Chaque fois qu’un haveur était relayé, Négrel descendait,
tapait, puis collait son oreille; et, chaque fois, jusqu’à
présent, la réponse était venue, rapide et pressante. Aucun
doute ne lui restait, on avançait dans la bonne direction;
mais quelle lenteur fatale! Jamais on n’arriverait assez tôt.
En deux jours, d’abord, on avait bien abattu treize mètres;
seulement, le troisième jour, on était tombé à cinq; puis, le
quatrième, à trois. La houille se serrait, durcissait à un tel
point, que, maintenant, on fonçait de deux mètres, avec
peine. Le neuvième jour, après des efforts surhumains,
l’avancement était de trente-deux mètres, et l’on calculait
qu’on en avait devant soi une vingtaine encore. Pour les
prisonniers, c’était la douzième journée qui commençait,
douze fois vingt-quatre heures sans pain, sans feu, dans
ces ténèbres glaciales! Cette abominable idée mouillait
les paupières, raidissait les bras à la besogne. Il semblait
impossible que des chrétiens vécussent davantage, les
coups lointains s’affaiblissaient depuis la veille, on
tremblait à chaque instant de les entendre s’arrêter.
Régulièrement, la Maheude venait toujours s’asseoir à la
bouche du puits. Elle amenait, entre ses bras, Estelle qui
ne pouvait rester seule du matin au soir. Heure par heure,
elle suivait ainsi le travail, partageait les espérances et les
abattements. C’était, dans les groupes qui stationnaient, et
jusqu’à Montsou, une attente fébrile, des commentaires
sans fin. Tous les coeurs du pays battaient là-bas, sous la
terre.
Le neuvième jour, à l’heure du déjeuner, Zacharie ne
répondit pas, lorsqu’on l’appela pour le relais. Il était
comme fou, il s’acharnait avec des jurons. Négrel, sorti un
instant, ne put le faire obéir; et il n’y avait même là qu’un
porion, avec trois mineurs. Sans doute, Zacharie, mal
éclairé, furieux de cette lueur vacillante qui retardait sa
besogne, commit l’imprudence d’ouvrir sa lampe. On avait
pourtant donné des ordres sévères, car des fuites de
grisou s’étaient déclarées, le gaz séjournait en masse
énorme, dans ces couloirs étroits, privés d’aérage.
Brusquement, un coup de foudre éclata, une trombe de feu
sortit du boyau, comme de la gueule d’un canon chargé à
mitraille. Tout flambait, l’air s’enflammait ainsi que de la
poudre, d’un bout à l’autre des galeries. Ce torrent de
flamme emporta le porion et les trois ouvriers, remonta le
puits, jaillit au grand jour en une éruption, qui crachait des
roches et des débris de charpente. Les curieux s’enfuirent,
la Maheude se leva, serrant contre sa gorge Estelle
épouvantée.
Lorsque Négrel et les ouvriers revinrent, une colère terrible
les secoua. Ils frappaient la terre à coups de talon, comme
une marâtre tuant au hasard ses enfants, dans les
imbéciles caprices de sa cruauté. On se dévouait, on allait
au secours de camarades, et il fallait encore y laisser des
hommes! Après trois grandes heures d’efforts et de
dangers, quand on pénétra enfin dans les galeries, la
remonte des victimes fut lugubre. Ni le porion ni les
ouvriers n’étaient morts, mais des plaies affreuses les
couvraient, exhalaient une odeur de chair grillée; ils avaient
bu le feu, les brûlures descendaient jusque dans leur gorge;
et ils poussaient un hurlement continu, suppliant qu’on les
achevât. Des trois mineurs, un était l’homme qui, pendant
la grève, avait crevé la pompe de Gaston-Marie d’un
dernier coup de pioche; les deux autres gardaient des
cicatrices aux mains, les doigts écorchés, coupés, à force
d’avoir lancé des briques sur les soldats. La foule, toute
pâle et frémissante, se découvrit quand ils passèrent.
Debout, la Maheude attendait. Le corps de Zacharie parut
enfin. Les vêtements avaient brûlé, le corps n’était qu’un
charbon noir, calciné, méconnaissable. Broyée dans
l’explosion, la tête n’existait plus. Et, lorsqu’on eut déposé
ces restes affreux sur un brancard, la Maheude les suivit
d’un pas machinal, les paupières ardentes, sans une larme.
Elle tenait dans ses bras Estelle assoupie, elle s’en allait
tragique, les cheveux fouettés par le vent. Au coron,
Philomène demeura stupide, les yeux changés en
fontaines, tout de suite soulagée. Mais déjà la mère était
retournée du même pas à Réquillart: elle avait
accompagné son fils, elle revenait attendre sa fille.
Trois jours encore s’écoulèrent. On avait repris les travaux
de sauvetage, au milieu de difficultés inouïes. Les galeries
d’approche ne s’étaient heureusement pas éboulées, à la
suite du coup de grisou; seulement, l’air y brûlait, si lourd et
si vicié, qu’il avait fallu installer d’autres ventilateurs. Toutes
les vingt minutes, les haveurs se relayaient. On avançait,
deux mètres à peine les séparaient des camarades. Mais,
à présent, ils travaillaient le froid au coeur, tapant dur
uniquement par vengeance; car les bruits avaient cessé, le
rappel ne sonnait plus sa petite cadence claire. On était au
douzième jour des travaux, au quinzième de la catastrophe;
et, depuis le matin, un silence de mort s’était fait.
Le nouvel accident redoubla la curiosité de Montsou, les
bourgeois organisaient des excursions, avec un tel entrain,
que les Grégoire se décidèrent à suivre le monde. On
arrangea une partie, il fut convenu qu’ils se rendraient au
Voreux dans leur voiture, tandis que madame Hennebeau y
amènerait dans la sienne Lucie et Jeanne. Deneulin leur
ferait visiter son chantier, puis on rentrerait par Réquillart,
où ils sauraient de Négrel à quel point exact en étaient les
galeries, et s’il espérait encore. Enfin, on dînerait ensemble
le soir.
Lorsque, vers trois heures, les Grégoire et leur fille Cécile
descendirent devant la fosse effondrée, ils y trouvèrent
madame Hennebeau, arrivée la première, en toilette bleu
marine, se garantissant, sous une ombrelle, du pâle soleil
de février. Le ciel, très pur, avait une tiédeur de printemps.
Justement, M. Hennebeau était là, avec Deneulin; et elle
écoutait d’une oreille distraite les explications que lui
donnait ce dernier sur les efforts qu’on avait dû faire pour
endiguer le canal. Jeanne, qui emportait toujours un album,
s’était mise à crayonner, enthousiasmée par l’horreur du
motif; pendant que Lucie, assise à côté d’elle sur un débris
de wagon, poussait aussi des exclamations d’aise,
trouvant ça «épatant». La digue, inachevée, laissait passer
des fuites nombreuses, dont les flots d’écume roulaient,
tombaient en cascade dans l’énorme trou de la fosse
engloutie. Pourtant, ce cratère se vidait, l’eau bue par les
terres baissait, découvrait l’effrayant gâchis du fond. Sous
l’azur tendre de la belle journée, c’était un cloaque, les
ruines d’une ville abîmée et fondue dans de la boue.
