Categories: Romans

Lubin ou le Sot vangé

Lubin ou le Sot vangé

de Raymond Poisson, dit Belleroche

PERSONNAGES.

LUBIN, ou le sot vangé.

LUBINE, femme de Lubin.

LE COMPERE, amoureux de Lubine.

M. RAGOT, amoureux de Lubine.

CROQUILLON, valet du Compere.

La Scene est à Paris.

 

SCENE PREMIERE.

M. RAGOT, LUBINE.

 

LUBINE.

Quoy ! vous osez, Maistre Ragot,

Maistre importun, & maistre sot,

Me venir rendre encor visite,

Moy qui vous hais, & vous évite,

Comme l’on évite la mort !

M. RAGOT.

Ne vous emportez pas si fort,

Lubine, voicy la derniere :

Vous estes pour moy chaste & fiere,

Mais le Compere a tant d’appas

Que pour luy vous ne l’estes pas.

LUBINE.

Vous l’avez dit, qu’en peut-il estre ?

M. RAGOT.

Rien, car vous n’avez point de Maistre :

A dire vray que craindriez vous ?

Vostre mary roüé de coups,

De vous & de l’heureux Compere,

Qui mange chez vous d’ordinaire ?

Et qui je pense y couche aussi ?

J’en aurois fort peu de souci,

Mais vous me traitez d’une sorte….

LUBINE.

Faites vos plaintes à la porte,

Je suis lasse de l’entretien

D’un homme plus sot que le mien.

Elle rentre.

M. RAGOT.

Ah ! c’est trop m’épriser maflame ;

Je m’en sçauray venger, infame,

J’encourageray ton mary,

Je chasseray ton favory ;

Enfin je m’en vay dans ma rage

Te faire un diable de ravage,

Dés aujourd’huy ton sot époux

Te donnera deux mille coups :

Mais pour commencer cet affaire,

Allons empaumer le Compere.

SCENE II.

 

LE COMPERE, CROQUILLON.

 

CROQUILLON.

D’où vient ce grand empressement ?

LE COMPERE.

Il regarde sa montre avec empressement.

Il est huit heures justement,

C’est l’heure qu’elle m’a donnée.

CROQUILLON.

Je ne sçay point de haquenée,

Dont l’amble….

LE COMPERE.

Veux-tu m’obliger ?

C’est icy l’heure du Berger,

La manquer !

CROQUILLON.

Mon maistre extravague.

LE COMPERE.

A propos donne moy ma bague.

CROQUILLON.

Mais Lubin ce pauvre Jobet,

Qui va querir comme un Barbet,

Et qui vous rapporte de mesme,

Dont la patience est extrême,

Ce mary plus battu qu’un chien,

Qui voit beaucoup, & ne dit rien,

Enfin ce plus sot que tout autre,

Dont la femme est, je croy, la vostre,

N’est-il pas sur votre journal

Marqué pour un original ?

LE COMPERE.

Donne donc, il est fort commode.

CROQUILLON.

Il n’en amene pas la mode,

On le pratique en toutes parts :

Diable la mode des Cornards

Est une mode d’importance ;

On ne la change point en France,

Les autres durent quinze jours,

Mais celle-là dure toûjours.

LE COMPERE.

C’est l’objet de ta raillerie.

CROQUILLON.

Il revient de la boucherie

Querir une teste de veau ;

Il vient de rentrer.

LE COMPERE.

Mon anneau :

Que ta longueur me desespere !

CROQUILLON.

Vous allez donc voir la Commere ?

LE COMPERE.

Oüy, maudit traitre, en cét instant

Que tu jases, elle m’attend ;

Et c’est pour finir mon martyre….

CROQUILLON.

Il donne la bague.

Courez, je n’ay plus rien à dire ;

Mais je crains pour le diamant.

LE COMPERE.

Il se donne en haste un coup de peigne.

C’est peu pour cét heureux moment.

CROQUILLON.

Monsieur, Ragot est à la porte.

LE COMPERE bas en colere.

