Categories: Romans

Guerrier De Lumière – Volume 1

Guerrier De Lumière – Volume 1

de Paulo Coelho

Chapitre 1 Une journée au moulin

Ma vie, en ce moment, est une symphonie composée de trois mouvements distincts : « beaucoup de monde», « quelques-uns», »personne ou presque». Chacun dure approximativement quatre mois par an, ils se mêlent fréquemment au cours d’un même mois, mais ne se confondent pas.

« Beaucoup de monde « , ce sont les moments où je suis en contact avec le public, les éditeurs, les journalistes. « Quelques-uns»c’est lorsque je vais au Brésil, retrouve mes vieux amis, me promène sur la plage de Copacabana, prend part à quelques mondanités, mais en général reste chez moi.

Mais aujourd’hui, j’ai l’intention de divaguer un peu sur le mouvement» personne ou presque». En ce moment dans les Pyrénées, la nuit est tombée sur ce village de 200 âmes dont je préfère garder le nom secret, et où j’ai acheté voilà quelque temps un ancien moulin transformé en maison. Je me réveille tous les matins au chant du coq, je prends mon café et je sors me promener au milieu des vaches, des agneaux, des plantations de maïs et de foin. Je contemple les montagnes et, contrairement à ce qui se passe dans le mouvement « beaucoup de monde « , je ne cherche pas à penser à ce que je suis. Je ne me pose pas de questions, je n’ai pas de réponses,je vis entièrement dans l’instant présent, comprenant que l’année a quatre saisons (cela peut paraître évident, mais nous l’oublions parfois), et je me transforme comme le paysage alentour.

A ce moment-là, je ne m’intéresse pas beaucoup à ce qui se passe en Irak ou en Afghanistan : comme pour toute autre personne qui vit à la campagne, les nouvelles les plus importantes sont celles qui concernent la météorologie. Tous les habitants de la petite ville savent s’il va pleuvoir, faire froid, venter fort, car cela influe directement sur leur vie, leurs projets, leurs récoltes. Je vois un fermier qui soigne son champ, nous nous souhaitons « bonjour», nous parlons du temps qu’il va faire, et nous reprenons nos activités,lui sur sa charrue, moi dans ma longue promenade.

Je rentre, je regarde la boîte aux lettres, j’y trouve lejournal régional : il y a un bal au village voisin, une conférencedans un bar de Tarbes – la grande ville, avec ses 40 000habitants ; les pompiers ont été appelés au cours de la nuitparce qu’une poubelle avait pris feu. Le sujet qui mobilise larégion est une bande accusée de couper les platanes bordant uneroute de campagne, parce qu’ils ont causé la mort d’un motocycliste: cette information occupe une page entière et plusieurs jours dereportages au sujet du « commando secret « qui veut venger la mort dugarçon en détruisant les arbres.

Je me couche près du ruisseau qui traverse mon moulin. Jeregarde les cieux sans nuage dans cet été terrible, qui a fait 5000 morts seulement en France. Je me lève et je vais pratiquer lekyudo, la méditation avec l’arc et la flèche, qui me prend plusd’une heure par jour. C’est déjà l’heure de déjeuner : je fais unrepas léger et soudain je remarque dans une des dépendances del’ancienne construction un objet étrange, muni d’un écran et d’unclavier, connecté – merveille des merveilles – à une ligne à trèshaut débit, également appelée ADSL. Au moment où j’appuierai sur unbouton de cette machine, je sais que le monde viendra à marencontre.

Je résiste autant que je le peux, mais le moment arrive, mondoigt touche la commande « allumer» et me voilà de nouveau connectéau monde : les colonnes des journaux brésiliens, les livres, lesinterviews qu’il faut donner, les nouvelles d’Irak etd’Afghanistan, les requêtes, l’avis annonçant que le billet d’avionarrive demain, les décisions à ajourner, les décisions àprendre.

Je travaille plusieurs heures parce que je l’ai choisi, parceque c’est ma légende personnelle, parce qu’un guerrier de lalumière sait qu’il a des devoirs et des responsabilités. Mais dansle mouvement « personne ou presque « tout ce qui se trouve surl’écran de l’ordinateur est très lointain, de même que le moulinparaît un rêve quand je suis dans les mouvements « beaucoup demonde» ou « quelques-uns».

Le soleil commence à se cacher, le bouton est éteint, le monderedevient simplement la campagne, le parfum des herbes, lemugissement des vaches, la voix du berger qui reconduit ses brebisà l’étable à côté du moulin.

Je me demande comment je peux me promener en une seule journéedans deux mondes tellement différents : je n’ai pas de réponse,mais je sais que cela me donne beaucoup de plaisir, et je suiscontent tandis que j’écris ces lignes.

Chapitre 2Histoires contenant le nombre trois

Les trois blocs de pierre

Une légende australienne raconte l’histoire d’un sorcier qui sepromenait avec ses trois sœurs, quand le plus célèbre guerrier dela région les aborda.

« Je veux épouser l’une de ces belles jeunes filles», déclara cedernier.

« Si l’une d’elles se marie, les autres vont penser qu’elles sontlaides. Je cherche une tribu dans laquelle les guerriers peuventavoir trois femmes « , répondit le sorcier en s’éloignant.

Et pendant des années, il parcourut le continent australien,mais il ne put trouver une telle tribu.

« Au moins l’une de nous aurait pu être heureuse», dit l’une destrois sœurs, alors qu’elles étaient déjà vieilles et fatiguées detant marcher.

« Je me suis trompé», répondit le sorcier. « Mais maintenant ilest trop tard.»

Et il transforma les trois sœurs en blocs de pierre.

Ceux qui visiteront le Parc national des Montagnes bleues, prèsde Sydney, pourront les voir – et comprendre que le bonheur de l’unne signifie pas le malheur des autres.

Trois coups précis

« Comment puis-je savoir quelle est la meilleure manière d’agirdans la vie ? « demanda le disciple au maître.

Le maître lui demanda de fabriquer une table. Le discipleenfonçait les clous en frappant trois coups précis. Mais un cloutoucha une partie plus dure et le disciple dut donner un coupsupplémentaire qui l’enfonça trop profondément, et le bois futatteint.

« Ta main était habituée à trois coups de marteau « , dit lemaître.» Tu a eu tellement confiance dans ton geste que tu asmanqué d’attention et d’habileté.»

« Quand l’action devient une simple habitude, elle perd son senset peut finir par causer des dégâts ; ne laisse jamais laroutine commander tes mouvements.»

Les trois bananes

Un de mes amis décida de passer quelques semaines dans unmonastère au Népal. Un après-midi, il entra dans l’un des nombreuxtemples de la région, et il rencontra un moine, souriant, assisprès de l’autel.

« Pourquoi souriez-vous ?» s’enquit-il.

« Parce que je comprends la signification des bananes.»

Cela dit, il ouvrit le sac qu’il portait et en retira une bananepourrie.

« Celle-ci est la vie qui n’est plus et dont on n’a pas profitéau bon moment ; maintenant il est trop tard.»

Ensuite, il retira du sac une banane encore verte, la montra etla rangea de nouveau.

« Celle-là, c’est la vie qui n’est pas encore advenue, et je doisattendre le bon moment. « Enfin, il retira une banane mûre,l’éplucha et la partagea avec mon ami.

« Voilà la vie dans le moment présent. Nourrissez-vous-en, etvivez-le sans crainte et sans culpabilité.  »

Chapitre 3Le rabbin Feldman et la foi qui déplace les montagnes

Isaac Asimov, l’un des meilleurs écrivains de science-fiction duXXe siècle, est l’auteur de cette histoire délicieuse.

Le rabbin Feldman avait beaucoup de problèmes avec sacongrégation ; la plupart de ses membres le trouvaientarrogant, intolérant, trop rigoureux envers les défauts normaux del’être humain. Désespérés, les fidèles firent appel au président del’association israélite de l’état, qui vint jusqu’à la ville pourrésoudre le problème.

Après qu’il eut écouté tous les participants de la congrégation,celui-ci s’adressa à Feldman :

“Rabbin, les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Nous allonsconvoquer une assemblée et résoudre ces différends.”

Feldman accepta. Trois jours plus tard, un conseil fut convoquéen présence du président et de dix autres érudits en matière dejudaïsme. Ils s’assirent autour d’une belle table en acajou etcommencèrent à examiner un par un les points litigieux ; àmesure que la réunion avançait, il devenait de plus en plus clairque le rabbin Feldman était seul sur ses positions.

Au bout de quatre heures de discussion, le président déclara:

“Je pense que cela suffit ; nous allons voter, et lamajorité décidera quelle est la meilleure voie à suivre.”

Chacun reçut un morceau de papier, vota, et une fois le comptefait, le président reprit la parole.

“Il y a onze voix contre vous, rabbin. Nous devrons revoirdéfinitivement les positions adoptées.”

Feldman se leva, manifesta son orgueil blessé, et levant lesbras au ciel, dit d’une voix grave :

“Alors une simple majorité de voix vous permet de juger que jeme trompe et que les autres ont raison ? Non, messieurs, je nepeux accepter cela.

Je prie le Seigneur d’Israël de montrer sa force et d’envoyerimmédiatement un signe, afin que vous tous ici sachiez que moncomportement est absolument correct !”

Au même instant un coup de tonnerre assourdissant retentit. Unéclair frappa la pièce, fendant en plein milieu la belle table enacajou ; tous ceux qui étaient présents furent jetés au solpar la puissance de l’explosion.

Des cris se firent entendre aux alentours, la fumée emplit lapièce ; quand la poussière commença à retomber, on constataque le rabbin Feldman était resté debout, intact, un souriresarcastique aux lèvres.

Avec beaucoup de difficulté le président se releva, remit enplace ses lunettes qui pendaient à son oreille, ajusta ses cheveuxdécoiffés, arrangea ses vêtements couverts de poussière, et ditlentement :

“C’est bien : onze voix contre une. Mais nous avons encore lamajorité, et les règles seront modifiées.”

Chapitre 4La générosité et la récompense

Sensible à la pauvreté du rabbin Jusya, Ephraim glissait tousles jours quelques pièces de monnaie sous sa porte. Et il constataque plus il donnait à Jusya, plus il gagnait d’argent.

Ephraim se souvint que le rabbin Baer était le maître de Jusya,et il pensa : « Si je suis bien récompensé en donnant au disciple,imaginez tout ce que je gagnerai si je décide de soutenir sonmaître.»

Il se rendit à Mezritch et couvrit de cadeaux le rabbin Baer. Etdès lors, sa situation se détériora tant qu’il faillit toutperdre.

Intrigué, il alla voir Jusya et lui conta ce qui étaitarrivé.

« C’est très simple », dit Jusya. « Tant que tu donnais sanspenser à ce que tu recevais, Dieu en faisait autant. Mais quand tuas commencé à rendre visite à un personnage illustre pour lui fairetes dons, Dieu s’est mis également à en faire autant. »

Chapitre 5Le verre vide et le verre plein

Au cours d’un dîner au monastère de Sceta, le plus âgé desprêtres se leva pour servir de l’eau aux autres. Il allapéniblement de table en table, mais aucun n’accepta.