—Et l’on se dérange pour voir ça! s’écria M. Grégoire,
désillusionné.
Cécile, toute rose de santé, heureuse de respirer l’air si
pur, s’égayait, plaisantait, tandis que madame Hennebeau
faisait une moue de répugnance, en murmurant:
—Le fait est que ça n’a rien de joli.
Les deux ingénieurs se mirent à rire. Ils tâchèrent
d’intéresser les visiteurs, en les promenant partout, en leur
expliquant le jeu des pompes et la manoeuvre du pilon qui
enfonçait les pieux. Mais ces dames devenaient inquiètes.
Elles frissonnèrent, lorsqu’elles surent que les pompes
fonctionneraient des années, six, sept ans peut-être, avant
que le puits fût reconstruit et que l’on eût épuisé toute l’eau
de la fosse. Non, elles aimaient mieux penser à autre
chose, ces bouleversements-là n’étaient bons qu’à donner
de vilains rêves.
—Partons, dit madame Hennebeau, en se dirigeant vers
sa voiture.
Jeanne et Lucie se récrièrent. Comment, si vite! Et le
dessin qui n’était pas fini! Elles voulurent rester, leur père
les amènerait au dîner, le soir. M. Hennebeau prit seul
place avec sa femme dans la calèche, car lui aussi désirait
questionner Négrel.
—Eh bien! allez en avant, dit M. Grégoire. Nous vous
suivons, nous avons une petite visite de cinq minutes à
faire, là, dans le coron… Allez, allez, nous serons à
Réquillart en même temps que vous.
Il remonta derrière madame Grégoire et Cécile; et, tandis
que l’autre voiture filait le long du canal, la leur gravit
doucement la pente.
C’était une pensée charitable, qui devait compléter
l’excursion. La mort de Zacharie les avait emplis de pitié
pour cette tragique famille des Maheu, dont tout le pays
causait. Ils ne plaignaient pas le père, ce brigand, ce tueur
de soldats qu’il avait fallu abattre comme un loup.
Seulement, la mère les touchait, cette pauvre femme qui
venait de perdre son fils, après avoir perdu son mari, et
dont la fille n’était peut-être plus qu’un cadavre, sous la
terre; sans compter qu’on parlait encore d’un grand-père
infirme, d’un enfant boiteux à la suite d’un éboulement,
d’une petite fille morte de faim, pendant la grève. Aussi,
bien que cette famille eût mérité en partie ses malheurs,
par son esprit détestable, avaient-ils résolu d’affirmer la
largeur de leur charité, leur désir d’oubli et de conciliation,
en lui portant eux-mêmes une aumône. Deux paquets,
soigneusement enveloppés, se trouvaient sous une
banquette de la voiture.
Une vieille femme indiqua au cocher la maison des Maheu,
le numéro 16 du deuxième corps. Mais, quand les
Grégoire furent descendus, avec les paquets, ils frappèrent
vainement, ils finirent par taper à coups de poing dans la
porte, sans obtenir davantage de réponse: la maison
résonnait lugubre, ainsi qu’une demeure vidée par le deuil,
glacée et noire, abandonnée depuis longtemps.
—Il n’y a personne, dit Cécile désappointée. Est-ce
ennuyeux! qu’est-ce que nous allons faire de tout ça?
Brusquement, la porte d’à côté s’ouvrit, et la Levaque parut.
—Oh! monsieur et madame, mille pardons! excusez-moi,
mademoiselle!…
C’est la voisine que vous voulez. Elle n’y est pas, elle est à
Réquillart…
Dans un flux de paroles, elle leur racontait l’histoire, leur
répétait qu’il fallait bien s’entraider, qu’elle gardait chez elle
Lénore et Henri, pour permettre à la mère d’aller attendre,
là-bas. Ses regards étaient tombés sur les paquets, elle en
arrivait à parler de sa pauvre fille devenue veuve, à étaler
sa propre misère, avec des yeux luisants de convoitise.
Puis, d’un air hésitant, elle murmura:
—J’ai la clef. Si monsieur et madame y tiennent
absolument… Le grand-père est là.
Les Grégoire, stupéfaits, la regardèrent. Comment! le
grand-père était là! mais personne ne répondait. Il dormait
donc? Et, lorsque la Levaque se fut décidée à ouvrir la
porte, ce qu’ils virent les arrêta sur le seuil.
Bonnemort était là, seul, les yeux larges et fixes, cloué sur
une chaise, devant la cheminée froide. Autour de lui, la
salle paraissait plus grande, sans le coucou, sans les
meubles de sapin verni, qui l’animaient autrefois; et il ne
restait, dans la crudité verdâtre des murs, que les portraits
de l’Empereur et de l’Impératrice, dont les lèvres roses
souriaient avec une bienveillance officielle. Le vieux ne
bougeait pas, ne clignait pas les paupières sous le coup
de lumière de la porte, l’air imbécile, comme s’il n’avait pas
même vu entrer tout ce monde. A ses pieds, se trouvait son
plat garni de cendre, ainsi qu’on en met aux chats, pour
leurs ordures.
—Ne faites pas attention, s’il n’est guère poli, dit la
Levaque obligeamment. Paraît qu’il s’est cassé quelque
chose dans la cervelle. Voilà une quinzaine qu’il n’en
raconte pas davantage.
Mais une secousse agitait Bonnemort, un raclement
profond qui semblait lui monter du ventre; et il cracha dans
le plat, un épais crachat noir. La cendre en était trempée,
une boue de charbon, tout le charbon de la mine qu’il se
tirait de la gorge. Déjà, il avait repris son immobilité. Il ne
remuait plus, de loin en loin, que pour cracher.
Troublés, le coeur levé de dégoût, les Grégoire tâchaient
cependant de prononcer quelques paroles amicales et
encourageantes.
—Eh bien! mon brave homme, dit le père, vous êtes donc
enrhumé?
Le vieux, les yeux au mur, ne tourna pas la tête. Et le
silence retomba, lourdement.
—On devrait vous faire un peu de tisane, ajouta la mère.
Il garda sa raideur muette.
—Dis donc, papa, murmura Cécile, on nous avait bien
raconté qu’il était infirme; seulement, nous n’y avons plus
songé ensuite…
Elle s’interrompit, très embarrassée. Après avoir posé sur
la table un pot-au-feu et deux bouteilles de vin, elle
défaisait le deuxième paquet, elle en tirait une paire de
souliers énormes. C’était le cadeau destiné au grand-père,
et elle tenait un soulier à chaque main, interdite, en
contemplant les pieds enflés du pauvre homme, qui ne
marcherait jamais plus.
—Hein? ils viennent un peu tard, n’est-ce pas, mon brave?
reprit M. Grégoire, pour égayer la situation. Ça ne fait rien,
ça sert toujours.
Bonnemort n’entendit pas, ne répondit pas, avec son
effrayant visage, d’une froideur et d’une dureté de pierre.
Alors, Cécile, furtivement, posa les souliers contre le mur.
Mais elle eut beau y mettre des précautions, les clous
sonnèrent; et ces chaussures énormes restèrent gênantes
dans la pièce.
—Allez, il ne dira pas merci! s’écria la Levaque, qui avait
jeté sur les souliers un coup d’oeil de profonde envie.
Autant donner une paire de lunettes à un canard, sauf votre
respect.