Que veut-il ? Le diablel’emporte :

Cours luy dire que d’aujourd’huy

Je ne puis pas parler à luy,

Et qu’une affaire d’importance….

CROQUILLON.

Il n’est plus temps, car il avance.

LE COMPERE bas en colere.

Le diable le puisse emporter ?

Coquin, veux tu pas l’arrester ?

CROQUILLON.

Il vient, songez à luy répondre.

LE COMPERE bas en colere.

Que l’enfer le puisse confondre !

Un Vautour luy mange le cœur !

SCENE III.

 

LE COMPERE, M. RAGOT, CROQUILLON.

 

LE COMPERE haut.

Ah ! Monsieur, vostre serviteur.

M. RAGOT.

Je vous ay détourné peut-estre.

LE COMPERE.

Vous vous mocquez.

CROQUILLON.

Ah qu’il est traitre !

M. RAGOT.

Sans vous, amy, je suis perdu.

LE COMPERE bas.

Fusse tu mille fois pendu,

Monsieur, allât-il de ma vie

haut.

Je ne perdray jamais l’envie

De vous prouver ma passion.

M. RAGOT.

Je suis dans la confusion.

LE COMPERE bas.

Et moy je suis dedans la rage.

CROQUILLON.

Cela ne va pas mal, courage.

M. RAGOT.

Portez vous à deux pas d’icy,

Vous m’allez oster de soucy.

LE COMPERE.

J’irois pour vous jusques à Rome

Les pieds nuds.

CROQUILLON.

Ah, le méchant homme ?

LE COMPERE.

Et je vous donnerois mon cœur.

M. RAGOT.

Vostre franchise & vostre ardeur,

Se trouve pour moy sans seconde.

LE COMPERE bas.

Derechef l’enfer te confonde ;

Je crains qu’on ne m’aille ravir

haut.

L’avantage de vous servir,

M. RAGOT.

Partons.

Le Compere à son Valet.

Tu le payeras, traitre.

SCENE IV.

 

CROQUILLON seul.

Ee bien, vit-on jamais paraistre

Une plus grande trahison ?

Si je rentre dans ta maison

Puissent toutes les chambrieres

Me donner cent coup d’étrivieres.

Je ne puis pas trouver, je croy,

Un plus méchant maistre que toy.

SCENE V.

 

LUBIN, LUBINE.

 

LUBIN.

Diable soit ta chienne de vie !

Dit, Carogne as-tu point envie

De me traitter plus doucement ?

LUBINE.

Va : reporte la seulement

Au boucher, & sans plus attendre,

LUBIN.

Il ne voudra pas reprendre,

LUBINE.

Mais me veux tu faire enrager ?

Crois-tu que je puisse manger

De cette teste ? Va la rendre.

LUBIN.

Il ne la voudra pas reprendre.

LUBINE.

Elle put, ne la sens tu pas,

Dis luy qu’on la sent de dix pas,

Et qu’il jouë à se faire pendre.

LUBIN.

Il ne la voudra pas reprendre.

LUBINE.

Si tu me fais prendre un baston.

Mais voyez son diable de ton !

Il ne la voudra pas reprendre !

Ma foy ! si tu me fais teprendre !

Je te donneray du gros bout,

Et dessus le ventre & par tout

Chien de cornard.

LUBIN.

Je le confesse,

Quand tu n’estois que ma maistresse,

Voyant tout ce que tu faisois

Je vis bien que je le serois ;

Et le diable ayant l’avantage

D’avoir fait nostre mariage,

Il n’a pas trop mal reussi,

Car il le vouloit bien aussi.

LUBINE.

Ah ! que de t’avoir je suislasse :

L’on me montre au doigt quand je passe,

Voila la femme de ce gueux,

Dit-on.

LUBIN.

Moy l’on me montre à deux.

LUBINE.

Moy, t’avoir pris ! moy qui suisfille

D’un bon Tapissier de la ville.

LUBIN.