« Nous sommes indignes du sacrifice de ce saint « ,pensaient-ils.

Quand le vieillard gagna la table de l’abbé Petit Jean, celui-cilui demanda de remplir son verre à ras bord.

Les autres moines regardèrent effrayés. A la fin du dîner, ilsfirent des reproches à Jean :

« Comment peux-tu te juger digne d’être servi par ce sainthomme ? N’as-tu pas compris la peine qu’il avait à soulever labouteille ? N’as-tu pas remarqué comme ses mainstremblaient ?

– Comment puis-je empêcher que le bien se manifeste ? »répondit Jean. « Vous qui vous croyez parfaits, vous n’avez pas eul’humilité de recevoir, et le pauvre homme n’a pas eu la joie dedonner.  »

Chapitre 6La loi de Jante

« Que pensez-vous de la princesse Martha-Louise ?»

Le journaliste norvégien m’interviewait au bord du lac deGenève. Généralement je refuse de répondre à des questions quisortent du contexte de mon travail, mais dans ce cas sa curiositéavait un motif : la princesse, sur la robe qu’elle portait pour ses30 ans, avait fait broder le nom de plusieurs personnes qui avaientcompté dans sa vie, et parmi ces noms se trouvait le mien (ma femmetrouva l’idée si bonne qu’elle décida de faire la même chose pourson cinquantième anniversaire et plaça dans un coin de son vêtementle crédit suivant : « inspiré par la princesse de Norvège « ).

« Je trouve que c’est une personne sensible, délicate,intelligente « , ai-je répondu. « J’ai eu l’occasion de la rencontrerà Oslo, quand elle m’a présenté à son mari, écrivain commemoi.»

Je me suis arrêté un peu, mais il me fallait aller plus loin:

« Et il y a une chose que vraiment je ne comprends pas : pourquoila presse norvégienne s’est-elle mise à attaquer le travail de sonmari après son mariage avec la princesse? Auparavant les critiqueslui étaient favorables.»

Ce n’était pas à proprement parler une question, mais uneprovocation, car j’imaginais déjà la réponse : la critique a changéparce que les gens éprouvent de l’envie, le plus amer dessentiments humains.

Mais le journaliste poussa plus loin encore:

« Parce qu’il a transgressé la loi de Jante.»

évidemment je n’en avais jamais entendu parler, et il m’expliquace dont il s’agissait. Poursuivant le voyage, j’ai compris que danstous les pays scandinaves, il est difficile de rencontrer quelqu’unqui ne connaisse pas cette loi. Bien qu’elle existât depuis lecommencement de la civilisation, elle ne fut énoncée officiellementqu’en 1933 par l’écrivain Aksel Sandemose dans le roman Un réfugiédépasse ses limites.

Triste constatation, la loi de Jante ne se limite pas à laScandinavie : c’est une règle appliquée dans tous les pays dumonde, même si les Brésiliens disent  » cela n’arrive qu’ici « , ouque les Français affirment « dans notre pays, malheureusement c’estainsi « . Comme le lecteur doit déjà être irrité parce qu’il a luplus de la moitié de la colonne sans savoir exactement ce quesignifie la loi de Jante, je vais tenter de la résumer ici, avecmes propres mots :

« Tu ne vaux rien, personne ne s’intéresse à ce que tu penses, lamédiocrité et l’anonymat sont le meilleur choix. Si tu agis ainsi,tu n’auras jamais de grands problèmes dans la vie.»

La loi de Jante concerne, dans son contexte, le sentiment dejalousie et d’envie qui donne parfois beaucoup de maux de tête auxgens comme Ari Behn, le mari de la princesse Martha-Louise. C’estl’un de ses aspects négatifs, mais il y a beaucoup plusdangereux.

C’est grâce à elle que le monde a été manipulé de toutes lesmanières par des gens qui n’ont pas peur des observations desautres et finissent par faire tout le mal qu’ils désirent. Nousvenons d’assister à une guerre inutile en Irak, qui continue decoûter nombre de vies ; nous voyons un grand abîme entre lespays riches et les pays pauvres, l’injustice sociale partout, uneviolence incontrôlée, des gens qui sont obligés de renoncer à leursrêves pour cause d’attaques injustes et lâches. Avant de provoquerla Seconde Guerre mondiale, Hitler avait donné divers signes de sesintentions, et s’il a pu aller plus loin, c’est qu’il savait quepersonne n’oserait le défier à cause de la loi de Jante.

La médiocrité peut être confortable, jusqu’au jour où latragédie frappe à la porte, et alors les gens se demandent : « Maispourquoi personne n’a-t-il rien dit, alors que tout le monde voyaitque cela allait arriver ?»

C’est simple : personne n’a rien dit parce qu’eux non plus n’ontrien dit.

Donc, pour éviter que les choses n’empirent encore, peut-êtreest-ce le moment d’écrire l’anti-loi de Jante :

« Tu vaux beaucoup mieux que tu ne le penses. Ton travail et taprésence sur cette Terre sont importants, même si tu ne le croispas. Bien sûr, en pensant ainsi, tu risques d’avoir beaucoup deproblèmes parce que tu transgresses la loi de Jante – mais ne telaisse pas intimider, continue à vivre sans crainte, et tu gagnerasà la fin.  »

Chapitre 7Le Catholique et le Musulman

Au cours d’un déjeuner, je conversais avec un prêtre catholiqueet un jeune musulman. Quand le garçon passait avec un plateau,chacun se servait, sauf le musulman, qui respectait le jeûne annuelprescrit par le Coran.

Quand le déjeuner s’acheva, les convives sortirent et l’un d’euxne manqua pas de lancer cette pique : « Vous voyez comme lesmusulmans sont fanatiques ? Heureusement que vous autresn’avez rien en commun avec eux.»

« Ce n’est pas vrai», dit le prêtre. « Ce garçon s’efforce deservir Dieu autant que moi. Simplement nous suivons des loisdifférentes.»

Et il conclut : « Il est malheureux que les gens ne voient queles différences qui les séparent. S’ils regardaient avec plusd’amour, ils discerneraient surtout ce qu’il y a de commun entreeux – et la moitié des problèmes du monde seraient résolus.»

Chapitre 8La mort de Christiano Oiticica, mon beau-père

Peu avant de mourir, mon beau-père a appelé la famille :

« Je sais que la mort n’est qu’un passage, et je veux pouvoirfaire cette traversée sans tristesse. Pour que vous ne soyez pasinquiets, j’enverrai un signe pour montrer qu’il valait la peined’aider les autres dans cette vie. « Il a souhaité être incinéré, etque ses cendres soient dispersées sur la plage de l’Arpoador,tandis qu’un lecteur de cassettes jouerait ses morceaux de musiquepréférés.

Il est décédé deux jours plus tard. Un ami s’est occupé de lacrémation à São Paulo et, de retour à Rio, nous sommes tous partisvers l’Arpoador avec une radio, les cassettes, le paquet contenantla petite urne de cendres. Arrivant devant la mer, nous avonsdécouvert que le couvercle était scellé par des vis. Nous avonstenté de l’ouvrir, inutilement.

Il n’y avait personne près de là, sauf un mendiant, qui s’estapproché et nous a demandé ce que nous voulions.

Mon beau-frère a répondu : « Un tournevis, parce que les cendresde mon père se trouvent là-dedans.»

– Il a dû être un homme très bon, parce que je viens de trouvercela « , a dit le mendiant.

Et il nous a tendu le tournevis.

Chapitre 9Caracas, 7 octobre 2003

Cher M. Paulo Coelho,

J’ai lu tous vos livres, et j’ai été plutôt surprise par ledernier. Plusieurs fois au cours de ma lecture, j’ai eu envie dem’arrêter et de pleurer, du seul fait d’être femme. En effet iln’est pas nécessaire d’avoir l’expérience d’une prostituée pourvivre les émotions et les confusions qui s’y trouvent exposées.

Cependant, permettez-moi d’ajouter certaines choses sur lesfemmes que vous ne savez peut-être pas. Nous avons toutes un peu deMaria (le personnage du roman), et nous nous promettons toujours dene plus jamais aimer, pour n’être pas blessées et ne pas blesser.Nous finissons toujours par rompre cette promesse, et toujours nousle regrettons.

Nous ne sommes ni totalement bonnes, ni totalementmauvaises.

Le plaisir sexuel n’est pas exactement notre préoccupationmajeure, c’est pourquoi pendant des générations il a été possiblede cacher le fait que nous atteignons rarement l’orgasme de lamanière que l’homme imagine. Sait-il ce qui nous donne plus deplaisir que le sexe ? La nourriture. Quand nous aimons unhomme, la première chose que nous voulons savoir, c’est s’il a déjàmangé, s’il est bien nourri, et s’il a apprécié ce que nous luiavons préparé. Même si je m’attire la haine des féministes,j’affirme qu’il est divin de voir notre homme manger ! Et vousn’en dites rien dans votre livre.

Le plus grand problème de la femme latine est qu’elle finit parêtre la mère de son homme. Amour maternel, qui pardonne toutes sesfaiblesses (parce que nous savons qu’il est faible, même si nousrépétons toute la journée qu’il est fort), qui nous pousse à croirequ’il reviendra toujours à la maison, et reconnaîtra qu’il n’y arien de mieux dans sa vie que d’être à côté de la personne qui lesoigne et le câline. Mais l’homme, bien qu’il désire être aimécomme un enfant, se comporte toujours comme un sauvage : il selaisse emporter par ses impulsions, par ses passions du moment, etmême s’il ne nous abandonne pas physiquement, son âme va et vienttrès souvent.

La femme ne perd jamais l’espoir de retrouver le passé, de serappeler chaque moment qu’elle a vécu. Et elle est effrayée quandelle constate que le passé n’est plus, que c’est maintenant untemps différent, qui court et passe très vite. Je ne parle passeulement de l’horloge biologique, mais du fait de ne plus sesentir désirée, de marcher dans les rues et de remarquer quepersonne ne tourne la tête. Alors lui vient cette peur de ne plusjamais être caressée comme quand elle était jeune, de ne plusjamais voir dans les yeux d’un homme une pensée érotique ou -j’oserais le dire – pornographique.

La femme est romantique, mais elle laisse toujours l’hommemassacrer ses sentiments – et à cause de cela, elle peut setransformer en une implacable destructrice parce qu’elle n’a plusrien à perdre.

L’autre jour je discutais avec des amies et nous nous disions àquel point nous étions capables d’être « perverses etdestructrices». Mais l’une d’elles a observé :

« Non, ce n’est pas cela, c’est bien pire ! Quand les hommessont blessés, ils prennent les armes pour se venger et venir à boutde leur adversaire. Mais nous, quand nous sommes blessées par celuique nous aimons, la seule chose qui nous passe par la tête consisteà préparer toutes sortes de stratégies pour faire revenir notrebourreau, en implorant son pardon. Voilà notre vengeance : faire ensorte qu’il souffre de notre absence et revienne.»

