§ 21
Remarque
Une diversité contenue dans une intuition que j’ap-
pelle mienne est représentée par la synthèse de l’enten-
dement comme rentrant dans l’unité nécessaire de la
Conscience de soi, et cela arrive par le moyen de la ca-
« tégorie*. Celle-ci montre donc que la conscience em-
pirique d’une diversité donnée dans une intuition est
Soumise à une conscience pure à priori^ de même que
l’intuition empirique est soumise à une intuition sensible
;t>ure qui a également lieu à priori — La proposition pré-
cédente forme donc le point de départ d’une déductum
cîes concepts purs de l’entendement : comme les catégorie»
xe se produisent que dans l’entendement et indépendam-
ment de la sensibilité, je dois faire abstraction de la ma-
iiière dont est donné ce qu’il y a de divers dans une in-
tuition empirique, pour ne considérer que l’unité que
l’entendement y ajoute dans l’intuition au moyen des ca-
tégories. Dans la suite (§ 26), on montrera par la manière
- La preuve se fonde sur la représentation de Vumté de VintuiUon
par laquelle un objet est donné, unité qui implique toujours une syn-
thèse de la diversité donnée dans une intuition, et qui suppose déjà le
rapport de cette diversité à l’unité de l’aperception.
172 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
dont l’intuition empirique est donnée dans la sensibilité,
que l’unité de cette intuition n’est autre que celle que la
catégorie prescrit en général, d’après le § 20, à la di-
versité d’une intuition donnée, et que par conséquent le
but de la déduction n’est vraiment atteint qu’autant que
la valeur à prwri de cette catégorie est définie de ma-
nière à s’appliquer à tous les objets de nos sens.
Mais il y a une chose dont je ne pouvais faire abs-
traction dans la démonstration précédente, c’est que les
éléments divers de l’intuition ^ doivent être donnés an-
térieurement à la synthèse de l’entendement et indépen-
damment de cette synthèse, quoique le comment reste ici
indéterminé. En effet, si je supposais en moi un enten-
dement qui fût lui-même intuitif (une sorte d’entende-
ment divin, qui ne se représenterait pas des objets don-
nés, mais dont la représentation donnerait ou produirait
Jes objets mêmes), relativement à une connaissance de
ce genre, les catégories n’auraient plus de sens. Elles ne
sont autre chose que des règles pour un entendement
dont toute la faculté consiste dans la pensée, c’est-à-dire
dans l’action de ramener à l’unité de l’aperception la
synthèse de la diversité donnée d’ailleurs dans l’intui-
tion, et qui, par conséquent, ne connaît rien par lui-
même, mais ne fait que lier et coordonner la matière de
la connaissance, l’intuition, qui doit lui être donnée par
l’objet. Mais, quant à trouver une raison plus profonde
de cette propriété qu’a notre entendement de n’arriver à
l’unité de l’aperception à priori qu’au moyen des catégo-
ries, et tout juste de cette espèce et de ce nombre de
«catégories, c’est ce qui est tout aussi impossible que
‘ Bas MannigfàlHge fur die Anschauung.
DÉDUCTION DES. CONCEPTS PURS 173
d’expliquer pourquoi nos jugements ont précisément
telles fonctions et non pas d’autres, ou pourquoi le temps
et l’espace sont les seules formes de toute intuition pos-
sible pour nous.
§22 .
La catégorie n’a d’autre usage dans la connaissance des
choses que de s’appliquer à des objets d’expérience
Penser un objet et connaître un objet ne sont donc
pfitô une seule et même chose. La connaissance suppose
en effet deux éléments: d’abord le concept, par lequel,
en général, un objet est pensé (la catégorie); et ensuite
l’intuition, par laquelle il est donné. S’il ne pouvait y
avoir d’intuition donnée qui correspondit au concept, ce
concept serait une pensée quant à la forme, mais sans
, aucun objet, et nulle connaissance d’une chose quelcon-
que ne serait possible par lui. En effet, dans cette sup-
position, il n’y aurait et ne pourrait y avoir, que je sache,,
rien à quoi pût s’appliquer une pensée. Or toute intui-
tion possible pour nous est sensible (esthétique); par
conséquent la pensée d’un objet en général ne peut de-
venir en nous une connaissance par le moyen d’un con-
cept pur de l’entendement qu’autant que ce concept se
rapporte à des objets des sens. L’intuition sensible est
ou intuition pure (l’espace et le temps), ou intuition
empirique de ce qui est immédiatement représenté comme
réel par la sensation dans l’espace et dans le temps.