Elle continua, elle travailla pour entraîner les Grégoire chez
elle, comptant les y apitoyer. Enfin, elle imagina un
prétexte, elle leur vanta Henri et Lénore, qui étaient bien
gentils, bien mignons; et si intelligents, répondant comme
des anges aux questions qu’on leur posait! Ceux-là diraient
tout ce que monsieur et madame désireraient savoir.
—Viens-tu un instant, fillette? demanda le père, heureux de
sortir.
—Oui, je vous suis, répondit-elle.
Cécile demeura seule avec Bonnemort. Ce qui la retenait
là, tremblante et fascinée, c’était qu’elle croyait reconnaître
ce vieux: où avait-elle donc rencontré cette face carrée,
livide, tatouée de charbon? et brusquement elle se rappela,
elle revit un flot de peuple hurlant qui l’entourait, elle sentit
des mains froides qui la serraient au cou. C’était lui, elle
retrouvait l’homme, elle regardait les mains posées sur les
genoux, des mains d’ouvrier accroupi dont toute la force
est dans les poignets, solides encore malgré l’âge. Peu à
peu, Bonnemort avait paru s’éveiller, et il l’apercevait, et il
l’examinait lui aussi, de son air béant. Une flamme montait
à ses joues, une secousse nerveuse tirait sa bouche, d’où
coulait un mince filet de salive noire. Attirés, tous deux
restaient l’un devant l’autre, elle florissante, grasse et
fraîche des longues paresses et du bien-être repu de sa
race, lui gonflé d’eau, d’une laideur lamentable de bête
fourbue, détruit de père en fils par cent années de travail et
de faim.
Au bout de dix minutes, lorsque les Grégoire, surpris de ne
pas voir Cécile, rentrèrent chez les Maheu, ils poussèrent
un cri terrible. Par terre, leur fille gisait, la face bleue,
étranglée. A son cou, les doigts avaient laissé l’empreinte
rouge d’une poigne de géant. Bonnemort, chancelant sur
ses jambes mortes, était tombé près d’elle, sans pouvoir
se relever. Il avait ses mains crochues encore, il regardait
le monde de son air imbécile, les yeux grands ouverts. Et,
dans sa chute, il venait de casser son plat, la cendre s’était
répandue, la boue des crachats noirs avait éclaboussé la
pièce; tandis que la paire de gros souliers s’alignait, saine
et sauve, contre le mur.
Jamais il ne fut possible de rétablir exactement les faits.
Pourquoi Cécile s’était-elle approchée? comment
Bonnemort, cloué sur sa chaise, avait-il pu la prendre à la
gorge? Évidemment, lorsqu’il l’avait tenue, il devait s’être
acharné, serrant toujours, étouffant ses cris, culbutant avec
elle, jusqu’au dernier râle. Pas un bruit, pas une plainte,
n’avait traversé la mince cloison de la maison voisine. Il
fallut croire à un coup de brusque démence, à une tentation
inexplicable de meurtre, devant ce cou blanc de fille. Une
telle sauvagerie stupéfia, chez le vieil infirme qui avait vécu
en brave homme, en brute obéissante, contraire aux idées
nouvelles. Quelle rancune, inconnue de lui-même,
lentement empoisonnée, était-elle donc montée de ses
entrailles à son crâne? L’horreur fit conclure à
l’inconscience, c’était le crime d’un idiot.
Cependant, les Grégoire, à genoux, sanglotaient,
suffoquaient de douleur. Leur fille adorée, cette fille désirée
si longtemps, comblée ensuite de tous leurs biens, qu’ils
allaient regarder dormir sur la pointe des pieds, qu’ils ne
trouvaient jamais assez bien nourrie, jamais assez grasse!
Et c’était l’effondrement même de leur vie, à quoi bon vivre,
maintenant qu’ils vivraient sans elle?
La Levaque, éperdue, criait:
—Ah! le vieux bougre, qu’est-ce qu’il a fait là? Si l’on
pouvait s’attendre à une chose pareille!… Et la Maheude
qui ne reviendra que ce soir! Dites donc, si je courais la
chercher.
Anéantis, le père et la mère ne répondaient pas.
—Hein? ça vaudrait mieux… J’y vais.
Mais, avant de sortir, la Levaque avisa les souliers. Tout le
coron s’agitait, une foule se bousculait déjà. Peut-être bien
qu’on les volerait. Et puis, il n’y avait plus d’homme chez les
Maheu pour les mettre. Doucement, elle les emporta. Ça
devait être juste le pied de Bouteloup.
A Réquillart, les Hennebeau attendirent longtemps les
Grégoire, en compagnie de Négrel. Celui-ci, remonté de la
fosse, donnait des détails: on espérait communiquer le soir
même avec les prisonniers; mais on ne retirerait
certainement que des cadavres, car le silence de mort
continuait. Derrière l’ingénieur, la Maheude, assise sur la
poutre, écoutait toute blanche, lorsque la Levaque arriva lui
conter le beau coup de son vieux. Et elle n’eut qu’un grand
geste d’impatience et d’irritation. Pourtant, elle la suivit.
Madame Hennebeau défaillait. Quelle abomination! cette
pauvre Cécile, si gaie ce jour-là, si vivante une heure plus
tôt! Il fallut que Hennebeau fît entrer un instant sa femme
dans la masure du vieux Mouque. De ses mains
maladroites, il la dégrafait, troublé par l’odeur de musc
qu’exhalait le corsage ouvert. Et, comme, ruisselante de
larmes, elle étreignait Négrel, effaré de cette mort qui
coupait court au mariage, le mari les regarda se lamenter
ensemble, délivré d’une inquiétude. Ce malheur arrangeait
tout, il préférait garder son neveu, dans la crainte de son
cocher.
V
En bas du puits, les misérables abandonnés hurlaient de
terreur. Maintenant, ils avaient de l’eau jusqu’au ventre. Le
bruit du torrent les étourdissait, les dernières chutes du
cuvelage leur faisaient croire à un craquement suprême du
monde; et ce qui achevait de les affoler, c’étaient les
hennissements des chevaux enfermés dans l’écurie, un cri
de mort, terrible, inoubliable, d’animal qu’on égorge.
Mouque avait lâché Bataille. Le vieux cheval était là,
tremblant, l’oeil dilaté et fixe sur cette eau qui montait
toujours. Rapidement, la salle de l’accrochage s’emplissait,
on voyait grandir la crue verdâtre, à la lueur rouge des trois
lampes, brûlant encore sous la voûte. Et, brusquement,
quand il sentit cette glace lui tremper le poil, il partit des
quatre fers, dans un galop furieux, il s’engouffra et se perdit
au fond d’une des galeries de roulage.
Alors, ce fut un sauve-qui-peut, les hommes suivirent cette
bête.
—Plus rien à foutre ici! criait Mouque. Faut voir par
Réquillart.
