DIX BRÈVES RENCONTRES AGATHA CHRISTIE

Freda prit un coffret cerclé de cuivre, en souleva le couvercle et dit :

— Vous voyez, il est vide.

Wilbraham réfléchissait.

— Êtes-vous sûre qu’il n’y a pas d’autres papiers ailleurs ?

— Certaine. Maman les gardait tous dans cette boîte.

Le major examina l’intérieur du coffret et poussa une exclamation :

— Il y a une fente dans la doublure !

Il y passa la main, tâta avec précaution et entendit un léger craquement.

— Quelque chose a glissé derrière !

Il retira sa trouvaille : un morceau de papier fort sale, plié plusieurs fois, et l’étendit sur une table.

Freda, qui regardait par-dessus son épaule, poussa une exclamation de dépit :

— Il n’y a que de drôles de gribouillages !

— Mais c’est du swahili ! Le dialecte est-africain !

— C’est extraordinaire ! Savez-vous le lire ?

— Je crois bien ! Mais c’est stupéfiant !

Le major alla examiner la feuille devant la fenêtre, en lut et en relut le texte, puis revint vers Freda en souriant.

— Voici votre trésor caché !

— Non ! Pas possible ! Qu’est-ce ? Un galion espagnol coulé ?

— Ce n’est pas tout à fait aussi romanesque, mais cela revient au même. Ce papier indique la cachette d’un lot d’ivoire.

— D’ivoire ? dit la jeune fille stupéfaite.

— Oui. Il existe une loi qui ne permet d’abattre qu’un certain nombre d’éléphants. Or, un chasseur n’en a pas tenu compte. On le traquait et il a caché son butin… qui est important. Cette feuille indique assez clairement où le trouver. Il va nous falloir partir à sa recherche.

— Vous croyez que cela représente une jolie somme ?

— Vous aurez là une petite fortune agréable.

— Mais comment ce papier s’est-il trouvé parmi ceux de mon père ?

Wilbraham haussa les épaules.

— Peut-être le chasseur était-il mourant. Il avait rédigé son explication en swahili pour éviter les indiscrétions et l’avait donnée à votre père qui lui avait peut-être rendu service. Celui-ci, ne pouvant la déchiffrer, n’y a pas attaché d’importance… Ce n’est qu’une supposition, mais je ne serais pas étonné qu’elle fût juste.

— C’est passionnant ! soupira Freda.

— Seulement, reprit le major, qu’allons-nous faire de ce précieux document ? Cela m’ennuie de le laisser ici, car ces gens pourraient revenir voir. Accepteriez-vous de me le confier ?

— Bien sûr. Mais… ne serait-ce pas dangereux pour vous ?

— Je suis coriace. Ne vous inquiétez pas pour moi.

Wilbraham plia le papier et le rangea dans son portefeuille, puis il ajouta :

— Puis-je venir vous voir demain ? J’aurai formé un projet et situé l’endroit sur la carte. À quelle heure rentrez-vous de la Cité ?

— Vers 18 h 30.

— Très bien. Nous tiendrons une conférence et vous me laisserez vous emmener dîner pour fêter l’événement. Donc, à demain.

Le major fut exact et, le lendemain, il sonnait à la porte de la maison. Une domestique lui ouvrit et répondit à sa demande :

— Miss Clegg est sortie.

— Je reviendrai, dit-il.

Puis il fit les cent pas dans la rue pour attendre. Le temps passa. À 19 heures, inquiet, il retourna sonner et dit à la servante :

— J’avais rendez-vous avec miss Clegg à 18 h 30. Êtes-vous sûre qu’elle n’est pas là ou n’a laissé aucun message ?

— Êtes-vous le major Wilbraham ?

— Oui.

— Alors, on a apporté une lettre pour vous.

Il saisit l’enveloppe, l’ouvrit et lut :

Cher Major,

Il se produit une chose étrange. Je ne puis écrire davantage. Voulez-vous venir me rejoindre à Whitefriars dès que vous recevrez ceci ?

Bien à vous,

Freda Clegg

Un effort de réflexion fit froncer les sourcils de Wilbraham qui tira, d’un air absent, une lettre de sa poche ; elle était adressée à son tailleur.

— Pourriez-vous, dit-il à la servante, me procurer un timbre ?

— Je pense que Mrs Parkins doit en avoir.

Elle ne tarda pas à reparaître en apportant un timbre que le major paya très largement. Puis il se dirigea vers une station de métro et jeta la lettre dans une boîte en passant.

Le mot de Freda l’avait inquiété. Pourquoi s’était-elle rendue, seule, sur les lieux de sa sinistre aventure de la veille ? C’était fort imprudent ! Reed était-il revenu et avait-il su persuader Freda qu’elle devait avoir confiance en lui ?