Nous pouvons acquérir par la détermination de la pre-
mière des connaissances à priori de certains objets.
174 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
(comme il arrive dans les mathématiques), mais ces coa –
naissances ne regardent que la forme de ces objets, con_ –
sidérés comme phénomènes; on ne décide point par là
s’il peut y avoir des choses qui doivent être saisies par
l’intuition dans cette forme \ Par conséquent les con-
cepts mathématiques ne sont pas des connaissances par
eux-mêmes; ils ne le deviennent que si l’on suppose qu’il
y a des choses qui oe peuvent être représentées que
suivant la forme de cette intuition sensible pure. Or
les choses ne sont données dans T espace et dans le temps
que comme des perceptions (des représentations accom-
pagnées de sensation), c’est-à-dire au moyen d’une re-
présentation empirique. Les concepts purs de l’entende-
ment, même quand ils sont appliqués à des intuitions à
priori (comme dans les mathématiques) ne procurent
donc une connaissance qu’autant que ces intuitions et
par elles les concepts de l’entendement peuvent être
appliqués à des intuitions empiriques. Les catégories ne
nous fournissent donc aucune connaissance des choses
au moyen de l’intuition, qu’autant qu’elles-sont appli-
cables à Vintuiiion empiriqtie, c’est-à-dire qu’elles ne
servent qu’à la possibilité de la connaissance empirique.
Or c’est cette connaissance que Ton nomme expérience.
Les catégories n’ont donc d’usage relativement à la
connaissance des choses qu’autant que ces choses sont
regardées comme des objets d’expérience possible.
‘ Ob es Dinge geben kônne, die in diesef Farm ansgeschaut werden
mu88cn.
DÉDUCTION DES CONCEPTS PURS 175
§ 23
La proposition précédente est de la plus grande im-
portance; car elle détermine les limites de l’usage des
<x)ncepts purs de l’entendement relativement aux objets,
<îomme l’a fait l’esthétique transcendentale pour l’usage
de la forme pure de notre intuition sensible. L’espace et
le temps, comme conditions de la possibilité en vertu de
laquelle des objets nous sont donnés, n’ont de valeur
^ue par rapport aux objets des sens et par conséquent
à l’expérience. Au delà de ces limites ils ne représentent
plus absolument rien; car ils ne sont que dans les sens
^t n’ont aucune réalité en dehors d’eux. Les concepts
purs de l’entendement échappent à cette restriction, et
ils s’étendent aux objets de l’intuition en général : qu’elle
«oit ou non semblable à la nôtre, il n’importe, pourvu
qu’elle soit sensible et non intellectuelle. Mais il ne nous
sert de rien d’étendre ainsi les concepts au delà de notre
intuition sensible. Car nous n’avons plus alors que des
•concepts vides d’objets, que nous ne pouvons déclarer
possibles ou impossibles, ou de pures formes de la pen-
sée, dépourvues de toute réaUté, puisque nous n’avons
aucune intuition à laquelle puisse s’appliquer l’unité
synthétique de l’aperception, seule chose que contiennent
les concepts, et que c’est seulement de cette manière
qu’ils peuvent déterminer un objet. Notre intuition sen-
sible et empirique est donc seule capable de leur donner
un sens et une valeur.
