La Joie

II

La joie du jour, le jour en fleur, un matin d’août, avec son humeur et son éclat, tout luisant, – et déjà, dans l’air trop lourd, les perfides aromates d’automne, – éclatait à chaque fenêtre de l’interminable véranda aux vitraux rouges et verts. C’était la joie du jour, et par on ne sait quelle splendeur périssable, c’était aussi la joie d’un seul jour, le jour unique, si délicat, si fragile dans son implacable sérénité, où paraît pour la première fois, à la cime ardente de la canicule, la brume insidieuse traînant encore au-dessus de l’horizon et qui descendra quelques semaines plus tard sur la terre épuisée, les prés défraîchis, l’eau dormante, avec l’odeur des feuillages taris.

De son pas juste et léger, rarement hâtif, la jeune fille traversa toute cette lumière, et ne s’arrêta que dans l’ombre du vestibule, les volets clos. Elle écoutait battre son cœur et ce n’était assurément ni de terreur ni de vaine curiosité, car depuis des semaines et des semaines, sans qu’elle y prît garde peut-être, chaque heure de sa vie était pleine et parfaite, et il lui semblait que toutes ses forces ensemble n’y eussent rien ajouté ni moins encore retranché… C’étaient les heures de jadis, si pareilles à celles de l’enfance, et il n’y manquait même pas la merveilleuse attente qui lui donnait autrefois l’illusion de courir à perdre haleine au bord d’un abîme enchanté. Délices profondes, plus secrètes qu’aucun battement du cœur profond ! Au flanc des Pyrénées, sur un sentier vertigineux, regardant par la portière du coche le gouffre rose où tournent les aigles, la petite fille préférée de sainte Thérèse s’écrie joyeusement : « Je ne puis tomber qu’en Dieu ! »… C’étaient les heures de jadis peut-être, mais elle avait perdu jusqu’au goût de les retenir en passant, pour y chercher la part de joie ou de tristesse enclose, ainsi qu’on ouvre un fruit.

Elle avait cru d’abord, elle aurait voulu croire toujours, que l’espèce d’indifférence heureuse, ce sommeil heureux du désir, n’était rien d’autre que la miraculeuse insouciance des enfants, leur pureté. Mais la mort de l’abbé Chevance(1) marquait irréparablement, marquait pour jamais le pas décisif ; et quelque effort qu’elle fît pour l’écarter, le cadavre veillait au seuil de la nouvelle paix, ainsi qu’un gardien vigilant, silencieux. « Je vous donne ma joie ! » Elle lui avait en effet donné sa joie, et elle en avait reçu une autre, aussitôt, des vieilles mains liées par la mort. Sans doute, elle s’accusait intérieurement d’indifférence, de sécheresse, elle essayait bien d’en éprouver du trouble, du remords. Mais sa raison était trop droite, sa conscience trop claire : elle ne sentait pas sa faute, ou alors c’était la faute de la nature, son indicible pauvreté. Qui peut s’émouvoir d’être pauvre entre les mains d’un Seigneur plus riche que tous les rois ? Bien avant qu’elle en eût fait confidence à personne, ou même qu’elle fût capable de la concevoir clairement, la pauvreté, une pauvreté surnaturelle, fondamentale, avait brillé sur son enfance, ainsi qu’un petit astre familier, une lueur égale et douce. Si loin qu’elle remontât vers le passé, un sens exquis de sa propre faiblesse l’avait merveilleusement réconfortée et consolée, car il semblait qu’il fût en elle comme le signe ineffable de la présence de Dieu, Dieu lui-même qui resplendissait dans son cœur. Elle croyait n’avoir jamais rien désiré au-delà de ce qu’elle était capable d’atteindre, et toujours cependant, l’heure venue, l’effort avait été moins grand qu’elle n’eût osé l’imaginer, comme si l’eût miraculeusement devancée la céleste compassion.

Aucune épreuve n’avait jusqu’alors, jusqu’à ces dernières semaines du moins, mis en péril l’humble allégresse, la certitude d’être née pour les travaux faciles qui rebutent les grandes âmes, ni cette espèce de clairvoyance malicieuse qui surprenait d’abord les moins réfléchis, et dont l’abbé Chevance savait seul le secret. D’ailleurs le vieil homme simple et têtu n’avait pénétré ce secret qu’à la longue, car il redoutait d’interroger, craignant surtout, par une vaine impatience à connaître et à admirer, de blesser une telle âme au point le plus sensible, là où se consomme, à l’insu de tous, dans un silence plus pur que l’immense silence stellaire, l’union divine, l’incomparable acceptation. Peut-être même risqua-t-il un temps d’être pris au piège innocemment tendu par cette conscience claire et profonde ; peut-être jugea-t-il sa petite pénitente moins indifférente qu’il n’eût pensé au monde, à ses succès véniels, au luxe bourgeois du salon académique que l’ancien curé de Costerel-sur-Meuse tenait naïvement (et par ouï-dire) pour admirable. Un autre que lui se fût sans doute ému trop tôt des robes signées Berthe Hermance, des chapeaux Rose et Lewis, et même du manteau de petit-gris qu’elle savait croiser si gentiment sur sa poitrine d’un geste un peu vif et hardi de ses bras minces… Mais déjà il avait reconnu en elle, comme par un pressentiment du génie, ce qu’il cherchait depuis si longtemps à travers le monde bruyant et vide où il errait en étranger : l’esprit, le rayonnant esprit de confiance et d’abandon. « Que voulez-vous que je fasse ? lui disait-elle. Suis-je capable de choisir ! Je n’oserais jamais. Je reçois chaque heure que Dieu me donne parce que je n’aurais même pas la force de refuser ; je la reçois en fermant les yeux comme jadis, en pension, le samedi soir, j’écoutais la lecture de mes notes de la semaine. Quand je les ouvre, je m’aperçois qu’elle m’épargne encore, que j’en suis quitte pour cette fois. » Et elle disait aussi : « En somme, c’est une chance d’avoir le souffle un peu court : on est bien forcé de monter les côtes au pas. »

Ce qu’elle disait alors, elle le pensait toujours, mais à qui l’eût-elle dit maintenant ? Le vieux prêtre avait emporté quelque chose avec lui, ou du moins une part précieuse d’elle-même s’était comme abîmée dans la silencieuse et solennelle agonie, pour elle incompréhensible. Non pas la divine espérance, qui était la source de sa vie. Non pas cette sécurité innocente, plus subtile et plus sûre qu’aucun calcul des âmes inquiètes. Mais le rude maître n’était plus qui recueillait à mesure sa joie mystérieuse pour qu’elle n’en sentît pas le poids surnaturel. À présent, elle la devait reconnaître, en prendre possession, la posséder tout entière. Ô fontaine de suavité !

