Aussi je regarde ces héros non-seulement comme
les auteurs de nos jours, mais comme les pères de notre
liberté, et de celle de tous les Grecs de ce continent; car
c’est en jetant les yeux sur cet exploit que, disciples des
guerriers de Marathon, les Grecs ne craignirent plus dans
la suite de combattre et de se défendre.
Il faut donc déférer la première palme à ces guerriers;
la seconde appartient aux vainqueurs des journées
navales de Salamine et d’Artémise. On pourrait raconter
beaucoup de choses à leur gloire; quels dangers ils ont
bravés, tant sur terre que sur mer, et comment ils les ont
surmontés; mais je ne rappellerai que ce qui me paraît
leur plus beau titre à la gloire, l’accomplissement de
l’œuvre commencée à Marathon. Ceux de Marathon
avaient appris aux Grecs qu’un petit nombre
d’hommes libres suffisait pour repousser sur terre une
multitude de barbares, mais il n’était point encore prouvé
que cela fut possible sur mer; les Perses y passaient
pour invincibles par leur multitude, leurs richesses, leur
habileté et leur valeur. Ils méritent donc nos éloges, ces
braves marins qui délivrèrent les Grecs de leur frayeur,
et rendirent les vaisseaux des Perses aussi peu
redoutables que leurs soldats. Ce sont les vainqueurs de
Marathon et de Salamine qui ont instruit et
accoutumé les Grecs à mépriser les barbares et sur terre
et sur mer.
Le troisième fait de l’indépendance grecque, en date et
en courage, est la bataille de Platée, la première dont la
gloire ait été commune aux Lacédémoniens et aux
Athéniens. La conjoncture était critique, le péril
imminent; ils triomphèrent de tout. Tant de vertu leur
mérite nos éloges et ceux des siècles à venir.
Cependant un grand nombre de villes grecques étaient
encore au pouvoir des barbares; on annonçait même
que le grand roi projetait une nouvelle expédition contre
les Grecs; il est donc juste de rappeler aussi la mémoire
de ceux qui achevèrent ce que les premiers avaient
commencé, et accomplirent notre délivrance, en
purgeant les mers des barbares. Ce furent ceux qui
combattirent sur mer à Eurymédon, descendirent
en Chypre, passèrent en Égypte, et portèrent leurs armes
en beaucoup d’autres lieux. Souvenons-nous avec
reconnaissance qu’ils réduisirent le grand roi à craindre
pour lui-même, et à ne songer qu’à sa propre sûreté,
loin de méditer encore la perte de la Grèce.
Cette guerre fut soutenue par Athènes avec toutes ses
forces, et pour elle-même et pour tous ceux qui
parlaient la même langue qu’elle; mais lorsque, après la
paix, Athènes fut grande et respectée, elle éprouva le
sort de tout ce qui prospère: d’abord elle fit envie;
bientôt l’envie enfanta la haine, et Athènes se vit
entraînée, malgré elle, à tourner ses armes contre les
Grecs. La guerre commencée, on combattit à Tanagra
contre les Lacédémoniens pour la liberté des Béotiens.
Cette première action ayant été sans résultat, une
seconde fut décisive, car les autres alliés des Béotiens
les abandonnèrent et se retirèrent; mais les nôtres, après
avoir vaincu, le troisième jour, à Oenophyte, ramenèrent
dans leur patrie les Béotiens injustement exilés. Ce
furent les premiers Athéniens qui, après la guerre
persique, défendirent contre des Grecs la liberté d’autres
Grecs, affranchirent généreusement ceux qu’ils
secouraient, et furent déposés les premiers avec honneur
dans ce monument, au nom de la république.
Alors une grande guerre s’alluma: tous les Grecs
envahirent et ravagèrent l’Attique, et payèrent Athènes
d’une coupable ingratitude. Mais les nôtres les
vainquirent sur mer; et ayant fait prisonniers à
Sphagia les Lacédémoniens qui s’étaient mis à la
tête de leurs ennemis, au lieu de les exterminer, comme
ils en avaient le pouvoir, ils les épargnèrent, les
rendirent, et conclurent la paix. Ils pensaient qu’on doit
faire aux barbares une guerre d’extermination, mais que
les hommes d’une origine commune ne doivent
combattre que pour la victoire, et qu’il ne fallait pas,
pour le ressentiment particulier d’une ville, perdre la
Grèce entière. Honneur donc aux braves qui soutinrent
cette guerre et maintenant reposent ici. Ils ont prouvé, si
quelqu’un en pouvait douter, qu’aucune nation de la
Grèce ne l’emporta sur les Athéniens dans la première
guerre contre les barbares: ils l’ont prouvé puisque,
dans les divisions de la Grèce, ils se montrèrent
supérieurs aux chefs des autres Grecs, avec qui ils
avaient vaincu les barbares, et les vainquirent à leur
tour.
