La Dame de Monsoreau – Tome III

La Dame de Monsoreau – Tome III

d’ Alexandre Dumas
Chapitre 1 Ce que venait annoncer M. Le Comte de Monsoreau.

Monsoreau marchait de surprise en surprise : le mur de Méridor rencontré comme par enchantement,ce cheval caressant le cheval qui l’avait amené, comme s’il eût été de sa plus intime connaissance, il y avait certes là de quoi faire réfléchir les moins soupçonneux. En s’approchant, et l’on devine si M. de Monsoreau s’approcha vivement ; en s’approchant, il remarqua la dégradation du mur à cet endroit ; c’était une véritable échelle, qui menaçait de devenir une brèche ; les pieds semblaient s’être creusé des échelons dans la pierre, et les ronces, arrachées fraîchement,pendaient à leurs branches meurtries.

Le comte embrassa tout l’ensemble d’un coup d’œil, puis, de l’ensemble, il passa aux détails.

Le cheval méritait le premier rang, il l’obtint.

L’indiscret animal portait une selle garnie d’une housse brodée d’argent. Dans un des coins était un double F,entrelaçant un double A.

C’était, à n’en pas douter, un cheval des écuries du prince, puisque le chiffre faisait : François d’Anjou.

Les soupçons du comte, à cette vue, devinrentde véritables alarmes. Le duc était donc venu de ce côté ; ily venait donc souvent, puisque, outre le cheval attaché, il y enavait un second qui savait le chemin.

Monsoreau conclut, puisque le hasard l’avaitmis sur cette piste, qu’il fallait suivre cette piste jusqu’aubout.

C’était d’abord dans ses habitudes de grandveneur et de mari jaloux.

Mais, tant qu’il resterait de ce côté du mur,il était évident qu’il ne verrait rien.

En conséquence, il attacha son cheval près ducheval voisin, et commença bravement l’escalade.

C’était chose facile : un pied appelaitl’autre, la main avait ses places toutes faites pour se poser, lacourbe du bras était dessinée sur les pierres à la surface de lacrête du mur, et l’on avait soigneusement élagué, avec un couteaude chasse, un chêne, dont, à cet endroit, les rameauxembarrassaient la vue et empêchaient le geste.

Tant d’efforts furent couronnés d’un entiersuccès. M. de Monsoreau ne fut pas plutôt établi à sonobservatoire, qu’il aperçut, au pied d’un arbre, une mantille bleueet un manteau de velours noir. La mantille appartenait sansconteste à une femme, et le manteau noir à un homme ;d’ailleurs, il n’y avait point à chercher bien loin, l’homme et lafemme se promenaient à cinquante pas de là, les bras enlacés,tournant le dos au mur, et cachés d’ailleurs par le feuillage dubuisson.

Malheureusement pourM. de Monsoreau, qui n’avait pas habitué le mur à sesviolences, un moellon se détacha du chaperon et tomba, brisant lesbranches, jusque sur l’herbe : là, il retentit avec un échomugissant.

À ce bruit, il paraît que les personnages dontle buisson cachait les traits à M. de Monsoreau seretournèrent et l’aperçurent, car un cri de femme aigu etsignificatif se fit entendre, puis un frôlement dans le feuillageavertit le comte qu’ils se sauvaient comme deux chevreuilseffrayés.

Au cri de la femme, Monsoreau avait senti lasueur de l’angoisse lui monter au front : il avait reconnu lavoix de Diane.

Incapable dès lors de résister au mouvement defureur qui l’emportait, il s’élança du haut du mur, et, son épée àla main, se mit à fendre buissons et rameaux pour suivre lesfugitifs.

Mais tout avait disparu, rien ne troublaitplus le silence du parc ; pas une ombre au fond des allées,pas une trace dans les chemins, pas un bruit dans les massifs, sice n’est le chant des rossignols et des fauvettes, qui, habitués àvoir les deux amants, n’avaient pu être effrayés par eux.

Que faire en présence de la solitude ?que résoudre ? où courir ? Le parc était grand ; onpouvait, en poursuivant ceux qu’on cherchait, rencontrer ceux quel’on ne cherchait pas.