Elle avait accueilli cette épreuve avec la même grâce ingénue, sans nulle crainte. La certitude de ne tenir la paix que d’un admirable caprice de Dieu, c’en était assez pour la préserver d’apporter quelque complaisance à cette découverte imprévue dont elle ne soupçonnait pas le péril artificieux. Si longtemps elle avait mis son soin et sa peine à ne rien garder, à dépenser au jour le jour l’aumône tombée du ciel – et pourquoi l’eût-elle pesée, qu’importe ? Il était seulement nécessaire qu’elle en rendît au vieux prêtre un compte exact. Et lui, plus impénétrable dans son extraordinaire douceur, attendait patiemment que la mesure fût comble, et que Dieu se révélât lui-même à ce cœur qui déjà débordait de lui, et ne s’en doutait pas. Parfois le confesseur des bonnes haussait les épaules, moitié sérieux, moitié riant, disait avec l’accent meusien : « Que vous êtes donc née prodigue, ma fille ! Nous autres, voyez-vous, nous connaissons trop d’âmes dévotes qui ont besoin d’apprendre à dépenser, qui thésaurisent. Cela gâte un peu le jugement, quelle misère ! Il n’y a rien de pis que mépriser la grâce de Dieu, mais il ne faut pas non plus l’épargner sou par sou, non ! Parce que, comprenez-vous, ma fille ? notre Maître est riche. »

Il avait dit encore un jour une parole plus singulière, dont elle n’avait pas saisi d’abord tout le sens, mais qui l’avait merveilleusement consolée, comme si entrouvrant l’avenir, elle lui avait découvert, au-delà des épreuves inévitables, dont elle ne pouvait imaginer la nature ni la durée, la certitude et le repos : « Certaines gens me trouveraient envers vous trop timide ou trop présomptueux ; cela me va très bien, je ne suis pas mécontent. Ma fille, si je vous manquais trop tôt, je vous défends de rien changer brusquement à l’ordonnance de votre petite vie. Notre vie est petite, souvenez-vous. Notre vie doit s’écrire en un style très familier dont Notre-Seigneur a seul la clef, s’il y a une clef. »

Une ou deux fois, elle s’étonna qu’il parût la blâmer d’avoir adroitement évité certaines occasions de plaire ou d’être louée, car elle était si malicieuse et si vive qu’on l’écoutait volontiers. « Mais enfin, s’écriait-elle, que savez-vous du monde, vous, un vieil ermite ? Vous voulez que je devienne vaniteuse, coquette, ou quoi ?

– Eh bien, avait-il répondu en rougissant, je sais ce qu’est le monde, ma fille. J’ai eu parfois grand souci qu’on m’admirât, ou du moins qu’on m’aimât. Voilà le monde. » Et avec cette profonde finesse, que jamais personne ne s’était avisé de reconnaître chez l’ancien desservant de Costerel-sur-Meuse, il ajouta aussitôt : « J’avais plus à craindre du monde que vous. »

C’était un soir du dernier hiver. Le jour blême luisait aux vitres de sa pauvre chambre, se coulait jusqu’à la table boiteuse où il appuyait les coudes, sa main maigre traçant en l’air un signe vague. Et soudain toute la lumière du jour mourant avait éclaté dans son regard, tandis qu’il disait d’une voix haute et forte :

– Ma petite fille, je sais ce qu’il vous faut. La chose viendra en son temps, parce qu’il y a des saisons pour les âmes. Oui ! il y a des saisons. Je connais chaque saison, je suis un vieux paysan meusien. La gelée viendra, même en mai. Est-ce que ça empêche nos mirabelliers de fleurir ? Est-ce que le bon Dieu ménage son printemps, mesure le soleil et les averses ? Laissons-lui jeter son bien par les fenêtres. Je ne suis qu’un bonhomme sans beaucoup de jugement ni d’expérience, mais je sais encore ceci, à quoi le Révérend Père de Riancourt n’avait pas songé… C’est-à-dire, il n’y songeait peut-être pas… Oh ! les jésuites, qu’ils sont fins, subtils ! Ils font honneur à l’Église, sûrement ; mais voilà : ce sont comme des ingénieurs agronomes, ils ont des méthodes, beaucoup de science, ils ont leurs méthodes… Le pauvre métayer a de bonnes idées aussi, quand il ne dépasse pas son petit champ. Hé bien, oui, ma fille, il y a un temps où il convient d’aider Notre-Seigneur dans ses prodigalités. Nous recevons cent grâces pour une. À quoi bon payer trois fois son prix une vie si simple, si commune, qui semble à la portée de tous ? Ainsi raisonne le monde. Ne hâtons rien quand même. On ne paie jamais trop cher la grâce de passer inaperçu – ou du moins, Dieu veuille qu’on ne voie en vous, pour l’instant, que les fleurs ! Oui, Dieu veuille que vous fleurissiez d’abord de toute votre floraison, ma fille ! Il n’y a pas de fruit sans peine, cela viendra, et si douce que soit la main qui les cueille, vous sentirez l’arrachement. D’ici là, exercez-vous à être si docile et si souple entre les mains divines que nul ne s’en doute. Car c’est la marque d’un grand amour d’être tenu longtemps secret… Voyez les filles de mon pays, les filles lorraines…

Comme elle éclatait de rire, faisant signe que sa vue était trop faible, qu’elle ne pouvait les voir de si loin, il avait haussé les épaules, avec une impatience feinte.

– Bah ! Bah ! vous pouvez vous moquer. De jeunes Parisiennes, pensez-vous, cela se presse, cela chante toujours avant que le soleil ne soit levé, comme les merles. Mais nos filles lorraines, ah ! combien réfléchies, combien sages ! Ma mère défunte, trois ans avant ses épousailles – oui, trois ans ! – disait à notre grand-oncle le doyen de Mondreville : « Je ne me marierai jamais qu’avec Gilbert le tonnelier, ou pas ! » (Feu mon père était tonnelier.) Et lui, Gilbert, n’en savait rien ; elle n’avait seulement jamais osé le regarder en face, sainte fille de Dieu ! Mais ils ont fait de bons époux, à la vie et à la mort, jusqu’au bout, parce que la racine était profonde ; la racine avait poussé longtemps sous la terre avant que la tige n’eût fleuri. Ainsi Dieu veut qu’on l’aime. Puisse-t-on dire de vous : « Quelle est bonne, et douce et gaie ! Qu’on est aise de la voir ! Qu’elle donne le goût de bien faire ! Puissiez-vous être déjà toute à Notre-Seigneur que personne ne sache encore en quelles mains vous êtes tenue ! »

Hélas ! elle avait vu depuis noircir peu à peu, puis glisser tout à fait de l’autre côté des ténèbres le regard de son vieil ami. Elle avait entendu sa voix mêlée au râle, devenue soudain comme étrangère, et c’était vrai que rien de cette mort si abandonnée, si nue, n’avait ressemblé à l’image qu’elle s’en était d’abord faite. Avait-elle été la suprême épreuve réservée au saint obscur, à l’homme délaissé, ou seulement la dernière, la décisive leçon du maître à sa petite élève, son avertissement solennel ? Redoutait-il, si vite emporté vers la nuit, que le temps lui manquât de préparer l’enfant héroïque aux dures expériences de la vie intérieure, à la déception fondamentale qui doit tremper, un jour ou l’autre, un cœur à Dieu prédestiné ? Sans doute elle s’était refusé jusqu’alors, par un instinct très sûr, à fixer trop longtemps sa pensée sur un problème dont elle savait bien que la solution lui échapperait toujours – au-delà de toute raison et toute hypothèse humaine – ne se trouverait qu’en Dieu ; mais cependant, qu’elle le voulût ou non, de ce vertige de tristesse, de cette immense solitude à peine entrevue, pressentie auprès du cadavre qu’elle honorait comme celui d’un saint, une sorte de fantôme avait surgi, qui n’avait pas tous les traits de l’homme vivant, dont elle n’était pas aussi sûre de comprendre l’appel muet. Elle se rappelait certaines phrases prononcées jadis, et qu’il lui avait dit un jour, par exemple, que si l’amour divin est mille fois plus strict et plus dur que la justice, Dieu peut néanmoins nous faire longtemps la grâce de nous aimer ainsi que nous aimons les petits. Mais l’heure vient où nous apprenons – au prix de quelle angoisse ! – que la plus inhumaine des passions de l’homme a en Lui son image ineffable et qu’Il est, comme les vieux Juifs l’avaient deviné sans comprendre, un Dieu jaloux.

