CAMILLE.
Non, non. ? Ô Seigneur Dieu !
Elle sort.
SCÈNE VIII.
Un oratoire.
Un oratoire.
CAMILLE.
M’avez-vous abandonnée, ô mon Dieu ? Vous le savez,
lorsque je suis venue, j’avais juré de vous être fidèle ;
quand j’ai refusé de devenir l’épouse d’un autre que vous,
j’ai cru parler sincèrement devant vous et ma conscience ;
vous le savez, mon père ; ne voulez-vous donc plus de
moi ? Oh ! Pourquoi faites-vous mentir la vérité
elle-même ? Pourquoi suis-je si faible ? Ah !
Malheureuse, je ne puis plus prier !
Entre Perdican.
PERDICAN.
Orgueil ! Le plus fatal des conseillers humains, qu’es-tu
venu faire entre cette fille et moi ? La voilà pâle et
effrayée, qui presse sur les dalles insensibles son coeur et
son visage. Elle aurait pu m’aimer, et nous étions nés l’un
pour l’autre ; qu’es-tu venu faire sur nos lèvres, orgueil,
lorsque nos mains allaient se joindre ?
CAMILLE.
Qui m’a suivie ? Qui parle sous cette voûte ? Est-ce toi,
Perdican ?
PERDICAN.
Insensés que nous sommes ! Nous nous aimons. Quel
songe avons-nous fait, Camille ? Quelles vaines paroles,
quelles misérables folies ont passé comme un vent
funeste entre nous deux ? Lequel de nous a voulu
tromper l’autre ? Hélas ! Cette vie est elle-même un si
pénible rêve : pourquoi encore y mêler les nôtres ? Ô
mon Dieu ! le bonheur est une perle si rare dans cet
océan d’ici-bas ! Tu nous l’avais donné, pêcheur céleste,
tu l’avais tiré pour nous des profondeurs de l’abîme, cet
inestimable joyau ; et nous, comme des enfants gâtés que
nous sommes, nous en avons fait un jouet. Le vert sentier
qui nous amenait l’un vers l’autre avait une pente si
douce, il était entouré de buissons si fleuris, il se perdait
dans un si tranquille horizon ! Il a bien fallu que la
vanité, le bavardage et la colère vinssent jeter leurs
rochers informes sur cette route céleste, qui nous aurait
conduits à toi dans un baiser ! Il a bien fallu que nous
nous fissions du mal, car nous sommes des hommes. Ô
insensés ! Nous nous aimons.
Il la prend dans ses bras.
CAMILLE.
Oui, nous nous aimons, Perdican ; laisse-moi le sentir sur
ton coeur. Ce Dieu qui nous regarde ne s’en offensera
pas ; il veut bien que je t’aime ; il y a quinze ans qu’il le
sait.
PERDICAN.
Chère créature, tu es à moi !
Il l’embrasse ; on entend un grand cri derrière l’autel.
CAMILLE.
C’est la voix de ma soeur de lait.
PERDICAN.
Comment est-elle ici ? Je l’avais laissée dans l’escalier,
lorsque tu m’as fait rappeler. Il faut donc qu’elle m’ait
suivi sans que je m’en sois aperçu.
CAMILLE.
Entrons dans cette galerie ; c’est là qu’on a crié.
PERDICAN.
Je ne sais ce que j’éprouve ; il me semble que mes mains
sont couvertes de sang.
CAMILLE.
La pauvre enfant nous a sans doute épiés ; elle s’est
encore évanouie ; viens, portons-lui secours ; hélas ! Tout
cela est cruel.
PERDICAN.
Non, en vérité, je n’entrerai pas ; je sens un froid mortel
qui me paralyse. Vas-y, Camille, et tâche de la ramener.
Camille sort.
Je vous en supplie, mon Dieu ! Ne faites pas de moi un
meurtrier ! Vous voyez ce qui se passe ; nous sommes
deux enfants insensés, et nous avons joué avec la vie et la
mort ; mais notre coeur est pur ; ne tuez pas Rosette,
Dieu juste ! Je lui trouverai un mari, je réparerai ma
faute ; elle est jeune, elle sera riche, elle sera heureuse ;
ne faites pas cela, ô Dieu ! Vous pouvez bénir encore
quatre de vos enfants. Eh bien ! Camille, qu’y a-t-il ?
Camille rentre.
CAMILLE.
Elle est morte. Adieu, Perdican !
FIN
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