PHÉNOMÈNES ET NOUMÈNES 321
pâs l’intuition sensible jusqu’aux choses en âoi , et que
par conséquent l’on restreigne la valeur objective de la
connaissance sensible (car le reste où elle n’atteint pas, on
l’appelle noumène, précisément pour indiquer par là que
cette sorte de connaissances ne peut étendre son domaine
sur tout ce que conçoit l’entendement). Mais, en définitive,
la possibilité de ces noumènes n’en est pas moins insaisis-
sable, et, en dehors de la sphère des phénomènes, il n’y
a plus (pour nous) que le vide. En d’autres termes, nous
avons un entendement qui %^é\j&tïà.prohUmcUiquement plus
loin que cette sphère, mais nous n’avons aucune intuition
par laquelle des objets puissent nous être donnés en de-
hors du champ de la sensibiUté, nous n’avons même au-
cun concept d’une intuition possible de ce genre, et l’en-
tendement ne peut être employé ctssertariqtiement en
dehors de ce champ. Le concept d’un noumène n’est donc
qu’un concept limitatif \ destiné à restreindre les préten-
tions de la sensibilité, et par conséquent il n’a qu’un
usage négatif. H n’est pas cependant une fiction arbi-
traire, mais il se rattache à la limitation de la sensibi-
lité, sans toutefois pouvoir rien établir de positif en de-
hors de son champ.
La division des objets en phénomènes et noumènes et
du monde en monde sensible et monde intelligible, ne
peut donc être admise dans un sens positif, bien qu’on
puisse certainement admettre celle des concepts en sen-
sibles et intellectuels ; car on ne peut assigner à ces der-
niers aucun objet et par conséquent leur attribuer une
valeur objective. Quand on s’éloigne des sens, comment
faire comprendre que nos catégories (qui seraient pour
- Chrenzbegriff.
I. 21
322 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
les noumènes les seuls concepts restants) signifient en-
core quelque chose, puisque, pour qu’elles aient un rap-
port à quelque objet, il faut quelque chose de plus que
l’unité de la pensée, à savoir une intuition à laquelle
elles puissent être appliquées ? Toutefois, le concept d’un
noumène, pris d’une manière simplement problématique,
n’en reste pas moins, je ne dis pas seulement admissible,
mais inévitable comme concept limitant la sensibilité.
Mais alors, loin que le noumène soit un objet intelligible
pour notre entendement, l’entendement même auquel il
appartiendrait est un problème, c’est-à-dire que nous ne
pouvons nous faire la moindre idée de la faculté qu’au-
rait l’entendement de connaître son objet, non plus dis-
cursivement par le moyen des catégories, mais intuitive-
ment, dans une intuition non sensible. Notre entende-
ment ne reçoit donc ainsi qu’une extension négative,
c’est-à-dire que, s’il n’est pas limité par la sensibihté,
mais s’il la limite au contraire en appelant noumènes
les choses en soi (envisagées autrement que comme phé-
nomènes), il se pose aussi à lui-même des limites qui
l’empêchent de les connaître par le moyen des catégo-
ries, et par conséquent de les concevoir autrement que
comme quelque chose d’inconnu.
Je trouve cependant dans les écrits des modernes les
expressions de monde sensible et de m^nde intelligible *
employées dans un tout autre sens, dans un sens qui s’é-
- c II ne faut pas substituer à cette expression ceUe de monde in-
tellectuel, comme on a coutume de le faire dans les ouvrages allemands ;
car il n’y a que les connaissances qui soient intellectuelles ou sensi-
tvves. Les objets seuls peuvent être appelés intelligibles (a). >
(a) Cette note, dont j’abrège la dernière phrase pour n’en conserver
que ce qui s’applique à notre langue et peut se traduire en français, est
une addition de la seconde édition. J. B.
PHÉNOMÈNES ET NOUMÈNES 323
<îarte entièrement de celui des anciens, et qui n’offre sans
doute aucune difficulté, mais où l’on ne trouve aufond qu’une
vaine logomachie. Il a plu en effet à quelques – uns d’ap-
peler l’ensemble des phénomènes monde sensible, en tant
qu’il peut être perçu, et monde intelligible, en tant qu’on
en conçoit l’enchaînement suivant les lois universelles de
l’entendement. L’astronomie théorétique, qui se borne à
observer le ciel étoile, représenterait le premier; et l’as-
tronomie contemplative (expliquée, par exemple, d’après
le système de Copernic ou d’après les lois de la gravita-
tion de Newton), représenterait le second, le monde in-
telligible. Mais un tel renversement des termes n’est
qu’un subterfuge sophistique auquel on a recours pour
échapper à une question incommode en détournant à
son gré le sens des mots. L’entendement et la raison ont
sans doute leur emploi par rapport aux phénomènes;
mais on demande S’ils ont encore un autre usage par
rapport à l’objet qui n’est plus phénomène (mais nou-
mène), et l’on entend l’objet dans ce sens en le concevant
en soi comme purement intelligible, c’est-à-dire comme
donné à l’entendement seul, et nullement aux sens. La
question est donc de savoir si, outre cet usage empirique
de l’entendement (même dans la représentation newto-
nienne du système du monde), il peut encore y avoir un
usage transcendental, qui s’applique au noumène comme
à un objet; et c’est là une question que nous avons ré-
solue négativement.