Un Dieu jaloux… En Dieu ce désir pensif, sévère, cette âpreté, cette avidité de la créature ? Elle n’y pouvait croire encore – ou c’était là une vision trop hardie, trop sublime, dont elle devait détourner son regard. Et puis le mot lui-même était pour elle vide, presque insensé. Elle ne jalousait personne, et si profondément qu’elle s’interrogeât, il lui semblait que nulle jalousie, même divine, ne trouverait en elle son objet, car elle se sentait de jour en jour moins capable de refuser rien, sûre de ne rien posséder. Elle croyait sa vie trop simple, trop étroitement commandée par des devoirs monotones, quotidiens, pour qu’elle risquât de s’éloigner jamais beaucoup, moins par vertu que par une humble nécessité, de la place exacte où l’eût cherchée le maître le plus exigeant. Car c’était encore l’une des profondes et sagaces leçons de l’abbé Chevance qu’il importait avant tout de s’écarter le moins possible de ce point précis où Dieu nous laisse, et où il peut nous retrouver dès qu’il lui plaît. L’incomparable détresse de notre espèce est son instabilité.

C’est ainsi que, dans sa nouvelle solitude, elle s’était d’abord appliquée de tout son cœur, minutieusement, à ne pas quitter d’un pas le chemin familier, jusqu’à ce qu’elle eût trouvé un autre guide comparable à celui qu’elle avait perdu. Faire parfaitement les choses faciles, tel était non pas le souhait, mais le besoin de cette volonté inflexible et douce, que l’abbé Chevance avait pourtant assouplie avec tant d’art. Certes, elle n’avait assurément aucune idée d’une force si merveilleuse, et néanmoins la voix inoubliée s’était tue qui en disposait à son gré. Quel cœur intrépide discernerait aisément le facile, alors que l’impossible même paraît à sa mesure ? Et quelle tentation eût été plus subtile, plus perfide ? Comment eût-elle su que depuis des mois et des mois, le souci de son humble ami n’avait été que de modérer l’élan de sa puissante ascension, ou du moins de dérober à son regard la courbe immense de son vol, le vide peu à peu creusé sous ses ailes ? À présent, elle commençait à redouter cette quiétude qu’elle avait acceptée jusqu’alors comme le signe de la faiblesse, de la médiocrité de sa nature. Et l’équilibre une fois rompu, dès qu’elle avait fait effort pour s’en arracher, elle la cherchait de nouveau, puis la fuyait encore, épouvantée d’y reconnaître des délices hier ignorées.

Quelles délices, sinon d’une tristesse surnaturelle, où la sensibilité n’avait point part, mais consommée tout entière, au plus secret de l’âme. « Tu n’as jamais été si gaie ! » disait parfois M. de Clergerie, avec humeur. Était-ce donc vrai ? Quelle était cette source invisible, cette fraîcheur amère, pour elle seule ? Quel nom lui eût donné l’abbé Chevance ? Lorsqu’elle essayait d’interroger le pauvre mort, inutile désormais, toujours surgissait dans sa mémoire, au point précis, à sa place encore douloureuse, la suprême image qu’elle en avait gardée, les yeux sombres, comme vidés de larmes, le pli de la bouche, l’énorme fatigue de ses bras jetés sur la couverture rouge de sang. Non ! ce n’était pas là qu’il le fallait chercher… Alors, sans le vouloir, sans comprendre, parce qu’elle refusait cette tristesse ardente, ce don vain des pleurs dont elle craignait l’illusion, parce qu’elle ne pouvait plus espérer trouver le vieil homme ailleurs qu’en son éternel repos, en Dieu, elle glissait dans l’oraison, comme dans un sommeil enchanté.

Était-ce l’oraison ? À vrai dire, elle n’en savait rien, et d’ailleurs elle n’eût pas osé appeler ainsi ce qui n’était encore pour elle qu’une étrange suspension de la douleur et de la joie, ou le lent évanouissement de l’une et de l’autre en un sentiment unique, indéfinissable, où semblaient se fondre la tendresse, la confiance, une recherche inquiète et pourtant suave, et quelque chose encore qui ressemblait à la même pitié sublime qu’elle avait vue resplendir tant de fois dans les prunelles usées de son maître. D’ailleurs elle s’avouait volontiers incapable de faire oraison, déplorant de ne pouvoir se fixer longtemps sur ces petits thèmes proposés par de pieux auteurs dont l’imagination n’égale pas le zèle, enragés à définir et à formuler. « Ne m’interrogez pas, lui disait alors l’abbé Chevance. À quoi bon ? Que vous importe d’apprendre si vous faites, ou ne faites pas oraison ? Et que m’importe à moi de le savoir, pourvu que je m’applique à réaliser en vous, au jour le jour, l’ordre de la charité ? Ingressa igitur cuncta per ordinem ostia… Lorsque Esther eut passé par ordre toutes les portes, elle se présenta devant le roi, où il résidait. »

Hélas ! qui lui ouvrirait les portes maintenant ? Qui lui tendrait à chaque nouveau seuil une main amie ? La dernière angoisse du mourant n’avait-elle pas été de découvrir trop tard que la douce ignorance où il avait si longtemps laissé sa fille allait se changer tout à coup, lui disparu, en une affreuse solitude ? « Que Dieu s’est bien caché en vous ! Qu’il y repose ! » s’était-il écrié un jour, d’une voix tremblante. Il avait emporté sa part de ce secret sous les ombres, et elle était désormais incapable de rien découvrir de la sienne à personne, car elle était très loin d’avoir la moindre idée de ce qui s’accomplissait en elle. Sans doute l’apparente médiocrité de ses confessions, leur insignifiance la rebutait un peu, et elle s’accusait intérieurement de renseigner si mal le doyen d’Idouville qui, la connaissant depuis l’enfance, la traitait comme jadis, chaque été, ainsi qu’une écolière en vacances… Mais que lui dire ? Que dire d’une soumission à Dieu si parfaite, si ingénue, qu’elle se distinguait à peine du cours modeste de la vie ? Elle ne trouvait rien de nouveau qui valût la peine d’être révélé, sinon cette espèce d’agitation de l’âme, trop profonde, trop essentielle, comparable à un orage lointain qui n’est plus qu’une lueur furtive, dans le ciel limpide, une vibration presque imperceptible de l’air embrasé.

