LA CAGLIOSTRO SE VENGE (aventure d’Arsène Lupin)

Sur le cercueil, elle garda son bras tendu et chuchota des mots que l’on n’entendit point, des mots certes par quoi elle disait à sa sœur tout son désespoir et lui jurait de rester fidèle à son souvenir.

Elle s’en alla au bras de son oncle. Celui-ci eut une longue conversation avec M. Rousselain. Si accablé qu’il fût, il ne voulut pas démordre de son système.

– Pas un seul billet de banque, monsieur le juge, mais des lettres et des documents précieux. Je donne mission à la justice de mettre la main sur le sac de toile grise qui les contient. Et c’est ainsi que je rédigerai tantôt, avant mon départ pour le Midi, une plainte au Parquet.

Raoul d’Averny, lui, se promena autour de l’étang, puis, assis sur une borne, il acheva la lecture des journaux du matin.

L’un d’eux, informé évidemment par quelque reporter audacieux et habile, qui, la veille, caché on ne sait où, avait pu entendre et voir, l’un d’eux donnait tous les détails de l’instruction et relatait le troublant interrogatoire dirigé par Goussot contre Félicien Charles.

– Allez donc travailler dans ces conditions ! bougonna d’Averny avec mauvaise humeur.

Il regagna sa propriété, d’où il aperçut Félicien qui travaillait. Rentrant chez lui, il traversa le vestibule, et passa dans cette petite pièce où il aimait réfléchir et rêvasser.

Une femme l’y attendait, sans chapeau, vêtue d’une robe très simple, avec un foulard rouge autour du cou – une inconnue, qui restait debout, montrant un magnifique visage tourmenté d’expressions diverses, où il y avait de la douleur, du désarroi, de la colère, de l’hostilité…

– Qui êtes-vous ?…

– La maîtresse de Simon Lorient.

Chapitre V – Faustine Cortina et Simon Lorient

Cela fut dit d’un ton franchement agressif et comme si Raoul d’Averny eût été responsable des mésaventures de Simon Lorient.

Raoul lui dit :

– Je suppose que vous avez lu, ce matin, l’article de l’Écho de France, où l’on semble accuser mon hôte, Félicien Charles. Ne sachant où le rejoindre, c’est à moi que vous vous en prenez, n’est-ce pas ?

Au premier choc, la colère de la jeune femme se déchaîna, une colère pleine de sanglots et d’effroi, qui révélait une nature violente, sombre, incapable, par moments, de se contrôler.

– Voilà trois jours que celui que j’aime a disparu, trois jours que je le cherche vainement et que je cours de tous côtés comme une folle. Et ce matin, brusquement, dans ce journal – car je les lis tous avec l’épouvante d’apprendre qu’il a été victime d’un accident – dans ce journal, j’ai lu son nom… Il était blessé, presque mourant. Il est peut-être mort à l’heure actuelle…

– Alors pourquoi êtes-vous venue ici au lieu d’aller à la clinique ?

– Avant d’y aller, j’ai voulu vous voir.

– Pourquoi ?

Elle ne répondit pas à la question. Elle marcha vers Raoul, furieuse et superbe d’ailleurs, et proféra :

– Pourquoi ? Parce que c’est vous qui êtes l’auteur de tout cela. Oui, vous ! Toute l’affaire est votre œuvre, il suffit de lire ce journal. Félicien Charles ? Un comparse. Le chef, c’est vous ! Celui qui a machiné toute l’aventure, c’est vous ! J’en ai l’intuition, la certitude… Dès que j’ai lu le journal, je me suis dit : « C’est lui ! »

– Qui, moi ? Vous ne me connaissez pas.

– Si, je vous connais.

– Vous me connaissez, moi, Raoul d’Averny ?

– Non, vous, Arsène Lupin !

Raoul fut interloqué. Il n’attendait pas cette attaque directe ni que son véritable nom lui fût jeté, ainsi qu’une insulte. Comment cette femme pouvait-elle savoir ?…

Il lui saisit la main, brutalement.

