LE FLUX ET LE REFLUX Agatha Christie

— Il l’est ?

— C’est bien ce que j’ai dit.

— Il serait vivant ? Alors, où est-il ?

Arden baissa la voix. Son ton devenait confidentiel.

— Tenez-vous vraiment à le savoir, Hunter ? Ne vaudrait-il pas mieux pour vous de continuer à l’ignorer ? Autant que vous sachiez et autant que Rosaleen sache, Underhay est mort en Afrique. Tenez-vous-en à ça ! Si Underhay est vivant, il ignore que sa femme a contracté un second mariage. Il l’ignore, parce que, s’il le savait, on le verrait reparaître… Nécessairement. Rosaleen, en effet, a hérité d’une jolie fortune, qui lui vient de son second époux. Mais, si cet homme n’a jamais été son mari, il faut bien admettre qu’elle n’a aucun droit à cet argent… Underhay a un sens très aigu de l’honneur. Il lui paraîtrait évidemment intolérable qu’elle conservât cette fortune sous un titre usurpé…

Après un silence, il reprit :

— Seulement, bien entendu, il est très possible qu’il ne sache jamais rien de ce second mariage. Il est très mal parti, le pauvre, très mal parti.

— Comment cela ?

Arden hocha la tête.

— La santé. Il est malade. Il a besoin de soins. Des traitements spéciaux… qui malheureusement coûtent fort cher.

Ces derniers mots, David Hunter les attendait depuis un bon moment déjà. Il dit :

— Fort cher ?

— Oui. Aujourd’hui, tout est hors de prix et le pauvre Underhay est pratiquement sans le sou. Il ne possède guère que les vêtements qu’il a sur lui…

David jeta un coup d’œil autour de la pièce. Il remarqua le havresac posé sur une chaise. Arden n’avait ni malle, ni valise.

— Je me demande, dit Hunter d’une voix sèche, si Robert Underhay est vraiment aussi chevaleresque que vous le prétendez.

— Il l’a été, mais la vie a tendance à transformer chacun de nous en un parfait cynique.

Très doucement, après une pause, Arden reprit :

— Gordon Cloade était incroyablement riche. Devant une fortune si considérable, les plus bas instincts se réveillent !

David Hunter se leva.

— Je vais vous donner ma réponse : allez au diable !

Imperturbable, Arden souriait.

— J’attendais ça !

— Vous êtes un ignoble maître chanteur, ni plus, ni moins. Faites ce que vous voulez ! Je ne marche pas.

— Un scandale ? Vous n’avez pas peur que j’aille raconter cette histoire-là aux journaux ? Ça vous ennuierait peut-être plus que vous ne voulez bien le dire, mais ce n’est pas mon intention. J’ai d’autres clients.

— Vous dites ?

— Que je peux m’adresser aux Cloade. J’imagine qu’ils ne me mettraient pas à la porte si j’allais leur dire : « Au fait, savez-vous que feu Robert Underhay est toujours bien vivant ? »

David eut un ricanement de mépris.

— Vous ne pourrez pas leur arracher un sou ! Ils sont fauchés, tous !

— Oui, mais on peut s’entendre et travailler à terme, avec paiement le jour où il est prouvé que Robert Underhay est vivant, que Mrs Gordon Cloade est donc toujours Mrs Robert Underhay et que, par conséquent, le testament fait par Gordon Cloade avant son mariage est le seul valable aux yeux de la loi…

David s’était rassis. Il resta silencieux pendant plusieurs minutes, puis, brusquement, il dit :

— Combien ?

La réponse vint, immédiate :

— Vingt mille livres.

— Pas question ! Ma sœur ne peut pas toucher au capital, elle n’a que l’usufruit.

— Alors, dix mille. Elle peut les trouver facilement. Elle a des bijoux, j’imagine ?

Il y eut un long silence.

— D’accord ! dit enfin Hunter.

Arden, comme surpris de sa facile victoire, attendit quelques secondes avant de parler de nouveau.

— Naturellement, pas de chèques. Tout en billets !

— Il faudra nous donner du temps… pour trouver l’argent.

— Je peux attendre quarante-huit heures.

— Disons jusqu’à mardi.

— Soit. Vous m’apporterez l’argent ici. Je n’irai pas vous retrouver dans un coin perdu, au fond d’un vallon ou au bord d’une rivière. Inutile d’espérer ça. Je vous attendrai ici, au Cerf, mardi prochain, à neuf heures du soir.