Cette idée qu’ils pourraient sortir par la vieille fosse
voisine, s’ils y arrivaient avant que le passage fût coupé,
les emportait maintenant. Les vingt se bousculaient à la
file, tenant leurs lampes en l’air, pour que l’eau ne les
éteignît pas. Heureusement, la galerie s’élevait d’une pente
insensible, ils allèrent pendant deux cents mètres, luttant
contre le flot, sans être gagnés davantage. Des croyances
endormies se réveillaient dans ces âmes éperdues, ils
invoquaient la terre, c’était la terre qui se vengeait, qui
lâchait ainsi le sang de la veine, parce qu’on lui avait
tranché une artère. Un vieux bégayait des prières oubliées,
en pliant ses pouces en dehors, pour apaiser les mauvais
esprits de la mine.
Mais, au premier carrefour, un désaccord éclata. Le
palefrenier voulait passer à gauche, d’autres juraient qu’on
raccourcirait, si l’on prenait à droite. Une minute fut perdue.
—Eh! laissez-y la peau, qu’est-ce que ça me fiche! s’écria
brutalement Chaval. Moi, je file par là.
Il prit la droite, deux camarades le suivirent. Les autres
continuèrent à galoper derrière le père Mouque, qui avait
grandi au fond de Réquillart. Pourtant, il hésitait lui-même,
ne savait par où tourner. Les têtes s’égaraient, les anciens
ne reconnaissaient plus les voies, dont l’écheveau s’était
comme embrouillé devant eux. A chaque bifurcation, une
incertitude les arrêtait court, et il fallait se décider pourtant.
Étienne courait le dernier, retenu par Catherine, que
paralysaient la fatigue et la peur. Lui, aurait filé à droite,
avec Chaval, car il le croyait dans la bonne route; mais il
l’avait lâché, quitte à rester au fond. D’ailleurs, la
débandade continuait, des camarades avaient encore tiré
de leur côté, ils n’étaient plus que sept derrière le vieux
Mouque.
—Pends-toi à mon cou, je te porterai, dit Étienne à la jeune
fille, en la voyant faiblir.
—Non, laisse, murmura-t-elle, je ne peux plus, j’aime mieux
mourir tout de suite.
Ils s’attardaient, de cinquante mètres en arrière, et il la
soulevait malgré sa résistance, lorsque la galerie
brusquement se boucha: un bloc énorme qui s’effondrait et
les séparait des autres. L’inondation détrempait déjà les
roches, des éboulements se produisaient de tous côtés. Ils
durent revenir sur leurs pas. Puis, ils ne surent plus dans
quel sens ils marchaient. C’était fini, il fallait abandonner
l’idée de remonter par Réquillart. Leur unique espoir était
de gagner les tailles supérieures, où l’on viendrait peut-être
les délivrer, si les eaux baissaient.
Étienne reconnut enfin la veine Guillaume.
—Bon! dit-il, je sais où nous sommes. Nom de Dieu! nous
étions dans le vrai chemin; mais va te faire fiche,
maintenant!… Écoute, allons tout droit, nous grimperons
par la cheminée.
Le flot battait leur poitrine, ils marchaient très lentement.
Tant qu’ils auraient de la lumière, ils ne désespéreraient
pas; et ils soufflèrent l’une des lampes, pour en économiser
l’huile, avec la pensée de la vider dans l’autre. Ils
atteignaient la cheminée, lorsqu’un bruit, derrière eux, les fit
se tourner. Étaient-ce donc les camarades, barrés à leur
tour, qui revenaient? Un souffle ronflait au loin, ils ne
s’expliquaient pas cette tempête qui se rapprochait, dans
un éclaboussement d’écume. Et ils crièrent, quand ils virent
une masse géante, blanchâtre, sortir de l’ombre et lutter
pour les rejoindre, entre les boisages trop étroits, où elle
s’écrasait.
C’était Bataille. En partant de l’accrochage, il avait galopé
le long des galeries noires, éperdument. Il semblait
connaître son chemin, dans cette ville souterraine, qu’il
habitait depuis onze années; et ses yeux voyaient clair, au
fond de l’éternelle nuit où il avait vécu. Il galopait, il galopait,
pliant la tête, ramassant les pieds, filant par ces boyaux
minces de la terre, emplis de son grand corps. Les rues se
succédaient, les carrefours ouvraient leur fourche, sans
qu’il hésitât. Où allait-il? là-bas peut-être, à cette vision de
sa jeunesse, au moulin où il était né, sur le bord de la
Scarpe, au souvenir confus du soleil, brûlant en l’air comme
une grosse lampe. Il voulait vivre, sa mémoire de bête
s’éveillait, l’envie de respirer encore l’air des plaines le
poussait droit devant lui, jusqu’à ce qu’il eût découvert le
trou, la sortie sous le ciel chaud, dans la lumière. Et une
révolte emportait sa résignation ancienne, cette fosse
l’assassinait, après l’avoir aveuglé. L’eau qui le poursuivait,
le fouettait aux cuisses, le mordait à la croupe. Mais, à
mesure qu’il s’enfonçait, les galeries devenaient plus
étroites, abaissant le toit, renflant le mur. Il galopait quand
même, il s’écorchait, laissait aux boisages des lambeaux
de ses membres. De toutes parts, la mine semblait se
resserrer sur lui, pour le prendre et l’étouffer.
Alors, Étienne et Catherine, comme il arrivait près d’eux,
l’aperçurent qui s’étranglait entre les roches. Il avait buté, il
s’était cassé les deux jambes de devant. D’un dernier
effort, il se traîna quelques mètres; mais ses flancs ne
passaient plus, il restait enveloppé, garrotté par la terre. Et
sa tête saignante s’allongea, chercha encore une fente, de
ses gros yeux troubles. L’eau le recouvrait rapidement, il se
mit à hennir, du râle prolongé, atroce, dont les autres
chevaux étaient morts déjà, dans l’écurie. Ce fut une
agonie effroyable, cette vieille bête, fracassée,
immobilisée, se débattant à cette profondeur, loin du jour.
Son cri de détresse ne cessait pas, le flot noyait sa
crinière, qu’il le poussait plus rauque, de sa bouche tendue
et grande ouverte. Il y eut un dernier ronflement, le bruit
sourd d’un tonneau qui s’emplit. Puis un grand silence
tomba.
—Ah! mon Dieu! emmène-moi, sanglotait Catherine. Ah!
mon Dieu! j’ai peur, je ne veux pas mourir… Emmène-moi!
emmène-moi!
Elle avait vu la mort. Le puits écroulé, la fosse inondée, rien
ne lui avait soufflé à la face cette épouvante, cette clameur
de Bataille agonisant. Et elle l’entendait toujours, ses
oreilles en bourdonnaient, toute sa chair en frissonnait.
—Emmène-moi! emmène-moi!
Étienne l’avait saisie et l’emportait. D’ailleurs, il était grand
temps, ils montèrent dans la cheminée, trempés jusqu’aux
épaules. Lui, devait l’aider, car elle n’avait plus la force de
s’accrocher aux bois. A trois reprises, il crut qu’elle lui
échappait, qu’elle retombait dans la mer profonde, dont la
marée grondait derrière eux. Cependant, ils purent respirer
quelques minutes, quand ils eurent rencontré la première
voie, libre encore. L’eau reparut, il fallut se hisser de
nouveau. Et, durant des heures, cette montée continua, la
crue les chassait de voie en voie, les obligeait à s’élever
toujours. Dans la sixième, un répit les enfiévra d’espoir, il
leur semblait que le niveau demeurait stationnaire. Mais
une hausse plus forte se déclara, ils durent grimper à la
septième, puis à la huitième. Une seule restait, et quand ils
y furent, ils regardèrent anxieusement chaque centimètre
que l’eau gagnait. Si elle ne s’arrêtait pas, ils allaient donc
mourir, comme le vieux cheval, écrasés contre le toit, la
gorge emplie par le flot?
