Gamiani ou Deux Nuits d’Excès

Je pensais que Fanny, jeune encore, innocente de cœur, neconserverait de Gamiani qu’un souvenir d’horreur et de dégoût. Jel’accablais de tendresse et d’amour, je lui prodiguais les plusdouces et les plus enivrantes caresses ; parfois, je l’abîmaisde plaisir, dans l’espoir qu’elle ne concevrait plus désormaisd’autre passion que celle avouée par la nature, qui confond lesdeux sexes dans la joie des sens et de l’âme. Hélas ! je metrompais ; l’imagination était frappée : elle dépassaittous nos plaisirs. Rien n’égalait aux yeux de Fanny les transportsde son amie. Nos plus forts accès lui semblaient de froidescaresses, comparés aux fureurs qu’elle avait connues dans cettenuit funeste.

Elle m’avait juré de ne plus revoir Gamiani, mais son sermentn’éteignait pas le désir qu’elle nourrissait en secret. Vainementelle luttait : ce combat intérieur ne servait qu’à l’irriterdavantage. Je compris bientôt qu’elle ne résisterait pas. J’avaisperdu sa confiance : il fallut me cacher pour l’observer.

À l’aide d’une ouverture habilement pratiquée, je pouvais lacontempler chaque soir à son coucher. La malheureuse ! je lavis souvent pleurer sur son divan, se tordre, se rouler désespérée,et, tout à coup, déchirer, jeter ses vêtements, se mettre toute nuedevant une glace, l’œil égaré, comme une folle. Elle se touchait,se frappait, s’excitait au plaisir avec une frénésie insensée etbrutale. Je ne pouvais plus la guérir, mais je voulus voir jusqu’oùse porterait ce délire des sens.

Un soir, j’étais à mon poste, Fanny allait se coucher, lorsqueje l’entendis s’écrier :

– Qui est là ? Est-ce vous, Angélique ?…Gamiani !… Oh ! madame, j’étais loin…

GAMIANI.

Sans doute : vous me fuyez, vous me repoussez : j’aidû recourir à la ruse. J’ai trompé, éloigné vos gens, et mevoici !

FANNY.

Je ne puis vous comprendre, encore moins qualifier votreobstination ; mais si j’ai tenu secret ce que je sais de vous,mon refus formel de vous recevoir devait vous dire assez que votreprésence m’est importune… odieuse… Je vous rejette, je vousabhorre… Laissez-moi, par grâce ! éloignez-vous, évitez unscandale…

GAMIANI.

Mes mesures et ma résolution sont prises, vous ne les changerezpas, Fanny ; oh ! ma patience est à bout !

FANNY.

Eh bien ! que prétendez-vous faire ? Me forcer encore,me violenter, me salir… oh ! non, madame, vous sortirez, ouj’appelle mes gens !

GAMIANI.

Enfant ! nous sommes seules ; les portes sont fermées,les clefs jetées par la fenêtre. Vous êtes à moi !… Mais,calmez-vous, soyez sans crainte.

FANNY.

Pour Dieu ! ne me touchez pas !

GAMIANI.

Fanny, toute résistance est vaine. Vous succomberez toujours. Jesuis la plus forte, et la passion m’anime. Un homme ne me vaincraitpas ! Allons ! elle tremble… elle pâlit !… MonDieu ! Fanny ! ma Fanny !… Elle se trouve mal !Oh qu’ai-je fait ?… Reviens à toi, reviens !… Si je tepresse ainsi sur moi, c’est par amour. Je t’aime tant, toi, ma vie,mon âme ! Tu ne peux donc pas me comprendre ?

Va ! je ne suis pas méchante, ma petite, ma chérie !…Non, je suis bonne, bien bonne, puisque j’aime ! Vois dans mesyeux, sens comme mon cœur bat. C’est pour toi, pour toiseule ! Je ne veux que ta joie, ton ivresse en mes bras.Reviens à toi, reviens sous mes baisers ! Oh !folie ! je l’idolâtre, cette enfant !…

FANNY.

Vous me tuerez ! Mon Dieu ! laissez-moi doncenfin ; vous êtes horrible !

GAMIANI.

Horrible ! horrible ! qu’ai-je en moi qui puisseinspirer tant d’horreur ? Ne suis-je pas jeune encore ?ne suis-je pas belle aussi ? On me le dit partout. Et moncœur ! en est-il un plus capable d’aimer ? Le feu qui meconsume, qui me dévore, ce feu brûlant de l’Italie qui redouble messens et me fait triompher alors que tous les autres cèdent, est-cedonc chose horrible ? Dis… un homme, un amant, qu’est-ce, prèsde moi ? Deux ou trois luttes l’abattent, le renversent ;à la quatrième il râle impuissant, ses reins plient dans le spasmedu plaisir. C’est pitié ! Moi, je reste encore forte,frémissante, inassouvie ! Oh ! oui, je personnifie lesjoies ardentes de la matière, les joies brûlantes de lachair ! Luxurieuse, implacable, je donne un plaisir sans fin,je suis l’amour qui tue !

FANNY.

Assez ! Gamiani, assez !

GAMIANI.

Non ! non ! écoute encore, écoute, Fanny. Être nues,se sentir jeunes et belles, suaves, embaumées, brûler d’amour, ettrembler de plaisir ; se toucher, se mêler, s’exhaler corps etâme en un soupir, un seul cri, un cri d’amour ! Fanny !Fanny ! c’est le ciel !

FANNY.

Quels discours ! quels regards !… et je vous écoute,je vous regarde… Oh ! grâce pour moi, je suis si faible. Vousme fascinez… Quelle puissance as-tu donc ? Tu te mêles à machair, tu te mêles à mes os, tu es un poison !… Oh ! oui,tu es horrible et… je t’aime !…

GAMIANI.

Je t’aime ! je t’aime ! Dis encore, dis encore, maisc’est un mot qui brûle !

Gamiani était pâle, immobile, les yeux ouverts, les mainsjointes, à genoux devant Fanny. On eût dit que le ciel l’avaitsoudainement frappée pour la changer en marbre. Elle était sublimed’anéantissement et d’extase.

FANNY.

Oui ! oui ! je t’aime de toutes les forces de moncorps ! Je te veux, je te désire ! Oh ! j’en perdraila tête !