Quand donc nous disons que les sens nous représen-
tent les objets tels quHls apparaissent^ et l’entendement,
tels quHU sont^ cette dernière expression ne doit pas être
prise dans un sens transcendental, mais seulement dans
un sens empirique, c’est-à-dire qu’elle désigne les objets
324 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
tels qu’ils doivent être représentés, comme objets de l’ex-
périence, dans l’enchaînement général des phénomènes, et
non pas suivant ce qu’ils peuvent être en soi, indépen-
damment de toute relation à une expérience possible et
partant aux sens en général, ou comme objets de l’en-
tendement pur. En effet cela nous demeurera toujours
inconnu, et même nous ne savons pas si une telle con-
naissance transcendentale (extraordinaire) est possible
en général, du moins comme connaissance soumise à nos
catégories ordinaires. L entendement et la sensibilité ne
peuvent chez nous déterminer d’objets quen s^ unissant.
Si nous les séparons, nous avons alors des intuitions Sans
concepts ou des concepts sans intuitions, et dans les deux
cas des représentations que nous ne pouvons rapporter
à aucun objet déterminé.
Si, après tous ces éclaircissements , quelqu’un hésite
encore à renoncer à l’usage purement transcendental des
catégories, qu’il essaie de s’en servir pour quelque assertion
synthétique. Je ne parle pas des assertions analytiques, cai^
ellesne font pas faire un pas de plus àl’entendement, et comme-
celui-ci n’est occupé que de ce qui est déjà pensé dans le-
concept, il laisse indécise la question de savoir si ce concept
se rapporte en soi à des objets ou s’il signifie seulement
l’unité de la pensée en général (laquelle fait complète-
ment abstraction de la manière dont un objet peut être
donné) ; il lui suffit de connaître ce qui est contenu dans
son concept, et il lui est indifférent de savoir à quoi ce
concept lui-même peut se rapporter. Mais que l’on fasse
cet essai sur quelque principe synthétique et soi-disant
transcendental, tel que celui-ci : tout ce qui est existe
comme substance ou comme détermination inhérente
à la substance, ou celui-ci : tout ce qui est contin-
AHPHIBOLIE DES CONCEPTS DE RÉFLEXION 335
gent existe comme effet d’une autre chose qui en est la
cause, etc. Or je demande où l’on prendra ces propositions
sjuthétiques, si la valeur des concepts n’est pas relative à
une expérience possible, mais s’étend aux choses en soi
(aux noumènes). Où est ici le troisième terme qu’exige tou-
jours une proposition synthétique pour lier l’uû à l’autre
des concepts qui n’ont entre eux aucune parenté logique
(analytique). On ne prouvera jamais une telle proposi-
tion, et, qui plus est, on ne pourra jamais justifier la pos-
sibilité d’une assertion pure de ce genre, sans avoir égard
à l’usage empirique de l’entendement et sans renoncer
ainsi au jugement pur et dégagé de tout élément sen-
sible. Le concept d’objets pui-s simplement intelligibles
est donc entièrement vide de tous les principes qui ser-
vent à les appliquer, puisqu’on ne peut imaginer com-
ment ils pourraient nous être donnés, et la pensée pro-
blématique qui leur laisse cependant un lieu ouvert ne
sert que, comme un espace vide, à restreindre les prin-
cipes empiriques sans renfermer et sans indiquer quelque
autre objet de connaissance en dehors de leur sphère.
Appendice
De l’amphibolie des concepte de réflexion résultant de la confusion de
Tusage empirique de l’entendement avec son usage transcendental.