Je sais que dans votre nouveau livre vous cherchez à vousexprimer au nom d’une femme, et je pense que vous y êtes parvenudans plusieurs passages. Mais il s’agit d’une vision idéale du sexeféminin, et non de la réalité. Le personnage ressemble davantage àce que nous aimerions être qu’à ce que nous sommes réellement.

Mais, de toute manière, il est très important de voir un hommeessayer de penser comme une femme. Peut-être n’y arrivera-t-iljamais, mais cela n’a pas d’importance, cette voie est trèsintéressante, et cela peut encourager d’autres hommes à en faireautant.

Votre fidèle lectrice, mère d’un fils de 14 ans, que beaucoupaccusent de penser comme un homme.

M.E.

Chapitre 10Comment on détruit son prochain

Malba Tahan illustre ainsi les dangers de la parole : une femmeaccusa tant son voisin d’être un voleur qu’à la fin le garçon futarrêté. Quelques jours plus tard, on découvrit qu’il étaitinnocent ; libéré, le garçon fit juger la femme.

« Les critiques malicieuses ne sont pas si graves», dit-elle aujuge.

« D’accord», répondit le magistrat. « Aujourd’hui, quand vousrentrerez chez vous, écrivez tout le mal que vous avez dit de cegarçon ; ensuite coupez le papier en petits morceaux etjetez-les sur la route. Demain vous reviendrez écouter lasentence.»

La femme obéit et revint le lendemain.

« Vous êtes pardonnée si vous me remettez les morceaux de papierque vous avez répandus hier. Sinon, vous serez condamnée à un an deprison « , déclara le magistrat.

« Mais c’est impossible ! Le vent a déjà toutdispersé !

– De la même façon, une simple médisance peut être dispersée parle vent, détruire l’honneur d’un homme, et ensuite, il estimpossible de réparer le mal qui est fait.»

Et il fit incarcérer la femme.

Chapitre 11Les temps difficiles

Un homme vendait des oranges au bord d’une route. Il étaitanalphabète, donc il ne lisait jamais les journaux. Il plaçait surle chemin quelques affiches, et il passait la journée à vanter lasaveur de sa marchandise.

Tout le monde venait acheter, et l’homme prospéra. Avec sonargent, il plaça de nouvelles affiches et vendit davantage defruits. L’affaire progressait rapidement quand son fils – qui étaitcultivé et avait fait des études dans une grande ville – vint levoir :

« Papa, ne sais-tu pas que le monde traverse des momentsdifficiles ? L’économie du pays va très mal !»

Inquiet, l’homme réduisit le nombre de ses affiches et se mit àrevendre une marchandise de qualité plus médiocre parce qu’elleétait moins chère. Les ventes chutèrent immédiatement.

« Mon fils a raison « , pensa-t-il. « Les temps sont trèsdifficiles.»

Chapitre 12Restons ouverts à l’amour

Il y a des moments où nous aimerions beaucoup aider ceux quenous aimons beaucoup, mais où nous ne pouvons rien faire. Ou bienles circonstances ne permettent pas de l’approcher, ou bien lapersonne est fermée à tout geste de solidarité et de soutien.

Alors, seul nous reste l’amour. Dans les moments où tout serévèle inutile, nous pouvons encore aimer, sans attendre derécompense, de changements, de remerciements.

Si nous parvenons à agir de cette manière, l’énergie de l’amourcommence à transformer l’univers autour de nous. Quand cetteénergie apparaît, elle parvient toujours à opérer.

« Le temps ne transforme pas l’homme. Le pouvoir de la volonté netransforme pas l’homme. L’amour le transforme», dit HenryDrummond.

J’ai lu dans le journal qu’à Brasilia une enfant avait étébrutalement frappée par ses parents. Résultat, son corps ne pouvaitplus se mouvoir et elle restait muette.

Internée à l’hôpital de Base, elle fut soignée par uneinfirmière qui lui disait tous les jours : « Je t’aime. « Bien queles médecins assurassent qu’elle ne pouvait pas entendre et que sesefforts étaient inutiles, l’infirmière continuait à répéter : « Jet’aime, n’oublie pas.»

Au bout de trois semaines, l’enfant avait retrouvé sesmouvements. Quatre semaines plus tard, elle se remettait à parleret à sourire. L’infirmière ne donna jamais d’interviews, et lejournal ne publiait pas son nom – mais il est enregistré ici pourque nous n’oubliions jamais : l’amour guérit.

L’amour transforme, l’amour guérit. Mais parfois l’amourfabrique des pièges mortels, et finit par détruire la personne quia décidé de s’y abandonner totalement. Quel sentiment complexe estcelui-là, qui est au fond notre seule raison de rester en vie, delutter, de chercher à nous améliorer ?

Je serais irresponsable si je tentais de le définir, car, commetous les êtres humains, je ne parviens qu’à le ressentir. On aécrit des milliers de livres, monté des pièces de théâtre, produitdes films, créé des poèmes, taillé des sculptures dans le bois oudans le marbre, et pourtant, tout ce que l’artiste peuttransmettre, c’est l’idée d’un sentiment, et pas le sentiment ensoi.

Mais j’ai appris que ce sentiment était présent dans les petiteschoses et se manifestait dans la plus insignifiante des attitudesque nous prenions, il faut donc toujours avoir l’amour à l’esprit,quand nous agissons ou quand nous n’agissons pas.

Prendre son téléphone et dire le mot de tendresse que nous avonsreporté. Ouvrir la porte et laisser entrer celui qui a besoin denotre aide. Accepter un emploi. Quitter un emploi. Prendre ladécision que nous avons remise à plus tard. Demander pardon pourune erreur que nous avons commise et qui ne nous laisse pas enpaix. Exiger un droit que nous avons. Ouvrir un compte chez lefleuriste, qui est plus important que le bijoutier. Mettre lamusique bien fort quand la personne aimée est loin, baisser levolume quand elle est près de nous. Savoir dire « oui « et « non »parce que l’amour concerne toutes les énergies de l’homme.Découvrir un sport que l’on peut pratiquer à deux. Ne suivre aucunerecette, même celles qui sont dans ce paragraphe – car l’amour abesoin de créativité.

Et quand rien de tout cela n’est possible, quand il ne reste quela solitude, alors se rappeler une histoire qu’un lecteur m’aenvoyée un jour :

Une rose rêvait jour et nuit de la compagnie des abeilles, maisaucune ne venait se poser sur ses pétales.

La fleur, cependant, continuait à rêver. Durant ses longuesnuits, elle imaginait un ciel où volaient de nombreuses abeilles,qui venaient tendrement l’embrasser. Ainsi, elle parvenait àrésister jusqu’au jour suivant, où elle s’ouvrait de nouveau à lalumière du soleil.

Un soir, connaissant la solitude de la rose, la lune demanda:

« N’es-tu pas lassée d’attendre ?

– Peut-être. Mais je dois continuer à lutter.

– Pourquoi ?

– Parce que si je ne m’ouvre pas, je me fane.»

Dans les moments où la solitude semble écraser toute la beauté,nous n’avons d’autre moyen de résister que de rester ouverts.

Chapitre 13Les deux gamins

Une vieille histoire arabe raconte que deux gamins – un riche etun pauvre – revenaient du marché. Le riche rapportait des gâteauxdégoulinant de miel, et le pauvre un morceau de pain rassis.

« Je te laisse manger mon gâteau, si tu fais le chien pour moi « ,dit le riche.

L’enfant pauvre accepta et, à quatre pattes sur la chaussée,commença à manger les friandises de l’enfant riche.

Le sage Fath, qui assistait à la scène, commenta :

« Si cet enfant pauvre avait un peu de dignité, il finirait pardécouvrir un moyen de gagner de l’argent. Mais il préfère devenirle chien de l’enfant riche pour manger son gâteau. Demain, quand ilsera grand, il fera la même chose pour une charge publique, et ilsera capable de trahir ses parents pour une bourse d’or.»

Chapitre 14éviter d’aider le démon

« Très souvent nous sommes les instruments du Mal, quand noustentons de pratiquer le Bien « , dit Al-Fahid à son ami. « Jem’efforce d’être toujours en alerte, mais aujourd’hui j’ai étéutilisé par le démon.

– Comment ? N’as-tu pas la réputation d’être unsage ?

– Ce matin je suis allé faire les prières à la mosquée.Respectant la tradition, j’ai retiré mes chaussures avantd’entrer ; à la sortie, j’ai constaté qu’elles avaient étévolées : finalement j’ai fait naître un voleur.

– Mais ce n’est pas ta faute « , dit l’ami.

« C’est ma faute. Il est facile de réveiller le mauvais côté denotre prochain. Il est facile d’irriter quelqu’un, de semer ladiscorde, de soulever des doutes, de séparer des frères. Le démon abesoin de l’homme pour réaliser ses actions, c’est pourquoi je suisresponsable.  »

Chapitre 15Les nouveaux entrepreneurs

Pamela Hartigan, directrice de la fondation Schwab, a développéune liste de dix points communs aux personnes qui, insatisfaites dumonde qui les entoure, ont décidé de créer leur propre travail. Jepense que la liste de Pamela va au-delà de l’entreprise sociale(ainsi que l’on appelle ce nouveau mécanisme), et peut êtreappliquée à beaucoup de choses que nous faisons dans notre viequotidienne.

Impatience. Celui qui veut réaliser son rêve ne reste pas àattendre que les choses se produisent : il voit dans les problèmesd’hier les opportunités d’aujourd’hui. Son impatience l’oblige àchanger de direction fréquemment, mais c’est cette adaptation quile fait mûrir.

Conscience. Celui qui veut réaliser son rêve sait qu’il n’estpas seul dans ce monde, et que chacun de ses gestes a uneconséquence. Le travail qu’il fait peut transformer le milieu quil’entoure. Comprenant ce pouvoir, il devient un élément actif de lasociété, et cela le met en paix avec la vie.

Innovation. Celui qui veut réaliser son rêve croit que tout peutchanger, mais qu’il faut chercher un chemin qui n’a pas encore étéparcouru. Bien qu’il soit toujours entravé par la vieillebureaucratie, les critiques malicieuses des autres et lesdifficultés à pénétrer dans une jungle qui n’a pas encore étédéfrichée, il découvre d’autres moyens de se faire entendre.

Pragmatisme. Celui qui veut réaliser son rêve n’attend pas lesressources idéales pour entreprendre son travail, il retrousse lesmanches et se met à l’ouvrage. Chaque progrès, aussi maigresoit-il, accroît son assurance et la confiance de son entourage, etles ressources finissent par se présenter.

Apprentissage. Celui qui veut réaliser son rêve est généralementquelqu’un qui s’intéresse beaucoup à un domaine déterminé, et quigrâce à son sens aigu de l’observation trouve de nouvellessolutions pour de vieux problèmes. Mais cet apprentissage ne peutêtre obtenu que par la pratique et le renouvellement constant.

