Il y avait dans le salon de Mme de B. un grand paravent de
laque. Ce paravent cachait une porte ; mais il s’étendait aussi près
d’une des fenêtres, et, entre le paravent et la fenêtre, se trouvait
une table où je dessinais quelquefois. Un jour, je finissais avec
application une miniature : absorbée par mon travail, j’étais restée
longtemps immobile, et sans doute Mme de B. me croyait sortie,
lorsqu’on annonça une de ses amies, la marquise de … C’était une
personne d’une raison brusque, d’un esprit tranchant, positive
jusqu’à la sécheresse ; elle portait ce caractère dans l’amitié : les
sacrifices ne lui coûtaient rien pour le bien et pour l’avantage de
ses amis ; mais elle leur faisait payer cher ce grand attachement.
Inquisitive et difficile, son exigence égalait son dévouement, et
elle était la moins aimable des amies de Mme de B. Je la
craignais, quoiqu’elle fût bonne pour moi ; mais elle l’était à sa
manière : examiner, et même assez sévèrement, était pour elle un
signe d’intérêt. Hélas ! j’étais si accoutumée à la bienveillance,
que la justice me semblait toujours redoutable. « Pendant que
nous sommes seules, dit Mme de … à Mme de B., je veux vous
parler d’Ourika223 : elle devient charmante, son esprit est tout à fait
formé, elle causera comme vous, elle est pleine de talents, elle est
piquante, naturelle ; mais que deviendra-t-elle ? et enfin qu’en
ferez-vous ? – Hélas ! dit Mme de B., cette pensée m’occupe
souvent, et, je vous l’avoue, toujours avec tristesse : je l’aime
comme si elle était ma fille ; je ferais tout pour la rendre
heureuse ; et cependant, lorsque je réfléchis à sa position, je la
trouve sans remède. Pauvre Ourika ! je la vois seule, pour
toujours seule dans la vie ! »