8 août 1940.
Parmi la profusion… Au pied de ces
grands mâts nègres ou tout au moins
créoles, aucun imbroglio, nulle gêne de
lianes ni de cordes, nulles planches
lavées au sol, mais un tapis épais.
Du pied à mi-hauteur frisés et liché-
neux…
*
Aucun serpentement de lianes ou de
cordes qui gêne le promeneur parmi la
profusion de ces grands mâts nègres ou
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créoles, du pied jusqu’à mi-hauteur
encore tout lichéneux.
*
Débarrassés (jusqu’à mi-hauteur) de
leurs branches, à la fois par leur propre
souci exclusivement du faîte vert (du
cône vert à leur faîte) et par la sérieuse
obscurité concertée dans leur foule…
C’est ainsi que les oiseaux eux-mêmes
sont relégués dans les hauteurs.
*
C’est merveilleux, ces tapis de jade,
dans ces régions d’où il eût semblé que
tout intérêt végétal se désaffectât, où
toutes les branches basses s’abattirent
mortes en masse.
*
Le pin n’est-il pas l’arbre qui fait le
plus de bois mort? Qui désaffecte le
plus grand nombre de ses membres, la
plus grande partie de lui-même, qui
‘
s en désintéresse le plus totalement, lui
retirant toute sève au seul profit du
faîte (cône vert) ? D’où cette odeur de
sainteté qui règne aux parages des
troncs . . .
Il ne flambe que par son faîte extrême :
un peu comme une chandelle.
C’est un arbre fort odoriférant, et non
pas seulement par sa fleur.
9 août 1940.
Cela relègue très haut et très doux les
effets du vent, les oiseaux et les ‘papillons
eux-mêmes. Et le concert vibrant de
myriades d’insectes.
*
D’aspect sénile, chenu comme la barbe
des vieillards nègres.
*
On est très bien là-dessous, tandis
qu’aux faîtes il se passe quelque chose
de très doucement balancé et musical,
de très doucement vibrant.
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*
Il faut qu’à travers tous ces dévelop-
pements (au fur et à mesure caducs,
qu’importe) la hampe du pin persiste et
,
s aperçOIve.
*
Tels mâts du pied jusques à mi-hauteur
Tout frisés, lichéneux comme un vieil-
lard créole,
Sans nulle gêne entre eux de lianes ou de
cordes,
! (Sans planche lisse au sol)
Sans :pla ch s lavées au sol mais des
! (coiffures)
Et :portant au
chapeaux coniques et
l d CIe es
verts
Que traverse le vent, qui tamisent la
lumière …
Non des voiles tendues, mais quelques
fruits serrés
Comme des ananas…
9 août 1940 – Le soir.
Non!
Décidément, il faut que je reVIenne
au plaisir du bois de pins.
De quoi est-il fait, ce plaisir? -Prin-
cipalement de ceci : le bois de pins est
une pièce de la nature, ‘faite d’arbres
tous d’une espèce nettement définie;
pièce bien délimitée, généralement assez
déserte, où l’on trouve abri contre le
soleil, contre le vent, contre la visibi-
lité ; mais abri non absolu, non par iso-
lement. Non ! C’est un abri relatif. Un
abri non cachottier, un abri non mes-
quin, un abri noble.
C’est un endroit aussi (ceci est parti-
culier aux bois de pins) où l’on évolue
à l’aise, sans taillis, sans branchages à
hauteur d’homme, où l’on peut s’éten-
dre à sec, et sans mollesse, mais assez
confortablement.
Chaque bois de pins est comme un
sanatorium naturel, aussi ün salon de
musique… une chambre, une vaste cathé-
drale de méditation (une cathédrale
sans chaire, par bonheur) ouverte à tous
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les vents, mais par tant de portes que
c’est comme si elles étaient fermées. Car
ils y hésitent.
*
o respectables colonnes, mâts séniles !
Colonnes âgées, temple de la caducité.
*
Rien de riant, mais quel confort salu-
bre, quelle températion des éléments,
quel salon de musique sobrement par-
fumé, sobrement adorné, bien fait pour
la promenade sérieuse et la méditation.
*
Tout y est fait, sans excès, pour
laisser l’homme à lui seul. La végétation,
l’animation y sont reléguées dans les
hauteurs. Rien pour distraire le regard.
Tout pour l’endormir, par cette multipli-
cation de colonnes semblables. Point
d’anecdotes. Tout y décourage la curio-
sité. Mais tout cela presque sans le vou-
loir, et au milieu de la nature, sans