Et cependant, à son insu, voilà qu’elle avait fait déjà le pas décisif, voilà qu’elle s’avançait maintenant à travers un pays inconnu, hors des frontières de son ancien paradis, seule. Une autre que cette petite fille sans peur eût sans doute été accablée du sentiment de sa solitude et se serait jetée au cloître, éperdue, ainsi qu’en un dernier asile. Mais elle avait été trop longtemps formée à ne demander qu’à Dieu son repos, incapable de fuir ou même de se dérober avant l’heure, prête à faire face, et son regard aussi ferme et aussi sûr, dans son implacable pureté, que celui d’un homme intrépide. Son admirable effort, presque inconscient, spontané, pour ne pas se replier sur soi-même, se diminuer, la nécessité d’engager à la fois, ainsi qu’un chef de guerre, ses régiments contre un ennemi dont il ignore la position et les desseins, toutes les forces de son cœur, l’avait, en quelques semaines, transformée. Comme un homme endormi à l’aube, qui s’éveille dans la brutale lumière de midi avec encore dans ses yeux la sérénité de l’aurore, le monde, le monde qui n’était jusqu’à ce moment pour elle qu’un mot mystérieux, se révélait, non à son expérience, mais à sa charité – par l’intuition, l’épanouissement, le rayonnement de la pitié. Il appartient aux esprits aveugles de croire que le mal ne se découvre qu’aux misérables qui s’en laissent peu à peu dévorer. Ceux-là n’en connaissent pourtant, au terme de leurs lugubres travaux, que les précaires voluptés, la tristesse stupide, la rumination obscure et stérile. Ô chute vaine, ô cris faits pour n’être entendus d’aucun vivant, froids messagers de la nuit sans rives ! Si l’enfer ne répond rien au damné, ce n’est pas qu’il refuse de répondre, car plus stricte, hélas ! est l’observance du feu impérissable : c’est qu’en vérité l’enfer n’a rien à dire et ne dira jamais rien, éternellement.

Seule une certaine pureté, une certaine simplicité, la divine ignorance des saints, prenant le mal en défaut, pénètre dans son épaisseur, dans l’épaisseur du vieux mensonge. Qui cherche la vérité de l’homme doit s’emparer de sa douleur, par un prodige de compassion, et qu’importe d’en connaître ou non la source impure ? « Ce que je sais du péché, disait le saint d’Ars, je l’ai appris de la bouche même des pécheurs. » Et qu’avait-il entendu, le vieil enfant sublime, entre tant de confidences honteuses, de radotages intarissables, sinon le gémissement, le râle du désir exténué, qui crève les poitrines les plus dures ? Quelle expérience du mal l’emporterait sur celle de la douleur ? Qui va plus loin que la pitié ?

Ainsi Mlle Chantal pouvait croire que rien n’avait troublé sa paix, terni sa joie, et déjà la plaie mystérieuse était ouverte d’où ruisselait une charité plus humaine, plus charnelle, qui découvre Dieu dans l’homme, et les confond l’un et l’autre, par la même compassion surnaturelle. Transformation trop intime, trop profonde de la vie de l’âme, pour qu’en paraissent au-dehors les signes visibles. Cela était venu par degrés, insensiblement, cela s’était levé lentement dans son cœur. Sans doute, elle n’ignorait pas le mal et n’avait jamais feint de l’ignorer, trop sensible et trop vive pour se dissimuler à soi-même, comme tant d’ingénues volontaires, certaines méfiances et certains dégoûts, mais sa droiture était la plus forte. Ce pressentiment du péché, de ses dégradations, de sa misère, restait vague, indéterminé, parce qu’il faut la déchirante expérience de l’admiration ou de l’amitié déçue pour nous livrer le secret tragique du mal, mettre à nu son ressort caché, cette hypocrisie fondamentale, non des attitudes, mais des intentions, qui fait de la vie de beaucoup d’hommes un drame hideux dont ils ont eux-mêmes perdu la clef, un prodige de duperie et d’artifice, une mort vivante. Mais qui peut décevoir celle qui croit d’avance ne posséder ni mériter rien, n’attend rien que de l’indulgence ou de la charité d’autrui ? Qui peut décevoir la joyeuse humilité ? L’agonie du vieux prêtre avait pourtant fait ce miracle.

C’était réellement la seule déception qu’elle eût jamais connue, et nulle autre que celle-là n’eût été capable de l’atteindre au point vif, de prendre en défaut sa naïve allégresse. Elle ne pouvait imaginer que Dieu lui manquât jamais, et cependant ne l’avait-elle pas cherché en vain, cette nuit mémorable ? Il s’était fait invisible et muet. Comme les très petits enfants qui ne connaissent du visage humain que le sourire soutiennent le premier regard sévère sans aucun effroi, mais avec une sorte de curiosité pleine de stupeur, l’amertume d’une telle mort n’avait pas affaibli sa confiance, bien que le souvenir qu’elle en avait gardé restât ainsi qu’une ombre entre elle et la présence divine qui était la source unique de sa joie. Quelle était donc la puissance du mensonge pour qu’il fût capable d’altérer à ce point, au misérable regard des hommes, le visage même des saints ? Et soudain, pareil à ces paysages trop lumineux, trop vibrants, que submerge d’un coup le crépuscule, et qui réapparaissent lentement, méconnaissables, semblent remonter de l’abîme de la nuit, l’étroit univers familier dans lequel elle était née, où elle avait vécu, prenait un aspect nouveau. Il semblait que les choses elles-mêmes lui fussent devenues étrangères, jusqu’à cet ameublement prétentieux et désuet, d’une richesse sans fantaisie, d’une sévérité sans noblesse, académique et bourgeois, de professeur millionnaire. Elle en avait souri déjà bien des fois, mais avec une malice indulgente, comme on sourit de vieilles personnes, inséparables des souvenirs de l’enfance.

Et voilà que sous les damas et les ors perçait leur pauvreté lamentable, leur bassesse. Elle ne les voyait plus sans un malaise indéfinissable, une espèce de méfiance craintive. Que de confidences perdues, faites jadis à ces témoins froids, circonspects, ces faux témoins ! Se doutait-elle que vingt ans plus tôt ils avaient reçu d’une jeune femme aux yeux tristes les mêmes confidences vaines ? Certes, elle ne songeait pas à les haïr, ou les mépriser ; elle était seulement tentée de les plaindre, comme des esclaves dressés à mentir, qui mentent par ordre. Elle les sentait plus que témoins, complices – complices d’une vie à leur image, étroite, têtue, calculatrice, sans honneur, sans amour, d’une gravité sournoise, d’une décence suspecte. Et à mesure que se transformaient ainsi sous son regard les lieux et les aîtres, les figures, les gestes, les voix se dénonçaient à leur tour, livraient une part de leur secret. Trop passionnée pour en concevoir la médiocrité, ou trop pure pour en jamais réaliser l’ignominie, elle ne sentait que leur tristesse, la tristesse de tant d’heures perdues, d’entreprises inutiles, de rancunes, d’inimitiés, d’ambitions, dures comme la pierre, et plus légères que des songes. Sa tendresse filiale elle-même avait résisté un temps, puis s’était changée en un sentiment moins simple, et sans qu’elle y pensât, l’image de son père avait perdu un à un ses traits familiers, s’était pour ainsi dire fondue dans l’ensemble, achevait de s’effacer parmi les ombres. Qu’ils étaient loin d’elle, tous ! Qu’ils étaient errants et malheureux !… Pourquoi ? À ceux-là, comme au moribond, elle n’avait à donner que sa pauvre joie, sa joie aussi mystérieuse que leur tristesse… Et, certes, elle la leur donnerait, dût-elle la donner en vain !

