Oeuvres completès de Paul Verlaine

SCÈNE IV

SYLVANDRE, CHLORIS

CHLORIS, courant.

Non !

SYLVANDRE

Si !

CHLORIS

Je ne veux pas…

SYLVANDRE, la baisant sur la nuque.

Dites : je ne veux plus !

(La tenant embrassée.)

Mais voici, j’ai fixé vos vœux irrésolus
Et le milan affreux tient la pauvre hirondelle.

CHLORIS

Fi ! l’action vilaine ! Au moins rougissez d’elle !

Mais non ! Il rit, il rit !

(Pleurnichant pour rire.)

Ah, oh, hi, que c’est mal !

SYLVANDRE

Tarare ! mais le seul état vraiment normal,
C’est le nôtre, c’est, fous l’un de l’autre, gais, libres,
Jeunes, et méprisant tous autres équilibres
Quelconques, qui ne sont que cloche-pieds piteux,
D’avoir deux cœurs pour un, et, chère âme, un pour deux !

CHLORIS

Que voilà donc, Monsieur l’amant, de beau langage !
Vous êtes procureur ou poète, je gage,
Pour ainsi discourir, sans rire, obscurément.

SYLVANDRE

Vous vous moquez avec un babil très charmant,
Et me voici deux fois épris de ma conquête :
Tant d’éclat en vos yeux jolis, et dans la tête
Tant d’esprit ! Du plus fin encore, s’il vous plaît.

CHLORIS.

Et si je vous trouvais par hasard bête et laid,
Fier conquérant fictif, grand vainqueur en peinture ?

SYLVANDRE

Alors, n’eussiez-vous pas arrêté l’aventure
De tantôt, qui semblait exclure tout dégoût
Conçu par vous, à mon détriment, après tout ?

CHLORIS

O la fatuité des hommes qu’on n’évince
Pas sur-le-champ ! Allez, allez, la preuve est mince
Que vous invoquez là d’un penchant présumé
De mon cœur pour le vôtre, aspirant bien-aimé.
— Au fait, chacun de nous vainement déblatère
Et, tenez, je vais dire mon caractère,
Pour qu’étant à la fin bien au courant de moi
Si vous souffrez, du moins vous connaissiez pourquoi,
Sachez donc…

SYLVANDRE

Que je meure ici, ma toute belle,
Si j’exige…

CHLORIS

— Sachez d’abord vous taire. — Or celle
Qui vous parle est coquette et folle. Oui, je le suis.
J’aime les jours légers et les frivoles nuits ;
J’aime un ruban qui m’aille, un amant qui me plaise,
Pour les bien détester après tout à mon aise.
Vous, par exemple, vous, Monsieur, que je n’ai pas
Naguère tout à fait traité de haut en bas,
Me dussiez-vous tenir pour la pire pécore,
Eh bien, je ne sais pas si je vous souffre encore !

SYLVANDRE, souriant.

Dans le doute…

CHLORIS, coquette, s’enfuyant.

« Abstiens-toi », dit l’autre. Je m’abstiens.

SYLVANDRE, presque naïf.

Ah ! c’en est trop, je souffre et je m’en vais pleurer.

CHLORIS, touchée, mais gaie.

Viens,
Enfant, mais souviens-toi que je suis infidèle
Souvent, ou bien plutôt, capricieuse. Telle
Il faut me prendre. Et puis, voyez-vous, nous voici
Tous deux bien amoureux, — car je vous aime aussi, —
Là ! voilà le gros mot lâché ! Mais…

SYLVANDRE

O cruelle
Réticence !

CHLORIS

Attendez la fin, pauvre cervelle.
Mais, dirai-je, malgré tous nos transports et tous
Nos serments mutuels, solennels, et jaloux
D’être éternels, un dieu malicieux préside
Aux autels de Paphos —

(Sur un geste de dénégation de Sylvandre.)

C’est un fait — et de Gnide.
Telle est la loi qu’Amour à nos cœurs révéla.
L’on n’a pas plutôt dit ceci qu’on fait cela.
Plus tard on se repend, c’est vrai, mais le parjure
A des ailes, et comme il perdrait sa gageure
Celui qui poursuivrait un mensonge envolé !
Qu’y faire ? Promener son souci désolé,
Bras ballants, yeux rougis, la tête décoiffée,
A travers monts et vaux, ainsi qu’une autre Orphée,
Gonfler l’air de soupirs et l’Océan de pleurs
Par l’indiscrétion de bavardes douleurs ?
Non, cent fois non ! Plutôt aimer à l’aventure
Et ne demander pas l’impossible à Nature !
Nous voici, venez-vous de dire, bien épris
L’un et l’autre, soyons heureux, faisons mépris
De tout ce qui n’est pas notre douce folie !
Deux cœurs pour un, un cœur pour deux… je m’y rallie,
Me voici vôtre, tienne !… Etes-vous rassuré ?
Tout à l’heure j’avais mille fois tort, c’est vrai,
D’ainsi bouder un cœur offert de bonne grâce,
Et c’est moi qui reviens à vous, de guerre lasse.
Donc aimons-nous. Prenez mon cœur avec ma main,
Mais, pour Dieu, n’allons pas songer au lendemain,
Et si ce lendemain doit ne pas être aimable,
Sachons que tout bonheur repose sur le sable,
Qu’en amour il n’est pas de malhonnêtes gens,
Et surtout soyons-nous l’un à l’autre indulgents.
Cela vous plaît ?

SYLVANDRE

Cela me plairait si…

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