Si donc on suppose donné l’objet d’une intuition non
«ensible, on peut sans doute le représenter par tous les
prédicats déjà contenus dans cette supposition, que rien
176 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
de ce qui appartient à Fintuition sensible ne lui convient, ‘^
ainsi Ton dira qu’il n’est pas .étendu ou qu’il n’est pas
dans l’espace, que sa durée n’est point celle du temps,
qu’il ne peut y avoir en lui aucun changement (le chan-
gement étant une conséquence des déterminations d’un
être dans le temps), etc. Mais ce n’est pas posséder une
véritable connaissance que de se borner à montrer ce
que n’est pas l’intuition d’un objet, sans pouvoir dire ce
qu’elle contient. C’est que, dans ce cas, je ne me suis
point du tout représenté la possibilité d’un objet de mon
concept pur, puisque je n’ai pu donner aucune intuition
qui lui correspondit, et que j’ai dû me borner à dire que
la nôtre ne lui convient point. Mais le principal ici, c’est
qu’aucune catégorie ne puisse jamais être appUquée à
quelque chose de pareil, comnie par exemple le concept
d’une substance, c’est-à-dire de quelque chose qui peut
exister comme sujet, mais jamais comme simple prédicat;
car je ne sais point s’il peut y avoir quelque objet qui
corresponde à cette détermination de ma pensée, à moins
qu’une intuition empirique ne me fournisse un moyen d’ap-
plication. Nous reviendrons sur ce point dans la suite.
8 24
De r application des catégories aux objets des sens
en général
Les concepts purs de l’entendement sont rapportés
par cette faculté à des objets d’intuition en général, mais
d’intuition sensible, que ce soit d’ailleurs la nôtre oi
toute autre; mais précisément pour cette raison, ce n(
DÉDUCTION DES CONCEPTS PURS 177
sont que de simples formes de la pensée^ qui ne nous font
connaître aucun objet déterminé. La synthèse ou la liai-
son de la diversité qui y est contenue se rapporte uni-
quement à l’unité de l’aperception, et elle est ainsi le
principe de la possibilité de la connaissance àprioriy en
tant qu’elle repose sur l’entendement et que par consé-
quent elle n’est pas seulement transcendentale , mais
aussi purement intellectuelle. Mais, comme il y a en nous
à priori une certaine forme de l’intuition sensible qui
repose sur la réceptivité de notre capacité représenta-
tive (de la sensibilité), l’entendement peut alors, comme
spontanéité, déterminer le sens intérieur, conformément
à l’unité synthétique de l’aperception, par la diversité de
représentations données, et concevoir ainsi à priori
l’unité synthétique de l’aperception de ce qu’il y a de di-
vers dans Yirduition sensible comme la condition à la-
quelle sont nécessairement soumis tous les objets de
notre intuition (de l’intuition humaine). C’est ainsi que
les catégories, ces simples formes de la pensée, reçoivent
une réalité objective, et s’appliquent à des objets qui
peuvent nous être donnés dans l’intuition, mais seule-
ment à titre de phénomènes; car nous ne sommes capa-
bles d’intuition à priori que par rapport aux phénomènes.
Cette synthèse, possible et nécessaire à priori^ de ce
qu’il y a de divers dans l’intuition sensible peut être ap-
pelée figurée ^ {synthesis speciosa)^ par opposition à celle
que l’on concevrait en appliquant la catégorie aux élé-
ments divers d’une intuition en général et qui est une
synthèse intellectuelle ^ {synthesis intellectualis). Toutes deux
sont transcendentales, non-seulement parce qu’elles sont
Figûrlich. — * Ver8tande8verhind%mg,
I. 12
178 ANALYTIQUE TRANSCENDENT ALE
elles-mêmes à priori^ mais encore parce qu’elles expli-
quent la possibilité des autres connaissances.
Mais, quand la synthèse figurée se rapporte simple-
ment à l’unité originairement synthétique de l’apercep-
tion, c’est-à-dire à cette unité transcendentale qui est
conçue dans les catégories, elle doit, par opposition à la
synthèse purement intellectuelle, porter le nom de syn-
thèse transcendentale de Timagination. JJimagincdion est la
faculté de représenter dans l’intuition un objet m son
absence même. Or, comme toutes nos intuitions sont sen-
sibles, l’imagination appartient à la sensibilité:, en vertu
de cette condition subjective qui seule lui permet de don-
ner à un concept de l’entendement une intuition corres-
pondante. Mais, en tant que sa synthèse est une fonction
de la spontanéité, laquelle est déterminante et non pas
seulement , comme le sens, déterminable, et que par con-
séquent elle peut déterminer à priori la forme du sens
d’après l’unité de l’aperception , l’imagination est à ce
titre une faculté de déterminer à priori la sensibilité ; et
la synthèse à laquelle elle soumet ses intuitions, confor-
mément aux catégories j est la synthèse transcendentale
de Vimaginaiion. Cette synthèse est un effet de l’enten-
dement sur la îSensibilité et la première application de
cette faculté (application qui est en même temps le prin-
cipe de toutes les autres) à des objets d’une intuition pos-
sible pour nous. Comme synthèse figurée, elle se distingue
de la sjmthèse intellectuelle, qui est opérée par le seul
entendement, sans le secours de l’imagination. Je donne
aussi parfois à l’imagination, en tant qu’elle montre de
la spontanéité, le nom d’imagination productive^ et je la
distingue ainsi de l’imagination reproductive, dont la syn-
thèse est soumise simplement à des lois empiriques, c’est-
DÉDUCTION DES CONCEPTS PURS 179
^-dire aux lois de l’association, et qui par conséquent ne
<îoncourt en rien à l’explication de la possibilité de la
/Connaissance à priori et n’appartient pas à la philosophie
iranscendentale, mais à la psychologie.
