Oeuvres completès de Paul Verlaine

SCÈNE III

MYRTIL, ROSALINDE

ROSALINDE

Parlez-moi.

MYRTIL

De quoi voulez-vous donc que je cause ?
Du passé ? Cela vous ennuierait, et pour cause.
Du présent ? A quoi bon, puisque nous y voilà ?
De l’avenir ? Laissons en paix ces choses-là !

ROSALINDE

Parlez-moi du passé.

MYRTIL

Pourquoi ?

ROSALINDE

C’est mon caprice.
Et fiez-vous à la mémoire adulatrice
Qui va teinter d’azur les plus mornes jadis
Et masque les enfers anciens en paradis.

MYRTIL

Soit donc ! J’évoquerai, ma chère, pour vous plaire,
Ce morne amour qui fut, hélas ! notre chimère,
Regrets sans fin, ennuis profonds, poignants remords,
Et toute la tristesse atroce des jours morts ;
Je dirai nos plus beaux espoirs déçus sans cesse,
Ces deux cœurs dévoués jusques à la bassesse
Et soumis l’un à l’autre, et puis, finalement,
Pour toute récompense et tout remerciement,
Navrés, martyrisés, bafoués l’un par l’autre,
Ma folle jalousie étreinte par la vôtre,
Vos soupçons complétant l’horreur de mes soupçons,
Toutes vos trahisons, toutes mes trahisons !
Oui, puisque ce passé vous flatte et vous agrée,
Ce passé que je lis tracé comme à la craie
Sur le mur ténébreux du souvenir, je veux,
Ce passé tout entier, avec ses désaveux
Et ses explosions de pleurs et de colère,
Vous le redire, afin, ma chère, de vous plaire !

ROSALINDE

Savez-vous que je vous trouve admirable, ainsi
Plein d’indignation élégante ?

MYRTIL, irrité.

Merci !

ROSALINDE

Vous vous exagérez aussi par trop les choses.
Quoi ! pour un peu d’ennui, quelques heures moroses,
Vous lamenter avec ce courroux enfantin !
Moi je rends grâce au dieu qui me fit ce destin
D’avoir aimé, d’aimer l’ingrat, d’aimer encore
L’ingrat qui tient de sots discours, et qui m’adore
Toujours, ainsi, qu’il sied d’ailleurs en ce pays
De Tendre. Oui ! Car malgré vos regards ébahis
Et vos bras de poupée inerte, je suis sûre
Que vous gardez toujours ouverte la blessure
Faite par ces yeux-ci, boudeur, à ce cœur-là.

MYRTIL, attendri.

Pourtant le jour où cet amour m’ensorcela
Vous fut autant qu’à moi funeste, mon amie.
Croyez-moi, réveiller la tendresse endormie,
C’est téméraire, et mieux vaudrait pieusement
Respecter jusqu’au bout son assoupissement
Qui ne peut que finir par la mort naturelle.

ROSALINDE

Fou ! par quoi pouvons-nous vivre, sinon par elle ?

MYRTIL, sincère.

Alors, mourons !

ROSALINDE

Vivons plutôt ! Fût-ce à tout prix !
Quant à moi, vos aigreurs, vos fureurs, vos mépris,
Qui ne sont, je le sais, qu’un dépit éphémère,
Et cet orgueil qui rend votre parole amère,
J’en veux faire litière à mon amour têtu,
Et je vous aimerai quand même, m’entends-tu ?

MYRTIL

Vous êtes mutinée…

ROSALINDE

Allons, laissez-vous faire !

MYRTIL, cédant.

Donc, il le faut !

ROSALINDE

Venez cueillir la primevère
De l’amour renaissant timide après l’hiver.
Quittez ce front chagrin, souriez comme hier
A ma tendresse entière et grande, en cor qu’ancienne !

MYRTIL

Ah ! toujours tu m’auras mené, magicienne !

(Ils sortent. Rentrent Sylvandre et Chloris.)

 

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