Séduction. Personne ne peut survivre isolé dans un mondecompétitif : conscient de cette situation, celui qui veut réaliserson rêve parvient à faire en sorte que d’autres s’intéressent à sesidées. Et ces personnes sont intéressées parce qu’elles saventqu’elles ont devant elle un projet créatif, engagé dans la société,et qui – en outre – peut être économiquement lucratif.

Flexibilité. Celui qui veut réaliser son rêve a une idée en têteet un plan pour la transformer en réalité. Mais à mesure qu’ilavance, il se rend compte qu’il doit s’adapter aux réalités dumonde qui l’entoure, et qu’à partir de là sa responsabilité socialedevient un facteur important dans la transformation du milieu. Unexemple : pour réduire la mortalité infantile dans une villedéterminée, il ne suffit pas de s’occuper de la santé des enfants,il faut modifier la structure sanitaire, le système d’alimentation,etc.

Obstination. Celui qui veut réaliser son rêve peut être souplesur sa route, mais il est en même temps concentré sur son objectif.Parce que ses idées sont innovantes, et parce qu’il se déplacetoujours en terrain inconnu, il ne dit jamais : « j’ai essayé, maiscela n’a donné aucun résultat « . Au contraire, il cherche toujourstoutes les options possibles, c’est pourquoi les résultatsfinissent par apparaître.

Plaisir. Celui qui veut réaliser son rêve connaît des momentsdifficiles, mais il est content de ce qu’il fait. Ses erreurs etconfusions éventuelles n’ont rien à voir avec l’incapacité, et ilpeut sourire quand il fait un faux pas – parce qu’il sait qu’ilpourra corriger son mouvement plus tard.

Contagion. Celui qui veut réaliser son rêve a la capacité uniquede faire comprendre à ceux qui l’entourent qu’il vaut la peine desuivre son exemple et de faire la même chose. C’est pourquoi il nese sentira jamais seul, même si de temps à autre il se sentincompris.

Pamela Hartigan termine son étude en citant l’exemple d’unBrésilien, Fabio Rosa, qui a développé un système d’utilisation del’énergie solaire, après avoir constaté que sa communauté dépensaitune part importante de ses bénéfices dans l’achat de combustiblenon renouvelable. Le travail de Fabio, qui contient les dix pointsde cette étude, est aujourd’hui connu dans le monde entier, il a »communiqué la contagion « à de grandes entreprises et dans peu detemps il pourra profiter à des millions de gens, outre qu’ilcontribuera à la préservation du milieu naturel.

Chapitre 16Devant Dieu

Un vieil homme vendait des jouets au marché de Bagdad. Sesclients, sachant qu’il avait la vue basse, payaient de temps entemps avec de la fausse monnaie.

Le vieux devinait la ruse, mais ne disait rien. Dans sesprières, il demandait à Dieu de pardonner à ceux qui le trompaient. »Peut-être ont-ils peu d’argent et veulent-ils acheter des cadeauxpour leurs enfants « , se disait-il.

Le temps passa, et l’homme mourut. Devant la porte du Paradis,il pria encore une fois :

« Seigneur, je suis un pécheur. J’ai commis beaucoup d’erreurs,je ne vaux pas mieux que les fausses monnaies que j’ai reçues.Pardonnez-moi!»

A ce moment, la porte s’ouvrit, et une Voix dit :

« Pardonner quoi ? Comment puis-je juger quelqu’un qui, detoute sa vie, n’a jamais jugé les autres ?»

Chapitre 17Histoires de la Mère Nature

Le lion et les chats

Un lion rencontra une bande de chats en train de discuter. « Jevais les dévorer « , pensa-t-il.

Mais il commença à se sentir étrangement calme, et il décida des’asseoir avec eux pour prêter attention à leurs propos.

« Mon Dieu», dit l’un des chats, qui n’avait pas remarqué laprésence du lion. Nous avons prié tout l’après-midi ! Nousavons prié pour que des souris tombent du ciel !

– Et, jusqu’à présent, rien ne s’est produit ! « , ajouta unautre. « Serait-ce que Vous n’existez pas, Seigneur?»

Le ciel demeura muet. Et les chats perdirent la foi.

Le lion se leva et poursuivit sa route, pensant: « Voyez commentsont les choses. J’allais tuer ces animaux, mais Dieu m’en aempêché. Et pourtant, ils ont cessé de croire à la grâcedivine ; ils étaient tellement préoccupés par ce qui leurmanquait qu’ils n’ont pas saisi la protection qu’ilsrecevaient.»

En silence

L’arbre était tellement plein de pommes que ses branches nepouvaient plus se balancer avec le vent.

« Pourquoi ne fais-tu aucun bruit? Finalement, nous avons tousnotre vanité, et nous avons tous besoin d’appeler l’attention desautres « , commenta le bambou.

« Pas moi. Mes fruits sont ma meilleure publicité « , réponditl’arbre.

La marguerite et l’égoïsme

« Je suis une marguerite dans un champ de marguerites « , pensaitla fleur. « Au milieu des autres, il est impossible de remarquer mabeauté.»

Un ange entendit sa pensée et commenta : « Mais tu es trèsbelle !»

-Je veux être unique !

Pour ne plus entendre de plaintes, l’ange la transporta jusqu’àla place d’une ville.

Quelques jours plus tard, le préfet s’y rendit avec unjardinier, pour réformer l’endroit.

« Ici, il n’y a rien d’intéressant. Retournez la terre et plantezdes géraniums.

– Une minute», s’écria la marguerite. « Si vous faites cela, vousallez me tuer !

– S’il y en avait d’autres comme toi, nous pourrions faire unebelle décoration», répondit le préfet. « Mais il est impossible detrouver des marguerites dans les alentours, et toi, toute seule,cela ne fait pas un jardin.»

Aussitôt il arracha la fleur.

L’oubli de la magie

La mouette volait au-dessus d’une plage quand elle vit un chat,dont elle tomba immédiatement amoureuse. Elle descendit des cieuxet lui demanda :

« Où sont tes ailes ?»

Chaque bête ne parle qu’une langue, et le chat ne comprit pas cequ’elle disait, mais il nota que l’animal qui était devant lui avecdeux choses étranges qui sortaient de son corps.

« Elle doit souffrir de quelque maladie « , pensa le chat.

La mouette sentit que son nouveau chéri la regardait fixement:

« Pauvre petit ! Il a été attaqué par des monstres, quil’ont rendu sourd et lui ont volé ses ailes.»

Apitoyée, elle le prit dans son bec et l’emmena faire un tourdans les airs. « Au moins nous sommes ensemble quelque temps»,pensait-elle, tandis qu’ils volaient. Et le chat se prit de passionpour cette créature magique, qui lui permettait d’aller au-delà deses rêves.

Mais comme il ne parvint pas, malgré ses efforts, à luidémontrer son amour, elle le laissa à terre et se mit en quête dequelqu’un qui la comprendrait mieux.

Le chat devint pour quelques mois une créature profondémentmalheureuse : il avait connu les hauteurs, découvert un monde vasteet beau, rencontré une compagne. Mais le temps passant, ils’habitua de nouveau à ce qu’il était, conclut qu’il n’était pas népour aller aussi loin dans ses rêves et ne désira plus jamais qu’unbonheur lui arrivât dans la vie, car cela le faisait beaucoupsouffrir.

Les porcs-épics et la solidarité

Le lecteur Alvaro Conegundes raconte que, durant la périodeglaciaire, beaucoup d’animaux mouraient à cause du froid. Lesporcs-épics, comprenant la situation, décidèrent de seregrouper ; ainsi, ils se réchauffaient et se protégeaientmutuellement.

Mais leurs épines blessaient leurs plus proches compagnons et,pour cette raison, ils s’éloignèrent de nouveau les uns desautres.

Ils se remirent à mourir gelés. Et ils durent faire un choix :ou bien ils disparaissaient de la face de la Terre, ou bien ilsacceptaient les épines de leur semblable.

Avec sagesse, ils décidèrent de rester de nouveau ensemble. Ilsapprirent à vivre avec les petites blessures qu’une relation trèsproche pouvait causer, car le plus important était la chaleur del’autre.

Et finalement ils survécurent.

Chapitre 18Sur la route de Damas

L’homme marchait sur la route de Damas. Il se rappelait sonamour perdu, et son âme était en pleurs. « Pauvre de l’être humainqui connaît l’amour « , pensait-il.  » Jamais je ne serai heureux,car j’aurai toujours peur de perdre celle que j’aime.»

A ce moment, il entendit un rossignol chanter.

« Pourquoi agis-tu ainsi ?» demanda l’homme au rossignol. »Ne vois-tu pas que ma bien-aimée, qui aimait tant ton chant, n’estplus ici à mes côtés?

– Je chante parce que je suis content « , répliqua lerossignol.

« N’as-tu jamais perdu quelqu’un ? « insista l’homme.

« Très souvent « , répondit le rossignol. « Mais mon amour estresté le même.»

Et l’homme sur son chemin reprit espoir.

Chapitre 19Réflexions du guerrier de la lumière

Les défauts et les qualités

Un guerrier de la lumière connaît ses défauts, mais il connaîtégalement ses qualités.

Certains de ses compagnons ne cessent de se plaindre : « Lesautres ont plus de chance que nous.»

Ils ont peut-être raison, mais un guerrier de la lumière, loinde se laisser paralyser par un tel constat, cherche à valoriser aumaximum ses qualités.

Il sait que le pouvoir de la gazelle réside dans la légèreté desa course, celui de la mouette dans la précision avec laquelle ellevise le poisson. Il a appris que le tigre ne craint pas l’hyèneparce qu’il a conscience de sa propre force.

Un guerrier s’efforce de savoir sur quoi il peut compter. Ilvérifie toujours son équipement, qui se compose de trois éléments :la foi, l’espoir et l’amour.

Si les trois sont présents, il n’hésite pas à aller plusloin.

Croire sans crainte

Le guerrier de la lumière croit. Comme les enfants croient.

Parce qu’il croit aux miracles, les miracles commencent à seproduire. Parce qu’il a la certitude que sa pensée peut changer savie, sa vie se met à changer. Parce qu’il est sûr qu’il varencontrer l’amour, cet amour se présente.

Il lui arrive d’être déçu. Parfois, il est meurtri.

Alors il entend les critiques : « Quel ingénu !»

Mais le guerrier sait que c’est le prix à payer. Pour chaquedéfaite, il a deux conquêtes à son actif.

Tous ceux qui croient le savent bien.

Dans les moments difficiles et Dans lesmoments heureux

Un guerrier ne partage pas sa tente avec quelqu’un qui veut luifaire du mal. On ne le voit pas non plus en compagnie de ceux quine désirent que « consoler « . Il évite celui qui n’est à ses côtésqu’en cas de défaite. Ces faux amis veulent prouver que lafragilité est payante. Ils rapportent toujours de mauvaisesnouvelles. Ils tentent toujours de détruire la confiance duguerrier – sous le couvert de la « solidarité « .