C’est ici le lieu d’expliquer le paradoxe que tout le
inonde a dû remarquer dans l’exposition de la forme du
sens intérieur (§ 6). Ce paradoxe consiste à dire que le
sens intérieur ne nous présente nous-mêmes à la cons-
•cience que comme nous nous apparaissons et non comme
nous sommes en nous-mêmes , parce que notre intuition
de nous-mêmes n’est autre que celle de la manière dont
nous sommes intérieurement affectés. Or cela semble con-
tradictoire, puisque nous devrions alors nous traiter
comme des êtres passifs. Aussi, dans les systèmes de
psychologie, a-t-on coutume de donner comme identiques
le sens intérieur et la faculté de Vaperception (que nous
distinguons soigneusement).
Ce qui détermine le sens intérieur, c’est l’entendement
et sa faculté originaire de relier les éléments divers de
l’intuition, c’est-à-dire de les ramener à une aperception
(comme au principe même sur lequel repose la possibilité
de ce sens). Mais, comme l’entendement n’est pas chez
nous autres hommes une faculté d’intuition, et que, celle-
ci fût-elle donnée dans la sensibilité, il ne peut se l’assi-
miler de manière à relier en quelque sorte les éléments
<[ivers de sa propre intuition, sa synthèse, considérée en
«Ue-même, n’est autre chose que l’unité de l’acte dont il
a conscience à ce titre, même sans le secours de la sen-
sibilité, mais par lequel il est capable de déterminer in-
180 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
térieurement la sensibilité par rapport à la diversité que
celle-ci peut lui donner dans la forme de son intuition.
Sous le nom de syrdhèse transcendentale de Timaginaiiony.
il exerce donc sur le sujet jt^tw^z/, dont il est la fœuMéy
une action telle que nous avons raison de dire que le
sens intérieur en est affecté. Tant s’en faut que Taper-
ception et son unité synthétique soient identiques au sens
intérieur qu’au contraire, comme source de toute liaison^
la première se ftipporte, sous le nom des catégories, à
la diversité des intuitions en général^ antérieurement à
toute intuition sensible des objets, tandis que le sens in-
térieur contient la simple forme de l’intuition, mais sans-
aucune liaison dans ce qu’il y a en elle de divers, et que
par conséquent il ne renferme encore aucune intoitioii
déterminée. Celle-ci n’est possible qu’à la condition que
le sens intérieur ait conscience d’être déterminé par cet
acte transcendental de l’imagination (ou par cette influence
synthétique de l’entendement sur lui) que j’ai appelé syn-
thèse figurée.
C’est d’ailleurs ce que nous observons toujours en nous*.
Nous ne pouvons penser une ligne sans la tracer en idée^
un cercle sans le décrire ; nous ne saurions non plus nous
représenter les trois dimensions de l’espace sans tirer
d’un même point trois lignes perpendiculaires entre elles.
Nous ne pouvons même pas nous représenter le temps
sans Urer une ligne droite (laquelle est la représentatioa
extérieure et figurée du temps), et sans porter unique-
ment notre attention sur l’acte de la synthèse des élé-
ments divers par lequel nous déterminons successivement
le sens intérieur, et par là sur la succession de cette dé-
termination qui a lieu en lui. Ce qui produit d’abord le
concept de la succession, c’est le mouvement, comme acte
DÉDUCTION DES CONCEPTS 481
«de l’esprit (non comme détermination d’un objet), et par conséquent la synthèse des éléments divers représen- tés dans l’espace, lorsque nous faisons abstraction de cet espace pour ne considérer que l’acte par lequel nous dé»
terminons le sens intérieur conformément à -sa forme.
