Andromaque

Scène III

 

Oreste,Hermione,Cléone

 

Oreste

Madame, c’en est fait, et vous êtesservie :

Pyrrhus rend à l’autel son infidèle vie.

 

Hermione

Il est mort ?

 

Oreste

Il expire ; et nos Grecs irrités

Ont lavé dans son sang ses infidélités.

Je vous l’avais promis ; et quoique moncourage

Se fît de ce complot une funeste image,

J’ai couru vers le temple, où nos Grecsdispersés

Se sont jusqu’à l’autel dans la fouleglissés.

Pyrrhus m’a reconnu, mais sans changer deface :

Il semblait que ma vue excitât son audace,

Que tous les Grecs, bravés en leurambassadeur,

Dussent de son hymen relever la splendeur.

Enfin, avec transport prenant son diadème,

Sur le front d’Andromaque il l’a posélui-même :

« Je vous donne, a-t-il dit,ma couronne et ma foi !

Andromaque, régnez sur l’Épire et surmoi,

Je voue à votre fils une amitié depère ;

J’en atteste les dieux, je le jure à samère :

Pour tous mes ennemis je déclare lessiens,

Et je le reconnais pour le roi desTroyens. »

À ces mots, qui du peuple attiraient lesuffrage,

Nos Grecs n’ont répondu que par un cri derage ;

L’infidèle s’est vu partout envelopper,

Et je n’ai pu trouver de place pourfrapper.

Chacun se disputait la gloire del’abattre,

Je l’ai vu dans leurs mains quelque temps sedébattre,

Tout sanglant à leurs coups vouloir sedérober,

Mais enfin à l’autel il est allé tomber.

Du peuple épouvanté j’ai traversé lapresse

Pour venir de ces lieux enlever maprincesse,

Et regagner le port, où bientôt nos amis

Viendront couverts du sang que je vous aipromis.

 

Hermione

Qu’ont-ils fait !

 

Oreste

Pardonnez à leur impatience :

Ils ont, je le vois bien, trahi votrevengeance.

Vous vouliez que ma main portât les premierscoups,

Qu’il sentît en mourant qu’il expirait pourvous ;

Mais c’est moi dont l’ardeur leur a servid’exemple :

Je les ai pour vous seule entraînés dans letemple,

Madame, et vous pouvez justement vousflatter

D’une mort que leurs bras n’ont faitqu’exécuter.

Vous seule avez poussé les coups…

 

Hermione

Tais-toi, perfide,

Et n’impute qu’à toi ton lâche parricide.

Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur,

Va ; je la désavoue, et tu me faishorreur.

Barbare, qu’as-tu fait ? Avec quellefurie

As-tu tranché le cours d’une si bellevie ?

Avez-vous pu, cruels, l’immoleraujourd’hui,

Sans que tout votre sang se soulevât pourlui ?

Mais parle : de son sort qui t’a rendul’arbitre ?

Pourquoi l’assassiner ? Qu’a-t-ilfait ? À quel titre ?

Qui te l’a dit ?

 

Oreste

Ô dieux ! Quoi ? ne m’avez-vouspas

Vous-même, ici, tantôt, ordonné sontrépas ?

 

Hermione

Ah ! fallait-il en croire une amanteinsensée ?

Ne devais-tu pas lire au fond de mapensée ?

Et ne voyais-tu pas, dans mesemportements,

Que mon cœur démentait ma bouche à tousmoments ?

Quand je l’aurais voulu, fallait-il ysouscrire ?

N’as-tu pas dû cent fois te le faireredire ?

Toi-même avant le coup me venir consulter,

Y revenir encore, ou plutôtm’éviter ?

Que ne me laissais-tu le soin de mavengeance ?

Qui t’amène en des lieux où l’on fuit taprésence ?

Voilà de ton amour le détestablefruit :

Tu m’apportais, cruel, le malheur qui tesuit.

C’est toi dont l’ambassade, à tous les deuxfatale,

L’a fait pour son malheur pencher vers marivale.

Nous le verrions encor nous partager sessoins ;

Il ‘aimerait peut-être, il le feindrait dumoins.

Adieu. Tu peux partir. Je demeure enÉpire :

Je renonce à la Grèce, à Sparte, à sonempire,

À toute ma famille ; et c’est assez pourmoi,

Traître, qu’elle ait produit un monstre commetoi.

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