)

Vous jouez du regard comme d’uneraquette ;

Vous en jouez, méchante…et jamais avecmoi.

Je ne vous aime pas, et vous aurez beaufaire,

Non, madame, jamais je ne vous aimerai.

Vous me plaisez beaucoup ; certes, jevous préfère

À Dorine, à Clarisse, à Lisette, c’estvrai.

Pourtant l’amour n’a rien à voir dans cetteaffaire,

Et quand il vous plaira, je vous leprouverai.

J’aurais pu vous aimer ; mais, ne vous endéplaise,

Chez moi le sentiment ne tient que par unfil…

Avouons-le, pourtant, quelque chose mepèse :

En ne vous aimant pas, comment donc sefait-il

Que je sois aussi gauche, aussi mal à monaise

Quand vous me regardez de face ou deprofil ?

Je ne vous aime pas, je n’aime rien aumonde ;

Je suis de fer, je suis de roc, je suisd’airain.

Shakespeare a dit de vous :« Perfide comme l’onde » ;

Mais moi je n’ai pas peur, car j’ai le piedmarin.

Pourtant quand vous parlez, ô ma sirèneblonde,

Quand vous parlez, mon cœur bat comme untambourin.

Je ne vous aime pas, c’est dit, je vousdéteste,

Je vous crains comme on craint l’enfer, depeur du feu ;

Comme on craint le typhus, le choléra, lapeste,

Je vous hais à la mort, madame ; mais,mon dieu !

Expliquez-moi pourquoi je pleure, quand jereste

Deux jours sans vous parler et sans vous voirun peu.

FANFARONNADE.

Je n’ai plus ni foi ni croyance !

Il n’est pas de fruit défendu

Que ma dent n’ait un peu mordu

Sur le vieil arbre de science :

Je n’ai plus ni foi ni croyance.

Mon cœur est vieux ; il a mûri

Dans la pensée et dans l’étude ;

Il n’est pas de vieille habitude

Dont je ne l’aie enfin guéri.

Mon cœur est vieux, il a mûri.

Les grands sentiments me font rire ;

Mais, comme c’est très bien porté,

J’en ai quelques uns de côté

Pour les jours où je veux écrire

Des vers de sentiment…pour rire.

Quand un ami me saute au cou,

Je porte la main à ma poche ;

Si c’est mon parent le plus proche,

J’ai toujours peur d’un mauvais coup,

Quand ce parent me saute au cou.

Veut-on savoir ce que je pense

De l’amour chaste et du devoir ?

Pour le premier…allez-y voir ;

Quant à l’autre, je me dispense

De vous dire ce que je pense

C’est moi qui me suis interdit

Toute croyance par système,

Et, voyez, je ne crois pas même

Un seul mot de ce que j’ai dit.

LES CERISIERS.

I.

Vous souvient-il un peu de ce que vousdisiez,

Mignonne, au temps des cerisiers ?

Ce qui tombait du bout de votre lèvrerose,

Ce que vous chantiez, ô mon doux bengali,

Vous l’avez oublié, c’était si peu dechose,

Et pourtant, c’était bien joli…

Mais moi je me souviens (et n’en soyez passurprise),

Je me souviens pour vous de ce que vousdisiez.

Vous disiez (à quoi bon rougir ?)…doncvous disiez…

Que vous aimiez fort la cerise,

La cerise et les cerisiers.

II.

Vous souvient-il un peu de ce que vousfaisiez,

Mignonne, au temps des cerisiers ?

Plus grands sont les amours, plus courte estla mémoire

Vous l’avez oublié, nous en sommes touslà ;

Le cœur le plus aimant n’est qu’une vastearmoire.

On fait deux tours, et puis voilà.

Mais moi je me souviens (et n’en soyezsurprise),

Je me souviens pour vous de ce que vousfaisiez…

Vous faisiez (à quoi bon rougir ?)…doncvous faisiez…

Des boucles d’oreille en cerise,

En cerise de cerisiers.

III.

Vous souvient-il d’un soir où vous vousreposiez,

Mignonne, sous les cerisiers ?

Seule dans ton repos ! Seule, ô femme, ônature !

De l’ombre, du silence, et toi…quelsouvenir !