La réflexion (reflezio) ne s’occupe point des objets
mêmes pour en acquérir directement des concepts, mais
326 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
elle est l’état de l’esprit où nous nous préparons à dé-
couvrir les conditions subjectives qui nous permettent
d’arriver à des concepts. Elle est la conscience du rap-
port de représentations données à nos différentes sources
de connaissances, lequel seul permet de déterminer exac-
tement leur rapport entre elles. La première question
qui se présente avant toute autre étude de nos représen-
tations est celle-ci : dans quelle faculté de connaître ren-
trent-elles? Est-ce par l’entendement ou par les sen&
qu’elles sont liées ou comparées? Il y a bien des juge-
ments qu’on admet par habitude ou qu’on lie par incli-
nation, mais que l’on tient pour des jugements ayant leur
origine dans l’entendement, parce qu’aucune réflexion ne
les précède ou du moins ne vient ensuite les soumettre à la
critique. Tous les jugements n’ont pas besoin d’un examen^
c’est-à-dire n’exigent pas que l’attention remonte^ aux
principes de la vérité ; car, quand ils sont immédiatement
certains, comme celui-ci par exemple : entre deux points
il ne peut y avoir qu’une ligne droite, on ne saurait y
indiquer une marque de vérité plus immédiate que la
chose même qu’ils expriment. Mais tous les jugements
et même toutes les comparaisons ont besoin de réflexion^
c’est-à-dire exigent qu’on distingue à quelle faculté de
connaître appartiennent les concepts donnés. J’appelle ré-
flexion transcendentale l’acte par lequel je rapproche la
comparaison des représentations en général de la faculté
de connaître où elle a lieu, et par lequel je distingue si
c’est comme appartenant à l’entendement pur ou à l’in-
tuition sensible qu’elles sont comparées entre elles. Or
les rapports où les concepts peuvent se rattacher les uns
aux autres dans un état d’esprit, sont ceux A^identUé et
de diversité^ de convenance et de disconvenance, dHintérieur
ÂMPIIIBOLIE DES CONCEPTS DE RÉFLEXION 327
et d’extérieur, enfin de déterminable et de détermination
(de matière et de forme). L’exacte détermination de ces
rapports dépend de la question de savoir dans quelle fa-
culté de connaître ils se rattachent subjectivement les
uns aux autres, si c’est dans la sensibilité ou dans l’en-
tendement. En effet la différence de ces facultés fait une
grande différence dans la manière dont on doit concevoir
ces rapports.
Avant de prononcer un jugement objectif quelconque,
nous comparons les concepts, afin d’arriver à Videntité
(de plusieurs représentations sous un concept) et par là
à un jugement universel, ou à la diversité et par là à un
jugement particulier; à la convenance, ce qui donne lieu
à un jugement affirmatif, ou à la disconvenance, ce qui
donne lieu à un jugement négatif, etc. D’après cela, nous
devrions, ce semble, appeler concepts de comparaison
{conceptus comparationis) les concepts indiqués. Mais
comme, quand il ne s’agit pas de la forme logique des
concepts, mais de leur contenu, c’est-à-dire de la question
de savoir si les choses mêmes sont identiques ou diverses,
si elles se conviennent ou non, etc., les choses ont un
double rapport à notre faculté de connaître, c’est-à-dire
peuvent se rapporter à la sensibiUté et à l’entendement^
et que la manière dont elles se rattachent les unes aux
autres dépend de la faculté à laquelle elles appartiennent,
seule la réflexion transcendentale, c’est-à-dire le rapport
de certaines représentations données à l’un ou à l’autre
mode de connaissance, pourra déterminer leur rapport
entre elles, et la question de savoir si les choses sont
identiques ou diverses, si elles se conviennent ou non, etc.,
ne pourra être décidée immédiatement par les concepts
mêmes au moyen d’une simple comparaison (comparatio)y,
328 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
mais on ne pourra la résoudre qu’en distinguant le mode
de connaissance auquel elles appartiennent, au moyen
d’une réflexion {reflexio) transcendentale. On pourrait
donc dire que la réflexion logique est une simple compa-
raison, puisqu’on y fait complètement abstraction de la
faculté de connaître à laquelle appartiennent les repré-
sentations données, et qu’en ce sens celles-ci doivent être
traitées comme si elles avaient le même siège dans l’es-
prit, tandis que la réflexion transcendentale (qui se rap-
porte aux objets mêmes) contient le principe de la pos-
sibilité de la comparaison objective des représentations
entre elles, et que par conséquent elle est très-diffé-
rente de l’autre, puisque la faculté de connaître à la-
quelle elles appartiennent n’est pas toujours la même.
Cette réflexion transcendentale est un devoir dont ne
saurait s’afiranchir quiconque veut porter à priori quelque
jugement sur les choses. Nous allons la soumettre à notre
examen, et nous n’en tirerons pas une médiocre lumière
pour déterminer la fonction propre de l’entendement.
V Unité et diversité. Quand un objet s’oflfi’e à nous
plusieurs fois, mais chaque fois avec les mêmes détermi-
nations intrinsèques {qualitas et quantitas\ il est, si on le
considère comme un objet de l’entendement pur, le même,
toujours le même, non pas plusieurs, mais une seule chose
(numerica identitas) ; si au contraire il est envisagé conmie
phénomène , il ne s’agit plus de comparer les concepts,
mais quelque identique que tout puisse être à ce point
de vue, la diversité des heux qu’occupe ce phénomène
dans le même temps, est un principe suffisant de la di-
versité numérique de l’objet même (des sens). Ainsi dans
deux gouttes d’eau on peut faire complètement abstrac-
tion de toute diversité intrinsèque {de qualité et de quan-
AMPHIBOLIE DES CONCEPTS DE RÉFLEXION 329
^itë), et il suffit qu’on les perçoive eo même temps dans
-^es lieux diflférents pour les regarder comme numérique-
ment distinctes. Leibnitz prenait les phénomènes pour
<les choses en soi, par conséquent pour des intelligibiUa^
-c’est-à-dire pour des objets de l’entendement pur (bien
qu’il les désignât sous le nom de phénomènes à cause de
l’obscurité des représentations que nous en avons), et à ce
point de vue son principe des indiscernables (principium
identitatis indiscernibilium) était certainement inatta-
quable; mais, comme ce sont des objets de la sensibilité
et que l’usage de l’entendement par rapport à eux n’est
pas pur, mais simplement empirique, la pluralité et la
diversité numérique sont déjà données par l’espace même,
comme condition des phénomènes extérieurs. En eifet une
partie de l’espace, quoique parfaitement égale et sem-
blable à une autre, est cependant en dehors d’elle, et elle
est précisément par là une partie distincte de cette autre
partie qui s’ajoute à elle pour constituer un espace plus
grand, et il en doit être de même de toutes les choses
qui sont en même temps en diflférents lieux de l’espace,
quelque semblables et quelque égales qu’elles puissent
^tre d’ailleurs.