Wilbraham consulta sa montre : il était près de 19 h 30. Freda avait espéré qu’il se mettrait en route une heure plus tôt… Du reste, le ton cavalier de son message le troublait, car il ne lui paraissait pas en accord avec le caractère de la jeune fille.

Il était 19 h 50 lorsqu’il atteignit Friars Lane ; le crépuscule tombait. Ayant regardé autour de lui, il ne vit personne et poussa la vieille barrière tout doucement. Le cul-de-sac était désert et la maison paraissait plongée dans l’obscurité. Il avança lentement, en fouillant les alentours du regard afin de ne pas être attaqué par surprise.

Tout à coup, il s’arrêta car un rayon lumineux avait glissé sous une persienne. Donc, la maison n’était pas vide.

Le major pénétra dans le jardin et fit, sans bruit, le tour de la construction ; il ne tarda pas à trouver ce qu’il cherchait : une fenêtre mal fermée qui donnait sur une arrière-cuisine. Il la poussa, alluma une torche électrique qu’il avait achetée en route, éclaira l’intérieur de la pièce et grimpa sur l’entablement.

Il ouvrit la porte intérieure, n’entendit rien et fit encore jouer sa torche. Il se trouvait dans une cuisine déserte. Au fond, une porte devait conduire dans le hall. L’ayant poussée, il se rendit compte qu’il allait pénétrer dans un grand vestibule aussi silencieux que le reste. Devant lui se trouvaient deux portes, l’une à droite, l’autre à gauche. Il choisit la première, tourna le bouton qui obéit, et avança. Sa lampe électrique lui montra une pièce nue. Au même instant, il perçut un mouvement derrière lui, se retourna… trop tard. Il reçut un coup sur la tête et sentit qu’on lui appliquait un mouchoir sous le nez…

Wilbraham ne put se rendre compte du temps qui s’écoula avant qu’il reprit conscience… et, quand il essaya de bouger, il comprit qu’il était ligoté.

Une vague lueur lui montra qu’il se trouvait dans un petit cellier ; ayant regardé autour de lui, il tressaillit : Freda, attachée comme lui, était étendue à quelques pas ; elle avait les yeux fermés mais, tandis qu’il la contemplait avec effroi, elle soupira, souleva les paupières, regarda Wilbraham, le reconnut et murmura :

— Comment ! vous aussi ? Que s’est-il passé ? Que vous est-il arrivé ?

— On m’a tendu un piège. Vous m’avez envoyé un mot me demandant de venir vous rejoindre dans cette maison…

Elle ouvrit de grands yeux étonnés :

— Moi ? Mais c’est vous qui m’avez écrit !

— Je vous ai écrit ?

— Oui, j’ai reçu la lettre à mon bureau. Vous me donniez rendez-vous ici plutôt que chez moi.

— On a employé le même procédé pour nous deux…, grommela Wilbraham, qui exposa la situation.

— Je comprends, dit Freda. On voulait…

— S’emparer du papier. Nous avons dû être suivis hier ! C’est ainsi qu’on m’a identifié.

— Vous ont-ils pris la feuille ?

— Je ne puis, hélas ! m’en assurer, dit le major en regardant tristement ses mains liées.

Au même instant, tous deux tressaillirent car une voix parut sortir du mur :

— Oui, merci, je l’ai, il n’y a pas d’erreur.

— Mr Reed…, murmura la jeune fille.

— Reed n’est qu’un de mes nombreux noms, chère mademoiselle, reprit la voix. Maintenant, j’ai le regret de vous dire que vous avez tous deux nui à mes projets, chose que je n’admets pas. Le fait que vous ayez trouvé cette maison me gêne énormément. Vous ne l’avez pas encore signalée à la police, mais il se pourrait que vous le fassiez. Or, cette maison m’est fort utile car on n’en revient jamais… On va… ailleurs. Tel sera votre cas. C’est regrettable, mais nécessaire.

La voix s’interrompit une seconde puis ajouta :

— Pas d’effusion de sang, j’en ai horreur. Mon système est beaucoup plus simple et, je crois, peu douloureux. Allons, il faut que je parte. Bonsoir !

— Écoutez, s’écria Wilbraham, faites de moi ce que vous voudrez mais cette jeune femme n’est aucunement coupable et vous pouvez lui rendre la liberté sans inconvénient !

Il n’y eut aucune réponse.

Tout à coup Freda jeta un cri :

— L’eau !

Le major se retourna avec difficulté et suivit la direction du regard de Freda. Une espèce de petit ruisseau coulait d’un trou dans le plafond.

— Il va nous noyer ! haleta la jeune fille.

Le front de Wilbraham se couvrit de sueur.

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