Vous l’avez oublié, maudite créature,

Moi je ne puis y parvenir.

Voyez, je me souviens (et n’en soyezsurprise),

Je me souviens du soir où vous vousreposiez…

Vous reposiez (pourquoi rougir ?)…vousreposiez…

Je vous pris pour une cerise ;

C’était la faute aux cerisiers.

LE 1er MAI 1857. MORT D’ALFRED DEMUSSET.

Nature de rêveur, tempérament d’artiste,

Il est resté toujours triste, horriblementtriste.

Sans savoir ce qu’il veut, sans savoir cequ’il a,

Il pleure ; pour un rien, pour ceci, pourcela.

Aujourd’hui c’est le temps, demain c’est unemouche,

Un rossignol qui fausse, un papillon quilouche…

Son corps est un roseau, son âme est unefleur,

Mais un roseau sans moelle, une fleur sanscalice ;

Il est triste sans cause, il souffre sansdouleur,

Il faudra qu’il en meure, et qu’onl’ensevelisse

Avec sa nostalgie au flanc, comme uncilice.

Ne creusez pas son mal ; ne lui demandezrien,

Vous qui ne portez pas un cœur comme lesien.

Ne lui demandez rien, ô vous qu’il achoisies

Dans le ciel de son rêve et de sesfantaisies ;

C’est un petit enfant, prenez-le dans vosbras,

Dites-lui. « Mon amour, fais comme tuvoudras,

« Ton mal est un secret, je ne veux pasl’apprendre. »

Souffrez de sa blessure, en essuyant sesyeux ;

Souffrez de sa douleur sans jamais lacomprendre,

Car vous ne savez pas comme on guérit lesdieux,

Car vous l’aimeriez moins en le connaissantmieux.

Parfois, rayon dans l’ombre et perle dans labrume,

Son visage s’étoile et son regards’allume ;

On dirait qu’il attend quelqu’un qui ne vientpas.

Mais ce n’est jamais toi qu’il cherche entretes bras,

Ninette ; – ce qu’il veut, il n’en saitrien lui-même.

Dans tout ce qu’il espère et dans tout cequ’il aime,

Il voit un vide immense et s’use à lecombler,

Jusqu’au jour où, sentant que son âme estatteinte,

Sentant son âme atteinte et son malredoubler

Il soit las de souffler sur une flammeéteinte…

Et meure de dégoût, de tristesse… etd’absinthe !

LA RÊVEUSE.

Elle rêve, la jeune femme !

L’œil alangui, les bras pendants,

Elle rêve, elle entend son âme,

Son âme qui chante au dedans.

Tout l’orchestre de ses vingt ans,

Clavier d’or aux notes de flamme,

Lui dit une joyeuse gamme

Sur la clef d’amour du printemps…

La rêveuse leva la tête,

Puis la penchant sur son poète,

S’en fut, lui murmurant tout bas :

« Ami, je rêve ; ami, jepleure ;

« Ami, je songe que c’est l’heure…

« Et que mon coiffeur ne vientpas. »

LES BOTTINES.

…Cebruit charmant des talons qui

résonnent sur le parquet : clic ! clac ! est

leplus joli thème pour un rondeau.

GŒTHE, Wilhelm Meister.

I.

Moitié chevreau, moitié satin,

Quand elles courent par la chambre,

Clic ! clac !

Il faut voir de quel air mutin

Leur fine semelle se cambre.

Clic ! Clac !

Sous de minces boucles d’argent,

Toujours trottant, jamais oisives,

Clic ! clac !

Elles ont l’air intelligent

De deux petites souris vives.

Clic ! clac !

Elles ont le marcher d’un roi,

Les élégances d’un Clitandre,

Clic ! clac !

Par là-dessus, je ne sais quoi

De fou, de railleur et de tendre.

Clic ! clac !

II.

En hiver au coin d’un bon feu,

Quand le sarment pétille et flambe,

Clic ! clac !

Elles aiment à rire un peu,

En laissant voir un bout de jambe.

Clic ! clac !

Mais quoique assez lestes, – au fond,

Elles ne sont pas libertines,

Clic ! clac !

Et ne feraient pas ce que font

La plupart des autres bottines.

Clic ! clac !