2° Convenance et disconvenance. Quand la réalité ne
nous est représentée que par l’entendement pur {realitas
noumenon), on ne conçoit pas qu’il puisse y avoir entre
les réaUtés aucune disconvenance, c’est-à-dire un rapport
tel qu’unies en un sujet elles suppriment réciproquement
leurs eflfëts, et 3 — 3 = 0. Au contraire les réalités phé-
noménales {realitas phœnomenon) peuvent certainement
être opposées entre elles, et, bien qu’unies dans le même
sujet, annihiler les eflfets l’une de l’autre, comme, par
exemple, deux forces motrices agissant sur une même
330 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
ligne droite, en tant qu’elles attirent ou qu’elles poussent
un point dans des directions opposées, ou comme le plai-^
sir et la douleur qui se font équilibre.
3″* Intérieur et extérieur. Dans un objet de l’entende-
ment pur il n’y a d’intérieur que ce qui n’a aucun rap-^
port (d’existence) à quelque chose d’autre que luL Au
contraire les déterminations intérieures d’une substantia
phœnomenon dans l’espace ne sont que des rapports, et
elle-même n’est qu’un ensemble de relations. Nous ne
connaissons la substance dans l’espace que par les forces
qui agissent en certains points de cet espace, soit pom*
y attirer d’autres forces (attraction), soit pour les em-
pêcher d’y pénétrer (répulsion et impénétrabilité); nous-
ne connaissons pas les autres propriétés constituant le
concept de la substance qui apparaît dans l’espace et que
nous nommons matière. Comme objet de l’entendement
pur au contraire, toute substance doit avoir des déter-
minations et des forces intérieures qui se rapportent à
la réalité intérieure. Mais que puis-je concevoir comme
accidents intérieurs sinon ceux que me présente mon sens^
intérieur, c’est-à-dire ce qui est pensée ou analogue à la
pensée? Aussi Leibnitz^ qui se représentait les substances
comme des noumènes, faisait-il de toutes ces substances
et même des éléments de la matière, après en avoir re-
tranché par la pensée tout ce qui peut signifier quelque
relation extérieure, et par conséquent aussi la compost-
tion, des sujets simples doués de la faculté représenta-^
tive, en un mot dès monades.
4^ Matière et forme. Ce sont là deux concepts qui ser-
vent de fondement à toute autre réflexion, tant ils sont
inséparablement liés à tout usage de l’entendement. Le
premier signifie le déterminable en général, le second,
AMPHIBOLIE DES CONCEPTS DE RÉFLEXION 33t
sa détermination (l’un et l’autre dans le sens transcen-
dental, puisqu’on fait abstraction de toute diversité de ce
qui est donné et de la manière dont il est déterminé).
Les logiciens appelaient autrefois matière le général, et
forme, la différence spécifique. Dans tout jugement on
peut appeler matière logique (du jugement) les concepts
donnés, et forme du jugement, le rapport de ces concepts
(unis par la copule). Dans tout être les éléments cons-
titutifs ^ (essentialia) en sont la matière ; la manière dont
ces éléments sont unis en une chose en sont la forme
essentielle. En outre, par rapport aux choses en général^
la réalité illimitée était regardée comme la matière de
toute possibilité, et sa limitation (sa négation) comme la
forme par laquelle une chose se distingue d’une autre
suivant des concepts transcendentaux. L’entendement
en effet exige d’abord que quelque chose soit donné (du
moins dans le concept], pour pouvoir le déterminer d’une
certaine manière. La matière précède donc la forme dans
le concept de l’entendement pur, et c’est pourquoi Leib-
nitz admettait d’abord des choses (des monades), et en-
suite une faculté représentative inhérente à ces choses^
sur laquelle il pût fonder leurs rapports extérieurs et le
commerce de leurs états (c’est-à-dire de leurs représen-
tations). L’espace et le temps étaient donc possibles, le
premier uniquement par le rapport des substances, et le
dernier par l’enchaînement de leurs déterminations
entre elles, en tant que principes et conséquences. Il en
devrait être ainsi en effet si l’entendement pur se rappor-
tait immédiatement aux objets, et si l’espace et le temps^
étaient des déterminations des choses en soi. Mais s’ils-
‘ Bestandstàclce,
332 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
ne sont que des intuitions sensibles dans lesquelles nous
déterminons tous les objets uniquement à titre de phé-
nomènes, la forme de l’intuition (comme constitution
subjective de la sensibilité) précède toute matière (les
sensations), et par conséquent l’espace et le temps pré-
cèdent tous les phénomènes et toutes les données de l’ex-
périence, qu’ils rendent d’abord possible. Le représentant
de \9i philosophie intelledtielle ^ ne pouvait admettre que la
forme pût précéder les choses mêmes et déterminer leur
possibiUté; et cette remarque était tout à fait juste à son
point de vue, puisqu’il admettait que nous percevons les
choses telles qu’elles sont (encore que notre représenta-
tion en soit confuse). Mais, comme l’intuition sensible
est une condition subjective toute particulière qui sert
à priori de fondement à toute perception et dont la forme
est originaire, la forme seule est donnée par elle-même;
et, bien loin que la matière (ou les choses mêmes qui
apparaissent) puissent servir de fondement (comme on
devrait le juger d’après les seuls concepts), la possibiUté
en suppose au contraire une intuition formelle (l’espace
et le temps) comme donnée.