D’ailleurs, on aurait tort de croire qu’une telle révélation intérieure eût rien changé d’abord, en apparence, au cours égal de son humble vie. Elle avait accepté cette tristesse comme elle acceptait toute chose, prenant garde d’y arrêter inutilement sa pensée. À la voir, à écouter son rire clair, à suivre, lorsqu’elle courait derrière ses deux grands chiens Pyrame et Thisbé, son ombre bleue sur le mur, l’observateur le plus attentif eût été bien en pleine d’imaginer qu’elle venait de découvrir un monde où le moraliste n’avance qu’avec des pieds de plomb, de pénétrer d’un coup, d’un élan, comme par un jeu divin, si loin dans la douleur des hommes. Elle-même croyait toujours voir des mêmes yeux les personnages comiques ou tragiques dont elle savait familièrement les noms et les visages, et s’émerveillait d’y penser avec tant de pitié. Mais comment repousser une pitié à la fois si déchirante et si suave qu’elle finissait maintenant par éclater dans son regard, la transfigurait au point d’inquiéter quelques-uns de ses amis plus perspicaces ? Elle ne s’y abandonnait pas sans réserves, elle cherchait parfois à lui fermer, un moment du moins, son âme – et peu à peu, insensiblement, pareille à une petite source diligente, la même compassion surnaturelle, inutilement contenue, venait jaillir en prière. Car jamais son oraison n’était si douce, son union à Dieu si étroite qu’après ces luttes vaines, où s’exerçaient, à son insu, toutes les puissances de son être. Ô prière qui n’est plus qu’un déliement ineffable, ou comme le gémissement de la nature tirée hors d’elle-même, épuisée par la grâce ! Qui lui en eût dit, à présent, la perfection et le péril ?

Cependant des semaines et des semaines passèrent, après la mort de l’abbé Chevance, sans qu’elle s’avisât que sa prière s’était elle aussi transformée, accordée à une expérience si nouvelle, tout intérieure, transcendante, de réalités dont elle n’avait jadis aucune idée. La méprise fut d’autant plus facile qu’elle avait continué à s’acquitter de ses devoirs et à gouverner sa maison avec la même allégresse qui ressemblait si fort à celle des enfants, et désarmait jusqu’à l’insolence d’une invraisemblable domesticité recrutée par le caprice de M. de Clergerie, au hasard des recommandations les plus saugrenues, et d’ailleurs incessamment renouvelée. Le petit homme témoignait, en effet, dans le choix de ses serviteurs, d’un optimisme absurde, que la méfiance ou l’avarice avaient tôt fait d’aigrir, mais pourtant si légendaire qu’un certain nombre de perfides amies s’employaient à le fournir chaque saison d’extraordinaires recrues dont elles avaient pu apprécier les mérites à leurs dépens, et qu’elles ne se souciaient pas de jeter à la porte sans cérémonie, car le renvoi de tel personnage énigmatique, au nom riche en consonnes, au regard noir et attentif, venu de trop loin, de villes introuvables sur les mappemondes, n’est pas une affaire à négocier étourdiment. « Tu es lasse, disait parfois le futur académicien à sa fille. C’est une charge si forte pour toi ! Ta pauvre mère s’y est usée ! » Mais elle riait de son beau rire intrépide, et il se consolait aussitôt en pensant : « Qu’elle est jeune ! »

Alors elle sifflait ses chiens, ou courait jusqu’à sa chambre, pour mieux songer à son vieil ami. Que ce silence était frais et pur ! Comme elle l’aimait ! Trop peut-être ? Aucune de ses prières de jadis ne ressemblait tout à fait à celle-là. « Je parle à Dieu sans cesse, disait-elle autrefois à l’abbé Chevance, je sais très bien lui parler, il me semble. Je lui parle infiniment mieux que je ne le prie. » Mais aujourd’hui, du moins à ces rares moments de bienheureux repos, les paroles s’évanouissaient d’elles-mêmes sur ses lèvres, sans qu’elle y prît garde. La tristesse refoulée, la pitié, ou plutôt l’espèce de crainte douloureuse, pleine de compassion, qu’elle sentait désormais devant chaque visage humain, tout ensemble éclatait dans son cœur en une seule note profonde. Elle n’avait d’abord attaché aucune importance à cette nouveauté singulière : « Je m’endors en priant, songeait-elle, voilà tout… » Car elle ne pouvait trouver une autre explication qui la rassurât. Jusqu’au jour…

……………………………………………………………

Entre tant d’autres visages inquiétants, celui du Russe l’avait émue, d’une méfiance irrésistible, qui ressemblait au dégoût, si Chantal eût été capable de dégoût. Deux fois, trois fois peut-être, il était venu, humble et distant, le regard bas, ses longues mains inquiètes aux ongles vernis pétrissant d’énormes gants de peau de chien, la voix changeante et comme voilée, où l’imperceptible accent de la langue natale n’était plus qu’une sorte de chant grave, trop nuancé, trop caressant. Il apportait, avec beaucoup d’autres, un certificat élogieux de la vieille baronne de Montanel qui dispose, chacun le sait, d’au moins six belles voix académiques et abreuve de thé léger, chaque quinzaine, toute la rédaction de la Revue internationale. Elle répondait de sa parfaite éducation, de son honnêteté, surtout de sa merveilleuse prudence qui en faisait un chauffeur unique, aussi sûr qu’un cocher de douairière. Enfin, il avait appartenu au régiment des Pages, servi dans la Garde, puis sous Denikine, et vendu, pour ne pas mourir de faim, d’inestimables bijoux de famille. Mais son plus grand mérite était de garder le souvenir d’une longue étude parue, avant la guerre, au Messager russe et consacrée aux importants travaux d’érudition de M. de Clergerie.