Des éboulements retentissaient à chaque instant. La mine
entière était ébranlée, d’entrailles trop grêles, éclatant de la
coulée énorme qui la gorgeait. Au bout des galeries, l’air
refoulé s’amassait, se comprimait, partait en explosions
formidables, parmi les roches fendues et les terrains
bouleversés. C’était le terrifiant vacarme des cataclysmes
intérieurs, un coin de la bataille ancienne, lorsque les
déluges retournaient la terre, en abîmant les montagnes
sous les plaines.
Et Catherine, secouée, étourdie de cet effondrement
continu, joignait les mains, bégayait les mêmes mots, sans
relâche:
—Je ne veux pas mourir… Je ne veux pas mourir…
Pour la rassurer, Étienne jurait que l’eau ne bougeait plus.
Leur fuite durait bien depuis six heures, on allait descendre
à leur secours. Et il disait six heures sans savoir, la notion
exacte du temps leur échappait. En réalité, un jour entier
s’était écoulé déjà, dans leur montée au travers de la veine
Guillaume.
Mouillés, grelottants, ils s’installèrent. Elle se déshabilla
sans honte, pour tordre ses vêtements; puis, elle remit la
culotte et la veste, qui achevèrent de sécher sur elle.
Comme elle était pieds nus, lui, qui avait ses sabots, la
força à les prendre. Ils pouvaient patienter maintenant, ils
avaient baissé la mèche de la lampe, ne gardant qu’une
lueur faible de veilleuse. Mais des crampes leur
déchirèrent l’estomac, tous deux s’aperçurent qu’ils
mouraient de faim. Jusque-là, ils ne s’étaient pas senti
vivre. Au moment de la catastrophe, ils n’avaient point
déjeuné, et ils venaient de retrouver leurs tartines, gonflées
par l’eau, changées en soupe. Elle dut se fâcher pour qu’il
voulût bien accepter sa part. Dès qu’elle eut mangé, elle
s’endormit de lassitude, sur la terre froide. Lui, brûlé
d’insomnie, la veillait, le front entre les mains, les yeux fixes.
Combien d’heures s’écoulèrent ainsi? Il n’aurait pu le dire.
Ce qu’il savait, c’était que devant lui, par le trou de la
cheminée, il avait vu reparaître le flot noir et mouvant, la
bête dont le dos s’enflait sans cesse pour les atteindre.
D’abord, il n’y eut qu’une ligne mince, un serpent souple qui
s’allongea; puis, cela s’élargit en une échine grouillante,
rampante; et bientôt ils furent rejoints, les pieds de la jeune
fille endormie trempèrent. Anxieux, il hésitait à la réveiller.
N’était-ce pas cruel de la tirer de ce repos, de l’ignorance
anéantie qui la berçait peut-être dans un rêve de grand air
et de vie au soleil? Par où fuir, d’ailleurs? Et il cherchait, et
il se rappela que le plan incliné, établi dans cette partie de
la veine, communiquait, bout à bout, avec le plan qui
desservait l’accrochage supérieur. C’était une issue. Il la
laissa dormir encore, le plus longtemps qu’il fut possible,
regardant le flot gagner, attendant qu’il les chassât. Enfin, il
la souleva doucement, et elle eut un grand frisson.
—Ah! mon Dieu! c’est vrai!… Ça recommence, mon Dieu!
Elle se souvenait, elle criait, de retrouver la mort prochaine.
—Non, calme-toi, murmura-t-il. On peut passer, je te jure.
Pour se rendre au plan incliné, ils durent marcher ployés en
deux, de nouveau mouillés jusqu’aux épaules. Et la montée
recommença, plus dangereuse, par ce trou boisé
entièrement, long d’une centaine de mètres. D’abord, ils
voulurent tirer le câble, afin de fixer en bas l’un des chariots;
car si l’autre était descendu, pendant leur ascension, il les
aurait broyés. Mais rien ne bougea, un obstacle faussait le
mécanisme. Ils se risquèrent, n’osant se servir de ce câble
qui les gênait, s’arrachant les ongles contre les charpentes
lisses. Lui, venait le dernier, la retenait du crâne, quand elle
glissait, les mains sanglantes. Brusquement, ils se
cognèrent contre des éclats de poutre, qui barraient le
plan. Des terres avaient coulé, un éboulement empêchait
d’aller plus haut. Par bonheur, une porte s’ouvrait là, et ils
débouchèrent dans une voie.
Devant eux, la lueur d’une lampe les stupéfia. Un homme
leur criait rageusement:
—Encore des malins aussi bêtes que moi!
Ils reconnurent Chaval, qui se trouvait bloqué par
l’éboulement, dont les terres comblaient le plan incliné; et
les deux camarades, partis avec lui, étaient même restés
en chemin, la tête fendue. Lui, blessé au coude, avait eu le
courage de retourner sur les genoux prendre leurs lampes
et les fouiller, pour voler leurs tartines. Comme il
s’échappait, un dernier effondrement, derrière son dos,
avait bouché la galerie.
Tout de suite, il se jura de ne point partager ses provisions
avec ces gens qui sortaient de terre. Il les aurait
assommés. Puis, il les reconnut à son tour, et sa colère
tomba, il se mit à rire, d’un rire de joie mauvaise.
—Ah! c’est toi, Catherine! Tu t’es cassé le nez, et tu as
voulu rejoindre ton homme. Bon! bon! nous allons la danser
ensemble.
Il affectait de ne pas voir Étienne. Ce dernier, bouleversé
de la rencontre, avait eu un geste pour protéger la
herscheuse, qui se serrait contre lui. Pourtant, il fallait bien
accepter la situation. Il demanda simplement au camarade,
comme s’ils s’étaient quittés bons amis, une heure plus tôt:
—As-tu regardé au fond? On ne peut donc passer par les
tailles?
Chaval ricanait toujours.
—Ah! ouiche! par les tailles! Elles se sont éboulées aussi,
nous sommes entre deux murs, une vraie souricière…
Mais tu peux t’en retourner par le plan, si tu es un bon
plongeur.
En effet, l’eau montait, on l’entendait clapoter. La retraite se
trouvait coupée déjà. Et il avait raison, c’était une
souricière, un bout de galerie que des affaissements
considérables obstruaient en arrière et en avant. Pas une
issue, tous trois étaient murés.
—Alors, tu restes? ajouta Chaval goguenard. Va, c’est ce
que tu feras de mieux, et si tu me fiches la paix, moi je ne
te parlerai seulement pas. Il y a encore ici de la place pour
deux hommes… Nous verrons bientôt lequel crèvera le
premier, à moins qu’on ne vienne, ce qui me semble
difficile.
Le jeune homme reprit:
—Si nous tapions, on nous entendrait peut-être.
—J’en suis las, de taper… Tiens! essaie toi-même avec
cette pierre.