Remarque sur Vamphiholie des concepts de réflexion
Qu’on me permette de désigner sous le nom de lieu
transcendental la place que nous assignons à un concept,
soit dans la sensibilité, soit dans l’entendement pur. On
appellerait ainsi topique transcendentale la détermination
‘ Ber Intellectuaî’Philosoph.
AMPHIBOLIE DES CONCEPTS DE RÉFLEXION 33â
de la place qui convient à chaque concept suivant Fusage
qui lui est propre, et l’indication des règles à suivre pour
déterminer ce lieu pour toiTs les concepts. Cette doctrine,
en distinguant toujours à quelle faculté de connaître les
concepts appartiennent proprement, nous préserverait
infailliblement des surprises de l’entendement et des
illusions qui en résultent. On peut appeler lieu logique
tout concept, tout titre dans lequel rentrent plusieurs
connaissances. Tel est l’objet de la topique logique d’A-
ristote, dont les rhéteurs et les orateurs pouvaient se
servir pour chercher sous certains titres de la pensée ce
qui convenait le mieux à la matière proposée, et pour en
raisonner subtilement avec une apparence de profondeur
ou en bavarder abondamment.
La topique transcendentale ne contient au contraire
que les quatre précédents titres de toute comparaison et
de toute distinction, et ces titres se distinguent des ca-
tégories en ce que, au heu de l’objet considéré suivant
ce qui constitue son concept (quantité, réalité), ils repré-
sentent uniquement dans toute sa diversité la compa-
raison des représentations qui précède le concept des
choses. Mais cette comparaison réclame d’abord une ré-
flexion, c’est-à-dire une détermination du lieu auquel
appartiennent les représentations des ‘choses comparées,
car il s’agit de savoir si c’est l’entendement pur qui les
pense, ou la sensibilité qui les donne dans le phénomène.
On peut comparer logiquement les concepts sans s’in-
quiéter de savoir à quoi se rattachent leurs objets, s’ils
appartiennent à l’entendement, comme noumènes, ou à la
sensibilité, comme phénomènes. Mais si, avec ces con-
cepts, nous voulons arriver aux objets, nous avons
besoin d’abord d’une réflexion transcendentale qui déter-
SM ANALYTIQUE TRAKSCENDENTALE
mine pour quelle faculté de connaître ils doivent être objets,
si c’est pour l’entendement pur ou pour la sensibilité.
Sans cette réflexion je fais^ de ces concepts un usage
très-incertain, et ainsi se produisent de prétendus princi-
pes synthétiques que la raison critique ne peut reconnaître,
et qui ont uniquement leur source dans une amphibolic
transcendentale, c’est-à-dire qui viennent de ce que Ton
confond l’objet pur de l’entendement avec le phénomène.