M. de Monsoreau songea que ladécouverte qu’il avait faite suffisait pour le moment ;d’ailleurs, il se sentait lui-même sous l’empire d’un sentimenttrop violent pour agir avec la prudence qu’il convenait de déployervis-à-vis d’un rival aussi redoutable que l’était François ;car il ne doutait pas que ce rival ne fût le prince. Puis, si, parhasard, ce n’était pas lui, il avait près du duc d’Anjou unemission pressée à accomplir ; d’ailleurs, il verrait bien, ense retrouvant près du prince, ce qu’il devait penser de saculpabilité ou de son innocence.

Puis, une idée sublime lui vint. C’était defranchir le mur à l’endroit même où il l’avait déjà escaladé, etd’enlever avec le sien le cheval de l’intrus surpris par lui dansle parc.

Ce projet vengeur lui donna des forces ;il reprit sa course et arriva au pied du mur, haletant et couvertde sueur.

Alors, s’aidant de chaque branche, il parvintau faîte et retomba de l’autre côté ; mais, de l’autre côté,plus de cheval, ou, pour mieux dire, plus de chevaux. L’idée qu’ilavait eue était si bonne, qu’avant de lui venir, à lui, elle étaitvenue à son ennemi, et que son ennemi en avait profité.

M. de Monsoreau, accablé, laissaéchapper un rugissement de rage, montrant le poing à ce démonmalicieux, qui, bien certainement, riait de lui dans l’ombre déjàépaisse du bois ; mais, comme chez lui la volonté n’était pasfacilement vaincue, il réagit contre les fatalités successives quisemblaient prendre à tâche de l’accabler : en s’orientant àl’instant même, malgré la nuit qui descendait rapidement, il réunittoutes ses forces et regagna Angers par un chemin de traverse qu’ilconnaissait depuis son enfance.

Deux heures et demie après, il arrivait à laporte de la ville, mourant de soif, de chaleur et de fatigue :mais l’exaltation de la pensée avait donné des forces au corps, etc’était toujours le même homme volontaire et violent à la fois.

D’ailleurs, une idée le soutenait : ilinterrogerait la sentinelle, ou plutôt les sentinelles ; ilirait de porte en porte ; il saurait par quelle porte un hommeétait entré avec deux chevaux ; il viderait sa bourse, ilferait des promesses d’or, et il connaîtrait le signalement de cethomme. Alors, quel qu’il fût, prochainement ou plus tard, cet hommelui payerait sa dette.

Il interrogea la sentinelle ; mais lasentinelle venait d’être placée et ne savait rien. Il entra aucorps de garde et s’informa : le milicien qui descendait degarde avait vu, il y avait deux heures à peu près, rentrer uncheval sans maître, qui avait repris tout seul le chemin dupalais.

Il avait alors pensé qu’il était arrivéquelque accident au cavalier, et que le cheval intelligent avaitregagné seul le logis.

Monsoreau se frappa le front : il étaitdécidé qu’il ne saurait rien.

Alors il s’achemina à son tour vers le châteauducal.

Là, grande vie, grand bruit, grandejoie ; les fenêtres resplendissaient comme des soleils, et lescuisines reluisaient comme des fours embrasés, envoyant par leurssoupiraux des parfums de venaison et de girofle capables de faireoublier à l’estomac qu’il est voisin du cœur.

Mais les grilles étaient fermées, et là unedifficulté se présenta : il fallait se les faire ouvrir.

Monsoreau appela le concierge et senomma ; mais le concierge ne voulut point le reconnaître.

– Vous étiez droit, et vous êtes voûté,lui dit-il.

– C’est la fatigue.

– Vous étiez pâle, et vous êtesrouge.

– C’est la chaleur.

– Vous étiez à cheval, et vous rentrezsans cheval.

– C’est que mon cheval a eu peur, a faitun écart, m’a désarçonné et est rentré sans cavalier. N’avez-vouspas vu mon cheval ?

– Ah ! si fait, dit leconcierge.

– En tout cas, allez prévenir lemajordome.

Le concierge, enchanté de cette ouverture quile déchargeait de toute responsabilité, envoya prévenirM. Remy.

