Dès qu’ils furent assis devant la table du café,Forestier cria : « Deux bocks ! » et il avala le sien
d’un seul trait, tandis que Duroy buvait la bière à
lentes gorgées, la savourant et la dégustant,
comme une chose précieuse et rare.
Son compagnon se taisait, semblait réfléchir,
puis tout à coup :
– Pourquoi n’essaierais-tu pas du
journalisme ?
L’autre, surpris, le regarda ; puis il dit :
– Mais… c’est que… je n’ai jamais rien écrit.
– Bah ! on essaie, on commence. Moi, je
pourrais t’employer à aller me chercher des
renseignements, à faire des démarches et des
visites. Tu aurais, au début, deux cent cinquante
francs et tes voitures payées. Veux-tu que j’en
parle au directeur ?
– Mais certainement que je veux bien,
– Alors, fais une chose, viens dîner chez moi
demain ; j’ai cinq ou six personnes seulement, le
patron, M. Walter, sa femme, Jacques Rival et
Norbert de Varenne, que tu viens de voir, plus
une amie de Mme Forestier. Est-ce entendu ?
Duroy hésitait, rougissant, perplexe. Il
murmura enfin :
– C’est que… je n’ai pas de tenue convenable.
Forestier fut stupéfait :
– Tu n’as pas d’habit ? Bigre ! en voilà une
chose indispensable pourtant. À Paris, vois-tu, il
vaudrait mieux n’avoir pas de lit que pas d’habit.
Puis, tout à coup, fouillant dans la poche de
son gilet, il en tira une pincée d’or, prit deux
louis, les posa devant son ancien camarade, et,
d’un ton cordial et familier :
– Tu me rendras ça quand tu pourras. Loue ou
achète au mois, en donnant un acompte, les
vêtements qu’il te faut ; enfin arrange-toi, mais
viens dîner à la maison, demain, sept heures et
demie, 17, rue Fontaine.
Duroy, troublé, ramassait l’argent en
balbutiant :
– Tu es trop aimable, je te remercie bien, sois
certain que je n’oublierai pas…