GAMIANI.

Que dis-tu, bien-aimée ? que dis-tu ?… Je suisheureuse !… Tes cheveux sont beaux ; qu’ils sontdoux ! Ils glissent dans mes doigts, fins, dorés comme lasoie. Ton front est bien pur, plus blanc qu’un lys. Tes yeux sontbeaux, ta bouche est belle. Tu es blanche, satinée, parfumée,céleste de la tête aux pieds ! Tu es un ange, tu es lavolupté ! Oh ! ces roses ! ces lacets ! Soisdonc nue !… vite à moi !… je suis nue déjà, moi !…Tiens ! eh bien ! Éblouissante !… Reste debout, queje t’admire. Si je pouvais te peindre, te rendre d’un seultrait !… Attends, que je baise tes pieds, tes genoux ;ton sein, ta bouche ! Embrasse-moi ! serre-moi !Plus fort ! plus fort ! quelle joie ! Ellem’aime !…

Les deux corps n’en faisaient qu’un. Seulement, les têtes setenaient séparées et se regardaient avec une expression ravissante.Les yeux étaient de feu, les joues d’un rouge ardent. Les bouchesfrémissaient, riaient, ou se mêlaient avec transport. J’entendis unsoupir s’exhaler, un autre lui répondre ; après, ce fut uncri, un cri étouffé, et les deux femmes restèrent immobiles.

FANNY.

J’ai été heureuse, bien heureuse !

GAMIANI.

Moi aussi, ma Fanny, et d’un bonheur qui m’était inconnu.C’était l’âme et les sens réunis sur tes lèvres… Viens sur ton lit,viens goûter une nuit d’ivresse !

À ces mots, elles s’entraînent mutuellement vers l’alcôve. Fannys’élance sur le lit, s’étend, se couche voluptueusement. Gamiani, àgenoux sur un tapis, l’attire sur son sein, l’entoure de sesbras.

Silencieuse, elle la contemple avec langueur… Bientôt lesagaceries recommencent. Les baisers se répondent, les mains volent,habiles au toucher. Les yeux de Fanny expriment le désir etl’attente ; ceux de Gamiani, le désordre des sens. Colorées,animées par le feu du plaisir, toutes deux semblaient étinceler àmes yeux ; ces furies délirantes, à force de rage et depassion, poétisaient en quelque sorte l’excès de leurdébauche : elles parlaient à la fois aux sens et àl’imagination.

J’avais beau me raisonner, condamner en moi ces absurdes folies,je fus bientôt ému, échauffé, possédé de désir. Dansl’impossibilité où j’étais d’aller me mêler à ces deux femmes nues,je ressemblais à la bête fauve que tourmente le rut et qui des yeuxdévore sa femelle à travers les barreaux de sa cage. Je restaisstupidement immobile, la tête clouée près de l’ouverture d’oùj’aspirais, pour ainsi dire, ma torture, vraie torture de damné,terrible, insupportable, qui frappe d’abord la tête, se mêleensuite au sang, s’infiltre dans les os, jusqu’à la moelle, qu’ellebrûle. Je souffrais trop à force de sentir. Il me semblait que mesnerfs, tendus, irrités, finissaient par se rompre. Mes mains,crispées, s’accrochaient au parquet. Je ne respirais plus,j’écumais. Ma tête se perdit. Je devins fou furieux, etm’empoignant avec rage, je sentis toute ma force d’homme s’agiterfuribonde entre mes doigts serrés, tressaillir un instant, puisfondre et s’échapper en saillies brûlantes comme une rosée defeu ! jouissance étrange qui vous brise, vous renverse àterre !

Revenu à moi, je me vis énervé. Mes paupières étaientlourdes ; ma tête se tenait à peine. Je voulus m’arracher dema place ; un soupir de Fanny m’y retint. J’appartenais audémon de la chair. Tandis que mes mains se lassaient à ranimer mapuissance éteinte, je m’abîmais les yeux à contempler la scène quime jetait dans un si horrible désordre.

Les poses étaient changées. Mes tribales se tenaient enfourchéesl’une dans l’autre, cherchant à mêler leurs duvets touffus, àfrotter leurs parties ensemble. Elles s’attaquaient, se refoulaientavec un acharnement et une vigueur que l’approche du plaisir peutseul donner à des femmes. On eût dit qu’elles voulaient se fendre,se briser, tant leurs efforts étaient violents, tant leurrespiration haletait bruyante. – Hai ! hai ! s’écriaitFanny, je n’en puis plus, cela me tue ! Va seule,va !

– Encore ! répondait Gamiani, je touche aubonheur ! Pousse ! tiens donc ! tiens !… Jem’écorche ! je crois. Ah ! je sens, je coule !…Ah ! ah ! ah !… – La tête de Fanny retombait sansforce. Gamiani roulait la sienne, mordait les draps, mâchait sescheveux flottants sur elle. Je suivais leurs élans, leurssoupirs ; j’arrivai comme elles au comble de lavolupté !

FANNY.

Quelle fatigue ! Je suis rompue, mais quel plaisir j’aigoûté !…

GAMIANI.

Plus l’effort dure, plus il est pénible, plus aussi lajouissance est vive et prolongée !

FANNY.

Je l’ai éprouvé. J’ai été plus de cinq minutes plongée dans unesorte de vertige enivrant. L’irritation se portait dans tous mesmembres. Ce frottement de poils contre une peau si tendre mecausait une démangeaison dévorante. Je me roulais dans le feu, dansla joie des sens ! Ô folie ! ô bonheur !jouir ! oh ! je comprends ce mot !

Une chose m’étonne, Gamiani. Comment, si jeune encore, as-tucette expérience des sens ? Je n’aurais jamais supposé toutesnos extravagances. D’où te vient ta science ? D’où vient tapassion qui me confond, qui parfois m’épouvante ? La nature nenous fait pas de la sorte.

GAMIANI.

Tu veux donc me connaître ? Eh bien ! enlace-moi danstes bras, croisons nos jambes, pressons-nous ! Je vais teraconter ma vie au couvent. C’est une histoire qui pourra nousmonter la tête, nous donner de nouveaux désirs.

FANNY.

Je t’écoute, Gamiani.

GAMIANI.