Étienne ramassa le morceau de grès, que l’autre avait
émietté déjà, et il battit contre la veine, au fond, le rappel
des mineurs, le roulement prolongé, dont les ouvriers en
péril signalent leur présence. Puis, il colla son oreille, pour
écouter. A vingt reprises, il s’entêta. Aucun bruit ne
répondait.
Pendant ce temps, Chaval affecta de faire froidement son
petit ménage. D’abord, il rangea ses trois lampes contre le
mur: une seule brûlait, les autres serviraient plus tard.
Ensuite, il posa sur une pièce du boisage les deux tartines
qu’il avait encore. C’était le buffet, il irait bien deux jours
avec ça, s’il était raisonnable. Il se tourna, en disant:
—Tu sais, Catherine, il y en aura la moitié pour toi, quand
tu auras trop faim.
La jeune fille se taisait. Cela comblait son malheur, de se
retrouver entre ces deux hommes.
Et l’affreuse vie commença. Ni Chaval ni Étienne
n’ouvraient la bouche, assis par terre, à quelques pas. Sur
la remarque du premier, le second éteignit sa lampe, un
luxe de lumière inutile; puis, ils retombèrent dans leur
silence. Catherine s’était couchée près du jeune homme,
inquiète des regards que son ancien galant lui jetait. Les
heures s’écoulaient, on entendait le petit murmure de l’eau
montant sans cesse; tandis que, de temps à autre, des
secousses profondes, des retentissements lointains,
annonçaient les derniers tassements de la mine. Quand la
lampe se vida et qu’il fallut en ouvrir une autre, pour
l’allumer, la peur du grisou les agita un instant; mais ils
aimaient mieux sauter tout de suite, que de durer dans les
ténèbres; et rien ne sauta, il n’y avait pas de grisou. Ils
s’étaient allongés de nouveau, les heures se remirent à
couler.
Un bruit émotionna Étienne et Catherine, qui levèrent la
tête. Chaval se décidait à manger: il avait coupé la moitié
d’une tartine, il mâchait longuement, pour ne pas être tenté
d’avaler tout. Eux, que la faim torturait, le regardèrent.
—Vrai, tu refuses? dit-il à la herscheuse, de son air
provocant. Tu as tort.
Elle avait baissé les yeux, craignant de céder, l’estomac
déchiré d’une telle crampe, que des larmes gonflaient ses
paupières. Mais elle comprenait ce qu’il demandait; déjà,
le matin, il lui avait soufflé sur le cou; il était repris d’une de
ses anciennes fureurs de désir, en la voyant près de l’autre.
Les regards dont il l’appelait avaient une flamme qu’elle
connaissait bien, la flamme de ses crises jalouses, quand il
tombait sur elle à coups de poing, en l’accusant
d’abominations avec le logeur de sa mère. Et elle ne
voulait pas, elle tremblait, en retournant à lui, de jeter ces
deux hommes l’un sur l’autre, dans cette cave étroite où ils
agonisaient. Mon Dieu! est-ce qu’on ne pouvait finir en
bonne amitié!
Étienne serait mort d’inanition, plutôt que de mendier à
Chaval une bouchée de pain. Le silence s’alourdissait, une
éternité encore parut se prolonger, avec la lenteur des
minutes monotones, qui passaient une à une, sans espoir.
Il y avait un jour qu’ils étaient enfermés ensemble. La
deuxième lampe pâlissait, ils allumèrent la troisième.
Chaval entama son autre tartine, et il grogna:
—Viens donc, bête!
Catherine eut un frisson. Pour la laisser libre, Étienne
s’était détourné. Puis, comme elle ne bougeait pas, il lui dit
à voix basse:
—Va, mon enfant.
Les larmes qu’elle étouffait ruisselèrent alors. Elle pleurait
longuement, ne trouvant même pas la force de se lever, ne
sachant plus si elle avait faim, souffrant d’une douleur qui la
tenait dans tout le corps. Lui, s’était mis debout, allait et
venait, battait vainement le rappel des mineurs, enragé de
ce reste de vie qu’on l’obligeait à vivre là, collé au rival qu’il
exécrait. Pas même assez de place pour crever loin l’un de
l’autre! Dès qu’il avait fait dix pas, il devait revenir et se
cogner contre cet homme. Et elle, la triste fille, qu’ils se
disputaient jusque dans la terre! Elle serait au dernier
vivant, cet homme la lui volerait encore, si lui partait le
premier. Ça n’en finissait pas, les heures suivaient les
heures, la révoltante promiscuité s’aggravait, avec
l’empoisonnement des haleines, l’ordure des besoins
satisfaits en commun. Deux fois, il se rua sur les roches,
comme pour les ouvrir à coups de poing.
Une nouvelle journée s’achevait, et Chaval s’était assis
près de Catherine, partageant avec elle sa dernière moitié
de tartine. Elle mâchait les bouchées péniblement, il les lui
faisait payer chacune d’une caresse, dans son entêtement
de jaloux qui ne voulait pas mourir sans la ravoir, devant
l’autre. Épuisée, elle s’abandonnait. Mais, lorsqu’il tâcha de
la prendre, elle se plaignit.
—Oh! laisse, tu me casses les os.
Étienne, frémissant, avait posé son front contre les bois,
pour ne pas voir. Il revint d’un bond, affolé.
—Laisse-la, nom de Dieu!
—Est-ce que ça te regarde? dit Chaval. C’est ma femme,
elle est à moi peut-être!
Et il la reprit, et il la serra, par bravade, lui écrasant sur la
bouche ses moustaches rouges, continuant:
—Fiche-nous la paix, hein! Fais-nous le plaisir de voir là-
bas si nous y sommes.
Mais Étienne, les lèvres blanches, criait:
—Si tu ne la lâches pas, je t’étrangle!
Vivement, l’autre se mit debout, car il avait compris, au
sifflement de la voix, que le camarade allait en finir. La mort
leur semblait trop lente, il fallait que, tout de suite, l’un des
deux cédât la place. C’était l’ancienne bataille qui
recommençait, dans la terre où ils dormiraient bientôt côte
à côte; et ils avaient si peu d’espace, qu’ils ne pouvaient
brandir leurs poings sans les écorcher.
—Méfie-toi, gronda Chaval. Cette fois, je te mange.
Étienne, à ce moment, devint fou. Ses yeux se noyèrent
d’une vapeur rouge, sa gorge s’était congestionnée d’un
flot de sang. Le besoin de tuer le prenait, irrésistible, un
besoin physique, l’excitation sanguine d’une muqueuse qui
détermine un violent accès de toux. Cela monta, éclata en
dehors de sa volonté, sous la poussée de la lésion
héréditaire. Il avait empoigné, dans le mur, une feuille de
schiste, et il l’ébranlait, et il l’arrachait, très large, très
lourde. Puis, à deux mains, avec une force décuplée, il
l’abattit sur le crâne de Chaval.
Celui-ci n’eut pas le temps de sauter en arrière. Il tomba, la
face broyée, le crâne fendu. La cervelle avait éclaboussé le
toit de la galerie, un jet pourpre coulait de la plaie, pareil au
jet continu d’une source. Tout de suite, il y eut une mare, où
l’étoile fumeuse de la lampe se refléta. L’ombre envahissait
ce caveau muré, le corps semblait, par terre, la bosse
noire d’un tas d’escaillage.