M. Remy arriva, et reconnut parfaitementMonsoreau.

– Et d’où venez-vous, mon Dieu !dans un pareil état ? lui demanda-t-il.

Monsoreau répéta la même fable qu’il avaitdéjà faite au concierge.

– En effet, dit le majordome, nous avonsété fort inquiets, quand nous avons vu arriver le cheval sanscavalier ; monseigneur surtout, que j’avais eu l’honneur deprévenir de votre arrivée.

– Ah ! monseigneur a paruinquiet ? fit Monsoreau.

– Fort inquiet.

– Et qu’a-t-il dit ?

– Qu’on vous introduisît près de luiaussitôt votre arrivée.

– Bien ! le temps de passer àl’écurie seulement, voir s’il n’est rien arrivé au cheval de SonAltesse.

Et Monsoreau passa à l’écurie, et reconnut, àla place où il l’avait pris, l’intelligent animal, qui mangeait encheval qui sent le besoin de réparer ses forces.

Puis, sans même prendre le soin de changer decostume, – Monsoreau pensait que l’importance de la nouvelle qu’ilapportait devait l’emporter sur l’étiquette, – sans même changer,disons-nous, le grand veneur se dirigea vers la salle à manger.

Tous les gentilshommes du prince, et SonAltesse elle-même, réunis autour d’une table magnifiquement servieet splendidement éclairée, attaquaient les pâtés de faisans, lesgrillades fraîches de sanglier et les entremets épicés, qu’ilsarrosaient de ce vin noir de Cahors si généreux et si velouté, oude ce perfide, suave et pétillant vin d’Anjou, dont les fuméess’extravasent dans la tête avant que les topazes qu’il distilledans le verre soient tout à fait épuisées.

– La cour est au grand complet, disaitAntraguet, rose comme une jeune fille et déjà ivre comme un vieuxreître ; au complet comme la cave de Votre Altesse.

– Non pas, non pas, dit Ribérac, il nousmanque un grand veneur. Il est, en vérité, honteux que nousmangions le dîner de Son Altesse, et que nous ne le prenions pasnous-mêmes.

– Moi, je vote pour un grand veneurquelconque, dit Livarot ; peu importe lequel, fût-ceM. de Monsoreau.

Le duc sourit, il savait seul l’arrivée ducomte.

Livarot achevait à peine sa phrase et leprince son sourire que la porte s’ouvrit et queM. de Monsoreau entra.

Le duc fit, en l’apercevant, une exclamationd’autant plus bruyante, qu’elle retentit au milieu du silencegénéral.

– Eh bien ! le voici, dit-il, vousvoyez que nous sommes favorisés du ciel, messieurs, puisque le cielnous envoie à l’instant ce que nous désirons.

Monsoreau, décontenancé de cet aplomb duprince, qui, dans les cas pareils, n’était pas habituel à SonAltesse, salua d’un air assez embarrassé et détourna la tête,ébloui comme un hibou tout à coup transporté de l’obscurité augrand soleil.

– Asseyez-vous là et soupez, dit le ducen montrant à M. de Monsoreau une place en face delui.

– Monseigneur, répondit Monsoreau, j’aibien soif, j’ai bien faim, je suis bien las ; mais je neboirai, je ne mangerai, je ne m’assoirai qu’après m’être acquittéprès de Votre Altesse d’un message de la plus haute importance.

– Vous venez de Paris, n’est-cepas ?

– En toute hâte, monseigneur.

– Eh bien ! j’écoute, dit leduc.

Monsoreau s’approcha de François, et, lesourire sur les lèvres, la haine dans Je cœur, il lui dit toutbas :

– Monseigneur, madame la reine mères’avance à grandes journées ; elle vient voir VotreAltesse.

Le duc, sur qui chacun avait les yeux fixés,laissa percer une joie soudaine.

– C’est bien, dit-il, merci. Monsieur deMonsoreau, aujourd’hui comme toujours, je vous trouve fidèleserviteur ; continuons de souper, messieurs.

Et il rapprocha de la table son fauteuil qu’ilavait éloigné un instant pour écouterM. de Monsoreau.