C’est pourquoy, l’on me l’a bien dit,

Tu fais de si bons tours de lit.

LUBINE.

Quoy tu veux jaser, chien d’yvrogne !

Reporte donc cette charogne,

Ou je te vay rompre les bras.

LUBIN.

J’y vay, ne me frappe donc pas :

Mais comme il ne la pourra vendre :

Il ne la voudra pas reprendre.

LUBINE.

Encore : tu le payeras

Aussi-tost que tu reviendras :

Ne suis-je pas bien miserable

D’avoir pris un homme semblable ?

Ce gueux estoit distributeur

De ces billets d’Operateur

Il gagnoit deux sous la journée.

Regardez combien c’est l’année,

Sans aller conter par ses doigts

C’est tout juste un écu par mois.

N’est-ce pas pour faire grand chere.

C’estoit un objet de misere,

Il estoit tout deguenillé,

Voyez comme il est habillé,

Cependant depuis peu le traistre !

Voudroit je croy faire le maistre !

Il ne veut que ce qu’il luy plaist.

Le sot, je l’ay fait ce qu’il est.

SCENE VI.

 

LUBIN, l’ayant écoutée.

Est-ce une si belle besogne

Pour t’en oser vanter, carogne ?

Fay moy, du moins, m’ayant fait sot

La grace de n’en dire mot.

Dans l’heureux âge d’innocence

L’on estoit toûjours dans l’enfance ;

L’homme et la femme estoient heureux,

Ils joüoient à de petits jeux,

Comme à Pont neuf, à Climusette,

Ou bien à ry ry Bouliette,

Au pied de bœuf, aux osselets,

A d’autres plus beaux, ou plus laids,

Au corbillon, à la pantouffle,

En veux-tu plaider siffle souffle.

A Colin-maillard, aux combats,

A cache cache Mitoulas,

Au combien, à la sage femme,

A l’accouchée, au Trou-Madame :

L’un d’eux disoit changeons de jeu,

Joüons à la queuë leu leu,

Il est bien plus beau ; ce me semble,

Car on se tient toûjours ensemble.

La femme après avoir bien ry

Prenoit la queuë à son mary.

Et le tout avec innocence,

Mais nous sommes en recompense

Depuis ce temps là qui n’est plus

Un nombre infiny de Cocus :

Ma femme a franchi la parole,

Je le suis & je me console,

Et quantité qui font icy

S’en doivent consoler aussi.

Je suis bien le plus miserable,

Car je suis battu comme un diable

D’un drole qui fait les yeux doux

Qui mange & qui couche cheznous :

N’est-ce pas pour estre en colere ?

Elle l’appelle son compere,

Il est prés d’elle jour et nuit.

Il couche dans nostre grand lit,

Moy dessous dans une roulette,

Ma femme dans une couchette

Sous un pavillon chaudement.

Le soir on me dit rudement

Couppe du pain bis & du beure :

Et te va coucher de bonne heure,

Quand j’ay souppé de mon pain bis,

Que j’ay decrotté leurs habits,

Que toute ma besogne est faite

Je me jette dans ma roulette,

Mais elle & son passionné

Sont jusques à minuit sonné…

SCENE VII.

 

LE COMPERE, LUBIN.

 

LE COMPERE.

Est-elle au logis, ma Commere ?

LUBIN.

Oüy, Monsieur : voila le Compere.

Voyez s’il heurte ? point du tout,

Son diable de passe-par-tout,

Sçait ouvrir toutes nos serrures :

Que je m’en vais avoir d’injures

D’estre à mettre le pot au feu !

Nous allons, je croy voir beau jeu,

Voicy ma besogne ordinaire.

SCENE VIII.

 

LUBINE, LUBIN.

 

LUBINE.

Frotte les souliers du Compere :

He bien, chien ? ta teste deveau ?

LUBIN.

Il m’a redonné d’un morceau

Qui sera fort bon & fort tendre.

LUBINE.

Il ne la voudra pas reprendre ?

L’a t’il pas reprise, faquin ?

LUBIN.