L’entendement ne trouve donc pas dans le sens intérieur
cette liaison du divers , mais c’est lui qui la produit en
uffectant ce sens. Mais comment le moi, le je pense peut-il
être distinct du moi qui s’aperçoit lui-même (je puis me
représenter au moins comme possible un autre mode
d’intuition), tout en ne formant avec lui qu’un seul et
même sujet? En d’autres termes, comment puis-je dire
que mo2, comme intelligence et sujet pensant, je ne me
<;onnais nàoi-même comme objet pensé^ en tant que je suis
en outre donné à moi-même dans l’intuition, que tel que
je m’aperçois et non tel que je suis devant l’entendement,
ou que je ne me connais pas autrement que les autres
phénomènes ? Cette question ne soulève ni plus ni moins
de difficultés que celle de savoir comment je puis être eu
général pour moi-même un objet et même un objet d’in-
tuition et de perceptions intérieures. II n’est pas difficile
de prouver qu’il en doit être réellement ainsi, dès que l’on
accorde que l’espace n’est qu’une forme pure des phéno-
mènes des sens extérieurs. N’est-il pas vrai que, bien que
le temps ne soit pas un objet d’intuition extérieure, nous
‘^^ Le mouvement d’un objet dans l’espace n’appartient pas à une
science pure, et par conséquent à la géométrie ; car nous ne savons pas
À priori, mais seulement par expérience, que quelque chose est mobile.
Mais le mouvement, comme description d’un espace, est l’acte pur
d’une synthèse successive opérée par l’imagination productive entre les
-éléments divers contenus dans l’intuition extérieure en général, et U
n’appartient pas seulement à la géométrie, mais encore à la philosophie
transcendentale.
182 ANALYTIQUE TRANSCENDE3ITÂLE
‘ ne pouvons nous le représenter autrement que sous li-
mage d’une ligne que nous tirons, et que sans cette espèce^
de représentation \ nous ne saurions reconnsûtre Funitè
de sa dimension ? N’est-il pas vrai aussi que la détermi-
nation de la longueur du temps ou encore des époques
pour toutes les perceptions intérieures, est toujours tirée
de ce que les choses extérieures nous présentent de chan-
geant, et que par conséquent les déterminations du sens
intime , comme phénomènes dans le temps , doivent être
ordonnées exactement de la même manière que nous or-
donnons celles des phénomènes extérieurs dans Fespace?
Si donc on accorde que ces derniers ne nous font con-
naître les objets qu’autant que nous Sommes extérieure-
ment affectés, il faudra bien admettre aussi au sujet du
sens interne , que nous ne nous saisissons ^ nous-mêmes
au moyen de ce sens que comme nous sommes intérieure-
ment affectés par nous-mêmes^ c’est-à-dire qu’en ce qui con-
cerne l’intuition interne, nous ne connaissons notre propre
sujet que comme phénomène, et non dans ce qu’il est soi »* ».
§ 25
Au contraire, dans la synthèse transcendentale de la
diversité des représentations en général, et pai’ consé-
‘ Ohne welche Darstellungsari. — ‘ AnschatÂcn.
- Je ne vois pas comment on peut trouver tant de difficultés à ad*
mettre que le sens intime est affecté par nous-mêmes. Tout acte d’at-
tention peut nous en fournir an exemple. L’entendement y détenmne
toujours le sens intérieur, conformément à la liaison qu’il conçoit, à
l’intuition interne qui correspond à la diversité contenue dans sa syn-
thèse. Chacun peut observer en lui-même combien souvent l’esprit est
affecté de cette façon.