Lorsqu’ils le voient blessé, ils fondent en larmes, mais, aufond de leur cœur, ils se réjouissent que le guerrier ait perdu unebataille, ne comprenant pas que cela fait partie du combat.

Les vrais compagnons d’un guerrier sont à ses côtés tout letemps, dans les moments difficiles et dans les moments defacilité.

L’ennemi caché

Ses amis demandent au guerrier de la lumière d’où lui vient sonénergie. « De l’ennemi caché», dit-il.

Les amis demandent qui est cet ennemi.

Le guerrier répond : « Quelqu’un que nous ne pouvons pasfrapper.»

Ce peut être un gamin qui l’a battu au cours d’une bagarred’enfants, la petite amie qui l’a quitté quand il avait onze ans,le professeur qui le traitait d’idiot.

L’ennemi caché devient un stimulant. Quand il est abattu, leguerrier se rappelle qu’il ne sait pas jusqu’où peut aller soncourage.

Il ne pense pas à la vengeance, parce que l’ennemi caché ne faitplus partie de son histoire. Il pense seulement à accroître sonadresse, pour que ses exploits fassent le tour du monde etparviennent aux oreilles de celui qui l’a meurtri autrefois.

La douleur d’hier fait sa force d’aujourd’hui.

Du bréviaire de la chevaleriemédiévale

Voici ce que dit le bréviaire de la chevalerie médiévale :

« L’énergie spirituelle du chemin utilise la justice et lapatience pour préparer ton esprit.

« Tel est le chemin du chevalier. Un chemin à la fois aisé etdifficile, parce qu’il oblige à laisser de côté les choses inutileset les amitiés imparfaites. C’est pourquoi, au début, on hésitetellement à le suivre.

« Voici le premier enseignement de la chevalerie : tu effacerasce que tu as écrit jusqu’à présent dans le cahier de ta vie :inquiétude, manque d’assurance, mensonge. A la place, tu écriras lemot courage. En commençant le voyage avec ce mot et en lepoursuivant avec la foi en Dieu, tu arriveras là où tu doisarriver. »

L’art du réveil

Le guerrier de la lumière se réveille à présent de son rêve.

Il pense : « Je ne sais pas affronter cette lumière qui me faitgrandir.»

La lumière, cependant, ne disparaît pas.

Le guerrier se dit : « Des changements que je n’ai pas la volontéde réaliser vont être nécessaires.»

La lumière est toujours là, parce que la volonté est un motplein de ruse.

Alors les yeux et le cœur du guerrier commencent à s’accoutumerà la lumière.

Déjà elle ne fait plus peur ; il se met à accepter saLégende, même si cela signifie courir des risques.

Le guerrier a dormi très longtemps. Il est naturel qu’il seréveille petit à petit.

Chapitre 20De la solitude totale

Les journalistes ont terminé les interviews, les éditeurs ontpris le train pour rentrer à Zurich, les amis avec lesquels j’aidîné sont rentrés chez eux ; je sors me promener dans Genève.La nuit est particulièrement agréable, les rues sont désertes, lesbars et les restaurants grouillent de vie, tout semble absolumentcalme, en ordre, plaisant, et soudain…

Et soudain je me rends compte que je suis absolument seul.

Il est évident que cette année, il m’est déjà souvent arrivéd’être seul. Il est évident que quelque part, à deux heuresd’avion, ma femme m’attend. Il est évident qu’après une journéeagitée comme celle-là, il n’est rien de plus agréable que demarcher dans les ruelles étroites de la vieille ville, sans qu’ilsoit nécessaire de parler à quelqu’un, et de contempler la beautéqui m’entoure. Seulement cette nuit, pour une raison que j’ignore,ce sentiment de solitude est absolument oppressant, angoissant – jen’ai personne avec qui partager la ville, la promenade et lescommentaires que j’aimerais faire.

Bien sûr, j’ai un téléphone mobile dans ma poche et pas mald’amis ici, mais je trouve qu’il est très tard pour appeler qui quece soit. J’envisage la possibilité d’entrer dans un bar, decommander à boire – à coup sûr, quelqu’un va me reconnaître etm’inviter à m’asseoir à sa table. Mais je pense également qu’il estimportant d’aller jusqu’au fond de ce vide, de cette sensation quepersonne ne se soucie de notre existence. Alors je continue demarcher.

J’avise une fontaine et je me souviens de m’être trouvé là l’anpassé avec une peintre russe qui venait d’illustrer un texte quej’avais écrit pour Amnesty International ; ce jour-là, nousavions simplement échangé quelques mots, écouté les gouttes d’eauet la musique d’un violon au loin. L’artiste russe et moi étionspareillement plongés dans nos pensées, mais l’un et l’autre savionsque malgré la distance, nous n’étions pas seuls.

Je marche encore un peu, en direction de la cathédrale. Jeregarde de l’autre côté de la rue, une fenêtre est à demi ouverteet, à l’intérieur de la maison, j’aperçois une famille en pleineconversation ; la sensation de solitude n’en devient que pluspesante ; la promenade nocturne est désormais un voyage àl’intérieur de la nuit, un désir de comprendre en quoi consiste cesentiment d’absolue solitude.

Je me mets à imaginer les millions de personnes qui en ce momentse sentent inutiles, misérables – aussi riches, charmantes,séduisantes soient-elles – parce que cette nuit elles sont seules,qu’elles l’étaient également hier et que peut-être elles le serontencore demain. Des étudiants qui n’ont trouvé personne pour sortirce soir, des personnes âgées devant la télévision comme si c’étaitl’ultime salut, des hommes d’affaires dans leur chambre d’hôtel sedemandant si ce qu’ils font a un sens, puisqu’ils ne ressententpour l’heure que le désespoir d’être seul.

Je me rappelle une réflexion au cours du dîner. Quelqu’un quivenait de divorcer disait : « Maintenant je dispose de toute laliberté dont j’ai toujours rêvé.  » C’est un mensonge. Personne nesouhaite ce genre de liberté, nous voulons tous un engagement,quelqu’un à nos côtés pour voir les beautés de Genève, discuter denotre vision de la vie ou même partager un sandwich. Mieux vaut enmanger la moitié que le manger entier et n’avoir personne avec quipartager, ne serait-ce qu’un peu de nourriture. Plutôt avoir faimque rester seul. Etre seul – et je parle de la solitude que nous nechoisissons pas, mais que nous sommes obligés d’accepter -, c’estcomme ne plus faire partie de l’espèce humaine.

Je me dirige vers le bel hôtel de l’autre côté du fleuve, avecsa chambre très confortable, son personnel attentionné, son servicede toute première qualité. Bientôt je vais dormir et demain cetteétrange sensation qui – je ne sais pourquoi – s’est emparée de moiaujourd’hui ne sera plus qu’un vieux souvenir étrange, car jen’aurai aucune raison de dire : « Je suis seul.»

Sur le chemin du retour, je croise d’autres personnessolitaires ; elles ont deux sortes de regard : arrogant (parcequ’elles veulent feindre d’avoir choisi la solitude en cette bellenuit) ou triste (parce qu’elles comprennent qu’il n’est rien depire dans la vie). Je songe à leur parler mais je sais qu’elles onthonte de leur propre solitude. Peut-être alors vaut-il mieux leslaisser aller au bout de leurs limites pour comprendre qu’il fautoser, oser parler avec des étrangers, oser découvrir des lieux oùl’on rencontre des gens, éviter de rentrer à la maison pourregarder la télévision ou lire un livre – car si elles font cela,elles perdront le sens de la vie, la solitude deviendra un vice etdès lors elles ne retrouveront plus le long chemin qui ramène versl’être humain.

Chapitre 21La visite de l’ange

Les Verba Seniorum – un recueil de textes sur les moines quivivaient dans le désert au début de l’ère chrétienne – racontentl’histoire d’un ermite qui parvint durant un an à ne manger qu’unefois par semaine.

Après un tel effort, il pria Dieu de lui révéler la vraiesignification d’un certain passage de la Bible.

Il n’entendit pas de réponse.

« Quelle perte de temps, se dit alors le moine. Tout ce sacrificeet Dieu ne me répond pas ! Mieux vaut partir d’ici et trouverun autre moine qui connaisse la signification de ce texte.»

à ce moment apparut un ange.

« Ces douze mois de jeûne ne t’ont servi qu’à croire que tu étaismeilleur que les autres, et Dieu n’écoute pas les vaniteux. Maisquand tu es devenu humble, tu as songé à demander de l’aide à tonprochain, et Dieu m’a envoyé.»

Et l’ange révéla au moine ce qu’il voulait savoir.

Chapitre 22Une brève histoire du Bouddha

Siddhârta – dont le nom signifie « celui dont le but est atteint »- est né dans une famille noble, aux environs de l’an 560 av.J.-C., dans la ville de Kapilavastu, au Népal.

La légende raconte qu’au moment où sa mère faisait l’amour avecson père, elle eut une vision : six éléphants, chacun portant surle dos une fleur de lotus, marchaient vers elle. L’instant suivant,Siddhârta était conçu.

Durant sa gestation, la reine Maya, sa mère, décida d’appelerles sages du royaume afin qu’ils interprètent sa vision ;unanimes, ils affirmèrent que l’enfant qui allait venir au mondeserait un grand roi ou un grand prêtre.

Siddhârta eut une enfance et une adolescence très semblables auxnôtres. Ses parents ne souhaitaient nullement qu’il prîtconnaissance de la misère du monde. Aussi vivait-il confiné entreles murs du gigantesque palais dans lequel habitaient ses parentset où tout semblait en parfaite harmonie. Il se maria, eut un filset ne connut que les plaisirs et les délices de l’existence.

Quand il eut vingt-neuf ans, il demanda un soir à un garde de leconduire jusqu’à la ville. Le garde protesta, car le roi pouvait semettre en colère, mais l’insistance de Siddhârta fut telle quel’homme finit par céder, et ils s’en allèrent tous les deux.

Le premier spectacle qu’ils virent fut celui d’un vieux mendiantau regard triste qui demandait l’aumône. Plus loin, ilsrencontrèrent un groupe de lépreux, puis un cortège funèbre passa. »Je n’avais jamais vu cela ! « , dit sans doute Siddhârta augarde qui répliqua peut-être :

« Eh bien, ce que tu vois là, c’est la vieillesse, la maladie etla mort. « En retournant au palais, ils croisèrent un religieux, latête rasée, vêtu seulement d’un manteau jaune, qui disait : « La vieme terrorisait, alors j’ai renoncé à tout ; ainsi je n’ai pasbesoin de me réincarner et de subir une autre fois la vieillesse,la maladie et la mort.»

Le lendemain soir, Siddhârta attendit que sa femme et son filssoient endormis. Il entra silencieusement dans la chambre, lesembrassa et pria de nouveau le garde de le conduire hors dupalais ; là, il lui remit son épée à la poignée couverte depierres précieuses, ses vêtements faits de l’étoffe la plus fineque pût tisser la main humaine et lui demanda de tout rendre à sonpère ; puis il se rasa la tête, couvrit son corps d’un manteaujaune et partit en quête d’une réponse à toutes les douleurs dumonde.