Tu n’as pas oublié le supplice atroce que me fit subir ma tante,pour servir sa lubricité. Je n’eus pas plutôt compris l’horreur desa conduite, que je m’emparai de quelques papiers quigarantissaient ma fortune. Je pris aussi des bijoux, de l’argent,et, profitant d’une absence de ma digne parente, j’allai meréfugier dans un couvent des sœurs de la Rédemption. La supérieure,touchée sans doute de mon jeune âge et de mon apparente timidité,me fit l’accueil le plus propre à dissiper mes craintes et monembarras.

Je lui racontai ce qui m’était arrivé, je lui demandai un asileet sa protection. Elle me prit dans ses bras, me serraaffectueusement et m’appela sa fille. Après, elle m’entretint de lavie tranquille et douce du couvent ; elle réchauffa encore mahaine pour les hommes et termina par une exhortation pieuse qui meparut le langage d’une âme divine. Pour rendre moins sensible monpassage subit de la vie du monde à la vie du cloître, il futconvenu que je resterais près de la supérieure et que je coucheraischaque soir dans son alcôve. Dès la seconde nuit nous en étions àcauser le plus familièrement du monde. La supérieure se retournait,s’agitait sans cesse dans son lit. Elle se plaignait du froid et mepria de coucher avec elle pour la réchauffer. Je la trouvaiabsolument nue. On dort mieux, disait-elle, sans chemise. Ellem’engagea à ôter la mienne ; ce que je fis pour lui êtreagréable. – Oh ! ma petite, s’écria-t-elle en me touchant, tues brûlante ! Comme ta peau est douce ! Lesbarbares ! oser te martyriser de la sorte ! Tu as dû biensouffrir ! Raconte-moi donc ce qu’ils t’ont fait. Ils t’ontbattue ? dis. Je lui répétai mon histoire dans tous sesdétails, appuyant sur ceux qui paraissaient l’intéresser davantage.Le plaisir qu’elle prenait à m’entendre parler était si vif qu’elleen éprouvait des tressaillements extraordinaires. – Pauvreenfant ! pauvre enfant ! répétait-elle, en me serrant detoutes ses forces.

Insensiblement je me trouvai étendue sur elle. Ses jambesétaient croisées sur mes reins, ses bras m’entouraient. Une chaleurtiède et pénétrante se répandait par tout mon corps ;j’éprouvais un bien-être inconnu, délicieux, qui communiquait à mesos, à ma chair, je ne sais quelle sueur d’amour qui faisait couleren moi comme une douceur de lait. – Vous êtes bonne, bien bonne,dis-je à la supérieure. Je vous aime, je suis heureuse près devous. Je ne voudrais jamais vous quitter ! Ma bouche secollait sur ses lèvres, et je reprenais avec ardeur : –Ah ! oui, je vous aime à en mourir !… Je ne sais… mais jesens…

La main de la supérieure me flattait avec lenteur. Son corpss’agitait doucement sous le mien. Sa toison, dure et touffue, semêlait à la mienne, me piquait au vif et me causait unchatouillement diabolique. J’étais hors de moi, dans unfrémissement si grand que tout mon corps tremblait. À un baiserviolent que me donna la supérieure, je m’arrêtai subitement.– Mon Dieu ! m’écriai-je, laissez-moi !… Ah !…jamais rosée plus abondante, plus délicieuse ne suivit un combatd’amour.

L’extase passée, loin d’être abattue, je me précipite de plusbelle sur mon habile compagne ; je la mange de caresses. Jeprends sa main, je la porte à cette même place qu’elle vientd’irriter si fort. La supérieure, me voyant de la sorte, s’oublieelle-même, s’emporte comme une bacchante. Toutes deux nousdisputons d’ardeur, de baisers, de morsures !… Quelle agilité,quelle souplesse cette femme avait dans les membres ! Soncorps se pliait, s’étendait, se roulait à m’étourdir. Je n’y étaisplus. J’avais à peine le temps de rendre un seul baiser à tous ceuxqui me pleuvaient de la tête aux pieds. Il me semblait que j’étaismangée, dévorée en mille endroits ! Cette incroyable activitéd’attouchement lubrique me mit dans un état qu’il est impossible dedécrire. Ô Fanny ! que n’étais-tu témoin de nos assauts, denos élans ! Si tu nous avais vues toutes deux furibondes,haletantes, tu aurais compris tout ce que peut l’empire des senssur deux femmes amoureuses. Un instant ma tête se trouve priseentre les cuisses de ma lutteuse. Je crus deviner ses désirs.Inspirée par la lubricité, je me mis à la ronger dans ses partiesles plus tendres. Mais je répondais mal à ses vœux. Elle me ramènebien vite sur elle, glisse, s’échappe sous mon corps et,m’entrouvrant subtilement les cuisses, elle m’attaque aussitôt avecla bouche. Sa langue agile et pointue me pique, me sonde comme unstylet qu’on pousse et retire rapidement. Ses dents me prennent etsemblent vouloir me déchirer… J’en vins à m’agiter comme uneperdue. Je repoussais la tête de la supérieure, je la tirais parles cheveux. Alors elle lâchait prise : elle me touchaitdoucement, m’injectait sa salive, me léchait avec lenteur, ou memordillait le poil et la chair avec une raffinerie si délicate, sisensuelle à la fois, que ce seul souvenir me fait suinter deplaisir. Oh ! quelles délices m’enivraient ! quelle rageme possédait ! Je hurlais sans mesure ; je m’abattaisabîmée, ou m’élevais égarée, et toujours la pointe rapide, etaiguë, m’atteignait, me perçait avec raideur ! Deux lèvresminces et fermes prenaient mon clitoris, le pinçaient, lepressaient à me détacher l’âme ! Non, Fanny, il est impossiblede sentir, de jouir de la sorte plus d’une fois en sa vie !Quelle tension dans mes nerfs ! quel battement dans mesartères ! quelle ardeur dans la chair et le sang ! Jebrûlais, je fondais et je sentais une bouche avide, insatiable,aspirer jusqu’à l’essence de ma vie. Je te l’assure, je fusdesséchée, et j’aurais dû être inondée de sang et de liqueur !Mais que je fus heureuse ! Fanny ! Fanny ! je n’ytiens plus ! Quand je parle de cet excès, je crois éprouverencore ces mêmes titillations dévorantes ! Achève-moi !…,Plus vite ! plus fort !… bien ! ah !bien ! las ! je meurs !…

Fanny était pire qu’une louve affamée.