DÉDUCTION DES CONCEPTS PURS 183
quent dans l’unité synthétique originaire de l’apercep-
tion , je ne me connais pas tel que je m’apparais , ni tel
que je suis en moi-même, mais j’ai seulement conscience
qtie je suis. Cette représentation est une pensée, non une in-
tuition. Mais, comme la connaissance de nous-mêmes exige,
outre l’acte de la pensée qui ramène les éléments divers
de toute intuition possible à l’unité de l’aperception , un
mode déterminé d’intuition par lequel sont donnés ces
éléments divers, ma propre existence n’est pas sans doute
un phénomène (et à plus forte raison une simple appa-
rence), mais la détermination de mon existence* ne
peut avoir Ueu que selon la forme du sens intérieur et
d’après la manière particulière dont les éléments divers
que j’unis sont donnés dans l’intuition interne , et par
conséquent je ne me connais nullement comme je suis,
mais seulement comme je m’apparais à moi-même. La
conscience de soi-même est donc bien loin d’être une con-
naissance de soi-même, malgré toutes les catégories qui
constituent la pensée d’un objet en général en rehaut les
- Le : je pense, exprime Pacte par lequel je détermine mon exis-
tence. L’existence est donc déjà donnée par là, mais non la manière
dont je dois déterminer cette existence, c’est-à-dire dont je dois poser
les éléments divers qui lui appartiennent. Il faut pour cela une intuition
de soi-même, qui a pour fondement une forme donnée à priori, c’est-
à-dire le temps, lequel est sensible et appartient à la réceptivité du
snjet à déterminer. Si donc je n’ai pas une autre intuition de moi-même
qui donne ce qu’il y a en moi de déterminant, bien que je n’aie conscience
que de la spontanéité de ce déterminant, et qui le donne avant l’acte
de la détermination, tout comme le temps donne ce qui est déterminable,
je ne pois déterminer mon existence comme celle d’un être spontané;
mais je ne fais que me représenter la spontanéité de ma pensée, c’esV
à-dire de mon acte de détermination, et mon existence n’est jamais
déterminable que d’une manière sensible, c’est-à-dire comme l’existence
d’un phénomène. Cette spontanéité pourtant fait que je -m’appelle une
intelligence.
184 ANALYTIQUE TRANSCBNDENTALE
éléments divers en une aperception. De même que pour
connaître un objet distinct de moi, il me faut, outre la
pensée d’un objet en général (dans la catégorie), une in-
tuition par laquelle je détermine ce concept général;
ainsi la connaissance de moi-même exige, outre la cons-
cience ou indépendamment de ce que je me pense, une
intuition de la diversité qui est çn moi et par laquelle
je détermine cette pensée. J’existe donc comme une in-
telligence qui a simplement conscience de sa faculté de
^Synthèse, mais qui, par rapport aux éléments divers
qu’elle doit Uer, étant soumise à une condition restrictive
nommée le sens intime, ne peut rendre cette liaison per-
ceptible ‘ que suivant des rapports de temps, lesquels sont
tout à fait en dehors des concepts de l’entendement pro-
prement dits. D’où il suit que cette intelligence ne peut
se connaître elle-même que comme elle s’apparaît au
point de vue d’une certaine intuition (qui ne peut être
intellectuelle et que l’entendement lui-même ne saurait
donner), et non comme elle se connaîtrait si son intuition
était intellectuelle.
§ 26
Déduction transcendentale de Vusage expérimental qu’on
peut faire généralement des concepts de l’entendement
pur.
Dans la déduction métaphysique^ nous avons prouvé en
général l’origine à priori des catégories par leur accord
parfait avec les fonctions logiques universelles de la pen-
- Jene Verhindung anschauUch machen.
DÉDUCTION DES CONCEPTS PURS 485
8ée; dans là déduction transcendentale, nous avons exposé
la possibilité de ces catégories considérées comme con-
naissances à priori d’objets d’intuition en général (§ 20-
21). n s’agit maintenant d’expliquer comment, par le
moyen des catégories, des objets qui ne sauraient se pre-
mier quàms sens peuvent nous’ttre connus à priori, et
cela non pas dans la forme de leur intuition , mais dans
les lois de leur liaison, et comment par conséquent nous
pouvons prescrire en quelque sorte à la nature sa loi et
même la rendre possible. En effet, sans cette application
des catégories, on ne comprendrait pas comment tout ce
qui peut s’offrir aux sens doit être soumis aux lois qui
dérivent à priori du seul entendement.