Des années durant, il parcourut le nord de l’Inde, rencontrantdes moines et des religieux qui cheminaient dans la région,recueillant les traditions orales qui parlaient de réincarnation,d’illusion et de rachat des péchés de vies antérieures (karma).Lorsqu’il jugea qu’il en savait assez, il se construisit un abri aubord de la rivière Nairanjana, où dès lors il passa son temps àfaire pénitence et à méditer.

Son style de vie et sa force de volonté finirent par attirerl’attention d’autres hommes qui, à la recherche de la vérité,vinrent chercher auprès de lui des conseils en matière spirituelle.Mais au bout de six longues années, la seule évidence qui apparut àSiddhârta était que son corps se faisait de plus en plus faible etque les infections constantes ne lui permettaient pas de méditercomme il l’aurait dû.

La légende raconte qu’un matin, une fois dans la rivière pourprocéder à ses ablutions, il n’eut plus la force de serelever ; alors qu’il allait mourir noyé, un arbre courba sesbranches, lui permettant de s’y accrocher et de n’être pas emportépar le courant. épuisé, il parvint jusqu’à la rive où ils’évanouit.

Quelques heures plus tard, un paysan vendant du lait passa parlà et lui offrit un peu de nourriture. Siddhârta accepta, ce quihorrifia les autres hommes qui vivaient là avec lui. Pensant que cesaint n’avait pas trouvé les forces pour résister à la tentation,ils décidèrent de le quitter. Siddhârta but volontiers le lait quilui était offert, voyant là un signe de Dieu et une bénédiction descieux.

Revigoré par la collation, il n’accorda aucune importance audépart de ses anciens disciples ; il s’assit sous un figuieret décida de poursuivre sa méditation sur la vie et la souffrance.C’est alors que pour le mettre à l’épreuve, le dieu Mara envoyatrois de ses filles qui tentèrent de le distraire par des penséesévoquant le sexe, la soif et les plaisirs de la vie. Mais Siddhârtaétait tellement absorbé dans sa méditation qu’il ne s’aperçut derien ; sous le coup d’une sorte de révélation, il seremémorait toutes ses vies antérieures. à mesure qu’il vivait cetteexpérience, lui revenaient les leçons qu’il avait oubliées (cartous les hommes apprennent le nécessaire, mais rares sont ceuxcapables d’utiliser ce qu’ils ont appris).

Dans cet état d’extase, il connut le Paradis (Nirvana), là où »il n’y a ni terre, ni eau, ni feu, ni air, qui n’est ni ce mondeni un autre monde, et où n’existent ni soleil, ni lune, ninaissance, ni mort. Là se trouve la fin de toute la souffrancehumaine.»

Au terme de cette matinée, il avait atteint au vrai sens de lavie ; il s’était transformé en Bouddha (l’Illuminé). Mais aulieu de demeurer dans cet état pour le restant de ses jours, ildécida de rejoindre le commerce des hommes et d’enseigner à tous cequ’il avait appris et expérimenté.

A présent devenu le Bouddha, celui qui auparavant s’appelaitSiddhârta laissa derrière lui l’arbre sous les branches duquel ilavait atteint l’illumination, et partit vers la ville de Sarnath oùil retrouva ses anciens compagnons. Il dessina un cercle sur le solpour représenter la roue de l’existence qui mène constamment à lanaissance et à la mort. Il expliqua qu’il n’était pas heureuxlorsqu’il était un prince tout-puissant, mais que la sagessen’impliquait pas non plus le renoncement total. Ce que l’êtrehumain devait trouver pour accéder au Paradis, c’était ce que l’onappelait la « voie du milieu « : ni rechercher la douleur, ni êtreesclave du plaisir.

Impressionnés par les propos du Bouddha, ses anciens compagnonsdécidèrent de le suivre dans sa pérégrination de ville en ville. àmesure qu’ils entendaient la bonne nouvelle, des hommes et desfemmes de plus en plus nombreux se joignaient au groupe desdisciples, et le Bouddha commença à organiser des communautés dedévots, partant du principe qu’ils pouvaient s’entraider à éveillerleur corps et leur esprit.

Au cours d’un de ces voyages, il retourna dans sa ville nataleet son père souffrit de le voir demander l’aumône. Alors, luibaisant les pieds, le Bouddha déclara : « Vous appartenez, seigneur,à une lignée de rois, mais j’appartiens à une lignée de Bouddhas etdes milliers d’entre eux vivaient aussi d’aumônes.» Le roi sesouvint de la prophétie annoncée lors de sa conception et seréconcilia avec le Bouddha. Son fils et son épouse, qui pendant desannées s’étaient plaints d’avoir été abandonnés, finirent parcomprendre sa mission et fondèrent une communauté où setransmettaient ses enseignements.

Lorsqu’il approcha les quatre-vingts ans, il mangea un alimentavarié et sut qu’il allait mourir d’intoxication. Aidé par sesdisciples, il parvint à se rendre jusqu’à Kusinhagara, où il secoucha pour la dernière fois sous un arbre.

Le Bouddha appela son cousin ânanda et lui dit :

« Je suis vieux et ma pérégrination dans cette vie touche à safin. Mon corps ressemble à un chariot qui a beaucoup servi, etparvient encore à fonctionner seulement parce que quelques-unes deses pièces sont attachées de façon précaire par des lanières decuir. Mais maintenant cela suffit, il est temps de partir.»

Il se tourna ensuite vers ses disciples et voulut savoir siquelqu’un avait un doute. Personne ne parla. Trois fois il posa laquestion, mais tous demeurèrent silencieux.

Le Bouddha mourut en souriant. Ses enseignements, aujourd’huicodifiés sous la forme d’une religion philosophique, sont répandusdans presque toute l’Asie. Ils consistent essentiellement en uneprofonde compréhension de soi et un grand respect de l’autre.

Chapitre 23Les deux dieux

Il y a deux dieux :

Le dieu que nos professeurs nous ont enseigné et le Dieu quinous prodigue Ses enseignements.

Le dieu dont les gens ont coutume de parler et le Dieu qui parleavec nous.

Le dieu que nous avons appris à redouter et le Dieu qui nousparle de miséricorde.

Le dieu qui est au plus haut des cieux et le Dieu qui participeà notre vie quotidienne.

Le dieu qui nous fait payer et le Dieu qui efface nosdettes.

Le dieu qui nous menace des châtiments de l’enfer et le Dieu quinous montre le meilleur chemin.

Il y a deux dieux :

Un dieu qui nous rejette à cause de nos fautes et un Dieu quinous appelle de Son amour.

Chapitre 24Qui désire aller au ciel ?

Un prêtre – qui voyait le diable dans les plaisirs de la vie -se rendit au bar de la ville et demanda à tous de se présenter àl’église l’après-midi même. Tous obéirent. Quand l’église futremplie, le prêtre vociféra :

« Cessez donc de boire ainsi ! Que celui qui veut aller auciel lève la main droite !»

Tous les occupants de l’église levèrent le bras, sauf Manoel,pourtant considéré comme un homme convenable accomplissant sesdevoirs.

Surpris, le prêtre demanda :

« Et toi, Manoel, tu ne veux pas aller au ciel quand tumourras?

– Pour sûr, je le veux. Mais je n’ai pas encore vécu la vie queDieu m’a donnée et vous voudriez que je m’en aillemaintenant ?»

Chapitre 25Le combustible

« Maître, qu’est-ce que la foi ?»

Le maître proposa à son disciple d’allumer un feu. Ilss’assirent tous deux devant et restèrent à contempler lesflammes.

« Voilà la foi, dit le maître. C’est le bois de ce feu. Lecombustible qui alimente la flamme de Dieu dans notre cœur.

– Mais le bois a besoin d’une étincelle pour se transformer enlumière.

– Il existe différentes étincelles. La plus courante s’appelleVolonté. Il suffit de vouloir avoir la foi et elle apparaît surnotre chemin.

– Même quand nous passons une vie entière à ne croire enrien?

– Nous croyons toujours, même si nous ne le reconnaissons ou nel’acceptons pas, c’est pourquoi il est si facile de faire naîtrel’étincelle. En outre, plus nous vivons, plus nous sommes proche deDieu : le vieux bois brûle toujours plus facilement.»

Chapitre 26De nos possibilités

Je note dans mon ordinateur ces quelques mots de K. Casey, quej’ai lus dans un magazine dans l’avion.

« Comme l’espèce humaine est curieuse – tellement semblable ettellement différente! Nous sommes capables de travailler ensemble,nous avons construit les pyramides d’Egypte, la Grande Muraille deChine, les cathédrales d’Europe et les temples du Pérou. Nouspouvons composer des musiques inoubliables, travailler dans leshôpitaux, créer de nouveaux programmes informatiques.

Mais à un certain moment, tout cela perd sa signification etnous nous sentons seuls, comme si nous participions d’un autremonde, différent de celui que nous avons contribué àconstruire.

Parfois, quand d’autres ont besoin de notre aide, nous sommesennuyés parce que cela nous empêche de profiter de la vie. D’autresfois, quand personne n’a besoin de nous, nous souffrons de noussentir inutiles. Mais nous sommes ainsi, des êtres humainscomplexes qui commençons maintenant à nous comprendre. Cela ne vautpas la peine de désespérer pour cela.

Chapitre 27à la recherche de l’arbre de l’immortalité

Le célèbre poète persan Rûmî raconte qu’un jour, dans un villagedu nord de l’Iran actuel, se présenta un homme qui racontait deshistoires merveilleuses au sujet d’un arbre dont les fruitsdonnaient l’immortalité à ceux qui les mangeaient.

La nouvelle parvint bientôt aux oreilles du roi, mais avantqu’il ait pu s’informer de la localisation exacte d’un tel prodige,le voyageur était déjà parti.

Souhaitant vivre un grand nombre d’années pour ériger sonroyaume en exemple pour tous les peuples du monde, le roi rêvait àl’immortalité. Encore jeune, il avait conçu le projet d’éradiquerla pauvreté, d’enseigner la justice et de nourrir chacun de sessujets, mais il s’était rapidement rendu compte qu’une telle tâchene saurait être achevée en une seule génération. Et puisque la vielui offrait une chance, il n’allait pas la laisser ainsis’échapper. Il appela l’homme le plus vaillant de sa cour et lechargea de trouver cet arbre.

L’homme partit dès le lendemain, muni d’assez d’argent pourrecueillir des informations, de la nourriture et tout ce qui seraitnécessaire pour atteindre son but. Il parcourut des villes, desplaines, des montagnes, interrogeant les gens et offrant desrécompenses. Les plus honnêtes répondaient qu’un tel arbren’existait pas ; les cyniques manifestaient un respectironique et quelques escrocs l’envoyaient dans des endroitséloignés, dans l’unique objectif d’obtenir quelques pièces enéchange.

Après moult déceptions, l’homme décida de renoncer à sarecherche.