— Vous êtes plutôt du genre méfiant, on dirait ?

— Je sais me garder et, les types de votre espèce, je les connais.

David sortit sans répondre. Il était pâle de rage.

Béatrice Lippincott quitta peu après la chambre 4. Il existait, entre le 4 et le 5, une porte de communication, assez peu visible au 5, où elle était masquée par une penderie. Miss Lippincott était très rouge et ses yeux brillaient de plaisir. Elle descendit l’escalier en promenant une main agitée sur sa blonde « indéfrisable ».

X

« Shepherd’s Court » était, dans l’élégant quartier de Mayfair, un magnifique immeuble, loué en appartements de luxe. Le personnel y était un peu moins nombreux qu’avant la guerre, il n’y avait plus qu’un portier au lieu de deux, mais le service était toujours parfait. Une seule différence : le restaurant ne montait plus les repas, exception faite du petit déjeuner.

L’appartement de Mrs Gordon Cloade était au troisième étage. Il se composait d’une grande pièce, ornée d’un bar prévu et construit par l’architecte, de deux chambres à coucher, pourvues de profondes penderies, et d’une salle de bains où le métal chromé étincelait.

David, très agité, allait et venait dans la grande pièce. Rosaleen, assise sur le divan, le regardait. Elle était très pâle.

— Un chantage ! répétait David pour la dixième fois. Un chantage ! Sapristi ! Est-ce que j’ai l’air d’un type qu’on fait chanter ?

Interrompant une seconde sa promenade, il s’arrêta et s’écria :

— Quel dommage que je ne sache pas…

Il laissa la phrase inachevée. Rosaleen soupira doucement.

— Ce qui m’exaspère, reprit David, se remettant en marche, c’est d’être dans le noir, de me battre sans savoir ce que je fais.

Il se tourna vers Rosaleen.

— Ces émeraudes, tu les as montrées au vieux Greatorex ?

— Oui.

— Qu’est-ce qu’il en offre ?

— Quatre mille livres. Il dit que, si je ne les vends pas, je ferai bien de faire augmenter l’assurance.

— Il a raison. Les pierres ont beaucoup monté. L’argent, on le trouverait. Seulement, si nous payons, ce ne sera qu’un commencement. Nous serons saignés à blanc, Rosaleen, saignés à blanc !

— Quittons l’Angleterre, David ! Allons-nous-en ! Pourquoi ne pas passer en Irlande ou en Amérique ?

Il la regarda d’un air méprisant.

— Tu n’aimes pas la bagarre, hein ? Ta devise, c’est : « Je me sers et je me sauve… »

— Non, mais ce que nous avons fait est très mal, très…

Il l’interrompit.

— Pas de sermons, je t’en prie, j’ai horreur de ça ! Tout marchait on ne peut mieux, Rosaleen, et, pour la première fois de ma vie, je respirais à l’aise. J’entends bien ne pas renoncer à tout ça. Le seul ennui, je te l’ai déjà dit, c’est que je suis obligé de me battre dans l’obscurité, mais ça ne m’arrêtera pas ! Il n’est pas prouvé du tout qu’il ne s’agit pas d’un bluff. Il se peut fort bien que Robert Underhay soit en réalité très gentiment enterré au fin fond de l’Afrique, comme nous l’imaginions.

Un frisson la secoua.

— Ne parle pas de ça, David ! Tu me fais peur.

Il la regarda. Elle lui parut si effrayée que, tout de suite, son attitude changea. Il vint s’asseoir à côté d’elle et prit sa main dans la sienne.

— Ne t’en fais pas, Rosaleen ! Tu n’as qu’à t’en remettre à moi et à faire ce que je te dis. Tu peux faire ça, non ?

— Je le fais toujours, David !

Il se mit à rire.

— Évidemment !… Je te le répète, tu n’as pas à te tracasser ! Je trouverai bien un moyen de venir à bout de Mr Enoch Arden.

— Ce nom-là, demanda-t-elle, est-ce que je ne l’ai pas lu dans un poème, où il est question d’un homme qui revient…

— Si. C’est un peu ce qui m’ennuie. Mais, en fin de compte, c’est nous qui tiendrons le bon bout !

Ils restèrent silencieux un instant. Elle reprit :

— C’est mardi soir que tu dois… lui porter l’argent ?