Je ferai remarquer d’abord que j’entends par synthèse
de r appréhension cette réunion des éléments divers d’une
intuition empirique qui rend possible la perception, c’est-
à.-dire la conscience empirique de cette intuition (comme
phénomène).
Nous avons dans les représentations de l’espace et
<îu temps des formes à priori de l’intuition, tant externe
Qu’interne, et la synthèse de l’appréhension des éléments
tîivers du phénomène doit toujours être en harmonie avec
^es formes, puisqu’elle ne peut elle-même avoir lieu que
Suivant ces formes. Mais l’espace et le temps ne sont pas
Seulement représentés à priori comme des formes de l’in-
tuition sensible, mais comme étant elles-mêmes des intui-
tions (qui contiennent une diversité), et par conséquent
^vec la détermination de Yunité des éléments divers qui
y sont contenus (voyez Usthétiqtte transcendentaïe*).
- L’espace, représenté comme objet (ainsi qne cela a réellement lieu
dans la géométrie), contient plus que la simple forme de l’intuition; ils
contient la rèumon en une représentation intuitive des éléments divers
186 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
Avec (je ne dis pas : dans) ces intuitions est donc déjà
donnée à priori^ comme condition de la synthèse de
toute appréhension^ Yunité même de la synthèse du divers
qui se trouve hors de nous ou en nous, et par consé-
quent aussi une liaison à laquelle est nécessairement cou-
forme tout ce qui doit « être représenté d’une manière dé-
terminée dans l’espace et dans le temps. Or cette unité
synthétique ne peut être autre que celle de la liaison
dans une conscience originaire des éléments divers d’une
intuition donnée en général, mais appliquée uniquement,
conformément aux catégories, à notre intuition sensible.
Par conséquent, toute synthèse par laquelle la percep-
tion même est possible, est soumise aux catégories; et,
comme l’expérience est une connaissance formée de per-
ceptions liées entre elles, les catégories sont les conditions
de la possibilité de l’expérience, et elles ont donc aussi à
priori une valeur qui s’étend à tous les objets de l’expé-
rience.
Quand donc de l’intuition empirique d’une maison, par
exemple, je fais une perception par l’appréhension de ses
diverses parties, Yunité nécessaire de l’espace et de l’in-
tuition sensible extérieure en général me sert de fondé-
donnés suivant la forme de la sensibilité, de telle sorte que la forme de
Vintuition donne uniquement la diversité, et Vintuition formeiU l’unité
de la représentation. Si dans l’esthétique j’ai attribué simplement cette
unité à la sensibilité, c’était uniquement pour indiquer qu’eUe est anté-
rieure à tout concept, bien qu’elle suppose une synthèse qui n’appar-
tient point aux sens, mais qui seule rend d’abord possibles tous les
concepts d’espace et de temps. En effet, puisque par cette sjl thèse (où
l’entendement détermine la sensibilité) l’espace et le temps sont donnés
d’abord comme des intuitions, l’unité de cette intuition à priori appar-
tient à l’espace et au temps et non au concept de l’entendement (§ 24).
DÉDUCTION DES CONCEPTS PURS 187
ment, et je dessine en quelque sorte la forme de cette
maison conformément à cette unité synthétique des di-
verses parties que je me représente dans l’espace. Or
cette même unité synthétique, si je fais abstraction de la
forme de l’espace, a son siège dans l’entendement, et elle
est la catégorie de la synthèse de Vhomogène ^ dans une
intuition en général, c’est-à-dire dans la catégorie de la
quantité. La synthèse de l’appréhension, c’est-à-dire la
perception , lui doit donc être entièrement conforme *.