Bien qu’il vouât une immense admiration à son souverain, ilallait rentrer les mains vides. Il savait qu’il allait perdre sonhonneur, mais il était las et convaincu que cet arbre n’existaitpas.

Sur le chemin du retour, alors qu’il gravissait une petitecolline, il se souvint que là vivait un sage. Il pensa : « Je n’aiplus l’espoir de trouver ce que je voulais, mais je peux au moinslui demander sa bénédiction et l’implorer de prier pour monsort.»

Arrivé devant le sage, il ne put se retenir d’éclater ensanglots.

« Pourquoi es-tu si désespéré, mon fils? demanda le sainthomme.

– Le roi m’a chargé de trouver un arbre unique au monde ;son fruit offre l’éternité à celui qui le mange. J’ai toujoursaccompli mes tâches avec courage et loyauté, mais cette fois jereviens les mains vides.»

Le sage se mit à rire.

« Ce que tu cherches existe, et c’est fait de l’eau de la Vie quiprovient de l’océan infini de Dieu. Ton erreur a été de chercherune forme avec un nom. Parfois, cela s’appelle « arbre», d’autresfois « soleil», d’autres fois « nuages» et nous pouvons lui donner lenom de n’importe quoi existant sur la face de la Terre. Mais pourtrouver ce fruit, il faut renoncer à la forme et chercher lecontenu.

Toute chose dans laquelle se manifeste la présence de laCréation est éternelle en soi, aucune ne peut être détruite. Quandnotre cœur cesse de battre, notre essence devient la natureenvironnante. Nous pouvons devenir arbres, gouttes de pluie,plantes ou même un autre être humain.

Pourquoi nous arrêter au mot « arbre» et oublier que nous sommesimmortels ? Nous renaissons toujours dans nos enfants, dansl’amour que nous manifestons envers le monde, dans tous les gestesde générosité et de charité que nous pratiquons.

Rentre et dit au roi qu’il ne doit pas se préoccuper de trouverle fruit d’un arbre magique. Chaque position, chaque décision qu’ilprendra désormais demeurera pour des générations. Mais prie-led’être juste avec son peuple, et s’il fait son travail avecdévouement, personne ne l’oubliera. Son exemple influenceral’histoire de son peuple, et incitera ses enfants et petits-enfantsà agir toujours de la meilleure manière possible.»

Et il ajouta ceci : « Celui qui cherche seulement un nomdemeurera toujours attaché à l’apparence, sans jamais découvrir lemystère caché des choses et le miracle de la vie.

Toutes les luttes auxquelles nous sommes confrontés ont pourcause des noms : propriété, jalousie, richesse, immortalité.Cependant, quand nous oublierons le nom et chercherons la réalitéqui se cache derrière les mots, nous aurons tout ce que nousdésirons – et en outre, nous aurons la paix de l’esprit.  »

Chapitre 28Des pièges de la quête

Il semblerait qu’à mesure que l’on s’intéresse davantage auxchoses de l’esprit, l’on devienne plus intolérant envers la quêtespirituelle d’autrui. Ainsi chaque jour je reçois des revues, desmessages électroniques, des lettres, des pamphlets supposés prouverque tel chemin est meilleur que tel autre, et édictant une série derègles pour atteindre « l’illumination». En raison du volumecroissant de ce genre de correspondance, j’ai décidé d’écrire unpeu sur ce que je considère dangereux dans cette quête.

Mythe 1 : l’esprit peut tout soigner. Ce n’estpas vrai ; et je préfère illustrer ce mythe par une histoire.Il y a quelques années, une de mes amies – profondément engagéedans la quête spirituelle – sentit qu’elle avait de la fièvre. Elleallait très mal et passa la nuit à tenter de se représentermentalement son corps, recourant pour cela à toutes les techniquesdont elle avait connaissance, afin de se soigner par le seulpouvoir de la pensée. Le lendemain, inquiets, ses enfants luiconseillèrent d’aller consulter un médecin, mais elle s’y refusa,affirmant qu’elle « purifiait « son esprit. Ce n’est qu’au moment oùla situation devint insupportable qu’elle consentit à se rendre àl’hôpital, où l’on dût l’opérer immédiatement – après avoirdiagnostiqué une appendicite. Donc attention : mieux vaut parfoisprier Dieu afin qu’il guide les mains d’un médecin que prétendre sesoigner seul.

Mythe 2 : la viande rouge éloigne la lumièredivine. Il est évident que si vous appartenez à unereligion déterminée, vous devez en respecter les règles ; lesjuifs et les musulmans, par exemple, ne mangent pas de viande deporc et, dans ce cas, il s’agit d’une pratique inhérente à leurfoi. Cependant, le monde est inondé par une vague de « purification »par la nourriture ; les végétariens radicaux considèrent lesgens qui mangent de la viande responsables de l’assassinat desanimaux. Mais les plantes ne sont-elles pas aussi des êtresvivants ? La nature est un cycle de vie et de mort constant etun jour, c’est nous qui irons nourrir la terre. Donc si vousn’appartenez pas à une religion prohibant un aliment déterminé,mangez ce que votre organisme réclame.

Je voudrais rappeler ici l’histoire du mage russe Gurdjieff.Quand il était jeune, il alla rendre visite à un grand maître et,pour l’impressionner, il ne mangea que des végétaux. Un soir, lemaître voulut savoir pourquoi il suivait un régime aussi rigide, etGurdjieff répondit : « Pour garder propre mon corps.» Le maître ritet lui conseilla de cesser immédiatement cette pratique ; s’ilcontinuait ainsi, il finirait comme une fleur dans la serre : trèspure mais incapable de résister aux défis des voyages et de la vie.Comme le disait Jésus : « Le mal n’est pas ce qui entre dans labouche de l’homme, mais ce qui en sort.»

Mythe 3 : Dieu est sacrifice. Beaucoup de genscherchent la voie du sacrifice et de l’auto-immolation, affirmantque nous devons souffrir dans ce monde afin de connaître le bonheurdans le prochain. Mais si ce monde est une bénédiction de Dieu,pourquoi ne pas savoir profiter au maximum des joies que donne lavie ? Nous sommes habitués à une image du Christ cloué sur lacroix, mais nous oublions que sa passion n’a duré que troisjours ; le reste du temps, il l’a passé à voyager, rencontrerles gens, manger, boire, porter son message de tolérance ; àtel point que son premier miracle fut « politiquement incorrect» -quand la boisson manqua aux noces de Cana, il transforma l’eau envin. Il fit cela, à mon avis, pour montrer à tous qu’il n’y a aucunmal à être heureux, à se réjouir, à faire la fête, car Dieu estbeaucoup plus présent quand nous sommes avec les autres. « Si noussommes malheureux, nous apportons aussi le malheur à nos amis»disait Mahomet. Le Bouddha, après une longue période d’épreuve etde renoncement, était si faible qu’il manqua se noyer ; quandil fut sauvé par un berger, il comprit que l’isolement et lesacrifice nous éloignent du miracle de la vie.

Mythe 4 : il n’y a qu’un seul chemin qui mène àDieu. Voici le plus dangereux de tous les mythes, celuiqui est à l’origine des explications du Grand Mystère, des guerresde religion, du jugement de notre prochain. Nous pouvons choisirune religion (moi, par exemple, je suis catholique), mais nousdevons comprendre que si notre frère a choisi une religiondifférente, il atteindra le même point de lumière que celui quenous cherchons à travers nos pratiques spirituelles. Finalement, ilvaut la peine de rappeler qu’il n’est possible en aucune manière defaire porter au prêtre, au rabbin, à l’imam, la responsabilité denos décisions. C’est nous qui construisons, à travers chacun de nosactes, la route qui mène au Paradis.

Chapitre 29Croire à l’impossible

William Blake dit dans l’un de ses textes : « Tout ce quiaujourd’hui est une réalité faisait auparavant partie d’un rêveimpossible.» C’est ainsi qu’aujourd’hui nous avons l’avion, lesvols spatiaux, l’ordinateur sur lequel en ce moment j’écris cettecolonne, etc. Dans le célèbre chef-d’oeuvre De l’autre côté dumiroir de Lewis Carroll, il y a un dialogue entre le personnageprincipal et la reine, qui vient de raconter quelque chosed’extraordinaire.

« Je ne peux pas croire, dit Alice.

– Tu ne peux pas ? répète la reine d’un air triste. Essaiede nouveau : respire profondément, ferme les yeux, et crois.»

Alice rit.

« ça ne sert à rien d’essayer. Seuls les idiots pensent que leschoses impossibles peuvent arriver.

– Je pense que ce qui te manque, c’est un peu de pratique,répond la reine. Quand j’avais ton âge, je m’entraînais au moinsune demi-heure par jour, juste après le petit déjeuner, je faisaismon possible pour imaginer cinq ou six choses incroyables quipourraient croiser mon chemin, et aujourd’hui je vois que laplupart des choses que j’ai imaginées sont devenues réalité, jesuis même devenue reine à cause de cela.»

La vie nous commande constamment : « Crois !» Il estnécessaire pour notre bonheur de croire qu’un miracle peut arriverà tout moment, mais aussi pour notre protection, ou pour justifiernotre existence. Dans le monde actuel, beaucoup de gens jugentimpossible d’en finir avec la misère, d’avoir une société juste, dediminuer les tensions religieuses qui semblent croître chaquejour.

La plupart des gens renoncent à se battre sous les prétextes lesplus divers : conformisme, maturité, crainte du ridicule, sensationd’impuissance. Nous voyons l’injustice faite à notre prochain etnous nous taisons. « Cela ne me regarde pas », voilàl’explication.

C’est une attitude lâche. Celui qui parcourt un chemin spirituelporte avec lui un code d’honneur qu’il doit respecter ; lavoix qui s’élève contre ce qui n’est pas correct est toujoursentendue par Dieu.

Et pourtant, il nous arrive parfois d’entendre cette réflexion:

« Je passe mon temps à croire à des rêves, très souvent jecherche à combattre l’injustice, mais je finis toujours par êtredéçu.»

Un guerrier de la lumière sait que certaines bataillesimpossibles méritent d’être menées, c’est pourquoi il n’a pas peurdes déceptions puisqu’il connaît le pouvoir de son épée et la forcede son amour. Il rejette avec véhémence ceux qui sont incapables deprendre des décisions et cherchent toujours à faire porter auxautres la responsabilité de tous les malheurs du monde.

S’il ne lutte pas contre ce qui n’est pas correct – même si celasemble au-dessus de ses forces –, il ne trouvera jamais le bonchemin.

Arash Hejasi, mon éditeur iranien, m’a envoyé un jour le texteque voici :

« Aujourd’hui, une forte pluie m’a pris au dépourvu pendant queje marchais dans la rue… Grâce à Dieu, j’avais mon parapluie et monmanteau, mais ils étaient tous les deux dans le coffre de mavoiture, garée très loin. Pendant que je courais pour aller leschercher, je pensais que j’étais en train de recevoir un étrangesigne de Dieu – nous avons toujours les ressources nécessaires pouraffronter les tempêtes que la vie nous prépare, mais la plupart dutemps ces ressources sont rangées au fond de notre cœur et leschercher nous fait perdre un temps énorme ; quand nous lestrouvons, nous avons déjà été vaincus par l’adversité.»