Après cette paix, une troisième guerre s’alluma, aussi
inattendue que terrible. Beaucoup de bons citoyens y
périrent, qui reposent ici; un grand nombre aussi
reposent en Sicile, où ils avaient déjà remporté
plusieurs trophées pour la liberté des Léontins, qu’ils
étaient allés secourir en vertu des traités. Mais la
longueur du trajet et la détresse où se trouvait alors
Athènes ayant empêché de les soutenir, ils perdirent tout
espoir, et succombèrent; mais leurs ennemis se
conduisirent envers eux avec plus de modération et de
générosité que n’en montrent souvent des amis.
Beaucoup périrent encore dans les combats sur
l’Hellespont, après s’être emparés, en un seul jour, de
toute la flotte de l’ennemi, et après beaucoup
d’autres victoires. Mais ce qu’il y eut de terrible et
d’inattendu dans cette guerre, comme je l’ai dit, ce fut
l’excès de jalousie auquel les autres Grecs se portèrent
contre Athènes. Ils ne rougirent point d’implorer, par des
envoyés, l’alliance de ce roi, notre implacable ennemi, de
ramener, eux-mêmes, contre des Grecs, le barbare que
nos efforts communs avaient chassé; en un mot, de
réunir tous les Grecs et tous les barbares contre cette
ville. Mais ce fut alors aussi qu’Athènes déploya sa
force et son courage. On la croyait déjà perdue; notre
flotte était enfermée près de Mitylène. Un secours de
soixante navires arrive; ceux qui les montent sont l’élite
de nos guerriers; ils battent l’ennemi et dégagent leurs
frères; mais, victimes d’un sort injuste, on ne peut les
retirer de la mer, et ils reposent ici, objet éternel de nos
souvenirs et de nos louanges. Car c’est leur
courage qui nous assura non-seulement le succès de
cette journée, mais celui de toute la guerre. Ils ont
acquis à notre ville la réputation de ne pouvoir jamais
être réduite, même quand tous les peuples se réuniraient
contre elle; et cette réputation n’était pas vaine: nous
n’avons succombé que sous nos propres dissensions, et
non sous les armes des ennemis: aujourd’hui encore
nous pourrions braver leurs efforts; mais nous nous
sommes vaincus et défaits nous-mêmes.
La paix et la tranquillité extérieure assurée, nous
tombâmes dans des dissensions intestines, mais elles
furent telles, que, si la discorde est une loi inévitable du
destin, on doit souhaiter pour son pays qu’il n’éprouve
que de pareils troubles. Avec quel empressement et
quelle affection cordiale les citoyens du Pirée et ceux de
la ville ne se réunirent-ils pas, contre l’attente des autres
Grecs! Et avec quelle modération on cessa les hostilités
contre ceux d’Éleusis! Ne cherchons point d’autre
cause de tous ces évènements que la communauté
d’origine, qui produit une amitié durable et fraternelle,
fondée sur des faits et non sur des mots.
Il est donc juste de rappeler aussi la mémoire de ceux
qui périrent dans cette guerre les uns par les autres, et,
puisque nous sommes réconciliés nous-mêmes, de les
réconcilier aussi, autant qu’il est en nous, dans ces
solennités, par des prières et des sacrifices, en adressant
nos vœux à ceux qui les gouvernent maintenant; car ce
ne fut ni la méchanceté, ni la haine, qui les mirent
aux prises, ce fut une fatalité malheureuse; nous en
sommes la preuve nous qui vivons encore. Issus du
même sang qu’eux, nous nous pardonnons
réciproquement et ce que nous avons fait et ce que nous
avons souffert.