— Oui. Je lui lâcherai cinq mille livres et lui dirai que le reste va suivre presque tout de suite. L’important, c’est qu’il ne prenne pas contact avec les Cloade. Je ne crois pas que sa menace de le faire soit sérieuse, mais on ne sait jamais !

Il se tut et, pendant quelques minutes, regardant devant lui sans rien voir, suivit sa pensée. Elle l’entraînait très loin. Brusquement, il éclata de rire. D’un rire franc et joyeux, que certains hommes, morts aujourd’hui, auraient reconnu. Le rire allègre d’un homme qui ne craint pas le risque et qui va s’engager dans une dangereuse aventure…

— Heureusement, Rosaleen, s’écria-t-il, je peux compter sur toi !

Elle tourna la tête vers lui. Ses yeux interrogeaient.

— Compter sur moi ? dit-elle. Pour quoi faire ?

Il lui sourit.

— Pour faire exactement ce que je te dirai de faire. Quoi ? Je ne peux pas te le dire. C’est un secret, Rosaleen, dont dépend la réussite de l’opération.

Riant, il ajouta. :

— De l’opération Enoch Arden.

XI

Rowley ouvrit la grande enveloppe mauve en se posant une double question. Qui diable pouvait bien lui écrire sur un papier pareil et était-il seulement possible qu’un tel papier existât ?

Il lut :

Cher monsieur Rowley,

J’espère que vous ne m’en voudrez pas de la liberté que je prends de vous écrire. Je veux croire que vous me pardonnerez parce que je crois sincèrement qu’il se passe en ce moment des choses QU’IL EST ABSOLUMENT INDISPENSABLE QUE VOUS SACHIEZ.

Je fais allusion à la conversation que nous avons eue l’autre soir, quand vous êtes venu m’interroger au sujet d’une CERTAINE PERSONNE. Si vous voulez bien passer au Cerf, je me ferai une joie de vous mettre au courant. Vous savez que tout le monde, ici, considère qu’il n’y a rien d’aussi honteux que la façon dont vous avez été dépouillé de l’argent qui aurait dû vous revenir à la mort de votre oncle.

J’espère que vous ne m’en voudrez pas. Il faut absolument que vous soyez mis au courant.

Bien à vous,

Béatrice Lippincott.

Rowley relut le message. Il lui coupait le souffle. Qu’est-ce que tout cela pouvait bien vouloir dire ? Cette brave Béatrice ! Il l’avait toujours connue. C’était chez son père qu’il avait acheté ses premières cigarettes et elle était déjà derrière le comptoir. Elle avait été une jolie fille. Un jour, il y avait déjà longtemps, elle avait disparu de Warmsley Vale pendant quelque temps et on avait raconté qu’elle était partie pour mettre au monde un petit bâtard. Était-ce vrai ? On n’en savait rien. En tout cas, elle était maintenant une personne fort distinguée et très respectable. Prompte à la réplique, riant volontiers, mais terriblement soucieuse des convenances. Plutôt trop…

Rowley regarda l’heure et décida de ne pas attendre pour se rendre au Cerf. Il avait hâte de savoir ce que Béatrice pouvait avoir à lui dire.

Un peu après huit heures, il pénétrait dans le bar. Il y resta quelques instants, prenant son temps pour boire le verre de bière que Béatrice lui avait servi, non sans échanger avec lui un coup d’œil d’intelligence. Miss Lippincott chargea Lily d’assurer le service, puis fit signe à Rowley, qui franchit derrière elle une porte marquée « Privé », qui ouvrait sur une petite pièce surmeublée. Rowley remarqua des fauteuils couverts en peluche, un appareil de radio qui hurlait, une quantité invraisemblable de bibelots en porcelaine et, sur une chaise, une poupée représentant un Pierrot qui paraissait avoir largement mérité sa retraite. Béatrice ferma la radio, indiqua du geste un siège à son visiteur et, tout de suite, le remercia d’être venu.

— J’espère, lui dit-elle, que vous ne m’en voudrez pas de vous avoir écrit. J’ai longtemps hésité, mais, comme je vous l’ai écrit, il m’a semblé qu’il était absolument indispensable que vous sachiez ce qui se passe.

Elle parlait du ton de quelqu’un qui a le sentiment de son importance et il était visible qu’elle était très satisfaite d’elle-même.