Jamais on ne nous trouvera,

Dansant des polkas buissonnières,

Clic ! clac !

Au bal masqué de l’Opéra,

Ou dans le casion d’Asnières.

Clic ! clac !

C’est tout au plus si nous allons,

Deux fois par mois, avec décence,

Clic ! clac !

Nous trémousser dans les salons

Des bottines de connaissance.

Clic ! clac !

Puis quand nous avons bien trotté,

Le soir nous faisons nos prières,

Clic ! clac !

Avec toute la gravité

De deux petites sœurs tourières.

Clic ! clac !

III.

Maintenant, dire où j’ai connu

Ces merveilles de miniature,

Clic ! clac !

Le premier chroniqueur venu

Vous en contera l’aventure.

Clic ! clac !

Je vous avouerai cependant

Que souventes fois il m’arrive,

Clic ! clac !

De verser, en les regardant,

Une grosse larme furtive.

Clic ! clac !

Je songe que tout doit finir,

Même un poème d’humoriste,

Clic ! clac !

Et qu’un jour prochain peut venir

Où je serai bien seul, bien triste,

Clic ! clac !

Lorsque, – pour une fois,

Mes oiseaux prenant leur volée,

Clic ! clac !

De loin, sur l’escalier de bois,

J’entendrai, l’âme désolée :

Clic ! clac !

À CLAIRETTE.

Croyez-moi, mignonne, avec l’amourette

Que nous gaspillons à deux, chaque jour

(Ne vous moquez pas trop de moi,Clairette),

On pourrait encore faire un peu d’amour.

On fait de l’amour avec l’amourette.

Qui sait ? connaissons un peu mieux noscœurs.

Qui sait ? cherchons bien…pardon, jem’arrête ;

Vous avez la bouche et l’œil trop moqueurs

(Ne vous moquez pas trop de moi,Clairette) :

Qui sait ? connaissons un peu mieux noscœurs.

Voyons, si j’avais dans quelque retraite

Le nid que je rêve et que j’ai cherché,

(Ne vous moquez pas trop de moi,Clairette),

On aime bien mieux quand on est caché.

Si j’avais un nid dans quelqueretraite !

Un nid ! des vallons bien creux, bienperdus.

Plus de falbalas, plus de cigarette ;

Champagne et mâcon seraient défendus,

(Ne vous moquez pas trop de moi,Clairette)…

Un nid, des vallons bien creux, bienperdus.

Quel bonheur de vivre en anachorète,

Des fleurs et vos yeux pour tout horizon,

(Ne vous moquez pas trop de moi,Clairette) !

Par le dieu Plutus, j’ai quelque raison

Pour désirer vivre en anachorète.

Eh bien ! cher amour, la nature estprête,

Le nid vous attend… Comment ! vousriez ?

(Ne vous moquez pas trop de moi,Clairette),

C’était pour savoir ce que vous diriez.

MISERERE DE L’AMOUR.

Miserere !

Encore une fois, ma colombe,

O mon beau trésor adoré,

Viens t’agenouiller sur la tombe

Où notre amour est enterré.

Miserere !

I.

Il est là dans sa robe blanche ;

Qu’il est chaste et qu’il est joli !

Il dort, ce cher enseveli,

Et comme un fruit mûr sur la branche,

Son jeune front, son front pâli

Incline à terre, et penche, penche…

Miserere !

Regarde-le bien, ma colombe,

O mon beau trésor adoré,

Il est là couché dans la tombe,

Comme nous l’avons enterré,

Miserere !

II.

Depuis les pieds jusqu’à la tête,

Sans regret, comme sans remord,

Nous l’avions fait beau pour la mort.

Ce fut sa dernière toilette ;

Nous ne pleurâmes pas bien fort,

Vous étiez femme et moi poète.

Miserere !

Les temps ont changé, ma colombe,

O mon beau trésor adoré,

Nous venons pleurer sur sa tombe,

Maintenant qu’il est enterré.

Miserere !

III.

Il est mort, la dernière automne ;

C’est au printemps qu’il était né.

Les médecins l’ont condamné

Comme trop pur, trop monotone :

Mon cœur leur avait pardonné…

Je ne sais plus s’il leur pardonne.

Miserere !