– Que dites-vous ? Arsène Lupin…

– Oh ! ne mentez pas ! À quoi bon ! Il y a longtemps que je le sais. Simon m’a souvent parlé de vous et de ce nom d’Averny sous lequel vous vous cachez !… Je suis même venue ici, un soir de la semaine dernière, pendant votre absence et sans que personne le sache… Il voulait que je voie la maison d’Arsène Lupin. Ah ! ce que je l’ai averti pourtant ! « N’essaie pas de le connaître. Ça te porterait malheur. Qu’est-ce que tu attends de cet aventurier ?… »

Elle tendait son poing crispé vers Raoul. Elle l’injuriait du regard et de sa voix toute frémissante de mépris. Raoul l’écoutait, impassible. D’où provenait donc cette étrange histoire ? Il avait été voir Simon Lorient à la clinique. Il ne le connaissait pas. Dans quelle intention Simon Lorient voulait-il entrer en relations avec lui ? Comment avait-il pu deviner que Raoul d’Averny n’était autre qu’Arsène Lupin ? Par suite de quels hasards était-il en possession d’un tel secret ?

Raoul eut l’impression que la jeune femme ne pourrait le renseigner à ce propos, ou du moins qu’elle ne le voudrait pas. Elle avait un front obstiné et des yeux inflexibles. Droite, ardente dans son immobilité, malgré tout, elle ne perdait rien de son charme un peu barbare, et gardait dans sa pose une noblesse incroyable. Elle savait – par instinct ou par habitude ? – se servir de sa beauté et la mettre en relief. La soie souple de son corsage accusait ses formes et montrait la ligne harmonieuse de ses épaules.

L’admiration visible de Raoul la fit rougir. Elle se courba dans un fauteuil et, de ses deux bras croisés, de ses deux mains plaquées sur ses joues, elle se cacha à demi. Soudain défaillante, elle pleurait.

– Vous ne sauriez croire ce qu’il est pour moi… C’est toute ma vie… S’il meurt, je mourrai… Je n’ai jamais aimé d’autre homme… J’étais à genoux devant lui… Je me serais tuée pour lui épargner une peine. Et il m’aimait si profondément… Aussitôt riches, on devait s’épouser et partir… oui, partir…

– Qui vous empêche ?

– Et s’il meurt ?

Mais cette idée de mort la souleva de nouveau. Elle passait ainsi d’un excès à l’autre, en l’espace de quelques secondes, dans une agitation désordonnée d’idées et de sensations.

Elle se jeta sur Raoul.

– C’est vous qui l’aurez tué… Je ne sais comment… Mais c’est vous… Et je me vengerai comme on sait se venger dans mon pays, en Corse. Il ne faut pas qu’il meure avant d’être sûr qu’il a été vengé. Le coup qu’il a reçu vient d’Arsène Lupin. Et votre nom, je le crierai partout… Oui, je vous dénonce à la police. Et sans plus tarder ! Il faut qu’on sache qui vous êtes… Arsène Lupin, le malfaiteur, le cambrioleur… Arsène Lupin !

Elle ouvrit la porte et tenta de se sauver, tout en vociférant comme une démente. Il lui mit la main sur la bouche et, de force, la fit rentrer dans la pièce. Il y eut une lutte acharnée. Elle se défendait sauvagement. Il dut la saisir à deux bras, afin de la renverser sur un fauteuil et de la tenir immobile. Mais, quand il la sentit contre lui, toute palpitante, vaincue, mais secouée d’indignation et de haine, il eut un moment de vertige et fit un effort comme pour l’embrasser.

Tout de suite, il se redressa, furieux de ce geste stupide. Alors, elle éclata de rire dans un accès de rage qui la bouleversait.

– Ah ! vous aussi ! Vous comme les autres ! Une femme… On se débarrasse d’elle, en l’empoignant… comme une fille… Parbleu, un Lupin, ça se croit tout permis !… Toutes les femmes lui appartiennent… Ah ! cabotin, si vous m’aviez seulement effleuré la bouche, je vous tuais comme un chien.