— Mais de quoi s’agit-il ? demanda Rowley.

— Vous vous souvenez, monsieur Rowley, de ce voyageur que nous avons ici, ce Mr Enoch Arden, au sujet duquel vous m’avez interrogée ?

— Fort bien. Alors ?

— Ça s’est passé le lendemain du jour où vous êtes venu. Mr Hunter lui a rendu visite.

— Mr Hunter ?

Le ton indiquait que l’affaire commençait à intéresser Rowley.

— Oui, monsieur Rowley. Il m’a demandé Mr Arden, je lui ai dit qu’il était au 5 et il est monté directement. J’ajoute que la chose m’a paru assez surprenante, car ce Mr Arden ne m’avait pas dit qu’il connaissait quelqu’un à Warmsley Vale et je le prenais pour un étranger qui n’avait aucune relation dans le pays. Mr Hunter avait l’air de très mauvaise humeur, un peu comme quelqu’un qui vient d’éprouver une déception, mais, bien entendu, je n’en avais rien conclu.

Miss Lippincott reprit haleine. Rowley ne prononça pas un mot. Il écoutait. Il estimait qu’il ne fallait jamais presser les gens. On gagnait toujours à ne pas les bousculer. Béatrice reprit, très digne :

— Un peu plus tard, il s’est trouvé que je suis montée au 4 pour y changer les serviettes et les draps. C’est la chambre à côté du 5 et il y a, entre le 4 et le 5, une porte qui les fait communiquer, mais qu’on ne voit pas, quand on est au 5, parce qu’elle est cachée par une grande penderie. Naturellement, cette porte est toujours fermée. Ce soir-là, elle ne l’était pas. Qui l’avait entrouverte ? Je serais bien incapable de vous le dire, car je n’ai pas la moindre idée là-dessus !

Rowley hocha la tête et ne dit mot. Sa conviction intime était que la curiosité avait conduit Béatrice au 4 et l’avait poussée à entrebâiller la porte de communication.

— De sorte, monsieur Rowley, que je n’ai pas pu faire autrement que d’entendre ce qui se disait dans la chambre à côté. Et, en toute sincérité, je dois ajouter qu’à ce moment-là, on m’aurait renversée d’une chiquenaude…

Suivit une relation succincte de la conversation. Rowley écoutait, impassible. Le récit terminé, Miss Lippincott attendit. Une longue minute s’écoula. Rowley songeait. Brusquement, il se leva et dit :

— Merci, Béatrice, merci infiniment !

Il sortit sans rien ajouter. Béatrice était terriblement déçue. Il lui semblait que Mr Rowley aurait vraiment pu trouver mieux.

XII

Quittant le Cerf, Rowley reprit machinalement le chemin de la ferme. Il fit quelques centaines de mètres, puis s’arrêta net et revint sur ses pas.

Son esprit travaillait lentement. Les révélations de Béatrice l’avaient stupéfait et il commençait seulement à en saisir toute l’importance. Si elle lui avait exactement rapporté ce qu’elle avait entendu, et la chose ne lui paraissait pas douteuse, la présence à Warmsley Vale de cet Enoch Arden créait une situation nouvelle qui intéressait au premier chef tous les membres de la famille. Un seul était en mesure de dire avec certitude ce qu’il convenait de faire : son oncle Jeremy. En sa qualité de solicitor, Jeremy Cloade ne pouvait manquer de savoir comment il fallait agir pour tirer le meilleur parti possible des étonnantes informations dont les Cloade étaient redevables à Miss Lippincott. Mieux valait ne pas perdre de temps.

Quelques instants plus tard, Rowley sonnait, dans High Street, à la porte de Jeremy Cloade. La petite bonne qui vint lui ouvrir lui annonça que « Monsieur » et « Madame » étaient encore à table. Rowley, après une courte délibération intérieure, refusa d’aller les trouver à la salle à manger. Il préférait attendre son oncle dans la bibliothèque. Il ne tenait pas particulièrement à mettre Frances au courant tout de suite. Moins il y aurait de personnes dans le secret et mieux cela vaudrait, aussi longtemps qu’on n’aurait point décidé de la façon dont on entendait manœuvrer.