N’étant pas muni de cette topique transcendentale et
par conséquent trompé par l’amphiboUe des concepts de
réflexion, l’illustre Leihnitz construisit un système intellectuel
du monde^ ou plutôt il crut connaître la nature intime
des choses, en se bornant à comparer tous les objets
avec l’entendement et avec les concepts formels et abs-
traits de la pensée. Notre table des concepts de réflexion
nous procure cet avantage inattendu de mettre devant
nos yeux le caractère qui distingue sa doctrine dans
toutes ses parties, et en même temps le principe fonda-
mental de cette façon de penser qui lui est propre et qui
repose uniquement sur un malentendu. Il comparait entre
elles toutes les choses au moyen des seuls concepts, et,
comme il est naturel, il ne trouvait pas d’autres différen-
ces que celles par lesquelles l’entendement distingue ses
concepts purs les Uns des autres. Les conditions de l’in-
tuition sensible qui portent en elles leurs propres diffé-
rences, il ne les tenait pas pour originaires, car la
sensibilité n’était pour lui qu’une espèce de représentation
confuse, et non point une source particulière de repré-
sentations ; il voyait dans le phénomène la représentation
de la chose en so% mais une représentation distincte, quant
à la forme logique, de la connaissance due à l’entendement,
^n ce sens que, manquant ordinairement d’analyse, elle
»
AMPHIBOLIE DES CONCEPTS DE RÉFLEXION 335
introduit dans le concept de la chose un certain mélange
de représentations accessoires que l’entendement sait en
écarter. En un mot, ce philosophe intellectualise les phéno-
mènes ^, de même que LocJce^ avec son système de noogonie
(s’il m’est permis de me servir de cette expression), sen-
malise ^ tous les concepts de Tentendement, c’est-à-dire
les donne comme étant simplement des concepts de
réflexion empiriques, mais abstraits. Au lieu de chercher
dans l’entendement et dans la sensibilité deux sources
de représentations tout à fait distinctes, mais qui ont
besoin d’être unies pour juger des choses d’une manière
qui ait quelque valeur objective, chacun de ces deux
grands hommes s’attacha uniquement à l’une de ces deux
sources, à celle qui, dans son opinion, se rapportait im-
médiatement aux choses mêmes, tandis que l’autre ne
faisait que confondre ou ordonner les représentations de
la première.
Leibnit^ comparait donc entre eux uniquement au
point de vue de l’entendement les objets* des sens consi-
dérés comme choses en général. 1″* En tant qu’ils doi-
vent être jugés par cette faculté identiques ou différents.
Comme il n’avait devant les yeux que les concepts de
ces objets et non leur place dans l’intuition, dans la-
quelle seule les objets peuvent être donnés, et qu’il en
laissait tout à fait de côté le lieu transcendental (c’est-
à-dire la question de savoir si l’objet doit être rangé
parmi les phénomènes ou parmi les choses en soi), il ne
pouvait manquer d’étendre aux objets des sens {mundus
phœnomenon) son principe des indiscernables, qui n’a de
valeur que pour les concepts des choses en général, et
- Inteîlectuirte die Erscheinimgen. — * Sensificirt
336 A5ALYnQUE TRA5SCE5 DOTALE
de croire qo’il n’avait pas médiocrement étende par là
la connaissance de la natnre. Sans doote, qoand je re-
garde une gontte d’eau comme une chose en soi
d’après tontes ses qualités intrinsèques, je ne puis
en regarder aucune autre comme différente de celle-
là, si tout le concept de la seconde est identique à celui de
la première. Mais, si cette goutte d’eau est un phénomène
dans l’espace, elle n’a pas seulement sa place dans l’en-
tendement (parmi les concepts), mais dans l’intuition ex-
térieure sensible (dans l’espace); et^ conmie les lieux
physiques sont tout à fait indifférents par rapport aux
déterminations intrinsèques des choses, un heu = b peut
tout aussi bien recevoir une chose absolument semblable
et égale à une autre située dans un lieu = a, que si la
première était intrinsèquement distincte de la seconde.
La différence des lieux, sans autre condition, rend
la pluralité et la distinction des objets, considérés
comme phénomènes, non-seulement possibles par elles-
mêmes, mais même nécessaires. Cette prétendue loi des
indiscernables n’est donc pas une loi de la nature. Elle
est simplement une règle analytique, ou une comparai-
son des choses au moyen de simples concepts.
2* » Ce principe, que les réalités (comme simples affir-
mations) ne sont jamais logiquement contraires les unes
aux autres, est un principe tout à fait vrai quant au rap-
port des concepts, mais qui ne signifie absolument rien,
soit par rapport à la nature, soit par rapport à quelque
chose en soi (dont nous n’avons aucun concept). En effet,
il y a une contradiction réelle partout où A — B = 0,
c’est-à-dire où deux réalités étant liées dans un sujet,
l’une supprime l’effet de l’autre, comme le montrent in-
cessamment tous les obstacles et toutes les réactions
AMPHIBOLIE DES CONCEPTS DE RÉFLEXION 337
dans la nature, lesquelles pourtant reposant sur des forces
doivent être appelées realitates phœnomena. La mécanique
générale peut même, en considérant l’opposition des di-
rections, donner dans une règle à priori la condition
empirique de cette contradiction, condition dont le con-
cept transcendental de la réalité ne sait rien du tout.
Bien que M. de Leibnitz n’ait pas proclamé ce principe
avec toute la pompe d’un principe nouveau, il s’en est
cependant servi pour de nouvelles affirmations, et ses
successeurs l’ont introduit expressément dans leur sys-
tème Leibnit^ien-Wolfien, D’après ce principe, tous les
maux, par exemple, ne sont que les conséquences de la
limitation des créatures, c’est-à-dire des négations, parce
que la négation est la seule chose qui soit contradictoire
à la réalité (ce qui est vrai en effet dans le simple con-
cept d’une chose en général, mais ce qui ne l’est plus
dans les choses considérées comme phénomènes). Pa-
reillement, les disciples de ce philosophe trouvent non-
seulement possible, mais naturel de réunir en un être
toute réalité, sans avoir à craindre de trouver là aucune
opposition, parce qu’ils n’en connaissent pas d’autre que
celle de la contradiction, et oublient celle du dom-
mage réciproque qui a lieu quand un principe réel
détruit l’effet d’un autre, mais que nqus ne pouvons
nous représenter sans en demander les conditions à la
sensibiUté.
