Bel Ami

Et, brusquement, elle s’écarta. Ce fut sur sa
tête une douleur courte et vive comme si on lui
eût piqué la peau avec des aiguilles. Son cœur
battait ; elle était contente d’avoir souffert un peu
par lui.
– Adieu ! dit-elle.
Il la prit dans ses bras avec un sourire
compatissant et lui baisa les yeux froidement.
Mais elle, affolée par ce contact, murmura
encore une fois : « Déjà ! » Et son regard
suppliant montrait la chambre dont la porte était
ouverte.
Il l’éloigna de lui, et d’un ton pressé :
– Il faut que je me sauve, je vais arriver en
retard.
Alors elle lui tendit ses lèvres qu’il effleura à
peine, et lui ayant donné son ombrelle qu’elle
oubliait, il reprit :
– Allons, allons, dépêchons-nous, il est plus de
trois heures.

Elle sortit devant lui ; elle répétait :

– Demain, sept heures.
Il répondit :
– Demain, sept heures.
Ils se séparèrent. Elle tourna à droite, et lui à
gauche.
Du Roy remonta jusqu’au boulevard extérieur.
Puis, il redescendit le boulevard Malesherbes,
qu’il se mit à suivre, à pas lents. En passant
devant un pâtissier, il aperçut des marrons glacés
dans une coupe de cristal, et il pensa : « Je vais
en rapporter une livre pour Clotilde. » Il acheta
un sac de ces fruits sucrés qu’elle aimait à la
folie.
À quatre heures, il était rentré pour attendre sa
jeune maîtresse.
Elle vint un peu en retard parce que son mari
était arrivé pour huit jours. Elle demanda :
– Peux-tu venir dîner demain ? Il serait
enchanté de te voir.
– Non, je dîne chez le patron. Nous avons un

tas de combinaisons politiques et financières qui
nous occupent.
Elle avait enlevé son chapeau. Elle ôtait
maintenant son corsage qui la serrait trop.
Il lui montra le sac sur la cheminée :
– Je t’ai apporté des marrons glacés.
Elle battit des mains :
– Quelle chance ! comme tu es mignon.
Elle les prit, en goûta un, et déclara :
– Ils sont délicieux. Je sens que je n’en
laisserai pas un seul.
Puis elle ajouta en regardant Georges avec une
gaieté sensuelle :
– Tu caresses donc tous mes vices ?
Elle mangeait lentement les marrons et jetait
sans cesse un coup d’œil au fond du sac pour voir
s’il en restait toujours.
Elle dit :
– Tiens, assieds-toi dans le fauteuil, je vais
m’accroupir entre tes jambes pour grignoter mes

bonbons. Je serai très bien.
Il sourit, s’assit, et la prit entre ses cuisses
ouvertes comme il tenait tout à l’heure
Mme Walter.
Elle levait la tête vers lui pour lui parler, et
disait, la bouche pleine :
– Tu ne sais pas, mon chéri, j’ai rêvé de toi,
j’ai rêvé que nous faisions un grand voyage, tous
les deux, sur un chameau. Il avait deux bosses,
nous étions à cheval chacun sur une bosse, et
nous traversions le désert. Nous avions emporté
des sandwiches dans un papier et du vin dans une
bouteille et nous faisions la dînette sur nos
bosses. Mais ça m’ennuyait parce que nous ne
pouvions pas faire autre chose, nous étions trop
loin l’un de l’autre, et moi je voulais descendre.
Il répondit :
– Moi aussi je veux descendre.
Il riait, s’amusant de l’histoire, il la poussait à
dire des bêtises, à bavarder, à raconter tous ces
enfantillages, toutes ces niaiseries tendres que
débitent les amoureux. Ces gamineries, qu’il

trouvait gentilles dans la bouche de Mme de
Marelle, l’auraient exaspéré dans celle de
Mme Walter.

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