– Assez ! assez ! répétait Gamiani. Tu m’épuises,démon de fille ! Je te supposais moins habile, moinspassionnée. Je le vois, tu te développes. Le feu te pénètre.

FANNY.

Cela se peut-il autrement ? Il faudrait être dépourvue desang et de vie pour rester insensible avec toi ! – Que fis-tuensuite ?

GAMIANI.

Plus savante alors, je rendis avec usure, j’abîmai mon ardentecompagne. Toute gêne fut désormais bannie entre nous, et j’apprisbientôt que les sœurs de la Rédemption s’adonnaient entre elles auxfureurs des sens, qu’elles avaient un lieu secret de réunion etd’orgie pour s’ébattre à leur aise. Ce sabbat infâme s’ouvrait àcomplies et se terminait à matines.

La supérieure me déroula ensuite sa philosophie. J’en fusépouvantée, au point de voir en elle un Satan incarné. Cependant,elle me rassura par quelques plaisanteries, et me divertit surtouten me racontant la perte de son pucelage. Tu ne devinerais jamais àqui fut donné ce précieux trésor. L’histoire est singulière et vautla peine d’être répétée.

La supérieure, que j’appellerai maintenant Sainte, était filled’un capitaine de vaisseau. Sa mère, femme d’esprit et de raison,l’avait élevée dans tous les principes de la sainte religion, cequi n’empêcha pas que le tempérament de la jeune Sainte ne sedéveloppât de très bonne heure. Dès l’âge de douze ans, elleressentait des désirs insupportables, qu’elle cherchait àsatisfaire par tout ce qu’une imagination ignorante peut inventerde plus bizarre. La malheureuse se travaillait chaque nuit :ses doigts insuffisants gaspillaient en pure perte sa jeunesse etsa santé. Un jour, elle aperçut deux chiens qui s’accouplaient. Sacuriosité lubrique observa si bien le mécanisme et l’action dechaque sexe, qu’elle comprit mieux désormais ce qui lui manquait.Sa science acheva son supplice. Vivant dans une maison solitaire,entourée de vieilles servantes, sans jamais voir un homme,pouvait-elle espérer de rencontrer cette flèche animée, si rouge,si rapide, qui l’avait si fort émerveillée et qu’elle supposaitdevoir exister pareillement pour la femme ? À force de setourmenter l’esprit, ma nymphomane se remémora que le singe est, detous les animaux, celui qui ressemble le plus à l’homme. Son pèreavait précisément un superbe orang-outang. Elle courut le voir,l’étudier, et comme elle restait longtemps à l’examiner, l’animaléchauffé sans doute par la présence d’une jeune fille, se développatout à coup de la façon la plus brillante. Sainte se mit à bondirde joie. Elle trouvait enfin ce qu’elle cherchait tous les jours,ce qu’elle rêvait chaque nuit. Son idéal lui apparaissait réel etpalpable. Pour comble d’enchantement, l’indicible joyau s’élançaitplus ferme, plus ardent, plus menaçant qu’elle ne l’eût jamaisambitionné. Ses yeux le dévoraient. Le singe s’approcha, se penditaux barreaux et s’agita si bien que la pauvre Sainte en perdit latête. Poussée par sa folie, elle force un des barreaux de la cageet pratique un espace facile que la lubrique bête met de suite àprofit. Huit pouces francs, bien prononcés, saillaient à ravir.Tant de richesse épouvanta d’abord notre pucelle. Toutefois, lediable la pressant, elle osa voir de plus près ; sa maintoucha, caressa. Le singe tressaillit à tout rompre ; sagrimace était horrible. Sainte, effrayée, crut voir Satan devantelle. La peur la retint. Elle allait se retirer lorsqu’un dernierregard jeté sur la flamboyante amorce réveille tous ses désirs.Elle s’enhardit aussitôt, relève ses jupes d’un air décidé etmarche bravement à reculons, le dos penché vers la pointeredoutable. La lutte s’engage, les coups se portent, la bêtedevient l’égale de l’homme. Sainte est embestialisée, dévirginée,ensingée ! Sa joie, ses transports éclatent en une gamme deoh ! et de ah ! mais sur un ton si élevé que la mèreentend, accourt, et vous surprend sa fille bien nettementenchevillée, se tortillant, se débattant et déjectant sonâme !

FANNY.

La farce est impayable !

GAMIANI.

Pour guérir la pauvre fille de sa manie singesque, on la plaçadans le couvent.

FANNY.

Mieux eût valu l’abandonner à tous les singes !

GAMIANI.

Tu vas mieux juger combien tu as raison. Mon tempéraments’accommodant volontiers d’une vie de fêtes et de plaisir, jeconsentis avec joie à être initiée aux mystères des saturnalesmonastiques. Mon admission ayant été adoptée au chapitre, je fusprésentée deux jours après. J’arrivai nue selon la règle. Je fis leserment exigé, et, pour achever la cérémonie, je me prostituaicourageusement à un énorme priape de bois destiné à cet effet.J’achevais à peine une douloureuse libation, que la bande des sœursse rua sur moi, plus pressée qu’une troupe de cannibales. Je meprêtai à tous les caprices ; je pris les poses les pluslubriquement énergiques ; enfin, je terminai par une danseobscène et je fus proclamée victorieuse. J’étais exténuée. Unepetite nonne bien vive, bien éveillée, plus raffinée que lasupérieure, m’entraîna dans son lit. C’était bien la plus damnéetribale que l’enfer eût pu créer. Je conçus pour elle une vraiepassion de chair, et nous fûmes presque toujours ensemble pendantles grandes orgies nocturnes.

FANNY.

Dans quel lieu se tenaient vos lupercales ?

GAMIANI.