3® La monadologie de Leibnitz n’a pas d’autre prin-
cipe, sinon que ce philosophe représentait la distinction
de l’intérieur et de l’extérieur uniquement dans son rap-
port à l’entendement. Les substances en général doivent
avoir quelque chose S! intérieur qui, à ce titre, soit indé-
pendant de tout rapport extérieur, et par conséquent
I. 22
338 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
aussi de toute composition. Le simple est donc le fond(
ment de l’intérieur des choses en sol Mais l’intérieur c
leur état ne peut pas non plus consister dans le lieu, 1
figure, le contact ou le mouvement (déterminations qi
sont toutes des rapports extérieurs), et nous ne pouvoi
par conséquent attribuer aux substances aucun auti
état interne que celui par lequel nous déterminons nou
mêmes intérieurement notre sens, à savoir Vétat des r<
présentations. C’est ainsi que l’on arrive à concevoir 1(
monades qui doivent constituer la matière de tout l’un
vers en faisant consister uniquement leur force acti\
dans des représentations par lesquelles elles n’agisseï
proprement qu’en elles-mêmes.
Mais par la même raison aussi son principe du con
merce possible des substances entre elles devait être ui
harmonie préétablie^ et ne pouvait pas être une influeni
physique. En effet, puisque toutes les substances n’oi
aifaire qu’à l’intérieur, c’est-à-dire qu’à leurs représeï
tations, l’état des représentations d’une substance i
pouvait se trouver dans un rapport d’action avec cel
d’une autre substance; mais il fallait qu’une troisièn
cause influant sur toutes ensemble, fît correspondre leu
états entre eux, et cela non par une assistance occasio:
nelle et donnée dans chaque cas particulier {systen
assistentiœ), mais par l’unité d’un principe, s’appliquai
à tous les cas, dont elles reçussent toutes, suivant des lo
générales, leur existence et leur permanence, par consi
séquent aussi leur correspondance mutuelle.
4’* Le fameux système de Leibnitz sur le temps (
Vespace, qui consistait à intellectualiser ces formes de 1
sensibilité, avait tout simplement sa source dans 1
même illusion de la réflexion transcendent aie. Si je vei
AMPHIBOLIE DES CONCEPTS DE RÉFLEXION 339
me représenter par le seul entendement les rapports ex-
térieurs des choses, cela ne peut avoir lieu qu’au moyen
d’un concept de leur action réciproque ; et, pour que je
puisse lier un état d’une chose à un autre état de cette
même chose, il faut nécessairement que je me place dans
l’ordre des principes et des conséquences. C’est ainsi que
Leibnitz se représentait l’espace comme un certain ordre
dans le commerce des substances, et le temps comme la
série dynamique de leurs états. Mais ce que tous deux
semblent avoir de propre et d’indépendant des choses, il
l’attribuait à la confusion de ces concepts, qui fait regar-
der comme une intuition existant par elle-même et anté-
rieure aux choses mêmes ce qui est une simple forme de
rapports dynamiques. L’espace et le temps étaient donc
pour lui la forme intelligible de la liaison des choses en
soi (des substances et de leurs états). Quant aux choses
mêmes, il les regardait comme des substances intelligi-
bles (substantiœ noumena). Il voulait pourtant faire pas-
ser ces concepts pour des phénomènes, parce qu’il n’ac-
cordait à la sensibilité aucune espèce d’intuition, mais
qu’il les cherchait toutes, même la représentation empi-
rique des objets, dans l’entendement, et qu’il ne laissait
aux sens que la misérable fonction de confondre et de
défigurer les représentations de l’entendement.
Mais, quand même nous pourrions tirer de l’entende-
ment pur quelque proposition synthétique touchant Us
choses en soi (ce qui est cependant impossible), elle ne
pourrait nullement s’appliquer aux phénomènes, qui ne
représentent pas des choses en soi. Cela étant ainsi , je
ne devrais donc jamais, dans la réflexion transcen den-
tale, comparer mes concepts que sous les conditions de
la sensibilité, et ainsi l’espace et le temps ne sont pas
340 ANALYTIQUE TRANSCENDl-NTALE
des déterminations de choses en soi, mais de phéno-
mènes : ce que les choses peuvent être en soi, je ne le
sais pas et n’ai pas besoin de le savoir, puisqu’une
chose ne peut jamais se présenter à moi autrement que
dans le phénomène.