Il attendit dans la bibliothèque, allant et venant sans arrêt. Sur le bureau, il y avait un petit coffre en métal, avec une étiquette sur laquelle se lisait le nom de feu sir William Jessamy. Des photographies étaient accrochées aux murs : Frances, en robe de soirée, et son père, lord Edward Trenton, en costume de cheval. Un jeune homme en uniforme aussi : Antony, le fils de Jeremy, tué à la guerre…

Rowley fronça le sourcil, alla s’asseoir et garda les yeux sur le portrait de lord Edward Trenton.

Dans la salle à manger, les époux achevaient leur repas.

— Je me demande bien, dit Frances, ce que Rowley peut te vouloir.

Jeremy haussa les épaules.

— Il aura probablement découvert une circulaire ministérielle qu’il ne comprend pas. Les trois quarts des agriculteurs ne savent comment remplir les imprimés dont on les accable. Rowley est consciencieux. Il se fait du mauvais sang… et il vient me consulter.

— Il est bien gentil, mais il est un peu lourd. Tu sais qu’il me semble que les choses ne vont pas trop bien entre Lynn et lui ?

— Lynn ?

Jeremy n’était plus à la conversation. Il se ressaisit.

— Oui, bien sûr !… Excuse-moi ! On dirait qu’il m’est impossible de suivre une idée. Ces soucis…

— Oublie-les ! Tout s’arrangera, c’est moi qui te le dis !

— Tu m’effraies, Frances ! Tu me parais si terriblement prête à tout ! Tu n’as pas l’air de te rendre compte…

— Je me rends parfaitement compte et je n’ai pas peur. Je dirais même que je m’amuse !

— Eh oui ! ma chérie, et c’est bien ce qui m’inquiète !

Elle sourit.

— Tu as tort… et il ne faut pas imposer à notre jeune agriculteur une attente exagérée. Va lui dire comment il lui faut remplir le formulaire 1199 B, à moins que ce ne soit le 2286 A…

Comme ils se levaient de table, ils entendirent la porte de la rue qui se fermait bruyamment. Edna vint leur annoncer que Mr Rowley avait dit qu’il ne pouvait pas attendre et que l’affaire qui l’avait amené n’avait pas autrement d’importance.

XIII

Le mardi après-midi, Lynn Marchmont avait décidé d’aller faire une longue promenade. Assez mécontente d’elle-même, il lui semblait qu’elle avait besoin de mettre de l’ordre dans ses idées.

Elle n’avait pas vu Rowley depuis plusieurs jours, bien qu’elle l’eût rencontré, comme à l’habitude, au lendemain de cette conversation qui avait si mal fini. Lynn admettait qu’elle avait présenté à Rowley une demande déraisonnable et qu’il avait peut-être eu raison de lui refuser les cinq cents livres qu’elle désirait lui emprunter. Il avait parlé avec bon sens. Mais, d’un amoureux, on attend autre chose que de la sagesse. En apparence, il n’y avait rien de changé dans les relations de Rowley et de Lynn. Étaient-elles vraiment restées les mêmes ? Elle n’en était pas sûre. Les derniers jours lui avaient paru d’une monotonie insipide. Elle ne voulait pas s’avouer que c’était peut-être parce que David Hunter avait brusquement décidé d’aller à Londres avec sa sœur, mais elle reconnaissait – un peu à contrecœur – que David lui était extrêmement sympathique.

Quant à sa famille, pour le moment, elle lui était insupportable. Aujourd’hui encore, sa mère, maintenant débordante d’activité, lui avait annoncé, au déjeuner, qu’elle allait se mettre en quête d’un second jardinier.

— Le vieux Tom, lui avait-elle dit, ne peut vraiment plus s’en tirer tout seul !

— Mais, Mums, nos moyens ne nous permettent pas…

— Allons donc ! Je suis convaincue, Lynn, que Gordon aurait été navré de voir le jardin comme il est. Il aimait les plates-bandes bien entretenues, les pelouses bien tondues, les allées bien ratissées. Je suis sûre qu’il m’approuverait de vouloir remettre le jardin en état…

— Même s’il nous faut, pour cela, emprunter de l’argent à sa veuve ?

— Je t’ai déjà expliqué, ma petite Lynn, que Rosaleen s’est montrée, à ce sujet, plus gentille qu’on n’aurait osé l’imaginer. Elle a parfaitement compris ma manière de voir… et, toutes nos dettes payées, il nous reste encore de l’argent à la banque. Ce second jardinier ne nous coûtera presque rien. Nous agrandirons le potager. Les légumes…

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