Dans une vaste salle que l’art et l’esprit de débauche s’étaientplus à embellir. On y arrivait par deux grandes portes fermées à lafaçon des Orientaux, avec de riches draperies, bordées de frangesd’or, ornées de mille dessins bizarres. Les murs étaient tendus develours bleu foncé qu’encadrait une large plaque en bois decitronnier habilement ciselée. À distance égale, de grandes glacespartaient du plafond et touchaient au parquet . Dans lesscènes d’orgie, les groupes nus des nonnes en délire se reflétaientsous mille formes, ou bien se détachaient vifs et brillants sur leslambris tapissés. Les coussins des divans tenaient lieu de siègeset servaient mieux encore les ébats de la volupté, les poses de lalubricité. Un double tapis, d’un tissu délicat, délicieux autoucher, recouvrait le parquet. On y voyait représentés, avec unemagie surprenante de couleurs, vingt groupes amoureux, dans desattitudes lascives bien propres à rallumer les désirs éteints. Auplafond, la peinture offrait à l’œil les images les plusexpressives de la folie et de la débauche.

Je me rappellerai toujours une thyade fougueuse que tourmentaitun corybante. Je n’ai jamais regardé ce tableau sans être provoquéeaussitôt au plaisir.

FANNY.

Ce devait être délicieux à voir !

GAMIANI.

Ajoute encore à ce luxe de décorationsl’enivrement des parfums et des fleurs ; une chaleur égale,tempérée, puis une lumière tendre, mystérieuse, qui s’échappait desix lampes d’albâtre, plus douce qu’un reflet d’opale. Tout faisaitnaître en vous je ne sais quel vague enchantement mêlé de désirinquiet, de rêverie sensuelle. C’était l’Orient, son luxe, sapoésie, sa nonchalante volupté. C’était le mystère du harem, sessecrètes délices et, par-dessus tout, son ineffable langueur.

FANNY.

Qu’il eût été doux de passer là des nuits d’ivresse près d’unobjet aimé !

GAMIANI.

Sans doute, l’amour en eût fait volontiers son temple, si labruyante et sale orgie ne l’avait transformée chaque soir enrepaire immonde.

FANNY.

Comment cela ?

GAMIANI.

Dès que minuit sonnait, les nonnes entraient vêtues d’une simpletunique noire, pour faire ressortir la blancheur des chairs. Toutesavaient les pieds nus, les cheveux flottants. Un service splendideparaissait bientôt comme par enchantement. La supérieure donnait lesignal et l’on y répondait à l’envi. Les unes se tenaient assises,les autres couchées sur les coussins. Les mets exquis, les vinschauds irritants étaient enlevés avec un appétit dévorant. Cesfigures de femmes usées par la débauche, froides, pâles aux rayonsdu jour, se coloraient, s’échauffaient peu à peu. Les vapeursbacchiques, les apprêts cantharidés portaient le feu dans le corps,le trouble dans la tête. La conversation s’animait, bruissaitconfuse et se terminait toujours par des propos obscènes, desprovocations délirantes, lancées, rendues au milieu des chansons,des rires, des éclats, du choc des verres et des flacons. Celle desnonnes la plus pressée, la plus emportée, tombait tout à coup sursa voisine et lui donnait un baiser violent qui électrisait labande entière. Les couples se formaient, s’enlaçaient, se tordaientdans de fougueuses étreintes. On entendait le bruit des lèvress’appliquant sur la chair ou s’entremêlant avec fureur. Puispartaient des soupirs étouffés, des paroles mourantes, des crisd’ardeur ou d’abattement. Bientôt les joues, les seins, les épaulesne suffisaient plus aux baisers sans frein. Les robes se relevaientou se jetaient de côté. Alors, c’était un spectacle unique que tousces corps de femmes, souples, gracieux, enchaînés nus l’un àl’autre, s’agitant, se pressant avec le raffinement, l’impétuositéd’une lubricité consommée. Si l’excès du plaisir différait trop augré de l’impatient désir, on se détachait un instant pour reprendrehaleine. On se contemplait avec des yeux de feu, et on luttait àqui prendrait la pose la plus lascive, la plus entraînante. Celledes deux qui triomphait par ses gestes et sa débauche, voyait toutà coup sa rivale éperdue fondre sur elle, la culbuter, la couvrirde baisers, la manger de caresses, la dévorer jusqu’au centre leplus secret des plaisirs, se plaçant toujours de manière à recevoirles mêmes attaques. Les deux têtes se dérobaient entre les cuisses,ce n’était plus qu’un seul corps, agité, tourmenté convulsivement,d’où s’échappait un râle sourd de volupté lubrique, suivi d’undouble cri de joie.

– Elles jouissent ! elles jouissent ! répétaientaussitôt les nonnes damnées. Et les folles de se ruer égarées lesunes sur les autres, plus furieuses que des bêtes qu’on lâche dansune arène.

Pressées de jouir à leur tour, elles tentaient les efforts lesplus fougueux ! À force de bonds et d’élans, les groupes seheurtaient entre eux et tombaient pêle-mêle à terre, haletants,rendus, lassés d’orgie et de luxure ; confusion grotesque defemmes nues, pâmées, expirantes, entassées dans le plus ignobledésordre et que venaient souvent éclairer les premiers feux dujour.

FANNY.

Quelles folies !

GAMIANI.

Elles ne se bornaient point là : elles variaient àl’infini. Privées d’hommes, nous n’en étions que plus ingénieuses àinventer des extravagances. Toutes les priapées, toutes leshistoires obscènes de l’antiquité et des temps modernes nousétaient connues. Nous les avions dépassées. Éléphantis et l’Arétinavaient moins d’imagination que nous. Il serait trop long de direnos artifices, nos ruses, nos philtres merveilleux pour ranimer nosforces, éveiller nos désirs et les satisfaire. Tu pourras en jugerpar le traitement singulier qu’on faisait subir à l’une de nouspour aiguillonner sa chair. On la plongeait d’abord dans un bain desang chaud pour rappeler sa vigueur. Après, elle prenait une potioncantharidée, se couchait sur un lit, et se faisait frictionner partout le corps. À l’aide du magnétisme, on tâchait de l’endormir.Sitôt que le sommeil l’avait gagné, on l’exposait d’une manièreavantageuse, on la fouettait jusqu’au sang, on la piquait de même.La patiente s’éveillait au milieu de son supplice. Elle se relevaitégarée, nous regardait d’un air de folle et entrait aussitôt dansde violentes convulsions. Six personnes avaient peine à lacomprimer. Il n’y avait que le lèchement d’un chien qui pût lacalmer. Sa fureur s’épanchait à flots. Mais si le soulagementn’arrivait pas, la malheureuse devenait plus terrible et demandaità grands cris un âne.