Lorsque (pour prendre un autre exemple) je perçois
la congélation de l’eau, j’appréhende deux états (celui de
la fluidité et celui de la soUdité) comme étant unis entre
eux par un rapport de temps. Mais dans le temps que
je donne pour fondement au phénomène considéré comme
intuition interne y je me représente nécessairement une
unité synthétique des états divers; autrement la relation
dont il s’agit ici ne pourrait être donnée dans une intui-
tion d’une manière déterminée (au point de vue de la suc-
cession). Or cette unité synthétique, considérée comme
la condition à priori qui me permet de lier les éléments
divers d’une intuition en général, et, abstraction faite de
la forme constante de mon intuition interne, ou du temps,
est la catégorie de la cause, par laquelle je détermine, en
l’appliquant à la sensibilité, toutes les choses qui arrivent
fiant à leur relation dans le temps en général L’appré-
iension dans un événement de ce genre, et par consé-
^ Catégorie der Synthesis des Gleichartigen,
- On prouve de cette manière que la synthèse de l’appréhension, qui
est empirique, doit être nécessairement conforme à la synthèse de l’a-
perception, qui est intellectuelle et contenue tout à fait à priori dans^
1^ catégorie. C’est une seule et même spontanéité, qui là sous le nom
d’imagination, ici sous celui d’entendement, introduit la liaison dans les-
divers éléments de l’intuition.
488 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
quent cet événement lui-même, relativement à la possi-
bilité de la perception, est donc soumis au concept dg
rapport des effets et des causes. D en est de même dans
tous les autres cas.
Les catégories sont des concepts qui prescrivent à
prwri des lois aux phénomènes, par conséquent à la na-
ture, considérée comme l’ensemble de tous les phéno-
mènes (naiura materialiter spectata). Or, puisque ces ca-
tégories ne sont pas dérivées de la nature et qu’elles ne
se règlent pas sur elle comme sur leur modèle (car au-
trement elles seraient purement empiriques), il s’agit.*
savoir comment l’on peuè-comprendre que la nature au
contraire se règle nécessairement sur fceô catégories, ou
comment elles peuvent déterminer à priori la liaison des
éléments divers dç la nature, sans la tirer de la nature
même. Voici la solution de cette énigme.
L^accord nécessaire des lois des phénomènes de la na-
ture avec l’entendement et avec sa forme à priori, c’est-
à-dire avec sa facultés de lier les éléments divers en gé-
néral, n’est pas plus étrange que celui des phénomènes
-eux-mêmes avec la forme à priori de l’intuition sensiWe.
En effet, les lois n’existent pas plus dans les phénomènes
que les phénomènes eux-mêmes n’existent en soi, et les
premières ne sont pas moins relatives au sujet auquel
les phénomènes sont inhérents, en tant qu’il est doué
d’entendement, que les seconds ne le sont au même
«ujet, en tant qu’il est doué de sens. Les choses en soi
.seraient encore nécessairement soumises à des lois quand
même il n’y aurait pas d’entendement qui les connût;
mais les phénomènes ne sont que des représentations de
DÉDUCTION DES CONCEPTS PURS 189^
citoses qui nous demeurent inconnues en elles-mêmes.
Comme simples représentations, ils ne sont soumis à au-
cune autre toi d’union qu’à celle que prescrit la faculté
qui unit. La faculté qui relie les éléments divers de
l’intuition sensible est l’imagination, laquelle dépend de
l’entendement pour l’unité de sa synthèse intellectuelle,
et de la sensibilité pour la diversité des éléments de l’ap-
préhension. Or, puisque toute perception possible dépend
de la synthèse de l’appréhension, et que cette synthèse
empirique elle-même dépend de la synthèse transcenden-
tale, par conséquent des catégories, toutes les perceptions
possibles, par conséquent aussi tout ce qui peut arriver à
la conscience empirique, c’est-à-dire tous les phénomènes
de la nature doivent être, quant à leur liaison, soumis
aux catégories, et la nature (considérée simplement
comme nature en général, ou en tant que natura forma-
Hier specfata) dépend de ces catégories comme du fonde-
ment originaire de sa conformité nécessaire à des lois \
Mais la faculté de l’entendement pur ne saurait prescrire
à priori aux phénomènes, par ses seules catégories, un
plus grand nombre de lois que celles sur lesquelles re-^
pose une nature en général, en tant que l’on conçoit par
là un ensemble de phénomènes se produisant dans l’es-
pace et dans le temps conformément à des lois \ Toutes
les lois particulières sont sans doute soumises à ces caté-
gories^ mais elles ne peuvent nullement en être tirées^
puisqu’elles concernent des phénomènes déterminés em-
piriquement. Il faut donc invoquer le secours de Texpé-
rience pour apprendre à connaître ces dernières lois;