En ce silencieux personnage, Mlle Chantal avait senti, dès le premier jour, un ennemi, un homme à craindre, moins dangereux pour elle que pour ces naïfs qu’il avait apprivoisés aussitôt par une douceur inaltérable, une complaisance infinie. Elle ne savait rien de lui, n’en pouvait rien connaître, n’en connaîtrait jamais rien, aussi invulnérable dans sa vérité que lui-même dans son mensonge, et cependant elle le haïssait, à son insu, d’une haine jalouse – quel autre nom, hélas ! donner à la révolte d’une conscience trop pure, si défendue à la fois, si désarmée ? – elle le haïssait d’instinct, comme s’il eût disposé déjà contre elle, contre Dieu même, d’un incomparable secret. « Que lui reproches-tu ? disait M. de Clergerie. Il paraît un peu sournois, je l’accorde, c’est sans doute un déclassé ; je ne pense pas que ces Slaves soient des anges. Mais on ne peut pas non plus se fournir de domestiques dans les patronages, mon enfant. Du moins, je le trouve parfaitement bien élevé, discret, obligeant. Et ce qu’il est, ou n’est pas, une jeune fille de ton âge est bien incapable d’avoir une opinion là-dessus. »

Elle ne trouvait rien à répondre, car son jugement si sûr, sa jeune sagesse, son horreur naturelle si clairvoyante de toutes les formes du mensonge, et même une certaine gaieté un peu railleuse, qui suffisaient à la mettre en défense, ne pouvaient la fournir d’aucun argument précis. D’ailleurs, elle s’accusait parfois d’être injuste à l’égard du dernier venu, probablement ni meilleur ni pire qu’aucun de ses compagnons, et elle faisait un grand effort pour surmonter sa crainte, en user envers lui avec les mêmes grâces, la même charité subtile. Mais à la différence de tant d’autres, de tous les autres – un seul excepté, qui n’était plus – cet inconnu suspect, dont on voyait le mensonge remuer au fond du regard blême, ainsi qu’une épave sous une eau morte, cet homme vil ne se contentait pas de subir l’enchantement, il cherchait à en pénétrer les causes secrètes. Quel cœur vraiment pur ne se protège de lui-même contre la curiosité d’un ami ? Mais quelle épreuve inattendue de se sentir, par qui l’on méprise, devinée ?

Car elle s’était crue aussitôt devinée, par une naïve ignorance de sa propre vie intérieure, qu’elle jugeait trop humble et trop facile pour se défendre longtemps contre la curiosité de personne. Et puis, d’être devinée, après tout, qu’importe ? C’était cette curiosité patiente, assidue, inexplicable, connue d’elle seule, si adroite qu’elle n’aurait pu la dénoncer sans ridicule, et si furtive qu’elle n’en surprenait qu’à l’improviste, et par hasard, la vigilance calculée, – oui, c’était cette curiosité dont elle sentait obscurément la trahison. D’être recherchée, même par le désir d’un tel homme, ne l’eût pas autant émue, parce qu’en ce vieux pays latin la plus innocente des filles ne se croit jamais à bout de ressources ni d’esprit, et la douce pénitente de l’abbé Chevance se fût tirée aisément de ce pas, avec cette fierté malicieuse que toute femme de notre race tient de ses grand-mères. Mais le désir n’est pas si calme, si attentif, et surtout si insoucieux de plaire. Ce qu’elle lisait dans les yeux froids, c’était plutôt cette même curiosité qu’on voit au regard des bêtes savantes ou corrompues par des maîtres trop indulgents, lorsqu’elles flairent de loin, sur les routes, leurs congénères libres et heureux. Que contemplait-il ainsi avec envie ? Que cherchait-il qu’elle fût capable de lui donner ? Elle avait souvent ri de ses craintes et les jugeait alors absurdes, dans l’impuissance où elle se trouvait de les justifier, ou même de les exprimer en un langage sensé. N’importe. Elle sentait se resserrer autour d’elle un réseau tissé prudemment fil à fil – et non pas autour d’elle seulement, car elle avait vaguement conscience que de plus faibles étaient déjà dans le même filet. Qu’elle eût voulu les défendre !

En exigeant que sa fille, dès sa sortie du couvent, gouvernât sa maison, M. de Clergerie ne savait pas de quel pesant devoir il allait charger de telles épaules, ni que la surveillance quotidienne de six ou sept domestiques recrutés à la diable, congédiés de même, est une rude et périlleuse école pour une enfant de dix-sept ans qui ne sera jamais tout à fait dupe de sa propre candeur, plus souvent et plus cruellement blessée de ce qu’elle devine que de ce qu’elle voit. Mais elle s’était protégée à sa manière, par une ingénieuse bonté, sans bruit, sans effort visible qui risquât d’attirer l’attention, de lui valoir louange ou blâme. Et maintenant, il semblait qu’elle fût prise au piège de cette même bonté, dont elle seule avait cru savoir la source enchantée, toujours fraîche, intarissable. Cet inconnu, d’ailleurs en apparence sans reproche, qu’elle ne pouvait convaincre d’aucune faute précise, d’aucun manquement volontaire, délibéré, qui n’était enfin pour tout le monde qu’un serviteur à gages, c’est-à-dire un anonyme, un passant, auquel elle eût rougi d’accorder tant d’attention, si elle eût été moins pure, celui-là entre tous les autres lui inspirait pour la première fois la crainte anxieuse d’être encore au-dessous de son humble tâche, sous la menace de forces obscures, impitoyables, que la simple douceur ne suffit pas à réduire, de ne disposer contre une certaine malice, jusqu’alors ignorée, que d’une arme d’enfant, d’un jouet… Crainte aussitôt repoussée par toutes les forces de son âme ! Crainte d’ailleurs sans amertume, qui finissait par se fondre en délices, lorsque plus pauvre et plus seule que jamais, parmi ces visages hostiles ou clos, elle donnait, elle prodiguait, elle jetait à pleines mains, ainsi qu’une chose de rien, son espérance sublime. Et tel était alors le bienheureux épuisement de sa charité, sa suave détresse, qu’elle courait se réfugier dans sa chambre, refoulant ses larmes, et là, comme ivre de fatigue et de supplication, les lèvres encore occupées d’une prière qu’elle n’entendait plus, n’osant quitter des yeux son crucifix, elle croyait glisser lentement, puis tomber tout à coup dans le sommeil… Seulement elle tombait en Dieu.

Et c’est ainsi qu’il l’avait vue un jour, lui, cet étranger, debout près d’elle, les traits bouleversés, le bras étendu, car il vient de lui toucher l’épaule… Quelle heure est-il ? La fenêtre est pleine de nuit, le couloir brille derrière la porte entrouverte.