FANNY.

Un âne, miséricorde !

GAMIANI.

Oui, ma chère, un âne. Nous en avions deux bien dressés, biendociles. Nous ne voulions le céder en rien aux dames romaines, quis’en servaient dans leurs saturnales.

La première fois que je fus mise à l’épreuve, j’étais dans ledélire du vin. Je me précipitai violemment sur la sellette, défianttoutes les nonnes. L’âne fut à l’instant dressé devant moi, àl’aide d’une courroie. Son braquemart terrible, échauffé par lesmains des sœurs, battait lourdement sur mon flanc. Je le pris àdeux mains, je le plaçai à l’orifice, et, après un chatouillementde quelques secondes, je cherchai à l’introduire. Mes mouvementsaidant, ainsi que mes doigts et une pommade dilatante, je fusbientôt maîtresse de cinq pouces au moins. Je voulus pousserencore, mais je manquai de forces, je retombai. Il me semblait quema peau se déchirait, que j’étais fendue, écartelée ! C’étaitune douleur sourde, étouffante, à laquelle se mêlait pourtant uneirritation chaleureuse, titillante et sensuelle. La bête, remuanttoujours, produisait un frottement si vigoureux que toute macharpente vertébrale était ébranlée. Mes canaux spermatiquess’ouvrirent et débordèrent. Ma cyprine brûlante tressaillit uninstant dans mes reins. Oh ! quelle jouissance ! Je lasentais courir en jets de flamme et tomber goutte à goutte au fondde ma matrice. Tout en moi ruisselait d’amour. Je poussai un longcri d’énervement et je fus soulagée… Dans mes élans lubriques,j’avais gagné deux pouces ; toutes les mesures étaientpassées, mes compagnes étaient vaincues. Je touchais aux bourreletssans lesquels on serait éventrée !

Épuisée, endolorie dans tous les membres, je croyais mesvoluptés finies lorsque l’intraitable fléau se raidit de plusbelle, me sonde, me travaille et me tient presque levée. Mes nerfsse gonflent, mes dents se serrent et grincent ; mes bras setendent sur mes deux cuisses crispées. Tout à coup un jet violents’échappe et m’inonde d’une pluie chaude et gluante, si forte, siabondante, qu’elle semble regorger dans mes veines et toucherjusqu’au cœur. Mes chairs lâchées, détendues par ce baumeexubérant, ne me laissent plus sentir que des félicités poignantesqui me piquent les os, la moelle, la cervelle et les nerfs,dissolvent mes jointures et me mettent en fusion brûlante… Torturedélicieuse !… intolérable volupté qui défait les liens de lavie et vous fait mourir avec ivresse !…

FANNY.

Quels transports tu me causes, Gamiani ! Bientôt je n’ytiens plus…

Enfin, comment es-tu sortie de ce couvent du diable ?

GAMIANI.

Voici : après une grande orgie, nous eûmes l’idée de noustransformer en hommes, à l’aide d’un godemiché attaché, de nousembrocher de la sorte à la suite les unes des autres, puis decourir comme des folles. Je formais le dernier anneau de lachaîne ; j’étais la seule par conséquent qui chevauchasse sansêtre chevauchée. Quelle fut ma surprise lorsque je me sentisvigoureusement assaillie par un homme nu qui s’était, je ne saiscomment, introduit parmi nous. Au cri d’effroi qui m’échappa,toutes les nonnes se débandèrent et vinrent s’abattre incontinentsur le malheureux intrus. Chacune voulait finir en réalité unplaisir commencé par un fatigant simulacre. L’animal trop fêté futbientôt épuisé. Il fallait voir son état de torpeur etd’abattement ; son élytroïde flasque et pendant, toute savirilité dans la plus négative démonstration. J’eus peine àravitailler toutes ces misères quand mon tour fut venu de goûteraussi de l’élixir prolifique. J’y parvins néanmoins. Couchée sur lemoribond, ma tête entre ses cuisses, je suçai si habilement messerPriape endormi qu’il s’éveilla rubicond, vivace à faire plaisir.Caressée moi-même par une langue agile, je sentis bientôt approcherun incroyable plaisir, que j’achevai en m’asseyant glorieusement etavec délices sur le sceptre que je venais de conquérir. Je donnaiet je reçus un déluge de volupté.

Ce dernier excès acheva notre homme. Tout fut inutile pour leranimer. Le croirais-tu ? Dès que les nonnes comprirent que cemalheureux n’était plus bon à rien, elles décidèrent, sans hésiter,qu’il fallait le tuer et l’ensevelir dans une cave, de peur que sesindiscrétions ne vinssent à compromettre le couvent. Je combattisvainement ce parti criminel ; en moins d’une seconde, unelampe fut détachée et la victime enlevé dans un nœud coulant. Jedétournai la vue de cet horrible spectacle… Mais voilà, à la grandesurprise de ces furies, que la pendaison produit son effetordinaire. Émerveillée de la démonstration nerveuse, la supérieuremonte sur un marchepied et, aux applaudissements frénétiques de sesdignes complices, elle s’accouple dans l’air avec le mort, ets’encheville à un cadavre ! Ce n’est pas la fin de l’histoire.Trop mince ou trop usée pour soutenir ce double poids, la cordecède et se rompt. Mort et vivante tombent à terre, et si rudementque la nonne en a les os rompus et que le pendu, dont lastrangulation s’était mal opérée, revient à la vie et menace, danssa tension nerveuse, d’étouffer la supérieure.

La foudre tombant sur une foule produit moins d’effet que cettescène sur les nonnes. Toutes s’enfuirent épouvantées, croyant quele diable était avec elles. La supérieure resta seule à se débattreavec l’intempestif ressuscité.