Et, penché, l’oeil élargi, Étienne le regardait. C’était donc
fait, il avait tué. Confusément, toutes ses luttes lui
revenaient à la mémoire, cet inutile combat contre le
poison qui dormait dans ses muscles, l’alcool lentement
accumulé de sa race. Pourtant, il n’était ivre que de faim,
l’ivresse lointaine des parents avait suffi. Ses cheveux se
dressaient devant l’horreur de ce meurtre, et malgré la
révolte de son éducation, une allégresse faisait battre son
coeur, la joie animale d’un appétit enfin satisfait. Il eut
ensuite un orgueil, l’orgueil du plus fort. Le petit soldat lui
était apparu, la gorge trouée d’un couteau, tué par un
enfant. Lui aussi, avait tué.
Mais Catherine, toute droite, poussait un grand cri.
—Mon Dieu! il est mort!
—Tu le regrettes? demanda Étienne farouche.
Elle suffoquait, elle balbutiait. Puis, chancelante, elle se jeta
dans ses bras.
—Ah! tue-moi aussi, ah! mourons tous les deux!
D’une étreinte, elle s’attachait à ses épaules, et il
l’étreignait également, et ils espérèrent qu’ils allaient
mourir. Mais la mort n’avait pas de hâte, ils dénouèrent
leurs bras. Puis, tandis qu’elle se cachait les yeux, il traîna
le misérable, il le jeta dans le plan incliné, pour l’ôter de
l’espace étroit où il fallait vivre encore. La vie n’aurait plus
été possible, avec ce cadavre sous les pieds. Et ils
s’épouvantèrent, lorsqu’ils l’entendirent plonger, au milieu
d’un rejaillissement d’écume. L’eau avait donc empli déjà
ce trou? Ils l’aperçurent, elle déborda dans la galerie.
Alors, ce fut une lutte nouvelle. Ils avaient allumé la dernière
lampe, elle s’épuisait en éclairant la crue, dont la hausse
régulière, entêtée, ne s’arrêtait pas. Ils eurent d’abord de
l’eau aux chevilles, puis elle leur mouilla les genoux. La voie
montait, ils se réfugièrent au fond, ce qui leur donna un
répit de quelques heures. Mais le flot les rattrapa, ils
baignèrent jusqu’à la ceinture. Debout, acculés, l’échine
collée contre la roche, ils la regardaient croître, toujours,
toujours. Quand elle atteindrait leur bouche, ce serait fini.
La lampe, qu’ils avaient accrochée, jaunissait la houle
rapide des petites ondes; elle pâlit, ils ne distinguèrent plus
qu’un demi-cercle diminuant sans cesse, comme mangé
par l’ombre qui semblait grandir avec le flux; et,
brusquement, l’ombre les enveloppa, la lampe venait de
s’éteindre, après avoir craché sa dernière goutte d’huile.
C’était la nuit complète, absolue, cette nuit de la terre qu’ils
dormiraient, sans jamais rouvrir leurs yeux à la clarté du
soleil.
—Nom de Dieu! jura sourdement Étienne.
Catherine, comme si elle eût senti les ténèbres la saisir,
s’était abritée contre lui. Elle répéta le mot des mineurs, à
voix basse:
—La mort souffle la lampe.
Pourtant, devant cette menace, leur instinct luttait, une
fièvre de vivre les ranima. Lui, violemment, se mit à creuser
le schiste avec le crochet de la lampe, tandis qu’elle l’aidait
de ses ongles. Ils pratiquèrent une sorte de banc élevé, et
lorsqu’ils s’y furent hissés tous les deux, ils se trouvèrent
assis, les jambes pendantes, le dos ployé, car la voûte les
forçait à baisser la tête. L’eau ne glaçait plus que leurs
talons; mais ils ne tardèrent pas à en sentir le froid leur
couper les chevilles, les mollets, les genoux, dans un
mouvement invincible et sans trêve. Le banc, mal aplani, se
trempait d’une humidité si gluante, qu’ils devaient se tenir
fortement pour ne pas glisser. C’était la fin, combien
attendraient-ils, réduits à cette niche, où ils n’osaient
risquer un geste, exténués, affamés, n’ayant plus ni pain ni
lumière? Et ils souffraient surtout des ténèbres, qui les
empêchaient de voir venir la mort. Un grand silence
régnait, la mine gorgée d’eau ne bougeait plus. Ils n’avaient
maintenant, sous eux, que la sensation de cette mer,
enflant, du fond des galeries, sa marée muette.
Les heures se succédaient, toutes également noires, sans
qu’ils pussent en mesurer la durée exacte, de plus en plus
égarés dans le calcul du temps. Leurs tortures, qui auraient
dû allonger les minutes, les emportaient, rapides. Ils
croyaient n’être enfermés que depuis deux jours et une nuit,
lorsqu’en réalité la troisième journée déjà se terminait.
Toute espérance de secours s’en était allée, personne ne
les savait là, personne n’avait le pouvoir d’y descendre, et
la faim les achèverait, si l’inondation leur faisait grâce. Une
dernière fois, ils avaient eu la pensée de battre le rappel;
mais la pierre était restée sous l’eau. D’ailleurs, qui les
entendrait?
Catherine, résignée, avait appuyé contre la veine sa tête
endolorie, lorsqu’un tressaillement la redressa.
—Écoute! dit-elle.
D’abord, Étienne crut qu’elle parlait du petit bruit de l’eau
montant toujours. Il mentit, il voulut la tranquilliser.
—C’est moi que tu entends, je remue les jambes.
—Non, non, pas ça… Là-bas, écoute!
Et elle collait son oreille au charbon. Il comprit, il fit comme
elle. Une attente de quelques secondes les étouffa. Puis,
très lointains, très faibles, ils entendirent trois coups,
largement espacés. Mais ils doutaient encore, leurs
oreilles sonnaient, c’étaient peut-être des craquements
dans la couche. Et ils ne savaient avec quoi frapper pour
répondre.
Étienne eut une idée.
—Tu as les sabots. Sors les pieds, tape avec les talons.
Elle tapa, elle battit le rappel des mineurs; et ils écoutèrent,
et ils distinguèrent de nouveau les trois coups, au loin.
Vingt fois ils recommencèrent, vingt fois les coups
répondirent. Ils pleuraient, ils s’embrassaient, au risque de
perdre l’équilibre. Enfin, les camarades étaient là, ils
arrivaient. C’était un débordement de joie et d’amour qui
emportait les tourments de l’attente, la rage des appels
longtemps inutiles, comme si les sauveurs n’avaient eu
qu’à fendre la roche du doigt, pour les délivrer.
—Hein! criait-elle gaiement, est-ce une chance que j’aie
appuyé la
tête!
—Oh! tu as une oreille! disait-il à son tour. Moi, je
n’entendais
rien.
Dès ce moment, ils se relayèrent, toujours l’un d’eux
écoutait, prêt à correspondre, au moindre signal. Ils
saisirent bientôt des coups de rivelaine: on commençait les
travaux d’approche, on ouvrait une galerie. Pas un bruit ne
leur échappait. Mais leur joie tomba. Ils avaient beau rire,
pour se tromper l’un l’autre, le désespoir les reprenait peu à
peu. D’abord, ils s’étaient répandus en explications: on
arrivait évidemment par Réquillart, la galerie descendait
dans la couche, peut-être en ouvrait-on plusieurs, car il y
avait trois hommes à l’abattage. Puis ils parlèrent moins, ils
finirent par se taire, quand ils en vinrent à calculer la masse
énorme qui les séparait des camarades. Muets, ils
continuaient leurs réflexions, ils comptaient les journées et
les journées qu’un ouvrier mettrait à percer un tel bloc.