Le festin recommença ; le grand veneur,placé entre Livarot et Ribérac, n’eut pas plutôt goûté les douceursd’un bon siège, et ne se fut pas plutôt trouvé en face d’un repascopieux, qu’il perdit tout à coup l’appétit.

L’esprit reprenait le dessus sur lamatière.

L’esprit, entraîné dans de tristes pensées,retournait au parc de Méridor, et, faisant de nouveau le voyage quele corps brisé venait d’accomplir, repassait, comme un pèlerinattentif, par ce chemin fleuri qui l’avait conduit à lamuraille.

Il revoyait le cheval hennissant ; ilrevoyait le mur dégradé ; il revoyait les deux ombresamoureuses et fuyantes ; il entendait le cri de Diane, ce criqui avait retenti au plus profond de son cœur.

Alors, indifférent au bruit, à la lumière, aurepas même, oubliant à côté de qui et en face de qui il setrouvait, il s’ensevelissait dans sa propre pensée, laissant sonfront se couvrir peu à peu de nuages, et chassant de sa poitrine unsourd gémissement qui attirait l’attention des convivesétonnés.

– Vous tombez de lassitude, monsieur legrand veneur, dit le prince ; en vérité, vous feriez biend’aller vous coucher.

– Ma foi, oui, dit Livarot, le conseilest bon, et, si vous ne le suivez pas, vous courez grand risque devous endormir dans votre assiette.

– Pardon, monseigneur, dit Monsoreau enrelevant la tête ; en effet, je suis écrasé de fatigue.

– Enivrez-vous, comte, dit Antraguet,rien ne délasse comme cela.

– Et puis, murmura Monsoreau, ens’enivrant on oublie.

– Bah ! dit Livarot, il n’y a pasmoyen ; voyez, messieurs, son verre est encore plein.

– À votre santé, comte, dit Ribérac enlevant son verre.

Monsoreau fut forcé de faire raison augentilhomme, et vida le sien d’un seul trait.

– Il boit cependant très bien ;voyez, monseigneur, dit Antraguet.

– Oui, répondit le prince, qui essayaitde lire dans le cœur du comte ; oui, à merveille.

– Il faudra cependant que vous nousfassiez faire une belle chasse, comte, dit Ribérac ; vousconnaissez le pays.

– Vous y avez des équipages, des bois,dit Livarot.

– Et même une femme, ajoutaAntraguet.

– Oui, répéta machinalement le comte,oui, des équipages, des bois et madame de Monsoreau, oui,messieurs, oui.

– Faites-nous chasser un sanglier, comte,dit le prince.

– Je tâcherai, monseigneur.

– Eh ! pardieu, dit un desgentilshommes angevins, vous tâcherez, voilà une belleréponse ! le bois en foisonne, de sangliers. Si je chassais auvieux taillis, je voudrais, au bout de cinq minutes, en avoir faitlever dix.

Monsoreau pâlit malgré lui ; le vieuxtaillis était justement cette partie du bois où Roland venait de leconduire.

– Ah ! oui, oui, demain,demain ! s’écrièrent en chœur les gentilshommes.

– Voulez-vous demain, Monsoreau ?demanda le duc.

– Je suis toujours aux ordres de VotreAltesse, répondit Monsoreau ; mais cependant, commemonseigneur daignait le remarquer il n’y a qu’un instant, je suisbien fatigué pour conduire une chasse demain. Puis, j’ai besoin devisiter les environs et de savoir où en sont nos bois.

– Et puis, enfin, laissez-lui voir safemme, que diable ! dit le duc avec une bonhomie quiconvainquit le pauvre mari que le duc était son rival.

– Accordé ! accordé ! crièrentles jeunes gens avec gaieté. Nous donnons vingt-quatre heures àM. de Monsoreau pour faire, dans ses bois, tout ce qu’ila à y faire.

– Oui, messieurs, donnez-les-moi, dit lecomte, et je vous promets de les bien employer.

– Maintenant, notre grand veneur, dit leduc, je vous permets d’aller trouver votre lit. Que l’on conduiseM. de Monsoreau à son appartement !

M. de Monsoreau salua et sortit,soulagé d’un grand fardeau, la contrainte.

Les gens affligés aiment la solitude plusencore que les amants heureux.

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