« Comment êtes-vous là ? dit-elle. Pourquoi ? » Elle cherche en vain des mots, un cri d’indignation, de colère, et ne trouve qu’une surprise stupide. Il ne détourne pas son regard, elle n’y lit aucune injurieuse curiosité, nulle surprise égale à la sienne, mais en dépit de son calme étonnant, une sorte de complicité sournoise, qui brûle de s’avouer, qui va s’avouer… « Comment êtes-vous… qui vous a permis ?… – Le dîner est servi depuis longtemps. On n’a pas eu l’idée d’entrer, la porte n’était que poussée. Ils cherchent Mademoiselle dans le parc, on a même envoyé le jardinier chez le petit Arnaud. » Elle s’est levée toute tremblante, elle a balbutié : « Je… je m’étais endormie. » Alors il l’a fixée longuement, trop longuement, avec un reproche – oui, un reproche – dans ses yeux menteurs : « J’ai fait de mon mieux. Que Mademoiselle juge. Ils auraient pu vous trouver… Personne ne comprendrait… Ils ne comprendraient pas… Ce sont de simples animaux, d’heureux animaux. Que Mademoiselle prenne garde, si elle daigne me croire. Moi, je sais… Les anges seuls dorment comme vous, de cette manière. Permettez-moi : j’ai vu à Goutchivo une religieuse orthodoxe, une petite fille de Dieu, qui vous ressemble ; nos Russes lui avaient brisé les jambes, elle était étendue par terre, devant l’icône, presque nue, sans boire ni manger depuis des jours, ravie au ciel, un doux prodige, un conte d’enfant, plus blanc que la neige… Je ne crois pas en Dieu, mais comment ne pas croire à cette blancheur, ne pas l’aimer ? Car il y a plus de blanc qu’on ne pense dans ce monde noir. D’ailleurs je parle un langage qui n’est assurément pas celui que je dois tenir devant vous ; et il m’est impossible de faire autrement – excusez-moi – afin que vous sachiez du moins quel est celui qui a surpris vos secrets, non pas aujourd’hui, mais voilà bien des semaines, parce qu’il vous arrive… il vous est arrivé – que dirais-je ? – enfin cela, cette chose s’est faite devant moi, à votre insu, une minute jadis, rien qu’une minute, le temps d’un clin d’œil, et à présent si fréquemment que, tout bêtes qu’ils sont, je me demande par quel miracle (aucun miracle ne vous coûte), par quel miracle ils ne s’aperçoivent de rien. »

Puis il l’avait saluée très bas et s’était glissé dehors, sans attendre de réponse, laissant exprès la porte grande ouverte derrière lui, pour que la lumière achevât de l’éveiller, peut-être… Elle n’avait que longtemps après entendu son pas assourdi, les voix lointaines, et tournant la tête, pâle de honte, elle avait vu dans la glace ses yeux immenses, obscurs, méconnaissables. Ses yeux ? N’était-ce pas plutôt un autre regard, qu’elle connaissait trop, dont elle avait tant de peine à supporter la fixité ténébreuse, où flotte un rêve informe qui n’a plus ni couleur, ni contour, un cadavre de rêve, un rêve décomposé ? Mais oui ! c’étaient les yeux de sa grand-mère, de Mama, ses yeux mêmes ! Le brusque éclair de l’angoisse éclata au creux de sa poitrine, resplendit jusqu’à la dernière de ses fibres. De tous les coups qu’elle eût pu redouter, attendre, celui-là était le plus dur, imprévu, imparable. L’extrême, la surnaturelle simplicité de sa vie, sa piété si humble, son horreur ingénue de la confusion, du désordre, de ce qui peut troubler la sincérité limpide des paroles, des actes, des intentions, la ferme sagesse, l’agile raison que le vieux prêtre avait formée avec tant de prudence et d’amour, rien ne la préparait à cette extraordinaire épreuve. Sans doute la folie de Mama, ce bizarre délire silencieux traversé de lueurs, avait-il marqué son adolescence plus cruellement qu’elle n’eût osé l’imaginer ? Le doute qui venait de naître dans sa pauvre cervelle encore noyée d’extase, s’enfonçait comme un fer juste au point blessé, si avant d’un seul coup que l’idée ne lui vint pas de douter, de discuter au moins l’unique témoignage d’un inconnu. Ni les paroles, ni les desseins de ce personnage, également suspects, son insolence tranquille, son audace ne la retinrent un moment : elle ne fut sensible qu’à l’accablante, l’énorme vraisemblance d’un cauchemar dont elle voyait encore dans la glace le signe tragique. « Nous sommes des nerveux, nous sommes de grands nerveux », aimait à répéter M. de Clergerie, qui justifiait ainsi sa dyspepsie, et d’ailleurs raffolait de la psychiatrie à la mode… D’ailleurs le P. de Riancourt, son ancien aumônier du Sacré-Cœur, ne l’avait-il pas mise en garde, jadis, contre un mysticisme enfantin, une piété trop tendre dont il lui avait appris à rougir en lui dénonçant le péril d’une certaine ostentation, qu’elle était déjà trop portée elle-même à mépriser ? Comme l’abbé Chevance l’avait, depuis, rassurée ! Comme il avait su toucher ses scrupules, les dénouer d’une main légère, la remettre doucement en route, par un petit chemin sûr, discret, qui ne fait envie à personne ! Certes, elle n’avait tenu sa paix fragile que de la tendre sollicitude du vieux prêtre… Au chevet même du lit de mort de ce juste, elle s’était sentie, non pas déjà révoltée sans doute, mais tirée hors d’elle-même, tentée par elle ne savait quoi de si grave et de si fort, un sacrifice total, ô chimère ! Et dès lors…

« J’étais ici à cinq heures, se disait-elle sans oser quitter la glace des yeux, comme si elle eût craint de perdre ainsi la preuve, l’unique preuve, la preuve décisive, de son affreuse aventure. Je venais de donner à Mama son thé et ses rôties. Voilà maintenant huit heures et demie… Pourtant je suis bien sûre de n’avoir pas dormi… Et je me suis retrouvée tout à l’heure, quand il m’a touché l’épaule, à la même place, les bras en croix, est-ce possible ! » La contracture de ses muscles était encore si douloureuse qu’elle ne pouvait remuer les jambes, de peur de tomber. Son misérable regard obscurci, incertain, sitôt qu’elle déplaçait le globe oculaire, était zébré d’éclairs fulgurants. « Jamais je ne pourrai descendre l’escalier toute seule, jamais ! Ils me trouveront là, ils vont venir ? » Elle se souvenait d’avoir entendu dire par le docteur Michauld que Mme de Clergerie, quelques semaines avant sa mort, au dernier degré de l’épuisement nerveux, avait souffert de crises léthargiques, les mêmes sans doute, ou de même nature. Pas une minute, bien que l’incomparable joie remuât toujours au fond de son cœur, elle n’aurait pu songer à donner un sens moins humiliant à la découverte qu’elle venait de faire. Elle savait trop l’excellence des dons de Dieu, leur rareté. Elle n’ignorait rien de leurs contrefaçons grossières qui troublaient si fort l’honnêteté de l’abbé Chevance, et dont il parlait avec tant de mépris – trop de mépris peut-être ? – les simulacres, les attitudes demi-sincères, et pis encore : les tares plus secrètes, mi-spirituelles, mi-charnelles, comme à la jointure du corps et de l’esprit, que la science a gravement classées, cataloguées, dévastant pour les nommer le jardin des racines grecques, et néanmoins déjà si familières aux vieux mystiques néerlandais du XIIe ou du XIIIe siècle, qui ne devaient rien à l’étrange érudition de Sigmund Freud. Trop simple aussi, trop indifférente à soi-même, trop protégée contre un premier mouvement de l’amour-propre déçu pour imaginer de mettre l’ange noir en tiers dans sa lamentable aventure. D’ailleurs, elle ne s’était jamais beaucoup souciée du diable ni de ses prestiges, assurée de lui échapper par l’excès de sa petitesse, car celui dont la patience pénètre tant de choses, l’immense regard béant dont l’avidité est sans mesure, qui a couvé de sa haine la gloire même de Dieu, scrute en vain, depuis des siècles, de toute son attention colossale, retourne en vain dans ses brasiers, ainsi qu’une petite pierre inaltérable, la très pure et très chaste humilité.