Ah ! je le crains bien, ma colombe,

O mon beau trésor adoré,

Trop tôt nous avons fait sa tombe,

Trop tôt nous l’avons enterré.

Miserere !

IV.

Il est des graines de rechange

Pour tout amoureux chapelet.

Nous pourrions, encor, s’il voulait,

Le ressusciter, ce cher ange.

Mais non ! il est là comme ilest ;

Je ne veux pas qu’on le dérange.

Miserere !

Par pitié, fermez cette tombe ;

Jamais je n’avais tant pleuré !

Oh ! dites pourquoi, ma colombe,

L’avons-nous si bien enterré ?

Miserere !

AUTRE AMOUREUSE.

Lorsque je vivais loin de vous,

Toujours triste, toujours en larmes,

Pour mon cœur malade et jaloux

Le sommeil seul avait des charmes.

Maintenant que tu m’appartiens

Et que mon cœur a sa pâture,

– Il ne m’est plus qu’une torture,

Le sommeil cher aux jours anciens.

Lorsque je dormais loin de vous,

Dans un rêve toujours le même,

Je vous voyais à mes genoux

Me dire chaque nuit : « Jet’aime ! »

Maintenant que tu m’appartiens,

Dans les bras chaque nuit je rêve

Que tu pars, qu’un méchant t’enlève

Et que je meurs quand tu reviens.

LES PRUNES.

I.

Si vous voulez savoir comment

Nous nous aimâmes pour des prunes,

Je vous le dirai doucement,

Si vous voulez savoir comment.

L’amour vient toujours en dormant,

Chez les bruns comme chez lesbrunes ;

En quelques mots voici comment

Nous nous aimâmes pour des prunes.

II.

Mon oncle avait un grand verger

Et moi j’avais une cousine ;

Nous nous aimions sans y songer,

Mon oncle avait un grand verger.

Les oiseaux venaient y manger,

Le printemps faisait leur cuisine ;

Mon oncle avait un grand verger

Et moi j’avais une cousine.

III.

Un matin nous nous promenions

Dans le verger, avec Mariette :

Tout gentils, tout frais, tout mignons,

Un matin nous nous promenions.

Les cigales et les grillons

Nous fredonnaient une ariette :

Un matin nous nous promenions

Dans le verger avec Mariette.

IV.

De tous côtés, d’ici, de là,

Les oiseaux chantaient dans les branches,

En si bémol, en ut, en la,

De tous côtés, d’ici, de là.

Les prés en habit de gala

Étaient pleins de fleurettes blanches.

De tous côtés, d’ici, de là,

Les oiseaux chantaient dans les branches.

V.

Fraîche sous son petit bonnet,

Belle à ravir, et point coquette,

Ma cousine se démenait,

Fraîche sous son petit bonnet.

Elle sautait, allait, venait,

Comme un volant sur la raquette :

Fraîche sous son petit bonnet,

Belle â ravir et point coquette.

VI.

Arrivée au fond du verger,

Ma cousine lorgne les prunes ;

Et la gourmande en veut manger,

Arrivée au fond du verger.

L’arbre est bas ; sans se déranger

Elle en fait tomber quelques-unes :

Arrivée au fond du verger,

Ma cousine lorgne les prunes.

VII.

Elle en prend une, elle la mord,

Et, me l’offrant :« Tiens !… » me dit-elle.

Mon pauvre cœur battait bien fort !

Elle en prend une, elle la mord.

Ses petites dents sur le bord

Avaient fait des points de dentelle…

Elle en prend une, elle la mord,

Et, me l’offrant :« Tiens !… » me dit-elle.

VIII.

Ce fut tout, mais ce fut assez ;

Ce seul fruit disait bien des choses

(Si j’avais su ce que je sais !…)

Ce fut tout, mais ce fut assez.

Je mordis, comme vous pensez,

Sur la trace des lèvres roses :

Ce fut tout, mais ce fut assez ;

Ce seul fruit disait bien des choses.

IX.

À MES LECTRICES.

Oui, mesdames, voilà comment

Nous nous aimâmes pour des prunes :

N’allez pas l’entendre autrement ;

Oui, mesdames, voilà comment.

Si parmi vous, pourtant, d’aucunes

Le comprenaient différemment,

Ma foi, tant pis ! voilà comment

Nous nous aimâmes pour des prunes.