Vrayment oüy.

LUBINE.

Va querir du vin,

Et que le rotisseur nous barde

Une bonne & grasse poularde

Pour disner mon Compere & moy.

Tu prendras, si tu veux pour toy,

Ou des noix, ou bien du fromage :

Redonne ces souliers.

SCENE IX.

 

LUBIN seul.

 

J’enrage,

Et si Job en ma place estoit

Je pense qu’il enrageroit

Et qu’il diroit en sa colere

La peste étouffe le Compere

Le diable luy casse les os.

SCENE X.

 

M. RAGOT, LUBIN.

 

M. RAGOT.

L’occasion s’offre à propos ;

Alons donc jetter par avance

Les fondemens de ma vengeance :

Je ne travailleray point mal

Si je puis chasser mon rival

D’auprés cette impudente femme.

Va n’as-tu point de honte infame,

Que les voisins entendent tous

Ta femme te roüer de coups ?

LUBIN.

Il est vray, voisin, mais q’y faire ?

Faut-il que je m’en desespere ?

Le maudit compere qu’elle a

Me hait, & l’oblige à cela.

M. RAGOT.

Que fait-il chez toy ce compere ?

LUBIN.

Il fait ce que j’y devrois faire.

M. RAGOT.

J’ay feint d’avoir adroittement

Besoin de luy pour un moment ;

Pour l’avertir qu’on le blasme

De voir trop librement ta femme :

Mais loin d’en estre inquieté

En se mocquant il m’a quitté ;

Il alloit troussant sa moustache

Te monter un vilain panache.

LUBIN.

Vous m’eussiez obligé beaucoup

Voisin, de détourner ce coup.

M. RAGOT.

Encor passe pour ce Compere,

Car nos femmes ont d’ordinaire

Pour nostre plus grand ennemy

Quelque Compere ou quelque amy ;

Mais on te croit sans raillerie

Chef de la grande Confrairie.

LUBIN.

Voisin, je suis ce que je suis,

Et d’estre autrement je ne puis ;

Ma femme est, & coquette, & belle,

Je m’en ry tout tombe sur elle,

C’est son affaire, brisons-là :

Mais le plus grand deffaut qu’elle a,

Au moins le plus insupportable,

C’est qu’elle me bat comme un diable,

Car ses coups me rendent la peau

Plus noir que vostre chapeau.

M. RAGOT.

Vois-tu voisin ! je suis un homme….

LUBIN.

Je le sçay, qui revient de Rome.

M. RAGOT.

J’ay bien esté dans d’autres lieux,

Et si je ne suis pas trop vieux.

LUBIN.

Peut-on aller plus loin que Rome ?

M. RAGOT.

Tu n’en as guere veu, pauvre homme !

LUBIN.

Guere ? J’ay pourtant veu Paris,

Et le thresor de saint Denis.

M. RAGOT.

C’est voir, sans voir toute la France

Ce qui s’y voit de consequence.

LUBIN.

Mais peste ! je m’amuse bien

J’auray tantost du rost de chien,

Je vay revenir.

M. RAGOT.

Non demeure,

Je m’en vay te ravir sur l’heure :

T’entretenir, estant pressé

De tous les lieux où j’ay passé,

Ces recits seroient incommodes.

Sçache qu’estant aux Antipodes

L’on me fit present d’unthresor

Qui vaut plus d’un million d’or,

Et si ce n’est qu’une racine,

Laquelle mise sur l’echine

D’une femme fut-ce un Demon,

La rend plus douce qu’un mouton.

LUBIN.

Peste ! l’admirable racine !

D’où peut venir son origine ?

M. RAGOT.

Du pied d’un arbre que j’ay veu

Qu’avoit planté Lusse-tu-cru

A ce qu’on dit, & puis fit Gilles.

LUBIN.

Peste ? il estoit des plushabilles :

Ce bois a cette faculté ?

M. RAGOT.

Si ta femme en avoit tasté.

LUBIN.