L’aventure devait entraîner des suites terribles. Pour lesprévenir, je m’échappai le soir même de ce repaire de débauches etde crimes…

Je me réfugiai quelque temps à Florence, pays d’amour et deprestige. Un jeune Anglais, sir Edward, enthousiaste et rêveurcomme un Oswald, conçut pour moi une passion violente. J’étaislasse de plaisirs immondes. Jusque-là mon corps seul s’était agité,avait vécu ; mon âme sommeillait encore. Elle s’éveilladoucement aux accents purs, enchanteurs, d’un amour noble et élevé.Dès lors, je compris une existence nouvelle ; j’éprouvais cesdésirs vagues, ineffables, qui donnent le bonheur et poétisent lavie… Les corps combustibles ne brûlent pas d’eux-mêmes :qu’une étincelle approche, et tout part ! Ainsi prit feu moncœur aux transports de celui qui m’aimait. À ce langage, nouveaupour moi, je sentis un frémissement délicieux. Je prêtai uneoreille attentive ; mes avides regards ne laissaient rienéchapper. La flamme humide qui sortait des yeux de mon amantpénétrait dans les miens jusqu’au fond de mon âme et y portait letrouble, le délire et la joie. La voix d’Edward avait un accent quim’agitait, le sentiment me semblait peint dans chacun de sesgestes ; tous ses traits, animés par la passion, me lafaisaient ressentir. Ainsi la première image de l’amour me fitaimer l’objet qui me l’avait offerte. Extrême en tout, je fus aussiardente à vivre du cœur que je l’avais été à vivre des sens. Edwardavait une de ces âmes fortes qui entraînent les autres dans leursphère. Je m’élevai à sa hauteur. Mon amour s’exalta :d’enthousiaste il devint sublime. La seule pensée du plaisirgrossier me révoltait. Si l’on m’eût forcée, je serais morte derage. Cette barrière volontaire irritant l’amour des deux côtés, ilen devint plus ardent par la contrainte. Edward succomba lepremier. Fatigué d’un platonisme dont il ne pouvait deviner lacause, il n’eut plus assez de force pour combattre les sens. Il mesurprit un jour endormie et me posséda… Je m’éveillai au milieu desplus chaudes étreintes : éperdue, je mêlai mes transports auxtransports que je causais ; je fus trois fois au ciel, Edwardfut trois fois dieu ; mais, quand il fut tombé, je le pris enhorreur : ce n’était plus pour moi qu’un homme de chair etd’os ; c’était un moine !… Je m’échappai subitement deses bras avec un rire affreux. Le prisme était brisé ; unsouffle impur avait éteint ce rayon d’amour, ce rayon des cieux quine brille qu’une fois en la vie ; mon âme n’existait plus. Lessens surgirent seuls, et je repris ma vie première…

FANNY.

Tu revins aux femmes ?

GAMIANI.

Non ! je voulus auparavant rompre avec les hommes. Pourn’avoir plus de désirs ou de regret, j’épuisai tout le plaisirqu’ils peuvent nous donner. Par le moyen d’une célèbreentremetteuse, je fus exploitée tour à tour par les plus habiles,les plus vigoureux hercules de Florence. Il m’arriva dans unematinée de fournir jusqu’à trente-deux courses et de désirerencore. Six athlètes furent vaincus et abîmés. Un soir, je fismieux. J’étais avec trois de mes plus vaillants champions. Mesgestes et mes discours les mirent en si belle humeur, qu’il me vintune idée diabolique. Pour la mettre à profit, je priai le plus fortde se coucher à la renverse, et, tandis que je festoyais à loisirsur sa rude machine, je fus lestement gomorrhisée par lesecond ; ma bouche s’empara du troisième et lui causa unchatouillement si vif, qu’il se démena en vrai démon et poussa lesexclamations les plus passionnées. Tous quatre à la fois nouséclatâmes de plaisir en raidissant nos membres ! Quelle ardeurdans mon palais ! Quelle jouissance délicieuse au fond de mesentrailles ! Conçois-tu ces excès ?

Aspirer par sa bouche toute une force d’homme ; d’une soifimpatiente, la boire, l’engloutir en flots d’écume chaude et âcreet sentir à la fois un double jet de feu vous traverser dans lesdeux sens et creuser votre chair… C’est une jouissance triple,infinie, qu’il n’est pas donné de décrire ! Mes incomparableslutteurs eurent la généreuse vaillantise de la renouveler jusqu’àextinction de leurs forces.

Depuis, fatiguée, dégoûtée des hommes, je n’ai plus comprisd’autre désir, d’autre bonheur que celui de s’entrelacer nue aucorps frêle et tremblant d’une jeune fille timide, vierge encore,qu’on instruit, qu’on étonne, qu’on abîme de volupté… Mais…qu’as-tu donc ? que fais-tu ?

FANNY.

Je suis dans un état affreux. J’éprouve des désirs horribles,monstrueux. Tout ce que tu as senti de plaisir ou de douleur, jevoudrais le sentir aussi, de suite, à présent !… Tu ne pourrasplus me satisfaire… Ma tête brûle… elle tourne… Oh ! j’ai peurde devenir folle.

Voyons ! que peux-tu ? Je veux mourir d’excès, je veuxjouir, enfin !… jouir !… jouir !…

GAMIANI.

Calme-toi, Fanny ! calme-toi ! tu m’épouvantes par tesregards. Je t’obéirai, je ferai tout ; que veux-tu ?

FANNY.

Eh bien ! que ta bouche me prenne, qu’elle m’aspire…Là ! fais-moi rendre l’âme. Je veux te saisir après, tefouiller jusqu’aux entrailles et te faire crier… Oh ! cetâne ! il me tourmente aussi. Je voudrais un membre énorme,dût-il me fendre et me crever !

GAMIANI.

Folle ! Folle ! tu seras satisfaite. Ma bouche esthabile, et j’ai de plus apporté un instrument…

Tiens ! regarde… Il vaut bien l’action d’un âne.

FANNY.

Ah ! quel monstre ! Donne vite, que je tente !…Hai ! hai ! ouf ! impossible ! Celam’étouffe !

GAMIANI.

Tu ne sais pas le conduire. C’est mon affaire ; sois fermeseulement.

FANNY.

Quand je devrais y rester, je veux tout l’engloutir ; larage me possède !

GAMIANI.

Couche-toi donc sur le dos, bien étendue, les cuisses écartées,les cheveux au vent ; laisse tes bras tomber nonchalamment.Livre-toi sans crainte et sans réserve.

FANNY.