L’OISEAU BLEU.

J’ai dans mon cœur un oiseau bleu,

Une charmante créature,

Si mignonne que sa ceinture

N’a pas l’épaisseur d’un cheveu

Il lui faut du sang pour pâture.

Bien longtemps, je me fis un jeu

De lui donner sa nourriture :

Les petits oiseaux mangent peu.

Mais, sans en rien laisser paraître,

Dans mon cœur il a fait, le traître,

Un trou large comme la main,

Et son bec, fin comme une lame,

En continuant son chemin,

M’est entré jusqu’au fond de l’âme !…

LE ROUGE-GORGE.

I.

Un soir que je rêvais dans ma chambre,déserte

Depuis sa mort,

Un oisillon s’en vint de la fenêtreouverte

Raser le bord.

Il s’en vint, secouant du bec sa robegrise ;

Et sans effroi,

Sans façon, je le vis, à ma grandesurprise,

Entrer chez moi.

C’était un rouge-gorge, un charmantrouge-gorge !

Comme à foison,

Le froid, ce vieux brigand des forêts, enégorge

Chaque saison.

« Tu viens mal à propos, lui dis-je, maisn’importe,

Cher étranger,

Je souffre trop pour voir souffrir. Tiens, jet’apporte

De quoi manger.

« Aimes-tu le maïs ?…Non.Préfères-tu l’orge

Ou bien le mil ?

Que peut-on vous servir, monsieur lerouge-gorge,

Que vous faut-il ? »

Mais lui, de tous côtés promenant son becrose

D’un air coquet,

Souriait sans répondre et cherchait quelquechose

Qui lui manquait :

Puis, comme il me trouvait par tropmélancolique,

Le polisson

Se mit à fredonner un morceau de musique

De sa façon.

II.

Je me levais pour mettre un terme à cescandale

En le chassant,

Quand le frisson de mort qui régnait dans lasalle

L’envahissant,

L’oiseau tourna vers moi sa mineeffarouchée,

Et l’animal

Me regarda d’un air de tristesse fâchée,

Qui me fit mal.

« Oh ! ne te moque pas de moi !semblaient me dire

Ses yeux en pleurs ;

N’est-ce pas que tu mens, et que tu voulaisrire

De mes douleurs ?

« Non elle n’est pas morte ! ou,toi, tu n’es qu’un lâche

De la savoir

Et d’y survivre !…Non ! elle estlà…qui se cache,

Je veux la voir. »

Et pour mieux s’assurer qu’elle n’était pasmorte,

Il s’en alla

Fouiller sous la toilette et derrière laporte,

Deçà, delà,

Derrière les rideaux du lit, dans laruelle,

Sous l’édredon…

Il criait, il pleurait : « Ah !méchante, ah ! cruelle,

Réponds-moi donc !… »

Il grimpait sur le lit, fripant lacouverture

Et l’oreiller.

Enfin, pris d’un vertige étrange, denature

A m’effrayer,

Il se mit à voler les ailes étendues,

L’œil effaré,

Cognant son front, poussant des plainteséperdues,

Désespéré.

III.

Quand il eut fait deux fois le tour de notrechambre,

L’étrange oiseau

S’arrêta : je le vis trembler de chaquemembre,

Comme un roseau,

Chercher de tous côtés un lieu depréférence

Pour s’y coucher ;

Se laisser choir, avec un grand air desouffrance,

Sur le plancher ;

Et là, dardant sur moi le feu de sesprunelles

D’un jaune d’or,

Pousser des petits cris plaintifs, battre desailes,

Et rester mort !

NATURE IMPASSIBLE.

Lorsque l’homme pleura sa premièrechimère,

Moins impassible qu’aujourd’hui,

La nature sentit frémir ses flancs de mère

Et voulut pleurer avec lui.

Tout s’assombrit. Les cieux n’eurent plus uneétoile,

La terre n’eut plus une fleur.

Le soleil se cloîtra, la lune prit levoile,

Et la forêt tordit ses branches, dedouleur.

Les couchants lumineux, les aubeséclatantes

S’éteignirent en un clin d’œil.