Vrayment je veux bien qu’elle entaste ;

Mais une autre fois, car j’ay haste.

M. RAGOT.

Attend, dans un quart d’heure, ou deux

Elle en tastera si tu veux ;

Ce ne seroit plus elle mesme,

Sa douceur deviendroit extresme

Par la faculté de ce bois.

LUBIN.

La baiserois-je quelque fois ?

Pourrois-je coucher avec elle ;

M. RAGOT.

He quoy donc ? la grandenouvelle !

N’y couches-tu pas quand tu veux ?

LUBIN.

Mort-bleu ! que je seroisheureux !

Ce seroit une bonne affaire !

Mais où coucheroit le Compere ?

M. RAGOT.

Qu’il couche au diable desormais.

LUBIN.

Elle ne le voudra jamais,

C’est un homme qu’elle idolatre.

M. RAGOT.

Mais tu la battras comme plastre

Si tu veux, & tu luy feras

Faire tout ce que tu voudras.

Elle viendra dans sa colere

Te traitter comme à l’ordinaire :

Comme elle prendra son haut ton,

Tu tiendras ferme ce baston,

Qui vaut mieux que deux vertesgaules :

Tu luy sangleras les espaules

Seulement de quinze ou vingt coups,

Tu la verras à tes genoux

Plus souple & plus obeïssante

Qu’une jeune & neufve servante,

Te dire en larmes, je promets

De n’aimer que toy desormais,

De ne plus souffrir le Compere.

LUBIN.

Ce seroit bien là mon affaire :

Mais l’homme qui l’avoit trouvé

Ce baston…

M. RAGOT.

L’avoit éprouvé :

Mais connoissois-tu pas ma femme ?

LUBIN.

Oüy, c’estoit une bonne lamme.

M. RAGOT.

Trois coups la rendirent d’abord

Plus douce qu’un enfant qui dort :

Mais il faut dedans ta memoire

Mettre quatre mots de Grimoire,

Et les dire, autrement, ma foy,

Les coups retourneroient sur toy.

LUBIN.

Ah ! je veux donc bien les apprendre.

Avant que de rien entreprendre.

M. RAGOT.

Oüy, car il les faut prononcer

Auparavant que commencer,

LUBIN.

Elle va revenir, je meure :

Apprenés les moy tout à l’heure

Et nous allons dans un moment

Voir un diable de changement

Pour elle & pour moy fort risible,

Si le secret est infaillible

Je ne vous épargneray rien,

Prenés mon honneur & mon bien,

J’ay fort peu de l’un & de l’autre,

Mais disposez comme de vostre.

M. RAGOT.

Va je ne te demande rien,

Voicy les mots retient les bien.

LUBIN.

Vrayment pour cesser d’estre esclave…

M. RAGOT.

Tasse rouzi friou titave.

LUBIN.

La peste ! quels diables demots !

Je ne trouve plus à propos

De les apprendre tout à l’heure,

Il me faut deux mois, ou je meure

Avant que de les bien sçavoir ;

Adieu, voisin, jusqu’au revoir.

M. RAGOT.

Demeure, il n’est rien plus facile :

Quand tu serois plus imbecile

Que la mesme imbecilité,

Je donne la facilité

D’apprendre en un jour une histoire.

LUBIN.

Mais donnez-vous de la memoire ?

Il faudroit viste m’en fournir

Car ma femme va revenir.

M. RAGOT.

Dy donc, tu n’as que de la bave :

Tasse rouzi friou titave.

LUBIN.

Tasse, rosty…

M. RAGOT.

Quoy ! quatre mots….

LUBIN.

Patience, un peu de repos.

M. RAGOT.

Tasse…

LUBIN.

Je sçay bien une tasse

Dans laquelle on boit.

M. RAGOT.

Je me lasse.

LUBIN.

Dites-les moy plus posement.

M. RAGOT.

Je parle assez distinctement

Tasse rouzi…

LUBIN.

Disons ensemble.

M. RAGOT.

Pourquoy m’interrompre ?