Oh ! oui, je me livre avec transport ! Viens dans mesbras, viens vite !

GAMIANI.

Patience, enfant ! Écoute : pour bien sentir tout leplaisir dont je veux t’enivrer, il faut t’oublier un instant, teperdre, te fondre en une seule pensée, une pensée d’amour sensuel,de jouissance charnelle et délirante ! Quels que soient mesassauts, quelles que soient mes fureurs, garde-toi de remuer oud’agir. Reste sans mouvement, reçois mes baisers sans les rendre.Si je mords, si je déchire, comprime l’élan de la douleur aussibien que celui du plaisir jusqu’au moment suprême où toutes deuxnous lutterons ensemble pour mourir à la fois !

FANNY.

Oui ! oui ! je te comprends, Gamiani. Allons ! jesuis comme endormie, je te rêve à présent. Je suis à toi,viens !… Suis-je bien ? Attends, cette pose sera, jecrois, plus lubrique.

GAMIANI.

Débauchée ! tu me dépasses. Que tu es belle, exposée de lasorte !… Impatiente ! tu désires déjà, je le vois…

FANNY.

Je brûle plutôt. Commence, commence ! je t’enprie !

GAMIANI.

Oh ! prolongeons encore cette attente irritée ; c’estpresque une volupté. Laisse-toi donc aller davantage. Ah !bien ! bien ! Je te voulais ainsi : on la diraitmorte… délicieux abandon… c’est cela ! Je vais m’emparer detoi, je vais te réchauffer, te ranimer peu à peu ; je vais temettre en feu, te porter au comble de la vie sensuelle. Turetomberas morte encore, mais morte de plaisir et d’excès. Délicesinouïes ! les goûter seulement la durée de deux éclairs seraitla joie de Dieu !

FANNY.

Tes discours me brûlent : à l’œuvre, à l’œuvre,Gamiani !

À ces mots, Gamiani noue précipitamment ses cheveux flottants,qui la gênent. Elle porte la main entre ses cuisses, s’excite uninstant, puis, d’un bond, elle s’élance sur le corps de Fanny,qu’elle touche, qu’elle couvre partout. Ses lèvres entrouvrent unebouche vermeille, sa langue y pompe le plaisir. Fannysoupire ; Gamiani boit son souffle et s’arrête. À voir cesdeux femmes nues, immobiles, soudées, pour ainsi dire, l’une àl’autre, on eût dit qu’il s’opérait entre elles une fusionmystérieuse, que leurs âmes se mêlaient en silence.

Insensiblement Gamiani se détache et se relève. Ses doigtsjouent capricieusement dans les cheveux de Fanny, qu’elle contempleavec un sourire ineffable de langueur et de volupté. Les baisers,les tendres morsures volent de la tête aux pieds, qu’ellechatouille du bout de ses mains, du bout de sa langue. Elle seprécipite ensuite à corps perdu, se redresse, retombe encorehaletante, acharnée. Sa tête, ses mains se multiplient. Fanny estbaisée, frottée, manipulée dans toutes ses parties ; on lapince, on la presse, on la mord. Son courage cède, elle pousse descris aigus ; mais un toucher délicieux vient calmer àl’instant sa douleur et provoquer un long soupir. – Plus ardente,plus empressée, Gamiani jette sa tête à travers les cuisses de savictime. Ses doigts écartent, violentent deux nymphes délicates. Salangue plonge dans le calice, et, lentement, elle épuise toutes lesvoluptés du chatouillement le plus irritant qu’une femme puissesentir. Attentive aux progrès du délire qu’elle cause, elles’arrête ou redouble selon que l’excès du plaisir ou s’éloigne ous’approche. Fanny, nerveusement saisie, part tout à coup d’un élanfurieux.

FANNY.

C’est trop ! oh !… je meurs !… heu !…

GAMIANI.

Prends ! prends !… crie Gamiani en lui présentant unefiole qu’elle vient de vider à moitié. Bois ! c’est l’élixirde vie. Tes forces vont renaître !

Fanny, anéantie, incapable de résister, avale la liqueur qu’onverse dans sa bouche entrouverte.

– Ah ! ah ! s’écrie Gamiani d’une voix éclatante,tu es à moi !

Son regard avait quelque chose d’infernal. À genoux entre lesjambes de Fanny, elle s’attachait son redoutable instrument et lebrandissait d’un air menaçant.

À cette vue, les transports de Fanny redoublent plus violents.Il semble qu’un feu intérieur la tourmente et la pousse à la rage.Ses cuisses, écartées, se prêtent avec effort aux attaques dusimulacre monstrueux. L’insensée ! elle eut à peine commencécet horrible supplice, qu’une étrange convulsion la fit bondir entous sens.

FANNY.

Hai ! hai ! la liqueur brûle, hai ! mesentrailles ! Mais cela pique, cela perce !… Ah ! jevais mourir !… Vile et damnée sorcière, tu me tiens !… Tume tiens !… ah !

Gamiani, insensible à ces cris d’angoisse et de torture,redouble ses élans. Elle brise, déchire et s’abîme à travers desflots de sang ; mais voilà que ses yeux tournent. Ses membresse tordent, les os de ses doigts craquent. Je ne doute plus qu’ellen’ait avalé et donné un poison ardent. Épouvanté, je me précipite àson secours. Je brise les portes dans ma violence, j’arrive !Hélas ! Fanny n’existait plus ! Ses bras, ses jambes,horriblement contournés, s’accrochaient à ceux de Gamiani, quiluttait seule avec la mort.

Je voulus les séparer.

– Tu ne vois pas, me dit une voix de râle, que le poison metourmente… que mes nerfs se tordent !… Va-t’en… Cette femmeest à moi !… Hai ! hai !

– C’est affreux ! m’écriai-je transporté.

GAMIANI.

Oui ! mais j’ai connu tous les excès des sens. Comprendsdonc, fou ! Il me restait à savoir si, dans la torture dupoison, si, dans l’agonie d’une femme mêlée à ma propre agonie, ily avait une sensualité possible ! Elle est atroce !entends-tu ! Je meurs dans la rage du plaisir, dans la rage dela douleur !… je n’en puis plus !… heu !…

À ce cri prolongé, venu du creux de la poitrine, l’horriblefurie retombe morte sur le cadavre !

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