Les brumes de l’hiver déployèrent leurstentes,

Les plaines prirent le grand deuil.

Le lac mouilla ses bords de son flot le plustriste ;

Dans la Notre-Dame des Bois

Les oiseaux et le vent, les clercs etl’organiste

Chantèrent en mineur pour la premièrefois.

La douleur arrachait des larmes aux abîmes

Et des cris de rage aux volcans.

Les ravins éplorés eurent des motssublimes,

Les rochers furent éloquents.

« Nous voulons notre part de lasouffrance humaine »,

Sanglotaient les vieux antres sourds…

L’homme oublia son mal au bout d’unesemaine ;

Après quatre mille ans, eux sanglotaienttoujours.

Quand la mère au grand cœur fut enfinconsolée,

Presque honteuse de ses pleurs,

Vite elle rajusta les plis de sa vallée

Et mit son chaperon de fleurs.

Puis elle se dressa belle de tous sescharmes,

Poussant du vert à pleins talus ;

Mais sachant désormais ce que valent noslarmes,

Elle nous dit : « C’est bien !vous ne m’y prendrez plus. »

Pour moi, si les douleurs chères aux grandesâmes

Viennent m’assaillir quelque jour,

Si jamais je m’éprends dans le troupeau desfemmes

Trop belles pour aimer l’amour ;

Ou si, voyant mourir quelque chose quim’aime,

Vivant, je souffre mille morts,

O nature ! tu peux rester toujours lamême,

Je me passerai bien des pitiés du dehors.

Les plateaux de colzas, les blés, les plainesd’orge

Pourront impunément fleurir ;

Je ne leur mettrai pas ma douleur sur lagorge,

Non ! je serai seul à souffrir.

Terre, tu souriras ; bois, vous ferezcomme elle.

Vous, les lacs, vous resplendirez,

Et vous chanterez tous sans craindre que jemêle

Un blasphème ou des pleurs à vos concertssacrés.

DERNIÈRE AMOUREUSE.

A l’heure d’amour, l’autre soir,

La Mort près de moi vint s’asseoir ;

S’asseoir, près de moi, sur ma couche.

En silence, elle s’accouda.

Sur mes yeux clos elle darda

Son grand œil noir, lascif etlouche ;

Puis, comme l’amante à l’amant,

Elle mit amoureusement

Sa bouche sur ma bouche !

« Viens, dit le spectre enm’enlaçant,

« Viens sur mon cœur, viens dans monsang

« Savourer de longues délices.

« Viens ; la couche, ô monbien-aimé !

« A son oreiller parfumé,

« Ses draps chauds comme despelisses.

« Nous nous chérirons nuit etjour :

« Nos âmes sont deux fleurs d’amour,

« Nos lèvres deux calices. »

Je crus, sur mon front endormi,

Sentir passer un souffle ami

D’une saveur déjà connue.

J’eus un rêve délicieux.

Je lui dis, sans ouvrir les yeux :

« Chère, vous voilà revenue !

« Vous voilà ! mon cœurrajeunit.

« Fauvette, qui revient au nid,

« Sois-y la bienvenue.

« Sans remords comme sans pitié,

« Méchante, on m’avait oublié ;

« Allons, venez, Mademoiselle.

« Je consens à vous pardonner,

« Mais avant, je veux enchaîner

« Ma folle petite gazelle. »

Et, comme je lui tends les bras,

Le spectre me répond tout bas :

« C’est moi…ce n’est pas elle… »

« – C’est ti, la Mort ! ehbien ! tant mieux.

« Mon âme est veuve ; mon cœurvieux,

« J’avais besoin d’une maîtresse.

« Une tombe est un rendez-vous

« Comme un autre ;prélassons-nous

« Dans une éternellecaresse ! »

Je l’embrasse ; elle se défend,

Recule et me dit : « Cherenfant,

« Attends, rien ne nouspresse !…

« Gardons-nous pour des tempsmeilleurs ;

« Mais aujourd’hui, je chercheailleurs

« Des amoureux en hécatombe.

« Ailleurs, je vais me reposer

« Et couper en deux le baiser

« D’un ramier et de sa colombe !

« Sois heureux, tu me reverras ;

« Sois amoureux, et tu seras

« Mûr pour la tombe ! »

FIN.

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