La paix étant rétablie de tous côtés, Athènes,
parfaitement tranquille, pardonna aux barbares, qui
n’avaient fait que saisir avec empressement l’occasion de
se venger des maux qu’elle leur avait causés; mais elle
était profondément indignée contre les Grecs. Elle se
rappelait de quelle ingratitude ils avaient payé ses
bienfaits; qu’ils s’étaient unis aux barbares, avaient
détruit les vaisseaux qui naguère les avaient sauvés, et
renversé nos murs, quand nous avions empêché la chute
des leurs. Elle résolut donc de ne plus s’employer à
défendre la liberté des Grecs, ni contre d’autres Grecs, ni
contre les barbares, et elle accomplit sa résolution.
Pendant que nous étions dans cette disposition, les
Lacédémoniens, regardant les Athéniens, ces défenseurs
de la liberté, comme abattus, crurent que rien ne
les empêchait plus de donner des fers au reste de la
Grèce. Mais pourquoi raconter au long les évènements
qui suivirent? ils ne sont pas si éloignés, et
n’appartiennent pas à une autre génération.
Nous-mêmes nous avons vu les premières nations de la
Grèce, les Argiens, les Béotiens et les Corinthiens venir,
tout épouvantées, implorer le secours de la république;
et, ce qui est le plus merveilleux, nous avons vu le grand
roi réduit à cet excès de détresse, de ne pouvoir espérer
son salut que de cette ville même, à la destruction de
laquelle il avait tant travaillé. Et certes, le seul
reproche mérité qu’on pourrait faire à cette ville serait
d’avoir été toujours trop compatissante et trop portée à
secourir le plus faible. Alors encore elle ne sut pas
résister, et persévérer dans sa résolution de ne jamais
secourir la liberté de ceux qui l’avaient outragée.
Elle se laissa fléchir, fournit des secours, et délivra les
Grecs de la servitude, et depuis ils ont été libres jusqu’à
ce qu’eux-mêmes ils se remissent sous le joug. Quant au
roi, elle n’osa pas le secourir, par respect pour les
trophées de Marathon, de Salamine et de Platée; mais,
en permettant aux exilés et aux volontaires d’entrer à
son service, elle le sauva incontestablement.
Après avoir relevé ses murs, reconstruit ses vaisseaux,
Athènes, ainsi préparée, attendit la guerre, et,
quand elle fut contrainte à la faire, elle défendit les
Pariens contre les Lacédémoniens.
Mais le grand roi, commençant à redouter Athènes, dès
qu’il vit que Lacédémone lui cédait l’empire de la mer,
demanda, pour prix des secours qu’il devait fournir à
nous et aux autres alliés, les villes grecques du continent
de l’Asie, que les Lacédémoniens lui avaient autrefois
abandonnées. Il voulait se retirer et comptait bien sur un
refus, qui devait servir de prétexte à sa défection.
Les autres alliés trompèrent son espérance. Les Argiens,
les Corinthiens, les Béotiens, elles autres états compris
dans l’alliance, consentirent à lui livrer les Grecs de l’Asie
pour une somme d’argent, et s’y engagèrent par la foi du
serment. Nous seuls, nous n’osâmes ni les lui
abandonner, ni engager notre parole; tant cette
disposition généreuse, qui veut la liberté et la justice,
tant cette haine innée des barbares, est enracinée et
inaltérable parmi nous, parce que nous sommes
d’une origine purement grecque et sans mélange avec
les barbares. Chez nous, point de Pélops, de Cadmus,
d’Egyptus et de Danaüs, ni tant d’autres, véritables
barbares d’origine, Grecs seulement par la loi.
Le pur sang grec coule dans nos veines sans aucun
mélange de sang barbare; de là dans les entrailles même
de la république la haine incorruptible de tout ce qui est
étranger. Nous nous vîmes donc abandonnés de
nouveau pour n’avoir pas voulu commettre l’action
honteuse et impie de livrer des Grecs à des barbares.
Mais, quoique réduits au même état qui nous avait jadis
été funeste, avec l’aide des dieux la guerre se termina
cette fois plus heureusement; car, à la paix, nous
conservâmes nos vaisseaux, nos murs et nos colonies,
tant l’ennemi aussi était empressé à se délivrer de la
guerre.
Toutefois cette guerre nous priva encore de braves
soldats, soit à Corinthe, par le désavantage du lieu, soit
à Léchée, par trahison. Ils étaient braves aussi ceux
qui délivrèrent le roi de Perse et chassèrent les
Lacédémoniens de la mer. Je vous en rappelle le
souvenir, et vous devez vous joindre à moi pour louer et
célébrer ces excellents citoyens.