Tout évolue aUSSI vers une parfaite
sécheresse…
*
Pénétré-je dans la brosserie (brosses,
peignes aux manches fins ciselés de
lichens , épingles à cheveux) d’une gigan-
tesque rousse, créole, parmi ces enchevê-
trements, ces lourds parfums? Ces gros-
ses pierres par-ci par-là, quittées sur la
tablette de la coiffeuse ? Oui certes , j’y
suis et voilà quine manque pas de charme
ni de sensualité. C’est une grande idée
qu’un poète mineur se fût contenté de
développer.
Mais pourquoi tant de branches mor-
tes cherraient-elles, pourquoi ce massif
dépouillement des troncs, et pourquoi
en conséquence cette aisance de la pro-
menade parmi eux, sans lianes, ni cor-
des, ni plancher lisse, ce tapis épais,
cette obscurité méditative, ce silence?
Parce que le pin n’est-il pas l’arbre qui
fournit le plus de bois mort, qui se désin-
téresse le plus totalement de ses déve-
loppements latéraux passés, etc. ? Ainsi
viens-je à une idée peut-être moins sédui-
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sante d’abord (moins reluisante, moins
cosmétique), mais plus sérieuse et plus
proche de la réalité de mon objet. . . , etc.
21 août 1940.
Parlons simplement : lorsqu’on pénè-
tre dans un bois de pins, en été par
grande chaleur, le plaisir qu’on éprouve
ressemble beaucoup à celui que procure-
rait le petit salon de coiffure attenant à
la salle de bains d’ u ne sauvage mais
noble créature. Brosserie odoriférante
dans une atmosphère surchauffée et
dans les vapeurs qui montent de la bai-
gnoire lacustre ou marine. Cieux comme
des morceaux de miroirs à travers les
brosses à longs manches fins tout ciselés
de lichens. Odeur sui generis des che-
veux, de leurs peignes et de leurs épin-
gles. Transpiration naturelle et parfums
hygiéniques mélangés. Laissées sur la
tablette de la coiffeuse, de grosses pierres
ornementales par-ci par-là, et dans les
cintres ce pétillement animal, ce million
d’étincelles animales, cette vibration
musicale et chanteuse.
A la fois brosses et peignes. Bro ss es
dont chaque poil a la forme et le bril-
lant d’une dent de peigne.
Pourquoi a-t-elle choisi des brosses à
poils verts et à manches de bois violets
tout ciselés de lichens vert-de-gris?
Parce que cette noble sauvage est rousse
peut-être, qui se trempera ensuite dans
la baignoire lacustre ou marine voisine.
e’est ici le salon de coiffure de Vénus,
avec l’ampoule Phébus insérée dans la
paroi de miroirs.
Voilà un tableau dont je ne suis pas
mécontent, parce qu’il rend bien compte
d’un plaisir que chaque homme éprouve
lorsqu’il pénètre en août dans un bois
de pins. Un poète mineur, voire un
poète épique s’en contenterait peut-être.
Mais nous sommes autre chose qu’un
poète et nous avons autre chose à dire.
Si nous sommes entrés dans la fami-
liarité de ces cabinets particuliers de la
nature, s’ils en ont acquis la chance de
naître à la parole, ce n’est pas seulement
pour que nous rendions anthropomor-
phiquement compte de ce plaisir sen-
suel, c’est pour qu’il en résulte une
co-naissance plus sérieuse.
Allons donc plus au fond.