Soyons donc toujours préparés ; sinon nous perdrons notrechance, ou bien nous perdrons la bataille.

Chapitre 30La vieille à Copacabana

Elle était sur la large chaussée de l’avenue Atlàntica, avec uneguitare et un écriteau où était inscrit à la main : « Chantonsensemble.»

Elle se mit à jouer toute seule. Puis arrivèrent un ivrogne, uneautre vieille femme, et ils se mirent à chanter avec elle. Bientôtune petite foule chantait et une autre petite foule servait depublic, applaudissant à la fin de chaque numéro.

« Pourquoi faites-vous cela ? demandai-je entre deuxchansons.

– Pour ne pas rester seule, dit-elle. J’ai une vie trèssolitaire, comme presque tous les gens âgés.»

Dieu veuille que tout le monde résolve ses problèmes de cettemanière !

Chapitre 31L’ami à Sydney

« Parfois l’on s’habitue à ce que nous racontent les films etl’on finit par oublier l’histoire originelle, me dit un ami tandisque nous contemplons ensemble le port de Sydney. Ainsi voussouvenez-vous de la scène la plus forte du film Les DixCommandements?

-Bien sûr. A un moment, Moïse, interprété par Charlton Heston,lève son bâton, les eaux s’écartent et le peuple hébreu traverse lamer à pied.

– Dans la Bible, c’est différent, poursuit mon ami. Dieu ordonneà Moïse : « Dis aux fils d’Israël qu’ils se mettent en marche.» Cen’est qu’après qu’ils ont commencé à marcher que Moïse lève lebâton et que la mer Rouge s’écarte.»

Seul le courage sur le chemin permet que le chemin semanifeste.

Chapitre 32La conférence à Chicago

Une écrivaine chinoise et moi nous préparions à prendre laparole lors d’une rencontre de libraires américains. La Chinoise,extrêmement nerveuse, me disait :

« Parler en public est déjà difficile, alors imaginez être obligéd’expliquer son livre en s’exprimant dans une autrelangue !»

Je la priai de cesser, ou bien moi aussi j’allais devenirnerveux, car nous avions le même problème. Soudain elle seretourna, sourit, et me dit tout bas :

« Tout va bien se passer, ne vous inquiétez pas. Nous ne sommespas seuls : regardez le nom de la librairie de la femme assisederrière moi.  »

Sur le carton de la femme était écrit : Librairie des Angesréunis. Nous avons réussi l’un comme l’autre à faire une excellenteprésentation de nos travaux, parce que les anges nous avaient donnéle signe que nous attendions.

Chapitre 33Ce qu’est la vérité

Le 30 janvier 2001, j’ai lu l’information suivante dans lejournal espagnol La Vanguardia.

« Qu’est-ce que la vérité? Le président du tribunal, Josep MariaPijuan, devait déterminer quelle version du viol présentée par lavictime, la petite J., onze ans, était la plus proche de laréalité. Les avocats assistant à l’interrogatoire pensaient qu’ellene parviendrait pas à éviter les contradictions apparues dans sadéposition.

à un moment, le juge posa une question à caractère quasiphilosophique : « Qu’est-ce que la vérité ? Est-ce ce que tuimagines ou ce que l’on t’a demandé de raconter ?»

La fillette s’arrêta une minute, mais rapidement répondit :

« La vérité, c’est le mal qu’on m’a fait.»

L’avocat Jufresa, juriste prestigieux, affirma que c’était làl’une des définitions les plus brillantes qu’il ait entendues danstoute sa carrière.  »

Chapitre 347 histoires très courtes

Les deux poches (traditionhassidique)

Rabbi Bunam disait à ses disciples :

« Tout le monde doit avoir deux poches, et un billet danschacune. D’un côté, il sera écrit : « Dieu a créé le monde pour queje puisse l’admirer.» De l’autre côté, il sera écrit : « Je ne suisque cendres et poussière.»

Adieu (Richard Marius)

Pendant les atrocités qui ont accompagné la révolutionbolchevique, des milliers de gens étaient arbitrairementemprisonnés, maltraités, dépouillés et exécutés d’une balle dans lanuque. Un témoin raconte : « Au moment le plus tragique de notrevie, nous ressentions la nécessité absolue de ne pas nous sentirseuls. Cependant, la plupart des victimes voulaient dire adieu – etcomme il n’y avait personne près d’elles, elles étreignaient leursbourreaux et c’est à eux qu’elles disaient adieu.»

La raison d’être là (GregoryCorrigan)

L’homme se promena dans la rue principale de sa ville. Il vitdes mendiants, des estropiés, des misérables. Comme il ne pouvaitplus vivre avec toute cette misère, il implora les cieux : « MonDieu, comment peux-tu aimer tellement l’être humain et en mêmetemps ne rien faire pour ceux qui souffrent ?»

Il entendit une voix : « J’ai fait quelque chose pour eux. Jet’ai fait toi.»

Plus près de Dieu (anonyme)

L’un des enseignements les plus déconcertants – et délicieux -du maître consistait à répéter : « Dieu est plus proche des pécheursque des saints.»

Et il l’expliquait de la manière suivante : « Le Seigneur, dansles cieux, a un fil qui Le relie à chacun des êtres humains.Lorsque l’on commet une faute, ce fil est coupé et Dieu fait unnœud. Plus il y a de péchés, plus le fil a de nœuds, plus il estcourt et plus on se rapproche de Sa miséricorde.

Le vice (tradition hassidique)

Deux étudiants se trouvaient en grande discussion lorsque lerabbin Pinchas entra. Curieux, il voulut connaître le sujet de leurconversation.

« Rabbin, nous nous inquiétions des vices qui peuvent nouspoursuivre.

– Ne vous en faites pas pour cela, répondit Pinchas. Au cours dela jeunesse, c’est l’homme qui poursuit les vices.»

Administrer les plantes (anonyme)

Un homme très fier de son jardin constata avec tristesse qu’ilavait été envahi par des dents-de-lion. Malgré tous ses efforts, ilne parvenait pas à s’en débarrasser. Désespéré, il écrivit auDépartement de l’agriculture local.»

Que dois-je faire ?»

Très longtemps plus tard, il reçut la réponse:

« Nous vous suggérons d’apprendre à les aimer.»

Ayez pitié de mon âme (Saadi deChiraz)

Un roi qui écrasait son peuple sous les impôts, la répression etla censure, reçut la visite d’un religieux.

« Dites une prière pour moi et pour mon royaume. Priez Dieu qu’Ilait pitié de tous « , exigea le roi.

Le saint homme se mit à prier sur-le-champ : « Seigneurmiséricordieux, ôtez la vie à cet homme.»

Le roi devint furieux : « Quelle est donc cette prière defou ?

– C’est la meilleure chose qui puisse arriver. A vous car vousne commettrez plus de péchés, au peuple car il sera libéré de tantd’injustice.»

Chapitre 35L’arc, la flèche et la cible

Nous sommes tous des archers de la volonté divine. Parconséquent, il est indispensable debien connaître les instrumentsdont nous disposons.

L’arc

L’arc, c’est la vie : de lui vient toute l’énergie.

La flèche partira un jour. La cible est loin.

Mais votre vie demeurera toujours avec vous, et il faut savoiren prendre soin.

Des périodes d’inaction vous sont nécessaires – un arc toujoursbandé, en état de tension, perd sa puissance. Aussi, acceptez devous reposer pour retrouver votre fermeté : lorsque vous tendrez lacorde, votre force sera intacte.

L’arc n’a pas de conscience : il est un prolongement de la mainet du désir de l’archer. Il sert à tuer ou à méditer. Donc soyeztoujours clair dans vos intentions.

Un arc a une certaine flexibilité, mais il a aussi une limite.Un effort au-delà de sa capacité le briserait, ou laisseraitépuisée la main qui le tient. De même, n’exigez pas de votre corpsplus qu’il ne peut vous donner. Et comprenez qu’un jour lavieillesse viendra – et que c’est une bénédiction, non unemalédiction.

Pour maintenir avec élégance l’arc ouvert, faites en sorte quechaque partie ne donne que le nécessaire, et ne dispersez pas vosénergies. Ainsi, vous pourrez tirer de nombreuses flèches sans vousfatiguer.

La flèche

La flèche, c’est votre intention. C’est ce qui unit la force del’arc au centre de la cible.

L’intention de l’être humain doit être transparente, droite,équilibrée.

Une fois qu’elle est partie, elle ne reviendra pas, mieux vautalors interrompre un processus – parce que les mouvements qui vousont conduit jusqu’à lui n’étaient pas précis et corrects – qued’agir n’importe comment, pour la seule raison que l’arc était déjàbandé et que la cible attendait.

Mais ne manquez jamais de manifester votre intention si seulevous paralyse la crainte de vous tromper. Si vos mouvements sontcorrects, ouvrez votre main et libérez la corde, faites les pasnécessaires et affrontez les défis qui se présentent à vous. Mêmesi vous n’atteignez pas la cible, vous saurez corriger votre tir laprochaine fois.

Si vous ne prenez aucun risque, vous ne connaîtrez jamais lestransformations qui étaient nécessaires.

La cible

La cible, c’est l’objectif à atteindre.

C’est vous qui l’avez choisie. En cela réside la beauté duchemin : vous ne pourrez jamais vous excuser en disant quel’adversaire était plus fort, parce que c’est vous qui avez choisivotre cible, et vous en êtes responsable.

Si vous considérez la cible comme un ennemi, vous aurez beautirer dans le mille, mais vous ne parviendrez pas à améliorer quoique ce soit en vous-même. Vous passerez votre vie à essayer deplacer une flèche au centre d’un objet en papier ou en bois, ce quiest totalement vain. En présence d’autres personnes, vous necesserez de vous plaindre de ne rien faire d’intéressant.

C’est pourquoi vous devez choisir votre objectif, donner lemeilleur de vous-même pour l’atteindre, en le regardant avecrespect et dignité : il vous faut savoir ce qu’il signifie, cequ’il vous a coûté d’efforts, d’entraînement, d’intuition.

Lorsque vous regardez la cible, ne vous concentrez pasuniquement sur elle, mais sur tout ce qui se passe autour : car laflèche, quand elle sera décochée, sera confrontée à des facteursque vous ne dominez pas, comme le vent, le poids, la distance.

L’objectif n’existe que dans la mesure où un homme peut rêver del’atteindre. Ce qui justifie son existence, c’est le désir – sinon,il serait un objet mort, un rêve lointain, une chimère.

De même que l’intention cherche son objectif, de même l’objectifcherche l’intention de l’homme, car c’est elle qui donne sens à sonexistence : alors elle n’est plus seulement une idée, mais lecentre du monde pour l’archer.

Share
Tags: Paulo Coelho