LUBIN.

Il me semble

Que quand nous parlerons toux deux

Je les diray peut-estre mieux.

M. RAGOT.

Tasse.

LUBIN.

Tasse.Dis-je pas bien ?

M. RAGOT.

Acheve,

LUBIN.

Je ne sçay plus rien.

M. RAGOT.

Et comment donc pretens-tu faire ?

LUBIN.

Il faut achever nostre affaire.

M. RAGOT.

Mais quoy ! si tu ne retiens pas.

LUBIN.

Mais que l’on parle mal là bas !

Le langage est bien incommode

Dedans la ville d’Antipode !

Cela me feroit detester.

M. RAGOTà part.

Je ne me veux point rebutter,

Il faut s’armer de patience

Pour bien asseurer sa vengeance,

Elle est tantost en mon pouvoir.

LUBIN.

Escoutez, je croy, les sçavoir :

Tasse rouzi friou titave.

M. RAGOT.

Les voilà, tu n’es plus esclave,

Ils te rendront Maistre chez toy.

Adieu.

SCENE XI.

 

LUBIN, LUBINE.

 

LUBINE.

Te mocques tu de moy ?

LUBIN.

Ne voila-il pas la carogne ?

LUBINE.

Que fais-tu donc là, chiend’yvrogne ?

LUBIN.

Tasse rouzi friou…. J’y fais….

Il ne m’en souviendra jamais,

Voisin :

LUBINE.

Dis sot, est-ce pour rire.

LUBIN.

Il s’en est allé sans rien dire,

Elle a raison, faute d’un mot

Je ne suis encore qu’un sot.

Il rimoit ce me semble à cave :

Tasse rouzi friou titave.

Bon je l’ay retrouvé sans vous.

LUBINE.

Il faut le mettre au rang des foux.

LUBIN.

Des foux ! pas tant fou que l’onpense :

Allons, fais moy la reverence.

Et quelque joly compliment.

LUBINE.

Il a perdu le jugement.

Comme ce coquin fait le grave !

LUBIN. Il la frappe.

Tasse rouzi friou titave.

LUBINE.

J’y vay, ne me frappe donc pas.

LUBIN.

La reverence, bas, plus bas,

Ma foy, cette racine est drôle !

Allons, qu’on jouë un autre roole.

LUBINE.

D’où peut venir cet enragé ?

Dis donc, que diable as-tu mangé ?

LUBIN. Il la frappe.

Ah coquine tu m’injuries.

LUBINE.

Mon mignon, quitte ces furies.

LUBIN.

Mon mignon ! hé mon chien decœur :

D’où diable me vient cet honneur ?

Crois-tu parler à ton Compere ?

Tasse rouzi friou, j’espere

Il la frappe.

Te reconnoistre quelque jour.

LUBINE.

Helas ! pardon mon cher amour,

Que veux-tu ? d’où vient tacolere ?

LUBIN.

Va mettre dehors ce compere,

Et ne le regarde jamais,

Va viste, & reviens : desormais

Je suis le mary de ma femme,

Tasse rouzi friou, mon ame.

SCENE XII.

 

LE COMPERE, LUBINE, LUBIN.

 

LE COMPERE.

Sortir si brusquement ! pourquoy

Dittes donc.

LUBINE.

Pour l’amour de moy.

LE COMPERE.

Ah ! c’est en peu de mots tout dire,

J’obeïs, & je me retire.

LUBIN.

Voila le Compere sorty,

Bon.

LUBINE.

Mon amour, il est party.

LUBIN.

Il est party ! ton cœursoûpire !

Allons, tout à l’heure il faut rire

LUBINE.

Rire et pleurer, je ne puis pas.

LUBIN.

Ris, ou je te romperay les bras,

Ma racine est mal employée.

LUBINE.

Riray-je à gorge déployée ?

LUBIN.

Oüy-dà, bien fort ; bon, ne ris plus,

Je trouve tes ris superflus ;

Pleure à present à chaudes larmes ;

On dit que ta voix a des charmes,

Chante, éternuë, auparavant.

