Nouvelle histoire de Mouchette

Elle s’est roulée en boule dans une touffe de genêts où elle ne tient guère plus de place qu’un lièvre. Le sable, raviné par la pluie, se creuse sous son poids, en sorte qu’elle y disparaît presque tout entière. La fraîcheur qui monte du sol lui semble douce. Retenant son haleine, elle sonde les ténèbres, avec un extraordinaire sang-froid.

La cabane n’est pas loin et, parfois même, elle croit distinguer sa masse, de l’autre côté du creux rempli d’eau, entre les arbres clairsemés. M. Arsène est-il encore là-bas ? Nul signe n’y révèle maintenant sa présence. Il ne l’a poursuivie que quelques pas, et sans doute s’est-il heurté à l’une des souches taillées en biseau, car il a poussé un furieux juron. Puis elle a entendu longtemps son pas furtif. Un moment même, il a dû passer tout près, derrière elle. Mais elle n’a pas tourné la tête, son cœur n’a pas battu plus vite.

Enfin, après un long silence, il s’est mis à l’appeler, d’une voix d’abord humble, presque honteuse, et soudain pleine de colère. Le pis est qu’elle ignore s’il n’est pas toujours à la même place – à la place qu’elle devine, d’où la vue commande les deux sentiers. Par bonheur, la nuit est noire, et d’ailleurs elle attendra le temps qu’il faudra, rien ne presse…

La douleur l’occupe, une douleur qui retentit dans ses os, semble plonger à la racine de la vie. Dans le village, elle passe volontiers pour une « dure ». Mais cette souffrance-là ne peut se comparer à aucune autre. Si peu accoutumée à s’examiner elle-même, Mouchette n’a guère eu le temps jusqu’ici de réfléchir aux subtiles distinctions du physique et du moral, à leurs rapports secrets. Elle endure patiemment, sans la comprendre, une douleur si parfaitement, si également répandue dans chacune de ses fibres qu’arrivée à son paroxysme, elle paraît se dissoudre, se fondre en un horrible écœurement.

Elle se dresse sur les genoux, étouffant un sanglot, un terrible sanglot sans larmes. Elle écoute encore. Aucun autre bruit que l’universel égouttement des taillis trempés. Néanmoins elle n’ose pas d’abord tourner le dos à la cabane invisible, elle s’en éloigne à reculons, s’arrête une dernière fois. Le sentier est maintenant là, sous ses pieds. Elle le distingue mal, mais elle pourrait presque en suivre les détours grâce au murmure tantôt croissant, tantôt décroissant de l’eau qui court le long de l’ornière. Elle se laisse enfin glisser jusqu’en bas.

Dès qu’elle a senti sous ses semelles le sol plus ferme, une force irrésistible la jette droit devant elle, à travers les taillis. D’abord, elle essaie d’écarter de son visage les minces branches encore assouplies par l’averse, puis elle n’y prend plus garde. Elle court, tête baissée, avec une faible plainte, celle de l’animal poursuivi qui donne son suprême effort, réussit à détendre une dernière fois ses muscles contractés par l’épouvante de la mort jusque sous la gueule des chiens.

Elle ne s’arrête qu’à la lisière du bois, au bord de la grande route goudronnée, dont tous les creux remplis d’eau luisent, à perte de vue, faiblement.

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