Raoul était exaspéré.

– Assez de bêtises ! Vous n’êtes pas venue pour me dénoncer, ni me tuer, n’est-ce pas ? Parlez, crebleu ! Que voulez-vous ? Mais parlez donc !

Il lui reprit les deux bras et, la maintenant face à lui, il articula, d’une voix toute frémissante :

– Je ne suis pour rien dans cette affaire… Ce n’est pas moi qui ai frappé Simon Lorient… Je vous jure que ce n’est pas moi… Alors, parlez… Que voulez-vous ?

– Le salut de Simon, murmura-t-elle, dominée.

– D’accord. Dès qu’il ira mieux, je le ferai disparaître. Ne craignez rien. Il n’ira pas en prison.

Elle tressaillit.

– En prison, lui ! Mais il n’a rien fait pour aller en prison ! C’est un honnête homme, lui. Non, son salut, c’est par moi seule qu’il peut l’avoir. Moi seule peux le sauver, en le soignant.

– Alors ?

– Alors, je veux être reçue dans cette clinique et ne pas le quitter, le veiller jour et nuit. J’ai été infirmière durant quatre ans. Nulle autre que moi ne peut le soigner. Mais il faut que ce soit dès aujourd’hui… tout de suite.

Il haussa les épaules.

– Pourquoi ne pas m’avoir dit cela dès le début, au lieu de perdre votre temps à m’accuser sans motif ?…

– Donc, c’est convenu ? dit-elle âprement.

– Oui.

– Tout de suite, n’est-ce pas ?

Il réfléchit et promit :

– Oui, je verrai le directeur de la clinique. Il ne refusera pas. Je m’arrangerai même pour qu’il ne puisse pas refuser et je lui demanderai le secret. Seulement, il faut me laisser agir à ma guise. Quel est votre nom ?

– Faustine… Faustine Cortina.

– Vous en donnerez un autre à la clinique, et vous ne soufflerez pas un mot de vos relations avec Simon Lorient.

Elle se défiait encore.

– Et si vous nous trahissez ?

– Filez, dit-il, impatienté, en la poussant vers le petit jardin.

L’enclos communiquait avec le garage et le chauffeur n’était pas là. Raoul ouvrit la portière d’un cabriolet et ordonna :

– Enlevez votre foulard rouge, pour qu’on ne vous remarque pas. Et montez.

Elle monta.

Il sortit par une autre issue de la propriété et se dirigea vers la Seine, qu’il traversa au Pecq. Vivement, l’auto escalada la côte.

– Où allons-nous ? dit-elle. Si c’est un piège, tant pis pour vous !

Il ne répondit pas.

À Saint-Germain, il s’arrêta devant un grand magasin de confection et acheta une blouse et un voile d’infirmière.

Une heure plus tard, elle entrait comme infirmière à la clinique et on la chargea spécialement du blessé. Simon Lorient, dévoré par la fièvre, épuisé par sa blessure, ne la reconnut pas.

Très pâle, le visage contracté, maîtresse d’elle-même néanmoins, rigide dans son costume d’infirmière, elle écouta les instructions qu’on lui donnait et chuchota :

« – Je te sauverai, mon chéri… je te sauverai… »

En sortant de la clinique, Raoul rencontra Rolande Gaverel qui venait d’apporter dans la chambre de Jérôme Helmas des fleurs recueillies par elle sur la tombe de la morte. L’état de santé de Jérôme s’améliorait. Il avait pleuré avec la jeune fille. La fièvre était tombée. On devait l’interroger le lendemain.

Elle fit route avec Raoul qui demanda :

– Vous avez réfléchi ?…

– Je ne pense qu’à cela. C’est la volonté de savoir qui me soutient.

– Et jusqu’ici ?

– Jusqu’ici, rien. Je cherche dans mes souvenirs. Je cherche dans les souvenirs d’Élisabeth. Rien.

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