Germinal d’Emile Zola


—Que fait-elle donc? s’écria Cécile, impatientée. Mélanie,
monte lui dire que le paquet est en bas de l’armoire, à
gauche.
Cependant, M. Grégoire acheva tout haut les réflexions que
lui inspirait la vue de ces affamés.
—On a du mal en ce monde, c’est bien vrai; mais, ma
brave femme, il faut dire aussi que les ouvriers ne sont
guère sages… Ainsi, au lieu de mettre des sous de côté
comme nos paysans, les mineurs boivent, font des dettes,
finissent par n’avoir plus de quoi nourrir leur famille.
—Monsieur a raison, répondit posément la Maheude. On
n’est pas toujours dans la bonne route. C’est ce que je
répète aux vauriens, quand ils se plaignent… Moi, je suis
bien tombée, mon mari ne boit pas. Tout de même, les
dimanches de noce, il en prend des fois de trop; mais ça
ne va jamais plus loin. La chose est d’autant plus gentille
de sa part, qu’avant notre mariage, il buvait en vrai cochon,
sauf votre respect… Et voyez, pourtant, ça ne nous avance
pas à grand-chose, qu’il soit raisonnable. Il y a des jours,
comme aujourd’hui, où vous retourneriez bien tous les
tiroirs de la maison, sans en faire tomber un liard.
Elle voulait leur donner l’idée de la pièce de cent sous, elle

continua de sa voix molle, expliquant la dette fatale, timide
d’abord, bientôt élargie et dévorante. On payait
régulièrement pendant des quinzaines. Mais, un jour, on se
mettait en retard, et c’était fini, ça ne se rattrapait jamais
plus. Le trou se creusait, les hommes se dégoûtaient du
travail, qui ne leur permettait seulement pas de s’acquitter.
Va te faire fiche! on était dans le pétrin jusqu’à la mort. Du
reste, il fallait tout comprendre: un charbonnier avait besoin
d’une chope pour balayer les poussières. Ça commençait
par là, puis il ne sortait plus du cabaret, quand arrivaient les
embêtements. Peut-être bien, sans se plaindre de
personne, que les ouvriers tout de même ne gagnaient
point assez.
—Je croyais, dit madame Grégoire, que la Compagnie
vous donnait le loyer et le chauffage.
La Maheude eut un coup d’oeil oblique sur la houille
flambante de la cheminée.
—Oui, oui, on nous donne du charbon, pas trop fameux,
mais qui brûle pourtant… Quant au loyer, il n’est que de six
francs par mois: ça n’a l’air de rien, et souvent c’est joliment
dur à payer… Ainsi, aujourd’hui, moi, on me couperait en
morceaux, qu’on ne me tirerait pas deux sous. Où il n’y a
rien, il n’y a rien.

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