LUBINE.

Moy que j’éternuë, & comment ?

LUBIN.

Comme tu voudras, éternuë,

Eternuë, ou bien je te tuë.

LUBINE.

Mais je ne le puis pas, ma foy.

LUBIN.

Tasse friou titave, à moy.

LUBINE.

Mais cela n’est pas volontaire.

LUBIN.

Ah ! j’ay tort s’il ne se peut faire,

Fais donc un feint éternuement ;

Dieu t’assiste, je suis content.

LUBINE.

Je le crois tu le dois bien estre,

Tu voulois tant faire le maistre,

Tu l’es de la bonne façon.

LUBIN.

A propos, chante la chanson….

Et là, cette chanson qu’on chante.

LUBINE.

Qui moy ! j’ay la voix trop méchante.

LUBIN.

Et la voix, l’esprit, & le corps,

Tu n’es bonne que quand tu dors,

Mais vois-tu, je veux estre maistre,

Et c’est enfin mon tour de l’estre :

Chante pour charmer mes ennuis.

LUBINE.

Je suis malade & je ne puis.

LUBIN.

Il faut donc prendre medecine.

Quatre prises de ma racine

Purgent les mauvaises humeurs.

LUBINE.

Ah ! je n’en puis plus, je me meurs.

LUBIN.

Que tu fais mal la decedée !

Tu ferois mieux la possedée.

LUBINE.

Cesse tes coups, je n’en puis plus.

LUBIN.

Chante, tes pleurs sont superflus ;

Je suis fort content que tu meures,

Pend toy, si tu veux dans deux heures,

Je veux avant que voir ta fin

T’entendre dire Ah ! le bon vin,

Tu as endormy ma mere,

Mais jamais, jamais,

Toure, loure, loure, loure,

Mais jamais, jamais,

Tu ne m’endormiras.

LUBINE & LUBIN chantent.

Ah ! le bon vin !

Tu as endormy ma mere,

Mais jamais, jamais,

Toure, loure, loure, loure,

Mais jamais, jamais,

Tu ne m’endormiras.

LUBIN.

Mon mignon, mon friou titave,

Commande, je suis ton esclave.

SCENE DERNIERE.

 

M. RAGOT, LE COMPERE.

Sortans chacun d’un costé.

LUBIN, LUBINE.

 

LUBIN.

Ah, voisin !

M. RAGOT.

As-tu reussy ?

LUBIN au Compere.

Que venez-vous chercher icy ?

LE COMPERE.

Hen.

LUBIN.

Ne faites pas tant le brave ;

Tasse rouzi friou titave,

Vous pourroit mal-traiter, ma foy,

Vostre giste n’est plus chez moy,

Le temps est passé.

LE COMPERE.

Hé compere !

LUBIN.

Il n’est compere ny commere,

Vous devez estre satisfait

De tout ce que vous avez fait ;

Contez-le pour vostre partage,

Vous n’en ferez pas davantage,

Car j’useray de mon pouvoir.

LE COMPERE.

Et moy je vous feray sçavoir….

LUBIN.

Ah ! vous voulez faire le brave,

Tasse rouzi friou titave.

Mon fils voicy le coup d’honneur

Sers ton tres-humble serviteur,

Et fais au moins sur le Compere

Ce que tu fais sur la Commere,

Comme diable il gagne le haut.

M. RAGOT.

Mais suis-je vangé comme il faut ?

Si vous menez Jean, Jacques ou Blaise,

Enfin quelque amy qui vous plaise,

Faire chez vous quelque repas

Que vostre femme n’aime pas,

Et qu’elle vous fasse la mine,

Venez emprunter ma racine.

LUBIN.

Par elle mon sort a changé.

M. RAGOT.

Voila, Messieurs, le Sot vangé.

FIN.

APARIS,

Chez JEAN RIBOU, au Palais

Dans la Salle Royale, à l’Image

Saint Loüis

M. DC. LXXVIII

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