Voyant qu’elle ne disait rien, il reprit :
– Tu ne te figures pas combien j’ai souffert
avant d’arriver à cette résolution. Mais je n’ai ni
situation ni argent. Je suis seul, perdu dans Paris.
Il me fallait auprès de moi quelqu’un qui fût
surtout un conseil, une consolation et un soutien.
C’est une associée, une alliée que j’ai cherchée et
que j’ai trouvée !
Il se tut, espérant qu’elle répondrait,
s’attendant à une colère furieuse, à des violences,
à des injures.
Elle avait appuyé une main sur son cœur
comme pour le contenir et elle respirait toujours
par secousses pénibles qui lui soulevaient les
seins et lui remuaient la tête.
Il prit la main restée sur le bras du fauteuil,
mais elle la retira brusquement. Puis elle
murmura comme tombée dans une sorte
d’hébétude :
– Oh !… mon Dieu…
Il s’agenouilla devant elle, sans oser la toucher
cependant, et il balbutia, plus ému par ce silence
qu’il ne l’eût été par des emportements :
– Clo, ma petite Clo, comprends bien ma
situation, comprends bien ce que je suis. Oh ! si
j’avais pu t’épouser, toi, quel bonheur ! Mais tu
es mariée. Que pouvais-je faire ? Réfléchis,
voyons, réfléchis ! Il faut que je me pose dans le
monde, et je ne le puis pas faire tant que je
n’aurai pas d’intérieur. Si tu savais !… Il y a des
jours où j’avais envie de tuer ton mari…
Il parlait de sa voix douce, voilée, séduisante,
une voix qui entrait comme une musique dans
l’oreille. Il vit deux larmes grossir lentement dans
les yeux fixes de sa maîtresse, puis couler sur ses
joues, tandis que deux autres se formaient déjà au
bord des paupières.
Il murmura :
– Oh ! ne pleure pas, Clo, ne pleure pas, je
t’en supplie. Tu me fends le cœur.
Alors, elle fit un effort, un grand effort pour
être digne et fière ; et elle demanda avec ce ton
chevrotant des femmes qui vont sangloter :
– Qui est-ce ?
Il hésita une seconde, puis, comprenant qu’ille fallait :
– Madeleine Forestier.
Mme de Marelle tressaillit de tout son corps,
puis elle demeura muette, songeant avec une telle
attention qu’elle paraissait avoir oublié qu’il était
à ses pieds.
Et deux gouttes transparentes se formaient
sans cesse dans ses yeux, tombaient, se
reformaient encore.
Elle se leva. Duroy devina qu’elle allait partir
sans lui dire un mot, sans reproches et sans
pardon : et il en fut blessé, humilié au fond de
l’âme. Voulant la retenir, il saisit à pleins bras sa
robe, enlaçant à travers l’étoffe ses jambes rondes
qu’il sentit se roidir pour résister.
Il suppliait :
– Je t’en conjure, ne t’en va pas comme ça.
Alors elle le regarda, de haut en bas, elle le
regarda avec cet œil mouillé, désespéré, si
charmant et si triste qui montre toute la douleur
d’un cœur de femme, et elle balbutia :
– Je n’ai… je n’ai rien à dire… je n’ai… rien à
faire… Tu… tu as raison… tu… tu… as bien choisi
ce qu’il te fallait…
Et s’étant dégagée d’un mouvement en arrière,
elle s’en alla, sans qu’il tentât de la retenir plus
longtemps.
Demeuré seul, il se releva, étourdi comme s’il
avait reçu un horion sur la tête ; puis prenant son
parti, il murmura : « Ma foi, tant pis ou tant
mieux. Ça y est… sans scène. J’aime autant ça. »
Et, soulagé d’un poids énorme, se sentant tout à
coup libre, délivré, à l’aise pour sa vie nouvelle,
il se mit à boxer contre le mur en lançant de
grands coups de poing, dans une sorte d’ivresse
de succès et de force, comme s’il se fût battu
contre la Destinée.
Quand Mme Forestier lui demanda :
– Vous avez prévenu Mme de Marelle ?
Il répondit avec tranquillité :
– Mais oui…
Elle le fouillait de son œil clair.
– Et ça ne l’a pas émue ?
– Mais non, pas du tout. Elle a trouvé ça très
bien au contraire.