Jamais on ne les rejoindrait assez tôt, ils seraient morts
vingt fois. Et, mornes, n’osant plus échanger une parole
dans ce redoublement d’angoisse, ils répondaient aux
appels d’un roulement de sabots, sans espoir, en ne
gardant que le besoin machinal de dire aux autres qu’ils
vivaient encore.
Un jour, deux jours, se passèrent. Ils étaient au fond depuis
six jours. L’eau, arrêtée à leurs genoux, ne montait ni ne
descendait; et leurs jambes semblaient fondre, dans ce
bain de glace. Pendant une heure, ils pouvaient bien les
retirer; mais la position devenait alors si incommode, qu’ils
étaient tordus de crampes atroces et qu’ils devaient laisser
retomber les talons. Toutes les dix minutes, ils se
remontaient d’un coup de reins, sur la roche glissante. Les
cassures du charbon leur défonçaient l’échine, ils
éprouvaient à la nuque une douleur fixe et intense, d’avoir à
la tenir ployée constamment, pour ne pas se briser le
crâne. Et l’étouffement croissait, l’air refoulé par l’eau se
comprimait dans l’espèce de cloche où ils se trouvaient
enfermés. Leur voix, assourdie, paraissait venir de très
loin. Des bourdonnements d’oreilles se déclarèrent, ils
entendaient les volées d’un tocsin furieux, le galop d’un
troupeau sous une averse de grêle, interminable.
D’abord, Catherine souffrit horriblement de la faim. Elle
portait à sa gorge ses pauvres mains crispées, elle avait
de grands souffles creux, une plainte continue, déchirante,
comme si une tenaille lui eût arraché l’estomac. Étienne,
étranglé par la même torture, tâtonnait fiévreusement dans
l’obscurité, lorsque, près de lui, ses doigts rencontrèrent
une pièce du boisage, à moitié pourrie, que ses ongles
émiettaient. Et il en donna une poignée à la herscheuse,
qui l’engloutit goulûment. Durant deux journées, ils vécurent
de ce bois vermoulu, ils le dévorèrent tout entier,
désespérés de l’avoir fini, s’écorchant à vouloir entamer les
autres, solides encore, et dont les fibres résistaient. Leur
supplice augmenta, ils s’enrageaient de ne pouvoir mâcher
la toile de leurs vêtements. Une ceinture de cuir qui le
serrait à la taille les soulagea un peu. Il en coupa de petits
morceaux avec les dents, et elle les broyait, s’acharnait à
les avaler. Cela occupait leurs mâchoires, leur donnait
l’illusion qu’ils mangeaient. Puis, quand la ceinture fut
achevée, ils se remirent à la toile, la suçant pendant des
heures.
Mais, bientôt, ces crises violentes se calmèrent, la faim ne
fut plus qu’une douleur profonde, sourde, l’évanouissement
même, lent et progressif, de leurs forces. Sans doute, ils
auraient succombé, s’ils n’avaient pas eu de l’eau, tant
qu’ils en voulaient. Ils se baissaient simplement, buvaient
dans le creux de leur main; et cela à vingt reprises, brûlés
d’une telle soif, que toute cette eau ne pouvait l’étancher.
Le septième jour, Catherine se penchait pour boire,
lorsqu’elle heurta de la main un corps flottant devant elle.
—Dis donc, regarde… Qu’est-ce que c’est?
Étienne tâta dans les ténèbres.
—Je ne comprends pas, on dirait la couverture d’une porte
d’aérage.
Elle but, mais comme elle puisait une seconde gorgée, le
corps revint battre sa main. Et elle poussa un cri terrible.
—C’est lui, mon Dieu!
—Qui donc?
—Lui, tu sais bien?… J’ai senti ses moustaches.
C’était le cadavre de Chaval, remonté du plan incliné,
poussé jusqu’à eux par la crue. Étienne allongea le bras,
sentit aussi les moustaches, le nez broyé; et un frisson de
répugnance et de peur le secoua. Prise d’une nausée
abominable, Catherine avait craché l’eau qui lui restait à la
bouche. Elle croyait qu’elle venait de boire du sang, que
toute cette eau profonde, devant elle, était maintenant le
sang de cet homme.
—Attends, bégaya Étienne, je vais le renvoyer.
Il donna un coup de pied au cadavre, qui s’éloigna. Mais,
bientôt, ils le sentirent de nouveau qui tapait dans leurs
jambes.
—Nom de Dieu! va-t-en donc!
Et, la troisième fois, Étienne dut le laisser. Quelque courant
le ramenait. Chaval ne voulait pas partir, voulait être avec
eux, contre eux. Ce fut un affreux compagnon, qui acheva
d’empoisonner l’air. Pendant toute cette journée, ils ne
burent pas, luttant, aimant mieux mourir; et, le lendemain
seulement, la souffrance les décida: ils écartaient le corps
à chaque gorgée, ils buvaient quand même. Ce n’était pas
la peine de lui casser la tête, pour qu’il revînt entre lui et
elle, entêté dans sa jalousie. Jusqu’au bout, il serait là,
même mort, pour les empêcher d’être ensemble.
Encore un jour, et encore un jour. Étienne, à chaque frisson
de l’eau, recevait un léger coup de l’homme qu’il avait tué,
le simple coudoiement d’un voisin qui rappelait sa
présence. Et, toutes les fois, il tressaillait. Continuellement,
il le voyait, gonflé, verdi, avec ses moustaches rouges,
dans sa face broyée. Puis, il ne se souvenait plus, il ne
l’avait pas tué, l’autre nageait et allait le mordre. Catherine,
maintenant, était secouée de crises de larmes, longues,
interminables, après lesquelles un accablement
l’anéantissait. Elle finit par tomber dans un état de
somnolence invincible. Il la réveillait, elle bégayait des
mots, elle se rendormait tout de suite, sans même soulever
les paupières; et, de crainte qu’elle ne se noyât, il lui avait
passé un bras à la taille. C’était, lui, maintenant, qui
répondait aux camarades. Les coups de rivelaine
approchaient, il les entendait derrière son dos. Mais ses
forces diminuaient aussi, il avait perdu tout courage à
taper. On les savait là, pourquoi se fatiguer encore? Cela
ne l’intéressait plus, qu’on pût venir. Dans l’hébétement de
son attente, il en était, pendant des heures, à oublier ce
qu’il attendait.
Un soulagement les réconforta un peu. L’eau baissait, le
corps de Chaval s’éloigna. Depuis neuf jours, on travaillait
à leur délivrance, et ils faisaient, pour la première fois,
quelques pas dans la galerie, lorsqu’une épouvantable
commotion les jeta sur le sol. Ils se cherchèrent, ils
restèrent aux bras l’un de l’autre, fous, ne comprenant pas,
croyant que la catastrophe recommençait. Rien ne remuait
plus, le bruit des rivelaines avait cessé.