Ce que fut pour elle ce court moment, qui le sait ? La seule surprise peut prendre en défaut une volonté magnanime, mais en plein désordre de son cœur et de sa raison, par un mouvement de l’âme plus fort que sa terreur ou sa honte, la pauvre enfant crut comprendre qu’elle était perdue, si elle ne rompait aussitôt le cercle enchanté. Elle s’approcha plus près de la glace, posa ses coudes sur le marbre et toute tremblante encore s’efforça de sourire, sourit à son image livide. Ce visage tragique, tendu par l’angoisse, lui inspirait moins de pitié que de dégoût. « j’aurai pris parti avant de descendre, se dit-elle, il faut que je prenne parti, maintenant ou jamais… D’abord, je suis ridicule… Cette histoire est ridicule. » Elle se souvint d’une tentation qu’elle avait eue, confiée jadis à l’abbé Chevance avec tant de larmes – et il l’avait écoutée en souriant, exactement comme elle venait à l’instant de sourire elle-même. Puis il lui avait dit, si doucement : « Allez dîner ! Voilà sept heures. Ne faites pas attendre M. de Clergerie pour ça ! » Et elle l’avait quitté en paix. « Pourquoi prendre parti ? Je ne prendrai pas parti du tout, à quoi bon ? C’est aussi l’heure de dîner ! » Elle savait la charmante réponse de Louis de Gonzague à ses petits camarades qui, à la récréation, s’interrogeaient entre eux : « Que ferions-nous si l’on nous annonçait la fin du monde, dans un quart d’heure ? – Je voudrais finir cette partie de marelle », disait-il. Le sang battait de nouveau à ses tempes, et elle frottait ses joues, pour les rougir plus vite, du bout de ses doigts aigus. « Ce n’est rien, peut-être moins que rien. Cela m’a seulement bien humiliée. Je me croyais encore trop sage. Qu’importe à Dieu une courbature de plus ou de moins ? Il est bon d’être faible entre ses mains… Il est meilleur d’être faible. Et qui est plus faible que moi désormais ? Je ne puis plus espérer de me conduire seule, à la lettre. Je suis à la merci de ce Russe ! » Elle essaya de rire, mais elle avait cette fois trop présumé de ses forces : en un éclair, elle revit l’inconnu debout près d’elle, le regard louche, et le déchirement de sa pudeur fut si douloureux qu’elle étouffa un cri : « C’est ma faute, balbutia-t-elle, tandis que ses doigts tremblaient sur la houppette à poudre, il faut tout prévoir, il faut prévoir le pire, s’y résigner par avance et n’y plus songer. À présent, quoi, ce qui est fait est fait. Naturellement, il n’est pas si facile qu’on croit de garder la simplicité de sa vie, mais les complications viennent du dehors, toujours. La simplicité vient du dedans. Qu’ai-je à faire de plus simple que d’aller rassurer mon monde, et dîner ? Me voilà maintenant présentable. Heureusement, Annette a laissé ici son rouge : je suis fardée comme une danseuse… Pourvu que Mama ne s’aperçoive de rien, ni Francine ! Elles se ressemblent un peu : elles ont un œil sur chacun de nous, et pas tellement indulgentes non plus. Jeudi, j’avouerai tout au doyen d’Idouville, à la grâce de Dieu : il va dire que j’ai rêvé, que je suis folle, que le pauvre abbé Chevance m’a tourné la tête. Tant pis ! cela vaut mieux que d’honorer Dieu par des crises de nerfs et des pâmoisons, comme les maniaques, et de scandaliser le prochain… Un doux prodige, un conte d’enfant, plus blanc que la neige. Quelle horreur ! »

Elle descendait déjà l’escalier en chancelant, sa petite main si crispée sur la rampe qu’elle devait faire effort à chaque marche pour en desserrer les doigts. Par la porte ouverte du vestibule, le bruit discret des conversations venait jusqu’à ses oreilles, étrangement grossi. Elle continuait à se parler à elle-même, tout bas, presque tendrement, comme on rassure un enfant ou un fou. Était-elle alors sincère, absolument ? Condamnait-elle avec tant de dureté, rejetait-elle sans remords, une fois pour toutes, ce qui – elle le sentait bien à présent – avait été depuis tant de semaines sa nourriture mystérieuse ?… « Méfiez-vous de ce qui trouble ! » L’ordre si souvent répété de son vieil ami l’abbé Chevance retentissait encore dans son cœur. Rien n’égale en profondeur la première révolte d’une âme pure contre les entreprises de l’Esprit. Qu’elle fût troublée, qu’elle l’eût été depuis longtemps à son insu, elle n’en pouvait maintenant douter. Que demander de plus lorsque le corps vient d’attester la défaillance de l’être ? Trop sage pour s’emporter en vains scrupules qui eussent resserré ses chaînes, elle ne souhaitait que reprendre sa tâche quotidienne, l’exercice des devoirs simples, définis, authentiques, rentrer dans la vie mortifiée, asile universel, lieu unique, ouvert aux saints et aux pécheurs, où elle sentait le repos, ainsi qu’une brebis perdue sous l’orage… Mais tandis qu’elle descendait lentement vers les lumières et les voix, l’idée de la solitude où elle allait s’enfoncer malgré elle, où sans doute elle devrait mourir, lui revint avec une telle force qu’elle s’arrêta naïvement, comme si son misérable destin eût dépendu de ce pas. Hélas ! s’il était vrai qu’elle ne fût qu’une malade, l’une d’entre ces pauvresses que trahissent la chair et le sang, qui amusent la curiosité des psychologues et des médecins, et dont les vraies servantes de Dieu parlent avec moins de pitié que d’aversion, que lui resterait-il donc en propre ? Rien. Pas même sa prière, pas un seul battement de son cœur. Cette pensée la traversa d’outre en outre, elle en sentit littéralement le trait éblouissant. Il n’était rien d’elle qu’elle pût désormais offrir à Dieu sans crainte, sans réserves, ou même sans honte. La perfection, l’excellence de ce dénuement, la toute-puissance de Dieu sur une pauvreté si lamentable, la certitude de dépendre presque entièrement de ce que les hommes ont nommé hasard, et qui n’est que l’une des formes plus secrètes de la divine pitié, tout cela lui apparut ensemble pour l’accabler d’une tristesse pleine d’amour, où éclata tout à coup la joie splendide… Alors elle se mit à fuir vers la lumière et les voix, ne s’arrêta qu’au seuil de la porte, une main sur sa jeune poitrine, les joues roses, les yeux brillants, et si claire que M. de Clergerie s’écria :

– Je n’ai pas le courage de te gronder. Comme tu lui ressembles ! Comme tu ressembles à ta mère ! Ce long sommeil t’a fait du bien.

Mais comme Fernande se plaignait trop amèrement d’un retard qui lui avait fait rater son dîner, elle courut en riant à la cuisine et recommença le soufflé au chocolat.

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