Je procède de même à l’égard des autres concepts de
réflexion. La matière est substaniia phœnomenon. Ce qui
lui convient intérieurement, je le cherche dans toutes les
parties de l’espace qu’elle occupe et dans tous les eifets
qu’elle produit, et qui ne sont à la vérité que des phéno-
mènes des sens extérieurs. Je n’ai donc rien qui soit ab-
solument intérieur, mais quelque chose qui ne l’est que
relativement, et qui lui-même à son tour se compose de
rapports extérieurs. Mais parler de ce qui, dans la ma-
tière, serait absolument intérieur aux yeux de l’entende-
ment pur, c’est d’ailleurs une parfaite chimère, car la ma-
tière n’est nulle part un objet pour l’entendement pur,
et l’objet transcendental qui peut être le principe de ce
phénomène que nous nommons matière est simplement
quelque chose dont nous ne comprendrions pas la nature,
quand même quelqu’un pourrait nous la dire. En effet,
nous ne pouvons comprendre que ce qui implique dans
l’intuition quelque chose qui corresponde à nos mots. Ou
se plaint de ne pas apercevoir Fintérieur des choses : si
l’on veut dire par là que nous ne comprenons point par
l’entendement pur ce que peuvent être en soi les choses
qui nous apparaissent, c’est là une plainte tout à fait in-^
juste et déraisonnable; car on voudrait pouvoir connaître
les choses, par conséquent les percevoir, sans le secours
des sens, c’est-à-dire qu’on voudrait avoir une faculté de
connaître tout à fait différente de celle de l’homme, non-
seulement par le degré, mais par l’intuition et la nature^
AMPHIBOLiE DES CONCEPTS DE RÉi LEXION 341
€’est-à-dire encore qu’on voudrait être non plus des
hommes, mais des êtres dont nous ne pouvons pas même
dire s’ils sont possibles, à plus forte raison comment ils
seraient constitués. L’observation et l’analyse des phéno-
mènes pénètrent dans l’intérieur de la nature, et l’on ne
peut savoir jusqu’où ce progrès s’étendra avec le temps.
Mais, quand même toute la nature nous serait dévoilée,
nous ne saurions encore répondre à ces questions trans-
<îendentales qui dépassent la nature, puisqu’il ne nous est
pas donné d’observer notre propre esprit avec une autre
intuition qu’avec celle de notre sens intérieur. En effet,
c’est en lui que réside le secret de l’origine de notre sen-
sibilité. Le rapport de cette sensibilité à un objet, et ce
qui est le principe transcendental de cette unité, sont
sans aucun doute trop profondément cachés pour que,
nous qui ne nous connaissons nous-mêmes que par le
sens interne, par conséquent comme phénomène, nous
puissions employer un instrument d’investigation si im-
propre à trouver autre chose que phénomène sur phéno-
mène, quelque désir que nous ayons d’en découvrir la
<^use non sensible.
Cette critique des conclusions qui se fondent sur
de simples actes de la réflexion, a une grande utilité :
c’est de démontrer clairement la vanité de tous
nos raisonnemjButs sur les objets que nous comparons
entre eux au point de vue du seul entendement, et en
même temps de confirmer un point sur lequel nous avons
tout particulièrement appelé l’attention, à savoir que,
bien que les phénomènes ne soient pas compris comme
choses en soi parmi les objets de l’entendement pur, ils
n’en sont pas moins les seules choses où notre connais-
34!2 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
sance puisse avoir une réalité objective, c’est-à-dire où
une intuition corresponde aux concepts.
Quand notre réflexion est purement logique, nous
nous bornons à comparer entre eux nos concepts au
point de vue de l’entendement, afin de’ savoir si deux
concepts contiennent la même chose, s’ils sont ou non
contradictoires, si quelque chose est intrinsèquement
contenu dans le concept ou s’y ajoute, et lequel des deux
est donné, lequel n’a de valeur que comme maôière de
concevoir le concept donné. Mais, quand j’applique ces
concepts à un objet en général (dans le sens transcen-
dental), sans déterminer d’ailleurs si c’est un objet de
l’intuition sensible ou de l’intuition intellectuelle, aussi-
tôt se manifestent des restrictions (pour nous empêcher
de sortir du concept de cet objet) qui en interdisent tout
usage empirique, et nous prouvent par là même que la
représentation d’un objet comme chose en général n’est
pas seulement insuffisante^ mais que, en l’absence de
toute détermination sensible de cet objet et en dehors
de toute condition empirique, elle est contradictoire en
soi ; qu’il faut donc (dans la logique) ou bien faire abs-
traction de tout objet, ou, si l’on en admet un, le conce-
voir sous les conditions de lïutuition sensible; qu’ainsi
l’intelligible exigerait une intuition tout autre que celle
que nous avons, et que, faute de cette intuition, il n’est
rien pour nous, mais qu’aussi les phénomènes ne peuvent
pas être des objets en soi. En eflet, si je conçois simplement
des choses en général, la diversité des rapports extérieurs
ne peut sans doute constituer une diversité des choses
mêmes, mais plutôt elle la présuppose; et, si le concept
de l’une de ces choses n’est pas intrinsèquement distinct